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  • Poussins kantiens et bonobos aristotéliciens...

    Les éditions Odile Jacob viennent de publier L'animal est-il un philosophe ?, un essai d'Yves Christen.  Biologiste, chercheur dans le domaine de l'immunologie, Yves Christen, déjà auteur de plusieurs ouvrages sur les animaux, dont Le peuple léopard (Michalon, 2000) et L'animal est-il une personne ? (Flammarion, 2009), qui a eu un fort retentissement.

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    « Déconstruire l’idée que l’animal serait sans intelligence, sans conscience, sans langage, etc., n’est qu’une étape vers une entreprise plus essentielle : la reconnaissance de la richesse des mondes animaux, dans leur diversité, sans céder à la tentation de les hiérarchiser. Tel est l’esprit qui m’anime dans cet ouvrage.

    Parce que les animaux, humains ou non humains, ne sont pas les jouets passifs du monde qui les entoure et qu’ils en sont au contraire les créateurs actifs, parce qu’ils sont porteurs d’une vision du monde, je les considère comme des philosophes. Ils ne se contentent pas de percevoir passivement leur environnement, ils l’élaborent, ils l’anticipent. Ils donnent du sens aux choses. »

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  • "Que la troïka aille se faire voir !"...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré à la colère qui monte au Portugal, information peu reprise en France, bien entendu...

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    Que se lixe a troïka !

    Que la troïka aille se faire voir ! Le samedi 2 mars, ce n’est pas en Grèce que ce slogan a été hurlé, mais au Portugal. Un million de personnes ont manifesté dans les rues de Lisbonne et de toutes les villes portugaises pour exiger le départ des troïkans (1) et la démission du gouvernement.

    C’est là un événement majeur, qui s’inscrit dans la longue série des mouvements de grèves et de révoltes qui secoue la Grèce, l’Espagne, l’Italie et le Portugal – tous pays impitoyablement frappés par les mesures d’austérité. Pourtant, les chaînes publiques de la télévision française n’y ont pas prêté attention : rien sur France 2 au soir du 2 mars et rien non plus au « 20 heures » du dimanche. Sur Soir 3, l’événement a été rapporté à l’aide de quelques images assorties d’un bref commentaire : pas plus de 30 secondes.

    Les responsables de l’information sur les chaînes publiques ne peuvent pas dire qu’ils étaient mal informés et qu’ils n’avaient pas de place dans leurs éditions.  Pour ne prendre qu’un exemple, le 2 mars, huit minutes ont été consacrées à divers reportages sur les départs en vacances d’hiver au « 20 heures » de France 2. Quant à l’information, elle était à portée de la main puisqu’une dépêche de l’AFP annonçait une « marée humaine contre l’austérité » et décrivait les rues de Lisbonne animées par un défilé de 500 000 personnes qui chantaient Grândola Vila Morena, l’hymne de la Révolution des Œillets. Il y avait donc, à la disposition des chaînes publiques, de l’image et du son.

    Il n’était pas non plus bien difficile de rédiger un commentaire sur les causes de la révolte car elles sont partout identiques. En échange d’un prêt du FMI en 2011, le gouvernement portugais s’était engagé à ramener son déficit public à 4,5% du PIB en 2012, à 3% en 2013, à 1% en 2015 et à 0,5% en 2016 afin de se conformer à la « règle d’or » de l’équilibre budgétaire. Comme on pouvait s’en douter, ces engagements n’ont pas été tenus. Le gouvernement a donc demandé à la troïka un délai supplémentaire tout en faisant adopter pour 2013 un budget d’une exceptionnelle dureté alors que la récession atteint 3,2 %, alors que le taux de chômage dépasse 16% de la population active et frappe 40% des jeunes de moins de 25 ans. Ecrasés par les hausses d’impôts qui s’accompagnent de blocages ou de baisses des salaires, les Portugais ne peuvent plus croire les promesses dont ils sont abreuvés. Le FMI annonçait une récession de – 1% pour cette année, mais le gouvernement reconnaît qu’elle atteindra – 2%.

