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  • La France des autruches incapables d’anticipation...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Atlantico et consacré à la nécessité de l'anticipation, au travers de la question des stupéfiants...

     Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a publié ces dernières années Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et a également coordonné l'ouvrage collectif intitulé La première cyber-guerre mondiale ? (Eska, 2015).

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    Cannabis et usage de stupéfiants : la France des autruches incapables d’anticipation

    Dix ans bientôt : le "Livre blanc de défense et sécurité nationale" paraît en juin 2008. Ces livres blancs sont d'usage sobres et lisses, mais avec véhémence, celui de 2008 appelle à l'an-ti-ci-pa-tion, saint-Graal de la défense à venir. "Anticipation... base de notre stratégie... très haute priorité... première ligne de défense... fondement d'une nouvelle doctrine" : hors de là, point de salut.

    Depuis, dans la vraie vie, notre appareil de défense-sécurité a-t-il appris à anticiper ?

    Mohamed Merah et autres fanatiques, tueries de Charlie-Hebdo, du Bataclan, etc. ? Raté. Les blitzkriege de Poutine, Crimée puis violente reconquête de la Syrie ? Raté encore. La mutation du gang salafiste d'abu Musab al-Zarqawi en un terrible "Etat islamique" ayant, vers 2014, plus de blindés que l'armée française ? L'explosion ravageuse du cyber-crime ? Rien vu ni prévu. 

    Faute à qui ? D'abord, aux architectes du Livre blanc - ignorant que le besoin d'un dispositif ou produit nouveau, un vaccin contre le Sida par exemple, n'induit pas sa faisabilité rapide. Vouloir anticiper n'est pas savoir le faire - tant d'obstacles existent sur cette route-là. 

    Le premier pour mémoire, car souvent dénoncé par l'auteur : les cyber-arnaques du big data-police-justice prédictive, etc. Pas plus qu'à l'ère d'Aristote, l'incertitude n'est aujourd'hui modélisable. Un jour peut-être, grâce à la physique quantique, mais demain matin, non.

    Reste l'obstacle majeur à l'anticipation, au décèlement précoce des dangers et menaces : l'aveuglement médiatique. Définissons-le à partir d'un exemple précis, les stupéfiants, la toxicomanie. 

    Sous la présidence Hollande, le gros de notre presse d'information fut bradée à deux milliardaires, menant désormais d'une main de fer des empires médiatiques Uberisés. Ce, non pour informer les lecteurs, mais pour leur vendre le capitalisme libertaire à la Soros, ici défini comme DGSI (Davos-Goldman-Sachs-Idéologie).

    Pour pulvériser la société à leur profit, Soros, filou-financier souvent condamné et ses complices milliardaires-libertaires glauques, prônent la libéralisation des drogues. Leur plan : créer la panique médiatique autour du cannabis. Vite, libéralisons ! Demain sera trop tard. D'où, le matraquage du Monde et de Libération sur la toxicomanie galopante en France et en Europe, que seule la libéralisation du cannabis saurait contrôler et encadrer.

    Or c'est faux : en Europe, l'usage de toutes les drogues, héroïne, cocaïne, amphétamines, cannabis, etc., baisse désormais - surtout là où ses ravages étaient les pires. En septembre 2012, le Daily Mail titre - inutile de traduire "Drugs are going out of fashion - dramatic fall in usage since 1996". En 2012 aussi, le World Drug Report signale qu'en Europe, l'usage de l'héroïne et de la cocaïne est en "baisse sensible", le cannabis étant, lui, "stable ou déclinant". Même constat dans le rapport Europe-2013 de l'Office français des drogues et de la toxicomanie (OFDT). En France ? Dès 2013, l'OFDT signale que, chez les jeunes de 17 ans, le cannabis recule. L'usage régulier (10 fois par mois) a même diminué de moitié de 2002 à 2011, de 12% à 6 % des 17 ans - signal fort : là sont les usagers de demain.

    Conséquence du recul des drogues en Europe, marché mondial N°1, 24 milliards d'euros par an dit l'Office européen des drogues et de la toxicomanie (OEDT): pour les cartels et mafias, une baisse de 15% de ce marché signifie perdre 3,5 milliards d'euros par an. Or dans le féroce milieu criminel, le chef n'enrichissant plus sa meute est éliminé. Ainsi et dès 2012, les criminologues alertent : les "parrains" inventifs se ruent sur des trafics palliatifs, êtres humains, contrefaçons, cyber-crime, etc.

    De fait, ces activités criminelles ravageant  la société, la santé publique, etc., explosent depuis lors. 

    Si, au lieu de gober les bobards-DGSI, notre appareil de sécurité avait ciblé à temps ces nouveaux périls criminels, il aurait attaqué le mal à sa racine - c'est cela, anticiper - au lieu d'attendre passivement, comme c'est le cas, que le mal soit fait.

    Aujourd'hui, ce recul de la toxicomanie éclate au grand jour. La 9e enquête OFDT-Escapad établit que, dans la cruciale catégorie des 17 ans, l'usage du cannabis est au plus bas depuis 2000 ; de 2014 à 2017, le nombre de ces jeunes fumant du hasch baisse de 9%. Les amphétamines et la cocaïne ? 8,8% en usent en 2014 chez les 17 ans, 6,8% début 2018. 

    Du bout des lèvres mais bien tard, les médias-DGSI l'avouent désormais. Or pourquoi libéraliser des drogues dont l'usage baisse de lui-même ? Voilà la vraie question. Et la tâche des officiels est désormais claire : affronter les menaces criminelles émergentes, au lieu d'écouter des sornettes médiatiques.

    Xavier Raufer (Atlantico, 12 février 2017)



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  • La fin d'un monde ?...

    Nous reproduisons ci-dessous l'entretien donné par Alain de Benoist à Breizh infos et consacré à la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine.

     

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    « 9 novembre 1989 : chute du Mur de Berlin. 9 novembre 2016 : élection de Donald Trump.»

    Breizh-info.com : Quel est votre sentiment après l’annonce de l’élection de Donald Trump ?

    Alain de Benoist : 9 novembre 1989 : chute du Mur de Berlin. 9 novembre 2016 : élection de Donald Trump. Dans les deux cas, la fin d’un monde. Notre dernier Prix Nobel de littérature, Bob Dylan, s’était finalement révélé bon prophète : The times they are a-changin’ ! C’est en tout cas bien à un événement historique que nous venons d’assister. Depuis des décennies, l’élection présidentielle américaine se présentait comme un duel à fleurets mouchetés entre deux candidats de l’Establishment. Cette année, pour la première fois, c’est un candidat anti-Establishment qui se présentait – et c’est lui qui l’a emporté. « Malgré ses outrances », disait un journaliste. Plutôt à cause d’elles, aurait-il fallu dire, tant l’électorat de Trump n’en pouvait plus du politiquement correct !

