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  • Démontage d'une mythologie politique contemporaine...

    Nous vous signalons la parution récente, aux éditions TheBook, d'un essai de Charles Robin, intitulé Le libéralisme comme volonté et représentation - Démontage d'une mythologie politique contemporaine. Nous publions ci-dessous la présentation qu'en a fait David L'Epée dans la revue Eléments (n°146, 2012).

     

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    " S’il est vrai que la valeur des idées se reconnaît à l’engouement qu’elles suscitent chez les plus jeunes, tout laisse à croire que les thèses de Michéa ont de l’avenir. Non content d’être souvent lu ces dernières années par la jeune génération, il a trouvé en la personne de Charles Robin, doctorant de 26 ans à Montpellier, un successeur enthousiaste. Si l’élève est encore loin d’avoir dépassé le maître, il synthétise et développe de manière tout à fait convaincante les analyses de ce qu’on pourrait maintenant appeler le “courant Michéa” sur la généalogie du libéralisme, ses implications contemporaines et les relations étroites qui unissent son versant philosophico-politique et son versant économique. Robin consacre la première partie de son livre à un retour sur les textes des principaux penseurs libéraux, insistant sur le principe du libéralisme comme « programme philosophique global » sous-tendu par un pessimisme anthropologique affirmé, puis poursuit en seconde partie sur une appréhension de l’extrême gauche contemporaine (principalement le trotskisme à la française) comme expression des thèses libérales appliquées au plan sociétal.

    Se plongeant avec courage dans les textes d’Olivier Besancenot et dans les divers manifestes du NPA prêchant constamment pour une extension illimitée des droits individuels, l’auteur démontre brillamment qu’ « un militant d’extrême gauche est d’abord une personne capable d’expliquer, le plus sérieusement du monde, que le fait de reconnaître son “attachement” à d’autres êtres humains (ses amis, son conjoint, ses enfants) constitue la démonstration la plus éclatante de l’oppression spécifique que présente toute modalité du “lien” ». On savourera entre autres citations d’anthologie l’article d’un journal du NPA que Robin a débusqué et qui traite la question des sextoys envisagés comme instruments d’émancipation… Cette évolution de l’extrême gauche est due en grande partie à une sorte de paresse intellectuelle qui la pousse à entretenir certaines indifférenciations sémantiques, entre libéralisme et conservatisme par exemple, et à apporter « une caution “libertaire” (ou “citoyenne”) au démantèlement capitaliste de toutes les entraves territoriales et civilisationnelles à l’expansion du principe marchand ». S’inspirant de Latouche, l’auteur clôt son propos en appelant à la décolonisation de notre imaginaire, qui ne sera vraiment libre qu’une fois débarrassé des représentations libérales qu’on y a fait entrer."

    David L'Epée (Eléments n°146, janvier-mars 2013)

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  • Ensauvagement et décivilisation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Delbauvre, cueilli sur Voxnr et consacré à l'ensauvagement de la société...

     

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    Ensauvagement et décivilisation

    Il n’est peut être pas impossible que mon lecteur se souvienne de la polémique déclenchée par Jean-Pierre Chevènement en 1998 suite à sa déclaration effectuée dans le cadre de l’assemblée nationale. Evoquant les délinquants de l’époque, il les avait alors qualifiés de sauvageons, entrainant de facto un tollé quasi général au sein de la classe politique. Le souvenir de cet incident m’est revenu en mémoire suite à la publication récente de l’ouvrage à succès de Laurent Obertone intitulé « La France orange mécanique ».

    Le terme de sauvageon évoque bien évidemment la sauvagerie et donc l’absence de civilisation. Il est d’ailleurs une distinction effectuée en zoologie entre animaux domestiques ou familiers et animaux sauvages. Le problème est d’actualité puisque très récemment, Marine le Pen a évoquer l’ensauvagement croissant de toute une partie de la société française. Je ne sais si le terme a fait écho pour mon lecteur, raison pour laquelle je rappelle que la notion est issue des recherches effectuées par l’historien George Mosse (1918,1999) caractérisant une mue dans l’état d’esprit des combattants ayant connu l’enfer des tranchées. Que l’on qualifie cette mue de brutalisation (brutalization) ou d’ensauvagement, la notion reste approximativement la même puisque dans les deux cas, c’est un processus que nous pouvons qualifier de décivilisation dont il est question.

    Cette décivilisation d’une partie de la société française appert durant la second partie des années soixante dix et coïncide avec l’avènement de la postmodernité. Le fait est qu’à l’époque, aussi bien Michel Poniatowski que Christian Bonnet, chacun successivement ministre de l’intérieur, malgré leur réputation de durs, ne sont pas parvenus à enrayer la montée en puissance du processus. Il est peut être utile de rappeler qu’à cette époque, c’est à dire voilà plus de trente ans, le fait migratoire n’était pas encore, loin s’en faut, devenu ce qu’il est aujourd’hui. Le processus d’involution caractérisant la modification des comportements, aussi bien des délinquants que de l’homme de la rue, ne sont bien sur pas la conséquence de décisions rationnelles issues des uns et des autres : c’est l’évolution de la société française voulue par les dirigeants politiques de l’époque, avec pour chef de file Valery Giscard d’Estaing, qui déclencha progressivement un autre rapport au monde et à autrui chez les Français. Bien évidemment, à lui seul, le chef de l’exécutif de l’époque n’eut pu faire autant de mal: le processus est à replacer dans le cadre de la postmodernité naissante mais aussi dans celui du grand vent libéral initié aussi bien par Margarett Thatcher que Ronald Reagan. C’est ainsi que nous sommes passés de l’influence majeure du marxo-stalinisme où l’Etat était tout (« le zéro et l’infini ») au libéralisme éhonté où l’individu quelconque est devenu roi. On peut remarquer d’ailleurs que l’histoire est souvent faite de grands mouvements de balancier, oscillant d’un extrême à un autre.

    Revenons maintenant à nos sauvageons et analysons sans préjugés le terme. Il est une spécialité intellectuelle étudiant le parallèle entre comportements animal et humain: l’éthologie, puisque c’est son nom, a eu pour fondateur majeur Konrad Lorenz (1903,1989) même si cette discipline est déjà latente chez un penseur comme Schopenhauer (1788,1860). Je constate :

    - Les jeunes dont il est question qui vivent au sein de ce que l’on appelle désormais et de façon très péjorative « cités », vivent en bandes : pour caractériser cet aspect dans le cadre animal, on évoque le terme de « meute ». Dans les deux cas d’ailleurs, la structure est très hiérarchisée et toute modification de l’édifice se fait par grande violence. Qui ignore l’exécution de temps à autres de certains chefs de bande ?

    - Ces jeunes, on le sait, disposent d’un vocabulaire particulièrement restreint. Or, on sait justement que l’un des modes de différenciation entre homme et animal, est justement le langage. En cela, nos jeunes sont très proches de l’animalité.

    - Les jeunes dont il est question ont un sens aigu du territoire au point que tout individu non identifié comme membre de la cité se voit abordé, voire agressé. Ce sens très particulier du territoire renvoie directement à la notion de niche environnementale qui est essentielle chez les animaux, y compris chez les moins évolués comme c’est le cas des reptiles. On sait que les animaux défendent avec beaucoup de détermination leur territoire : malheur à l’intrus.

    - Le rapport qu’entretiennent ces jeunes de sexe le plus souvent masculin avec les femmes est lui aussi emblématique ; ou la femme est perçue comme instrument de plaisir et l’on voit poindre le principe des tournantes, viols collectifs effectués par la bande. Ou la femme est réduite à la maternité ; l’idée par exemple d’une autonomie intellectuelle ou sociale féminine disparait donc, la femme n’ayant pour seule vocation que l’enfantement : bien évidemment, ce n’est certainement au sein du monde animal qu’un statut favorable serait octroyé puisqu’il n’est alors question que de mâles et de femelles, principalement préoccupés par les besoins primaires.

    Bien évidemment cet article pourrait être une propédeutique à l’élaboration d’un ouvrage traitant du phénomène de désociabilisation (décivilisation) ou d’un livre explorant plus en détail l’animalité croissante dans certains segments sociétaux de la France contemporaine. Je ne pense pas qu’en 1998, Jean-Pierre Chevènement avait réfléchi en détail à la problématique qu’il a initiée en utilisant le terme de « sauvageon ». Pour autant, au vu des arguments précités, difficile de ne pas lui octroyer un satisfecit.

    Philippe Delbauvre (Voxnr, 25 février 2013)

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  • L'Europe barbare...

    Les éditions Perrin publient cette semaine L'Europe barbare - 1945-1950, une étude de l'historien britannique Keith Lowe. L'auteur a déjà publié un ouvrage intitulé Inferno (Scribner, 2007), pas encore traduit en français, consacré au bombardement de Hamburg en 1943, qui avait provoqué la mort de 40 000 habitants...

     

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    " La Deuxième Guerre mondiale s'est officiellement achevée en mai 1945, mais son déchaînement de violence perdura des années. Après plus de 35 millions de morts et nombre de villes rasées, les institutions que nous considérons aujourd'hui comme acquises, police, médias, transports, gouvernements nationaux et pouvoirs locaux, étaient à reconstruire. Le taux de criminalité montait en flèche, les économies s'effondraient et la population européenne survivait au bord de la famine.
    Dans ce livre au souffle épique, Keith Lowe décrit un continent secoué par la violence, où de vastes segments de la population répugnent encore à accepter que la guerre soit finie. Il met l'accent sur la morale pervertie et le désir insatiable de vengeance qui furent l'héritage de ce conflit. Il dresse, enfin, le tableau du nettoyage ethnique et des guerres civiles qui déchirèrent l'existence des gens ordinaires, de la mer Baltique à la mer Méditerranée, avant l'instauration chaotique d'un nouvel ordre mondial qui finit par apporter la stabilité à une génération brisée."

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  • Sur les élections italiennes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jacques Sapir, cueilli sur son carnet RussEurope et consacré aux résultats des élections italiennes...

     

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    Sur les élections italiennes

    Les résultats des élections italiennes à peine connus, les commentaires allaient bon train. Le gouvernement français s’est empressé, lui aussi, de faire un communiqué pour minimiser l’importance de ces résultats. Il eût mieux valu qu’il s’affronte directement à la réalité, ne serait-ce que pour en tirer les leçons. Mais on préfère s’enfermer dans une attitude de déni, cette fois avec l’appui d’une partie de la presse française. Que n’avait-on chanté les louanges du dirigeant du Parti Démocrate, Luigi Bersani ou du technocrate tourné politicien Mario Monti. Il suffisait pourtant de sortir de la bulle parisienne, de regarder la presse italienne, britannique ou américaine pour avoir une petite idée de ce qui allait se passer. Mais il est dit qu’il n’y a pas de réalité en dehors de ce que certains cénacles veulent bien dire… Alors, regardons un peu ces élections, et leurs résultats, et cherchons à en extraire les points importants.