    Ces informations ne sont pas difficiles à trouver. Il suffit de quelques minutes de recherche sur la Toile pour nourrir un commentaire. Mais les directeurs de l’information télévisée ne sont pas intéressés par le « dossier » portugais. C’est tout à fait compréhensible. Montrer semaine après semaine qu’il existe un lien étroit entre l’austérité et la récession en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, ce serait donner aux téléspectateurs français des idées fort peu convenables à l’heure où les ministres de gauche plaident pour l’effort en promettant le retour de la croissance pour la fin de l’année.  Sur ce point, il est intéressant de noter que l’an dernier le gouvernement portugais espérait « un début de relance en 2013 » avant de reconnaître sa bévue. Mario Monti avait lui aussi promis la relance lorsqu’il avait présenté en novembre 2011 son plan d’austérité – mais l’Italie est en récession durable. Et Lucas Papadémos avait promis en mars 2012 que la Grèce renouerait avec la croissance «d’ici moins de deux ans» – alors que le gouvernement prévoit aujourd’hui une récession de – 4,5% en 2013.

    Que d’erreurs de prévision chez ces gens bardés de diplômes, expérimentés, bien informés et de surcroît conseillés et guidés par ces messieurs de la troïka. Cela ressemble fort à un mensonge concerté, tellement répétitif et grossier que la colère s’en trouve décuplée.

    Bertrand Renouvin (Le blog de Bertrand Renouvin, 4 mars 2013)

    (1) Troïkans : membres de la troïka composée de représentants de la Banque centrale européenne, du FMI et de la Commission européenne.

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  • La Grande Terreur...

    Les éditions Noir sur Blanc publient cette semaine La Grande terreur en URSS 1937-1938, une enquête de Tomasz Kizny. Photographe et journaliste, de nationalité polonaise, Tomasz Kizny travaille sur le Goulag soviétique depuis plus de 20 an en recherchant des témoignages de déportés survivants et en photographiant les vestiges des camps. Le livre est préfacé par Nicolas Werth, spécialiste de l'URSS et co-auteur du Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997).

     

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    " Entre 1937 et 1938, les répressions atteignent un pic en URSS : Staline fait assassiner des centaines de milliers de personnes sur tout le territoire. Cette période, qui commence seulement à être documentée suite à l’ouverture partielle des archives, est aujourd’hui désignée comme la Grande Terreur.

    De 2008 à 2011, Tomasz Kizny mène une véritable enquête sur cette vague de violence de l’État soviétique contre ses propres citoyens. En Russie, en Ukraine et en Biélorussie, en collaboration avec l’Association Memorial, il réalise un travail photographique qui documente le crime et présente une topographie de la Terreur : lieux d’exécutions et de fosses communes, photographies des proches des disparus, objets retrouvés lors des fouilles…

    Le cœur du livre consiste en une série de bouleversants portraits de condamnés, pris dans les geôles du NKVD après leur arrestation et quelques jours avant leur exécution. Il s’agit d’une puissante accusation documentaire du totalitarisme soviétique, qui vient donner un visage aux victimes de Staline.

    « Sur le long chemin menant du dévoilement à la compréhension de ce crime de masse, le présent ouvrage de Tomasz Kizny constitue un jalon capital. » (Nicolas Werth)."

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  • Qui a tué la diversité alimentaire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Périco Légasse, cueilli sur Atlantico et consacré à la standardisation et l'uniformisation de l'alimentation en France. Critique gastronomique, adversaire du culinairement correct et défenseur d'une cuisine identitaire et enracinée dans les terroirs, Périco Légasse a récemment publié un réjouissant Dictionnaire impertinent de la gastronomie (François Bourin, 2013).

     

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    Qui a tué la diversité alimentaire ?

    Atlantico : L’un des effets surprenant du scandale alimentaire lié à la viande de cheval a été une relance de la consommation de ce produit de plus en plus délaissé par les français. Comment expliquer que nous mangions si peu de viandes différentes au pays de la gastronomie ?
    Périco Légasse : Sur la question bovine par exemple, la variété a été tuée par un certain nombre de lois et de programmes de modernisation de l’agriculture à la fin des années 1950. Il existait à l’époque plus de trois cents races bovines dans notre pays et, pour des questions de rentabilité financière, on les a éradiquées pour en inventer d’autres comme la blonde d’Aquitaine, qui est une invention pure, la Limousine ou la Charolaise que nous avons même internationalisée. Ce sont des races avec de grosses carcasses qui permettent de produire plus efficacement de grandes quantités de viande, ce sont des races à rendement. On a fait en quelques sortes des bébés éprouvette pour remplacer les vaches locales par des usines à viande.Nous avons également compartimenté les vaches laitières et les vaches à viande alors qu’historiquement, une vache passait par les deux phases dans sa vie, d’abord le lait puis la viande. Nous sommes donc dans un système productiviste. Là-dessus, la boucherie de proximité a été tuée par la grande distribution qui est ravie d’acheter de grandes quantités pour pas cher et qui nous a donc poussé à être encore plus inventifs sur le plan de la productivité. Nous n’avons finalement aujourd’hui que trois ou quatre races à viande.Concernant la disparition de la consommation de la viande de cheval : il y a beaucoup moins de chevaux disponibles puisque, comme en Roumanie très récemment, nous avons décidé un jour de mécaniser entièrement notre pays et d’abandonner le tractage et le transport hippomobile pour de bon. Il n’y avait à l’époque pas autant de traitements chimiques sur la viande de cheval, puisqu’on envoyait directement à l’abattoir les chevaux de trait qui étaient propres à la consommation.Les élevages équins à destination alimentaire ont aussi progressivement disparu, en grande partie car nous avons fait entrer le cheval dans une perspective sociologique presque sacrée. C’est la même logique pour le lapin et, le jour où nous aurons des agneaux de compagnie, nous arrêterons également d’en manger. Si cela n’a pas toujours été le cas en France, il faut également savoir que dans certains pays, comme l'Angleterre, manger du cheval est totalement sacrilège. Dans notre pays, cette viande était souvent réservée à la bourgeoisie car on lui connaissait des propriétés alimentaires et gastronomiques. Pour tout vous dire, on en préparait souvent le jeudi, jour des enfants à l’époque. C’est vous dire si les choses ont changé.
    Qu’en est-il de la raréfaction du gibier dans nos assiettes ?
    La question du gibier est toute autre, car celui-ci est conditionné par sa dimension sauvage. Un faisan d’élevage n’aura jamais le même goût que son homologue chassé dans la nature. Cela rend donc ces viandes naturellement rares puisque lorsqu'on élève les animaux, elle a beaucoup moins d’intérêt. Pourtant, la vraie cause de la disparition du gibier est sociologique : nous ne cuisinons plus. Or, ces produits nécessitent une importante préparation, au même titre que tout ce qui demande un petit peu de temps et de travail.
    Est-ce le même phénomène que celui qui fait également disparaître les ris de veau et autres parties des animaux qui ont fait la richesse de notre gastronomie ?
    Cela est surtout dû à la crise de la vache folle, car ces abats sont le plus souvent les parties endocriniennes de l’animal, qui sont donc plus sujettes à la contamination. Ils avaient donc en grande partie été retirés des magasins. Il faut dire qu’il n’en restait déjà que très peu dans les étals et que les triperies se faisaient déjà rares. C’est là que l’on rejoint effectivement la problématique du gibier, car les abats avaient commencé à disparaître à cause de la diminution du temps accordé à la préparation du repas. Pour faire un ris de veau il ne suffit pas de le passer au feu cinq minutes ! On en trouve toujours dans certains restaurants, qui les préparent par tradition et par amour de ces produits, mais dans la consommation courante la triperie a presque totalement disparue. Il existe cependant un syndicat qui essaie en ce moment de la relancer.
    La redécouverte des « légumes anciens » est très à la mode. Les Français cherchent-ils à élargir leurs perspectives alimentaires ?
    Une partie de l’agriculture bio s’est remis au maraîchage à l’ancienne et a drainé derrière elle cette tendance à un retour aux anciens produits. On recommence donc à cultiver des légumes qui avait été abandonnés faute de rentabilité ou de succès à grande échelle, tout comme on réintroduit de plus en plus d’anciennes races animales dans plusieurs endroits en France. La Bretagne est particulièrement orientée dans cette logique du retour à des produits originaux et traditionnels. Bien que cela ne corresponde pas pour l’instant à une logique généraliste, il y a une véritable attente du public vis à vis de ces produits et je pense qu’une vraie dynamique est en train de se mettre en place. Les choses vont probablement évoluer très vite dans ce domaine et en bien.
    Périco Légasse, propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure (Atlantico, 4 mars 2013)
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  • Histoire d'un roi déchu...

