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stratégie - Page 9

  • Stratèges prussiens...

    Les éditions Economica viennent de publier dans leur Bibliothèque stratégique un  essai de Jean-Jacques Langendorf intitulé La pensée militaire prussienne - Etudes de Frédéric le Grand à Schlieffen. L'ouvrage est préfacé par Hervé Coutau-Bégarie, récemment décédé.  Auteur de nombreux livre consacrés à l'histoire militaire ou à la stratégie comme Faire la guerre - Antoine Henri Jomini (Georg, 2002 et 2004), Histoire de la neutralité (Infolio, 2007), Jean-Jacques Langendorf a aussi écrit des romans comme Un débat au Kurdistan (L'Age d'Homme, 1990),  La nuit tombe, Dieu regarde (Zoé, 2001) ou Zanzibar 14 (Infolio, 2008).

     

     

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    "Aussi bien dans le monde germanique que non germanique, la pensée militaire prussienne des XVIIIe et XIXe siècles est méconnue, dans la mesure où de grands arbres, comme Frédéric II, Clausewitz, Moltke ou Schlieffen ont caché la forêt. Les études présentées ici se penchent sur des théoriciens militaires ayant revêtu jadis une importance capitale mais qui, fort injustement, sont tombés dans les oubliettes de l’histoire, alors qu’ils ont joué un rôle essentiel dans la mise au point et la formulation de cette pensée. On découvrira dans ces pages tour à tour des personnages centraux pourtant totalement négligés jusqu’à nos jours, comme : Berenhorst, A. H. D. von Bülow, Favrat du Bernay, Gansauge, C. von der Goltz, Guischardt, E. von Kleist, Hahlweg, Lossau, Massenbach, Pfuel, Phull, Rühle von Lilienstern, Rüstow, Schaumburg-Lippe, Saldern, Steinmetz, Willisen, etc., ainsi que des aspects inédits de la pensée de Clausewitz."

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  • Petit éloge du long terme...

    Nous vous proposons ci-dessous un point de vue intéressant de Jacques Georges, cueilli sur Polémia et consacré à l'absence de stratégie à long terme de l'Europe. On attend avec impatience le bon médecin qui nous imposera la trithérapie que l'auteur propose !...

     

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    Petit éloge du long terme

    La Chine, le sens du temps long

    Prenons la Chine. Voilà un pays qui depuis 30 ans n’arrête pas de commencer par le commencement : construire pierre à pierre les conditions du développement (maîtrise démographique, priorité aux infrastructures de base et à l’éducation scolaire, technique et civique des citoyens, conception et mise en place d’un système bancaire et financier tourné vers le soutien à la production et l’entreprise, protectionnisme intelligent, maîtrise des parités de change, ordre dans la rue et dans les têtes), pour produire modestement et à bas coûts des articles essentiellement exportés, puis monter progressivement en gamme et en technologie, pour se retrouver, un beau matin, premier producteur industriel et deuxième PIB de la planète. Le tout en ne distribuant en bienfaits salariaux et sociaux, voire en investissements « de confort » de type logement, que ce qui est possible, voire seulement nécessaire. Avec toujours en ligne de mire l’épargne, la compétitivité, le long terme, la réserve sous le pied, et, plus que tout, la préservation de son identité, de sa force, de sa fierté nationale. Une vraie Prusse orientale. Pardon pour ce jeu de mots, qui d’ailleurs va très loin.

    L’Europe ? L’idiot du village global

    Prenons maintenant l’Occident en général, l’Europe en particulier. Un socialiste intelligent a dit qu’elle était l’idiot du village global, ce qui résume bien les choses. Son plus beau fleuron, la Grèce, ne fait que magnifier les exemples espagnol, portugais, italien, français, et, il faut bien le dire, en grande partie aussi bruxellois : optimisme marchand, mondialisation heureuse, ouverture à tout va, liberté de circulation des marchandises, des services et des hommes, substitution de population et libanisation joyeuses, rationalisation marchande extrême de la fonction agricole, abandon implicite de l’industrie au profit d’un tas appelé « services », joie du baccalauréat pour tous, protection du consommateur, développement de la publicité et du crédit à la consommation, distributions massives de pains et de jeux, relances keynésiennes perpétuelles, endettement privé et public poussé à l’absurde, promesses électorales qui n’engagent que ceux qui les prennent au sérieux, yeux perpétuellement rivés sur les sondages. Le résultat, totalement prévisible, est là, sous nos yeux. Au bout du compte, la chère France, pour prendre son glorieux exemple, en est, à fin octobre 2012, à se poser avec angoisse la question existentielle de savoir si le taux de croissance du PIB en 2012 sera de 0,8 ou de 0,3, ce qui change tout.

