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domination

  • L’étrange victoire de l’Occident...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gilles Carasso, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à l'étrange victoire de l'Occident, qui survit à son déclin et maintient sa domination universelle.

    Gilles Carasso a été directeur des Instituts français de Pologne et de Géorgie.

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    L’étrange victoire de l’Occident

    Depuis la chute de l’URSS, les pays de l’ancien « bloc de l’Est » ont perdu 10 à 25 % de leur population. Du fait d’une baisse de la fécondité semblable à celle de l’Europe et de l’Asie de l’Est, mais surtout du fait de l’émigration vers l’Europe de l’Ouest, l’Amérique et, marginalement, Israël. La population la plus jeune, la plus instruite est partie ou aspire à partir, ôtant à ces pays – Pologne exceptée – leurs chances de développement économique. L’exception polonaise est aussi religieuse : c’est le seul grand État anciennement soviétisé qui n’appartient pas au monde orthodoxe.

    En Russie, la fascination de l’Occident n’est pas moindre qu’ailleurs. L’URSS est tombée pour n’avoir jamais été capable de fabriquer des jeans seyants. Ou, pour le dire d’une façon plus académique : de la collision inéluctable entre les aspirations au bonheur individuel venues de l’Occident, dont le marxisme était un des rejetons, et ses structures collectivistes – communautaires dans l’anthropologie d’Emmanuel Todd. La tentative du Kremlin de les remplacer par l’idéologie des « valeurs traditionnelles » est tout aussi vouée à l’échec. Le départ de McDonald’s n’a pas freiné l’appétit des Moscovites pour les hamburgers, les séries télévisées russes sont calquées sur le modèle des séries américaines et la classe moyenne russe, dès qu’elle en a les moyens, passe ses vacances en Occident.

    L’adhésion de l’Europe orientale à l’UE et à l’OTAN, ou le désir d’y adhérer qui se manifeste en Ukraine, en Géorgie, en Moldavie, relève du même mouvement occidentogyre. C’est la transposition à l’échelle des nations du désir des individus de passer à l’Ouest.

    Pourquoi l’Occident ?

    Cet Occident, tant fantasmé à l’Est comme au Sud, est riche et il est en déclin démographique. D’autre part, l’aviation a aboli les distances. Donc explication physique simple : l’équilibre des niveaux. Mais les gens ne sont pas des atomes de liquide, ils existent dans et par des cultures. L’émigration est un déracinement, rêve et souffrance. Pour que le rêve l’emporte sur la souffrance, il faut que la culture de départ ait cessé de fournir les « nourritures de l’âme » indispensables à la vie. Il faut aussi que le rêve ne soit pas seulement de biens matériels, mais d’une façon de se vivre dans le monde. Les ghettos de nouveaux arrivants sont des sas de décompression.

    Oswald Spengler juge la chose tout à fait impossible : on naît et on meurt dans sa « religion », c’est-à-dire la façon de se lier au macrocosme qu’on a acquise en naissant dans une famille et dans un pays, quelles que soient les apparences d’intégration. L’immigration musulmane en France, qui revient à la seconde ou troisième génération à l’islam intégral (c’est-à-dire sans les fadaises d’un islam laïque) semble lui donner raison même si le soi-disant fondamentalisme musulman est largement une réinvention1.

    L’Europe de l’est semble aussi témoigner de l’imperméabilité des cultures par son absence d’acclimatation du capitalisme – hors la Pologne catholique, il n’y a pas de « start-up nation » dans le monde orthodoxe –, et par ses laborieuses tentatives d’imitation, ou ses simulacres d’adoption, de la démocratie2.

