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  • La mafia à la Maison-Blanche...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Jean-François Gayraud à la revue Conflits à l'occasion de la sortie de son livre La mafia et la Maison blanche (Plon, 2023).

    Commissaire général, Jean-François Gayraud est déjà l'auteur de plusieurs études marquantes comme Showbiz, people et corruption (Odile Jacob, 2009), La Grande Fraude. Crimes, subprimes et crises financières (Odile Jacob, 2011), Le nouveau capitalisme criminel (Odile Jacob, 2014), L'art de la guerre financière (Odile Jacob, 2016) et Théorie des Hybrides - Terrorisme et crime organisé (CNRS, 2017).

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    La mafia et la Maison-Blanche

    De la mafia aux États-Unis, la culture populaire retient quelques grands films, les luttes contre Al Capone et l’assassinat de Kennedy. Mais l’imprégnation mafieuse va bien au-delà, notamment par les nombreuses ramifications que la mafia a tissées autour de la Maison-Blanche. Si la mafia renseigne et fait élire, elle attend aussi des aides en retour. Jean-François Gayraud a mené dix ans d’enquête pour comprendre les liens entre le pouvoir criminel et le pouvoir politique, et la façon dont celui-ci imprègne les États-Unis.

     

    Votre ouvrage s’attache à rendre moins opaques les relations d’intérêts qui ont lié la mafia italo-américaine et le gouvernement américain. Mais comment organisation criminelle et corps politique en viennent-ils à coopérer et pourquoi ?

    Deux réponses s’imposent. D’abord, d’une manière générale, et c’est une loi criminologique, une organisation criminelle mature et stratège sait que pour durer, elle doit neutraliser le pouvoir politique, en le transformant en allié ou en complice. Elle le fait par la corruption ou l’intimidation, et plus rarement, comme ultima ratio, par la violence directe. Elle tente ainsi de se doter d’un capital d’impunité, et parfois également d’accéder à des rentes économiques, par exemple par des attributions de marchés publics.

    Si l’on revient au cas nord-américain, il faut comprendre que la Mafia italo-américaine, qui émerge aux États-Unis dès le XIXe siècle, se transforme profondément, dans l’entre-deux-guerres mondiales. Ce processus s’explique par trois causes. L’une relève de l’économie criminelle, avec une absurde loi puritaine instaurant la Prohibition de l’alcool (1919/1933), qui enrichit subitement la Mafia de manière gigantesque. Ensuite, plusieurs mafieux très intelligents, Charles Lucky Luciano ou encore Salvatore Maranzano, imposent une transformation managériale : la Mafia se réorganise à partir d’un ethos capitalistique en grande entreprise, tout en conservant son essence de société secrète ; autrement dit, elle s’américanise dans ses structures et son mode de fonctionnement, sans perdre complètement ses racines du Mezzogiorno.

    Enfin, la Mafia bénéficie d’un effet d’aubaine, avec l’arrivée de plusieurs centaines de mafieux siciliens aguerris fuyant la répression du Préfet fasciste Cesare Mori. L’effet conjugué de ces trois causes permet à la Mafia à la fin des années 1920 de parler d’égal à égal avec les politiques, au niveau national. Elle le peut d’autant plus, qu’outre les outils conférés par l’argent et l’intimidation, elle dispose aussi dans son dialogue avec les politiques d’une capacité de mobilisation de voix dans la communauté italo-américaine, ce dans une logique clientéliste.

    Vous définissez la mafia italo-américaine comme plus proche d’une société secrète que d’une organisation criminelle, pourquoi ?

    La caractérisation de la Mafia Italo-américaine peut se faire de quatre façons. Du point de vue de ses objectifs, il s’agit d’une organisation criminelle, donc d’un acteur économique recherchant le profit, mais agissant illégalement. Si on s’interroge sur sa nature, la Mafia appartient à une sociologie spécifique, celle des sociétés secrètes. Toutes les sociétés secrètes ne sont pas des organisations criminelles (ainsi la franc-maçonnerie), et toutes les organisations criminelles ne sont pas des sociétés secrètes. Pour le dire autrement, la majorité des organisations criminelles sont des bandes ou des gangs fonctionnant dans une discrétion relative, là où la Mafia italo-américaine s’inscrit dans un ethos de silence et d’invisibilité.

    D’un point de vue organisationnel, la Mafia Italo-américaine est une confédération de Familles criminelles, régulées sur le plan stratégique par une Commission qui regroupe les principaux chefs ; une Famille étant constituée non sur une base biologique (père, fils, etc.) mais par un processus d’initiation. Enfin, si on réfléchit en termes de science politique, donc de pouvoir, on est en présence d’une puissance, dans la définition qu’en donnait Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations.

    Quand on pense aux origines de la mafia, on l’associe souvent à l’image de New York et aux ghettos de Little Italy. Existe-t-il d’autres villes qui ont constitué un épicentre mafieux aux États-Unis ?

    L’implantation géographique de la Mafia aux États-Unis s’explique par l’histoire de l’immigration. Entre 1890 et 1920, environ quatre millions d’Italiens, venant principalement du Mezzogiorno, migrent vers le Nouveau Monde pour fuir la pauvreté. Ces Italiens emmènent leur anthropologie, celle du sud de l’Italie qui avait déjà favorisé l’apparition de la Camorra et de Cosa nostra, et vont vivre au sein de ghettos, donc repliés sur eux-mêmes, dans un pays dont les mœurs et la langue leur sont étrangers. La Mafia va ainsi aisément se reconstituer dans ces enclaves : La Nouvelle-Orléans (Louisiane), le Nord-Est (New York, Boston, Philadelphie, Scranton, Pittston, etc.) et la région des Grands Lacs (Chicago, Pittsburgh, etc.). Cependant, c’est à New York que les migrants d’origine italienne sont les plus nombreux : 1 million, soit 15 % de la population de la ville. Et c’est ainsi que la première Famille de la Mafia est identifiée à La Nouvelle-Orléans, dès la seconde moitié du XIXe siècle.