    Les éditions du Seuil rééditent dans leur collection de poche Point l'essai de Michel Pastoureau intitulé L'ours - Histoire d'un roi déchu. Directeur d’études à l’École pratique des hautes études et à l’École des hautes études en sciences sociales, Michel Pastoureau est un spécialiste de l'histoire des couleurs, de la symbolique, des armoiries et de l'héraldique. Il est l'auteur de nombreux essais comme L'étoffe du diable (Seuil, 1991) ou Une histoire symbolique du Moyen-Age occidental (Seuil, 2004).

     

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    " Longtemps, en Europe, le roi des animaux ne fut pas le lion mais l’ours. Dès les premiers temps du christianisme, l’Eglise s’efforça de faire descendre de son trône l’ours. Comment ? D’abord en le diabolisant : l’ours avait alors tous les vices (colère, violence, luxure, goinfrerie, envie, paresse, sottise). Puis en le domptant. Ou encore en le ridiculisant, en le transformant en bête de cirque. Enfin, à partir de l’époque carolingienne, l’Eglise a voulu promouvoir le lion, qui était déjà le roi des animaux pour des peuples de la Bible.
    En interrogeant les sources de natures diverses (lexiques, noms propres, documents archéologiques, etc.), le livre retrace l’histoire de cette désacralisation de l’ours et de son remplacement par le lion sur le trône animal. M. Pastoureau ne s’arrête pas à l’aube de la Renaissance mais étudie un certain nombre de survivances de l’ancienne dignité royale de l’ours dans l’Europe moderne et contemporaine.
    Le livre se termine par le chapitre sur l’ours en peluche qui, plus que tout autre, met en valeur la remarquable dimension anthropomorphe de cet animal : de même que l’homme du Paléolithique partageait sa caverne avec l’ours, de même l’enfant du XXIe siècle partage son lit avec un ourson, son double, son frère, son dieu. Comme toujours avec Pastoureau, un grand livre d’histoire qui mêle avec bonheur érudition, anthropologie et histoire."

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  • Conversation avec Alain de Benoist...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y rebondit sur quelques sujets d'actualité...

     

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    Les reniements du PC ne m'inspirent que du dégoût

    Le PCF vient d’abandonner son historique marque de fabrique, la faucille et le marteau. Il est vrai, qu’en France, il y a de moins en moins d’ouvriers et de paysans. Nonobstant, que vous inspire ce qu’il faut bien nommer un reniement ?

    Ce que devrait inspirer tout reniement : un extraordinaire dégoût. Je n’ignore rien, bien sûr, de toutes les pages noires de l’histoire du Parti communiste français. Celui-ci n’en a pas moins représenté durant des décennies une immense espérance pour des millions de travailleurs. Au fil des années, le PC a progressivement tout largué : la révolution, la grève générale, la dictature du prolétariat. C’est aujourd’hui un parti social-démocrate, qui se soucie plus de « lutter contre l’exclusion » au nom des droits de l’homme (dont Karl Marx avait fait une critique ravageuse) que de défendre le peuple contre l’emprise du Capital. La faucille et le marteau étaient précisément un symbole qui renvoyait au peuple. Je vous signale que celui-ci n’a pas disparu (les ouvriers et les employés constituent toujours la majorité de la population française) et que la guerre de classes bat plus que jamais son plein. Mais regardez les dirigeants actuels du PC : Marie-George Buffet n’évoque pas vraiment Louise Michel ou Rosa Luxemburg. Elle a l’air d’une petite ménagère ménopausée comme les autres. Pierre Laurent ressemble à n’importe quel employé de bureau (c’est d’ailleurs ce qu’il est). La Charte d’Amiens (1906) proposait aux travailleurs de lutter pour la « disparition du salariat et du patronat ». Cet objectif aussi a été abandonné. À quand le remplacement de la faucille et du marteau, outils du prolétariat, par le sex toy et la télécommande ?

    Le PC se renie pour être plus « en phase avec son époque », ce qui montre qu’il n’a plus la moindre intention de la changer. Les curés avaient fait de même en abandonnant la soutane. Quant aux homos, je suis surpris que les adversaires du mariage gay ne voient pas à quel point leur désir de passer devant monsieur le maire traduit leur embourgeoisement. Il y avait autrefois une charge subversive dans l’homosexualité, et tous les homos que j’ai connus étaient très fiers de ne pas être « comme les autres ». Aujourd’hui, ils ne rêvent apparemment que de se faire des bisous en public, de pousser des caddies et de changer des couches-culottes. Mon ami Guy Hocquenghem s’en serait étranglé de rage. De quelque côté qu’on se tourne, on normalise ! C’est aussi cela la pensée unique.

