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bernard wicht

  • Russie, OTAN, Ukraine : La guerre à perpétuité ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 21 janvier 2023 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Bernard Wicht pour évoquer le conflit en Ukraine et ses risques de propagation...

    Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017), Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019) et Vers l'autodéfense - Le défi des guerres internes (Jean-Cyrille Godefroy, 2021).

     

                                              

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  • L’autodéfense populaire, notre héritage...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur le site de Dextra et consacré à la question de l'autodéfense populaire.

     

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    L’autodéfense populaire, notre héritage

    Le lundi 4 octobre 2021, la revue Front Populaire organisait un débat entre Michel Onfray et Eric Zemmour. A la question : « Est-ce que vous pensez que devant l’ensauvagement de la société, il faut permettre aux français de se réarmer ? », ce dernier répond lapidaire : « Il faut rétablir la force de l’Etat ! ». Car c’est bien connu, si tous les Français s’arment ce sera l’anarchie, le far west, avec des fusillades comme aux Etats-Unis. Pourtant, pour qui a pris la peine de suivre le déroulement du mouvement Black Lives Matters de 2020, il apparaît assez évident que ce qui a empêché qu’en de multiples endroits les émeutes ne dégénèrent en pogroms antiblancs, c’est justement le fait que les descendants des cow-boys soient encore largement armés. Sachant que chaque phénomène américain fini par apparaître quelques temps plus tard en Europe, il n’est pas difficile d’imaginer qu’une situation de tensions similaires aurait, en France, une issue bien plus dramatique.

    Rétablir la force de l’Etat ? C’est pourtant bien l’Etat qui, pour alimenter la machine capitaliste, autorise et organise la venue des populations allogènes dans notre pays qui sont la cause directe de « l’ensauvagement de la société ». La passivité des autochtones aux innombrables violences dont ils font l’objet s’explique moins par une lâcheté intrinsèque face aux agresseurs qu’une crainte légitime des représailles de l’Etat lorsqu’ils s’organisent pour y faire face. L’actualité juridique nous présente régulièrement le cas d’un malheureux commerçant qui, après un énième braquage, sera condamné pour avoir abattu son agresseur qui prenait la fuite. Pour respecter les règles de la « légitime défense » il aurait dû essayer de le faire quand celui-ci le tenait en joue… La volonté de l’Etat de conserver le monopole de la violence légitime est logique. Pour bien administrer un peuple qu’on accable toujours plus d’impôts, alors qu’on déconstruit toujours plus ses biens et services publics, il faut le tenir en respect. On n’aurait pas réprimé avec autant d’assurance les gilets jaunes si la moitié d’entre eux avait eu le droit au port d’arme.

    Pour calmer les contestations légitimes la droite nous parle « sécuritaire ». Il suffirait d’un peu de volonté politique, d’augmenter les moyens de la police, de ressortir le karcher, voir (quand Jean-Michel droitard a un coup dans le nez) « d’envoyer l’armée dans les banlieues » ! C’est méconnaitre la nature des agressions dont nous faisons l’objet que de vouloir appliquer les vieux remèdes à la situation inédite qui est la nôtre. Nous ne subissons pas l’invasion d’une armée régulière et les actes terroristes, aussi terribles puissent-ils êtres, ne sont que la pointe émergée de l’iceberg de l’insécurité. L’ennemi est dans notre pays, dans notre village ou notre quartier, nous sommes forcés de le côtoyer chaque jour et sa carte d’identité à la même valeur que la nôtre. Nous l’avons bien identifié mais il demeure « invisible » aux yeux des institutions avant d’être passé à l’acte. Bernard Wicht l’a bien expliqué dans son ouvrage Citoyen-Soldat 2.0 : « Nos sociétés sont entrées dans l’ère de la « guerre civile moléculaire », c’est-à-dire un type d’affrontement inédit, se déroulant de manière aléatoire dans le cadre de la vie quotidienne, au milieu de la foule, à une micro-échelle, celle du citoyen lui-même, là où équilibre de la terreur ne se mesure plus en mégatonnes nucléaires mais à coups de couteaux et de pistolet ». Même avec la meilleure volonté du monde et en s’en donnant les moyens, l’Etat ne pourrait rien pour nous. Aussi inutile qu’un militaire qui patrouille dans une gare ou un policer qui arrive toujours cinq minutes trop tard.

    Les tensions continuant de monter et l’Etat ne voulant pas mettre un terme à la société capitalisto-multiculturelle par la remigration, la sécession ou tout autre procédé, la société se dirige vers une solution toute trouvée et en adéquation avec le développement de la cybernétique : la surveillance globale. Pour ne pas avoir à désigner l’ennemi et à le surveiller particulièrement, il faut surveiller tout le monde. Vidéo-surveillance, pass sanitaire ou vaccinal, géolocalisation, écoute, … La population utilise tous les moyens technologiques qui le permette, il suffit donc de s’arranger pour récupérer les données d’utilisations. Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à craindre… Nous pensons qu’il s’agit là d’un rêve de boomer qui, isolé dans son pavillon verrouillé à double tour, a peur des jeunes, des extrémistes, du covid et de la vie. Être entourés de racailles et/ou de caméras c’est avant tout être seul et impuissant, c’est la fin de la civilisation telle que nous la concevons.

