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élections présidentielles

  • Élection présidentielle : les médias de grand chemin ont sorti l’artillerie lourde...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse de l'Observatoire du journalisme consacré à la campagne médiatique massive qui a d'abord visé Eric Zemmour puis Marine Le Pen, ostracisant ainsi 13 millions d'électeurs...
     

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    Élection présidentielle : les médias de grand chemin ont sorti l’artillerie lourde pendant la campagne électorale
     
    Si certains pensaient que le respect du pluralisme avait fait des progrès en France, ils en sont pour leurs frais. Alors que 13 millions d’électeurs ont porté leurs suffrages à Marine Le Pen lors du 2ème tour de l’élection présidentielle, le Rassemblement National et ses soutiens continuent à être stigmatisés et à être considérés comme infréquentables. Avant le premier tour, c’est Éric Zemmour qui subissait les foudres de l’oligarchie médiatico-politique. Dans cette mise au ban, les médias de grand chemin prennent toute leur part. Nous en avons parlé brièvement le 25 avril 2022. La revue de presse qui suit rentre plus dans le détail.
     

    Le paratonnerre Zemmour

    De nom­breux com­men­ta­teurs de la vie poli­tique en con­vi­en­nent : Éric Zem­mour a durant la cam­pagne élec­torale précé­dant le 1er tour de l’élection prési­den­tielle servi de para­ton­nerre à Marine Le Pen. Les médias de grand chemin ont en effet fait feu de tout bois pour écarter le can­di­dat Éric Zem­mour du cer­cle de la respectabil­ité et l’ostraciser.

    L’OJIM y a con­sacré quelques arti­cles, notam­ment à l’occasion d’un meet­ing à Nantes, d’un déplace­ment à Mar­seille et d’une tri­bune des « jour­nal­istes-pas-com­plices ».

    L’approche du 2ème tour de l’élection prési­den­tielle a été mar­quée par un retourne­ment de sit­u­a­tion. De nom­breux « peo­ple » et jour­nal­istes ont rival­isé d’efforts pour dia­bolis­er le vote en faveur de la can­di­date du Rassem­ble­ment national.

    Les médias de grand chemin en campagne pour Emmanuel Macron

    Pour ne citer que deux exem­ples des nom­breuses tri­bunes appelant à faire bar­rage à Marine Le Pen, le 15 avril, dans L’Express, un col­lec­tif de pro­fes­sion­nels de san­té expri­mait « sa préoc­cu­pa­tion quant au pro­jet porté par la can­di­date du RN ».

    Le 20 avril, Libéra­tion nous infor­mait que « près de 300 per­son­nes issues du monde du sport se sont rassem­blées à la Mai­son du judo à Paris pour appel­er à faire bar­rage à l’extrême droite le 24 avril ».

    Mais les médias de grand chemin ne se sont pas con­tentés de relay­er des appels à vot­er en faveur d’Emmanuel Macron. Nom­bre d’entre eux ont de façon totale­ment décom­plexée fait eux-mêmes cam­pagne pour le can­di­dat LREM.

    Les exem­ples de ce par­ti-pris sont innombrables :

    Le 8 avril, Chal­lenges entendait nous faire savoir « com­ment Marine Le Pen cam­ou­fle ses folies budgé­taires ».

    France 24 repre­nait mot pour mots le ver­ba­tim de mil­i­tants écol­o­gistes dans un arti­cle au titre inquié­tant : « avec Marine Le Pen au pou­voir, “il n’y aurait aucun espoir” pour la planète ».

    Le Parisien n’a égale­ment pas ménagé ses efforts pen­dant la cam­pagne élec­torale pour ori­en­ter le choix de ses lecteurs. Le 19 avril, il s’agissait de met­tre en lumière « les 5 failles du pro­gramme économique » de Marine Le Pen.

    Ce qui fut jadis un jour­nal de référence et qui est devenu un jour­nal de déférence à l’idéologie “woke”, Le Monde, nous met­tait grave­ment en garde le 9 avril : « absten­tion, extrême droite, les pièges du pre­mier tour».

    Le Figaro, à l’image d’une grande par­tie de son lec­torat, a mul­ti­plié les arti­cles très cri­tiques à l’encontre de Marine Le Pen, tout en ménageant Emmanuel Macron, présen­té comme plus « raisonnable », bien qu’il ait lit­térale­ment « cramé la caisse » durant son mandat.

    Le ser­vice pub­lic de radiod­if­fu­sion, fidèle à son ori­en­ta­tion idéologique, n’a pas été en reste. Pour ne don­ner qu’un exem­ple, le 19 avril, dans un nou­v­el exer­ci­ce de dia­boli­sa­tion, France Info entendait nous démon­tr­er «pourquoi le pro­gramme de Marine Le Pen reste ancré à l’ex­trême droite, mal­gré la dédi­a­boli­sa­tion ».

    Par­fois, des médias ont util­isé les car­i­ca­tures les plus abjectes pour dia­bolis­er la can­di­date du RN, à l’image du site d’information Politico.eu, qui a représen­té avant le 2e tour Marine Le Pen en men­ace gri­maçante de «la fin de l’Europe ». Rien que ça ! Ou bien Cour­ri­er inter­na­tion­al (voir notre papi­er du 25 avril supra)

    Les informations auxquelles vous avez échappé

    Cha­cun se sou­vient que durant la cam­pagne élec­torale en vue de l’élection prési­den­tielle organ­isée en 2017, les médias de grand chemin ont mené tam­bour bat­tant un sto­ry­telling ali­men­té par les casseroles de François Fil­lon et ses démêlés judi­ci­aires. Chaque jour appor­tait son lot de nou­velles révélations.

    En 2022, le con­traste a été sai­sis­sant. Les affaires Mc Kin­sey (« Mc Kin­sey gate »), Roth­schild (« Roth­schild gate ») et les accoin­tances trou­blantes entre Ursu­la Von Der Leyen et Emmanuel Macron mis­es en lumière par le site Breizh info, ont avant le pre­mier tour de la prési­den­tielle rapi­de­ment déserté les jour­naux télévisés et les autres médias.