    En fait, dans cette élection, ce n’est pas le personnage de Trump qui est important. C’est le phénomène Trump. Un phénomène qui, tout comme le Brexit il y a cinq mois, mais avec une force encore supérieure, illustre de façon spectaculaire l’irrésistible poussée du populisme dans le monde. Natacha Polony l’a très bien dit : ce phénomène « n’est que la traduction d’un mouvement de fond qui ébranle toutes les sociétés occidentales : la révolte des petites classes moyennes déstabilisées dans leur identité par la lame de fond d’une mondialisation qui avait déjà emporté les classes ouvrières ». Le fait dominant, à l’heure actuelle, tient en effet dans la défiance grandissante que manifestent les peuples à l’endroit des élites politiques, économiques, financières et médiatiques. Ceux qui ont voté pour Trump ont d’abord voté contre un système dont Hillary Clinton, symbole passablement décati de la corruption institutionnalisée, donnait une représentation exemplaire. Ils ont voté contre le « marigot de Washington », contre le politiquement correct, contre George Soros et Goldman Sachs, contre la morgue des politiciens de carrière qui cherchent à confisquer la démocratie à leur seul profit, contre le show business que les Clinton ont appelé à leur rescousse. C’est cette vague de colère qui s’est révélée irrésistible.

    Breizh-info.com :  Au-delà de cette victoire, l’écart de voix est considérable. Comment l’expliquez-vous ? S’agit-il du dernier sursaut des Blancs et des Indiens d’Amérique, menacés démographiquement par les Noirs et les Latinos ?

    Alain de Benoist : Aux Etats-Unis, le vote populaire est une chose, celui des grands électeurs (le « collège électoral ») en est une autre. Le plus extraordinaire, et le plus inattendu, est que Trump l’ait aussi emporté auprès des grands électeurs. Bien entendu, on peut estimer qu’il a surtout fait le plein de la classe ouvrière blanche, dont un certain nombre de suffrages s’étaient précédemment portés sur Bernie Sanders (en ce sens, le vote en sa faveur est aussi un vote de classe). Mais, si intéressante soit-elle, une analyse du vote en termes ethniques serait assez réductrice. Les analyses qui ne manqueront pas paraître ces prochaines semaines montreront que Trump a aussi obtenu des voix chez les Latinos, et même chez les Noirs. Le vrai clivage est ailleurs. Il est entre ceux qui considèrent l’Amérique comme un pays peuplé par des gens qui se définissent d’abord comme des Américains, et ceux qui n’y voient qu’un champ politique segmenté en catégories et en groupes de pression tous désireux de prévaloir leurs intérêts particuliers au détriment les uns des autres. Hillary Clinton s’adressait aux seconds, Trump aux premiers.

    Breizh-info.com : La ligne politique de Donald Trump pourrait grossièrement être décrite comme plutôt libérale à l’intérieur des frontières et plutôt protectionniste à l’extérieur. Cela vous semble-t-il intéressant ? N’est-ce pas ce libéralisme « intérieur » qui manque au Front national pour percer en France ?

    Alain de Benoist : La situation des deux pays n’est pas comparable, et la forme que peut (ou doit) y prendre le populisme ne l’est pas non plus. Aux Etats-Unis, le ressentiment anti-Establishment est inséparable de l’idée propre aux Américains que le meilleur gouvernement est toujours celui qui gouverne le moins. Cette aspiration libérale au « toujours moins d’État » fait partie de l’ADN étatsunien, pas de celui des Français qui, dans la crise actuelle, demandent au contraire plus de protection que jamais. Contrairement à ce que vous dites, le Front national, à mon avis, aurait donc tout intérêt à durcir plus encore sa critique du libéralisme.

    Quant à soutenir le libéralisme « à l’intérieur » et le « protectionnisme » à l’extérieur, cela me paraît relever de la contorsion. Il n’y a pas d’un côté un libéralisme qui dit une chose, et de l’autre un libéralisme qui dit le contraire. Du fait même de ses postulats fondateurs, le libéralisme implique à la fois le libre-échangisme et la libre circulation des personnes et des capitaux. On peut certes déroger à cette règle, mais alors on sort du jeu libéral. Il est bien clair qu’avec Donald Trump, les États-Unis ne vont pas cesser d’être l’un des rouages moteurs du système capitaliste dans ce qu’il a de plus brutalement prédateur. Bien qu’il ne soit pas une figure de Wall Street, Trump correspond d’ailleurs assez bien lui-même à l’image d’un capitalisme débridé.

    Breizh-info.com : Le FN se félicite de la victoire de Trump. La droite français semble effondrée. Qui va en tirer les fruits ici ?

    Alain de Benoist : Pas grand monde probablement. Marine Le Pen a été la première (avec Poutine) à féliciter Trump, et c’est bien naturel. Ce qui est plutôt comique, c’est de voir tous les hommes politiques, de droite et de gauche, qui s’étaient bruyamment réjouis par avance d’une victoire de Clinton qui leur paraissait si « évidente », devoir demain faire bonne figure à Donald Trump, l’accueillir parmi eux dans les sommets internationaux, le recevoir sans doute un jour à l’Élysée, après avoir déversé sur lui des tombereaux d’injures et de mépris.

    La classe dirigeante est à l’image des maîtres du cirque médiatique. L’élection de Trump est aussi « incompréhensible » pour eux qu’a pu l’être le Brexit en juin dernier, le « non » des Français au référendum de 2005, la montée du FN, etc. Elle leur est incompréhensible parce que pour la comprendre il leur faudrait se remettre en cause de façon suicidaire. C’est pourquoi ils ne trouvent rien d’autre à faire qu’à réciter leurs mantras sur les « discours de haine », la « démagogie » et l’« inculture » où se complairait le peuple. Leurs instruments conceptuels sont obsolètes. Ils ne veulent pas voir le réel, à savoir que les peuples n’en peuvent plus d’une démocratie représentative qui ne représente plus rien et d’une expertocratie qui ignore systématiquement les problèmes auxquels ils se heurtent dans leur vie quotidienne. Lénine disait que les révolutions se produisent quand à la base on ne veut plus et qu’à la tête on ne peut plus. Mais les élites en place sont incapables de s’en rendre compte, alors même que le sol se dérobe sous les pieds. Ecoutez-les tenter d’« expliquer » ce qui vient de se passer. Voyez leurs visages décomposés, tétanisés. Après avoir donné Clinton gagnante jusqu’à la dernière minute, ils ne veulent à aucun prix identifier les causes de leurs erreurs. Ils ne comprennent rien à rien. Ces gens-là sont incorrigibles.

    Breizh-info.com : Marine Le Pen ne prend elle pas une leçon, elle qui parle de « France apaisée » avec un discours très modéré là où Trump a joué la carte agressive et déterminée ?