    Se fondant sur les écrits du philosophe arabe Ibn Khaldûn (1332-1406), l’historien Gabriel Martinez-Gros explique que notre société tend à s’approcher de ce qu’il nomme le « despotisme oriental » : une masse sédentaire, désarmée et fiscalisée, une caste supérieure vivant de cet impôt et une soldatesque barbare chargée de maintenir la « paix ».

    A l’inverse de ce modèle, la tradition européenne est celle de l’autodéfense et du citoyen-soldat. Elle serait d’ailleurs selon Max Weber l’une des causes principales du formidable développement de nos sociétés. « Il en allait tout autrement en Occident. Ici, et jusqu’au temps des empereurs romains, les armées continuèrent à s’équiper par elles-mêmes, qu’elles soient formées par le ban et l’arrière-ban des paysans, par des troupes de chevaliers ou des milices bourgeoises ». Le citoyen de la Grèce antique n’avait droit à la parole sur l’agora que parce qu’il était, ou avait été, hoplite dans les armées de la cité. Les légionnaires romains, les plébéiens, pouvaient faire la « grève de la guerre » lorsqu’une décision des patriciens leur déplaisait, les seigneurs féodaux pouvaient s’opposer à la politique du suzerain en retirant leurs forces de l’ost royale et les communes bourgeoises pouvaient refuser un nouvel impôt en fermant et fortifiant leurs villes. C’est ce relatif équilibre et ces contre-pouvoirs qui ont permis à l’Europe d’avoir ce foisonnement de réflexions divergentes, d’innovations techniques ou artistiques et de préserver une plus grande liberté du citoyen.

    Comme lors de la chute de l’Empire romain ou durant les raids des vikings, sarrasins et hongrois durant l’Empire carolingien, le peuple désarmé se tourne naturellement vers ceux qui peuvent assurer sa défense. D’abord les institutions, qui ne pourront les « défendre » qu’au prix du renoncement de leur liberté comme expliqué précédemment, et vers de nouveaux acteurs qui vont émerger en son sein. Ce sera par exemple la figure du chevalier au début du Moyen-âge. Notre rôle est de devenir l’un de ces nouveaux acteurs et de propager la volonté d’autodéfense autour de nous. Au-delà de la problématique concrète de la sécurité, l’autodéfense est un élément de résurrection de la civilisation : elle n’est possible que dans une véritable communauté, elle oblige à définir le « nous » et le « eux », les droits et les devoirs de chacun, elle crée un espace de liberté au sein duquel peuvent s’épanouir tous les aspects de la vie en communauté : le travail, les arts, la famille, la culture, …

    L’autodéfense ne s’improvise pas mais s’organise intelligemment. Il ne faut pas aller plus vite que la situation. Nous devons remplacer l’Etat à mesure que celui-ci s’efface et ajuster nos moyens en fonction du niveau de la menace. Il est stupide de partir bille en tête s’acheter un fusil automatique sur des réseaux douteux complètements infiltrés par la police. Vous ne l’utiliserez jamais ou juste avant de finir mort ou en prison. Avec la législation en vigueur et en l’état actuel des choses, un groupe de camarades avec des poings, des couilles et du cœur suffit largement.

    « Les longues périodes de paix favorisent certaines illusions d’optique. L’une d’elles est la croyance que l’inviolabilité du domicile se fonde sur la Constitution, est garantie par elle. En fait, elle se fonde sur le père de famille qui se dresse au seuil de sa porte, entouré de ses fils, la cognée à la main. » Ernst Jünger.

    Dextra (Dextra, 20 octobre 2022)

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  • Vers l'autodéfense...

    Les éditions Jean-Cyrille Godefroy viennent de publier un nouvel essai de Bernard Wicht intitulé Vers l'autodéfense - Le défi des guerres internes. Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017) et Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019).

     

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    " Depuis la fin du XXe siècle, le capitalisme financier triomphant a vidé les États de leur substance, les empêchant de remplir leur fonction de protection de leurs populations. Dans l’espace laissé vide, une violence anarchique et capillaire s’est engouffrée. N’étant plus canalisée par le monopole étatique, elle se traduit par un continuum de guerres internes se déroulant au sein même des sociétés. Dans ces conditions, la stratégie doit en revenir aux questions premières : se défendre, identifier l’ennemi et, également, faire société dans un environnement où la nation ne constitue plus un cadre suffisant pour ancrer la cohésion des groupes sociaux, où ce n’est plus l’État, mais l’individu qui est dorénavant l’acteur de la guerre.

    Bernard Wicht nous emmène ainsi sur les traces de l’autodéfense et de son articulation lorsque le citoyen n’est plus un soldat, mais un simple contribuable — autrement dit, un « homme nu » coincé entre les dérives de l’État-policier et le pouvoir arbitraire des nouveaux barbares (narco-gangs, groupes armés, terroristes). Bernard Wicht s’efforce ainsi de mettre en évidence les ressorts de cette autodéfense dont dépend aujourd’hui notre destin. "

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  • Regards sur la guerre...

    La revue Conflits, dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque son treizième numéro hors-série consacré à la guerre.

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    ÉDITORIAL

    Faire la guerre, par Jean-Baptiste Noé

    INTRODUCTION

    Regards sur la guerre, par Olivier Entraygues

    PARTIE 1 THÉORIQUE

    Un piège stratégique : Daech, par Olivier Entraygues

    La planète Terre, theatrum belli, par Olivier Entraygues

    La guerre quantique, par Olivier Entraygues

    Guerres en Europe ? , par Bernard Wicht

    De la défense à l'autodéfense, par Bernard Wicht

    Les chercheurs français en études stratégiques aux prises avec le supplice de Tantale , par Matthieu Chillaud

    Envisager la guerre en coalition bilatérale ou resserrée : Regards croisés français et britannique, par Dominic Morris et François-Joseph Fürry

    PARTIE 2 THÉMATIQUE

    La NATO Response force dans l’OTAN. Entretien avec le GCA Pierre Gillet, propos recueillis par Olivier Entraygues

    Tensions maritimes et développement naval : le retour de la guerre en mer ? , par Arnaud Valli

    La faillite de la puissance aérienne ?, par Serge Gadal

    Intégrer les opérations cyber à la guerre moderne, par Sébastien Picard

    L'influence ou l'introuvable doctrine, par Franck Faubladier

    Comment l’industrie de défense prépare-t-elle la guerre d’après ? , par Arnaud Sainte-Claire Deville

    PARTIE 3 GÉOGRAPHIQUE

    Japon, une nouvelle ère sans guerre ? , par François Dickès

    Les rivages de la guerre : « Quousque tandem abutere, Ancyra, patientia nostra ? », par Pierre Bénizeau

    La France en guerre dans le Sahel, par Benoît Chamberland

    La survie du régime syrien et la faille antiterroriste : un statu quo fragile, par Mohamed-Amine Khamassi

    Guerre et culture stratégique russe, par Jacques Sapir

     

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  • Le citoyen-soldat, le seul système d'arme apte à restaurer la cité...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Bernard Wicht à l'Académie de géopolitique de Paris dans lequel il évoque l’articulation entre puissance militaire et légitimité politique et le rôle du citoyen-soldat. Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017) et Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019).

     

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    L’entretien de Géostratégiques : Bernard Wicht

    Question : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi votre démarche de stratégie prospective se place le plus souvent au niveau des problématiques fondamentales de l’articulation entre puissance militaire et légitimité politique, et la question récurrente dans vos analyses du citoyen-soldat ?

    Bernard Wicht : Au plus tard avec les travaux de Clausewitz, la stratégie moderne a opéré une distinction stricte entre armée / gouvernement / population. Cette dernière est alors complètement passive ; elle n’est plus un sujet mais seulement objet de protection. Cette distinction trinitaire fonctionne tant que l’Etat-nation demeure la forme d’organisation politique la plus appropriée pour faire la guerre, c’est-à-dire pour combattre un autre Etat, un ennemi extérieur commun au moyen d’armées régulières. Cette réalité est codifiée par la formule clausewitzienne, « la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens ». En d’autres termes, la guerre est alors un acte politique à la disposition exclusive de l’Etat. Ce dernier est désormais pacifié à l’intérieur, toute forme de justice privée est bannie et le crime est poursuivi par la police et la justice – l’ennemi est à l’extérieur et le criminel à l’intérieur.  Mais une telle situation est aujourd’hui caduque : avec l’effondrement des nations européennes au cours de la tragédie Verdun-Auschwitz-Hiroshima et, ensuite à partir de 1945, avec le développement exponentiel de la guérilla, des guerres révolutionnaires et des mouvements de libération populaire, le peuple maoïste ou marxiste-léniniste fait son grand retour comme acteur central de la stratégie. Il importe dorénavant de l’encadrer, de lui montrer la voie de sa libération, de lui expliquer les raisons de son combat et de lui fournir le récit idéologique correspondant. Il serait faux de croire que la chute du Mur de Berlin, puis l’implosion du bloc soviétique ont mis fin à ce tournant « populaire » de la stratégie et que celle-ci peut revenir « tranquillement » au modèle clausewitzien de la guerre comme acte étatique au moyen d’armées professionnelles, voire de mercenaires (contractors, sociétés militaires privées). Daech et ses épigones, les gangs latino-américains et les milices ethniques de tout poil en ont fait malheureusement la « brillante » démonstration aux yeux du monde entier : les techniques maoïstes ou marxistes-léninistes de prises en main des populations se sont franchisées (au sens du franchising commercial), elles se sont dégagées du message révolutionnaire, elles sont au service du djihad ou tout simplement d’un contrôle des populations (des favelas, des bidons-villes, des banlieues) par la terreur. On a pu penser un temps que tout ceci ne concernait que le « Sud », que les sociétés n’ayant pas le niveau de modernisation des pays occidentaux. Avec les attentats, les fusillades et les tueries en France, au Royaume-Uni, en Belgique, en Espagne et ailleurs, il a fallu déchanter. Cette réalité a désormais franchi la Méditerranée ; elle est désormais présente chez nous en Europe occidentale, dans les banlieues des grandes métropoles et c’est la principale menace qui pèse aujourd’hui sur nous …. et sur nos enfants – l’ennemi est à l’intérieur !

    Après cette longue entrée en matière, je peux répondre assez simplement à votre question en disant que le paradigme clausewitzien n’est absolument plus pertinent et qu’il est impératif d’en trouver un autre remettant au centre de la réflexion stratégique l’interface armée/cité. C’est pourquoi j’insiste tant sur l’articulation entre puissance militaire et légitimité politique et, surtout, sur ce système d’arme qu’est le citoyen-soldat parce qu’il est un acteur politique et militaire incontournable, le seul et unique apte à restaurer la cité. On le retrouve chez des auteurs aussi différents que Machiavel, Locke, Rousseau, Mirabeau ou Jean Jaurès. En ce qui me concerne, je suis plutôt machiavélien : la res publica, la liberté comme droit de participer à la gestion des affaires de la cité et le peuple en armes. Je suis convaincu que le paradigme machiavélien peut nous apporter des outils de raisonnement décisifs dans le contexte actuel. N’oublions pas que le Chancelier florentin vit une période assez semblable à la nôtre avec la lutte entre factions rivales au sein de la cité, l’importance des intérêts privés au détriment du bien commun et une importante fracture sociale entre citadins riches et paysans pauvres.