    La misère intellectuelle et morale de l’Europe

    On nous dira : et l’Allemagne, la Finlande, l’Autriche, et quelques autres ? Certes, ils sont un peu chinois de comportement ! Leur comportement garde un zeste de sérieux, de sens du long terme et de séquence logique des priorités qui font chaud au cœur à quelques-uns, dont, on l’a deviné, le rédacteur de ce petit billet. Que dit Angela ? Que rien ne sert de consommer, il faut produire à point ; que quelqu’un doit bien finir par payer les dettes ; que la malfaisance du capitalisme, ou du marché, ou des banques, ou de tous les boucs émissaires du monde, n’explique pas tout ; que le vernis sur les ongles vient après une bonne douche, et autres commandements dictatoriaux du même acabit. Intolérable, clament en chœur les cigales indignées : les Allemands doivent coopérer en lâchant les vannes, en consommant davantage, en faisant un minimum d’inflation, bref, en s’alignant enfin sur les cancres majoritaires ! A défaut, l’Allemagne paiera, ce qui n’est que justice ! Sur ce point, extrêmes droites européennes, qui depuis peu méritent effectivement ce nom, et extrêmes gauches, toujours égales à elles-mêmes, sont d’accord. La misère intellectuelle et morale de l’Europe, en ce début de siècle, est immense.

    Soyons un instant sérieux, car le sujet l’est extrêmement. Le sens du long terme a quelque chose à voir avec l’état, disons la santé, des peuples. C’est une affaire ancienne, délicate, complexe. Sparte contre Athènes, la Prusse contre l’Autriche, la cigale contre la fourmi, le modèle rhénan versus le modèle anglo-saxon, la primauté de l’économique sur le social, c’était déjà un peu ça. La gauche s’identifie assez naturellement avec ce qu’il y a de pire à cet égard, quoique avec des nuances, voire des exceptions (on cite à tort ou à raison Mendès-France, Delors ou Schröder comme contre-exemples). La droite, par nature portée aux horizons longs, mais ayant besoin d’être élue, et n’étant souvent pas de droite, a rivalisé souvent avec succès en démagogie avec les meilleurs démagogues de l’équipe adverse. Le ludion Sarkozy, sympathique et actif par ailleurs, comme son excellent et populaire prédécesseur, illustrent bien cette dérive. Sans parler des collègues grec ou italien.

    Pour une trithérapie des nations européennes

    Comment commencer à s’en sortir ? A notre avis, par une trithérapie mêlant : 1/ acheminement ordonné vers un protectionnisme continental identitaire intelligent de type Paris-Berlin-Moscou-Vladivostok, 2/ inversion vigoureuse mais juste et astucieuse des flux migratoires, et, last but not least, 3/ réforme intellectuelle et morale : réhabilitation de l’identité des Européens, du sens collectif, du long terme et de l’effort, réexamen profond et/ou remisage de l’idéologie des droidloms aux orties, réexamen honnête de l’histoire du XXe siècle défigurée dans les années 1960 sur les fondements datés de Nuremberg et Bandoeng. Joli programme ! Avec un peu de chance, en 100 ou 200 ans à peine, c’est plié !

    Jacques Georges (Polémia, 13 novembre 2012)

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  • Armée française : la ruine en héritage ?...

     

    Nous reproduisons ci-dessous un pont de vue de Georges-Henri Bricet des Vallons, cueilli sur Polémia et consacré à l'état catastrophique de l'armée française. Chercheur en sciences politiques, spécialisé dans les questions stratégiques, Georges-Henri Bricet des Vallons est l'auteur d'un essai intitulé Irak, terre mercenaire (Favre, 2009) et a dirigé un ouvrage collectif intitulé Faut-il brûler la contre-insurrection (Choiseul, 2010). 