    Quel lien entre Roosevelt et la mafia avez-vous établi grâce à vos recherches ?

    La Mafia n’a pas de préférence politique et elle mise donc sur tous les candidats, Démocrate ou Républicain, ayant des chances d’abord d’obtenir l’investiture de leur parti, puis de gagner l’élection présidentielle.

    Or, à la fin des années 1920, du fait de la grande crise de 1929, les Républicains au pouvoir à la Maison-Blanche avec le président Herbert Hoover n’ont aucune chance de remporter le scrutin de 1932. Les Familles de la Mafia se concentrent donc sur les investitures au sein du parti Démocrate et misent sur les deux candidats ayant une chance de l’emporter, Al Smith et Roosevelt, en leur promettant à chacun de faire voter en leur faveur, à une époque où la Mafia avait corrompu des dizaines de conseils municipaux de très grandes villes, telles Chicago ou Kansas City. Et lorsque le scrutin se dessine en faveur de Roosevelt, la Mafia fait voter pour lui. Ce dernier remporte l’investiture et la Mafia, à tort ou à raison, pense que le candidat Roosevelt a contracté une dette à son égard.

    Au-delà de cet épisode, il y a celui, complexe, de la sécurisation des grands ports de la côte Est durant la Seconde Guerre mondiale. Les services de renseignements de la Navy obtiennent l’aide de la Mafia afin d’empêcher toute opération d’espionnage et de sabotage venant des services italiens et allemands. Ce pacte fut efficace, avec la question de savoir si ce pacte était connu ou non de Roosevelt, et s’il l’a avalisé.

    Dans la même perspective, Truman aussi tiendrait son élection de la mafia ?

    Truman débute sa carrière politique dans le Missouri, à Kansas City, dans l’entre-deux-guerres, au sein de la Machine Démocrate dominée par la famille Pendergast. Or cette « Machine Pendergast » est corrompue et fonctionne en symbiose avec la puissante Famille locale de la Mafia. La ville et l’État fonctionnent sous cette double domination. Kansas City est alors une des villes les plus violentes et corrompues du pays.

    Le jeune politicien Truman fait ses premières armes politiques, en toute connaissance de cause, dans cet univers vicié, et il doit son ascension à des acteurs politiques totalement corrompus par le crime organisé, ce jusqu’au poste de sénateur des États-Unis. L’étape cruciale se déroule plus tard en 1944 quand Roosevelt se présente pour son quatrième mandat. Truman est choisi comme vice-président et comme Roosevelt est très malade, il est certain que Truman sera rapidement Président. Or le processus de désignation de Truman sur le ticket présidentiel fait la part belle au syndicaliste Sidney Hillman qui était manifestement aux ordres de la Mafia. La présidence Truman va d’ailleurs se révéler très complaisante avec la Mafia.

    Votre ouvrage consacre une partie importante à l’assassinat de Kennedy, pourquoi ?

    Cet assassinat demeurera une énigme entourée de mystère. Pour autant, j’ai souhaité montrer de manière aussi complète que possible que la thèse d’un attentat pensé et exécuté par la Mafia est désormais étayée par des faits, des témoignages et des indices très probants, mais souvent ignorés ou sous-estimés. L’historiographie américaine a pourtant beaucoup progressé sur le sujet, sans que ce savoir ait toujours traversé l’Atlantique.

    Au-delà de son influence politique, de quoi vit la mafia ?

    Elle vit de marchés criminels : jeu clandestin, racket, trafic de stupéfiants, délits boursiers et financiers, etc., en fait de toute la gamme des crimes possibles, car elle est polycriminelle, donc sans spécialité. Elle va de manière pragmatique là où des profits peuvent être générés. Elle est aussi très présente sur des marchés légaux, car nombre de mafieux, par des processus de blanchiment d’argent et par un souci de respectabilité et de couverture sociale, sont des chefs d’entreprise, par exemple dans le domaine des déchets, des travaux publics, de la restauration ou des night clubs. Par ailleurs, nombre de mafieux tirent leur puissance sociale et financière du contrôle de sections locales de syndicats de salariés, ceux par exemple des dockers ou des camionneurs.

    On pourrait donc penser que le gouvernement américain n’a jamais réussi à s’extirper de l’emprise de la « main noire » ?

    La « Main noire » était plus une marque qu’une organisation, pratiquant le racket sur les immigrés italiens, dans les Little Italy, lors des premières décennies des migrations aux États-Unis.

    Cela dit, il est vrai que la Mafia représente une réussite exceptionnelle par sa longévité et son enracinement dans la société américaine. Combien d’institutions privées ont-elles plus d’un siècle d’existence ?

    La survivance de la Mafia s’explique par deux phénomènes. D’abord, la lutte anti Mafia a toujours été erratique, et à certaines périodes, inexistantes. Surtout, sa sociologie de société secrète explique les difficultés à l’éradiquer. C’est une mauvaise herbe dont les racines repoussent vite. La répression permet de tondre la pelouse, pas de la déraciner. C’est pourquoi, face à ce type d’acteur criminel, les débuts de partie sont cruciaux : si vous n’empêchez pas leur implantation, ces organisations s’enracinent définitivement. C’est là encore une leçon criminologique majeure que nous devrions retenir à l’heure où le continent européen entame une criminalisation accélérée. Mais c’est là un autre sujet…

    Quel a été l’impact de la position de Trump sur la mafia ?