    Le premier point qui émerge de ces résultats est à l’évidence l’ampleur du désaveu des politiques inspirées par Bruxelles et Berlin, mais aussi, il faut s’en souvenir, par Paris. Les partis défendant ces politiques n’ont représenté que 40% des électeurs (le PD de gauche de Bersani 29,5% et l’alliance du centre-droit de Mario Monti 10,5%). Les partis refusant ces politiques, et refusant en réalité la logique de l’Euro, ont remporté plus de 54% des suffrages (le PDL de Silvio Berlusconi 29% et le M5S de Beppe Grillo 25,4%). On ne saurait imaginer plus cinglant démenti apporté à ceux qui présentaient le gouvernement Monti comme un « sauveur » de l’Italie. La multiplication d’impôts, souvent vécus comme injustes, les coupes sauvages dans le budget dont ont été victimes les hôpitaux, les écoles, mais aussi le système de retraite, les retards scandaleux de paiements de la part l’État, expliquent largement cette situation. La presse française peut gloser sur la « machine » Berlusconi, elle ne saurait éternellement cacher le fait que si un homme politique chassé sous les huées revient quasiment en triomphateur, c’est bien parce qu’il y a un rejet massif de la politique mise en place par ses successeurs. De plus, ce discours convenu ne saurait expliquer le succès du Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Beppe Grillo.

    Ceci conduit alors au deuxième point important : l’erreur manifeste des sondeurs et des estimations de « sortie des urnes ». Deux partis ont été les « victimes » de ces erreurs, le PD, crédité de plus de 33% et se situant finalement à 29,5% (environ 4 points d’écart) et l’alliance de centre droit de Mario Monti crédité par les estimations de 12% et n’en faisant en réalité que 10,5%. Le PDL de Silvio Berlusconi apparaît comme relativement stable. C’est donc le M5S qui a bénéficié de ces erreurs, étant crédité de 18% à 20% et faisant en réalité plus de 25% des suffrages. Il convient immédiatement de dire que ces élections étaient les premières élections générales auxquelles se présentait le M5S. La tache des sondeurs et des prévisionnistes était donc des plus difficiles. Mais, si l’on considère les chiffres, et si l’on admet qu’un certain nombre d’électeurs du M5S (1 sur 5) n’ont pas souhaité faire état de leur vote dans les sondages de « sortie des urnes », cela signifie que des anciens électeurs tant de gauche que du centre droit ont basculé vers le mouvement de Bepe Grillo. Cette hypothèse est confortée par la remarquable stabilité entre prévisions et résultats réels pour le PDL, qui confirme le fait que Silvio Berlusconi est bien reconnu comme le chef de sa formation et que son discours est largement assumé par ses électeurs. Le vote pour le PDL n’a pas été un vote « honteux », bien au contraire, mais clairement assumé. La signification de ceci est qu’il faut chercher essentiellement à gauche (et secondairement au centre droit) le véritable réservoir des forces du M5S.

    Ceci conduit alors au troisième point : les électeurs italiens voulaient envoyer un message et ils ont utilisé à cette fin les moyens qui étaient à leur disposition. On peut gloser sur le système électoral italien, certes plus « byzantin » que romain ; on peut faire tous les commentaires possibles et imaginables sur la rhétorique tant de Berlusconi, couvert de scandales et rescapé du « bunga-bunga », que de Bepe Grillo. À défaut de partis plus présentables, les Italiens ont voté pour ceux qui leur paraissaient les moins nocifs, autrement dit les moins engagés dans la politique mortifère d’austérité et les moins soumis aux ordres de Bruxelles et aux diktats de Berlin. On est en présence d’une protestation structurée bien plus que d’un simple vote « protestataire ». Le fait que le M5S ait gagné certaines villes lors des dernières élections municipales aurait dû alerter les observateurs. On assiste en fait au début d’un processus d’enracinement du M5S.

    Les conséquences pour la coalition de gauche que représente le Parti Démocrate sont importantes. L’érosion de ce parti dans les derniers sondages, puis dans les résultats, est particulièrement importante. Crédité de 35% à moins d’un mois du vote, il se retrouve finalement avec 29,5%. Le problème réside dans la position intenable qu’il adopta : celle de défendre une « austérité à visage humain ». Les Italiens ont intuitivement compris que de visage humain, il n’y en aurait guère et que seule resterait l’austérité. Mais cela pose un redoutable problème aux forces dites « social-démocrates » en Europe du Sud. Leurs discours n’ont plus aucune crédibilité dans le cadre économique qui est celui de la zone Euro. Il faut soit adopter un discours traditionnel de droite, soit rompre avec les chimères d’une Europe fédérale ; il n’y a plus de demi-mesures possibles.

    Nous en arrivons alors au quatrième point. Ces élections ont été, on l’a dit, une cinglante défaite de la technocratie. À cet égard, on rappelle ce que l’on disait dans une note consacrée à la question de « l’ordre démocratique » mais aussi de la Dictature et de la Tyrannie : « L’ordre démocratique permet de penser les formes nouvelles de la tyrannie (les agences indépendantes), de leur donner un nom précis (le BCE, la « Troïka », la dévolution des principes de l’État à l’Union Européenne sans respect pour les règles de dévolution), mais aussi de montrer ce que pourraient être des cheminements différents qui n’aboutissent pas à des usurpations de souveraineté. L’ordre démocratique permet ainsi de réfuter les illusions d’une technicisation des choix politiques et de redonner toute son importance à la politique elle-même. Il nous permet de penser la Tyrannie et par conséquence la rébellion légitime. »

    C’est bien à une rébellion légitime que nous avons assisté lors de ces élections. Il convient d’en prendre conscience.

    Jacques Sapir (RussEurope, 26 février 2013)

    Les résultats des élections italiennes à peine connus, les commentaires allaient bon train. Le gouvernement français s’est empressé, lui aussi, de faire un communiqué pour minimiser l’importance de ces résultats. Il eût mieux valu qu’il s’affronte directement à la réalité, ne serait-ce que pour en tirer les leçons. Mais on préfère s’enfermer dans une attitude de déni, cette fois avec l’appui d’une partie de la presse française. Que n’avait-on chanté les louanges du dirigeant du Parti Démocrate, Luigi Bersani ou du technocrate tourné politicien Mario Monti. Il suffisait pourtant de sortir de la bulle parisienne, de regarder la presse italienne, britannique ou américaine pour avoir une petite idée de ce qui allait se passer. Mais il est dit qu’il n’y a pas de réalité en dehors de ce que certains cénacles veulent bien dire… Alors, regardons un peu ces élections, et leurs résultats, et cherchons à en extraire les points importants.

    Le premier point qui émerge de ces résultats est à l’évidence l’ampleur du désaveu des politiques inspirées par Bruxelles et Berlin, mais aussi, il faut s’en souvenir, par Paris. Les partis défendant ces politiques n’ont représenté que 40% des électeurs (le PD de gauche de Bersani 29,5% et l’alliance du centre-droit de Mario Monti 10,5%). Les partis refusant ces politiques, et refusant en réalité la logique de l’Euro, ont remporté plus de 54% des suffrages (le PDL de Silvio Berlusconi 29% et le M5S de Beppe Grillo 25,4%). On ne saurait imaginer plus cinglant démenti apporté à ceux qui présentaient le gouvernement Monti comme un « sauveur » de l’Italie. La multiplication d’impôts, souvent vécus comme injustes, les coupes sauvages dans le budget dont ont été victimes les hôpitaux, les écoles, mais aussi le système de retraite, les retards scandaleux de paiements de la part l’État, expliquent largement cette situation. La presse française peut gloser sur la « machine » Berlusconi, elle ne saurait éternellement cacher le fait que si un homme politique chassé sous les huées revient quasiment en triomphateur, c’est bien parce qu’il y a un rejet massif de la politique mise en place par ses successeurs. De plus, ce discours convenu ne saurait expliquer le succès du Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Beppe Grillo.

    Ceci conduit alors au deuxième point important : l’erreur manifeste des sondeurs et des estimations de « sortie des urnes ». Deux partis ont été les « victimes » de ces erreurs, le PD, crédité de plus de 33% et se situant finalement à 29,5% (environ 4 points d’écart) et l’alliance de centre droit de Mario Monti crédité par les estimations de 12% et n’en faisant en réalité que 10,5%. Le PDL de Silvio Berlusconi apparaît comme relativement stable. C’est donc le M5S qui a bénéficié de ces erreurs, étant crédité de 18% à 20% et faisant en réalité plus de 25% des suffrages. Il convient immédiatement de dire que ces élections étaient les premières élections générales auxquelles se présentait le M5S. La tache des sondeurs et des prévisionnistes était donc des plus difficiles. Mais, si l’on considère les chiffres, et si l’on admet qu’un certain nombre d’électeurs du M5S (1 sur 5) n’ont pas souhaité faire état de leur vote dans les sondages de « sortie des urnes », cela signifie que des anciens électeurs tant de gauche que du centre droit ont basculé vers le mouvement de Bepe Grillo. Cette hypothèse est confortée par la remarquable stabilité entre prévisions et résultats réels pour le PDL, qui confirme le fait que Silvio Berlusconi est bien reconnu comme le chef de sa formation et que son discours est largement assumé par ses électeurs. Le vote pour le PDL n’a pas été un vote « honteux », bien au contraire, mais clairement assumé. La signification de ceci est qu’il faut chercher essentiellement à gauche (et secondairement au centre droit) le véritable réservoir des forces du M5S.

    Ceci conduit alors au troisième point : les électeurs italiens voulaient envoyer un message et ils ont utilisé à cette fin les moyens qui étaient à leur disposition. On peut gloser sur le système électoral italien, certes plus « byzantin » que romain ; on peut faire tous les commentaires possibles et imaginables sur la rhétorique tant de Berlusconi, couvert de scandales et rescapé du « bunga-bunga », que de Bepe Grillo. À défaut de partis plus présentables, les Italiens ont voté pour ceux qui leur paraissaient les moins nocifs, autrement dit les moins engagés dans la politique mortifère d’austérité et les moins soumis aux ordres de Bruxelles et aux diktats de Berlin. On est en présence d’une protestation structurée bien plus que d’un simple vote « protestataire ». Le fait que le M5S ait gagné certaines villes lors des dernières élections municipales aurait dû alerter les observateurs. On assiste en fait au début d’un processus d’enracinement du M5S.

    Les conséquences pour la coalition de gauche que représente le Parti Démocrate sont importantes. L’érosion de ce parti dans les derniers sondages, puis dans les résultats, est particulièrement importante. Crédité de 35% à moins d’un mois du vote, il se retrouve finalement avec 29,5%. Le problème réside dans la position intenable qu’il adopta : celle de défendre une « austérité à visage humain ». Les Italiens ont intuitivement compris que de visage humain, il n’y en aurait guère et que seule resterait l’austérité. Mais cela pose un redoutable problème aux forces dites « social-démocrates » en Europe du Sud. Leurs discours n’ont plus aucune crédibilité dans le cadre économique qui est celui de la zone Euro. Il faut soit adopter un discours traditionnel de droite, soit rompre avec les chimères d’une Europe fédérale ; il n’y a plus de demi-mesures possibles.

    Kirk Douglas SpartacusNous en arrivons alors au quatrième point. Ces élections ont été, on l’a dit, une cinglante défaite de la technocratie. À cet égard, on rappelle ce que l’on disait dans une note consacrée à la question de « l’ordre démocratique » mais aussi de la Dictature et de la Tyrannie : « L’ordre démocratique permet de penser les formes nouvelles de la tyrannie (les agences indépendantes), de leur donner un nom précis (le BCE, la « Troïka », la dévolution des principes de l’État à l’Union Européenne sans respect pour les règles de dévolution), mais aussi de montrer ce que pourraient être des cheminements différents qui n’aboutissent pas à des usurpations de souveraineté. L’ordre démocratique permet ainsi de réfuter les illusions d’une technicisation des choix politiques et de redonner toute son importance à la politique elle-même. Il nous permet de penser la Tyrannie et par conséquence la rébellion légitime. »

    C’est bien à une rébellion légitime que nous avons assisté lors de ces élections. Il convient d’en prendre conscience.

    - See more at: http://russeurope.hypotheses.org/936#sthash.XCl0iaEQ.dpuf

    Les résultats des élections italiennes à peine connus, les commentaires allaient bon train. Le gouvernement français s’est empressé, lui aussi, de faire un communiqué pour minimiser l’importance de ces résultats. Il eût mieux valu qu’il s’affronte directement à la réalité, ne serait-ce que pour en tirer les leçons. Mais on préfère s’enfermer dans une attitude de déni, cette fois avec l’appui d’une partie de la presse française. Que n’avait-on chanté les louanges du dirigeant du Parti Démocrate, Luigi Bersani ou du technocrate tourné politicien Mario Monti. Il suffisait pourtant de sortir de la bulle parisienne, de regarder la presse italienne, britannique ou américaine pour avoir une petite idée de ce qui allait se passer. Mais il est dit qu’il n’y a pas de réalité en dehors de ce que certains cénacles veulent bien dire… Alors, regardons un peu ces élections, et leurs résultats, et cherchons à en extraire les points importants.

    Le premier point qui émerge de ces résultats est à l’évidence l’ampleur du désaveu des politiques inspirées par Bruxelles et Berlin, mais aussi, il faut s’en souvenir, par Paris. Les partis défendant ces politiques n’ont représenté que 40% des électeurs (le PD de gauche de Bersani 29,5% et l’alliance du centre-droit de Mario Monti 10,5%). Les partis refusant ces politiques, et refusant en réalité la logique de l’Euro, ont remporté plus de 54% des suffrages (le PDL de Silvio Berlusconi 29% et le M5S de Beppe Grillo 25,4%). On ne saurait imaginer plus cinglant démenti apporté à ceux qui présentaient le gouvernement Monti comme un « sauveur » de l’Italie. La multiplication d’impôts, souvent vécus comme injustes, les coupes sauvages dans le budget dont ont été victimes les hôpitaux, les écoles, mais aussi le système de retraite, les retards scandaleux de paiements de la part l’État, expliquent largement cette situation. La presse française peut gloser sur la « machine » Berlusconi, elle ne saurait éternellement cacher le fait que si un homme politique chassé sous les huées revient quasiment en triomphateur, c’est bien parce qu’il y a un rejet massif de la politique mise en place par ses successeurs. De plus, ce discours convenu ne saurait expliquer le succès du Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Beppe Grillo.

    Ceci conduit alors au deuxième point important : l’erreur manifeste des sondeurs et des estimations de « sortie des urnes ». Deux partis ont été les « victimes » de ces erreurs, le PD, crédité de plus de 33% et se situant finalement à 29,5% (environ 4 points d’écart) et l’alliance de centre droit de Mario Monti crédité par les estimations de 12% et n’en faisant en réalité que 10,5%. Le PDL de Silvio Berlusconi apparaît comme relativement stable. C’est donc le M5S qui a bénéficié de ces erreurs, étant crédité de 18% à 20% et faisant en réalité plus de 25% des suffrages. Il convient immédiatement de dire que ces élections étaient les premières élections générales auxquelles se présentait le M5S. La tache des sondeurs et des prévisionnistes était donc des plus difficiles. Mais, si l’on considère les chiffres, et si l’on admet qu’un certain nombre d’électeurs du M5S (1 sur 5) n’ont pas souhaité faire état de leur vote dans les sondages de « sortie des urnes », cela signifie que des anciens électeurs tant de gauche que du centre droit ont basculé vers le mouvement de Bepe Grillo. Cette hypothèse est confortée par la remarquable stabilité entre prévisions et résultats réels pour le PDL, qui confirme le fait que Silvio Berlusconi est bien reconnu comme le chef de sa formation et que son discours est largement assumé par ses électeurs. Le vote pour le PDL n’a pas été un vote « honteux », bien au contraire, mais clairement assumé. La signification de ceci est qu’il faut chercher essentiellement à gauche (et secondairement au centre droit) le véritable réservoir des forces du M5S.

    Ceci conduit alors au troisième point : les électeurs italiens voulaient envoyer un message et ils ont utilisé à cette fin les moyens qui étaient à leur disposition. On peut gloser sur le système électoral italien, certes plus « byzantin » que romain ; on peut faire tous les commentaires possibles et imaginables sur la rhétorique tant de Berlusconi, couvert de scandales et rescapé du « bunga-bunga », que de Bepe Grillo. À défaut de partis plus présentables, les Italiens ont voté pour ceux qui leur paraissaient les moins nocifs, autrement dit les moins engagés dans la politique mortifère d’austérité et les moins soumis aux ordres de Bruxelles et aux diktats de Berlin. On est en présence d’une protestation structurée bien plus que d’un simple vote « protestataire ». Le fait que le M5S ait gagné certaines villes lors des dernières élections municipales aurait dû alerter les observateurs. On assiste en fait au début d’un processus d’enracinement du M5S.

    Les conséquences pour la coalition de gauche que représente le Parti Démocrate sont importantes. L’érosion de ce parti dans les derniers sondages, puis dans les résultats, est particulièrement importante. Crédité de 35% à moins d’un mois du vote, il se retrouve finalement avec 29,5%. Le problème réside dans la position intenable qu’il adopta : celle de défendre une « austérité à visage humain ». Les Italiens ont intuitivement compris que de visage humain, il n’y en aurait guère et que seule resterait l’austérité. Mais cela pose un redoutable problème aux forces dites « social-démocrates » en Europe du Sud. Leurs discours n’ont plus aucune crédibilité dans le cadre économique qui est celui de la zone Euro. Il faut soit adopter un discours traditionnel de droite, soit rompre avec les chimères d’une Europe fédérale ; il n’y a plus de demi-mesures possibles.

    Kirk Douglas SpartacusNous en arrivons alors au quatrième point. Ces élections ont été, on l’a dit, une cinglante défaite de la technocratie. À cet égard, on rappelle ce que l’on disait dans une note consacrée à la question de « l’ordre démocratique » mais aussi de la Dictature et de la Tyrannie : « L’ordre démocratique permet de penser les formes nouvelles de la tyrannie (les agences indépendantes), de leur donner un nom précis (le BCE, la « Troïka », la dévolution des principes de l’État à l’Union Européenne sans respect pour les règles de dévolution), mais aussi de montrer ce que pourraient être des cheminements différents qui n’aboutissent pas à des usurpations de souveraineté. L’ordre démocratique permet ainsi de réfuter les illusions d’une technicisation des choix politiques et de redonner toute son importance à la politique elle-même. Il nous permet de penser la Tyrannie et par conséquence la rébellion légitime. »

    C’est bien à une rébellion légitime que nous avons assisté lors de ces élections. Il convient d’en prendre conscience.

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    Les résultats des élections italiennes à peine connus, les commentaires allaient bon train. Le gouvernement français s’est empressé, lui aussi, de faire un communiqué pour minimiser l’importance de ces résultats. Il eût mieux valu qu’il s’affronte directement à la réalité, ne serait-ce que pour en tirer les leçons. Mais on préfère s’enfermer dans une attitude de déni, cette fois avec l’appui d’une partie de la presse française. Que n’avait-on chanté les louanges du dirigeant du Parti Démocrate, Luigi Bersani ou du technocrate tourné politicien Mario Monti. Il suffisait pourtant de sortir de la bulle parisienne, de regarder la presse italienne, britannique ou américaine pour avoir une petite idée de ce qui allait se passer. Mais il est dit qu’il n’y a pas de réalité en dehors de ce que certains cénacles veulent bien dire… Alors, regardons un peu ces élections, et leurs résultats, et cherchons à en extraire les points importants.

    Le premier point qui émerge de ces résultats est à l’évidence l’ampleur du désaveu des politiques inspirées par Bruxelles et Berlin, mais aussi, il faut s’en souvenir, par Paris. Les partis défendant ces politiques n’ont représenté que 40% des électeurs (le PD de gauche de Bersani 29,5% et l’alliance du centre-droit de Mario Monti 10,5%). Les partis refusant ces politiques, et refusant en réalité la logique de l’Euro, ont remporté plus de 54% des suffrages (le PDL de Silvio Berlusconi 29% et le M5S de Beppe Grillo 25,4%). On ne saurait imaginer plus cinglant démenti apporté à ceux qui présentaient le gouvernement Monti comme un « sauveur » de l’Italie. La multiplication d’impôts, souvent vécus comme injustes, les coupes sauvages dans le budget dont ont été victimes les hôpitaux, les écoles, mais aussi le système de retraite, les retards scandaleux de paiements de la part l’État, expliquent largement cette situation. La presse française peut gloser sur la « machine » Berlusconi, elle ne saurait éternellement cacher le fait que si un homme politique chassé sous les huées revient quasiment en triomphateur, c’est bien parce qu’il y a un rejet massif de la politique mise en place par ses successeurs. De plus, ce discours convenu ne saurait expliquer le succès du Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Beppe Grillo.

    Ceci conduit alors au deuxième point important : l’erreur manifeste des sondeurs et des estimations de « sortie des urnes ». Deux partis ont été les « victimes » de ces erreurs, le PD, crédité de plus de 33% et se situant finalement à 29,5% (environ 4 points d’écart) et l’alliance de centre droit de Mario Monti crédité par les estimations de 12% et n’en faisant en réalité que 10,5%. Le PDL de Silvio Berlusconi apparaît comme relativement stable. C’est donc le M5S qui a bénéficié de ces erreurs, étant crédité de 18% à 20% et faisant en réalité plus de 25% des suffrages. Il convient immédiatement de dire que ces élections étaient les premières élections générales auxquelles se présentait le M5S. La tache des sondeurs et des prévisionnistes était donc des plus difficiles. Mais, si l’on considère les chiffres, et si l’on admet qu’un certain nombre d’électeurs du M5S (1 sur 5) n’ont pas souhaité faire état de leur vote dans les sondages de « sortie des urnes », cela signifie que des anciens électeurs tant de gauche que du centre droit ont basculé vers le mouvement de Bepe Grillo. Cette hypothèse est confortée par la remarquable stabilité entre prévisions et résultats réels pour le PDL, qui confirme le fait que Silvio Berlusconi est bien reconnu comme le chef de sa formation et que son discours est largement assumé par ses électeurs. Le vote pour le PDL n’a pas été un vote « honteux », bien au contraire, mais clairement assumé. La signification de ceci est qu’il faut chercher essentiellement à gauche (et secondairement au centre droit) le véritable réservoir des forces du M5S.

    Ceci conduit alors au troisième point : les électeurs italiens voulaient envoyer un message et ils ont utilisé à cette fin les moyens qui étaient à leur disposition. On peut gloser sur le système électoral italien, certes plus « byzantin » que romain ; on peut faire tous les commentaires possibles et imaginables sur la rhétorique tant de Berlusconi, couvert de scandales et rescapé du « bunga-bunga », que de Bepe Grillo. À défaut de partis plus présentables, les Italiens ont voté pour ceux qui leur paraissaient les moins nocifs, autrement dit les moins engagés dans la politique mortifère d’austérité et les moins soumis aux ordres de Bruxelles et aux diktats de Berlin. On est en présence d’une protestation structurée bien plus que d’un simple vote « protestataire ». Le fait que le M5S ait gagné certaines villes lors des dernières élections municipales aurait dû alerter les observateurs. On assiste en fait au début d’un processus d’enracinement du M5S.

    Les conséquences pour la coalition de gauche que représente le Parti Démocrate sont importantes. L’érosion de ce parti dans les derniers sondages, puis dans les résultats, est particulièrement importante. Crédité de 35% à moins d’un mois du vote, il se retrouve finalement avec 29,5%. Le problème réside dans la position intenable qu’il adopta : celle de défendre une « austérité à visage humain ». Les Italiens ont intuitivement compris que de visage humain, il n’y en aurait guère et que seule resterait l’austérité. Mais cela pose un redoutable problème aux forces dites « social-démocrates » en Europe du Sud. Leurs discours n’ont plus aucune crédibilité dans le cadre économique qui est celui de la zone Euro. Il faut soit adopter un discours traditionnel de droite, soit rompre avec les chimères d’une Europe fédérale ; il n’y a plus de demi-mesures possibles.

    Kirk Douglas SpartacusNous en arrivons alors au quatrième point. Ces élections ont été, on l’a dit, une cinglante défaite de la technocratie. À cet égard, on rappelle ce que l’on disait dans une note consacrée à la question de « l’ordre démocratique » mais aussi de la Dictature et de la Tyrannie : « L’ordre démocratique permet de penser les formes nouvelles de la tyrannie (les agences indépendantes), de leur donner un nom précis (le BCE, la « Troïka », la dévolution des principes de l’État à l’Union Européenne sans respect pour les règles de dévolution), mais aussi de montrer ce que pourraient être des cheminements différents qui n’aboutissent pas à des usurpations de souveraineté. L’ordre démocratique permet ainsi de réfuter les illusions d’une technicisation des choix politiques et de redonner toute son importance à la politique elle-même. Il nous permet de penser la Tyrannie et par conséquence la rébellion légitime. »

    C’est bien à une rébellion légitime que nous avons assisté lors de ces élections. Il convient d’en prendre conscience.

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    Les résultats des élections italiennes à peine connus, les commentaires allaient bon train. Le gouvernement français s’est empressé, lui aussi, de faire un communiqué pour minimiser l’importance de ces résultats. Il eût mieux valu qu’il s’affronte directement à la réalité, ne serait-ce que pour en tirer les leçons. Mais on préfère s’enfermer dans une attitude de déni, cette fois avec l’appui d’une partie de la presse française. Que n’avait-on chanté les louanges du dirigeant du Parti Démocrate, Luigi Bersani ou du technocrate tourné politicien Mario Monti. Il suffisait pourtant de sortir de la bulle parisienne, de regarder la presse italienne, britannique ou américaine pour avoir une petite idée de ce qui allait se passer. Mais il est dit qu’il n’y a pas de réalité en dehors de ce que certains cénacles veulent bien dire… Alors, regardons un peu ces élections, et leurs résultats, et cherchons à en extraire les points importants.

    Le premier point qui émerge de ces résultats est à l’évidence l’ampleur du désaveu des politiques inspirées par Bruxelles et Berlin, mais aussi, il faut s’en souvenir, par Paris. Les partis défendant ces politiques n’ont représenté que 40% des électeurs (le PD de gauche de Bersani 29,5% et l’alliance du centre-droit de Mario Monti 10,5%). Les partis refusant ces politiques, et refusant en réalité la logique de l’Euro, ont remporté plus de 54% des suffrages (le PDL de Silvio Berlusconi 29% et le M5S de Beppe Grillo 25,4%). On ne saurait imaginer plus cinglant démenti apporté à ceux qui présentaient le gouvernement Monti comme un « sauveur » de l’Italie. La multiplication d’impôts, souvent vécus comme injustes, les coupes sauvages dans le budget dont ont été victimes les hôpitaux, les écoles, mais aussi le système de retraite, les retards scandaleux de paiements de la part l’État, expliquent largement cette situation. La presse française peut gloser sur la « machine » Berlusconi, elle ne saurait éternellement cacher le fait que si un homme politique chassé sous les huées revient quasiment en triomphateur, c’est bien parce qu’il y a un rejet massif de la politique mise en place par ses successeurs. De plus, ce discours convenu ne saurait expliquer le succès du Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Beppe Grillo.

    Ceci conduit alors au deuxième point important : l’erreur manifeste des sondeurs et des estimations de « sortie des urnes ». Deux partis ont été les « victimes » de ces erreurs, le PD, crédité de plus de 33% et se situant finalement à 29,5% (environ 4 points d’écart) et l’alliance de centre droit de Mario Monti crédité par les estimations de 12% et n’en faisant en réalité que 10,5%. Le PDL de Silvio Berlusconi apparaît comme relativement stable. C’est donc le M5S qui a bénéficié de ces erreurs, étant crédité de 18% à 20% et faisant en réalité plus de 25% des suffrages. Il convient immédiatement de dire que ces élections étaient les premières élections générales auxquelles se présentait le M5S. La tache des sondeurs et des prévisionnistes était donc des plus difficiles. Mais, si l’on considère les chiffres, et si l’on admet qu’un certain nombre d’électeurs du M5S (1 sur 5) n’ont pas souhaité faire état de leur vote dans les sondages de « sortie des urnes », cela signifie que des anciens électeurs tant de gauche que du centre droit ont basculé vers le mouvement de Bepe Grillo. Cette hypothèse est confortée par la remarquable stabilité entre prévisions et résultats réels pour le PDL, qui confirme le fait que Silvio Berlusconi est bien reconnu comme le chef de sa formation et que son discours est largement assumé par ses électeurs. Le vote pour le PDL n’a pas été un vote « honteux », bien au contraire, mais clairement assumé. La signification de ceci est qu’il faut chercher essentiellement à gauche (et secondairement au centre droit) le véritable réservoir des forces du M5S.

    Ceci conduit alors au troisième point : les électeurs italiens voulaient envoyer un message et ils ont utilisé à cette fin les moyens qui étaient à leur disposition. On peut gloser sur le système électoral italien, certes plus « byzantin » que romain ; on peut faire tous les commentaires possibles et imaginables sur la rhétorique tant de Berlusconi, couvert de scandales et rescapé du « bunga-bunga », que de Bepe Grillo. À défaut de partis plus présentables, les Italiens ont voté pour ceux qui leur paraissaient les moins nocifs, autrement dit les moins engagés dans la politique mortifère d’austérité et les moins soumis aux ordres de Bruxelles et aux diktats de Berlin. On est en présence d’une protestation structurée bien plus que d’un simple vote « protestataire ». Le fait que le M5S ait gagné certaines villes lors des dernières élections municipales aurait dû alerter les observateurs. On assiste en fait au début d’un processus d’enracinement du M5S.

    Les conséquences pour la coalition de gauche que représente le Parti Démocrate sont importantes. L’érosion de ce parti dans les derniers sondages, puis dans les résultats, est particulièrement importante. Crédité de 35% à moins d’un mois du vote, il se retrouve finalement avec 29,5%. Le problème réside dans la position intenable qu’il adopta : celle de défendre une « austérité à visage humain ». Les Italiens ont intuitivement compris que de visage humain, il n’y en aurait guère et que seule resterait l’austérité. Mais cela pose un redoutable problème aux forces dites « social-démocrates » en Europe du Sud. Leurs discours n’ont plus aucune crédibilité dans le cadre économique qui est celui de la zone Euro. Il faut soit adopter un discours traditionnel de droite, soit rompre avec les chimères d’une Europe fédérale ; il n’y a plus de demi-mesures possibles.

    Kirk Douglas SpartacusNous en arrivons alors au quatrième point. Ces élections ont été, on l’a dit, une cinglante défaite de la technocratie. À cet égard, on rappelle ce que l’on disait dans une note consacrée à la question de « l’ordre démocratique » mais aussi de la Dictature et de la Tyrannie : « L’ordre démocratique permet de penser les formes nouvelles de la tyrannie (les agences indépendantes), de leur donner un nom précis (le BCE, la « Troïka », la dévolution des principes de l’État à l’Union Européenne sans respect pour les règles de dévolution), mais aussi de montrer ce que pourraient être des cheminements différents qui n’aboutissent pas à des usurpations de souveraineté. L’ordre démocratique permet ainsi de réfuter les illusions d’une technicisation des choix politiques et de redonner toute son importance à la politique elle-même. Il nous permet de penser la Tyrannie et par conséquence la rébellion légitime. »

    C’est bien à une rébellion légitime que nous avons assisté lors de ces élections. Il convient d’en prendre conscience.

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    Les résultats des élections italiennes à peine connus, les commentaires allaient bon train. Le gouvernement français s’est empressé, lui aussi, de faire un communiqué pour minimiser l’importance de ces résultats. Il eût mieux valu qu’il s’affronte directement à la réalité, ne serait-ce que pour en tirer les leçons. Mais on préfère s’enfermer dans une attitude de déni, cette fois avec l’appui d’une partie de la presse française. Que n’avait-on chanté les louanges du dirigeant du Parti Démocrate, Luigi Bersani ou du technocrate tourné politicien Mario Monti. Il suffisait pourtant de sortir de la bulle parisienne, de regarder la presse italienne, britannique ou américaine pour avoir une petite idée de ce qui allait se passer. Mais il est dit qu’il n’y a pas de réalité en dehors de ce que certains cénacles veulent bien dire… Alors, regardons un peu ces élections, et leurs résultats, et cherchons à en extraire les points importants.

    Le premier point qui émerge de ces résultats est à l’évidence l’ampleur du désaveu des politiques inspirées par Bruxelles et Berlin, mais aussi, il faut s’en souvenir, par Paris. Les partis défendant ces politiques n’ont représenté que 40% des électeurs (le PD de gauche de Bersani 29,5% et l’alliance du centre-droit de Mario Monti 10,5%). Les partis refusant ces politiques, et refusant en réalité la logique de l’Euro, ont remporté plus de 54% des suffrages (le PDL de Silvio Berlusconi 29% et le M5S de Beppe Grillo 25,4%). On ne saurait imaginer plus cinglant démenti apporté à ceux qui présentaient le gouvernement Monti comme un « sauveur » de l’Italie. La multiplication d’impôts, souvent vécus comme injustes, les coupes sauvages dans le budget dont ont été victimes les hôpitaux, les écoles, mais aussi le système de retraite, les retards scandaleux de paiements de la part l’État, expliquent largement cette situation. La presse française peut gloser sur la « machine » Berlusconi, elle ne saurait éternellement cacher le fait que si un homme politique chassé sous les huées revient quasiment en triomphateur, c’est bien parce qu’il y a un rejet massif de la politique mise en place par ses successeurs. De plus, ce discours convenu ne saurait expliquer le succès du Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Beppe Grillo.

    Ceci conduit alors au deuxième point important : l’erreur manifeste des sondeurs et des estimations de « sortie des urnes ». Deux partis ont été les « victimes » de ces erreurs, le PD, crédité de plus de 33% et se situant finalement à 29,5% (environ 4 points d’écart) et l’alliance de centre droit de Mario Monti crédité par les estimations de 12% et n’en faisant en réalité que 10,5%. Le PDL de Silvio Berlusconi apparaît comme relativement stable. C’est donc le M5S qui a bénéficié de ces erreurs, étant crédité de 18% à 20% et faisant en réalité plus de 25% des suffrages. Il convient immédiatement de dire que ces élections étaient les premières élections générales auxquelles se présentait le M5S. La tache des sondeurs et des prévisionnistes était donc des plus difficiles. Mais, si l’on considère les chiffres, et si l’on admet qu’un certain nombre d’électeurs du M5S (1 sur 5) n’ont pas souhaité faire état de leur vote dans les sondages de « sortie des urnes », cela signifie que des anciens électeurs tant de gauche que du centre droit ont basculé vers le mouvement de Bepe Grillo. Cette hypothèse est confortée par la remarquable stabilité entre prévisions et résultats réels pour le PDL, qui confirme le fait que Silvio Berlusconi est bien reconnu comme le chef de sa formation et que son discours est largement assumé par ses électeurs. Le vote pour le PDL n’a pas été un vote « honteux », bien au contraire, mais clairement assumé. La signification de ceci est qu’il faut chercher essentiellement à gauche (et secondairement au centre droit) le véritable réservoir des forces du M5S.

    Ceci conduit alors au troisième point : les électeurs italiens voulaient envoyer un message et ils ont utilisé à cette fin les moyens qui étaient à leur disposition. On peut gloser sur le système électoral italien, certes plus « byzantin » que romain ; on peut faire tous les commentaires possibles et imaginables sur la rhétorique tant de Berlusconi, couvert de scandales et rescapé du « bunga-bunga », que de Bepe Grillo. À défaut de partis plus présentables, les Italiens ont voté pour ceux qui leur paraissaient les moins nocifs, autrement dit les moins engagés dans la politique mortifère d’austérité et les moins soumis aux ordres de Bruxelles et aux diktats de Berlin. On est en présence d’une protestation structurée bien plus que d’un simple vote « protestataire ». Le fait que le M5S ait gagné certaines villes lors des dernières élections municipales aurait dû alerter les observateurs. On assiste en fait au début d’un processus d’enracinement du M5S.

    Les conséquences pour la coalition de gauche que représente le Parti Démocrate sont importantes. L’érosion de ce parti dans les derniers sondages, puis dans les résultats, est particulièrement importante. Crédité de 35% à moins d’un mois du vote, il se retrouve finalement avec 29,5%. Le problème réside dans la position intenable qu’il adopta : celle de défendre une « austérité à visage humain ». Les Italiens ont intuitivement compris que de visage humain, il n’y en aurait guère et que seule resterait l’austérité. Mais cela pose un redoutable problème aux forces dites « social-démocrates » en Europe du Sud. Leurs discours n’ont plus aucune crédibilité dans le cadre économique qui est celui de la zone Euro. Il faut soit adopter un discours traditionnel de droite, soit rompre avec les chimères d’une Europe fédérale ; il n’y a plus de demi-mesures possibles.

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  • Penser la stratégie maritime...

    Les jeunes éditions Argos, dirigées par Olivier Zajec et spécialisées dans les questions de stratégie et de géopolitique, et auxquelles on doit déjà la publication du Bréviaire stratégique d'Hervé Coutau-Bégarie, sortent cette semaine Julian Corbett - Renouveler la stratégie maritime, une présentation par Joseph Henrotin d'un penseur de la puissance navale qui reste aujourd'hui essentiel...

     

    Julian Corbett.jpg

    " Pour la première fois en France, une biographie synthétique et accessible présente la figure mystérieuse et fascinante de Julian S. Corbett (1854-1922). Maître de la stratégie, il est le premier, et encore aujourd'hui le seul, à avoir transposé à la stratégie maritime les enseignements de Clausewitz. Dépassant la simple analyse de la guerre navale, il appréhende la stratégie maritime comme une véritable discipline intellectuelle, sous-tendue par une épistémologie et posant de véritables enjeux philosophiques sur la nature et les fins de la guerre. Publiés en 1911, les principes de stratégie maritime constituent l'un des livres les plus achevés de stratégie théorique du XXe siècle. En présentant pour la première fois en France la formation, le parcours, les théories, les accomplissements et la postérité critique et théorique de Corbett, Joseph Henrotin inaugure brillamment la nouvelle collection "Maîtres de la stratégie" d'Argos. A l'heure où le monde connaît une fois de plus des bouleversements immenses, Corbett nous fournit les éléments qui pourraient servir à l'élaboration d'une véritable stratégie maritime théorique."

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  • La régulation bancaire au pistolet à bouchon...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Lordon, cueilli sur son blog La pompe à phynance et consacré à la pseudo-réforme bancaire (mais véritable écran de fumée) mise au point par le gouvernement socialiste...

     

     

     

    pistolet à bouchon.jpg


    La régulation bancaire au pistolet à bouchon

    Ce sera sans doute la perle de la crise. Karine Berger, députée socialiste, rapporteure du projet de loi dit de « séparation » et de « régulation » des activités bancaires, reprenant la parole en commission des finances après les exposés de MM. Chifflet, Oudéa et Bonnafé, respectivement président de la Fédération bancaire française, président de la Société Générale et directeur-général de BNP-Paribas : « Vos trois exposés laissent paraître que vous n’êtes pas réellement gênés par ce projet de loi ; j’en suis à la fois étonnée et ravie » [1]…

     

    Qu’elle en fût uniquement étonnée n’aurait trahi qu’une charmante simplicité d’esprit. Qu’elle en soit au surplus ravie ne laisse plus le moindre doute quant au côté où elle se tient. Pour notre part, plus rien ne nous étonne dans les rapports du socialisme de gouvernement et de la finance — quant au ravissement, évidemment… « I am not dangerous », s’était empressé de préciser François Hollande à l’adresse de la City qu’il était venu rassurer après l’avoir nommée « l’ennemi sans visage », sans doute dans un moment d’égarement, caractéristique du contact avec la foule des meetings. Heureusement vite rattrapé. La députée Berger et le ministre de l’économie et des finances Moscovici, eux aussi, poursuivent le minotaure au pistolet à bouchon — inutile de rentrer les enfants, on ne prévoit pas de bain de sang.

     

    Ce sera donc du gâteau pour les historiens d’ici quelques décennies de se livrer à l’analyse comparée des réactions respectives à la crise financière des années trente et à celle de 2007, et l’on saura à quoi s’en tenir quant à la tenue des élites des deux époques, leur degré de compromission avec les forces de la finance et de servilité vis-à-vis des puissances d’argent. « La solution du rapport Liikanen est certes trop radicale… », déclare sur le ton de l’évidence Karine Berger, à propos d’une de ses dispositions (relative au traitement des opérations dites de « tenue de marché »). « Certes ». Fouetter les banquiers avec le plumeau du rapport de la Commission européenne, c’est en effet d’une insoutenable violence. Ne connaissant pas à Karine Berger de lien financier crasseux avec les institutions bancaires — à la manière de certains économistes en Cercle — nous savons donc maintenant qu’on peut être vendu(e) à la finance sans en toucher le moindre sou [2] ! Ce qui est peut-être pire encore… Un article de Benjamin Masse-Stamberger sur l’art et la manière du lobbying bancaire de vider un projet de régulation de toute substance [3], nous apprend (entre autres) que la vice-présidente (socialiste) de la commission des finances, Valérie Rabault, est l’ancienne responsable Risk Strategy des activités dérivés-actions de BNP-Paribas. « Loi de régulation bancaire », « commission des finances », « vice-présidente socialiste », « BNP-Paribas dérivés-actions » : inutile de jouer à « cherchez l’intrus » dans cette liste, dans le monde où nous sommes, il n’y en a plus. Bien sûr, dans un geste altier et pour ne pas donner prise à l’accusation de « conflit d’intérêt », Valérie Rabault, vice-présidente (socialiste) de la commission dérivés-actions de l’Assemblée nationale, a décliné d’être rapporteure du texte de loi. Il faut bien admettre que le cran juste au-dessus aurait consisté à faire rédiger le texte directement par Michel Pébereau, et ça aurait fini par se voir.