     

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    Armée française : la ruine en héritage ?

    L’Afghanistan a-t-il été le chant du cygne de l’ère des opérations extérieures de l’armée française ? A prendre au mot le concept de « betteravisation » qui fait florès dans nos états-majors (entendre retour au pays et fin de l’époque expéditionnaire), tout connaisseur de la chose militaire est porté à le croire. Coupes continues des crédits, purge massive des effectifs, cession gratuite du patrimoine immobilier, des milliers de militaires qui ne sont plus payés depuis des mois... La situation de la Défense est entrée dans une phase critique qui pourrait déboucher sur une crise sociale, capacitaire, et des vocations sans précédent historique. L’institution militaire sera vraisemblablement la principale victime de la politique ultra-récessive poursuivie par le gouvernement Ayrault, qui, en cela, ne fait que parachever les décisions prises sous le mandat de Nicolas Sarkozy. L’armée de terre sera la plus touchée, mais la Marine et l’armée de l’air auront aussi leurs lots.

    L’affaire Louvois

    Le volet le plus sensible politiquement et médiatiquement est d’abord celui des soldes non versées, lié aux dysfonctionnements chroniques qui affectent le logiciel bien mal nommé Louvois, du nom de l’énergique ministre de la guerre de Louis XIV. Problème récemment qualifié d’« invraisemblable » par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, lui-même. Dans la continuité de la politique de rationalisation budgétaire actée par la Révision générale des politiques publiques (RGPP), le ministère de la Défense a décidé la mise en place de plusieurs systèmes d’information de « ressources humaines » (SIRH). Dans l’armée de terre, ce système d’information a été baptisé Concerto. Louvois (Logiciel unique à vocation interarmées de soldes) est la déclinaison du volet « salaires » de l’ensemble des SIRH des armées (Rhapsodie pour la Marine, Orchestra pour l’Armée de l’Air, Agorha pour la Gendarmerie). Problème : ce logiciel vendu à prix d’or et dont la maîtrise d'œuvre et la maintenance sont assurées par l’entre- prise Steria, ne fonctionne pas. Depuis le raccordement de Louvois à Concerto et le basculement unilatéral de la gestion des soldes en octobre 2011, les ratés du système perdurent et se multiplient : frais de déménagement non remboursés, indemnités de campagne non perçues, soldes non versées, ou versées avec six mois ou un an de délai, ou alors versées de manière aberrante (seul un cinquième du salaire est perçu), autant d’accrocs dus à la pléiade de bugs qui affectent Louvois. La conséquence directe est une précarisation radicale des familles : une manifestation de femmes de militaires a eu lieu l’année dernière, première du genre, mais le mouvement a vite été étouffé par les pressions exercées sur leurs maris. Résultat : certains militaires, qui attendent le versement de leurs soldes, sont ruinés, interdits bancaires et sont obligés d’emprunter pour rembourser des crédits déjà contractés alors même qu’ils ne sont plus payés ! Dans les cas les plus extrêmes, leurs femmes divorcent pour acquérir un statut de femme seule et toucher des allocations. L’affaire des soldes pourrait, à condition de se cantonner à une lecture de surface, ne relever que d’un simple bug. En réalité, le problème pourrait aller bien au-delà du raté informatique et concerner aussi la trésorerie de l’Etat. Les capacités d’emprunt auprès des marchés s’épuisant avec la crise, la priorité va au paiement des salaires des institutions syndiquées et dotées d’une forte capacité de nuisance médiatique (Education nationale), à l’inverse exact des militaires. Officiellement 10 000 dossiers sont en attente de traitement dans l’armée de terre (chiffre reconnu par le ministère). En réalité l’ensemble de la chaîne des soldes (troupe, sous-officiers et officiers) est impactée (120.000 bulletins de soldes touchés) et le chiffre réel pourrait atteindre 30 % des effectifs totaux. Pire, ces ratés touchent en majorité des militaires qui sont sur le point de partir en opérations ou qui en reviennent (60 % des dossiers). Là encore, impossible de faire la lumière sur le nombre exact de militaires touchés puisque le ministère n’en a aucune idée précise et vient de lancer un appel aux parlementaires pour faire remonter les doléances. Le ministre Le Drian a parfaitement conscience du scandale même s’il feint de le découvrir avec sa prise de fonction, puisqu’il était chargé des questions de défense auprès de François Hollande pendant la campagne présidentielle. Si Bercy ne freinait pas, le ministère aurait évidemment débloqué des fonds spéciaux pour gérer l’urgence, ce qu’il commence à faire. L’annonce récente d’un plan d’urgence et la mise en place d’un numéro vert suffiront-elles ? Les services concernés sont déjà débordés par le flot des plaintes et, faute de compétence technique, n’ont d’autre choix que d’intimer la patience.

    Sur le fond, une autre hypothèse – conditionnelle – pourrait être émise : les ratés de Louvois pourraient relever d’une stratégie mise en place par les grandes entreprises de conseil qui ont vendu ces logiciels de gestion intégrée pour démontrer au gouvernement l’incapacité des services de l’Etat à faire fonctionner des systèmes aussi complexes et obtenir une externalisation totale de leur gestion (Louvois est géré en interne par les services de ressources humaines du ministère qui sont épaulés par des équipes de Steria). Paradoxe ? L’Etat envisagerait de confier la totalité de la gestion du parc informatique du ministère à Steria. Aucune sanction financière n’a pour l’heure été prise contre l’entreprise, ce qui ne laisse pas d’interroger, tout comme l’absence de réactivité du contrôle général des armées, pourtant censé superviser et auditer ce type de dossier. Dans un contexte aussi opaque, il est de toute façon impossible de détailler avec exactitude les responsabilités de chacun. Seule une commission d’enquête parlementaire serait en mesure de le faire. On notera que seul l’ex-chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Paloméros, constatant ces défaillances à répétition, a eu le courage de refuser le passage à Louvois. Il est depuis parti servir au sein de l’OTAN comme commandant suprême allié à Norfolk.

    Le dépérissement des PME de Défense

    La situation financière critique du ministère de la Défense recoupe également le problème des délais de paiement (9 à 18 mois en moyenne) aux PME de Défense (qui ont souvent pour seule clientèle l’Etat). La conséquence est que les PME n’ont pas les fonds de roulement nécessaires pour survivre à de tels délais et que la crise faisant, les banques ne prêtent plus. A cela il faut ajouter la perspective d’une contraction inéluctable des commandes de l’Etat liée aux coupes budgétaires dans les équipements. 211 millions d’euros avaient déjà été annulés sur la mission Défense 2011 pour rembourser une partie des 460 millions d’euros dus à Taïwan dans l’affaire des frégates après le rendu de l’arbitrage international. Pour le budget 2013, plus de 1,8 milliard pourraient être annulés ou décalés sur un total de 5,5 milliards. Il est à craindre que le tissu industriel des PME de Défense, déjà précarisé et très faiblement soutenu par l’Etat (à l’inverse de la politique pratiquée en Allemagne), risque à court terme la mort clinique. L’autre incidence de cette rétractation budgétaire est que l’effort de recherche et développement de programmes indispensables à notre autonomie stratégique, comme celui d’une capacité « drone », va être dramatiquement entravé, entraînant l’achat sur étagères de Reaper américains.

    Le « dépyramidage » et le gel des avancements

    Autre dossier brûlant : le gel de 30 % des avancements. Matignon a enjoint début septembre, via une lettre de cadrage, le ministère de la Défense d’impulser une politique de dépyramidage brutale de la structure de ses effectifs et pour ce faire de réduire du tiers les volumes d’avancement de ses personnels militaires sur les trois prochaines années. C’est l’autre bombe à retardement avec l’affaire des soldes : plus de perspective d’avancement au grade, plus d’augmentation salariale pour un tiers des militaires. Du jamais vu. Une politique de dépyramidage courageuse consisterait à acter une loi de dégagement de cadres (trop de colonels et de généraux en proportion par rapport aux officiers subalternes, sous-officiers et troupe) et à ponctionner dans les avantages du régime spécial de la 2e section (5.500 généraux en retraite dite « active », soit l’équivalent d’une brigade de réserve, pour seulement 95 rappels annuels). Le ministère ne s’y risquera sans doute pas car, contrairement à un sergent ou à un lieutenant, les généraux ont un poids politique (en interne) et une telle option susciterait des mouvements de solidarité redoutables dans un milieu pourtant sociologiquement marqué par l’individualisme.