    Tout sem­ble avoir été fait pour laiss­er une paix royale au can­di­dat Macron, un can­di­dat aux innom­brables casseroles (celles que nous venons de citer, Fes­sen­heim, Alstom, endet­te­ment faramineux du pays etc.), au pro­gramme poli­tique famélique, dévoilé au dernier moment. Un can­di­dat qui par ailleurs n’a con­cédé par­ticiper qu’à un seul débat con­tra­dic­toire lors de l’entre-deux tours.

    Cela ame­nait Anne-Sophie Chaz­a­ud à com­menter sur Facebook :

    « En France, au regard de la quin­zaine pro­pa­gan­diste pro-Macron absol­u­ment déli­rante et car­ac­téris­tique d’une République bananière que nous venons de vivre, il n’a même pas été néces­saire d’activer plus qu’à l’accoutumée des dis­posi­tifs spé­ci­aux de cen­sure sur les réseaux : les médias ont fait le boulot tout seuls, spon­tané­ment, en amont ».

    Difficile liberté d’expression

    Dans ce con­texte, il faut saluer les rares voix dis­cor­dantes dans le con­cert de louanges envers le can­di­dat Emmanuel Macron. Nous en citerons deux.

    Tatiana Ven­tôse ani­me avec un suc­cès pop­u­laire cer­tain l’émission Fil d’actu sur YouTube. A l’issue du pre­mier tour de la prési­den­tielle, la jour­nal­iste indépen­dante issue de la France insoumise a essayé de lancer un appel à vot­er con­tre Emmanuel Macron lors de 2e tour. Elle décrit dans une vidéo l’impossibilité à laque­lle elle a été con­fron­té de men­er son pro­jet à bien. Elle décrit en par­ti­c­uli­er l’impossibilité dans le milieu des intel­los, pré­caires ou pas, à affich­er des con­vic­tions « déviantes ».

    Au final, l’appel qui devait paraître dans le jour­nal Mar­i­anne n’a jamais vu le jour, bien que T. Ven­tôse ait recueil­li quelques signatures.

    Elle donne un autre exem­ple, qui con­cerne une inter­view d’un jour­nal­iste qui souhaitait témoign­er de son oppo­si­tion à Macron durant l’entre-deux tours au micro d’une radio de grande audience.

    L’interview n’a jamais été dif­fusée en rai­son de nom­breuses pres­sions au sein de la radio. On ne sait pas de quel média il s’agit, les noms ayant été gardés anonymes pour préserv­er la volon­té des intéressés. Ces deux exem­ples mon­trent une nou­velle fois le cli­mat de ter­reur intel­lectuelle, en par­ti­c­uli­er dans le milieu des médias, qui règne en France, un pays dont les dirigeants ne cessent de se gar­garis­er de mots ron­flants tels que « droits de l’homme», « démoc­ra­tie », « état de droit ».

    Del­phine Wespis­er est une anci­enne Miss France qui a des opin­ions poli­tiques et ne s’en cache pas. Dans une vidéo mise en ligne sur Twit­ter, elle explique son sou­tien à Marine Le Pen pour le 2e tour de l’élection prési­den­tielle. À la suite de cette mise en ligne, Del­phine Wespis­er a subi une avalanche d’insultes et de pro­pos peu amènes sur les réseaux soci­aux. Elle a égale­ment, selon 20 Min­utes, été écartée jusqu’à la fin du sec­ond tour de la prési­den­tielle de l’émission « Touche Pas à Mon Poste ». Le quo­ti­di­en gra­tu­it apporte une autre infor­ma­tion : « Après avoir défendu Marine Le Pen, (elle) a pris une déci­sion rad­i­cale : elle ne par­lera désor­mais plus jamais de poli­tique ». Une nou­velle preuve que dans la France de 2022, la lib­erté d’expression est un con­cept par­fois vide de sens.

    Nous ter­minerons cet arti­cle par un extrait de la vidéo de Tatiana Ventôse :

    « On est dans une péri­ode où se passe exacte­ment ce qu’on avait prédit si Marine Le Pen arrive au pou­voir. On n’est pas cen­sé être dans cette péri­ode-là. On n’est pas cen­sé être dans une péri­ode où l’on cen­sure la presse, où des gens se font vir­er parce qu’ils ont pris hors antenne des posi­tions poli­tiques, (…), où penser d’une cer­taine manière est pro­hibé, et si tu pens­es d’une manière un peu dif­férente, tu es mis à l’index, tu es mar­gin­al­isé, voire on te garan­tit une mort économique et sociale, et puis démerde toi… »

    Dans l’océan de con­formisme ambiant, il reste quelques vigies autour du flam­beau de la lib­erté d’expression plus que jamais menacée.

    Observatoire du journalisme (Observatoire du journalisme, 2 mai 2022)

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  • Comment les peuples se donnent des maîtres...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie, en partenariat avec la Fondation du Pont-Neuf, viennent de publier un essai de Christophe Boutin et de Frédéric Rouvillois intitulé Les parrainages ou comment les peuples se donnent des maîtres. Christophe Boutin est docteur en sciences politiques et professeur de droit public à l’université de Caen ; Frédéric Rouvillois est professeur de droit public à l’université Paris-Descartes et délégué général de la Fondation du Pont-Neuf. En 2000, ils ont rédigé ensemble un essai prophétique et salué par la presse, Quinquennat ou septennat (Flammarion), sur le raccourcissement du mandat présidentiel. Ils récidivent aujourd’hui.

     

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    " Comment donc est-on passé d’une situation où il suffi sait de cent parrains anonymes pour se présenter à l’élection présidentielle, à un système qui en exige cinq cents dont tous les noms doivent être publiés ? Pourquoi le général de Gaulle aurait-il préféré limiter à cinquante parrains, tandis que Pompidou et Giscard d’Estaing en réclamaient cinq mille ? Pourquoi le système actuel, qui, depuis 1981, suscite à chaque échéance présidentielle un psychodrame à rebondissements, un mercato des parrainages et un réel malaise démocratique, n’a-t-il jamais été démantelé ? Quelles seraient les meilleures solutions pour en sortir ? Telles sont certaines des questions auxquelles cet essai incisif tente d’apporter des réponses claires et informées. "

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  • Zemmour et les cinq cents signatures...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Rodolph Cart, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la candidature d'Eric Zemmour à l'élection présidentielle.