     

    Mais au fond de quoi s’agit-il ? Trois fois rien : la race des seigneurs de la finance globalisée a perdu aux alentours de 2 000 milliards de dollars dans l’une des crises les plus retentissantes de l’histoire du capitalisme ; les banques françaises, pas feignantes, ont tenu à figurer dignement et à prendre toute leur part du bouillon. Car, pour toutes ses fanfaronnades, le système bancaire français aurait purement et simplement disparu sans les concours massifs de la Banque centrale européenne (BCE) et les aides d’Etat apportées par véhicules ad hoc interposés [4]. Sans doute les montants mobilisés en France sont-ils moindres qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni — il a fallu tout de même que ces véhicules lèvent 97 milliards d’euros [5] pour nos chères banques. Les banquiers se croient dégagés de tout arriéré au motif qu’ils ont remboursé les aides d’Etat. On leur rappellera donc d’abord que les contribuables français et belges plongent — pour l’heure — de 12 milliards pour le compte de Dexia. On leur rappellera surtout que le remboursement en question ne les exonère de rien du tout, et notamment pas de l’effondrement de croissance qu’ils ont laissé derrière eux, où nous sommes encore pour un moment, avec les dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires qui vont avec.

     

    Il était question d’historiens à l’instant, gageons qu’un de leurs motifs d’ébahissement tiendra à l’extravagante indulgence dont le groupe social de la finance aura pu jouir relativement à l’ampleur de son pouvoir de destruction avéré. Car cinq ans après le désastre : rien ! — et la « loi de séparation et de régulation bancaire » est à peine mieux que rien. L’idée de départ était pourtant simple : les marchés sont intrinsèquement instables, les activités de marché sont donc intrinsèquement déstabilisantes. Pas seulement pour elles-mêmes mais pour l’économie tout entière quand l’accident franchit des seuils critiques. Par conséquent, de deux choses l’une : ou bien l’on en prend son parti et l’on s’habitue par avance à devoir régulièrement repasser par des épisodes semblables, avec récession et mobilisation du corps social tout entier pour sauver la finance ; ou bien on choisit d’y mettre un terme, c’est-à-dire de cantonner la nuisance au cordon sanitaire. Dans un mélange de candeur et de parfaite sûreté de soi, Frédéric Oudéa, le patron de la Société générale, en effet « pas gêné » (au sens de Karine Berger), a cependant fini par lâcher le morceau en avouant que la loi de « séparation » n’allait le séparer que de 1,5 % du total de ses activités…

     

    Pour avoir, donc, quelque chose qui ne soit pas rien, il aurait fallu au texte de loi, en dépit de toutes ses dénégations, ne pas se laisser complètement intoxiquer par les jérémiades de l’industrie financière qui jure que chacune de ses opérations, même des plus scabreuses, est une « contribution au financement de l’économie ». Mais les esprits socialistes ont été dévastés par l’idée que le financement par le marché est d’une incontestable modernité — « et donc » toutes les activités connexes qui vont avec : couverture, fourniture de liquidité, financement du shadow banking system etc. Reste 1,5 %.

    Tout au marché

    « Quand certaines entreprises comme Vinci, ont besoin, pour financer des projets à dix ou quinze ans, de plusieurs centaines de millions d’euros, elles se tournent non pas vers des banques commerciales mais vers des banques d’affaire, qui pratiquent là des activités de marché non pas spéculatives mais utiles à l’économie concrète », proteste Karine Berger pour rejeter un amendement qui demandait plus que la simple filialisation des activités de marché. Mais rien n’établit que le coût total du financement obligataire soit beaucoup plus compétitif que celui d’un crédit bancaire classique. En revanche, on sait avec quelle brutalité une entreprise en difficulté peut se voir refuser tout accès aux marchés — ironie du sort, elle n’a plus alors qu’à trouver une banque secourable qui acceptera de lui sauver la mise avec du bon vieux crédit à la papa. Les banquiers français glapissent que, empêchés de conduire ces opérations de marché, ils perdraient clients, chiffre d’affaire et profit. S’agissant de leur chiffre d’affaire, de leur place dans la hiérarchie mondiale des plus grandes banques, et de leur profit, la collectivité doit d’emblée affirmer clairement qu’elle s’en fout ! Le corps social n’a aucun intérêt à jouer au jeu infantile de la plus grosse qui passionne les capitalistes (plus encore les financiers), il aurait même l’intérêt exactement contraire. Il s’en aperçoit désagréablement au moment de ramasser les morceaux en prenant conscience qu’un secteur bancaire qui pèse (en actif total) jusqu’à quatre fois le produit intérieur brut (PIB), comme c’est le cas en France, lui laisse entrevoir l’ampleur possible de la facture — et que la « grosse » lui laisse le fondement un peu douloureux.

    Que les banques ne soient pas trop grandes, mais ternes et sans attrait, qu’elles fassent des profits modestes qui ne leur donnent pas le délire des grandeurs et n’engraissent pas les actionnaires (ou les traders), c’est exactement l’objectif à poursuivre. Quant à leurs grands clients, ces derniers comprendront assez vite que, supposé un coût supérieur du crédit bancaire (par rapport au financement de marché), celui-ci paiera bien la continuité d’une relation partenariale qui ne les abandonnera pas au premier tournant — là où les marchés les éjecteraient à la moindre difficulté sérieuse. Il y a donc peu de chance pour que Vinci ne confie plus ses destinées qu’à Goldman Sachs.

    Mais la manie des marchés qui habite les socialistes français va maintenant jusqu’à souhaiter d’y plonger les petites et moyennes entreprises (PME). On sait assez que les relations de ces dernières avec les banques ne sont pas une allée semée de pétales de rose… Mais l’idée de les rendre modernes en les envoyant se faire voir au marché est une trouvaille où l’ineptie le dispute à l’entêtement idéologique. Car de deux choses l’une : ou bien seule la crème des PME y aura accès et alors, par construction, la chose demeurera marginale ; ou bien l’on y envoie gaiement le gros de la troupe, soit des milliers d’entreprises, et l’on se demande bien comment les analystes financiers ou les agences de notation pourront avoir quelque suivi sérieux d’un nombre aussi élevé de débiteurs, là où les réseaux d’agences bancaires, au contraire, ont une connaissance locale et fine de leurs clients — attendons-nous donc aux ratings à la louche façon subprime.

    « Les activités de marché comme le cochon (tout est bon) »

    Bien sûr l’élite bancaire ne se reconnaît pas entièrement dans la métaphore charcutière, mais c’est quand même un peu l’idée. Ou plutôt le sophisme : si la forme supérieure du financement de l’économie est à trouver dans le marché, alors tout ce qui contribue à la belle activité du marché est peu ou prou désirable. Sous une forme un peu plus sophistiquée, l’argument se décline le plus souvent sous la thèse increvable de la liquidité : pour que des agents de l’économie réelle émettent avec succès des titres sur les marchés, il faut qu’ils trouvent preneurs, et pour que les preneurs acceptent de souscrire, il faut qu’ils soient certains de ne pas rester « collés » et de pouvoir sortir à tout instant du marché. Il importe alors que le segment de marché considéré connaisse une activité permanente suffisante pour que chaque vendeur soit assuré de trouver acheteur (et réciproquement). La liquidité, voilà donc la justification ultime de la spéculation qui en finirait presque par se présenter comme un service public : foin des appâts du profit — du tout, du tout — les spéculateurs, certes en première instance, étrangers à l’économie réelle, n’en sont pas moins ses fidèles desservants puisqu’ils s’offrent à être contreparties pour tous les autres agents qui ont besoin d’entrer ou sortir du marché, assurant finalement qu’il tourne bien rond, donc permettant qu’il finance efficacement… les agents de l’économie réelle, quod est demonstrandum.

    Dire « spéculateur » est par conséquent inutilement blessant : préférer « teneur de marché ». Certes la « tenue de marché » révèle de fortes accointances avec la recette du pâté d’alouette car — étonnamment — on observe en général dix fois plus d’opérations spéculatives que d’opérations à finalité « réelle » — pour sûr le marché est bien tenu… La plus charitable des interprétations conclurait que le « service public de la liquidité » est fâcheusement entropique — et en fait, pur prétexte à la pollution spéculative. La liquidité serait aussi bien assurée avec… neuf fois moins d’opérations de « teneur de marché », et encore par beau temps seulement. Car, en cas de coup de tabac, les « teneurs », pas fous, font comme tout le monde : ils fuient le marché à tire-d’aile, laissant la liquidité s’effondrer, au moment où on en aurait le plus besoin.

    Ce sont pourtant ces opérations de teneur de marché que la loi de « séparation » tient beaucoup à ne pas séparer — à l’inverse de la Commission européenne (rapport Liikanen), qui cède visiblement à tous les vents mauvais du populisme. Evidemment n’importe quelle opération spéculative pour compte propre peut, sur simple demande, être requalifiée de « tenue de marché » — c’est bien pratique. En résumé, tout et n’importe quoi sur les marchés est tenue de marché : toute offre puisqu’elle permet à un acheteur d’acheter, et toute demande puisqu’elle permet à un vendeur de vendre… Il suffisait d’y penser ! Puisque n’importe quoi contribue à tenir le marché et que le marché est ce-qu’il-nous-faut-pour-financer-l’économie, il faudrait être idiot, inconscient ou de mauvaise foi pour séparer quoi que ce soit — puisque tout sert. La commission des finances française s’est rendue sans hésitation à cet argument de simple bon sens — moyennant quoi, en effet, 1,5 % et Oudéa pas gêné.

