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stratégie - Page 10

  • Le vide stratégique...

    Les éditions du CNRS publient cette semaine un essai de Philippe Baumard intitulé Le vide stratégique. Professeur et chercheur à Polytechnique, Philippe Baumard est l'auteur de plusieurs essais consacré à la stratégie, à l'information et à la prospective.

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    "Affolement des marchés, des médias, des responsables politiques, réactions aveugles, emballements des dettes souveraines, spéculations financières, révolte des peuples et répressions : et si la succession des crises et des impasses où elles semblent nous conduire résultaient d’un vide stratégique ?

    Produit d’une lente construction qui, depuis la Guerre froide, a remplacé l’art de la stratégie par celui de la seule tactique, le vide stratégique est aujourd’hui la conséquence d’une information surabondante, d’un culte exagéré du calcul, de la dictature de l’immédiat. Il crée des situations où les modèles, comme les idéologies, se révèlent incapables d’expliquer, de comprendre et de prédire ce qui survient.

    Après avoir rappelé les évolutions de la pensée stratégique, de Sun Zi et des strategoi athéniens à Clausewitz et Galula, l’auteur montre comment la disparition du stratégique au début du XXIe siècle empêche de penser le futur pour se limiter au seul contrôle du présent. Synonyme d’ignorance, de défaillance et d’absence de discernement, le vide stratégique est devenu une source extraordinaire de profits pour la grande criminalité, les sociétés militaires privées, les trafiquants, les intermédiaires financiers. Ce monde qui a perdu sa capacité à définir et à expliquer l’état des choses n’a, paradoxalement, jamais créé autant de richesses. Ni autant de pauvreté...

    Un essai qui sonne comme un avertissement."

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  • Le dieu de la guerre...

    Les éditions Perrin viennent de publier un ouvrage de Bruno Colson et... Napoléon, intitulé De la guerre. Historien, politologue et stratégiste, Bruno Colson est un spécialiste des guerres napoléoniennes. Dans ce livre appelé à devenir un classique, il met en regard la pensée stratégique de Clausewitz et celle de son inspirateur, Napoléon.

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    "Le grand traité sur la guerre que Napoléon voulait écrire à Sainte-Hélène.

    Isolé à Sainte-Hélène, Napoléon envisagea de rédiger le grand traité stratégique dans lequel il aurait dévoilé les secrets de son génie. Mais il renonça, laissant à la postérité des bribes éparses.
    Bruno Colson a relevé le gant, d'abord en rassemblant tous les propos existants de l'Aigle : lettres nombreuses, confessions orales notées par les mémorialistes sans compter des inédits puisés aux archives. Ensuite, il a ordonné cette riche matière en suivant le plan choisi par Clausewitz dans son fameux traité De la guerre, de bout en bout inspiré par l'épopée impériale.
    Le résultat dévoile comme jamais la pensée et l'action de celui que Clausewitz qualifiait de « dieu de la guerre ». Vitesse, concentration éclair, manoeuvres, capacité à exploiter l'instant charnière de la bataille, art de la poursuite ; autant d'inventions matricielles de la guerre de masse et de mouvement se révèlent dans un style limpide et percutant. Le dialogue au sommet établi avec Clausewitz, dont les idées maîtresses sont exposées en ouverture de chaque partie, achève de hisser cet ouvrage sans précédent au rang de futur classique pour quiconque aspire à comprendre la guerre moderne."

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  • Si rien n'est fait...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, cueilli dans Libération, avec Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (François Bourin Editeur, 2011)

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    Journaliste et économiste, Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (chez François Bourin Editeur), une analyse de la stratégie de puissance de la Chine face au déclin consenti des puissances occidentales. Il explique les profonds déséquilibres, aggravés par la crise, qui se creusent au détriment de celles-ci.

    La question du yuan est au menu des discussions du G20 à Washington. Quel est le problème avec la monnaie chinoise?

    Le yuan est la monnaie de la seconde puissance mondiale, du premier pays en termes de détention de réserves de change. Or cette monnaie n'est pas convertible: la Chine exerce un contrôle des changes pour en contrôler strictement la valeur. Le yuan est considérablement sous-évalué. De plus, depuis trente ans, la stratégie de Pékin est d'indexer le yuan sur le dollar, pour que les évolutions de ces deux monnaies soient synchronisées.

    Quels sont les avantages de cette stratégie monétaire?

    Elle permet d'attirer les multinationales sur le sol chinois. Garder la monnaie sous-évaluée permet de produire moins cher. