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wokisme - Page 7

  • La nouvelle vérité optionnelle : vers une union du « siliconisme » et du wokisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia et consacré à la vérité optionnelle du wokisme...

    Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011),  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015) et Les convergences liberticides - Essai sur les totalitarismes bienveillants (L'Harmattan, 2022).

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    La nouvelle vérité optionnelle : vers une union du « siliconisme » et du wokisme

    Après le règne de la postvérité où toute considération de vérité est vidée, voire ignorée, dans le contenu et l’objectivité des médias, voici venu le temps de la vérité optionnelle.

    La vérité optionnelle, une vérité à la carte, simple option, par simple disposition intuitive, une vérité qui au lieu de résulter d’un examen et d’une vérification rationnelle, voire d’une concordance avec les faits, s’autolégitime par le simple désir, l’impulsion compulsive, l’optionnalité, le libre choix, l’affinité séductrice idéologique. C’est la version militante de la « véritude » (truthnes), désignant une « vérité » subjective qu’on croit être vraie de façon intuitive « avec les tripes » (from the gut) ou parce que « ça a l’air vrai », sans tenir compte des preuves du contraire, des faits ou d’une quelconque logique ou réflexion intellectuelle.

    C’est un peu l’avatar de la méthode Coué, la projection autosuggestive d’une croyance subjective utopique qu’on veut imposer à tout le monde. Dans ce cas de figure, c’est l’imagination de l’ordre du possible et non le réel qui fonde la vérité. Il est vrai que la puissance de contamination et de banalisation est visible surtout dans les médias et les élites politiques où le recours à l’émotion (l’argumentum ad passiones) ou l’intuition (gut feeling) fallacieuse sont de plus en plus utilisés dans les discours politiques contemporains. L’objectivité et les faits n’ont plus aucune importance puisque seules comptent la perception et la certitude attrayante.

    Ce type de vérités optionnelles, prosélytes autoproclamés, pullulent à travers la diffusion des idées wokistes qui s’installent peu à peu dans la société, les universités, les médias, et demain dans nos écoles. Il est vrai que, le relativisme des valeurs s’étant peu à peu imposé dans le sillage de l’idéologie déconstructiviste et de la postmodernité tardive, les nouveaux dogmes du wokisme, loin d’être relégués à une expression sectaire minoritaire, n’ont pas eu de mal à s’installer dans un paysage sociétal déjà largement imprégné par le polythéisme des valeurs et la tribalisation sociale. Cependant, et cela constitue une innovation dans le genre, après s’en être prise aux sciences humaines et sociales, la déconstruction wokiste entend remettre en cause la légitimité scientifique des mathématiques, de la physique et de la biologie.

    Incroyablement stupide et se situant au-delà du degré zéro de la pensée (l’absurdité étant élevée au rang de croyance), le wokisme, bien que radicalisant les matrices égalitaristes des Lumières, s’appuie sur une critique du rationalisme et de l’humanisme universaliste au nom d’une lecture déconstructiviste, racialiste et postcoloniale de l’histoire, en venant même à proclamer que « la biologie est viriliste » que « les mathématiques sont racistes », ou à reprocher à la science botanique d’être raciste car elle procède à la hiérarchie de la nature en classant les différents types de plantes. Nous assistons à une véritable négation épistémologique de la notion de vérité, telle qu’on la conçoit dans le monde occidental. La vérité dépouillée de sa dimension axiologique et de sa valeur rationnelle normative et morale universelle se transforme en une simple option téléchargeable au même titre que la conscience et l’émotion sur commande. Loin d’être une valeur de partage contradictoire et dialogique, ce type de vérité répond à la nécessité d’une fonction purement idéologique de mobilisation, alors que l’indifférence à la vérité s’explique par le besoin et la pureté idéologique. La vérité woke constituerait ainsi la version laïque d’une gnose diversitaire qui a substitué « le privilège blanc » au péché originel, en jouant la carte des tristes passions du ressentiment victimaire de la postmodernité obscurantiste.

    Ainsi, le wokisme ne constitue qu’un symptôme de plus, certes paroxystique, de la déconstruction sémantique, politique et sociétal relayée par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, et ce n’est pas un hasard si l’on parle aujourd’hui de logiciel à la place de la réflexion ou de la pensée. En effet, depuis la pensée PowerPoint et la culture du logiciel devenue incontournable dans le monde professionnel, on assiste non seulement à un appauvrissement du langage et de la pensée réduits à des slides et des clics, mais aussi à la suprématie d’un véritable modèle de pensée algorithmique issu du monde informatique, de la gestion et de la communication. Ainsi, le wokisme, en tant que vérité optionnelle déjà adoptée par les industries du divertissement et les TIC, est en passe de devenir la nouvelle éthique de l’intelligence artificielle, la superstructure idéologique de cette novlangue malveillante procédant par falsification et manipulation du langage. La vérité optionnelle constituerait ainsi la version high-tech de la pensée captive évoquée par C. Miloscz qui y voyait une forme de « nouvelle foi » du système dominant.

    À terme, ce nouveau phénomène de vérité optionnelle participe au long chemin de la déréalisation du monde, et va tout à fait dans le sens de l’apothéose du nouveau monde virtuel des GAFAM, celui de l’intelligence artificielle, ce qui permettra, selon les propres mots d’Elon Musk, de dispenser au niveau planétaire la nouvelle « vérité maximale » TruthGPT, la parfaite symbiose entre le siliconisme (l’idéologie californienne techno-libérale) et le wokisme.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 27 mai 2023)

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  • Déconstruction du wokisme...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une intervention de Julien Rochedy qui revient sur la philosophie de la déconstruction et son rejeton le wokisme...

    Publiciste et essayiste, Julien Rochedy, qui est une figure montante de la mouvance conservatrice et identitaire, a déjà publié plusieurs essais dont Nietzsche l'actuelL'amour et la guerre - Répondre au féminisme et Philosophie de droite.

     

                                           

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  • Le mythe de Perséphone...

    Les éditions du Verbe Haut viennent de publier un essai de Peggy Larrieu intitulé Le mythe de Perséphone - La femme et la mort, avec une préface de Michel Maffesoli.

    Peggy Larrieu est maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université d’Aix-Marseille. Elle mène depuis une quinzaine d’années ses recherches dans des domaines connexes à la discipline juridique. Elle a déjà publié plusieurs livres autour des thématiques du droit, des mythes et des neurosciences.

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    " Les poncifs actuels désignent le rôle de la femme dans la société occidentale comme étant en transition depuis mai 68, qui puise ses racines dans la Renaissance et les mouvements révolutionnaires. Or, Peggy Larrieu, dans ce livre novateur, montre que la place de la femme est en perpétuelle modification depuis les débuts de l’humanité. Pour ce faire, et de manière didactique, l’auteur part d’un principe aussi simple que puissant : la femme donne la vie, elle donne donc la mort. Et si la peur des femmes n’était, au fond, qu’une simple peur de la mort ?

    Si tel est le cas, la désacralisation de notre monde, par l’avènement du wokisme ou de la cancel culture, ne tenterait pas de « libérer la femme », mais bien de l’enfermer dans un monde dans lequel la mort serait l’étrange absente de la vie.

    À travers une analyse pertinente et inédite du mythe de Perséphone, Peggy Larrieu trace une véritable histoire de la femme à travers les âges. Enfermée, libérée, capturée, dominante ou dominée, cette figure ancestrale évolue au fil des changements anthropologiques. Patriarcat, matriarcat, influences orientales, créations juridiques, tous les éléments de la construction de notre civilisation sont étudiés pour faire résonner le rôle de la femme, ou de son absence, dans notre modernité.

    Puisant dans une riche littérature mythologique, anthropologique, sociologique et universitaire, Peggy Larrieu livre ici un ouvrage atypique qui semble proposer une sortie de crise par le haut : remettre l’altérité au cœur de nos vies. "

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  • A la pointe de L’Épée : une réponse aux mensonge des "journalistes" de Libération...

    Directeur de la revue Krisis et collaborateur talentueux de la revue Éléments, David L’Épée est également un contempteur particulièrement incisif et pertinent du wokisme. Son discours dérangeant les nouveaux inquisiteurs, il a donc été attaqué personnellement par les commissaires politiques de Libération pour l'empêcher de prendre la parole à un colloque organisé... par le RN ! Vincent Lapierre et Le Média pour tous lui offrent donc la possibilité de répondre à ses pitoyables accusateurs...

     

                                                   

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  • Yousaf premier, le nouveau roi d’Écosse...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Boisguilbert, cueilli sur Polémia et consacré  au nouveau Premier ministre écossais, Humza Yousaf, issu du Parti national écossais (SNP), vainqueur des dernières élections législatives en Écosse.

     

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    Le nouveau Premier ministre musulman inaugure son mandat par une prière au palais présidentiel

     

    Yousaf premier, le nouveau roi d’Écosse

    En 2006 sortait sur les écrans le film Le Dernier Roi d’Écosse. C’était un film magnifique avec Forest Whitaker, incomparable dans le rôle-titre et assumant le personnage d’Idi Amin Dada. Interrogé sur son roman dont le film est adapté, Giles Foden expliquait qu’il avait choisi ce titre, revendiqué par le dictateur, comme singulièrement révélateur de sa folie et de sa mégalomanie meurtrière. Quoi de plus fou pour un Africain ougandais que de se déclarer roi d’Écosse ? Eh bien, Foden avait tort, car la réalité est en train de rattraper la fiction et la démence d’hier est devenue conforme aux valeurs du temps.

    L’Écosse n’a pas encore de roi, mais déjà un Premier ministre musulman, Humza Yousaf. Et s’il occupe ce poste, c’est parce qu’il est à la tête du parti indépendantiste. Un parti qui à l’origine défendait l’identité historique des Écossais contre la colonisation des Anglais. On est bien loin de la lutte des Celtes contre les Normands.

    À la suite de la démission surprise de Nicola Sturgeon, le 15 février dernier, après huit ans au pouvoir, les membres du parti indépendantiste écossais (SNP) avaient le choix entre trois candidats pour lui succéder.

    Avec 52 % des voix des membres du SNP, Humza Yousaf, jusqu’alors ministre de la Santé, a remporté le deuxième tour du scrutin qui l’opposait au ministre des Finances, Mme Kate Forbes.

    « C’est un jour de fierté pour moi et ma famille, et j’espère que c’est aussi un jour de fierté pour l’Écosse car cela témoigne de nos valeurs en tant que pays alors que je me tiens ici en tant que premier musulman à diriger une nation démocratique occidentale », s’est réjoui Humza Yousaf. D’origine pakistanaise et indienne, Humza Yousaf est aussi le premier dirigeant musulman d’un important parti politique au Royaume-Uni. Son père et ses grands-parents paternels sont originaires de la province du Pendjab au Pakistan. Sa mère « est née au Kenya dans une famille d’immigrés asiatiques », détaille le journal pakistanais The Daily Pakistan. La famille s’est installée en Écosse en 1962. En 2011, lors de sa première élection au Parlement écossais, il a prêté serment en anglais et en ourdou. Après sa victoire, il a rendu hommage à ses grands-parents paternels, venus du Pakistan il y a 60 ans. « Ils n’auraient pu imaginer dans leurs rêves les plus fous que leur petit-fils deviendrait un jour le prochain Premier ministre d’Écosse. Cela nous rappelle que nous devrions […] toujours célébrer les immigrés, qui contribuent tellement à notre pays », a-t-il ajouté.

    Mais c’est tout de même un étrange musulman. L’idéologie woke a trouvé un musulman woke ancré à gauche et très progressiste sur les questions de société. Humza Yousaf soutient notamment une loi qui veut faciliter le changement de genre pour les jeunes, dès 16 ans et sans avis médical. Une loi qui a été bloquée par le gouvernement britannique. Humza Yousaf s’est engagé à poursuivre Londres en justice pour défendre la légitimité du Parlement écossais sur la question.

    Les deux autres candidates, Kate Forbes et Ash Regan, s’opposaient, elles, au projet de loi. Regan avait d’ailleurs démissionné de son poste de ministre pour protester contre cette « réforme du genre » et les deux concurrentes avaient déclaré qu’elles ne contesteraient pas le veto britannique. L’identité écossaise est donc liée à la théorie du genre. Voilà où nous en sommes.

    Qui sait, son rôle sera peut-être un jour interprété par un Mel Gibson transgenre célébrant le nouveau William Wallace sans kilt. Le film Braveheart célébrait de manière très romancée la vie du héros et symbole de l’indépendance écossaise, qui à la fin du xiiie siècle, affronta, à la tête des clans écossais unis, les troupes du roi Édouard Ier d’Angleterre.

    Mais du Dernier Roi d’Écosse à Humza Yousaf en passant par Braveheart, on peut se poser des questions. Un jour, les historiens se pencheront sur le suicide de l’homme européen par la subversion de son identité par des valeurs pour lui mortifères. Un Premier ministre indépendantiste écossais musulman et d’origine pakistanaise fera partie de l’enchaînement des aberrations idéologiques peut-être présentées d’ailleurs comme des avancées majeures. Car on ne parle pas d’un Premier ministre issu d’un parti internationaliste, écologiste, néo-féministe ou de défense des immigrés, mais du parti de l’indépendance de l’Écosse un temps représenté par Sean Connery. On voit le chemin parcouru. Un musulman porté au pouvoir car favorable aux transgenres. La boucle est bouclée. Rome a eu des empereurs qui n’étaient en rien des Romains ni même des Italiques. Ils venaient de tout l’Empire qui croyait se perpétuer en élisant à la pourpre suprême des nouveaux Romains si éloignés des origines. Rome s’enrichissait, paraît-il, de ses différences… On connaît la suite et la fin.

    Pierre Boisguilbert (Polémia, 30 mars 2023)

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  • Quand la fluidité du numérique est la porte ouverte à l'idéologie "woke"...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de François Valentin cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'étroite relation entre le numérique et le wokisme. Pierre Valentin est l'auteur d'une note intitulée «L'idéologie woke» pour la Fondapol.

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    «La fluidité du numérique est la porte ouverte à l'idéologie "woke"»

    Le Daily Telegraph nous apprenait le 17 février dernier que des centaines de changements ont été apportées aux textes originaux de Roald Dahl par l'éditeur anglais Puffin, afin de les rendre plus «inclusifs». Les Oompa Loompas, ouvriers dans l'usine de chocolat de Charlie et la chocolaterie, ne sont plus des «petites personnes» mais bien des «petits hommes». Dans le même ouvrage, la phrase «comme toutes les personnes âgées, elle est faible» a été troquée pour «comme la plupart des personnes âgées, elle est faible». Les références aux couleurs de peau ont été supprimées. Certains mots censurés (comme «gros» ou «laid») sont d'une banalité confondante, et leur censure signale une aseptisation profonde de la littérature à venir.

    Face aux critiques, Gallimard a annoncé que les versions françaises ne seraient pas modifiées, tandis que Puffin et sa société mère Penguin Random House U.K. ont annoncé qu'ils publieraient, en même temps que les versions modifiées, «The Roald Dahl Classic Collection», qui comportera 17 histoires avec le texte original de Dahl. Cependant, outre le fond idéologique des modifications, c'est la discrète modification numérique des textes qui pose question. Il est fort probable que nombre d'utilisateurs de Kindle, ou autre liseuses électroniques, n'aient même pas remarqué les évolutions. Une simple «mise à jour», bien souvent automatique sur nos appareils, aura permis de mutiler l'œuvre de l'écrivain. La numérisation du monde ouvre la possibilité de modifier les ouvrages sans que l'on s'en aperçoive.

    De la même façon, la domination du «streaming» retire les droits de propriété d'une œuvre au client pour les transférer à la plateforme. Contrairement à l'achat par DVD, vous ne possédez plus l'histoire de Bambi ou Dumbo, c'est Disney+, et ils ne manquent désormais pas l'occasion d'ajouter numériquement la mention suivante en amont de leurs propres classiques : «Ce programme comprend des représentations négatives et/ou des mauvais traitements de personnes ou de cultures. Ces stéréotypes étaient condamnables à l'époque et le sont encore aujourd'hui». Demain, les plateformes pourraient peut-être altérer le contenu idéologique de leurs œuvres, sans nécessairement l'admettre publiquement.

    En août 2019, le New York Times lançait le «1619 Project», une initiative qui visait explicitement à instaurer l'idée selon laquelle la véritable date de naissance des États-Unis remonterait en réalité à 1619, date de la première arrivée d'esclaves sur le continent. Dans leur désir de marquer leur nation du sceau du péché originel, les journalistes à l'origine du projet avaient manifestement sous-estimé l'ampleur que prendraient les critiques. Plutôt que d'assumer leur prise de position face à leurs détracteurs, ils ont procédé à une nouvelle réécriture de l'histoire, mais cette fois-ci celle du déroulement de la polémique elle-même. Ainsi, comme le souligne le journaliste britannique Douglas Murray dans son ouvrage The War on the West, les hérauts du 1619 Project ont modifié en catimini leurs anciens articles afin de retirer les passages où ils avaient explicitement écrit que l'histoire des Etats-Unis commençait en 1619, ce qui leur a permis par la suite d'expliquer qu'ils n'avaient jamais tenu cette position. Le numérique permet de maquiller les revirements les plus lâches ; de donner au reniement un air de cohérence.

    Si George Orwell est mort près de quatre décennies avant l'invention d'internet, son œuvre n'est que plus actuelle depuis que nous basculons vers le tout numérique. On a tendance à se tourner pour analyser ce type de situation, non sans raison, vers le roman dystopique 1984. À chaque permutation des alliances géopolitiques, le Parti proclame qu'il a toujours été en guerre contre tel continent et allié avec tel autre, et ce malgré les changements. Là aussi, la contradiction peut se déguiser en cohérence avec l'aide, déjà, de la radio et de la télévision qui diffusent la nouvelle ligne à suivre tout en faisant disparaître à jamais l'ancienne. Cependant, il se pourrait que son roman La Ferme de Animaux soit à sa façon un guide encore plus éclairant pour notre époque. Dans cet ouvrage, des animaux, guidés par une avant-garde composée de plusieurs cochons, renversent un ordre tyrannique incarné par le vieux fermier Jones. Cette révolution se fait au nom de l'abolition de l'Homme. De fil en aiguille, la nouvelle élite éclairée finit pourtant par reproduire les comportements humains qu'elle dénonçait, sans pour autant que les autres animaux, manipulés, parviennent à percevoir ce renversement spectaculaire.

    Quel type de peuple faut-il pour qu'une telle «révolution» au sens propre du terme – un tour complet sur soi-même, un retour au point de départ – puisse avoir lieu ? Quels critères sont requis afin que le changement puisse se faire au nom de la continuité, que la contradiction se mette en place au nom de la cohérence ? Pour formuler la question autrement : à quel point ressemblons-nous aux animaux de cette ferme ? Un critère central qui se dégage de l'ouvrage semble être la malléabilité du peuple. Sept commandements sont inscrits sur une planche en bois au centre de leur lieu de vie. Ces commandements ne sont pas (dans tous les sens du terme), gravés dans le marbre. Au fur et à mesure du roman, ils vont discrètement évoluer. Comment est-ce que les animaux réagissent à ces modifications, qui sont toutes des trahisons des commandements initiaux ? En un mot : peu. Leurs réactions sont timorées et confuses, malgré la répétition de ce sentiment de doute. Face à un énième changement, Orwell nous dit qu'«une fois encore les animaux éprouvèrent une vague inquiétude». Du fait de l'absence de preuves, leur doute face à un revirement apparent du pouvoir en place se mue progressivement en doute vis-à-vis d'eux-mêmes. Auraient-ils tout imaginé ? Brille-Babil, jeune cochon et excellent orateur, se charge parfois de faire le service après-vente des discours du chef Napoléon : « "Êtes-vous tout à fait sûrs, camarades, que vous n'avez pas rêvé ? Pouvez-vous faire état d'un document, d'un texte consigné sur un registre ou l'autre ?" Et comme assurément n'existait aucun écrit consigné, les animaux furent convaincus de leur erreur.»