    Ne pas rompre avec nos amis les « hedge funds »

    C’est une direction tout à fait semblable, et en fait identiquement argumentée, que prend le texte de loi en matière de relation des banques avec les hedge funds. Fléaux avérés, les hedge funds, dont c’est constitutivement le principe que de prendre des positions risquées et très leviérisées, devraient être isolés dans l’équivalent financier de léproseries, et en tous cas interdits de toute relation avec le système bancaire — après tout, que les héros du marché se débrouillent pour trouver leur financement sur les marchés. Mais, se dit le ministre Moscovici, les hedge funds sont des éléments de ce shadow banking system, dont nous savons qu’il détient maintenant quelque 20 % du total des actifs financiers — interprétés, toujours par le même contresens, comme « 20 % des contributions au financement de l’économie » —, c’est donc très important — parce que très utile à l’économie. La conclusion s’ensuit comme déroulé de papier à musique : il ne faut surtout pas empêcher les banques de financer les hedge funds qui financent l’économie. Bravo ministre ! Une objection élémentaire lui signalerait pourtant que les banques pourraient financer directement l’économie au lieu de passer par la case hedge funds… qui en fait Dieu sait quoi. L’objection pourrait d’ailleurs être généralisée à tout le shadow banking system, ce trou noir agglomérant les entités financières les plus obscures et les moins régulées, et qui a pris cette importance uniquement parce que le crédit bancaire s’est laissé évincer au nom de la modernité. Que les banques universelles cessent de financer par crédit ce système de l’ombre, et ce serait simultanément le meilleur moyen d’en piloter l’attrition relative, et pour elles-mêmes de se protéger de la vérole que ce système ne cesse de répandre — rappelons que la catastrophe Bear Stearns commence avec la fermeture de ses deux hedges funds les plus « sophistiqués », que BNP-Paribas avait dû fermer inopinément trois des siens à l’été 2007, et que la grosse catastrophe tourne vraiment au vilain avec la fermeture des money market funds à l’automne 2008. Personne ne pourra soutenir qu’un financement sain des entreprises et des ménages ne pourrait être pris en charge par le simple crédit bancaire et ne pourrait être assuré que par ces entités.

    Mais non ! Les banques universelles pourront continuer de prêter aux hedge funds et d’exposer à leur risque les dépôts du public. « Nous avons pris toutes les précautions », se défendent les promoteurs du texte, voyez seulement l’alinéa 10 de l’article premier : les banques ne pourront avoir d’exposition non sécurisée vis-à-vis des fonds à effet de levier. Et puisque ne seront autorisées que les transactions « sécurisées », n’est-ce pas que la sécurité règnera ? Mais en quoi ces sécurisations consistent-elles au juste ? En cette pratique extrêmement commune de la finance spéculative dite de la « collatéralisation » : une entité emprunte auprès d’une autre en déposant en gage un actif d’une valeur équivalente à celle du prêt contracté. Or rien n’est sûr dans cette affaire ! On notera pour commencer que toutes les opérations de prêt à des hedge funds sont déjà collatéralisées (« sécurisées » au sens Moscovici-Berger) — c’est simplement l’actuelle pratique ordinaire en cette matière ! Et l’on comprendra alors que le texte de loi ne produit rigoureusement aucun changement, donc aucune restriction sous ce rapport.

    Les illusions collatérales

    Mais surtout les actifs apportés en collatéral peuvent voir leur valeur s’effondrer, précisément à l’occasion d’une crise — les collatéraux sont supposément des papiers de « très bonne qualité », mais l’épisode de 2007-2008 a suffisamment montré que le réputé triple-A parfois ne valait pas tripette... Le débiteur est alors prié de compenser par de nouveaux apports, mais en une conjoncture de crise où très probablement ses positions sont en train de se détériorer à grande vitesse, et où sa liquidité se trouve mise sous haute tension. En d’autres termes, le fonds débiteur doit se procurer un supplément d’actif collatéralisant, et pour ce faire, d’abord de la liquidité, au moment précis où celle-ci lui manque le plus — parfois au point de voir tous ses accès aux financements de marché brutalement interrompus. Comme on sait, ce sont ces tensions ingérables sur la liquidité qui ont électrocuté tout le système financier par les circuits de la collatéralisation (et des appels de marge) en 2007-2008.

    Du côté des créanciers qui reçoivent ces collatéraux, les choses ne sont pas plus sûres. Compte non tenu des problèmes soulevés à l’instant, les opérations de collatéralisation ne rempliraient vraiment leur office de back-up que si les collatéraux étaient rigoureusement conservés dans des comptes sanctuarisés. Mais qui peut croire qu’une banque pourrait ainsi mettre soigneusement de côté, en s’abstenant d’y toucher, les actifs qu’elle reçoit en collatéralisation de ses crédits ? Lorsque ceux-ci sont de bonne qualité (ou supposés tels), ils constituent une ressource financière qu’aucune banque ne consent à laisser oisive. Aussi la banque va-t-elle se défaire sans tarder du collatéral qui normalement la couvre, soit pour à son tour collatéraliser une de ses propres opérations quand elle se trouve du côté débiteur, soit pour retourner au cash en le vendant dans le marché. Il est désormais toute une partie des marchés monétaires, dite « Repo » (pour Repurchasing), qui procure de la liquidité à court terme contre collatéraux — et où ceux-ci circulent hardiment. Et lorsque vient le coup de grisou, i. e. le défaut d’un débiteur, par exemple d’un hedge fund, où est le collatéral ? Parti depuis belle lurette pour servir à prendre d’autres positions, dont certaines seront très probablement devenues perdantes en temps de crise — évidemment, tout comme la liquidité, la collatéralisation fait partie de ces « sûretés » qui fonctionnent très bien… quand elles n’ont à protéger de rien.

    Comme souvent en matière de finance, le diable est dans les détails, ou plutôt dans d’obscurs recoins techniques, à l’image, par exemple, de la question des exigences de marges dans les transactions sur dérivés — dont on jugera a contrario du caractère stratégique à la manière dont les velléités du Dodd-Frank Act en cette matière ont été soigneusement annihilées par le lobbying bancaire des Etats-Unis. La « gestion des collatéraux » en fait tout autant partie. C’est en effet par ce genre de canaux que se propagent les spasmes de la finance. Au lieu de se gargariser avec l’illusion des « transactions sécurisées », le législateur socialiste s’il avait deux sous de volonté régulatrice, réformerait drastiquement les dispositions relatives au traitement des collatéraux — ou plutôt en instituerait, puisque en ce domaine, les opérateurs financiers font exactement ce qu’ils veulent. On mesurera d’ailleurs l’inanité du socialisme de gouvernement à ce fait qu’il réussit même à être en retard sur l’autorégulation de la finance ! Car les banques elles-mêmes, pour le coup conscientes de ce qui a failli les tuer, commencent à se préoccuper sérieusement de modifier leurs pratiques en matière de collateral management [6] — jusqu’au point d’envisager de réserver les collatéraux pour leur faire jouer pleinement leur rôle de sécurité.

    Malheureusement, l’autorégulation bancaire est affligée d’une lamentable inconstance. Sous le coup d’une peur bleue, les banquiers jurent qu’ils ont retenu la leçon et qu’on ne les y prendra plus… L’expérience montre pourtant que leurs bonnes résolutions s’évanouissent avec le temps qui les éloigne du traumatisme, pour être complètement oubliées quand revient l’euphorie de la bulle d’après. Ce que le législateur socialiste n’a visiblement pas bien compris, c’est la force de la loi, ou du règlement, seuls à même de tenir des autorégulés dont la « constance » est entièrement gouvernée par leurs affects du moment. Parmi toutes les œuvres utiles que ce texte de loi aurait pu accomplir, il y avait donc l’institution d’une stricte obligation de mise sous séquestre des actifs reçus en collatéral — et déjà l’on aurait entendu Frédéric Oudéa commencer à couiner. Proposition tout à fait générale et qui n’excluait en fait nullement d’interdire purement et simplement toute transaction des banques avec les hedge funds et le shadow banking system — après tout, on verra bien comment ces jolis messieurs se débrouillent privés de crédit bancaire.

    Quelle séparation ?

    Non seulement la matière séparée, à force d’exemptions et de validation des pratiques ordinaires, est-elle tendanciellement inexistante (1,5 %), mais la forme même de la séparation a tout du concubinage prolongé. De ce point de vue, la « Volcker Rule », les rapports Vickers et Liikanen, ainsi que le projet Moscovici ont au moins en commun le même entêtement dans le contresens, et la même illusion de la « capitalisation séparée », alias : on range les activités « à problème » dans une filiale soumise à des ratios de capital (Tier-1) « plus exigeants », et nous voila parés contre tout inconvénient.

    C’est n’avoir toujours pas compris que les ratios de solvabilité sont parfaitement secondaires dans ces processus de crise financière qui n’explosent que par le retournement brutal des jugements sur une classe d’actifs et la constriction foudroyante qui s’ensuit de la liquidité du segment de marché correspondant, puis de tous les segments latéraux, atteints de proche en proche par les effets de report de la ruée vers le cash [7]. On rappellera donc pour la énième fois que Bear Stearns et Lehman Brothers se sont effondrés avec des Tier-1 très au-dessus des minima réglementaires les plus exigeants. Après cinq années laissées à la méditation soigneuse des mécanismes et des conséquences de la crise financière, on est un peu consternés que les apprentis régulateurs n’aient toujours pas saisi que les plus belles capitalisations séparées ne protègeront jamais une banque de marché du désastre.

    En réalité, la seule mesure faisant quelque peu sens en cette matière est celle proposée par Goodhart et Persaud de rendre les ratios de solvabilité contracycliques [8] : plutôt que d’être fixées une fois pour toutes, les exigences de fonds propres croîtraient proportionnellement aux prix de marché d’une certaine classe d’actif suspecte d’être en proie à une bulle, et des encours de crédit qui s’y déversent. Encore faut-il ne pas se méprendre sur l’effet véritable de cette mesure, qui a moins, comme on le répète à satiété, pour propriété principale d’épaissir le « coussin de capital permettant d’absorber les pertes », que de resserrer progressivement la capacité des banques à accorder des crédits dans le segment de marché considéré, donc de ralentir le développement de la bulle. En d’autres termes, les ratios de capital contracycliques ne participent pas tant, comme on le croit le plus souvent, d’une politique prudentielle que d’une politique monétaire (mais poursuivie par d’autres moyens), puisqu’il s’agit moins de renforcer la base de capital des banques que de réguler leur offre de crédit.