    Au final, on ne peut que constater avec dépit l’inefficacité totale de la politique de rationalisation engagée avec la RGPP de 2008. Au lieu de baisser comme prévu, la masse salariale de la Défense a augmenté : à mesure que le ministère ponctionnait dans les effectifs opérationnels, il a embauché des hauts fonctionnaires civils (+1 438 depuis 2008) comme le rapportait la Cour des comptes en juillet dernier.

    Le bradage du patrimoine immobilier

    Il faut également ajouter à ce triste constat le dossier du patrimoine immobilier de la Défense. Le gouvernement envisage en effet d’offrir sur un plateau les emprises parisiennes du ministère à la Mairie de Paris via une cession gratuite ou une décote de 100 % (en partie déjà opérée sur le budget 2013) pour y construire des logiciels sociaux et complaire aux demandes de Bertrand Delanoë. Ces recettes extrabudgétaires liées à la vente de l’immobilier (rue Saint-Dominique et autres emprises dans le cadre du transfert vers Balard), qui représenteraient entre 350 et 400 millions d’euros, étaient pourtant censées compenser les coupes dans les crédits d’équipement.

    L’empilement des réformes non menées à terme et celles à venir

    A ce contexte déjà tendu, il faut ajouter les problèmes liés à l’empilement des réformes depuis 2008. Une réduction de 55.000 personnels de la Défense avait déjà été actée par le Livre blanc passé. La Défense supportera ainsi 60 % des réductions de postes dans la fonction publique pour l’exercice 2013 : 7.234 supprimés sur les 12.298 au total. De surcroît, la refonte de la carte régimentaire (dissolution de dizaines de régiments, parfois décidée en fonction de calculs purement politiciens) qui a abouti à la création des Bases de défense, censées centraliser au niveau régional la gestion logistique et financière des emprises, et qui a été menée en fonction de postulats purement technocratiques, a abouti à créer des usines à gaz et à promouvoir un chaos gestionnaire. Les BdD ne fonctionnent pas et il est également prévu de réduire leur nombre initialement prévu (90).

    Sur les difficultés non digérées des réformes passées vont enfin se greffer celles des réformes à venir et qui seront entérinées par le Livre blanc à paraître en février prochain. Si pour l’heure, ces perspectives ne relèvent que des secrets d’alcôve qui agitent les couloirs de la Commission du Livre blanc, elles semblent déjà quasi actées : le gouvernement projetterait de supprimer une annuité budgétaire complète sur la période 2014-2020, c’est-à-dire pas moins de 30 à 40 milliards sur les 220 milliards prévus sur la période par le Livre blanc (1) précédent. Une purge budgétaire qui serait corrélée à un projet de réduction de 30.000 postes opérationnels dans les armées (la quasi-totalité dans l’armée de terre, 3.000 dans la Marine et 2.000 dans l’armée de l’air) (2). Ce qui porterait les effectifs terrestres d’ici peu à un volume équivalent à celui de l’armée de terre britannique (80.000 hommes). Jamais l’armée française n’aura connu un volume de forces aussi faible dans son histoire depuis la Révolution.

    Un format d’armée mexicaine

    Aucune des lois de programmation militaire décidées par les gouvernements de droite et de gauche, et qui sont pourtant censées fixer le cap stratégique des armées et sanctuariser les investissements budgétaires, si cruciaux pour maintenir un modèle d’armée cohérent, n’ont été respectées depuis la professionnalisation de 1996. L’horizon d’un tel processus est clair : un effondrement radical des moyens humains et matériels (3) de nos forces, un format d’armée mexicaine (l’armée de terre compte actuellement 173 généraux en 1re section pour un effectif de moins de 110-120 000 hommes, là où le Marines Corps n’en recense que 81 pour un effectif quasi double de 220 000) avec une haute hiérarchie civile et militaire à peu près épargnée en raison de considérations politiques (puisque c’est elle qui exécute les réformes), un taux de disponibilité des matériels extrêmement faible, des forces incapables de se projeter hors des frontières et des programmes militaires vitaux qui ne pourront être pleinement financés (drones, renouvellement véhicules terrestres, développement d’une capacité de cyber-défense).