    Mais à l’inverse, si l’on considère son émigration, rien n’indique une conservation de la métaphysique orthodoxe en Occident. La première grande vague venue de l’empire russe au tournant du XIXe siècle ne fut pas orthodoxe mais juive. Or le déracinement des Juifs de Russie n’était que limité puisque l’empire tsariste avait largement échoué à les intégrer3. Leur fusion dans l’univers WASP a parfaitement réussi, ils ont même défini, à Hollywood, le canon esthétique et moral du « rêve américain »4. Spengler prédisait même, mais c’était avant la création de l’État d’Israël, la dissolution du judaïsme occidental dans le chaudron américain. Cela ne posait pas de problème à sa théorie puisque le vieux « consensus juif », aterritorial, était vulnérable face à la jeune et dynamique culture américaine. Seulement, le même phénomène s’observe aujourd’hui avec l’émigration orthodoxe.

    Le maître ouvrage de Spengler s’intitule Le déclin de l’Occident. Depuis sa parution il y a un siècle, les variations autour de ce thème ont été innombrables au point de lui donner les apparences d’une évidence5. Laquelle est corroborée par le suicide démographique de l’Europe et des surgeons occidentaux de l’Asie orientale. Il constitue la musique d’ambiance des grandes manœuvres géopolitiques de la Russie : le soleil se lève une nouvelle fois à l’est, enfin au sud-est : les BRICS vont bientôt pulvériser le dollar et les missiles hypersoniques, les porte-avions nucléaires américains.

    Alors pourquoi le monde entier se précipite-t-il vers cet Occident agonisant6 ?

    Le leadership scientifique

    Une première réponse est que sa puissance économique, scientifique, militaire, quoiqu’en déclin relatif, est encore prépondérante. Elle vaut pour l’étudiant géorgien ou ivoirien, pour le chômeur africain comme pour le polytechnicien français : la puissance d’attraction. La réalité, c’est l’extraordinaire solidité des Etats-Unis, même si le pacte de Bretton Woods, qui, en 1945, a défini les termes de son imperium, touche à sa fin7.

    Mais il faut avoir une idée bien étriquée de la pyramide de Maslow, ou un marxisme vintage, pour s’imaginer que la richesse est le motif principal de l’émigration. Ce qui pousse à s’arracher à la patrie, c’est d’abord le sentiment qu’il n’y en a pas ou plus, de patrie. Le départ en masse signe la mort des cultures. Il n’est nul besoin d’appeler à l’expiation des crimes de la colonisation, nous expions déjà, par l’arrivée en masse en Europe de la jeunesse africaine, l’agression que l’Europe a infligée aux cultures du continent africain. Et ce qui apparaît comme l’hispanisation progressive des Etats-Unis peut aussi bien être vu comme la revanche des cultures précolombiennes anéanties. En Russie, les idéologues du panslavisme incriminent les réformes commencées sous Pierre le Grand, qui, en administrant par la violence une européanisation forcée, ont empêché ou retardé le mûrissement d’une synthèse culturelle proprement russe8.

    C’est ensuite le sentiment de savoir où l’on va. Les migrants ne partent pas en explorateurs de mondes nouveaux, ils comprennent, fût-ce à leur façon, les « numina » de l’Occident. Cela signifie, comme l’a rappelé Modeste Schwartz, que, contrairement à un préjugé courant, la colonisation a réussi9. Elle a tellement réussi qu’elle a imposé avec succès le mantra occidental du salut individuel et de l’infini des possibles. Non parce que celui-ci aurait plus de séduction que les autres. Il n’y a que les Occidentaux pour s’imaginer que l’individualisme et toutes ses déclinaisons sont doués d’un charme irrépressible. Mais parce que ce système de croyances – l’ontologie naturaliste pour Philippe Descola10, ou l’élan faustien pour Spengler –, se connecte de telle façon, sous le nom de science, avec le savoir-faire technique, qu’il guérit des malades, fait voler les avions, écrase par la puissance de ses armes. Le vrai ne se décide plus par la conformité à un régime de vérité : c’est vrai parce que ça marche.

    Métaphysique de l’Occident

    La technoscience est un sujet qui a été abondamment traité. Je n’ai cependant pas le sentiment qu’ait été résolue l’énigme fondamentale : comment un cheminement métaphysique, enclenché dans les monastères de l’Occident en même temps que la rationalisation du travail11, a-t-il abouti à un système de connaissance dont la vérité se prouve par son efficacité ? Ou encore : comment le travail, c’est-à-dire la technique et l’économie, a-t-il réussi à mettre en forme, dite scientifique, le mythe faustien de l’infini de façon à accroître son efficacité sur la matière inerte ou vivante, sans autre limites que celles, physiques, de la planète ?