    Donald Trump, à la suite de son père, a bâti son empire en travaillant avec la Mafia à New York et dans le New Jersey. Il a en toute connaissance de cause été un promoteur immobilier et un propriétaire de casinos acceptant les règles du jeu de la Mafia. Par ailleurs, Trump a toujours adopté les codes et les mœurs de ces gangsters en qui il voit moins des criminels que des entrepreneurs un peu brutaux, pratiquant un capitalisme débridé. Y a-t-il eu des contreparties à cette collusion lors de son premier mandat ? Rien n’a filtré à ce jour.

    Quelle place occupe la mafia aujourd’hui dans la société américaine ?

    Longtemps, la Mafia a été perçue comme une réalité étrangère et extérieure à la société américaine, ce dans une perspective un peu xénophobe. Une alien conspiracy comme disaient certains. Il faut reconnaitre que ce n’est plus le cas, en grande partie grâce au cinéma et à la télévision qui ont acclimaté la Mafia à la culture populaire américaine pour en faire un élément du folklore national. Il faut par ailleurs combattre l’idée selon laquelle la Mafia serait un vestige du passé.

    Il y a en effet eu deux mythes persistants sur la Mafia qui fonctionnent en miroirs. D’abord, on nous a expliqué durant un siècle qu’elle n’existait pas. Puis, depuis que les preuves de son existence sont devenues indiscutables, on nous a voulu nous faire croire qu’elle était moribonde. Que la Mafia Italo-américaine connaisse un déclin relatif depuis les années 1980 est un fait ; mais vouloir l’enterrer est un non-sens. Son pouvoir criminel demeure important, et son influence politique aussi, comme je le montre avec les situations étranges des Présidents Nixon, Reagan, Clinton, Obama, Trump et Biden. Ils se sont tous compromis, selon des modalités différentes. Ceci acquit, nous ne connaitrons l’état exact de l’influence politique actuelle de la Mafia que, a posteriori, dans quelques années. La Mafia est une société secrète, elle ne se dévoile donc que tardivement, et toujours partiellement.

    Jean-François Gayraud, propos recueillis par Louis Juan (Conflits , 20 janvier 2024)

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  • La mafia et la Maison Blanche...

    Les éditions Plon viennent de publier une enquête de Jean-François Gayraud intitulée La mafia et la Maison Blanche.

    Commissaire général, Jean-François Gayraud est déjà l'auteur de plusieurs études marquantes comme Showbiz, people et corruption (Odile Jacob, 2009), La Grande Fraude. Crimes, subprimes et crises financières (Odile Jacob, 2011), Le nouveau capitalisme criminel (Odile Jacob, 2014), L'art de la guerre financière (Odile Jacob, 2016) et Théorie des Hybrides - Terrorisme et crime organisé (CNRS, 2017).

     

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    " La Mafia à la Maison Blanche ? Impensable et explosif.
    C'est bien le secret que Jean-François Gayraud, grand spécialiste du crime organisé, révèle dans ce livre très documenté et absolument inédit.
    La Mafia rend service, renseigne, fait élire, mais ce n'est pas gratuit : tout se paye en retour. La Mafia n'oublie jamais, ne pardonne jamais. De nombreux présidents américains lui " doivent " quelque chose. Mais à quel prix ?
    Dix ans de recherches ont été nécessaires à l'auteur pour mettre à nu les liaisons dangereuses de Roosevelt, Truman, Kennedy, Johnson, Nixon, Reagan, Clinton, Obama et Trump avec la Mafia, jusqu'au fils de Joe Biden, et proposer une lecture singulière des circonstances de l'assassinat de JFK.
    De très nombreuses sources lèvent le voile sur un des aspects les plus sombres de la première puissance mondiale.
    Sans céder au complotisme, Jean-François Gayraud propose une contre-histoire du pouvoir aux États-Unis et une réflexion sur la corruption dans les démocraties. "

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  • “Mafias”, “déconstruction” : mots et concepts massacrés par les médias d’information...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer cueilli sur le site de l'Observatoire du journalisme et consacré à la confusion entretenue par les médias "d'information" autour de certains mots et concepts.

     

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    “Mafias”, “déconstruction” : mots et concepts massacrés par les médias d’information

    Tordre en tous sens les mots et concepts c’est, à terme, l’assurance que nul ne s’entendra sur rien. Or, quoiqu’à l’origine in-former signifie donner une forme, des médias “d’information” massacrent allègrement, par sensationnalisme ou ignorance, des termes importants — certes, en criminologie ; mais aussi, en philosophie et pour les sciences humaines au sens large. À titre d’alerte, voici deux de ces termes utilisés à tort et à travers, générant de ce fait de pénibles confusions : “mafia” et “déconstruction”. Pour “mafia”, la critique sera factuelle, donc brève ; mais “déconstruction” nécessitera d’avancer un peu dans le conceptuel.

    Médias d’information et “mafia”

    Mafia, ce mot, au sens criminologique précis, désigne une redoutable “aristocratie” criminelle apparue dans moins de dix pays au monde ; or des médias mettent, par ivresse spectaculaire, le mot “mafia” à toutes les sauces : “la mafia des ordures”, lit-on ainsi récemment. Bien sûr, ce cafouillis sémantique provoque confusions et erreurs de diagnostic. Que dirait-on d’un médecin nommant “cancer” un “panaris” ou l’inverse ? Le mésusage du mot mafia est tout aussi dangereux ; en premier lieu, pour les populations subissant ce gravissime fardeau criminel.

    Qu’est-ce alors qu’une vraie mafia ? Une entité séculaire accessible par initiation, fondée sur le triptyque intimidation-omerta-soumission. En février 2012, la Revue d’Histoire des Religions définit justement Cosa nostra de Sicile : “Société secrète dépourvue de statuts et de listes d’appartenance, disciplinée par des règles transmises oralement. Au sein de Cosa nostra, seule la ‘parole d’honneur’ engage à vie”. Et quelle pérennité ! Le 2e repenti de l’histoire de Cosa nostra se présente ainsi au juge Giovanni Falcone : “Je suis Salvatore Contorno, Homme d’Honneur de la 7e génération, de la famille de Santa Maria di Gesù” (Palerme). Hors de rares mafias, qui a jamais vu des criminels de père en fils, en ligne directe sur deux siècles ?