    Alain de Benoist : C’est une erreur de croire que ce qui a bien fonctionné dans le contexte particulier d’un pays fonctionnera automatiquement dans un autre. Trump, le « clown milliardaire », a tenu durant sa campagne des propos d’une violence sidérante qui seraient impensables en France. La détermination, au surplus, n’implique pas forcément l’agressivité. Le slogan de « La France apaisée » se justifiait très bien il y a quelques mois. Il ne vous aura pas échappé qu’à l’approche des échéances électorales, la direction du FN l’a abandonné.

    Breizh-info.com : La candidature de Donald Trump a notamment été portée par l’Alt-Right et une armée de jeunes militants virtuels qui ont utilisé à plein les montages vidéos, photographiques ou les dessins humoristiques pour soutenir Donald Trump avec humour. Est-ce la fin du militantisme traditionnel ? Est-ce le début d’un nouvel âge, celui de l’activisme numérique et de l’utilisation de l’humour ?

    Alain de Benoist : Il est évident qu’Internet et les réseaux sociaux jouent désormais un rôle décisif dans la vie politique, mais les partisans de Trump ne sont pas les seuls à en avoir usé. Les soutiens de Hillary Clinton n’ont pas été en reste. Mais si l’on parle d’« activisme numérique », c’est surtout aux révélations de Wikileaks qu’il faut songer. Elles ont eu, comme vous le savez, un rôle décisif dans la campagne électorale américaine. À côté de Donald Trump, le grand vainqueur du scrutin s’appelle Julian Assange.

    Breizh-info.com : A quelles conséquences vous attendez-vous en Europe ? Dans le monde ?

    Alain de Benoist : Il y a tout lieu de penser que les conséquences vont être aussi nombreuses que considérables, mais il est trop tôt pour spéculer là-dessus. Autant Hillary Clinton était prévisible (avec elle, c’était la guerre avec la Russie presque assurée), autant les intentions de Donald Trump restent relativement opaques. Déduire les grandes lignes de ce que sera sa politique à la Maison Blanche de ses plus tonitruantes déclarations de campagne serait pour le moins audacieux, sinon naïf. Trump n’est pas un idéologue, mais un pragmatique. Il ne faut pas non plus oublier (le parallèle entre la France et les États-Unis est là aussi trompeur) que le président des États-Unis, coincé qu’il est entre le Congrès et la Cour suprême, est loin d’avoir tous les pouvoirs qu’on lui prête de ce côté-ci de l’Atlantique. D’autant que le complexe militaro-industriel est toujours en place.

    Je pense par ailleurs que les « trumpistes » européens n’auront pas forcément que des bonnes surprises. Que Donald Trump se préoccupe en priorité des intérêts de son pays est tout à fait normal, mais il ne s’ensuit pas que cela favorise ou rejoigne les nôtres. « America first », cela veut dire aussi : l’Europe loin derrière ! Après des décennies d’interventionnisme tous azimuts et d’impérialisme néocon, le retour à un certain isolationnisme serait une bonne chose, mais qui peut aussi avoir son revers. N’oublions pas qu’aucun gouvernement américain, interventionniste ou isolationniste, n’a jamais été pro-européen !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh infos, 10 novembre 2016)

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  • La politique, à quoi bon ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Slobodan Despot, cueilli sur Arrêt sur info et tiré de sa lettre Antipresse. Une vision certes pessimiste du combat politique et du cirque électoral mais solidement argumentée...

     

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    La politique, à quoi bon ?

    L’automne et l’hiver 2016/2017 sont remplis d’échéances électorales, en particulier les élections présidentielles américaines et françaises. J’aimerais m’y intéresser, je le devrais par curiosité professionnelle, mais je n’y arrive pas. La revue de presse est un exercice qui me paraît de plus en plus oiseux. De la même manière, on m’invite à nombre de colloques, conférences, « assises » et concertations. Je décline les invitations de nature politique. Non par prudence ou calcul, mais par manque d’intérêt et par un sentiment aigu de perte de temps.

    Nous avons dépassé ce stade, le stade de la politique démocratique et parlementaire, de l’Etat de droit et de tout l’héritage de la modernité européenne. Nous sommes bien au-delà. Beaucoup le sentent, mais il faudra le répéter mille, cent mille, un million de fois pour ébranler la loyauté séculaire des Européens civilisés à l’égard d’institutions qui sont au mieux, désormais, des dents nécrosées. Nous avons laissé s’établir un « antisystème » comme l’a esquissé Lev Goumilev. Il est né de nos valeurs, nourri par notre prospérité, mais il les retourne contre elles-mêmes — tant les valeurs que la prospérité —, ne pouvant viser que l’entropie, le nivellement de tout.

    *

    Alexandre Zinoviev était cet autre Russe de génie qui décrivit l’essence du système totalitaire soviétique dans ses livres, en particulier dans Les hauteurs béantes. Cela lui valut de devoir s’exiler d’URSS en 1976 et d’atterrir en Europe de l’Ouest. En Allemagne plus précisément. A la différence de tant de dissidents pour qui le « monde libre » démocratique, anglo-saxon et libéral, représentait la terre promise, la fin de toute lutte et de toute réflexion, Zinoviev continua d’analyser sans complaisance son environnement et en tira une série d’essais dévastateurs. Dans l’un d’entre eux — est-ce dans La grande rupture ou L’Occidentisme  ? — il raconte comment il avait eu la surprise de ne jamais rencontrer, « chez nous », deux phénomènes qu’il était certain de devoir rencontrer.

    Le premier de ces phénomènes, c’était le capitalisme au sens classique. « Je n’ai pas rencontré de capitalistes, de capitaines d’industrie, de grands brasseurs d’affaires. Je n’ai vu que des patrons faisant tourner de l’argent qui n’était pas à eux : des employés des banques. » Pendant que nous pensions encore liberté d’entreprise, concurrence, marché, Zinoviev voyait déjà la financiarisation universelle jouant avec travail humain comme avec des jetons au casino.

    L’autre phénomène que Zinoviev chercha avec sa lampe-torche tel un Diogène moderne, c’était… la démocratie. Certes, il avait vu les rituels électoraux auxquels la population était convoquée périodiquement — et auxquels elle se rendait de moins en moins — pour élire des représentants qui s’empressaient d’oublier leurs promesses et d’agir contre les intérêts de leurs électeurs. Mais de démocratie au sens premier de pouvoir aux mains du peuple, point ! Publiques ou privées, les instances administratives et économiques de l’Occident reposaient toutes sur des structures de pouvoir strictement pyramidales aboutissant à l’autorité d’un petit nombre. Il eut même la malice de relever que dans les soviets d’entreprise de son URSS natale, au moins, la balayeuse pouvait prendre la parole contre le chef de clinique et même obtenir gain de cause si ses griefs étaient fondés. A plusieurs reprises, il prophétisa que le contrepouvoir des syndicats, à l’Ouest, n’était qu’une concession diplomatique extorquée par la pression de l’empire communiste. Concession qui serait retirée sitôt que l’ennemi idéologique aurait disparu. Dont acte. La condition des salariés n’a cessé, de fait, de se détériorer depuis la chute du Mur en 1989. Les syndicats sont devenus des « partenaires » du patronat et la gauche de pouvoir a trahi sa morale et ses électeurs d’une manière à peine concevable. On n’aura pas attendu Merci Patron ! pour constater cette régression des rapports sociaux qui fait ressembler de plus en plus nos sociétés « avancées », nos fiers Etats-Providence, à l’Angleterre de Dickens.

    A partir de telles observations, Zinoviev élabora sa théorie de la « Suprasociété globale ». A ses yeux, ce que nous appelons la « mondialisation » n’était que la substitution universelle des anciennes loyautés verticales par des loyautés horizontales. En d’autres termes, les élites ne faisaient plus allégeance au « terreau » qui les avait nourries, élues ou déléguées (famille, commune, région, communauté, nation…), mais uniquement à leurs pairs de même rang à l’échelon global. Bref, à leur caste. La dilution des frontières géographiques et politiques allait de pair avec un renforcement de la stratification sociale. Ainsi Zinoviev fut-il parmi les premiers à voir que le « gendarme planétaire », les USA, n’agissait nullement au nom des intérêts nationaux étasuniens, mais en tant que « bras armé » ou « zombie » au service d’une puissance occulte, c’est-à-dire non élue, non légitime, non déclarée. Une fois qu’elle aurait usé le molosse américain jusqu’à sa dernière canine, la Suprasociété pourrait tout aussi bien, me disait-il, se trouver d’autres chiens de garde.

    Si elle invente des néologismes selon les besoins de la démonstration — et parce qu’elle explore des réalités totalement nouvelles —, la sociologie de Zinoviev n’a rien d’abstrait. Pour comprendre la politique des « décideurs », explique-t-il, on peut toujours étudier leurs idées et leurs principes, scruter les attentes de leur base électorale, examiner leur programme à la loupe — et l’on n’aura pas avancé d’un pouce. Ce qu’il faut savoir avant tout, c’est avec qui ils dînent et qui peut entrer sans frapper dans leur cabinet. La description des cercles réels du pouvoir — famille, amant(e)s, amis, mécènes, « gourous » intellectuels, réseaux informels — permet de retracer des lignes de force qui n’ont aucun rapport avec les étendards politiques des élus. La Suprasociété globale apparaît ainsi comme un conglomérat de banquiers, de grands administrateurs, de nababs industriels, médiatiques et culturels, de diplomates, de hauts fonctionnaires internationaux, d’universitaires, de people, de technologues et d’élus. C’est un monde ductile où l’on évolue au gré des connaissances et des affinités et où les titres formels ne constituent qu’un « ticket d’entrée » ou une carte de visite. L’effondrement de tous les garde-fous institutionnels et coutumiers qui la bridaient tant soit peu la rend arrogante et de plus en plus visible. L’annihilation de la morale ordinaire et du sens commun favorise ce processus bien davantage que la décadence des institutions. Encore que ceci soit étroitement lié à cela. A l’heure qu’il est, cette suprasociété règne sans partage. Dans la « vertueuse » Suisse, plus de 9 conseillers nationaux (députés) sur 10 sont contrôlés par la Suprasociété via des conseils d’administration, faisant de la vie parlementaire une pure mascarade. Dans ce même pays, par ailleurs, une très sérieuse étude de l’université de Zurich a montré que l’économie mondiale était dominée par 147 sociétés seulement, mettant le contrôle effectif de l’humanité entre les mains d’un très petit groupe de gens qui ne représentent qu’eux-mêmes. Quel parti politique s’est emparé de ce thème capital ? Aucun.

    *

    Privés de repères, intimidés, censurés dans leurs convictions les plus spontanées, les peuples dans leur ensemble continuent pourtant de se fier au système, ne serait-ce que par réflexe, malgré les démentis, malgré la « contreculture » de l’internet, malgré l’ineptie et la corruption criantes des dirigeants. (Il est vrai qu’à un niveau local, en Suisse du moins, il a encore son utilité.) Ainsi, début juillet dernier, le recrutement cynique de l’apparatchik européen Barroso par Goldman-Sachs les a « indignés » un instant, les médias ont poussé quelques grognements, et puis tout a été oublié dès le premier attentat. Du reste, en se faisant salarier par les requins de Wall Street, l’ex-hippopotame de Bruxelles n’a fait qu’officialiser des liens qui jusqu’alors étaient tacites. Il a cessé, en somme, de bosser au noir.

    Ce scandale aurait pu servir de tremplin à une enquête d’ensemble sur la nature et l’étendue de tels liens. Des partis populistes, ici ou là, pourraient nommer et prendre pour cible la cause, c.à.d. cette caste autocratique, apatride et déchaînée, plutôt que de s’occuper des effets tels que l’islamisation, le « grand remplacement » ou l’insécurité. S’ils ne le font pas, c’est peut-être qu’à partir d’un certain rang leurs directions trempent (ou aimeraient tremper) dans la même piscine, ne serait-ce que d’un orteil. Signe que la cooptation de caste n’est pas qu’une « dérive » susceptible d’être corrigée, mais la force d’intégration historique du système occidental. Ce qui était cité (lois, vertus, constitutions) se transforme en ménage (management privé).

    On attend toujours, par ailleurs, les initiatives politiques, « citoyennes », voire académiques, en vue d’un audit général de l’enseignement universitaire et des médias de service public du point de vue, justement, du service qu’ils rendent à la communauté qui les entretient. Depuis des décennies, les facultés de sciences humaines sont le foyer principal des théories de la culpabilisation, de la haine de soi et de la « déconstruction » de toutes les valeurs qui avaient fait de l’Europe une civilisation puissante, ouverte, éclairée et tant soit peu équitable. Ni les stalino-maoïstes hier ni les islamistes aujourd’hui ne pourraient nous danser sur le ventre sans la complicité du mandarinat universitaire qui a fini par criminaliser toutes les tentatives de protection du même face à l’autre. Fût ce au nom de nos valeurs les plus généreuses et les plus incontestables.

    Ces institutions intouchables sont les génératrices de l’« enseignement de l’ignorance  », des programmes d’abrutissement qui fabriquent les nouveaux analphabètes qu’on sacrifie aux dieux de la Consommation. Par capillarité, elles « informent » également notre information en créant des générations de journalistes unidimensionnels, grégaires, politiquement alignés et d’une inconsistance morale qui fait la joie des lobbies et des potentats.