    Question : Comment expliquez-vous la difficulté pour les Etats européens de canaliser par la motivation et la mobilisation, le capital guerrier des jeunes générations ?

    Bernard Wicht : L’Etat-nation est en panne de cause. Le récit national est clôt ; il n’est plus en mesure de fournir les repères nécessaires pour se projeter « en avant » et, surtout, il n’est plus adapté pour opérer la distinction ami/ennemi. L’Etat ne parvient donc plus à mobiliser les énergies autour d’un projet commun. Par ailleurs, l’économiste italien Giovanni Arrighi le dit clairement : « L’Etat moderne est prisonnier des recettes qui ont fait son succès », c’est-à-dire l’Etat-providence. Mais, il ne s’agit plus de l’Etat providence au sens bismarckien, garantissant à chacun sa place dans la pyramide sociale sur le modèle des armées nationales. La révolution de 1968, les crises économiques des années 1970, la disparition de l’ennemi soviétique et la globalisation financière ont complètement ébranlé cette pyramide. Aujourd’hui, l’Etat-providence ne parvient plus à garantir « à chacun sa place » ; il n’est plus qu’un distributeur d’aides et de subventions cherchant à maintenir un semblant de stabilité sociale. Tout ceci explique que le capital guerrier des jeunes générations ne s’investit plus dans les institutions étatiques (l’armée notamment). L’historien britannique John Keegan en faisait le constat dès le début des années 1980. De nos jours, le capital guerrier des jeunes a plutôt tendance à migrer vers des activités et des groupes marginaux, là où ils retrouvent un code de valeurs, une forte discipline, la fidélité à un chef et d’autres éléments similaires de socialisation. Le phénomène de radicalisation et de départ pour le djihad en est une illustration particulièrement frappante.

    Question : Pourquoi l’organisation militaire actuelle des Etats est de moins en moins adaptée à la nouvelle donne stratégique ? Et pourquoi affirmez-vous que l’émergence de nouvelles forces sociales est une rupture civilisationnelle ?

    Bernard Wicht : Les différents groupes armés qui s’affirment depuis la fin du XXème siècle, représentent un modèle d’organisation politico-militaire en adéquation parfaite avec la mondialisation parce qu’ils savent 1) se brancher sur la finance globale (en particulier le trafic de drogue), 2) s’adapter à la révolution de l’information en diffusant un récit et une mobilisation des énergies via internet et les médias sociaux, 3) se déplacer furtivement en se fondant dans les flux migratoires. Face à cela, les armées régulières apparaissent comme des dinosaures d’un autre temps : elles sont incapables de fonctionner sans infrastructures lourdes (bases, aéroports, etc.), leurs chaînes de commandement sont à la fois lourdes et excessivement centralisées. Elles n’ont aucune liberté d’action au niveau stratégique. En revanche, les groupes armés bénéficient d’une flexibilité remarquable leur permettant d’agir aussi bien de manière criminelle que politique : c’est ce qu’on appelle l’hybridation de la guerre. Ainsi, un groupe armé subissant des revers sur le champ de bataille conventionnel est capable de basculer très rapidement dans la clandestinité pour entreprendre des actions terroristes. Il ne s’agit pas là d’un simple avantage tactique ou technique, mais d’une mutation en termes structurels. En effet, la formation de ces nouvelles formes d’organisation politico-militaire que sont les groupes armés, relève d’une dynamique d’ensemble à contre-pied de la mondialisation libérale : c’est la réponse-réaction des sociétés non-occidentales qui n’ont pas réussi à accrocher le train de la mondialisation – là où les structures étatiques se sont affaissées (les Etats faillis) – et qui, par réflexe darwinien de conservation, se sont retournées vers des modes d’organisation politique simplifiés et pré-étatiques aussi rustiques que la chefferie et l’appartenance à une forme de « clan » assurant protection. Cette dynamique n’est donc ni irrationnelle, ni passagère ; elle révèle une mutation de l’ordre mondial, une vague de fond. Forgés ainsi à l’aune de la survie, ces groupes armés sont les nouvelles machines de guerre à l’ère de la mondialisation, au même titre que la chevalerie a façonné le Moyen Age et que les armées révolutionnaires françaises ont façonné l’époque moderne. C’est pourquoi il est possible de parler de rupture civilisationnelle. En outre, ces nouvelles machines de guerre ne représentent pas qu’une adaptation réussie de l’outil militaire aux conditions de la mondialisation. Elles s’inscrivent dans une dialectique empire/barbares traduisant la résistance à l’ordre global.

    Question : Pourquoi pensez-vous que la nouvelle forme de conflit n’est plus celle du choc classique de puissance mais bien une longue suite de conflits de basse intensité conduisant à l’effondrement progressif des sociétés européennes ?

