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  • Non, les Égyptiens n’étaient pas noirs !...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Robin Pardaillec paru sur le site de L'Incorrect et consacré à la question de la couleur de peau des Egyptiens de l'Antiquité...

     

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    Non, les Égyptiens n’étaient pas noirs !

    Le Grand Palais à Paris organise régulièrement des cours d’histoire de l’art. Souhaitant combler mes lacunes en la matière, je me rends régulièrement les samedis matin aux abords des Champs-Élysées pour suivre pendant deux heures et demi l’enseignement de maîtres de conférence ou de professionnels travaillant au Louvre. L’occasion aussi de goûter à nouveau au statut d’étudiant.  En octobre dernier, en pleine séance sur l’art des hiéroglyphes, un jeune homme au style savamment négligé prend la parole : «les Égyptiens étaient noirs, pourquoi ne le dites-vous pas?». L’égyptologue, après un regard ahuri derrière ses lunettes rondes, finira, entre deux rires nerveux, par conseiller à cet étudiant de relire l’ensemble des travaux effectués par ses confrères français et américains en la matière et conclura ironiquement «il faut arrêter de lire Cheikh Anta Diop».

    L’épisode pourrait faire sourire mais ce type de théories fumeuses fait désormais florès sur le web. Des centaines de sites internet en anglais et en français, relayés plusieurs dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, propagent un discours savamment rodé : l’Homme blanc aurait manipulé l’historiographie, en masquant l’apport inestimable des Africains dans les sciences et les arts, notamment durant l’Égypte antique. Des histoires plus fantasmagoriques les unes que les autres sont diffusées auprès d’un auditoire souvent jeune : les Africains auraient «découvert l’Amérique» avant Christophe Colomb, donnant naissance aux civilisations précolombiennes (ne riez pas), les Africains auraient inventé les grands théorèmes mathématiques, la médecine moderne, l’architecture (volés par les grecs évidemment)…

    Universitaires et historiens, prisonniers de leur propre «champ» professionnel (pour reprendre Bourdieu), ignorent souvent l’existence de ces théories farfelues. Un ami, professeur d’Histoire, me racontait pourtant cet été que même parmi ses élèves les plus médiocres cette «version de l’Histoire» triomphe. Une conception erronée, simpliste et absolument complotiste qui s’insère parfaitement dans des esprits biberonnés au web, aux «illuminatis», au «complot sioniste» et à Dieudonné.

    D’où viennent ces théories ?

    Cheikh Anta Diop, inspirateur de cet «Afrocentrisme» publie à partir de 1952 une série d’articles et d’ouvrages s’évertuant à démontrer que les Égyptiens antiques étaient ethniquement «noirs» et à l’origine de toutes les civilisations. Même s’il n’est ni historien, et encore moins égyptologue, ses thèses ont eu un petit succès dans certains milieux politiques africains. Battues en brèche par des chercheurs reconnus (comme Alain Froment ou François-Xavier Fauvelle-Aymar), ces théories reviennent aujourd’hui en force même si l’ensemble des savoirs, des recherches et des analyses ridiculisent ces théories sur différents points :

    – L’étude des groupes linguistiques : alors que les Nubiens (les populations noires présentes durant l’antiquité dans la région de l’actuel Soudan, et dont Cheikh Anta Diop estimait qu’ils étaient les «véritables» Égyptiens) appartiennent au groupe linguistique nilo-saharien, la langue égyptienne d’alors se rattachait au groupe dit «afrasien». Deux groupes distincts, donc deux peuples différents.

    – l’étude des momies et des squelettes prouve à chaque nouvelle fouille archéologique que les Égyptiens n’étaient pas «mélanodermes». En effet, l’étude des cheveux, de la peau, mais aussi des os et de la forme du crâne permet de classifier les corps selon des appartenances ethniques. Il apparaît clairement que les Égyptiens antiques, le peuple comme les dirigeants, n’étaient pas de type «africain».

    – Enfin, l’étude de la génétique : en comparant la présence de telles ou telles caractéristiques chromosomiques, elle permet d’affirmer avec certitude que les populations qui peuplaient l’Égypte antique n’avaient pas grand-chose à voir avec les populations noires africaines. Une donnée encore confirmée cet été par une nouvelle étude de l’ADN de momies, qui prouve que les Égyptiens d’alors étaient plus proches physiquement des autres populations du Proche-Orient, voire des Européens, que des autres peuples africains.