    Enfin, les vraies mafias sont quasi-indéracinables : Cosa nostra traversa vingt ans de fascisme ; les grandes Triades chinoises, soixante-dix ans de communisme, dont dix d’une “Révolution culturelle” aux dizaines de millions de victimes ; toutes ont survécu. Le reste, y compris la fictive “mafia russe”, ne sont que bandes n’ayant jamais dépassé la première génération.

    Libération et la “déconstruction”

    En mode victimaire, Libé s’afflige en décembre passé que la “déconstruction” devienne “la nouvelle cible des conservateurs” : “Nouvelle obsession de la droite pour disqualifier les combats progressistes… Marotte idéologique… Nouvelle obsession pour polémistes de la réaction”… Mais comment osent-ils offusquer ainsi la “pensée deridienne” [de Jacques Derrida], qui nous permet, à nous la gauche, de “penser au-delà des structures binaires” ?

    Nul besoin d’être “de droite”, “conservateur” ou “réactionnaire” ; simplement, d’avoir une modeste culture philosophique, pour vouloir rectifier ces larmoyantes sottises. Remarquons d’abord que jadis, Libé disposait de chroniqueurs de philosophie compétents ; mais, à mesure où les titres de ses articles sombrent dans ce qu’on nommait jadis “plaisanteries de garçon de bains” [1], le contenu s’affaiblit de même.

    Voici donc ce qu’est le concept de déconstruction — inscrit dans un ouvrage illustre, trois ans avant que naisse M. Derrida. Depuis les “présocratiques”, Anaximandre, Héraclite, Parménide, etc., que parvient-il au philosophe du début du XXe siècle de l’expérience originelle de la pensée grecque ? “Un passé simplement conservé auquel on se cramponne sans que rien de fécond n’en jaillisse jamais”. Pour l’émergeant courant phénoménologique, tradition philosophique égale sclérose. L’originel “est recouvert par un passé devenu impropre” et ce conservatisme “fabrique la règle et l’idéal seulement à partir de ce qui est advenu” (le passé).

    Sortir de l’impasse par le questionnement

    - Que faire pour “reconduire les concepts à leur origine spécifique… Libérer les positions métaphysiques fondamentales de ce qui empêche d’accéder jusqu’à elles” ?

    - Comment accéder à la perspective “au sein de laquelle non seulement la chose apparaît mais avec elle, le principe à la lumière duquel elle apparaît” ?

    - Comment remettre en question toutes les définitions traditionnelles ; ce bien sûr pas par ‘conservatisme’, mais par souci d’atteindre la source, libérant ainsi de nouveaux possibles ?

    - Comment “tirer la philosophie de son aliénation et la ramener à elle-même” ?

    - Comment opérer ce retour en amont vers l’inaugural… Partir en quête de l’originel ?

    Quête des origines authentiques de la pensée

    La méthode permettant de sortir de l’impasse résulte du déracinement subi par le jeune Martin Heidegger arrivant (en 1923) à l’université de Marbourg. Issu d’une famille très catholique (son père est bedeau…), il subit un double choc : lire les écrits de Martin Luther, fréquenter des théologiens protestants. Ce que Luther a fait pour le christianisme (retour aux sources, à l’origine) ; lui, Martin Heidegger, le fera pour la philosophie. Son outil : la “destruction phénoménologique”. (Sein und Zeit, Être et temps, 1927, ci-après SuZ) § 22 “Il est besoin de secouer la tradition sclérosée et d’en détacher les revêtements ; cette tâche nous la comprenons comme destruktion [2]. Auparavant, Heidegger nous avertit (SuZ §6) “Destruktion ne signifie pas anéantissement, mais déblaiement et mise à l’écart des énoncés purement historisants sur l’histoire de la philosophie”.

    Cette “désobstruction” permet de dépasser le sens et la familiarité diffuse que nous avons d’une chose, de remettre en question les définitions traditionnelles. Bref : de s’extraire d’une impasse pour aller à l’origine ; ce qui ensuite, permet l’accès à l’essence, au décisif.

    Plus tard — bien plus tard pour J. Derrida, né en 1930 — des disciples ou imitateurs de Heidegger, Hans Jonas, Hannah Arendt, Hans-Georg Gadamer, reprennent le concept de “déconstruction”. Sous l’influence de néo-marxistes de l’École de Francfort (Max Horkheimer, Theodor Adorno), notamment de leur “Dialectique de la raison” (1947), le concept positif de “déconstruction” devient pour J. Derrida une sorte de “boule de démolition” philosophique-militante, vouée à répandre la stratégie du soupçon, à disqualifier, à condamner — d’abord Platon, “père du totalitarisme”. Toute l’immense histoire du concept de “déconstruction”, avant son épisode derridien, le polémiste-Libé l’a omise. Peut-être n’en savait-il rien, après tout.

    Xavier Raufer (Observatoire du journalisme, 14 janvier 2022)

    Notes :

    [1] Définition : ces plaisanteries sont ” à l’esprit léger, ce que les gaz du Pétomane sont à la parfumerie. Un truc qui peut faire rire un instant et qu’on tentera d’oublier honteusement dans la seconde qui suit”.
    [2] Terme d’usage traduit en français par “déconstruction”, mais qui serait mieux rendu par “désobstruction”.