    Misère de la filialisation

    Les contresens de principe n’excluant pas ceux d’exécution, le recours à la filialisation, par opposition au bank split en bonne et due forme, vient porter la complaisance régulatrice à son comble. Karine Berger s’exclame en commission des finances qu’en cas de pépin, la filialisation laisserait intacte à coup sûr la maison-mère — dépositaire des encaisses monétaires de la clientèle des particuliers. Car le texte de loi stipule que la filiale de marché doit être traitée par sa holding comme une entité extérieure, en conséquence de quoi lui sera appliquée la directive « grands risques » qui interdit à une banque de concentrer plus de 10 % de ses fonds propres dans des engagements risqués sur une seule entité. La banque holding ne pourrait donc se livrer à un éventuel renflouement de sa filiale au-delà de cette limite, en foi de quoi Karine Berger croit pouvoir conclure qu’« à [son] sens c’est la garantie d’une étanchéité absolue en cas de faillite d’une filiale vis-à-vis de la maison-mère » [9]. Il est cependant possible que « son sens » ne soit pas celui auquel il faille se confier aveuglément, et pour de nombreuses raisons.

    En premier lieu, l’« étanchéité absolue » est tout de même autorisée à laisser passer 10 % des fonds propres… En second lieu, le règlement n°93-05 de la Banque de France, relatif au contrôle des « grands risques » [10], indique que le volume de risques sur une seule entité s’entend comme « risques nets pondérés », ce qui signifie que le volume brut de crédit de secours apporté par la holding à la filiale pourrait aller bien au-delà du seuil des 10 % de fonds propres. C’est bien ce volume brut qui importe en situation de crise, où comptent avant tout les ressources mobilisables pour faire face à une crise majeure de liquidité. On peut donc gager que la holding fournirait tout ce qu’elle peut à sa filiale pour la sauver, jusqu’au point où ses engagements bruts sur cette dernière excèderaient significativement 10 % de ses fonds propres — 10 % tout ronds, pour BNP-Paribas, ça fait tout de même déjà 7,5 milliards d’euros, une paille si la filiale venait en bout de course à faire défaut pour de bon. Mais comme toujours dans cette affaire, le danger n’est pas tant de manger les fonds propres que de se trouver face à des besoins urgents de liquidité impossibles à satisfaire. Or, précisément, en situation de crise, la liquidité est LE problème, et pour tout le monde. Qui peut imaginer que le spectacle d’une holding contrainte d’apporter dans la précipitation des concours à sa filiale, donc qui exprimerait des besoins de liquidité massifs, laisserait les opérateurs de marché indifférents, et qu’en serait-il alors de la possibilité effective pour cette holding de les financer ?

    C’est en général à ce moment que la question de la solvabilité, objectivement secondaire, n’en fait pas moins retour, mais sous la forme vicieuse d’un accélérateur de panique. Car, pour tous leurs défauts de pertinence, les ratios de solvabilité n’en sont pas moins scrutés par les opérateurs des marchés de gros du crédit [11], où ils sont interprétés comme un signal sur la qualité des débiteurs… même pour la fourniture de liquidités de court terme [12]. C’est tout le charme de la finance de marchés que la croyance y fait loi : il suffit donc que le jugement des opérateurs se cristallise sur un indicateur quelconque pour que celui-ci acquière une importance, et un pouvoir d’entraîner des effets, qu’il ne possède nullement par lui-même. Si les opérateurs se mettent — et c’est le cas en situation de crise ! — à considérer que les débiteurs doivent être jugés d’après leurs ratios Tier-1 et que seuls les meilleurs auront accès à la liquidité, malheur à celui qui vacillera en cette matière : ses sources de financement se fermeront les unes après les autres, jusqu’à l’apoplexie finale… semblant donner raison à la « théorie » qui se sera en effet révélée « vraie »… mais pas du tout pour les raisons qu’elle croit. En tout cas voilà aussi ce qui pendra au nez de la holding encombrée d’une filiale de marché en train de prendre l’eau : car la holding devra consolider les pertes de cette dernière… et voir ses propres ratios de solvabilité prendre sérieusement de la gîte. Avec menace subséquente sur sa propre capacité à maintenir la continuité de ses financements… au moment où ils devraient être le mieux garantis pour venir au secours de la filiale en perdition.

    Pour une loi d'apartheid bancaire

    A part ça, Karine Berger voit dans la (fausse) séparation par filialisation « une garantie d’étanchéité avec la maison-mère ». « A [son] sens ». Mais tout est faux, « au sens » de n’importe quel autre regard tant soit peu décidé à tirer les conséquences de ce qui s’est passé, dans les invraisemblables préventions dont ce texte de loi fait preuve à l’égard de ce qu’on présenterait sans exagération comme le plus grand pouvoir de destruction sociale — mais celui-ci est en costume trois pièces, en vertu de quoi il passe rigoureusement inaperçu… en tous cas aux yeux de ses semblables. Pour qui pourtant veut bien se donner la peine de simplement s’y pencher, l’histoire économique, et sur tous les continents ou presque, regorge d’épisodes attestant la nocivité des marchés de capitaux libéralisés. La moindre des réponses à la crise présente, sans doute l’une des plus graves de toute l’histoire du capitalisme, ne pourrait viser en dessous de la ségrégation complète des activités de marché, dont il faut redire, et là encore attestation historique en main, qu’elles ne rendent aucun service important, ou presque, que le simple crédit bancaire ne saurait rendre («  et la Bourse des actions ! », s’écrient alors éperdus les amis de la finance de marché, même sous le fordisme il y en avait une — c’est qu’il n’était pas allé assez loin et ne s’était pas aperçu qu’on peut carrément s’en passer [13]).

    Par une indulgence en fait coupable, on pourrait tolérer qu’il demeure des activités de marché. Mais sous l’interdiction formelle faite aux banques de dépôt d’avoir le moindre contact avec ceux qui s’y livrent. Comme on pouvait s’y attendre, la première protestation apeurée (bien à tort) des banquiers français est allée au rappel de ce que le modèle de banque n’était pour rien dans cette affaire, qu’on avait vu de pures banques de marché, comme Bear et Lehman, aller au tapis, et que les banques universelles « à la française » s’était très honorablement comportées. Sauf vaine discussion sur les points d’honneur de la profession bancaire, et le « comportement » réel des banques françaises à l’épreuve de la crise, on appréciera davantage le culot de ces messieurs. Qui sont touchants de candeur de nous enseigner que, oui, être assis sur le tas des dépôts aide bien à amortir les gamelles ! On en est donc arrivé au point où il faut leur rappeler que l’argent du public n’a pas exactement pour vocation de les aider à tenir plus confortablement le choc de leurs pertes spéculatives — on mesurera d’ailleurs l’arrogance innocente de la finance qui, pour se défendre, ne voit même plus le mal à consentir l’aveu qu’elle compte exposer les dépôts aux risques de ses turpitudes spéculatives, et qu’elle est même bien contente de les avoir sous la main !

    Même le banking split complet [14], en lieu et place de la filialisation et des conceptions passablement Titanic que Karine Berger se fait de « l’étanchéité », ne suffirait pas à apporter une réponse satisfaisante. Il faut couper absolument toute connexion entre les institutions de dépôts et les banques de marché, non seulement, évidemment, tout lien capitalistique du type holding-filiale, mais tout lien de crédit ou de contrepartie avec n’importe quel acteur spéculatif, puisque c’est aussi par ce genre de canaux que les dépôts finissent par se trouver exposés. Ceci signifie qu’une banque commerciale ne pourra en aucun cas être impliquée dans une relation de crédit avec une banque de marché — en tous cas du côté créancier. Laquelle clause suppose alors d’instituer deux marchés interbancaires séparés. Voilà ce qui suit de prendre au sérieux l’idée de séparation bancaire : séparation dans tous les domaines ! Séparation des institutions bancaires elles-mêmes ; séparation de leurs conditions réglementaires (ratios de capital, leviérisation, etc.) ; séparation des marchés interbancaires ; et comme on l’avait proposé il y a quelque temps déjà [15], séparation des taux d’intérêts de la banque centrale pour les refinancements respectifs des banques commerciales et des banques de marché [16].

    Si le socialisme de gouvernement n’était pas complètement colonisé de l’intérieur par la finance, s’il lui restait quelques audaces et s’il avait pris un tant soit peu la mesure des désastres que la finance de marché a infligés au corps social, ça n’est pas cette indigente loi de « séparation » qu’il lui imposerait. Mais une loi d’apartheid.

    Frédéric Lordon (La pompe à phynance, 18 février 2013)

     

    Notes :

    [1] Compte-rendu n°60, commission des finances, séance du mercredi 30 janvier 2013, p. 7.

    [2] Un internaute, Veig, fait remarquer à raison que si Karine Berger ne touche plus, elle a touché, et même considérablement puisqu’elle était économiste chez Euler-Hermès, société d’assurance-crédit

    [3] Benjamin Masse-Stamberger, « Réforme bancaire : des lobbys très investis », L’Expansion, 5 décembre 2012.

    [4] La SFEF (Société de financement de l’économie française) pour les crédits de secours et la SPPE (Société de prise de participation de l’Etat) pour les apports en (quasi) fonds propres.

    [5] Dont 77 milliards au titre des prêts de la SFEF et 20 milliards au titre des prises de participation de la SPPE.

    [6] Voir Anuj Gangahar, « Default protection : collateral management grows in strength », Financial Times, 19 septembre 2011.

    [7] Voir « L’effarante passivité de la “re-régulation financière” », in Les Economistes Atterrés, Changer d’économie, Les Liens qui Libèrent, 2012.

    [8] Charles Goodhart, Avinash Persaud, « How to avoid the next crash », Financial Times, 30 janvier 2008.

    [9] Compte-rendu n°63, commission des Finances, séance du mercredi 30 janvier 2013, p. 10.

    [10] Périodiquement sujet à révision, la dernière datant du 23 novembre 2011.

    [11] Pour éviter toute confusion, il est utile de préciser que, en dépit de leur appellation, les « marchés de gros du crédit » ne produisent pas stricto sensu du crédit, opération de création monétaire dont seules les institutions bancaires sont capables, mais offrent des financements obligataires.

    [12] Tandis que la solvabilité est typiquement un indicateur de robustesse financière de long terme.

    [13] Pour une exposition détaillée de cette proposition, voir « Et si on fermait la Bourse », Le Monde Diplomatique, février 2010.

    [14] C’est-à-dire l’extraction de toutes les activités de marché, placées dans une nouvelle entité n’ayant aucun lien capitalistique avec la banque d’où elles ont été sorties.

    [15] « Quatre principes et neuf propositions pour en finir avec les crises financières », 23 avril 2008.

    [16] L’idée étant de pouvoir tuer une bulle au début de sa formation en portant les refinancements des banques de marché à des taux d’intérêt meurtriers sans nuire par ailleurs au prix du crédit à l’économie réelle.

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