    Conclusion, les Égyptiens n’étaient pas «noirs». À l’exception d’une seule dynastie mal connue (la 25e dynastie, au huitième siècle avant Jésus-Christ), les pharaons étaient donc ethniquement proches des populations phéniciennes, comme l’ensemble de la région avant les grandes migrations arabes. Ramsès II était roux, Toutankhamon avait un patrimoine génétique similaire à celui à 70 % à celui d’un Européen, et Cléopâtre, fille d’une lignée de Macédoniens endogames, ressemblait probablement plus à Maria Callas qu’à Michelle Obama.

    Comme l’écrit Bernard Lugan, dans « mythes et manipulations de l’Histoire africaine », «placées au confluent de la magie et de la méthode Coué, les thèses de C.A Diop sont donc celles d’un conteur narrant une histoire destinée à faire rêver ses auditeurs et non le produit d’une véritable recherche scientifique». Un exemple : Diop voyait dans les cheveux crépus des jolies Égyptiennes la preuve de leur «africanité». Manque de chance, il ne s’agissait tout simplement que de perruques, courantes dans l’aristocratie d’Alexandrie ou de Thèbes. Ce type d’erreurs (ou de manipulations) se retrouve des centaines de fois dans toute l’œuvre de l’auteur africain.

    Un manque de rigueur et de sérieux qui n’a pas empêché Cheikh Anta Diop d’affirmer que ces «Égyptiens» imaginaires étaient à l’origine des mathématiques, des arts, de l’agriculture, de l’architecture… bref, de la civilisation. Une conception fantasque de l’Histoire des sciences qui vise simplement à éclipser l’héritage occidental, et plus particulièrement, grec. À la fin des années 80, un historien américain Martin Bernal reprendra cette thèse en l’amplifiant : la Grèce antique aurait tout simplement été colonisée par les Égyptiens. Tout l’apport scientifique et philosophique des Grecs, sur lesquels la civilisation occidentale repose, n’aurait été qu’un ersatz de la culture égyptienne noire. Voyant rapidement ses travaux démontés point par point par ses confrères, Bernal avait alors brandi… le complot raciste du monde universitaire. Une bonne blague qui n’a heureusement pas duré, mais qui perdure encore aujourd’hui sur le web.

    Que les jeunes populations immigrées d’origine africaines présentes en France s’inventent un passé imaginaire est un problème finalement assez secondaire et il faudrait plutôt en rire. Là où le bât blesse, c’est que ces théories ont désormais aussi un écho chez les «petits blancs». Un discours qui s’inscrit dans la repentance et la haine de soi pour ces jeunes Européens, culpabilisés et dépossédés des grandes inventions et des grandes découvertes de leur passé, au profit d’une Histoire afrocentrée mythifiée.

    Robin Pardaillec (Site de L'Incorrect, 28 février 2018)

     

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  • Histoire de l'Afrique du Nord...

    Les éditions du Rocher viennent de publier une Histoire de l'Afrique du Nord signée par Bernard Lugan. Africaniste et historien, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont dernièrement Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015) et Histoire & géopolitique de la Libye des origines à nos jours (L'Afrique réelle, 2015).

     

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    L’Afrique du Nord est formée de cinq pays (Égypte, Libye, Tunisie, Algérie et Maroc) que ce livre présente dans leur longue durée historique. À l’est, centrée sur l’étroit cordon du Nil, l’Égypte développa, dès le 5e millénaire av. J.-C., une civilisation aussi brillante qu’originale. À l’ouest, en Berbérie, apparurent au VIe siècle av. J-C., trois royaumes berbères dont les limites correspondaient aux actuels États du Maghreb. Rome imprégna ensuite toute la région de sa marque. L’empire byzantin qui lui succéda s’établit de l’Égypte jusqu’à l’est de l’actuelle Tunisie, renonçant à la plus grande partie du Maghreb où la « reconquête » berbère eut raison du vernis romano-chrétien. Aux VIIe-VIIIe siècles, l’islamisation provoqua une rupture entre les deux rives de la Méditerranée ainsi qu’une profonde mutation des sociétés nord-africaines. Au XVIe siècle, l’expansion turco-ottomane subjugua toute l’Afrique du Nord avant de buter sur le Maroc qui réussit à maintenir son indépendance en s’alliant à l’Espagne chrétienne. Durant la période coloniale, les Britanniques s’installèrent en Égypte, les Italiens disputèrent le vide libyen à la Turquie et, à l’exception de la partie nord du Maroc devenue protectorat espagnol, le Maghreb fut tout entier rattaché au domaine français. L’Égypte recouvrit son indépendance en 1922, la Libye en 1951. Quant au Maghreb, il connut des péripéties sanglantes avec la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962). En dépit d’une « arabité » postulée et d’une islamité commune, les cinq pays composant l’Afrique du Nord eurent ensuite des destins divers illustrés par l’épisode dit des « printemps arabes ». Riche d’une centaine de cartes en couleur, ce livre est l’outil de référence indispensable à tous ceux qui veulent connaître les constantes qui fondent la géopolitique de cette arrière-cour de l’Europe qu’est l’Afrique du Nord.

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  • Nasser, l'Aigle égyptien...

    « Moi, aujourd'hui, au nom du peuple, je prends la Compagnie. Ce soir, notre canal égyptien sera dirigé par des Égyptiens ! » Gamal Abdel Nasser, 26 juillet 1956

    Les éditions Tallandier viennent de publier L'Aigle égyptien, une biographie de Nasser signée par Gilbert Sinoué. Né au Caire, Gilbert Sinoué est romancier et auteur de plusieurs biographies.

     

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    " Nasser ? À peine prononce-t-on le nom de cet homme d’État, qui régna sur l’Égypte entre 1956 et 1970, que l’on recueille ce type de commentaire : un horrible dictateur, un despote, le farouche ennemi de l’Occident !

    En réalité, il y a plusieurs Nasser : le militaire de 1948, à Faluja, en Palestine, où il combat en héros ; le patriote de 1952, qui met un terme à soixante-dix ans d’occupation britannique ; le nationaliste qui, en prenant le contrôle du canal de Suez, le 26 juillet 1956, fait un bras d’honneur à l’Occident. Et puis, il y a celui des nationalisations à outrance, l’inventeur des moukhabarat, la Stasi égyptienne, celui qui plonge le pays dans un indicible marasme économique, et l’homme de la guerre des Six Jours, une humiliation sans nom…

    En historien et romancier, j’ai voulu raconter les multiples visages du raïs qui portait la voix des arabes dans le monde entier. Sa lumière et son ombre. L’aigle égyptien et le rêve calciné. "

     

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  • Une tragique illusion...

    La revue L'Afrique réelle publie un essai de Bernard Lugan, intitulé Printemps arabe - Histoire d'une tragique illusion. Comme toujours, l'auteur, historien et africaniste réputé, disperse les fumées idéologiques et revient aux faits...

    Le livre, qui ne sera pas diffusé en librairie, est disponible en ligne sur le site de Bernard Lugan.

     

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    " En 2010-2011, la Tunisie, l’Egypte et la Libye connurent des évènements spécifiques, hâtivement baptisés « printemps arabe » par des journalistes voulant y voir autant d’avancées démocratiques.
    L’échec de cette tragique illusion est à la hauteur des emballements émotionnels qu’elle suscita:
     
    - La Tunisie est en faillite économique et le climat politique y est devenu explosif. Les Frères musulmans au pouvoir veulent faire adopter une Constitution ayant la charia pour norme, ce que refusent des foules de plus en plus nombreuses. La radicalisation des positions est illustrée par l’assassinat de leaders de l’opposition et par la naissance d’une insurrection armée islamiste qui pose de sérieux problèmes à l’armée tunisienne.
     
    - En Egypte, ceux qui ne supportaient plus leur vieux chef militaire se sont finalement donnés à de jeunes chefs militaires pour échapper aux « fous de Dieu », ce qui n’empêcha pas le pays de basculer insensiblement dans ce qui risque de devenir une guerre civile.
     
    - En Libye, l’Etat n’existe plus. Le nord du pays est partagé entre des milices tribales ou religieuses, cependant que tout le sud est devenu un « Libystan » aux mains des jihadistes.
     