    Le décrochage géostratégique de la France

    La parade, qui consiste à tout miser sur un modèle d’intervention indirecte (formation à l’arrière de forces étrangères avec l’appui de notre aviation et de petits contingents de forces spéciales, comme ce qui est prévu au Mali et ce qui a été fait en Libye) et le renseignement, ne suffira pas à empêcher le décrochage brutal de notre influence géostratégique. Il se pourrait surtout que le Livre blanc acte définitivement l’idée de smart défense (*) et de mutualisation des capacités nucléaires avec l’Angleterre (qui en tirera tous les bénéfices), achevant de décapiter ce qui restait de souveraineté stratégique à la France après la réintégration dans l’OTAN. La route du désastre est donc parfaitement balisée.

    Comment expliquer cette pression extrême sur le budget de la Défense ? Très simplement par le fait que l’armée est la seule institution publique à ne pouvoir compter sur un contrepouvoir syndical et que le politique se sent, en conséquence, autorisé à toutes les oukases. On pense notamment au scandale de la campagne double refusée jusqu’en 2011 aux militaires ayant servi en Afghanistan (4).

    Voilà plus de soixante ans, le général De Gaulle avertissait déjà dans un discours fameux : « La Défense ? C’est la première raison d’être de l’Etat. Il ne peut y manquer sans se détruire lui-même ! » Il semble que cette phase d’autodestruction soit désormais irrémédiablement engagée. Si le politique choisit la facilité et s’entête dans ce processus de désossage budgétaire de notre puissance militaire, et si le haut commandement n’y trouve rien à redire, il ne restera bientôt à nos forces, en lieu de drapeau et de fierté, que l’héritage de la ruine. On pourra alors graver au frontispice des régiments les mots de Shelley flétrissant l’orgueil du roi Ozymandias : « Rien à part cela ne reste. Autour des décombres / De ce colossal naufrage, s’étendent dans le lointain / Les sables solitaires et plats, vides jusqu’à l’horizon. »

    Georges-Henri Bricet Desvallons  (Polémia, 3 novembre 2012)

    Notes de l'auteur :

    1. Le Livre blanc 2008 tablait sur une enveloppe budgétaire de 377 milliards d’euros d’investissement sur la période    2009-2020, avec une progression nette du budget entre 2015 et 2020 (160 milliards ayant été virtuellement consommés sur la tranche 2009-2013).
    2.  Ces 30.000 postes ne pourraient représenter qu’une première tranche et suivis de 30.000 autres sur les dix prochaines années, ce qui rapporterait le volume des forces terrestres à un seuil critique de 60.000 hommes.
    3.  Pour 2013, les programmes touchés sont les suivants : le camion blindé PPT, l’Arme individuelle du futur (remplaçant du Famas), le VLTP (successeur de la P4), le programme-cadre Scorpion de modernisation des forces terrestres et des GTIA.
    4.   Le ministère de la Défense précédent ayant en effet refusé de qualifier l’engagement en Afghanistan de « guerre » jusqu’en 2011, les militaires partis en Opex n’ont pu prétendre aux bénéfices du dispositif de la campagne double. Parmi les régimes d’opérations qui ouvrent un droit à une bonification des cotisations de retraite, on distingue communément la campagne double (6 mois de service valent 18 mois au titre de la pension) de la campagne simple (6 mois valent 12 mois) et de la demi-campagne (6 mois valent 9 mois). Ce n’est ni le lieu ni la durée de l’engagement qui détermine le régime de campagne mais sa « nature ».
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  • Comprendre la guerre ?...

    Les éditions Perrin publient dans leur collection de poche Tempus un excellent petit livre de Laurent Henninger et Thierry Widemann intitulé Comprendre la guerre - Histoire et notions. Les deux auteurs, spécialistes de l'histoire militaire, sont chercheurs à l'Institut de recherche stratégique de l'école militaire et ont collaboré au Dictionnaire de stratégie (Puf, 2000), édité sous la direction de Thierry de Montbrial et de Jean Klein.