    Cela fait lourd, comme « autogoal », pour nos chers impôts ! Qui s’en soucie ? Qui enquête ? Personne. L’imposition d’une surveillance publique effective sur l’enseignement supérieur pourrait totalement changer le cours de notre suicide de civilisation. Encore faudrait-il comprendre comment ça marche et oser mettre le bâton dans la fourmilière. Encore faudrait-il que nos communautés aient gardé un reste de sentiment communautaire pour pouvoir agir de manière collective. Les partis et mouvements politiques demeurent leurs derniers points de rassemblement. Mais ils continuent de pousser leurs charrettes dans leurs bonnes vieilles ornières où le pouvoir réel ne circule plus. CQFD : si vous voulez agir sur la réalité de votre environnement, faites d’abord éclater les cadres politiques !

    *

    On dit que la flotte ottomane perdit la bataille de Lépante parce que ses navires dépassaient trop le niveau de la mer et faisaient des cibles faciles. Ce défaut de conception fatal était dû au fait que les grands turbans des pachas exigeaient de la hauteur sous barreaux. Les traditions civiques et politiques de l’Europe sont nos turbans. Nous ne les réviserons, si nous survivons, qu’après le naufrage de notre flotte, en tout cas pas avant. Dès lors, pourquoi s’agiter ?

    Slobodan Despot (Lettre Antipresse N° 38, 21.8.2016) © 2016 Association L’Antipresse

    PS. Quoi qu’on puisse penser de lui par ailleurs, Donald Trump est le seul prétendant à un poste politique éminent en Occident, ces dernières années, que la Suprasociété ne semble pas contrôler. Ses milliards l’ont mis à l’abri de cette « protection ». Cela, bien davantage que sa vulgarité naturelle et ses excès, explique le torrent de haine déversé contre lui par l’ensemble des médias occidentaux. Il est impossible qu’il accède à la charge suprême.

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  • Goldman Sachs, une banque de guerre économique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue , cueilli sur le site Infoguerre et consacré au rôle de prédateur financier qu'a joué la banque Goldman Sachs dans la crise grecque...

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    Goldman Sachs, une banque de guerre économique

    En 1999, lorsque la création de l’euro est décidée, la Grèce ne peut adhérer à la monnaie unique car elle ne répond pas aux critères rigoureux énoncés par le traité de Maastricht : dette inférieure à 60% du produit intérieur brut (PIB), déficit budgétaire sous les 3%. Le gouvernement grec, dans sa course à l’euro, décide alors de chercher conseil auprès de la banque Goldman Sachs (GS). L’objectif est clair : trouver des moyens astucieux pour rejoindre la zone euro. Athènes veut surtout dissimuler l’ampleur de ses déficits. L’accord avec GS marque le début d’une coopération entre une banque et un État qui allait progressivement muter en rapport de force économique. Ce rapport de force économique fait intervenir plusieurs acteurs agissant sur des scènes différentes. Les deux principaux sont la banque Goldman Sachs (GS) et les gouvernements grecs qui se sont succédés de 2001 à 2015. Autour de ce pilier, s’en articulent d’autres secondaires, émanant de la sphère politique (certains gouvernements de la zone euro et le Parlement européen), économique (la réserve fédérale des Etats-Unis) et sociale (le Financial Times et le Risk Magazine, Der Spiegel). Ces acteurs vont tous jouer un rôle structurant dans le rapport de force économique opposant la banque GS à l’État grec.

    Un marché de dupes

    D’un côté, l’État grec cherche à obtenir un avantage politique et économique : son entrée dans la zone euro pour éviter sa marginalisation sur le continent européen ; de l’autre, la banque GS recherche un avantage commercial : réaliser le maximum de profits pour conforter sa place de leader mondial dans le secteur bancaire.
    Comprendre cet affrontement suppose d’en distinguer les différents niveaux qui correspondent aux différents rôles qu’a joué la banque vis à vis de l’État grec.
    Le premier niveau de ce rapport de force apparaît au cours de l’année 2001, quand GS accepte d’aider la Grèce à baisser sa dette. Jusque là, le rapport n’est qu’une simple relation de conseilleur/conseillé. Pourtant, la recherche de profits inhérente à la première banque d’affaires mondiales va pousser l’équipe en charge de ce dossier (Antigone Loubiadis épaulée par les spécialistes dans la négoce des devises) à mettre en place une offre qui, à long-terme va se révéler beaucoup plus coûteuse pour la Grèce et beaucoup plus profitable pour GS qu’un simple prêt bancaire.
    Cette offre réside dans l’utilisation des credit default swap (CDS). D’apparence complexe, le fonctionnement des CDS est simple. Il s’agit de contrats d’assurance sur une dette qui garantissent au créancier qu’il sera remboursé même si son débiteur se défausse. Ils offrent donc aux investisseurs la possibilité de limiter les risques associés à des obligations, qu’elles soient émises par des États ou des entreprises.  Dans le cas des obligations grecques, ce mécanisme permet de se protéger des effets de change en transformant en euros la dette initialement émise en dollars. L’autre avantage des CDS est que le marché de gré à gré de cet instrument financier est nébuleux. Les transactions se font à l’abri des regards, loin des places boursières et de leurs règles contraignantes, sans intermédiaires ni identification des opérations ou de leurs auteurs. Par là, la Grèce a pu mettre en place un emprunt qui n’est pas apparu dans les statistiques officielles. Appuyé par cet instrument spéculatif, GS lance un engrenage qui va lui permettre de réaliser d’énormes bénéfices. D’une part, le taux de change choisi est très favorable à GS. D’autre part- et c’est là le coup de force de la banque- le montant couvert par les CDS dépasse celui de la dette publique grecque. Autrement dit, GS réussit à vendre plus de contrats qu’il n’en faut pour couvrir le risque de la dette grecque. L’État grec quant à lui, contraint, en vue de ses difficultés financières à négocier un rallongement de l’échéance de sa créance, doit s’engager à payer à la banque d’importantes sommes jusqu’en 2019 et ce, à des conditions plus onéreuses, ce qui aggravent encore sa situation économique.
    Si la dissimulation de la dette grecque fut réussie et permit à ce pays d’entrer au sein de la zone euro, la conquête de bénéfices de la banque GS est édifiante. En 2001, lorsque l’affaire fut conclue, le gouvernement devait 600 millions d’euros à la banque, plus les 2.8 milliards qu’elle avait emprunté selon Spyros Papnicolaou. Lorsque ce dernier prit la tête, en 2005, de l’agence de la gestion de la dette du pays, le prix de la transaction avait presque doublé à 5.1 milliards d’euros. Du reste, ce contrat et le maquillage des dettes publiques devaient jouer un rôle dans l’apparition de la  crise de souveraineté grecque qui allait faire évoluer cet affrontement.
    En effet, le second niveau du rapport de force apparaît au cours de l’année 2009. Au cours de celle-ci, le nouveau gouvernement socialiste grec de Georges Papandréou annonce que les comptes publics grecs ont été truqués. La nouvelle crée un choc financier pour l’État grec. Dès la fin de l’année 2009, les agences de notation, Fitch la première, dégradent la signature de sa dette, à BBB +. Les marchés commencent à douter de la capacité qu’a l’État grec à rembourser sa dette tandis que les taux d’intérêt payés par celui-ci s’envolent. Le scénario d’une faillite circule dans les salles de marché. Devant les difficultés de la Grèce, la banque GS, son ancienne conseillère, va spéculer sur la baisse de l’euro. Le rapport de force apparaît ici dans toute son ampleur : l’ancienne banque conseillère spécule dorénavant contre l’État grec et a tout intérêt à ce que sa situation ne s’améliore pas, pour que l’euro continue de baisser.
    Au cours de l’évolution de ce rapport de force économique, les différents acteurs vont mettre en place des stratégies visant à atteindre leurs objectifs et à prendre le pas sur l’adversaire.