    Ce livre, illustré de cartes en couleur et qui n’a pas d’équivalent fait, au jour le jour, l’histoire du prétendu « printemps arabe » en Afrique du Nord. Il met également en évidence ses conséquences géopolitiques nationales, et régionales.
    Il explique également pourquoi le Maroc et l’Algérie ne furent pas concernés par ces évènements. "
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  • Le point de vue d'Alain de Benoist sur la situation en Egypte...

    Alain de Benoist, directeur des revues Nouvelle Ecole et Krisis et éditorialiste de la revue Eléments, répond aux questions de la radio iranienne francophone, IRIB, à propos de la situation insurrectionnelle en Egypte, dans un entretien diffusé le 31 janvier 2013.

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  • La Turquie : un modèle pour les pays arabes ?...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial du dernier numéro de la revue Eléments (n°140, juillet septembre 2011), signé comme toujours par Robert de Herte (alias Alain de Benoist).

    Il est possible de se procurer ce numéro en kiosque ou sur le site internet de la revue où il est, par ailleurs, possible de s'abonner.

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    Le modèle turc

    Personne n'avait prévu le « printemps arabe », mais on l'a beaucoup commenté. On a glosé sur la « chute des dictatures», l'aspiration à la liberté de peuples enfin redevenus maîtres de leur destin. On a insisté sur l'importance des questions économiques et sociales, sur lesquelles les Occidentaux étaient jusque là restés aveugles. On a prédit un « retour à la démocratie», celle-ci étant évidemment conçue sur le modèle occidental. On a dit enfin que les Américains seraient désormais obligés de prendre en compte la « rue arabe », dont ils se moquaient totalement jusque là. Tout cela reste à vérifier.

    Ce qui est vrai, c'est que les Tunisiens et les Égyptiens ne supportaient plus le pillage de l'État par les cartels et les clans familiaux au pouvoir, le despotisme et l'autoritarisme sans bornes des dirigeants politiques, la corruption généralisée et le détournement des biens communs. Mais le peuple a-t-il bien été l'acteur principal de ces manifestations de colère? Les révoltes ont été fortement citadines et bourgeoises, peu ouvrières ou paysannes. C'est plutôt à des « émeutes de la frustration" (Olivier Roy) que l'on a assisté. Et le facteur décisif a été l'appui de l'armée, appui si net que l'on peut se demander si les « révolutions populaires» n'ont pas été aussi des coups d'État militaires déguisés.

    On ne doit pas non plus se dissimuler les profondes différences de situation qui continuent d'exister dans le monde arabe. Le fait le plus marquant est la disparition des mouvements se réclamant d'un nationalisme laïc, à la façon du socialisme national d'un Gamal Abdel Nasser ou du baasisme syro-irakien. Dès les années 1950 et 1960, les États-Unis, qui s'inquiétaient de leurs positions" prosoviétiques », se sont employés à les faire reculer au profit de mouvements islamistes jugés moins dangereux. Le soutien apporté aux extrémistes islamistes lors de l'occupation russe de l'Afghanistan, puis la promotion active du salafisme et du wahhabisme séoudien par les monarchies pétrolières du Golfe, enfin l'élimination du régime laïc de Saddam Hussein, ont représenté les étapes principales de cette politique. Les islamistes se sont ensuite, dans certains cas, retournés contre leurs protecteurs, mais le nationalisme laïc n'est pas réapparu.

    L'ancien islamisme, cependant, ne fait plus recette non plus. Contrairement à ce que certains prédisaient, les islamistes n'ont d'ailleurs pas été à la pointe du mouvement du printemps dernier. Certes, dans les sociétés arabes, l'affirmation identitaire reste profondément liée à la pratique religieuse et à la dimension sociale de l'islam. Mais c'est à un islam différent qu'elles se réfèrent désormais. Un islam délivré du vocabulaire halluciné de l'espérance eschatologique du djihadisme comme du littéralisme wahhabite. La nouvelle génération veut moins un islam politique qu'une islamisation conservatrice de la société. Elle reste fermement musulmane, mais elle a aussi constaté l'échec du néofondamentalisme, que ce soit en Arabie séoudite ou en Iran. Ben Laden n'est plus depuis longtemps un modèle et les Frères musulmans, en Égypte, sont eux-mêmes des conservateurs-libéraux, adeptes de valeurs conservatrices et d'un « islam de marché».