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    "Manuel d'initiation à l'histoire militaire et à la pensée stratégique, ce livre a pour ambition de donner les clés de compréhension du fait guerrier.
    De la définition de la tactique ou de la guerre juste à des réflexions sur le mercenariat ou la dissuasion nucléaire, la guerre est ici évoquée sous ses différentes formes (de la bataille rangée au terrorisme) et dans l'essentiel de ses aspects politiques, sociaux et psychologiques.
    A travers l'explication de cinquante notions, toujours enrichie d'exemples historiques, les auteurs décryptent les grandes questions de défense et éclairent la geste guerrière."

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  • La France, un pays sous influence ?...

    « L'influence est une relation consciente ou inconsciente qui permet de faire agir ou penser autrui selon ce que veut l'émetteur de l'influence. Il est d'usage d'ajouter : sans exercice de la force ni paiement. »

     

    Les éditions Vuibert viennent de publier La France, un pays sous influence ?, un essai de Claude Revel. Après avoir été haut-fonctionnaire, l'auteur poursuit son activité professionnelle dans le domaine du conseil en commerce et relations internationales et publie de nombreux articles sur le thème des stratégies d'influence et de l'intelligence économique.

     

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    "Normes mondiales de la bonne université, du bon pays où investir, louanges puis critiques des biocarburants, États sous contrôle d’agences privées, rôle de Facebook et Twitter dans les révolutions arabes, succès mondial du concept de développement durable… ces quelques exemples parmi d’autres, illustrent les jeux de ce pouvoir invisible qu’est l’influence. Celle-ci a déjà complètement redistribué les cartes de la puissance depuis une trentaine d’années. Certains - États, entreprises, ONG - ont su saisir cette opportunité ; d'autres, non. Qu'en est-il de la France ?

    Soft power, advocacy, lobbying, think tank, storytelling, public et business diplomacy… pour exercer l’influence, point n’est besoin d’aller chercher des manœuvres occultes. La gouvernance qui s’est mise en place au niveau mondial facilite et légitime des influences de toutes sortes, qui agissent directement sur nos règles de vie et sur la formation de nos opinions.

    Cet ouvrage à la rigueur implacable décrypte et analyse toutes les influences qui nous façonnent et nous manipulent. Au-delà, il plaide pour la recherche d’un monde à la pensée non standardisée en donnant des pistes et des instruments pour réagir."

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  • Pour une stratégie de puissance !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du colonel Michel Goya, cueilli sur son site La Voie de l'Épée et consacrée à la nécessité pour notre pays de définir une véritable stratégie de puissance... Expert en histoire militaire et dans les questions liées à l'art de la guerre, le colonel Goya est l'auteur de nombreuses études et de plusieurs livres, dont Res militaris - De l'emploi des forces armées au XXIème siècle (Economica, 2010). 

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    Pour une stratégie de puissance
     
    Le général Desportes aime à répéter que la stratégie consiste à accorder un but, des voies et des moyens. De fait, selon que l’on privilégie un de ces piliers on peut distinguer plusieurs grandes approches stratégiques. Dans son remarquable Traité de l’efficacité François Jullien décrit ainsi une approche centrée sur un but précis que l’on va s’efforcer d’atteindre à force de volonté. C’est la vision classique et occidentale de la politique de puissance qu’il oppose à une vision chinoise centrée sur les voies, conçues comme des tendances porteuses à déceler et dont il faut profiter pour accroître sa puissance mais sans forcément avoir un « état final recherché » très clair. Dans le premier cas, l’action crée l’ « évènement », dans le second, elle le conclue. Logiquement, il existe donc aussi une troisième approche qui estime que le simple développement des moyens suffit à atteindre le but. C’est, en particulier, le fondement de la dissuasion nucléaire. La possession de l’arme ultime suffit à la protection de la vie de la nation.

    La question qui se pose ensuite est celle de l’adversaire. Une stratégie est-elle intrinsèquement liée à la confrontation avec la stratégie inverse d’un adversaire, c’est-à-dire quelqu’un qui a une vision antagoniste à la nôtre ou peut-elle se déployer sans opposition ? L’organisation d’une expédition humaine vers Mars relève-t-elle d’une stratégie ou d’un management (ou programmation si on préfère le terme d’Edgar Morin) ? Ce n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît. Pour reprendre le thème de l’exploration spatiale, la conquête de la Lune par les Américains s’est faite dans un contexte de compétition avec les Soviétiques. Autrement dit, il a bien fallu tenir compte des actions d’un rival dans la programmation de ses propres actions pour atteindre le but fixé. Il en est finalement de même des deux autres voies stratégiques définies plus haut qui peuvent s’exercer face à un ennemi, un rival ou sans opposition.