    La victoire universelle de la technoscience n’empêche pas de constater le déclin de l’Occident, mais elle interdit d’envisager son effacement. Simplement, l’Occident a commencé à déplacer ses centres de pouvoir ou, pour reprendre le terme de Schwartz : à se pigmenter12. Le discours du multilatéralisme cache mal sa similitude avec celui de l’Occident actuel. Il suffit de comparer la déclaration du sommet des BRICS avec le discours onusien du développement durable pour constater leur parfaite identité13.

    Le déclin de l’Occident traditionnel est aujourd’hui observable à l’œil nu : catastrophe démographique, dévastation insupportable de la nature par le capitalisme, affaiblissement relatif de la puissance, déréliction idéologique du wokisme. Niall Ferguson a brillamment décrit comment l’Occident avait étendu sa domination sur le monde14. Il reste à expliquer pourquoi, contre les principes de la morphologie spenglérienne, l’emprise de sa métaphysique, sous ses avatars scientifiques et économiques, survit à son déclin et maintient sa domination universelle.

     

    Notes :

    1. Cf. Olivier Roy, La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Seuil 2008 ; Yves Lepesqueur, Pourquoi les Libanaises sont séduisantes, L’Harmattan 2022.

    2. Cf. Ivan Krastev et Stephen Holmes, Le moment illibéral. Trump, Poutine, Xi Ping : Pourquoi l’Occident a perdu la paix, Fayard 2019.

    3. Cf. Alexandre Soljenitsyne, Deux siècles ensemble, Fayard 2012.

    4. Cf. Neal Gabler, Le royaume de leurs rêves. La saga des juifs qui ont fondé Hollywood, Calmann-Lévy 2005.

    5. Deux exemples récents : Douglas Murray, L’étrange suicide de l’Europe ; Immigration, Identité, Islam, L’artilleur 2018. Emmanuel Todd, La défaite de l’Occident, Gallimard 2024.

    6. Cf Modeste Schwarz, Fin d’occident ou faim d’occident ? https://modesteschwartz.substack.com/p/fin-doccident-ou-faim-doccident?r=10v1d0.

    7. Sur les données fondamentales de la puissance américaine et le pacte de Bretton Woods, voir Peter Zeihan, The Accidental Superpower: The Next Generation of American Preeminence and the Coming Global Disaster, Twelve 2016. Sur la fin de la mondialisation : Peter Zeihan, The end of the world is just the beginning: mapping the collapse of Globalization, Harper Business, 2022.

    8. Cf. Modeste Schwartz, Une spécialité russe : la russophobie. https://modesteschwartz.substack.com/p/une-specialite-russe-la-russophobie.

    9. Cf Modeste Schwartz, Dépasser Spengler. https://modesteschwartz.substack.com/p/depasser-spengler?r=10v1d0.

    10. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard 2005.

    11. Cf. Pierre Musso, La religion industrielle. Monastère, manufacture, usine, Une généalogie de l’entreprise, Fayard, 2017.

    12. Sur la notion d’Occident pigmenté et le multilatéralisme, cf. Modeste Schwartz, L’après-Kovid, Écrits de 2022-23. Troisième partie : Kissinger et l’Occident pigmenté. https://substack.com/@modesteschwartz/p-141102176.

    13. Cf. Edward Slavsquat, Would you like to know what BRICS just declared? https://edwardslavsquat.substack.com/p/would-you-like-know-what-brics-just.

    14. Niall Ferguson, Civilisations. L’occident et le reste du monde, Saint-Simon, 2014.

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  • Le droit au cœur de la domination économique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue d'Olivier Maison Rouge, cueilli sur le Journal de l'économie et consacré à l'utilisation du droit comme arme de guerre économique...