    Le concept d'État islamiste n'étant plus à l'ordre du jour du jour, c'est la voie turque qui se profile à l'horizon. Le pays qui sert désormais de référence, c'est en effet la Turquie d'Erdogan et le parti islamique modéré qui dirige ce pays depuis huit ans. Proche à la fois de la Syrie et de l'Iran, laTurquie, dont le poids au Moyen-Orient n'a cessé de croître depuis qu'elle a pris ses distances vis-à-vis de l'Amérique et affiché son hostilité à l'encontre de la politique israélienne, apparaît comme un exemple de mariage réussi entre islam et démocratie, tandis que le redéploiement « néo-ottoman» («touranien ») de sa diplomatie aujourd'hui sortie de son ancienne tutelle militaire, inquiète les chancelleries occidentales.

    Les États-Unis s'intéressent d'abord aux retombées du réveil arabe sur l'ordre géopolitique. Hosni Moubarak était, avec Israël, un pilier de leur politique régionale depuis trente ans. La Tunisie de Zine el-Abbidine Ben Ali leur était favorable, tout comme le régime de Saleh au Yémen. Il s'agit maintenant pour eux de retrouver les moyens de contrôler la région, le problème étant de s'assurer que les nouvelles équipes dirigeantes ne remettront pas en cause leur alliance avec Washington, leur soutien aux accords de Camp David de 1978, ni leur opposition au régime de Téhéran.

    Les États-Unis et l'Union européenne vont s'y employer à leur manière habituelle: en achetant leurs alliés. La volonté affichée par le G20 d'« accompagner » les réformes en cours par une aide financière est à cet égard parlante: il s'agit de fidéliser une clientèle nouvelle à coups de dollars et d'euros. C'est aussi dans ce contexte qu'il faut interpréter le soutien américain à l'absurde guerre contre la Libye, cette guerre sans objectifs définis concoctée dès novembre 2010 par les Français et les Britanniques, qui a conduit les Occidentaux à s'immiscer dans une querelle tribale - entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque - dont aucun des protagonistes ne constituait pour eux la moindre menace, sans oublier les opérations de déstabilisation du régime syrien et la répression par les troupes spéciales séoudiennes des émeutes populaires chiites à Bahreïn.

    Pour reconquérir la région, les États-Unis disposent de deux alliés de poids: Israël et l'Arabie séoudite (en particulier, chez les Séoudiens, les gérontocrates du clan Sudairi). Mais le pays-clé, c'est évidemment l'Égypte, le pays plus peuplé et l'épicentre stratégique du monde arabe. Que l'Égypte bascule dans un sens ou dans un autre, et toute la région en sera affectée. C'est ce dont s'inquiète Israël. L'État juif a longtemps pu compter avec le soutien de fait des deux grandes puissances régionales que sont l'Égypte et la Turquie. Mais la Turquie a viré de bord, et l'Égypte, dont l'avenir est incertain, pourrait bien succéder à l'Iran comme principale source de cauchemar pour les Israéliens.

    Toute la question, maintenant, est donc de « savoir comment les mouvements actuels pourront résister aux récupérations de toutes sortes, voire aux contre-révolutions» (Georges Corm). « On osa jusqu'à la fin, parce qu'on avait osé d'abord », disait Saint-Just à propos de la Révolution de 1789. Mais les révolutionnaires français savaient au moins ce qu'ils voulaient. L'anonyme « printemps arabe», qui n'a pour l'instant fait émerger aucune idée neuve, aucune figure capable de remplir le vide du pouvoir, aucune classe intellectuelle capable de théoriser ses aspirations, osera-t-il « jusqu'à la fin " ? On peut en douter. Les révoltes permettront à de nouvelles générations d'accéder au pouvoir, pas forcément de changer de régime.

    Le monde arabe moderne est né en 1916, quand les populations du Proche-Orient se sont soulevées contre les Turcs ottomans, maîtres de la région depuis le début du XVIe siècle. Depuis cette date, les « printemps arabes» se sont succédé, mais 1'« indépendance» proclamée le 5 juin 1916 à La Mecque est toujours restée un rêve. On attend encore qu'il puisse se concrétiser.

    Robert de Herte (Eléments n°140, juillet – septembre 2011)

     

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