    Ces différences de nature introduisent des différences de complexité. Pour reprendre un exemple développé par Edward Luttwak dans Le paradoxe de la stratégie, sans opposition le chemin le plus rapide est forcément le plus court. En présence d’un ennemi en revanche, le chemin le plus court est aussi le plus prévisible et donc le plus tentant pour y tendre une embuscade. Le chemin le plus rapide est alors peut-être le plus long. Tout est dans le peut-être, car l’ennemi peut aussi tenter de suivre le même raisonnement et placer l’embuscade sur le chemin le plus long. La dialectique est un multiplicateur de complexité qui fait passer la stratégie du déterminisme à l’imprévisible.

    En ce qui concerne la France contemporaine, les choses étaient relativement claires lors de la période gaullienne. Les buts étaient  la sauvegarde de l’indépendance nationale en particulier face à l’Union soviétique ; la participation de la protection de l’Europe occidentale face à ce même ennemi et la défense de nos intérêts dans le reste du monde. Les moyens de la France n’autorisant pas une stratégie volontariste à l’encontre de l’URSS, celle-ci est remplacée par une stratégie des moyens rendue possible par le caractère extraordinaire de l’arme nucléaire. La stratégie volontariste reste néanmoins de mise pour la défense de nos intérêts. La notion de dialectique est pleinement acceptée dans cette vision réaliste des relations internationales. Autrement dit, la France considère qu’elle a des ennemis, permanents ou ponctuels, et lorsque cela est nécessaire elle emploie la force contre eux et de manière autonome.

    A partir de la fin des années 1970, la stratégie volontariste de préservation des intérêts fait de plus en plus place à une stratégie des moyens en parallèle d’un refus croissant de la dialectique. Le simple déploiement de forces est de plus en plus considéré comme suffisant pour résoudre les problèmes, ce qui revient à laisser l’initiative à des organisations qui persistent à croire à la notion d’ennemi et développent des stratégies volontaristes. C’est ainsi qu’en octobre 1983, le Hezbollah tue ainsi 58 soldats français à Beyrouth quelques semaines après que le Président de la République ait déclaré publiquement que la France n’avait pas d’ennemi au Liban.

    A la fin de la guerre froide et alors que les buts stratégiques de la France deviennent plus flous, la tendance à la négation de la dialectique et à la concentration sur une stratégie des moyens ne fait que s’accentuer, troublée seulement par le suivi plus ou moins volontaire des guerres américaines dans la Golfe, le Kosovo et l’Afghanistan. L’aboutissement de cette tendance est le Livre blanc de 2008 où l’intérêt national fait place à la sécurité et les ennemis, actuels ou potentiels, font place aux menaces. La réflexion stratégique se limite à un contrat d’objectifs, c’est-à-dire à une simple liste, par ailleurs de plus en plus réduite, de moyens à déployer. Même lorsque la force est employée contre des ennemis presque déclarés, en Kapisa-Surobi à partir de 2008 ou en Libye en 2011, les limites à son action sont telles, qu’on peut se demander s’il s’agit d’une stratégie volontariste.

    Alors que se préparent les travaux du nouveau Livre blanc, on voit apparaître, comme en 2008, des études sur « La France face à la mondialisation », là où des Chinois écrivent sans doute « La Chine dans la mondialisation », ainsi que de nouvelles listes de menaces à contrer (qui sont toujours les mêmes depuis vingt ans), là où des Américains définissent leurs intérêts à défendre dans le monde. Il serait peut-être donc temps d’en finir avec cet appauvrissement progressif et de revenir aux fondamentaux de la politique : que veut la France ? Comment accroître sa puissance ? Quels sont ses ennemis, adversaires, rivaux que notre politique va rencontrer et comment leur imposer notre volonté ?
     
    Michel Goya (La Voie de l'Épée, 13 juillet 2012)
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