     

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    Le droit au cœur de la domination économique

    « Il est évident que la mondialisation économique, mais aussi sociale et intellectuelle, formate le droit, non seulement le droit international, mais aussi les droits internes. » (1)

    En cela, le droit est effectivement devenu un des instruments de l’affrontement économique global. Il se retrouve sous forme de normes, sanctions, embargos, et plus largement permet à la puissance émettrice d’asseoir sa domination envers les pays vassaux.

    D’une manière générale, il n’est pas interdit d’affirmer que le droit d’un état soumis n’est autre que la loi du vainqueur. Historiquement, le Code civil français de 1804 s’est étendu au continent européen avec l’avancée des armées napoléoniennes (2). Il en fut de même, le siècle suivant, avec l’expansion coloniale française dans les pays d’Afrique.

    À l’heure de la mondialisation et de la compétition économique, le droit, qui est une dimension non négligeable en matière de conquête des marchés et de dépendance économique, ne doit donc pas être considéré comme un simple instrument non efficient. Au contraire, il est nécessaire d’affirmer la place du droit, notamment en matière de rayonnement et d’accroissement de puissance économique. Le droit, dans son essence même, sert d’étalon et de norme aux entreprises humaines et aux activités commerciales.

    DROIT ROMANO-GERMANIQUE CONTRE COMMON LAW

    Si l’antagonisme n’est pas toujours aussi ténu dans les faits, on peut néanmoins aisément dégager les lignes d’affrontement, l’opposition reposant essentiellement sur la hiérarchie des normes.

    Traditionnellement, on distingue les deux approches dans le rapport à la Loi :

    Il est couramment admis que le droit romano-germanique (ou « continental ») affirme la primauté de la Loi sur la volonté des parties que l’on retrouve cantonnée dans le contrat qui n’est que la loi des parties. Plus largement, la loi est perçue comme l’expression de la volonté générale, raison pour laquelle le droit continental lui confère une valeur absolue.

    A contrario, le common law anglo-saxon, fait prévaloir le Contrat, comme affirmation de la liberté contractuelle et de l’autonomie de la volonté des parties. Par conséquent, le juge ne peut défaire ce que les cocontractants ont voulu, tandis que le droit continental souffre davantage l’immixtion du juge dans le contrat, au nom de l’ordre public.

    Mais la ligne de démarcation juridique ne s’arrête pas à cette seule opposition hiérarchique. Ayant évoqué le rôle de juge, précisément, en matière procédurale, les règles diffèrent largement. Ainsi, en droit continental, le procès est mené sur le mode dit « inquisitoire », ce qui laisse toute faculté au magistrat pour conduire et organiser les débats. Il est maître du déroulement de l’audience et juge du choix des pièces et du mode opératoire de constitution de la preuve.

    En droit coutumier, si le juge n’est pas moins un acteur du procès, la justice étant nommée « accusatoire » leurs avocats – prennent l’initiative de la direction des débats. De même, la jurisprudence a une valeur supérieure, à l’instar de l’absence de constitution écrite du Royaume-Uni, souvent citée à titre d’exemple.

    INTERDÉPENDANCE OU INFÉODATION ?

    Cette comparaison systémique serait sans incidence si, effectivement, elle ne se traduisait pas par la conquête de parts de marché du droit.

    À cet égard, on peut souligner l’importance de la notation annuelle établie par la fondation Doing Business, déclassant volontairement les pays de droit continental (affirmant que le common law offre davantage de garantie et de sécurité juridique des actes)(3).

    Cette bataille n’est pas neutre sur le terrain de la globalisation des échanges, dans la mesure où le droit est partie prenante dans la traduction des relations commerciales. Et ce faisant, à l’échelle globale, le common law s’affirme comme la pratique usuelle incontournable, voire comme un modèle indépassable du monde des affaires, au détriment du droit continental.