    Bernard Wicht : Selon les théories du système-monde proposées par Immanuel Wallerstein et d’autres auteurs à sa suite, les successions hégémoniques d’une grande puissance à une autre sont généralement le fruit de ce qu’ils appellent « une grande guerre systémique ». Typiquement, les guerres de la Révolution et les guerres napoléoniennes accouchent de l’hégémonie anglaise qui se maintiendra jusqu’en 1914. De même, la Première- et la Deuxième Guerre mondiale accouchent de l’hégémonie étatsunienne. Ceci présuppose cependant que le système international soit dominé par plusieurs grandes puissances en concurrence les unes avec les autres. Une telle situation disparaît au plus tard avec la désintégration du bloc soviétique. Et, si aujourd’hui la super-puissance américaine est en déclin, il n’y a aucun challenger digne de ce nom capable de disputer l’hégémonie mondiale et, par conséquent, susceptible de déclencher une guerre systémique de succession hégémonique comme l’Allemagne l’a fait en 1914. De nos jours en effet, la Chine est économiquement très dynamique, mais elle reste un nain en termes financiers et son outil militaire n’est en rien comparable à celui des Etats-Unis. C’est pourquoi, dans ces circonstances, certains historiens de la longue durée émettent l’hypothèse que la prochaine grande guerre systémique pourrait être, en fait, une longue suite de conflits de basse intensité (guérilla, terrorisme épidémique, guerres hybrides, etc.). Or cette hypothèse me paraît particulièrement plausible compte tenu de la réalité actuelle de la guerre. A titre d’exemple, depuis la guerre civile libanaise (1975-1990) le Proche- et Moyen-Orient s’est peu à peu complètement reconfiguré sous l’effet de ce type de conflits : d’anciennes puissances militaires (Syrie, Irak, Lybie) sont en pleine déconstruction tandis que de nouveaux acteurs locaux-globaux (Hezbollah, Hamas) s’affirment avec succès dans la durée ; longtemps acteur stratégique central de cette région, Israël est aujourd’hui totalement sur la défensive. A moyen terme, l’Europe risque fort de subir le même sort. Car j’interprète les actes terroristes intervenus à partir de 2015 comme des signes avant-coureur d’un phénomène semblable ; la dynamique enclenchée au sud de la Méditerranée a atteint dorénavant sa masse critique. Pour reprendre une comparaison tirée de la médecine, la tumeur cancéreuse moyen-orientale commence à diffuser ses métastases. C’est la vague de fond, la mutation à laquelle je faisais référence précédemment.

    Question : Qu’est-ce que la « guerre civile moléculaire » ?

    Bernard Wicht : Pour tenter de conceptualiser la menace susmentionnée à l’échelle de l’Europe, nous avons utilisé la notion de « guerre civile moléculaire » empruntée à l’essayiste allemand Hans-Magnus Enzensberger. Il me semble qu’elle est bien adaptée pour décrire la forme de violence qui touche nos sociétés, à savoir au niveau de la vie quotidienne (sur les terrasses, dans des salles de spectacle, dans des trains), en plein cœur de la foule, employée par des individus seuls ou par de très petits groupes (des fratries dans plusieurs cas) à la fois complètement atomisés dans- et en complète rupture avec le corps social : d’où la pertinence de cette notion mettant en évidence, d’une part, la dimension civile de cette nouvelle forme de guerre et, d’autre part, l’échelle moléculaire à laquelle elle se déroule. Ceci permet également de re-positionner l’équilibre de la terreur. Ce dernier se place désormais non plus au niveau étatique (équilibre militaro-nucléaire), mais à celui immédiat du citoyen qui est devenu tant la cible que l’acteur de cet affrontement. Autrement dit, le couteau, la hache ou le pistolet remplacent l’arme atomique comme outil de dissuasion : d’où l’urgence de repenser le citoyen-soldat dans ce contexte, non plus comme conscrit, mais comme système d’arme à part entière, comme la nouvelle unité militaire de la société. En ce sens, la diffusion du port d’armes et l’échelle du citoyen armé ayant une existence politique et étant acteur stratégique, redeviennent pertinentes face à la nouvelle menace C’est ce que nous nous sommes efforcés d’expliquer dans ce petit ouvrage.

    Question : Du constat terrible que vous faites de la situation des sociétés européennes, ne devrions-nous pas en tirer la conclusion de la nécessité du « tout sécuritaire » ?

    Bernard Wicht : Selon la doctrine classique de l’Antiquité grecque, seul l’hoplite peut restaurer la cité, c’est-à-dire dans notre cas le citoyen-soldat. Comme je l’ai dit plus haut, c’est lui le système d’arme, c’est lui le dépositaire des valeurs civiques de la communauté politique. Aujourd’hui malheureusement, l’Europe prend exactement le chemin inverse ; on assiste à une dérive pénal-carcéral de l’Etat moderne dont la principale préoccupation est précisément le désarmement de ses propres citoyens (voir la nouvelle Directive européenne à ce sujet, élaborée rappelons-le à la demande expresse de la France suite aux attentats de 2015). C’est une réaction typique, mais aussi une grossière erreur que l’on retrouve presque systématiquement lorsque l’Etat se sent menacé de l’intérieur. Plutôt que de chercher l’appui de ses concitoyens, celui-ci se centralise au point de devenir un Etat policier qui finit par s’aliéner toute la population précipitant ainsi, à terme, son propre effondrement. Le spécialiste australien de la contre-guérilla et du contre-terrorisme David Kilcullen qui a fait ses classes sur le terrain au Timor oriental puis en Irak, souligne dans un de ses derniers livres que l’Etat voulant absolument éradiquer le terrorisme, va obligatoirement détruire l’essence même de sa substance, à savoir la société civile et la démocratie. C’est aussi l’analyse que fait le politologue israélien Gil Merom dans son ouvrage, How Democracies Lose Small Wars. Signalons que l’historien français Emmanuel Todd n’est pas très éloigné de telles considérations dans son étude intitulée, Après la démocratie.