     

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    Pourquoi il ne faut pas qu’Éric Zemmour ait ses 500 signatures

    Le ticket à la grande parade présidentielle coûte cher. Certains s’en plaignent, et pas des moindres. En effet, depuis plusieurs semaines, quelques candidats parmi les plus sérieux – en l’occurrence Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen – se plaignent de rencontrer des difficultés dans la récolte des fameux sésames. De peur d’être mis sur le carreau de la bacchanale républicaine qu’est l’élection présidentielle, chacun à tour de rôle relève une « situation de blocage », un « bluff » ou une « galère » du système qui permettraient, selon eux, d’opérer une épuration injuste des candidatures « hors système ».

    Si ces jérémiades semblent faire partie de la guignolade victimaire et habituelle des candidats de La France insoumise ou du Rassemblement national, la chose paraît moins feinte dans le cas du candidat de Reconquête qui pourrait, possiblement, ne pas récolter ses 500 signatures. Cependant, au lieu de voir dans cette situation un déni de démocratie, ne pourrions-nous pas apercevoir, dans ce camouflet, la lueur d’une formidable opportunité d’émergence d’une opposition au système en place qui dépasserait, de loin, une candidature qui semble perdue d’avance ? Et est-ce que la mise au ban du candidat Zemmour ne pourrait-elle pas dépasser, et même décupler, les effets d’une candidature de témoignage censée préparer le terrain pour 2027 ou 2032 ? Penchons-nous sur cette possibilité.

    État des lieux du paysage politique

    Pour bien comprendre l’enjeu de ce moment politique, il nous faut revenir sur quelques chiffres. D’abord, les dernières élections régionales ont marqué une nouvelle étape dans l’absentionnisme, déjà croissant d’année en d’année, avec 66,72 % d’abstention lors du premier tour. Nous avons même une pointe chez les jeunes de 18 à 24 ans à 87 % et à peu près équivalente chez les bas-revenus. Rappelons aussi qu’aux dernières législatives, le taux d’abstention atteignait déjà des records avec 51,3 % au premier tour, puis 57,36 % au second. La fracture entre le pouvoir politique et des citoyens ne se sentant plus représentés ne datent par conséquent pas d’hier. Autre chiffre parlant, les trois principaux candidats opposés au président sortant, ceux qui rencontrent des difficultés pour les parrainages, représentent près de la moitié des intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle actuelle. L’éviction de ces candidats pourrait donc renforcer cet écœurement légitime de l’opinion et porter, une fois de plus, un coup sérieux à cette pantomime qu’est la souveraineté populaire. Si même l’élection présidentielle voyait son taux de participation chuter en flèche, alors il est certain que l’empêchement et le refus de prise en compte de l’expression du peuple, consubstantiel au système actuel, seraient encore plus mis à jour et flagrants. La sous-représentation d’un bloc majoritaire et son effacement au moment de l’élection ne pourraient rester, encore longtemps, sans répercussions tangibles et sérieuses. Cet ersatz de démocratie fut déjà analysé par Christophe Guilluy lorsqu’il affirmait que « dans les stratégies électorales, les partis ne s’adressent plus qu’aux catégories supérieures et aux retraités ».

    Le mythe de la représentation

    Cette négation de la dimension populaire ne date pas d’aujourd’hui. En réalité, la République française, et cela dès son départ, s’appliqua à nier la moindre réclamation allant à l’encontre des dessins des élites bourgeoises. Elle se constitua comme l’ennemi du populisme dès son premier souffle. L’exclusion du peuple fut entérinée par la Convention de 1792 lorsqu’elle se constitua sur un corps électoral vierge de toute souche « prolétarienne ». Marx l’avait déjà constaté lorsqu’il analysait que la classe révolutionnaire par excellence était la bourgeoisie. De sorte que la Révolution n’aura été l’affaire que d’une minorité dont le Parti socialiste et les Républicains, lorsqu’ils votèrent en 2016 ensemble la modification de la loi durcissant l’accès à l’élection présidentielle, sont les dignes héritiers, tout comme le gouvernement Jacques Chirac, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le fut aussi lorsqu’en 1976, il ouvrit la voie de la publicité des soutiens et de l’augmentation des signatures exigées de 100 à 500. Les lois de la République, depuis 1792 et jusqu’à aujourd’hui, n’ont jamais été que les desiderata d’une minorité agissante. Et le système républicain une machine excellemment pensée et instituée pour qu’elle puisse, selon la phrase de Paul Valéry, « empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ».

    La souveraineté du peuple est donc limitée au jour du vote. Chose dont Rousseau dira, évoquant le peuple anglais : il « pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien ». La République n’a jamais défendu la souveraineté populaire. Bien au contraire, elle en a été plutôt le fossoyeur, lui préférant la souveraineté parlementaire dont Sieyès était le prophète. De ce point de vue, l’obstruction à la candidature d’Éric Zemmour, si elle devait s’avérer effective, ne ferait que raviver dans l’esprit des citoyens le souvenir d’un lien rompu depuis bien longtemps. Tant il est vrai que la scission des élites et du peuple n’a rien d’un phénomène nouveau, l’objectif premier des Républiques consistant à se perpétuer dans le sillage de cette démocratie libérale, trompeuse, oligarchique.

    Seule peut-être la Ve du général de Gaulle, et uniquement à ses débuts (et non après ses nombreux travestissements constitutionnels), pourrait être considérée comme une rupture, en déphasage avec l’exclusion historique du peuple. L’élection présidentielle au suffrage universel pouvant alors être perçue comme la rencontre d’un homme et d’une majorité sous une forme plébiscitaire. Déjà à l’époque, les tenants du parlementarisme classique, les ancêtres de nos chers allergiques au peuple, percevaient cette onction du peuple comme la mort des libertés ou la possibilité de l’émergence de nouveaux Césars. Alors que quelques rares voix discordantes, comme celle de Maurice Duverger, y décelaient plutôt un ferment propice à la rénovation de nos institutions.

    Comment libérer le « souverain captif »

    Or, nous constatons, et cela même sous l’ère du suffrage universel, que des procédures d’exclusion et de neutralisation perdurent, alors que le vote censitaire a disparu. L’augmentation du nombre de signatures et la publicité qui en est donnée l’attestent ; elles ne peuvent être comprises que comme des modifications des règles du jeu aptes à toujours favoriser l’oligarchie et les partis complices du système. Si les régimes précédents, comme le Directoire, se fondaient sur un suffrage censitaire qui perdurera tout au long du XIXe siècle en excluant les « classes dangereuses » ; de nos jours, la combinaison du scrutin majoritaire et de l’abstention reproduit, en réalité, une situation similaire à celle des méthodes antérieures d’exclusion. Seule l’élection présidentielle résiste à cette désaffection croissante et à cette situation. Mais jusqu’à quand ?

    L’exclusion du candidat Zemmour pourrait bien être le point de bascule. Celui qui ferait de l’élection présidentielle, à partir de cet empêchement, une élection comme les autres, dès lors discréditée aux yeux des Français. Une élection réduite, au même titre que les scrutins intermédiaires, au rassemblement en petit comité des inclus, des habitants des métropoles mondialisées, des bourgeoisies de droite et de gauche, des retraités et des fonctionnaires reproduisant une élection censitaire de fait. Le rappel des chiffres de la dernière élection présidentielle, celle de 2017, sont éloquents. Macron fit 15 % au premier tour des inscrits, ce qui ne l’empêcha pas d’avoir la majorité absolue lors de l’élection législative qui suivit. Pendant ce temps, Le Pen, Mélenchon et Dupont-Aignan récoltaient 45 % des votants quand, aux législatives, l’addition des trois ne représentait que 4 % de la représentation nationale.

    L’élection présidentielle, par son haut taux de participation, demeure le dernier rituel de légitimation républicaine. Mais force est de constater que même ce dernier artifice, déjà si précaire comme les chiffres l’attestent, peine à dissimuler une démocratie-témoin qui tient dans les mains d’un petit nombre. Cette dernière et si fragile cérémonie de légitimation subira peut-être bientôt le même destin que les autres élections marquées par le désintérêt, l’indifférence et la dévalorisation – et l’éviction de Zemmour en serait alors l’accélérateur final. Si cette pente devait être suivie, la dernière « charpente républicaine », celle qui tient encore l’édifice républicain de cette « démocratie Potemkine » selon la formule de Patrick Buisson, pourrait ainsi se fracturer définitivement et dévoiler, à la vue de tout monde, l’incroyable supercherie qu’elle cache toujours plus périlleusement. L’ultime parade de l’apparence légale, derrière laquelle la classe dirigeante se cache pour asseoir son pouvoir, disparaîtrait pareil à un voile qui se lève. Le peuple serait directement confronté à la situation d’une captation minutieusement cachée : celle à laquelle une minorité se livre dans le seul but de privatiser les instruments de l’État au détriment du bien commun.

    L’échec d’Éric Zemmour à recueillir ses 500 signatures pourrait fournir cette dynamite capable de faire exploser ce dernier rempart qui fait obstacle à une confrontation ouverte entre le peuple et les élites républicaines. Une telle explosion, un tel dynamitage signifierait la libération du « souverain captif », à savoir la majorité du peuple français. L’illusion du vote, celui mis en place par la classe dirigeante pour se protéger de la tyrannie de la majorité de Tocqueville, volerait en éclat et supprimerait cette technique du miracle républicain dont Coleridge a pu dire qu’elle est « une suspension de l’incrédulité ». Nerf contre nerf, l’ère d’un basculement politique pourrait être, plausiblement, pris en compte comme une hypothèse sérieuse.

    La perte de légitimité

    La classe dirigeante a très bien compris cette situation. Les évocations du vote obligatoire, de la prise en compte du vote blanc ou du rassemblement des scrutins nous démontrent que la minorité au pouvoir a bien saisi ce « coup de semonce ». Au-delà de ces différentes pistes, la voie qui semble avoir été prise est celle de la gestion de la peur. Si le peuple ne se sent pas représenté, il faut, afin de maintenir un sentiment de légitimité, au moins qu’il sente que le gouvernement actuel est le seul capable de le protéger. Qu’il tâche d’incarner le parti de l’Ordre.

    Lors de la crise des Gilets jaunes, l’analogie entre Thiers et Macron fut particulièrement éclairante. À l’occasion d’une rencontre diplomatique organisée à Versailles, ce dernier n’hésita pas à prétendre que « Versailles, c’est là où la République s’était retranchée quand elle était menacée ». La République en revient donc à sa meilleure technique de gestion des crises qui repose sur la manipulation brutale du sentiment de la peur et l’envoi de la canonnière. Confronté à un bloc majoritaire reconnaissant de moins en moins la légitimité du pouvoir et face à des soulèvements sans précédent dans l’histoire récente, le pouvoir décida de miser sur la spéculation autour des peurs. Peur du retour de la peste brune, peur du populisme, peur du nationalisme, peur du souverainisme, peur de la crise économique, peur du racisme, peur de la pandémie, peur du réchauffement climatique, peur de l’islamisme, peur du repli sur soi… Or, jouer sur la peur pourrait bien s’avérer être une aventure risquée, qui pourrait, qui sait, se retourner contre le pouvoir lui-même. Avant, on proclamait qu’il ne fallait pas « désespérer Billancourt » ; la République actuelle, pour se maintenir, pourrait faire sien le slogan suivant : « Il faut terroriser la Métropole et écraser la Périphérie ».