    Ainsi, il est patent de relever que :
    « La capacité des entreprises à exporter dépend en grande partie du cadre juridique qui les contraint dans le pays d’importation et dans lequel elles déploient localement leurs initiatives ;
    Pour exporter du droit, il faut d’abord exporter des professionnels : dans les années 70, les Anglais ont favorisé l’exportation de leurs juristes, notamment les avocats des banques britanniques, ce qui explique qu’aujourd’hui le droit financier international soit largement d’inspiration anglo-saxonne. » (4)

    En effet, autre phénomène visible et révélateur, la présence et l’implantation des cabinets anglo-saxons dans les pays de droit civil, qui se traduit dans les faits par l’extension et la revendication des normes et pratiques issues du common law.

    Cette soumission au droit anglo-saxon s’est trouvée renforcée dans le cadre des procédures dites extraterritoriales, par lesquelles les autorités judiciaires américaines se sont déclarées compétences pour l’application de lois anglo-saxonnes, à l’égard d’entreprises et/ou d’opérations étrangères ne présentant aucun lien de rattachement direct avec les États-Unis. De fait, en vertu d’un impérialisme juridique, les États-Unis se sont vus non seulement gendarme, mais aussi juge du monde.

    La réalité est que les entreprises, et notamment les directions juridiques, œuvrant dans un monde des affaires façonné par des préceptes américains (financiers, commerciaux, juridiques, etc), elles s’alignent sur les canons ainsi édictés, les rendant au final vulnérables à l’égard de législations étrangères auxquelles elles se soumettent naïvement.

    CHERCHER L’AUTONOMIE STRATÉGIQUE

    Le défi actuel qui appartient aux Européens réside donc dans l’affirmation du droit continental à l’égard des règles juridiques étrangères.

    Il convient donc de chercher un nouveau point d’équilibre pour éviter que l’influence du droit civil ne s’affaiblisse davantage, au bénéfice du common law. L’ambition est alors d’appuyer à l’international le rayonnement du droit civil, en lien notamment avec le développement de la francophonie.

    Dans cet esprit de reconquête, deux actions parfaitement complémentaires ont d’ores et déjà été initiées, et qu’il convient de saluer :

    La Fondation pour le droit continental a été instituée en 2007, précisément pour :
    « Faire valoir au plan international les qualités des droits écrits codifiés dans le souci de maintenir un équilibre entre les systèmes juridiques (…),
    Etablir une solidarité entre les juristes de droit continental pour mener des actions communes de promotion de ce droit,
    Mettre en œuvre une stratégie d’influence juridique au plan international dans l’intérêt des entreprises du droit continental,
    Valoriser, au plan international, l’expertise des professions du droit,
    Contribuer, par la formation, à l’ouverture internationale des juristes de droit continental. »
    Selon la Fondation pour le droit de continental, les pays représentant environ 60% du PIB ont d’ores et déjà adopté un mode référentiel relevant du droit civil ou approchant. Ceci doit nous conduire à rester optimistes.

    En parallèle, il appartient aux juristes de réinvestir les institutions internationales créatrices et prescriptives de normes et de règles, telles que l’OMC, l’OCDE, OMS, l’OIT, ... bien qu’elles soient actuellement déclinantes.

    L’enjeu fondamental est désormais d’apprécier les grandes évolutions géopolitiques et systémiques qui vont peser durant plusieurs décennies, en matière de pôle décisionnel et de centre d’impulsion économique mondiale. Or, à cet égard, ayant énoncé en propos liminaire que le droit n’est autre que la loi du vainqueur, on peut se satisfaire de voir que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont globalement adopté un système juridique de droit écrit (cela vaut notamment en droit constitutionnel, droit de la propriété intellectuelle, droit civil …). Nul n’ignore que ces pays portent actuellement atteinte à l’hégémonie économique des pays anglo-saxons et ont depuis lors fait basculer le monde dans un système multipolaire.

    Dès lors, la compétition est engagée en matière de prééminence de la norme juridique et la France doit trouver à faire valoir son savoir-faire.