     

     

     

    Tordre en tous sens les mots et concepts c’est, à terme, l’assurance que nul ne s’entendra sur rien. Or, quoiqu’à l’origine in-former signifie donner une forme, des médias “d’information” massacrent allègrement, par sensationnalisme ou ignorance, des termes importants — certes, en criminologie ; mais aussi, en philosophie et pour les sciences humaines au sens large. À titre d’alerte, voici deux de ces termes utilisés à tort et à travers, générant de ce fait de pénibles confusions : “mafia” et “déconstruction”. Pour “mafia”, la critique sera factuelle, donc brève ; mais “déconstruction” nécessitera d’avancer un peu dans le conceptuel.

    Médias d’information et “mafia”

    Mafia, ce mot, au sens criminologique précis, désigne une redoutable “aristocratie” criminelle apparue dans moins de dix pays au monde ; or des médias mettent, par ivresse spectaculaire, le mot “mafia” à toutes les sauces : “la mafia des ordures”, lit-on ainsi récemment. Bien sûr, ce cafouillis sémantique provoque confusions et erreurs de diagnostic. Que dirait-on d’un médecin nommant “cancer” un “panaris” ou l’inverse ? Le mésusage du mot mafia est tout aussi dangereux ; en premier lieu, pour les populations subissant ce gravissime fardeau criminel.

    Qu’est-ce alors qu’une vraie mafia ? Une entité séculaire accessible par initiation, fondée sur le triptyque intimidation-omerta-soumission. En février 2012, la Revue d’Histoire des Religions définit justement Cosa nostra de Sicile : “Société secrète dépourvue de statuts et de listes d’appartenance, disciplinée par des règles transmises oralement. Au sein de Cosa nostra, seule la ‘parole d’honneur’ engage à vie”. Et quelle pérennité ! Le 2e repenti de l’histoire de Cosa nostra se présente ainsi au juge Giovanni Falcone : “Je suis Salvatore Contorno, Homme d’Honneur de la 7e génération, de la famille de Santa Maria di Gesù” (Palerme). Hors de rares mafias, qui a jamais vu des criminels de père en fils, en ligne directe sur deux siècles ?

    Enfin, les vraies mafias sont quasi-indéracinables : Cosa nostra traversa vingt ans de fascisme ; les grandes Triades chinoises, soixante-dix ans de communisme, dont dix d’une “Révolution culturelle” aux dizaines de millions de victimes ; toutes ont survécu. Le reste, y compris la fictive “mafia russe”, ne sont que bandes n’ayant jamais dépassé la première génération.

    Libération et la “déconstruction”

    En mode victimaire, Libé s’afflige en décembre passé que la “déconstruction” devienne “la nouvelle cible des conservateurs” : “Nouvelle obsession de la droite pour disqualifier les combats progressistes… Marotte idéologique… Nouvelle obsession pour polémistes de la réaction”… Mais comment osent-ils offusquer ainsi la “pensée deridienne” [de Jacques Derrida], qui nous permet, à nous la gauche, de “penser au-delà des structures binaires” ?

    Nul besoin d’être “de droite”, “conservateur” ou “réactionnaire” ; simplement, d’avoir une modeste culture philosophique, pour vouloir rectifier ces larmoyantes sottises. Remarquons d’abord que jadis, Libé disposait de chroniqueurs de philosophie compétents ; mais, à mesure où les titres de ses articles sombrent dans ce qu’on nommait jadis “plaisanteries de garçon de bains[1], le contenu s’affaiblit de même.

    Voici donc ce qu’est le concept de déconstruction — inscrit dans un ouvrage illustre, trois ans avant que naisse M. Derrida. Depuis les “présocratiques”, Anaximandre, Héraclite, Parménide, etc., que parvient-il au philosophe du début du XXe siècle de l’expérience originelle de la pensée grecque ? “Un passé simplement conservé auquel on se cramponne sans que rien de fécond n’en jaillisse jamais”. Pour l’émergeant courant phénoménologique, tradition philosophique égale sclérose. L’originel “est recouvert par un passé devenu impropre” et ce conservatisme “fabrique la règle et l’idéal seulement à partir de ce qui est advenu” (le passé).

    Sortir de l’impasse par le questionnement

    - Que faire pour “reconduire les concepts à leur origine spécifique… Libérer les positions métaphysiques fondamentales de ce qui empêche d’accéder jusqu’à elles” ?

    - Comment accéder à la perspective “au sein de laquelle non seulement la chose apparaît mais avec elle, le principe à la lumière duquel elle apparaît” ?

    - Comment remettre en question toutes les définitions traditionnelles ; ce bien sûr pas par ‘conservatisme’, mais par souci d’atteindre la source, libérant ainsi de nouveaux possibles ?

    - Comment “tirer la philosophie de son aliénation et la ramener à elle-même” ?

    - Comment opérer ce retour en amont vers l’inaugural… Partir en quête de l’originel ?

    Quête des origines authentiques de la pensée

    La méthode permettant de sortir de l’impasse résulte du déracinement subi par le jeune Martin Heidegger arrivant (en 1923) à l’université de Marbourg. Issu d’une famille très catholique (son père est bedeau…), il subit un double choc : lire les écrits de Martin Luther, fréquenter des théologiens protestants. Ce que Luther a fait pour le christianisme (retour aux sources, à l’origine) ; lui, Martin Heidegger, le fera pour la philosophie. Son outil : la “destruction phénoménologique”. (Sein und Zeit, Être et temps, 1927, ci-après SuZ) § 22 “Il est besoin de secouer la tradition sclérosée et d’en détacher les revêtements ; cette tâche nous la comprenons comme destruktion [2]. Auparavant, Heidegger nous avertit (SuZ §6) “Destruktion ne signifie pas anéantissement, mais déblaiement et mise à l’écart des énoncés purement historisants sur l’histoire de la philosophie”.