    Question : Votre ouvrage ne réduit-il pas exagérément le rôle de la relation politique dans la Cité ?

    Bernard Wicht : Permettez-moi une réponse que vous jugerez sans doute iconoclaste. Hormis les utopies pacifistes du type flower power considérant chaque individu comme un « petit flocon unique et merveilleux », toute forme d’organisation politique viable est généralement basée sur la relation protection contre rémunération. Hobbes est probablement le philosophe qui a le mieux décrit cette équation dans le cas de l’Etat moderne. Dans le Léviathan, il poursuit sa réflexion en rappelant toutefois que le droit à la légitime défense est un droit naturel de la personne humaine que celle-ci récupère immédiatement si l’Etat ne remplit plus son obligation de protection. Or c’est précisément la situation qui se met en place à l’heure actuelle. Le problème, à mon avis, est que le discours politique contemporain brouille complètement les cartes à ce propos : le citoyen n’est plus présenté que comme un contribuable, le peuple qui vote contre l’avis de sa classe politique est victime des sirènes du populisme, toute solution durable ne peut venir que du niveau supra-national et, last but not least, le défi sécuritaire posé par le terrorisme nécessite une limitation drastique des libertés. Répétées en boucle, ces affirmations créent un brouillard suffisamment dense pour laisser croire que la relation politique dans la cité est devenue si complexe, si délicate à gérer, que le citoyen n’est plus en mesure de la saisir et doit, par conséquent, se contenter de payer ses impôts.

    Bernard Wicht (Académie de Géopolitique de Paris, 10 juillet 2018)

     

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  • Fin des Unions d’États et triomphe des acteurs non-étatiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Wicht, cueilli sur Antipresse et dans lequel il indique que les communautés politiques qui survivront au changement d'époque seront celles en mesure d'assurer la protection de leurs membres... Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017) et Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019).

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    Fin des Unions d’États (UE, OTAN) et triomphe des acteurs non-étatiques

    Pourquoi le récit des années 1990 n’est plus adéquat

    Il est frappant de constater combien la classe politique suisse dans sa grande majorité est encore prisonnière du discours des années 1990. Élaboré avec honnêteté et conviction dans le cadre des négociations sur l’Espace Économique Européen (EEE), ce discours insistait sur la nécessité économique pour la Suisse de ne pas s’isoler, de garder ouvert l’accès au Grand Marché européen et voyait dans la construction d’une Union Européenne renforcée un facteur de stabilité en Europe suite à l’effondrement du bloc soviétique. En 1992 (date du vote suisse sur l’EEE), un tel récit avait toute sa pertinence. Aujourd’hui en 2019, c’est-à-dire plus d’un quart de siècle plus tard, il est totalement dépassé. Pourtant, une grande partie de la classe politique suisse continue de le servir à chaque occasion aux citoyennes et citoyens du pays. C’est notamment le cas en ce moment dans le cadre du référendum contre la Directive Européenne sur les armes et sa mise en œuvre en droit suisse.

    Or, comme on va essayer de le comprendre ci-après, de nos jours l’enjeu stratégique a complètement changé: il ne s’agit plus de ne pas s’isoler, mais bel et bien de se protéger. Essayons de comprendre comment et pourquoi un tel renversement est intervenu.

    Les événements ne sont que poussière et ils ne prennent sens que lorsqu’on les replace dans les cycles et les rythmes de la longue durée (Braudel, Wallerstein). En conséquence, il faut se demander si l’on peut expliquer les pannes de l’UE — Brexit, démarche en solitaire de l’Allemagne et de la France avec le traité d’Aix-la-Chapelle, résistances italiennes, défiance de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque — et celles de l’OTAN — dont l’un des membres, la Turquie, combat les alliés kurdes des États-Unis en Syrie tout en se rapprochant la Russie alors que, dans le même temps, l’Alliance organise des manœuvres militaires en vue de contrer une éventuelle invasion russe en direction de la Pologne et des Pays Baltes —, par un changement de cycle macro-historique qui verrait la remise en cause fondamentale de la pertinence du mode d’organisation stato-national.

    Hypothèse iconoclaste sans aucun doute, mais qu’il importe d’examiner dans le contexte actuel si on veut tenter d’appréhender les enjeux stratégiques majeurs plutôt que de céder à la facilité consistant à répéter un discours «clef en main» datant de la fin du siècle passé.

    En effet, dans son histoire du temps long, Fernand Braudel souligne que les institutions sont comme les êtres humains: elles naissent, vivent et meurent. Mais ajoute-t-il, leur cycle de vie est beaucoup plus long que les biographies humaines – le temps des institutions est beaucoup plus lent que celui des hommes. C’est pourquoi ce temps échappe généralement à l’observation et, compte tenu de sa «lenteur», nous avons tendance à penser que les institutions avec lesquelles nous vivons (État, Églises, armée) sont éternelles.