    L’exploitation des faiblesses de l’adversaire

    La première stratégie utilisée par GS a été de jouer sur les points faibles de l’État grec. Si l’équipe de GS a accepté l’affaire que lui proposait la Grèce, c’est parce qu’elle savait que cet État disposait d’un système bancaire et de statistiques de finances publiques faibles. Du reste, son économie noire florissante rendait aléatoires les rentrées d’impôts et de taxes. Par là, le géant financier pénétrait un marché où la Bourse était dépourvue de règles contraignantes et où l’État brouillait le jeu économique. Ces conditions ont permis à GS de mettre en place les instruments financiers les plus aptes à lui assurer le maximum de bénéfices. Outre cet environnement économique propice, GS a aussi joué sur la position qu’elle détenait dès le début. Dans une telle affaire, le client quémandeur n’est pas en position de force. Lorsque la Grèce a modifié les échéances de remboursement de sa créance, GS était en mesure de lui imposer des conditions plus drastiques encore qu’elles ne l’étaient au début et s’assurer, dès lors, toujours plus de bénéfices.
    L’autre point faible sur lequel a pu compter GS est à la fois conjoncturelle et interne à l’Union européenne : la désorganisation d’Eurostat, l’institut européen de la statistique censé être l’arbitre attitré du respect des critères du traité de Maastricht. Le lancement de l’euro, le 1er janvier 2002, a donné à Eurostat pour mission d’harmoniser les statistiques des États membres afin de concevoir des agrégats à l’échelle européenne. Il s’agit d’indicateurs clés dans l’élaboration de la surveillance budgétaire et de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Mais, pris dans la tourmente d’un scandale financier interne, l’office des statistiques est, au moment de l’affaire grecque, paralysé. De fait, ses dirigeants acceptent de facto les comptes que lui présente le gouvernement grec de l’époque.

    Une offensive informationnelle très bien orchestrée

    Dans cette affaire, GS s’est aussi illustré comme maître de la guerre de l’information. D’une part en s’appuyant sur de fausses rumeurs et d’autres part en faisant jouer ses relais d’influence pour véhiculer des informations qui épousaient ses intérêts. Le mercredi 27 janvier 2010, le Financial Times affirme que la Chine a refusé d’acheter 25 milliards d’euros d’emprunt grec, apporté en exclusivité par l’intermédiaire de GS. C’est Gary Cohn, en personne, écrit le FT, qui aurait proposé l’affaire au Premier ministre grec. La nouvelle sème la panique. Pour les traders, Athènes est proche du gouffre puisqu’elle est obligée de solliciter la Chine en direct. Malgré le démenti immédiat d’Athènes, les investisseurs exigent immédiatement une prime de risque encore plus élevée. Pourtant, les professionnels ont vite compris que l’information était fausse. Selon un membre de la division Methodology and standard development de la Banque centrale européenne (BCE) «des opérations où un pays achète 25 milliards d’euros de dette d’un seul coup n’existent pas ». Selon lui, « si Goldman Sachs n’a pas démenti, c’est qu’elle avait intérêt à ce que la rumeur se propage ». L’intérêt en question c’est que cette nouvelle allait accréditer l’idée que la Grèce connaissait d’importantes difficultés et donc accélérer le mouvement de spéculation sur la baisse de l’euro, que GS suivait.
    Outre l’instrumentalisation de fausses informations, GS s’est aussi servi de son réseau d’influence pour publier des articles qui allaient dans son sens. Dans le Financial Times du 15 février 2010, Otmar Issing, ex-membre du directoire de la Bundesbank, ancien économiste en chef de la BCE, signe un texte hostile à une opération de sauvetage européenne. Selon lui pour ne pas mettre en péril la zone euro, Athènes doit se débrouiller seule. Mais Issing signe cette tribune en omettant de préciser que, depuis 2006, il est conseiller international de GS. Au moment de la publication de l’article, le département trading de cet établissement a tout à perdre d’une intervention des Européens. Goldman joue l’euro à la baisse, et en théorie, une opération de rescousse européenne ne peut que faire rebondir l’euro.
    Dans cette guerre de l’information, le rôle trouble du Financial Times mérite d’être questionné. Si parler de collusion entre les deux organismes semble exagéré, l’existence d’un partenariat officiel entre les deux organismes dans l’octroi du Business book of the year montre que GS fait figure de sponsor pour le FT. GS a donc pu s’appuyer sur cette position pour faire de ce journal un relai d’influence dans l’affaire grecque.