    Le droit de commander et le devoir d’obéir

    Pour bien comprendre l’articulation, si difficile à saisir par bien des aspects, de la légitimité, entre le peuple et le gouvernement, il faut en appeler à un penseur italien, à cheval sur le XIXe et le XXe siècles, qu’est Guglielmo Ferrero. Pour lui, la légitimité du pouvoir politique ne tient que sur la peur réciproque, laquelle maintient une relation entre les gouvernants et les gouvernés. À évocation de cette idée du désir d’ordre dans une société, le penseur italien pouvait dire que « le pouvoir est à l’origine une défense contre les deux plus grandes frayeurs de l’humanité : l’anarchie et la guerre ». Mettant au centre de sa réflexion la notion de peur, il continuait en affirmant que « si les sujets ont toujours peur du Pouvoir auquel ils sont soumis, le Pouvoir a toujours peur des sujets auxquels il commande. […] Tous les Pouvoirs ont su et savent que la révolte est latente même dans l’obéissance la plus soumise, et qu’elle peut éclater un jour ou l’autre, sous l’action de circonstances imprévues. » De cette manière, il faut impérativement qu’il y ait un principe de légitimité reconnue entre les gouvernants et les gouvernés de sorte que « dans l’ordre politique, Caïn représente les hommes destinés à commander, Abel, ceux destinés à obéir ». Guglielmo Ferrero voyait quatre principes de légitimité pouvant opérer ce lien : principes héréditaire et aristo-oligarchique, puis le principe démocratique et le principe électif. Il aura cette belle formule sur la légitimité en disait qu’elle est ce qui « adoucit le pouvoir », ce qui établit le droit de commander et le devoir d’obéir.

    Ces quatre principes de légitimité peuvent se combiner et nous donnent, dans le cas de la Ve République après son pourrissement commencé sous VGE et accentué sous Mitterrand, une République démocratique à élections oligarchiques. Non pas aristocratique dans le sens des « meilleurs » mais bien oligarchique, et c’est là que réside une part du problème, puisque l’élection ne se fait que sur un principe électif limité, ou oligarchique, dans la réalité des faits. Effectivement, l’élection ne se fait qu’au sein de la classe dirigeante elle-même, car comment ne pas voir dans les primaires une analogie avec les candidatures officielles du Second Empire sous Napoléon III. L’élection présidentielle et l’élection législative n’ont-elles pas été basées, pendant plus de 30 ans, sur l’opposition entre deux forces politiques hégémoniques qui choisissaient elles-mêmes les candidats éligibles au sein d’un même vivier excluant la quasi-totalité des autres acteurs de la politique. Cette procédure de re-légitimation ne prend pas appui sur le peuple. « République du centre », « UMPS », « cercle de la raison », « cordon sanitaire » ou encore « alternance unique » sont les différentes appellations d’un même phénomène dont Macron sera l’incarnation parfaite avec le rassemblement, dans le cas de son électorat, de la bourgeoise de droite et de gauche. Macron personnifia la nécessité de dévoiler une partie de cette supercherie qui tenait de moins en moins. Il cassa la surface et la forme en prétextant être l’homme en dehors de cette entente cordiale qui simulait une opposition ; le tout pour mieux continuer, sur le fond, une politique qui réunit encore les deux bords. Le ralliement, lors du deuxième tour face à Marine Le Pen, des deux anciens partis derrière Macron comme un seul homme, en scella l’évidence.

    Sûrement l’élection de Macron, en 2017, était-elle déjà une défaite de l’oligarchie face au peuple puisqu’elle fit sauter un de ces remparts, dans son cas : celui de l’alternance fallacieuse des deux forces du centre, qui camouflait sa captation inique et privée du pouvoir. Ce n’est pas étonnant que le mandat de Macron marqua un durcissement de l’ensemble des politiques que l’UMP et le PS menaient de leur côté. L’emballement de la politique macroniste – autant par sa violence dans la répression que dans son empressement dans les réformes – fut le signe d’un affolement, d’une terreur et d’une acceptation à devoir jouer à visage découvert devant une situation dorénavant difficilement dissimulable.

    La non-présence d’Éric Zemmour à la présidentielle pourrait être cette brèche qui ferait tomber le dernier mur ; celle qui ferait définitivement basculer la relation de peur pour la projeter entièrement vers le gouvernement et la soustrayant au peuple, semblable au retournement de la relation entre le maître et l’esclave chez Hegel. Si une pareille rupture dans l’équilibre des peurs réciproques se produisait, alors nous serions à l’aube d’un cataclysme politique certain. Et il se pourrait, que cette fois-ci, Macron utilise vraiment cet hélicoptère qui était censé le mettre en sécurité lors des événements des Gilets jaunes.

    L’alliance de l’État solide et de l’État liquide

    Une chose est à noter : le système se défend bien et avec hargne. S’il est vrai que nous sommes en train de gagner le combat culturel, n’enterrons pas tout de suite un ennemi que l’on a tendance à parfois trop sous-estimer. Le système des démocraties libérales ne réside pas en la prépotence d’un État totalitaire comme le XXe siècle put nous en donner l’exemple. Au-delà de la forme traditionnelle que l’on peut lui connaître par ses attributs de puissances publiques (comme ceux du judiciaire, de l’administratif ou encore du maintien de l’ordre), sa force réside aussi dans sa « deuxième peau » qui regroupe les institutions qui cadenassent la société civile par leurs diverses emprises. Intellectuels organiques, médias, associations, monde universitaire ou encore l’ensemble des divers appareils politico-culturels encadrant les agents de la société civile avec une puissance de feu redoutable.

    On sait que Carl Schmitt reprocha à Hobbes d’avoir symbolisé l’État par la figure du Léviathan, monstre biblique marin, alors que l’appellation Béhémoth, monstre terrien, lui aurait mieux correspondu. Suivant cette remarque, si l’État « dur » et légal pourrait s’apparenter à cet État-Béhémoth, cette doublure de l’État « liquide » qui contrôlerait insidieusement la société civile pourrait être appeler État-Léviathan. Si la résistance à l’État-Béhémoth est rendue plus facile puisque celui-ci tient en des lieux précis, dans des autorités reconnaissables et par des actions identifiables ; la tentative de circonscrire les acteurs de l’État-Léviathan est rendue beaucoup plus difficile puisque l’ensemble des caractéristiques évoquées pour l’État-Béhémoth ne tiennent pas pour lui. Opacité, réseaux, groupes de pression ou d’influence, menace et même mise à mort sociale ou économique ; cette « viscosité », selon le mot de Sartre, de la société civile démontre qu’en plus du solide de l’État-Béhémoth, la démocratie libérale se protège aussi par des manières détournées lui permettant de contenir en amont la moindre contestation.

    Voilà pourquoi on peut penser, raisonnablement, que l’accession au pouvoir d’un homme comme Éric Zemmour sera extrêmement compliquée par la voie « royale », à tout le moins normale. Le véritable coup d’État judicaire auquel se heurta Fillion en est une parfaite démonstration. Ce n’est pas la simple conquête de l’État qui est à faire, mais bien aussi la victoire contre un État-Léviathan entièrement dévoué à la protection de sa chasse-gardée constituée des différents appareils hégémoniques du pouvoir.

    Que faire ?

    À ce niveau, il faut faire intervenir un autre penseur italien qu’est Antonio Gramsci. Esprit particulièrement incisif sur l’État, le penseur appela la constitution de cette union – celle qui est politique, culturelle, économique et juridique – entre les deux « États » et à laquelle il donna le nom de « bloc historique ». Gramsci nous en donne ensuite sa définition : « État = société politique + société civile, c’est-à-dire une hégémonie de coercition ». Le penseur italien avait parfaitement saisi cette doublure, déjà présente à son époque, même si quelques différences sont à relever. Si Gramsci nous parle de « fortifications » ou de « casemates » pour permettre cette défense de l’État, la protection actuelle semble avoir subi une transformation élémentaire du solide au liquide. C’est pour cela que François Bousquet, dans son livre Courage ! Manuel de guérilla culturelle, en conclut que les coups d’État bolchevique ou mussolinien, dont la technique fut décortiquée par Malaparte, sont dépassés. Cette transformation est d’autant plus redoutable qu’elle rend quasiment inopérant, et aussi vraisemblablement impossible, d’autres coups d’État, à l’ancienne, comme la grève, la prise des usines – la désindustrialisation est passée par là – ou encore le renversement direct des gouvernements par la force du type 18 Brumaire.

    La prise du pouvoir par l’élection présidentielle demeure, au vu de la puissance encore certaine de l’État-Léviathan, une chimère dont nous devrons contourner les obstacles encore insurmontables. Nous pouvons imaginer, et avec une assez grande précision, quels orages se soulèveraient et quels torrents de boue se déverseraient si un candidat comme Zemmour devait accéder au deuxième tour. L’État-Léviathan entrerait aussitôt en convulsion comme un poisson ridicule et frétillant sorti de l’eau. Le précédent Jean-Marie Le Pen, en 2002, doit nous servir de leçon. Zemmour finaliste, l’Armada de l’État-Léviathan se mettrait en branle pour mener une guerre totale contre un homme pouvant remettre en cause son hégémonie. Tous les spectres de la peur seraient agités dans un immense tohu-bohu destiné à conjurer le retour de la « bête immonde ».

    Étant toujours dans une position d’infériorité et d’asymétrie, la défaite serait assurée au soir du second tour. Nonobstant les diverses victoires dans les médias, pour la plupart éparses (on pense néanmoins à CNews ou à Bolloré), mais aussi dans l’opinion publique (en témoignent les sondages allant dans le sens de nos combats et marquant une prise de conscience des enjeux décisifs comme celui de l’immigration ou de la souveraineté), il n’en demeure pas moins que la guerre culturelle est loin d’être gagnée, sans même évoquer la guerre institutionnelle – celle de la prise des lieux importants et officiels de pouvoir et d’influence.

    Devant ce constat, François Bousquet propose que le combat soit mené selon une perspective de guérilla. S’il y a actuellement une guerre entre un faible et un fort, nous sommes encore le faible, que nous le voulions ou non. L’incroyable dynamique de Zemmour peut nous apparaître comme une belle promesse pour la cause nationale ; toutefois, notre cheval de bataille – la cause nationale – et nos idées, même si elles progressent, restent dans une position en retrait, évoluant en parallèle du système dominant, sinon même en dissidence. Nous ne faisons pas encore le poids ; et une guerre régulière ou conventionnelle engendrerait nécessairement notre défaite. L’élection présidentielle, qui est une opposition directe, se fait sur le terrain de l’adversaire et donc à notre complet désavantage. Prendre part aux règles de l’élection présidentielle reviendrait à accepter les règles du jeu de l’adversaire qui sont entièrement tournées à son avantage.

    Le lion et le renard

    Devant ce constat du déséquilibre des forces entre nous et nos adversaires, faisons sortir notre dernier as, ou plutôt italien, caché dans notre manche qui est Machiavel. Nous venons de le voir : l’opposition directe ou solide, celle de l’élection présidentielle, compromet nos plans et annonce une défaite inéluctable. Le penseur florentin parlerait à cet endroit de duel de lion contre lion puisqu’il disait : « Le lion en effet ne se défend pas des pièges, le renard ne se défend pas des loups. Il faut donc être renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups ». Pour l’instant, Zemmour fait une campagne de lion. Imposant ses thèmes privilégiés au cœur de la course présidentielle et faisant sauter des lignes longtemps « sacrées » et « intouchables » dans le débat public, le combat mené par le lion Zemmour force l’admiration.

    Sur le terrain de l’adversaire, il sait se montrer conquérant pour nous faire gagner de précieuses batailles idéologiques. Patrick Buisson avait dit de Sarkozy qu’il avait au moins le mérite d’avoir fait gagner cinq ans à « la cause du peuple ». Sans même être président, Zemmour en a déjà fait autant, voire plus. Cependant, il est peut-être temps de se faire renard. De quitter la force d’un Achille, ponctuellement, et de faire sienne la rouerie d’un Ulysse. Si Zemmour gagne en ce moment bataille sur bataille, il se peut qu’à l’approche de la Citadelle, quand viendralabataillefinale – l’opposition frontale au système lors de l’élection présidentielle –, il doive, lui aussi, faire face à son Général hiver qui déjouera sa dynamique. La stratégie du choc a ses limites ; et la prochaine étape, une éventuelle place au second tour, pourrait marquer son arrêt brutal. Peut-être alors serait-il plus judicieux de faire semblant de se retirer, de passer à une stratégie de l’évitement qui lui permettrait de revenir encore plus fort. Et c’est là qu’apparaît la chevelure à saisir, celle du Kairos (car on saisit l’occasion aux cheveux, opportunément) : son incapacité à récolter les 500 signatures.