    Olivier de Maison Rouge (Journal de l'économie, 6 septembre 2023)


    Notes :
    [1] du MARAIS Bertrand, « Guerre du droit, Paris brûle-t-il ? », in l’ENA hors les murs, octobre 2014, n°445
    [2] Ce qui lui vaut d’être aujourd’hui dénommé « droit continental »
    [3] Ibid.
    [4] http://thomastoby2012.com/la-guerre-des-droits-une-guerre-économique 16 juillet 2012
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  • De l’art d’abuser d’autrui ou de « baiser son prochain »...

    Le 5 janvier 2022, Thomas Arrighi recevait Dany-Robert Dufour, dans l'émission «Sputnik donne la parole» pour évoquer avec lui la domination et la manipulation de masses par le biais de «psycho-pouvoirs». Philosophe, Dany-Robert Dufour est l'auteur de nombreux essais comme Le Divin Marché (Denoël, 2007), Le Délire occidental (Pocket, 2018) ou dernièrement Le Dr. Mabuse et ses doubles ou l'art d'abuser autrui (Actes Sud, 2021).

     

                                              

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  • Au-delà du conservatisme, une nouvelle figure de l'homme...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque comment Ernst Jünger, dans Le Travailleur, proposait de dépasser le conservatisme politique classique en traçant la figure de l’homme de l’avenir, unissant l’esprit héroïque et la domination technique.

     

                                              

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  • Psychopolitique...

    Les éditions Circé viennent de publier un nouvel essai de Byung-Chul Han intitulé Psychopolitique - Le Néolibéralisme et les nouvelles techniques de pouvoir. Originaire de Corée, admirateur de l’œuvre de Heidegger, Byung-Chul Han enseigne la philosophie à Berlin. Plusieurs de ses ouvrages ont déjà été traduits en français dont Dans la nuée - Réflexions sur le numérique (Acte sud, 2015) et Le parfum du temps (Circé, 2016).

     

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    " Après son best-seller La société de la fatigue, le philosophe berlinois Byung-Chul Han poursuit avec ferveur sa critique du néolibéralisme. Il explique de manière pertinente la technique de domination et de pouvoir du régime néolibéral qui, contrairement à la biopolitique de Foucault, considère la psyché comme une force productive. Han décrit sous toutes ses facettes cette psychopolitique néolibérale qui nous mène à une crise de la liberté. "

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  • La révolution est-elle encore possible ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Byung-Chul Han, cueilli sur Metamag et consacré au système de domination néolibéral, qui a été publié initialement par le quotidien El Pais en 2014. Originaire de Corée, admirateur de l’œuvre de Heidegger, Byung-Chul Han enseigne la philosophie à Berlin. Plusieurs de ses ouvrages ont déjà été traduits en français dont Dans la nuée - Réflexions sur le numérique (Acte sud, 2015) et Le parfum du temps (Circé, 2016).

     

     

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    " Aujourd’hui, personne ne manifeste en Corée du Sud. Au contraire, y prédomine un grand conformisme et un consensus entre dépressions et syndrome de burn out. "

     

    Byung-Chul Han et la révolution : une critique acide de notre société

    Quand il y a un an je débattais avec Antonio Negri au Berliner Schaubühne, nous vîmes s’affronter alors deux critiques du capitalisme. Negri était alors enthousiasmé par l’idée de résistance globale à l’Empire, au système de domination néolibéral. Il se présentait comme un révolutionnaire communiste et se définissait lui-même comme professeur sceptique. Avec emphase il appelait la multitude, la masse interconnectée à la protestation et à la révolution, à laquelle il confiait la tâche de renverser l’Empire. La position du communiste révolutionnaire me parut alors très naïve et surtout éloignée de la réalité. C’est pour cela que je tenterai ici d’expliquer à Negri pourquoi les révolutions ne sont plus possibles.

    Pourquoi le régime de domination néolibéral est-il autant stable? Pourquoi y-a-t-il si peu de résistance? Pourquoi toute résistance s’estompe-t-elle si rapidement ? Pourquoi la révolution n’est-elle plus possible malgré l’abîme croissant qu’il y a entre les riches et les pauvres ? Pour expliquer ceci, il est nécessaire de revenir à une compréhension adéquate de comment fonctionne aujourd’hui le pouvoir et la domination.

    Qui prétend établir un système de domination doit éliminer toutes les résistances

    Ceci est valable aussi pour le système de domination néolibéral. L’instauration d’un nouveau système requiert un pouvoir qui s’impose fréquemment par la violence. Mais ce pouvoir n’est pas identique à celui qui stabilise intérieurement le système. On sait que Margaret Thatcher considérait les syndicats comme “l’ennemi intérieur” et elle les combattit de manière agressive. Or, l’intervention violente pour imposer l’agenda néolibéral n’a rien à voir avec le pouvoir stabilisateur du système.

    Le pouvoir stabilisateur de la société disciplinaire et industrielle était répressif. Les propriétaires des usines exploitaient de manière brutale les travailleurs et les ouvriers, ce qui donna lieu à des manifestations et à des résistances. Dans ce système répressif, l’oppression et les oppresseurs sont visibles. Il y a un opposant concret, un ennemi visible contre lequel l’opposition a du sens.

    Le système de domination néolibéral est structuré d’une manière totalement distincte

    Le pouvoir stabilisateur du système n’est plus répressif mais séducteur, c’est-à-dire captivant. Ici, il n’est plus visible comme dans le régime disciplinaire. Il n’y a pas d’opposant, un ennemi qui opprime la liberté avant que ne puisse être possible la résistance. Le néolibéralisme transforme le travailleur opprimé en auto-entrepreneur, en employeur de lui-même. Aujourd’hui, chacun est un travailleur qui s’exploite lui-même dans sa propre entreprise. Tous sont maîtres et esclaves en une seule personne. De même la lutte des classes s’est transformée en une lutte interne contre soi-même: celui qui échoue se culpabilise lui-même et a honte. On se questionne soi-même, on n’interroge pas la société.

    Le pouvoir disciplinaire ne fut efficace que parce qu’au prix de grands efforts, il encadra les hommes de manière violente avec ses principes et ses interdits. Mais en réalité est beaucoup plus efficace la technique de pouvoir qui consiste à ce que les hommes se soumettent par eux-mêmes au maillage de la domination. Cette efficacité particulière réside dans le fait qu’elle ne fonctionne pas à travers l’interdiction et la soustraction, mais par le plaisir et la réalisation. Au lieu de générer des hommes obéissants, elle prétend les rendre dépendants. Cette logique de l’efficacité passe aussi par la surveillance. Dans les années quatre-vingt, on protesta de manière très énergique contre le recensement démographique. Et les étudiants sortirent même dans la rue pour cela. A cette époque, les données nécessaires requises pour sa carrière, son diplôme scolaire ou sa prise de poste étaient ridicules. Car c’était une époque où l’on croyait avoir toujours en face de soi l’Etat comme une instance de domination qui s’appropriait les informations des citoyens contre leur volonté. Cela fait bien longtemps que ce moment est derrière nous. Aujourd’hui, nous nous dénudons volontairement. C’est précisément ce sentiment de liberté qui rend impossible toute protestation. L’auto-dévoilement et le déshabillage de soi-même suivent la même logique efficace que celle de l’auto-exploitation. Contre qui protester? Contre soi-même ?

    Il est donc important de distinguer le pouvoir qui impose et celui qui stabilise. Le pouvoir stabilisateur acquiert aujourd’hui une forme aimable, smart, et ainsi il devient invisible et inattaquable. Le sujet soumis n’est même plus conscient de sa soumission. Il se croit libre. Cette technique de domination neutralise la résistance d’une manière absolue. La domination qui soumet et s’en prend à la liberté n’est pas stable. Et c’est pour cela que le régime néolibéral est aussi stable, et immunisé contre toute forme de résistance parce qu’il fait usage de la liberté, au lieu de la soumettre. L’oppression de la liberté génère une résistance immédiate. En revanche, ce n’est plus le cas quand on exploite avec la liberté. Après la crise asiatique, la Corée du Sud était paralysée. Le FMI débarqua alors et octroya du crédit aux Coréens. Pour cela, le Gouvernement dut imposer l’agenda libéral avec violence contre les protestataires. Aujourd’hui, personne ne manifeste en Corée du Sud. Au contraire, y prédomine un grand conformisme et un consensus entre dépressions et syndrome de burn out. Aujourd’hui la Corée du Sud a le taux de suicide le plus élevé du monde. On retourne la violence du système contre soi-même, au lieu de vouloir changer la société. L’agression vers l’extérieur qui pourrait avoir pour résultat une révolution cède le pas à l’auto-agression.