    Cette “désobstruction” permet de dépasser le sens et la familiarité diffuse que nous avons d’une chose, de remettre en question les définitions traditionnelles. Bref : de s’extraire d’une impasse pour aller à l’origine ; ce qui ensuite, permet l’accès à l’essence, au décisif.

    Plus tard — bien plus tard pour J. Derrida, né en 1930 — des disciples ou imitateurs de Heidegger, Hans Jonas, Hannah Arendt, Hans-Georg Gadamer, reprennent le concept de “déconstruction”. Sous l’influence de néo-marxistes de l’École de Francfort (Max Horkheimer, Theodor Adorno), notamment de leur “Dialectique de la raison” (1947), le concept positif de “déconstruction” devient pour J. Derrida une sorte de “boule de démolition” philosophique-militante, vouée à répandre la stratégie du soupçon, à disqualifier, à condamner — d’abord Platon, “père du totalitarisme”. Toute l’immense histoire du concept de “déconstruction”, avant son épisode derridien, le polémiste-Libé l’a omise. Peut-être n’en savait-il rien, après tout.

    Xavier Raufer, criminologue

    Notes

    [1] Définition : ces plaisanteries sont ” à l’esprit léger, ce que les gaz du Pétomane sont à la parfumerie. Un truc qui peut faire rire un instant et qu’on tentera d’oublier honteusement dans la seconde qui suit”.
    [2] Terme d’usage traduit en français par “déconstruction”, mais qui serait mieux rendu par “désobstruction”.

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  • 2001-2021 : 20 ans après. Quel bilan pour la criminalité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Xavier Raufer à la revue Conflits dans lequel il évoque l'évolution de la criminalité en France au cours des 20 dernières années.

    Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a publié ces dernières années Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et, tout récemment, Le crime mondialisé (Cerf, 2019).

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    2001-2021 : 20 ans après. Quel bilan pour la criminalité ?

    Quels contours a pris la criminalité en France depuis les vingt dernières années ?  

    Il n’existe pas UNE criminalité, mais plusieurs : l’une dite « de voie publique » – la plus inquiétante pour la population – plus d’autres spécifiques, affectant le monde financier, l’environnement, l’univers numérique, etc.

    Pour les infractions de voie publique : effrac­tions, agressions, braquages, vols multiples, pillage par bandes, etc., le phénomène ma­jeur est que désormais des étrangers venus du monde entier et des immigrés (ou des­cendants directs) en forment l’écrasante majorité. Les récents rapports du SIRASCO (Po­lice judiciaire – Service d’information, de renseigne­ment et d’analyse stratégique sur le crime organisé) présentent en détail (origine, infrac­tions, implantations …) toutes les enti­tés criminelles actives en France. Or dans ce texte de 250 pages, les seuls bandits français émergeant d’une marée d’étran­gers ou descen­dants, sont des Corses de Marseille, évoqués en un maigre para­graphe. Diagnostic confirmé par le rapport annuel du rensei­gnement criminel-gendar­merie.

    Enfin, l’Office des stupéfiants a sa liste des caïds de la drogue en France. Sur les dix principaux : neuf Maghrébins et un Caribéen. Pour le dire autrement, si dispa­raissait soudain cette criminalité allogène, le personnel policier voué à réprimer le crime serait sans dommage rem­placé par quelques gardes champêtres…

    A-t-elle significativement augmenté ?

    Comme la population française augmente en général, sa part criminelle aussi ; avec, dans ses rangs, l’indéniable « grand remplacement » des bandits, signalé par le ministère de l’Intérieur lui-même : le « milieu » parisien, nordiste, lyonnais, stéphanois, etc. a presque disparu au profit des étrangers ci-dessus évoqués, recrutés et retranchés dans ces zones hors contrôle, ou « territoires perdus de la République », que nos ministres successifs pré­ten­dent inexistants en dépit du réalisme le plus élémen­taire.

    Cela dit, la crimi­nalité finan­cière, les atteintes à l’environnement, le cyber-crime, ont pour nuisibles des individus bien moins « issus de la diversité » que le crime de voie publique.

    On lie souvent criminalité et trafics. Qu’en est-il sur la période 2001-2021 ?

    Mais le crime organisé ne fait que trafiquer ! Les criminels sont d’abord des prédateurs opportunistes. Par un simple calcul coût/bénéfice (ce que je gagne, ce que je risque), ils arbitrent entre les stupéfiants, les êtres humains, les armes, la contrebande-contrefaçon, etc. se­lon leur flair, leur implantation, leurs compétences et complicités. C’est différent pour les mafias – les vraies. Leurs règles et codes rigides doivent être respectés sous peine de mort. Cosa nostra par exemple (la mafia de Sicile), proscrit le proxénétisme à ses affiliés. En revanche, ce n’est pas le cas pour la Camorra (Campanie, Naples) ou la Ndrangheta (Calabre).

    Depuis les émeutes dans les banlieues en 2005, la droite française fantasme sur « l’ex­plosion des banlieues ». Or cette génération de 2005 a maintenant 15 ans de plus, et on ne constate pas cette explosion. Comment analysez-vous cette peur sur les deux der­nières décennies ? 

    Après 1962, la France a occulté le souvenir de pénibles guerres coloniales – menées sans grand appétit. Les Français sont passés à autre chose. Dans la conscience collec­tive, res­tait cependant le souvenir d’une entité hostile organisée : la wilaya-France du FLN algé­rien, ses attentats en métropole, ses homicides communautaires, etc. Quand les émeutes vio­lentes de fin octobre 2005 ont soudain éclaté, des médias pressés et un public inquiet ont « prolongé les courbes ». Or ces émeutes de 2005 étaient aux anti­podes des péripéties FLN-MNA de 1955-1960. Elles émanaient de bandes juvéniles agis­sant cha­cune dans leur coin ; rivales, voire ennemies des gangs voisins, pour des points de deal de drogue, des rixes passées, des haines de caïds, etc. Fantasmer que ces bandes forme­raient une sorte de néo-FLN assaillant la métropole était inepte : rien de tel n’est advenu.