    Aujourd’hui pourtant, ne sommes-nous pas confrontés à la mort progressive d’un système étatique qui a vu le jour grosso modo à la fin de la Guerre de Trente Ans (1648) et qui, avec certaines modifications, s’est maintenu bon an mal an jusqu’au début du XXIe siècle? L’ordre westphalien (du nom de la Paix de Westphalie qui a mis fin à la guerre précitée) était composé d’États souverains en compétition et en lutte les uns contre les autres, ceci conduisant Clausewitz à énoncer que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. A partir de 1945, cet ordre inter-national devient peu à peu supra-national avec la création des grandes organisations onusiennes et, en Europe, avec la construction communautaire (CECA, puis CEE, puis CE et enfin UE). L’objectif explicite de la mise en place de cet étage au-dessus des États, est le «plus jamais ça» en référence au drame en trois actes de la première moitié du XXe siècle – Verdun, Auschwitz, Hiroshima. La cohésion de cet ensemble est garantie par le leadership politique, militaire et monétaire (accords de Bretton Woods) des États-Unis.

    Toutefois, à partir des années 1990, la globalisation du capitalisme fragilise gravement cette ambitieuse construction. Avec la libéralisation des flux financiers, elle dépouille progressivement les États de leurs compétences économiques. Au nom des dividendes des actionnaires, elle désindustrialise l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord (thatchérisme, reaganisme, néolibéralisme). Combinée à la révolution de l’information, elle annule la souveraineté des États permettant à des organisations non-étatiques, transnationales, beaucoup plus fluides de se développer.

    Là aussi, l’explication braudélienne continue d’être éclairante en distinguant, voire en opposant capitalisme et économie de marché: le capitalisme n’est pas l’économie de marché. S’il se construit à partir de celle-ci, sa logique s’en détache complètement parce qu’il n’est ni basé sur les échanges, ni ouvert à tous. Le capitalisme est opaque, limité à un petit cercle d’initiés, il vise l’accumulation et la spéculation financières. Aujourd’hui, cette dynamique capitaliste a atteint sa masse critique. Elle a pris une telle envergure qu’elle assèche l’économie formelle et provoque, en contrepoint, l’explosion de l’économie grise et informelle. La situation est devenue complètement incontrôlable par les institutions en place (États, organisations internationales).

    Le paradigme guerre

    Dans ce contexte, c’est sans doute le paradigme guerre qui est l’élément le plus significatif pour saisir les évolutions en cours. C’est celui qui s’est transformé de la manière la plus radicale… et la plus visible. Groupes armés, narcoguérillas, narcoterroristes, islamistes-djihadistes, gangs militarisés ont su profiter de cette «dérégulation» avec le succès que l’on sait. Et face aux formes de guerres qu’ils pratiquent, tant l’ONU, l’UE que l’OTAN sont devenus largement inefficaces.

    Or, Charles Tilly enseigne que la guerre fait l’État. Il faut déduire de cette formule que, si la guerre se transforme, l’État en subit alors automatiquement le contrecoup en vertu du principe la fonction crée l’organe: lorsque la première disparaît ou change profondément de nature, le second s’atrophie ou mute de manière fondamentale.

    Ouvrons une parenthèse pour dire que la prise de conscience d’une telle réalité n’a pas encore eu lieu. Certes, le «tremblement de terre» est bien perçu, il fait peur, mais il n’est ni compris, ni expliqué. Face à leur sentiment d’impuissance, les États et les organisations susmentionnées sont entrés dans l’ère de l’incantation droit-de-l’hommiste et, pire encore, de la désignation de coupables «immédiats»: les terroristes et, surtout, les populistes. Ces derniers – de Trump aux gilets jaunes – pointent du doigt (parfois maladroitement) la profonde inadéquation du système actuel avec les besoins des citoyennes et citoyens. Ils sont alors irrémédiablement qualifiés d’extrémistes faisant le lit d’un fascisme-nazisme qui serait en plein retour. C’est la reductio ad hitlerum dont les médias mainstream se font volontiers l’écho et qui a pour effet d’évacuer tout effort d’analyse au profit d’une commode extrapolation du passé récent de l’entre-deux-guerres. Peu ou pas de volonté de comprendre ce qui se passe – la reductio ad hitlerum est intellectuellement confortable!

    Revenons à la transformation de la guerre et à ses effets. Que peut-on en dire du point de vue du temps long historique?

    1) Si l’État et ses avatars que sont les Unions d’États (UE, OTAN) ne sont plus les formes d’organisation les mieux adaptés pour faire la guerre, alors on peut supposer que nous sommes à la fin d’un cycle historique de près de 400 ans (de 1648 à nos jours). La guerre étant, avec l’économie, le principal moteur des transformations historiques, les formes des communautés politiques découlent de ces deux paramètres et de leur aptitude à combiner efficacement les moyens de faire la guerre et les ressources pour entretenir ces moyens. C’est le couple contrainte (moyens)/capital (ressources) mis en œuvre par Tilly pour expliquer le processus de formation et de dé-formation des unités politiques. D’où sa fameuse phrase:

    « Les empires, les royaumes, les cités-Etats, les fédérations de cités, les réseaux de seigneurs terriens, les Églises, les ordres religieux, les ligues de pirates, les bandes de guerriers et bien d’autres formes d’organisation de pouvoir prévalurent en Europe à différentes époques durant le dernier millénaire. La plupart de ces organisations méritent le titre d’État d’une manière ou d’une autre, parce qu’elles contrôlèrent les principaux moyens concentrés de contrainte dans le cadre de territoires délimités et exercèrent leur droit de priorité sur toutes les autres organisations qui agissaient sur leur territoire».