    Aujourd’hui, il n’y a aucune multitude solidaire, interconnectée, capable de se transformer en une masse protestataire et révolutionnaire globale. Au contraire, la solitude de l’auto-emploi isolé, séparé, constitue le mode de production actuel. Avant, les entrepreneurs se concurrençaient entre eux. Mais à l’intérieur de l’entreprise, une solidarité était encore possible. Aujourd’hui, tous luttent contre tous, même à l’intérieur de l’entreprise. La compétition entraîne une énorme augmentation de la productivité, mais elle détruit la solidarité et le sens de la communauté. Or on ne forme pas une masse révolutionnaire avec des individus épuisés, dépressifs, isolés.

    Il n’est donc pas possible d’expliquer le néolibéralisme de manière marxiste. Dans ce néolibéralisme, la fameuse  « aliénation » du travail n’a même plus de sens. Aujourd’hui, nous nous livrons avec euphorie au travail jusqu’au syndrome du burn out, jusqu’à la fatigue chronique. Le premier niveau du syndrome est l’euphorie. Mais syndrome de burn out et révolution s’excluent mutuellement. Aussi, est-ce une erreur que de penser que la multitude renversera l’Empire parasitaire et instaurera la société communiste.

    Et d’ailleurs que se passe-t-il aujourd’hui avec le communisme? Constamment on évoque le sharing (le partage) et la communauté. L’économie du sharing devrait succéder d’ailleurs à l’économie de la propriété et de la possession. Sharing is caring, [ »partager, c’est protéger »], dit le slogan de l’entreprise Circler dans le nouveau roman de Dave Eggers, The Circle. Sur les pavés qui forment le chemin vers le siège de l’entreprise Circler sont dessinées des maximes comme “recherche la communauté” ou “impliquez-vous”. Protéger c’est tuer, devrait plutôt dire la devise de Circler. C’est une erreur de penser que l’économie du partage, comme l’affirme Jeremy Rifkin dans son dernier livre La nouvelle société du coût marginal zéro , annonce la fin du capitalisme, une société globale, avec une orientation communautaire, où partager aurait plus de valeur que posséder. C’est tout le contraire: l’économie du partage conduit en dernière instance à la commercialisation totale de la vie.

    Le changement, célébré par Rifkin, qui va de la possession à l’ “accession ” ne nous libère pas du capitalisme. Celui qui n’a pas d’argent, n’a pas non plus accès au sharing. Même à l’époque de l’accès libre nous continuons de vivre dans le Bannoptikum, un dispositif d’exclusion, où ceux qui n’ont pas d’argent restent exclus. Airbnb, le marché communautaire qui transforme chaque maison en hôtel, rentabilise jusqu’à l’hospitalité. L’idéologie de la communauté ou du commun réalisé en collaboration conduit à la capitalisation totale de la communauté. Ici n’est même plus possible l’amabilité désintéressée. Dans une société d’évaluation réciproque, on commercialise aussi l’amabilité. On se rend aimable pour recevoir de meilleurs profits. Aussi même dans l’économie reposant sur la collaboration prédomine la dure logique du capitalisme. De manière paradoxale, dans ce beau “partage” personne ne donne rien volontairement. Ainsi, le capitalisme en arrive à sa plénitude au moment où le communisme se vend comme marchandise. Le communisme comme marchandise: c’est la fin de la révolution.

    Byung-Chul Han (Metamag, 13 octobre 2016)

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