    À la croisée des chemins comme il aime lui-même le dire de la France, deux options s’offrent à Zemmour. Soit il se fait le condottiere du « rassemblement des droites », glorieux et magnifique peut-être, mais dans une partie d’échec truquée d’avance. Alors possiblement arrivé au second tour – ce qui n’est même pas certain dans l’absolu –, il perdrait devant un adversaire encore trop fort qui ferait de lui sa caution « fasciste » et « brune » permettant à cette République de se maintenir en agitant son diable de carnaval – en l’occurrence Zemmour. Soit il devient un Prince selon la perception de Machiavel, ce qui signifierait l’incarnation d’un nouveau mythe politique. Ainsi bienque momentanément perdant, exclu de la course présidentielle faute des 500 signatures, il deviendrait, mécaniquement et pour toutes les raisons évoquées, le personnage central d’un mouvement de contestation du système qui porterait avec lui une capacité future de renversement politique éminemment plus conséquente.

    Dans la cour des grands hommes

    Au lieu de s’incarner dans un projet d’alternance gauche-droite ou progressiste-conservateur, Zemmour deviendrait ainsi l’incarnation d’une volonté collective beaucoup plus large. N’étant plus assigné au seul antagonisme horizontal gauche-droite, il pourrait ouvrir une nouvelle dimension à sa substance politique, en l’inscrivant dans l’axe vertical haut-bas, ou bloc élitaire et bloc populiste selon l’image de Jérôme Sainte-Marie. En en finissant avec la division euclidienne des petits personnages politiques, Zemmour aurait alors la possibilité d’entrer dans la cour des grands hommes politiques qui peuvent se réclamer, comme le général de Gaulle, de cette dimension « hors parti », en renouant avec les formes mythiques d’une pulsion nationale ou de l’incarnation de la conscience politique, privilège de quelques hommes.

    La balle est dans votre camp, monsieur Zemmour, et la chevelure du Kairos s’entremêle autour de vos doigts. À vous de la saisir ou de la laisser filer…

    Rodolph Cart (Site de la revue Éléments, 24 et 25 janvier 2022)

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  • Anatomie d'une France divisée...

    Vous pouvez découvrir un entretien donné le 16 janvier 2021 par Jérôme Fourquet à Livre Noir pour disséquer la France qui va se déchirer pour la campagne présidentielle.

    Analyste politique, expert en géographie électorale, directeur du département Opinion à l'IFOP, Jérôme Fourquet a récemment publié L'archipel français (Seuil, 2019).

     

                                                 

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  • Est-il possible de saboter davantage la très chaotique campagne présidentielle française ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog Huyghe.fr et consacré à la pseudo-menace d'ingérence russe dans la campagne présidentielle française... Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information et directeur de recherches à l'IRIS, François Bernard Huyghe vient de publier La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015).

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    Comment saboter davantage la très chaotique campagne française ?

    Le même jour, la commission du Renseignement du Sénat américain qui enquête sur une hypothétique ingérence russe dans les élections américaines, susceptible d'avoir fait échouer H. Clinton, avertit la France "que les Russes sont activement impliqués dans les élections françaises" et le puissant Parti Populaire européen vote une résolution "contre la guerre de désinformation russe". Cela fait suite à diverses initiatives allemandes ou européennes contre la "hybride" où la guerre de l'information tient une large place. Ces avertissements (que, curieusement, personne ne semble considérer comme des ingérences ou des influences américaines ou européennes) ressortent au thème de Poutine déstabilisant les régimes occidentaux au profit de ses complices comme les partis populistes.
    Bien entendu, personne entre doute que le Kremlin ne souhaite pas voir élu un candidat atlantiste en France, pas plus qu'il n'avait désiré voir Hillary Clinton arriver dans le bureau ovale. Personne ne doute non plus que François Hollande n'ait fait des vœux pour la défaite de Trump, que notre ambassade ne reçoive l'opposition russe ou hongroise ou que Jungker n'ait pris position sur la prochaine présidentielle française. Si l'on va par là, tout le monde a ses préférences dans les élections de tout le monde et il n'est guère de chef d'État qui n'aimerait contribuer à l'élection de président amis ou ayant des options idéologiques acceptables.

    La question n'est donc pas que la Russie (ou n'importe quel autre pays) désire peser sur les élections qu'elle y ait intérêt, ou qu'elle en soit moralement capable, mais qu'elle le puisse stratégiquement. L'accusation de déstabilisation ou de subversion n'est autrement qu'un argument rhétorique destiné à décrédibiliser des adversaires politiques comme "agents de Moscou" comme cela se pratiquait au moment de la Guerre froide.
    Demandons- nous ce que pourrait faire la Russie, car le dossier d'accusation mêle souvent plusieurs niveaux de possibilités stratégiques et techniques.

    - Avoir sinon des alliés idéologiques ou des partis frères, du moins des dirigeants qui préconisent une politique russo-compatible. la Hongrie illibrale de Orban, la présidence tchèque, le pouvoir slovaque et quelques autres ont pris des postions qui ne déplaisent pas trop à Poutine. En France, on entend souvent accuser F. Fillon, M. Le Pen et Mélenchon de complicité objective voire subjective. Si l'on entend par là qu'ils proposent à des degrés divers de reprendre les négociations avec Moscou ou de rediscuter les sanctions, il ne faut pas grand chose pour être classé marionnette de l'étranger. La recherche de preuves de contacts entre l'équipe de Trump et des responsables ou diplomates russes obéit à la même logique. Mais sauf à produire des documents explicites et à avouer par là que l'on espionne des administrations ou des équipes de campagne adverses, l'argument de la proximité d'idées reste totalement subjectif : de souhaiter discuter avec à être à vendu à, il y a quand même une nuance. Ceci n'est pas contradictoire avec le fait que des secteurs de l'opinion et des militants de partis dits populistes voient en Poutine l'anti-modèle de l'impérialisme occidental ou de la mondialisation libérale. Et cela ne prouve pas le complot.