    C'est justement parce qu'il n'y a plus de traces du passé que le présent peut être à ce point malléable (thème également exploré dans 1984), et que le doute peut être retourné contre ceux qui l'exprimaient. Le scepticisme, initialement dirigé vers la falsification et la trahison opérée par les cochons, se reporte sur le reste des animaux. Concernant les premiers commandements, Orwell rappelle que «tous les animaux se rappelaient les avoir adoptées – ou du moins ils croyaient en avoir gardé le souvenir» ; la deuxième moitié de cette phrase symbolisant ce retournement du doute sur soi-même.

    Ces troubles de la mémoire sont largement exacerbés dans le roman par le fait que les commandements ne sont jamais inscrits dans la pierre. C'est d'ailleurs parfois ce qu'une lecture d'Orwell chez certains à gauche est susceptible de rater : certes, les commandements sont absolus et le pouvoir autoritaire, mais les injonctions changent en permanence et impliquent un peuple élastique, flexible. La perception contemporaine des mouvements totalitaires obscurcit d'ailleurs cette réalité indiscutable, les réduisant souvent au culte d'un monde «fermé», «rigide». En réalité, comme le rappelle Victor Klemperer dans ses analyses du langage du nazisme, «le mouvement est à ce point l'essence du nazisme que celui-ci se désigne lui-même comme «le Mouvement» et sa ville natale, Munich, comme «la capitale du Mouvement», et, alors qu'il cherche toujours pour ce qui lui semble important des mots ronflants et excessifs, il conserve le mot «mouvement» dans toute sa simplicité». L'idéal de la «fluidité» et du flux sert de fait les intérêts les plus totalitaires.

    De ce point de vue, comment ne pas voir dans la numérisation du monde un potentiel totalitaire proprement terrifiant, où tout ce qui apparaît sur un écran est par définition éphémère ? C'est précisément parce que les commandements de la ferme sont peints sur une planche en bois qu'ils peuvent changer insidieusement en permanence. La numérisation du monde porte un coup fatal à plusieurs idées : la fiabilité de ses cinq sens, la permanence et la réalité intrinsèque du monde, et le fait qu'on ne saura jamais totalement maîtriser ce dernier. Un monde numérique, fait de réalité «augmentée», c'est un monde où chacun peut se prendre pour le personnage maléfique de Thanos dans les derniers films «Avengers» qui proclame que «la réalité peut-être tout ce que je veux». L'omniprésence d'internet dans la vie sociale sape les anticorps au totalitarisme, car il affaiblit l'empirisme tout en renforçant d'un même geste la tentation constructiviste.

    Ce n'est pas un hasard si la première génération intégralement numérique est aussi celle qui souhaite en masse se «customiser», comme un vulgaire personnage de jeu vidéo, en changeant de «genre» comme on change de couleur de cheveux. Ils veulent être une âme libérée d'un corps qui aurait l'inconvénient de s'imposer à nous, une idée délivrée des pesanteurs de la matière. Cette même génération qui se veut auto-engendrée appelle par ailleurs régulièrement à la censure et à la rééducation des éléments «problématiques» de la société. Désirs de remodelage intégral de soi et de la société vont de pair.

    Néanmoins, cette volonté de toute-puissance de l'individu créateur se couple avec une impuissance et un certain fatalisme technologique. On accepte que la numérisation soit un processus inéluctable (ce qui risque de la rendre inéluctable) et que les algorithmes domineront toujours plus nos vies. Les notions de «sens de l'histoire» et de «progrès» tournent à plein régime pour naturaliser l'avènement à la fois du wokisme et des nouvelles technologies. Beaucoup de nos logiciels ne nous demandent même plus la permission pour se mettre à jour eux-mêmes, pour muter, et nous acceptons passivement de les suivre là où ils voudront nous emmener, aussi bien technologiquement qu'idéologiquement. Quand l'absence d'un sentiment de discontinuité historique rencontre la puissance constructiviste sans précédent qu'est le numérique, les possibilités de contrôle et de manipulation ouvrent un champ des possibles particulièrement inquiétant. Une chose paraît certaine ; si cette dystopie devait un jour advenir, son premier message commencerait de la façon suivante : «Mise à jour 8. 4. 6…»

    Pierre Valentin (Figaro Vox, 7 mars 2023)

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