    Toujours à propos de l’URSS et du PCF, cette phrase vous poursuit depuis longtemps : « Je préfère porter la casquette de l’Armée rouge que manger des hamburgers à Brooklyn… » Pouvez-vous la resituer dans son contexte d’alors et nous dire si vous aviez tort d’avoir eu raison un peu trop tôt, ou s’il s’agissait seulement d’une boutade ?

    Elle me poursuit d’autant mieux que je ne l’ai jamais prononcée. Voici le texte exact, vieux de trente ans et fort différent de celui que vous citez : « Certains ne se résignent pas à la pensée d’avoir un jour à porter la casquette de l’Armée rouge. De fait, c’est une perspective affreuse. Nous ne pouvons pas, pour autant, supporter l’idée d’avoir un jour à passer ce qui nous reste à vivre en mangeant des hamburgers du côté de Brooklyn. » (Orientations pour des années décisives, Labyrinthe, Paris 1982, p. 76). C’était évidemment une formule. Je voulais dire par là que je ne me sentais pas plus en phase avec le soviétisme qu’avec l’occidentalisme, qui m’apparaissaient l’un et l’autre comme deux moyens différents d’aliéner les libertés humaines. C’est dire que je n’ai jamais cru à la fable du « monde libre », alibi cache-sexe de l’impérialisme américain. L’effondrement de l’URSS a eu le mérite de faire apparaître cette fable en pleine lumière. Après le totalitarisme hard du Goulag, le totalitarisme mou du politiquement correct et la colonisation des imaginaires symboliques par les seules valeurs marchandes. Je ne suis pas sûr qu’on y ait gagné.

    Jadis, les médias dominants nous ont vendu la Guerre froide, bloc contre bloc, et s’acharnent désormais à nous refourguer le même bidule, Occident « chrétien » contre Orient « musulman ». À cette roulette truquée, on a toujours l’impression que le zéro sort à tous les coups…

    Le mot « Occident » n’a plus aucun sens aujourd’hui. N’en déplaise aux groupies du « choc des civilisations », l’Occident ne constitue pas plus que l’islam un ensemble unitaire et homogène. Pour croire que l’islam est partout le même, en Arabie saoudite comme en Indonésie par exemple, il faut vraiment n’avoir pas beaucoup voyagé. Pour ma part, je n’ai rien à dire aux islamologues de comptoir qui citent les hadîth comme August Rohling, autre « grand spécialiste », citait le Talmud à l’époque de la Revue internationale de Mgr Jouin. Plus comiques sont ceux qui nous expliquent doctement que musulmans et djihadistes, c’est du pareil au même, à un moment où, partout dans le monde, les premiers sont massacrés et hachés menus par les seconds. Quant à ceux qui veulent interdire le Coran (sic), je leur souhaite bon courage. Je croirai à leur sincérité quand ils réclameront l’interdiction de la Bible (en raison des innombrables appels au meurtre au nom de Dieu qu’elle contient) et des épîtres de saint Paul (qui proclame la « sujétion » des femmes et leur fait obligation d’être voilées, cf. 1 Cor. 11, 5-10). Mettre dans le même sac les problèmes de l’immigration, de l’islam, de l’islamisme et du djihadisme est vraiment la marque de fabrique des esprits paresseux.

    Sous l’apparence des choses, il n’y a aujourd’hui que deux fractures fondamentales. Celle qui, dans le monde musulman, oppose les sunnites et les chiites. Et celle qui sépare l’Europe des États-Unis, deux ensembles aux valeurs opposées et aux intérêts divergents, comme l’ont souligné tous les géopoliticiens, de MacKinder à Spykman. Carl Schmitt disait que l’histoire du monde n’est que l’histoire de la lutte entre les puissances de la Terre et les puissances de la Mer. Celle-ci correspond aujourd’hui à l’affrontement potentiel entre la puissance océanique américaine et le grand ensemble continental associant l’Europe et la Russie. On en verra les effets dans les années qui viennent. Pour l’heure, on peut dire que la Paix chaude a remplacé la Guerre froide.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 mars 2013)

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