    - Payer ou compromettre des agents, les faire chanter, etc. Ici on rentre dans un modèle romanesque où, par exemple, Trump serait "tenu" par des affaires sexulles qui se seraient déroulées des années avant qu'ils songe à se présenter à la Maison blanche. Impossible à prouver, un peu jamesbondesque, le Russiagate est sérieusement contesté par des journalistes américains de renom. Mais outre-Atlantique, on en est au point où Michael Flynn, l'ex conseiller de Trump en est à demander l'immunité avant de témoigner sur ses contacts avec la Russie, dans une ambiance qui rappelle celle où la House on Un American Activities (HUAC) chassait les "agents soviétiques" dans l'administration et à Hollywood.

    - Utiliser des médias d'influence internationale sur le modèle de ce que l'on nommait à l'époque de la Guerre froide (et des radios qui émettaient au-delà du Rideau de fer) "diplomatie publique". Et personne ne doute que Radio Spoutnik ou Rossia Today ne développe un point de vue russe ou pro-russe. Mais si l'on va par là Al Jazeera n'est pas très pro-sioniste, Radio Vatican n'a pas un point de vue excessivement athée, CNN ne critique pas énormément le système américain et RFI n'est pas en opposition totale avec nos intérêts géopolitiques.

    - Employer des hackers pour perturber les système d'information du pays (sabotage informatique par exemple, mais quel intérêt électoral ?), l'espionner et surtout révéler de documents confidentiels. Là encore, impossible de prouver si une éventuelle fuite a été provoquée par des pirates russes, pro-russes ou employés par les Russes (idem pour des pirates chinois ou australiens), mais, dans tous les cas, la fuite ne vaut que ce que vaut son contenu. Et son effet ravageur, qu'elle soit provoquée par un service étranger ou par un journal d'investigation national comme le Canard enchaîné, dépend de la réaction du public à des révélations vraies ou très plausibles.

    - Intervenir sur les réseaux sociaux à travers des trolls payés pour cela, des "bots" (des robots simulant une activité humaine en ligne), ou des réseaux idéologiques, pratiquant éventuellement la désinformation systématique, la compromission d'adversaires par une variante de la diffamation et la mobilisation de partisans en ligne , nationaux et internationaux. Cela existe certainement, mais pose une sérieuse question de réceptivité : pourquoi des publics nationaux se tournent-ils vers ces sources et sont-ils imperméables à ce que disent et montrent leurs médias nationaux ou les médias "classiques" qui s'efforcent de plus en plus de vérifier, réfuter et pratiquer des variantes du "fact-checking".

    Toutes ces méthodes sont connues et ont été pratiquées historiquement par d'autres gouvernements.
    Qu'elles le soient actuellement avec beaucoup d'efficacité (par rapport aux autres influences et aux autres facteurs qui déterminent le vote) est très hypothétique. Ces explications reposent surtout sur la croyance en un "Russiangate" provoqué de l'étranger et qui aurait faussé une élection "normalement" garantie à Hillary Clinton. En arrière-plan, une vision assez datée de l'influence : le public, vulnérable aux mensonges des démagogues ou aux manœuvres d'agents stipendiés, serait égaré par ces machinations, absorbant toute cette désinformation ou cette propagande passivement, comme une éponge. Si le public ne vote pas comme il devrait, c'est la faute aux manipulateurs : c'est s'exonérer un peu facilement de ses responsabilités politiques et de réduire les changements politiques ou idéologiques à une causalité externe.
    Surtout, il nous semble que l'idée que les agents (ou les trolls ou les pirates) de Moscou puissent nous diviser et semer le chaos dans l'élection est un peu ironique :nous nous débrouillons assez bien sans eux, non ?

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 30 mars 2017)

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  • Requiem pour l'élection présidentielle...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux viennent de publier un essai de Vincent Coussedière intitulé Fin de partie - Requiem pour l'élection présidentielle. Professeur de philosophie et essayiste, Vincent Coussedière vient de publier Le retour du peuple - An I (Cerf, 2016) et est également l'auteur d'Eloge du populisme (Elya, 2012).

     

    Coussedière_Fin de partie.jpg

    " Les élections présidentielles passent mais se ressemblent étrangement. À chaque fois, et il faut avoir la mémoire bien courte pour l'oublier, on assiste à une dramatisation croissante de l'enjeu, dramatisation qui cherche à masquer le doute sur l'utilité de l élection et à remobiliser le peuple autour de son échéance. Chacun sent pourtant obscurément que ce dispositif fonctionne de moins en moins et qu on n y adhère plus guère, alors que les moyens de mise en scène n'ont jamais été aussi développés et sophistiqués. Ni l'invention des primaires, ni les pseudo rebondissements liés aux « affaires », ni l'enthousiasme de commande des commentateurs, ni les meetings des candidats rivalisant de professionnalisme spectaculaire, ne parviennent à masquer le problème fondamental posé par cette élection : en quelque quarante ans elle s'est montrée de moins en moins capable d'amener au pouvoir des hommes ou des femmes aptes à gouverner la France.
    Aussi les électeurs s'en détournent-ils progressivement et opposent-ils une résistance sourde à l'adhésion qu'on cherche à leur extorquer par tous les moyens. On en appelle alors au « populisme » pour stigmatiser cette montée de l'indifférence, pouvant prendre aussi la forme d'une révolte, à l'égard d une élection dont on pouvait penser autrefois qu'elle constituait le cœur battant de la vie politique française, et dont on s'aperçoit aujourd'hui qu elle l'asphyxie et la détruit. Cet essai se propose de revenir sur la responsabilité du système partisan français dans l'autodestruction de cette institution centrale de la République voulue par le général de Gaulle en 1962. Il montre comment les partis, que de Gaulle voulait écarter d'une élection conçue comme un système de sélection démocratique des grands hommes, ont repris la main sur celle-ci pour la détourner de son but. S'étant avérés des acteurs-clefs, en lien avec les médias, pour organiser l'élection, ils n'ont pas pour autant su accoucher de grands hommes. Tout au plus de dirigeants qui, à défaut de savoir gouverner la France, ont su la rendre ingouvernable.
    Cet essai montre que nous vivons la « fin de partie » du système partisan français. "

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