    La contre-attaque du camp européen

    Devant ces attaques spéculatives et le jeu à double face de GS, l’État grec a pu compter sur le soutien d’alliés émanant à la fois de la sphère civile et politique. En 2003, l’article de Nick Dunbar du Risk Magazine révèle  le rôle de GS dans la présentation orientée des comptes publics grecs et crée une polémique qui fait rapidement le tour du monde après que l’hebdomadaire allemand Der Spiegel reprend à son compte les assertions de Nick Dunbar en 2010. Ces révélations ont eu un écho dans la sphère politique. Fait rarissime, les politiciens ont pris parti dans cette affaire sans jamais nommer directement la banque. Angela Merkel a jugé «scandaleux» que certaines banques aient pu aider à maquiller le déficit budgétaire de la Grèce et provoquer ainsi une crise de toute la zone euro. Lors d’un colloque organisé à Londres les Premiers ministres espagnol, norvégien et britannique apportent leur soutien à leur homologue grec. Selon Thibault Renard, la Grèce a très bien su profiter de ces attaques envers Goldman Sachs pour se positionner en État-victime, manipulé par le géant financier. Dans ce concert de soutien à la Grèce, seule la Réserve fédérale, au terme d’une enquête,  estime que l’établissement n’a pas aidé Athènes à cacher l’ampleur de ses déficits.
    La banque GS a été contrainte de s’expliquer. En 2010, Gerald Corrigan (président de GS Bank aux Etats-Unis) était écouté par le Parlement européen. Au cours de cet interrogatoire, Corrigan n’a reconnu que le manque de transparence dans cette affaire en affirmant qu’ « avec le recul, il est évident que les normes de transparence auraient dû être meilleures ». Pour maintenir son intégrité et sa déontologie, la banque a publié sur son site Internet un communiqué affirmant que l’impact des opérations a été minimal sur la situation budgétaire globale du pays. La dette grecque est passée de 105,3% à 103,7% du PIB, soit une faible diminution au cours de la période concernée. Concernant l’éthique, la défense de GS est simple. La Grèce a refusé la logique de la zone euro axée sur la discipline budgétaire. C’est à Athènes que revient la charge de se poser  les questions éthiques. La banque s’est contentée de jouer un rôle technique et de satisfaire un client, en l’occurrence un État dans le cadre légal que lui imposait Eurostat.
    « Je fais le travail de Dieu ». À lui seul, ce propos tenu par le PDG de GS, Lloyd Blankefein, incarne la volonté de puissance de la plus grande banque d’affaire au monde. Le rôle de cette banque dans le maquillage des comptes publics de l’État grec et sa spéculation, quelques années plus tard, sur la faillite de ce pays démontre la place dont peut se targuer la finance dans le nouvel ordre mondial : une arme économique, capable de mener des attaques spéculatives sur un État. Par là, ce rapport de force est révélateur de  la complexification des conflits que Nicolas Mazzucchi évoque dans son chapitre Compétition et adversité, du Manuel d’intelligence économique. La conflictualité mondiale n’est en effet plus seulement interétatique ni concurrentielle mais peut aussi opposer des acteurs aux visages différents, comme le montre ce rapport de force « politico-financier » confrontant un pouvoir politique à un pouvoir financier.
    La crise grecque s’est révélé une manne pour GS. La banque a empoché des commissions tirées de l’aide apportée au gouvernement grec. Elle a spéculé sur les difficultés de la Grèce et contre l’euro. Elle semble donc avoir gagné sur tous les tableaux. Cependant, la polémique révélée par Risk Magazine et relayée par Der Spiegel a pris de l’ampleur dans le monde entier. Devant la menace de voir sa réputation entamée, la banque a été contrainte de s’expliquer. Du reste, si la polémique semblait éteinte, l’élection, en 2015 du gouvernement Tsipras a relancé l’affaire. Le Premier ministre grec a en effet affirmé que l’État grec pourrait poursuivre GS pour récupérer la commission colossale de 600 millions d’euros que le gouvernement avait payés à la banque pour ses services.
    Toutefois, devant les immenses bénéfices que l’affaire grecque a représentés pour GS, une victoire de la Grèce à ce procès- qui n’est pour l’instant qu’un projet- ne pourrait en aucun cas rééquilibrer un rapport de force qui fut largement remporté par GS. Rappelons à ce sujet que le chiffre d’affaire de 2014 de la banque qui s’élevait à 40,085 milliards de dollars (avec un bénéfice net de 8,48 milliards en hausse de 10,1% par rapport à 2013) confirme que « la Firme » n’a que peu à craindre de la retombée d’un éventuel procès qui relancerait l’affaire grecque.

    Christopher Quagliozzi (Infoguerre, 20 mai 2016)

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  • Quand la Goldman Sachs interfère, la démocratie s’oblitère...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Laure Ferrari, directrice exécutive de l’Institut pour la Démocratie Directe en Europe, cueilli sur le site de cette organisation et consacré à l’ingérence des banques d’investissement dans les affaires politiques européennes.

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    Quand la Goldman Sachs interfère, la démocratie s’oblitère

    Il n’est pas toujours aisé de diriger une fondation, notamment lorsque sa mission est de défendre et promouvoir la démocratie directe. Les contributeurs réguliers de notre site internet sont des experts en leur domaine et écrivent en connaissance de cause mais il m’arrive de leur rappeler que nous ne sommes pas un réservoir à solutions. Notre raison d’être est de provoquer la réflexion chez les lecteurs afin que ceux-ci trouvent eux-mêmes les réponses à leurs questions.

    J’aimerais vous parler ce mois-ci d’un phénomène croissant et inquiétant, l’ingérence des banques d’investissement dans les affaires politiques européennes, nationales et internationales, et tout particulièrement de Goldman Sachs, pour ne pas la nommer.

    Aux États-Unis, comme on le sait, la campagne présidentielle se résume à une histoire de gros sous. Pour paraphraser la Bible, il est certainement plus facile pour un pauvre de passer par le trou d’une aiguille que d’entrer à la Maison Blanche. Sur le vieux continent, les peuples n’ont souvent le choix réel qu’entre deux partis politiques qui n’ont aucune différence aux yeux d’un électorat qui doit donc choisir entre deux candidats aisés et bien introduits socialement, deux candidats issus du sérail.

    Au-delà de toute caricature, l’importance de l’argent dans toute campagne électorale ne saurait être remise en question, il s’agit d’une réalité. Et lorsque Goldman Sachs, première banque d’investissement au monde, se mêle de politique, ça sent le soufre.

    Je pense notamment à la récente donation en millions d’euros de la banque américaine au camp du “oui” au maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne.

    Pour tout dire, j’ai failli m’étouffer avec ma tartine en lisant la nouvelle le mois dernier, mais en regardant de près cela n’a rien d’étonnant, car au risque de décevoir les partisans de la théorie du complot, Goldman Sachs avance ses pions au vu et au su du grand public, avec la complicité des politiques que nous avons élus, et ce depuis quelques années maintenant.

    J’aimerais donc revenir sur leur cas afin de vous exposer la liste non-exhaustive des actes d’ingérence directs ou indirects de Goldman Sachs dans les affaires politiques. Pour ce faire, et afin d’éviter le ton du réquisitoire, je voudrais simplement vous adresser une série de questions rhétoriques :

    • Savez-vous qui a participé au maquillage des comptes de la Grèce pour que celle-ci entre dans la zone euro avec les conséquences que nous connaissons aujourd’hui ?
    • Savez-vous pour qui travaillait Lucas Papadimos, bureaucrate imposé à la tête du gouvernement grec par la troïka en 2011, évinçant un dirigeant démocratiquement élu?
    • Savez-vous pour qui travaillait Mario Monti mis en place par Bruxelles à la présidence du conseil italien, dans des conditions similaires ?
    • Savez-vous où travaillait Mark Carney avant de devenir le grand patron de la Banque d’Angleterre ?
    • Savez-vous où travaillait Peter Sutherland, commissaire européen ayant fait pression pour que le Royaume-Uni rejoigne la zone euro ?
    • Enfin, savez-vous pour qui travaillait Mario Draghi, actuel directeur de la BCE ?