    Comment a évolué le phénomène mafieux en France depuis 20 ans ? Est-il toujours important ou est-il dépassé par d’autres mafias d’origine étrangère ?

    Comme susmentionné, en France, et de la base au sommet, la délinquance ou la crimi­nalité de voie publique sont massivement le fait d’étrangers, d’immigrés ou de leurs descendants. Votre question interroge plutôt sur l’usage du mot « mafia » par des médias d’information. Alors que ce mot, au sens criminologique précis, désigne une « aristocratie » criminelle très redoutable apparue dans moins de dix pays au monde, ces médias mettent, par sensationnalisme, le mot « mafia » à toutes les sauces. « La mafia des ordures », lisait-on ainsi récemment.

    Un tel cafouillis séman­tique pro­voque confusions et erreurs de diagnostic. Que di­rait-on d’un méde­cin nom­mant cancer un panaris, ou l’inverse ? Or de même, le mé­susage du mot mafia est lourd de conséquences négatives ; d’abord pour les po­pulations portant ce gravissime poids criminel.

    Qu’est-ce qu’une vraie mafia, alors ? Une entité séculaire où l’on entre par initiation, fondée sur le triptyque intimidation-omerta-soumission. En février 2012, la Revue d’His­toire des Religions définit parfaitement Cosa nostra de Sicile : « Société secrète dépour­vue de statuts et de listes d’appartenance, disciplinée par des règles transmises orale­ment. Au sein de Cosa nostra, seule la parole donnée, la “parole d’honneur” engage à vie ». Et quelle pérennité ! Le deuxième repenti de l’histoire de Cosa nostra se présente ainsi au juge Fal­cone : « Je suis Salvatore Contorno, Homme d’Honneur de la septième géné­ration, dans la fa­mille de Santa Maria di Gesù » (Palerme). Hors des sept ou huit ma­fias du monde, qui n’a jamais vu des criminels de père en fils, en ligne directe depuis deux siècles ? Enfin, les vraies mafias sont quasi-indéracinables : Cosa nos­tra a traversé vingt ans de fascisme ; les grandes Tria­des chi­noises, soixante-dix ans de commu­nisme, dont les dix de la « Révolu­tion cultu­relle » qui fit des dizaines de millions de vic­ti­mes. Toutes ont survécu.

    Tout le reste, y compris la fictive « mafia russe », ne sont que des bandes ou des gangs, dont au­cun n’a jamais dépassé la première génération.

    Le terme étant proprement posé, je réponds : il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de mafia en France. Des cellules mafieuses italiennes en PACA, alba­naises près de la Suisse (où elles sont très présentes), des ma­fieux turcs dans les milieux nationalistes-pantouraniens (« Loups gris ») : ça oui. Mais une mafia autochtone, nulle­ment.

    L’appréhension de la criminalité par les forces de police a-t-elle évolué elle aussi ?  

    Côté appréhension des phénomènes criminels (ou terroristes), la police française en est hélas restée aux méthodes d’il y a cinquante ans. Elle ne dispose d’aucun dispositif d’alerte sérieux, elle ne voit pour l’essentiel rien venir à temps (c’est à dire, pour pouvoir intervenir précocement). Elle en reste à la bonne vieille police de papa : commission d’une infraction, enquête, interpellation et déferrement. Et on recommence sur l’individu ou la bande suivants.

    Or depuis la décennie 1990, pour tout problème de sécurité-souveraineté, la hantise su­prême de tout gouvernant est le choc stratégique. Exemple illustre : les at­taques du 11 septembre 2001 sur New York et Washington, que nul n’a prévues, voire ima­ginées ; at­taques ayant frappé l’Amérique si fort qu’elle ne s’en est, à ce jour, pas re­mise.

    Dans un autre domaine, la pandémie COVID 19 ne fut pas plus anticipée : le 26 février 2020, une éminence du ministère de l’Intérieur m’avertissait ainsi de ce qu’il venait d’ap­prendre : « Bientôt débute une pandémie hors contrôle, qu’on ne sait ni arrêter, ni soi­gner ». En un éclair – le 16 mars, deux semaines après – nous étions confinés.

    Cette faible réactivité n’est pas à imputer à la police, mais aux récents ministres de l’Inté­rieur. Comment ont-ils pu supporter, sans virer des inca­pables au sommet puis réformer les institutions en cause, qu’après Merah et les atten­tats du printemps 2012, il ait fallu cinq ans pour que les instances de l’État réalisent le péril des hybrides crime-terrorisme (tous les Abdeslam, les Kouachi, etc. en sont). Com­ment le phénomène largement crimi­nel des « mineurs non accompagnés », réel proxénétisme du vol exercé sur de jeunes mi­grants, peut-il déferler sur la France depuis 2016 sans que, depuis lors, on n’y fasse rien, sauf gaspiller des milliards d’euros à nourrir et loger des pillards ?

    Telle est le principal problème de police de la France, en 2021. Il lui faut délaisser le ré­ac­tif pour le proactif. À sa tête, il faut un Clemenceau : les bandits circulaient désormais en auto ? Il crée les brigades motorisées pour les affronter. Le problème crucial de la dé­cen­nie 2021 n’est plus, comme en 1900, de maîtriser L’ESPACE, mais le TEMPS. Entre deux shows à usage médiatique, le ministère de l’Intérieur devrait le réali­ser.

    Xavier Raufer (Site de la revue Conflits, 24 décembre 2021)

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  • Les scandales du showbizz : drogue, sexe, mafia et politique...

    Le troisième numéro de la nouvelle série du Crapouillot (novembre 2016 - janvier 2017) est en kiosque avec un dossier consacré au showbizz et  à ses turpitudes. Quand la jeune équipe du magazine non conformiste débarque sur la planète "people" et sort le lance-flamme, ça fait mal !...

     

    Crapouillot 3.jpg

     

    Au sommaire :

    L’arnaque du classement des personnalités

    Angelina Jolie : le cauchemar américain

    La presse people, une presse poubelle

    Le sexe, maladie chronique des PEOPLE

    Pourquoi les célébrités sont-elles si célèbres ?

    Les stars, une race bien à part

    Les stars et LES petites frappes

    Les médias, une niche Fructueuse

    Macron et Mourad, politique et médias, un amour fort !

    Journalistes corrompus

    Les journalistes de la télé à la mangeoire du show-business !

    L’affaire Morandini ou la sordidité du monde médiatique

    Croisade contre Bernard de la Villardière

    Mafia et célébrités mimétisme et proximité

    La noblesse ratée du prince Victor-Emmanuel IV

    Johnny Halliday copain du milieu malgré lui ?

    Alain Delon, icône aux amitiés sulfureuses

    Rap et banditisme un mariage fidèle

    Sport business et tradition criminelle

    Zdravko Mamic : le Parrain du football croate

    S’extraire de la société du divertissement

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  • Désastre marseillais ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Valeurs actuelles et consacré à la gangrène mafieuse dont souffre la ville de Marseille...

     

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    Le désastre marseillais

    Bienvenue au spectacle ! Voici la commedia dell’arte marseillaise : les ministres, premier d’entre eux en tête, campent pratiquement sur place… Du social, disent-ils… Et toujours plus de “politique de la ville” ! Oui ! résorbons la misère, répond le choeur les élus locaux. Et pourquoi pas l’armée ? renchérit une sénatrice.

    De misérabilisme en coups de menton, de sempiternelles promesses (“Nettoyons les écuries d’Augias !”) en risibles diversions (“Les paras à Marseille !”), les milliards s’ajoutent aux milliards. Et les cadavres aux cadavres : 19 au compteur à la mi-novembre. Or, les cadavres de bandits ne sont pas le problème de Marseille — juste le symptôme visible d’un mal infiniment plus sévère : une corruption criminelle tous azimuts qui interdit pratiquement toute action policière ou judiciaire sérieuse.

    Réglons une fois pour toutes la question de l’habitat et de l’enclavement. Il est bien sûr souhaitable que les Français jouissent tous d’un logement agréable et sûr — mais il n’en est pas moins certain que même s’il était atteint, cet idéal ne réglerait en rien le problème criminel. Tout criminologue sérieux le sait. Mais hélas, ni les politiciens de gauche ni les Diafoirus sociologues…

    Prenons l’exemple des dernières violences urbaines, incendies criminels et autres affrontements entre voyous et policiers. Ils remontent à l’été 2013 et ont eu pour théâtre Avion (Pas-de-Calais) et Trappes (Yvelines). Deux cités icônes de la fameuse “politique de la ville” ! Avion, expliquait une dépêche AFP du 16 août 2013, « fait l’objet depuis des années d’un important programme de rénovation urbaine et est constituée essentiellement de petits immeubles et maisons. Des rues boisées, des allées piétonnes, parsemées de jeux d’enfants, entourent des constructions à l’aspect propret ». Et voici ce que disait, au même moment, de Trappes, le Nouvel Observateur (14 août) : « Un maillage dense d’équipements publics… Bénéficie de toute la panoplie des dispositifs de la politique de la ville prévus par la loi. Rien n’y manque. Des 350 millions de la rénovation urbaine à la zone franche urbaine, sans oublier les réseaux de réussite scolaire et la zone de sécurité prioritaire. » Sommes-nous à Mogadiscio ?

    La corruption criminelle maintenant : à Marseille, nombre des élus localement “stratégiques” vivent en symbiose avec les nervis des “quartiers sensibles”. Lisons Libé (23 mai 2013) : ces élus font verser « des subventions indues à des associations fictives contrôlées par des caïds de quartier qui se mettent à leur service électoral dans les cités, servent de gardes du corps, etc. En échange, les subventions financent leur train de vie ».

    L’an dernier, la chambre régionale des comptes de Paca a dénoncé ces « détournements de subventions de la Région par des associations fantômes à des fins électoralistes ». Ainsi, le département a distribué plus de 100 millions d’euros à quelque 4 600 associations. Un cousin de la sénatrice militariste a reçu, pour “encourager le sport”, 960 000 euros en six ans. La manne se tarit ? Il est embauché par la communauté urbaine de Marseille, d’autres cousins officiant au conseil régional ou au conseil général.

    Mêmes causes, mêmes effets : politique clanique et complicités toxiques provoquent le chaos criminel — à Naples comme à Marseille. Des marchés de sécurité sont attribués aux sociétés d’un truand fiché au grand banditisme. Et n’oublions pas l’infiltration criminelle de l’Olympique de Marseille ni les combines du Grand Port maritime. Par capillarité, cette corruption compromet — pas toujours à la base — l’appareil policier et judiciaire régional. Localement, les magistrats ont appris à se taire et préparent clandestinement à Paris les opérations contre le banditisme local. Crainte des fuites oblige…

    Et la police ? La dernière fois qu’il a fallu arrêter un gros truand marseillais, l’équipe venue de Paris a dû loger dans une caserne éloignée de la ville et prétendre traquer des “terroristes kurdes” pour que le secret soit gardé. Toute divulgation sur place et l’oiseau se serait envolé — ce qui s’est produit quatre fois en 2012.

    Tel est le cloaque marseillais. Et ce ne sont pas des gardiens de la paix supplémentaires qui nettoieront ces écuries-là…

    Xavier Raufer (Valeurs actuelles, 16 décembre 2013)

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