    2) Entre 1648 et 1945, l’Etat-nation a représenté cette meilleure synthèse pour faire la guerre: ceci explique la diffusion quasi universelle de ce modèle d’organisation étatique jusqu’à le considérer, à partir de la Révolution française, comme l’aboutissement ultime et le plus accompli de toutes les constructions politiques (Hegel et l’Esprit du monde). Or, avec la transformation de la guerre et la globalisation financière, le paradigme étatique moderne est remis en cause dans ses fondements parce qu’il n’est plus la synthèse la mieux adaptée pour faire la guerre et que, du point de vue économique, il est «prisonnier des recettes qui ont fait son succès» (G. Arrighi), c’est-à-dire l’Etat-providence. La fin du cycle hégémonique américain vient encore faciliter la transition vers d’autres formes d’organisation militaro-politique. Car, le déclin rapide de la superpuissance états-unienne et l’absence de challenger apte à reprendre le leadership mondial (ni la Chine, ni la Russie n’en ont actuellement les qualités), créent une situation de «Grand Interrègne» et de désordre international: une sorte de chaos systémique profitant aux acteurs non-étatiques en guerre un peu partout dans le monde.

    3) On l’a dit, la guerre s’est transformée radicalement. De nos jours, elle n’est plus inter-étatique, mais infra-étatique et conduite par des acteurs plus proches des gangs que des armées régulières. Les grandes guerres systémiques (Guerre de Trente Ans, Guerres napoléoniennes, Guerres mondiales) qui ont accouché des différents ordres hégémoniques mondiaux cèdent désormais la place à de longues séries de conflits de basse intensité démembrant les États et donnant l’avantage aux acteurs précités dont la structure non-bureaucratique, non-territoriale et transnationale permet toutes les flexibilités nécessaires. Cette structure est basée sur 1) des fidélités personnelles, 2) le contrôle de certaines franges de population à la fois par la contrainte et la prise en charge de leurs besoins de base (soins, alimentation, parfois scolarisation idéologiquement orientée), 3) le financement via l’économie grise et informelle.

    Ce phénomène a débuté (Acte I) avec la Guerre civile libanaise (1975-1990) qui a servi de laboratoire, a pu ensuite se diffuser en raison de l’effondrement du bloc soviétique (1989-1991), puis a atteint sa vitesse de croisière (Acte II) avec le lancement de la War on Terror par Washington, à partir des attentats du 11 septembre 2001 (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie). Depuis, le phénomène ne cesse de s’étendre, notamment à l’Afrique subsaharienne et jusqu’au Nigéria avec Boko Haram, sans oublier la Corne de l’Afrique (Acte III). Aujourd’hui, si les Actes I à III ont pratiquement abouti au démembrement des États de toute cette région, l’Acte IV a démarré en Europe occidentale, au plus tard avec les attentats terroristes de 2015. Cette nouvelle phase d’expansion ne peut que s’amplifier compte tenu de l’inadaptation de plus en plus manifeste des États à ce type de menace et de guerres. Comme dans tout conflit de longue durée, c’est la découverte de l’antidote militaro-économico-institutionnel qui permettra d’y mettre fin.

    Ce dernier élément, en lien avec l’approche de Tilly, est un des principaux enseignements à retenir de l’histoire de la longue durée: il en ressort que la résilience des formes d’organisation politique ne dépend ni des décisions de la classe politique au pouvoir, ni de la signature de traités internationaux, ni de la mobilisation (des jeunes et des moins jeunes) en faveur de certains sujets de société «dans l’air du temps» (par exemple, en ce moment, le réchauffement climatique). Non! Le processus n’est ni éthique, ni moral, encore moins «tendance»; il est d’essence darwinienne – adaptation et survie. Dans le contexte actuel marqué par l’état d’esprit «chacun d’entre nous est un petit flocon unique et merveilleux», il est évident que de telles considérations, pourtant tirées de l’outillage de la longue durée, risquent fort d’être qualifiées de cryptofascistes… et pourtant… (eppur…, comme disait Galilée devant le tribunal de la Sainte Inquisition).

    Un désarmement opportun

    Dès lors, et pour continuer avec Galilée sur la piste de l’hérésie, à l’heure actuelle les communautés politiques susceptibles de survivre au chaos mondial, susceptibles de se protéger elles et leurs enfants, ne sont pas celles correspondant au modèle dominant calé sur «plus d’Europe et moins de nations», sur «plus de sécurité et moins de liberté». Au contraire, ce sont celles que la grande presse tend généralement à diaboliser, celles qui se rebellent, celles qui ont encore une identité (aujourd’hui qualifiées de populistes), celles qui souhaitent maintenir leurs frontières (aujourd’hui qualifiées de nationalistes) et celles qui ont encore envie de se battre (aujourd’hui qualifiées de dangereuses). En d’autres termes, toutes celles qui n’ont pas envie de se dissoudre dans le politiquement correct au nom du libre-échange… et de cet autre argument plus récent sur la protection des espèces menacées par l’Homme, c’est-à-dire au nom de slogans curieusement apparus avec la globalisation financière, les macrospéculations boursières et les subprimes… Il est vrai que le capitalisme goûte peu la contestation populaire, surtout lorsque le peuple est armé.

    Vivant à l’ère du premier capitalisme, Machiavel l’avait bien compris lorsqu’il écrivait à ce propos: le riche désarmé est la récompense du soldat pauvre (L’art de la guerre).

    Tiens, l’UE veut désarmer les citoyens européens… Étrange coïncidence!

    Bernard Wicht (Antipresse, 21 avril 2019)

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