    La France n’est malheureusement pas exemptée de l’influence néfaste de la Firme, telle qu’on l’appelle dans le milieu.

    J’en veux pour preuve Alain Juppé, potentiel candidat à la présidence de la République, accessoirement condamné en appel à 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité pour « prise illégale d’intérêt ». L’ancien premier ministre s’est récemment illustré dans une émission de radio en défendant Goldman Sachs face aux questions du journaliste qui l’interrogeait, arguant d’un sourire narquois « qu’il est à la mode d’accabler les banques ».

    Quant au premier ministre en fonction, Manuel Valls, il a littéralement appliqué une directive de Goldman Sachs (via L’OCDE) qui conseillait la suppression ou la réduction du nombre de régions administratives françaises, dans le but de faire des économies considérables pour que la France puisse garder ses capacités de remboursement des bons du trésor.

    Ne nous leurrons pas, la tendance européenne actuelle va en ce sens, et la marche vers le fédéralisme ne rendra que plus optimal l’asservissement de nos nations pour servir les intérêts de la finance. Le TAFTA n’en est-il pas le meilleur exemple ?

    Les indignés de circonstance issus de partis ayant bâti cette Europe-là et qui prétendent vouloir la réformer sont des menteurs, et le plus tôt nous l’aurons compris, le plus tôt nous pourrons engager les démarches pour un retour à la souveraineté populaire. Il s’agit d’une condition nécessaire à la reconstruction de l’Europe, d’une Europe qui marche mais pas sur la tête.

    Laure Ferrari (Institut pour la Démocratie Directe en Europe, 26 février 2016)

     

     

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  • Faut-il renoncer à la démocratie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue d'Alexandre Latsa, cueilli sur le site de La Voix de la Russie et consacré aux projets de l'oligarchie tels qu'ils sont présentés par le doucereux Jacques Attali, un de ses porte-parole...

     

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    Faut-il renoncer à la démocratie ?

    « Faut-il supprimer la démocratie » est une citation du « sage et démocrate » Jacques Attali. Celui-ci a en effet le 18 mars dernier signé un article absolument incroyable où il pose la question de l’opportunité de songer à appuyer, aider et compléter les structures et institutions démocratiques afin de pérenniser leur efficacité.

    Jacques Attali prend l’exemple de l’élection verticale et à vie du pape, puis de l'élection de la nouvelle présidence chinoise pour 10 ans, en remarquant que les deux fonctionnent selon le principe du parti unique, en portant au pouvoir quelqu'un du sérail sans consulter le peuple. Ensuite, il constate les échecs du système démocratique italien incapable de permettre l’émergence d’un gouvernement stable après les élections législatives du mois dernier. L’Italie serait d’après lui l’exemple type de l’échec du fonctionnement des systèmes démocratiques, le politique étant contraint de sacrifier l’avenir à long terme du pays (en aggravant la situation économique) pour assurer sa réélection.

    Serait-il tombé sous le charme des partis uniques parce que la démocratie montre ses limites?

    Pas du tout, il propose une troisième voie. Construire (en parallèle des institutions démocratiques) de nouvelles assemblées consultatives, composées de gens choisis, qui nommeraient des responsables à des niveaux plus élevés, ces derniers constitueraient une assemblée consultative nationale, en charge de conseiller les pouvoirs démocratiques. Ces assemblées seraient toujours selon lui destinées à équilibrer des pouvoirs politiques qui seraient mieux en mesure d’exécuter leur mission: la gestion de la « cité ».

    Il ajoute qu'il y a urgence à ce que des gens (des « sages » n’en doutons pas NDLR) prennent le relai des politiques élus car les risques seraient réels puisque « les multiples fondamentalismes sont présents et ils rodent autour du lit de la démocratie ». Il conclut: « Si on veut sauver l’essentiel de la démocratie, c’est à de telles audaces qu’il faut commencer à réfléchir ».

    Il faut peut-être lire entre les lignes et traduire: Nous (l’oligarchie) allons devoir un peu plus confisquer la démocratie et permettre à des gens mieux « choisis » de diriger nos pays.

    Utopie? Usine à gaz avec de nouvelles assemblées commissions et comités divers salariés par les états démocratiques ? Il faut prendre très au sérieux les « audaces » proposées par Jacques Attali, parce qu'il existe déjà des comités qui pensent et décident à la place des élus du monde occidental.

    Le 29 mars 2013, le président de Goldman Sachs a confirmé que le problème principal de l’UE était non pas Chypre (ou un pays comme la Grèce dans lequel le peuple est simplement en train de mourir NRDL) mais l’Italie d’aujourd’hui avec le facteur Grillo. Le troublant italien, sorte de Coluche politique, empêcherait en effet l’honnête establishment financier international d’achever sa prise de contrôle des états en faillite. Un processus qui comme on peut le voir ici est pourtant bien entamé et démontre, s’il le fallait, que c'est un comité d'anciens employés de la banque Goldman Sachs qui a pris les commandes des centres de décision du monde de la finance en Europe. Est-ce la meilleure des solutions pour l’Europe? Le pauvre Beppe Grillo avait même eu droit au début de ce mois à un billet corrosif à son égard sur le blog de notre « sage » dans lequel il était montré du doigt comme un danger pour l’avenir de l’Europe.

    Etonnante similarité de point de vue, non?

    Il y a pourtant, en dehors de la troisième voie proposée par Jacques Attali, une autre solution que la confiscation des élections par des « sages », au cœur de social démocraties dont les élites appartiennent à des corporations financières étrangères, et dont les politiciens sacrifient leurs peuples et leurs pays au nom de futiles réélections.

    Dans des pays comme par exemple la Chine de Jintao et Jinping, la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan ou le Venezuela de Chavez, des élites « d’un autre genre » jouissent majoritairement du soutien de leurs peuples pour accomplir la mission qui est la leur: faire de leurs pays des états puissants et souverains, capables de résister tant aux déstabilisations financières que militaires tout en poursuivant et assurant leur développement économique.

    La solution en Europe n’est sans doute pas la confiscation d’une démocratie déjà en phase terminale, mais sans doute plutôt de procéder démocratiquement à un changement radical d’élites, afin de sortir d’un système d’exploitation qui ne fonctionne manifestement plus et de pouvoir enfin rendre aux peuples d’Europe ce qui leur a été confisqué : le pouvoir de décider de leur propre destin.
    Alexandre Latsa (La Voix de la Russie, 1er avril 2013)
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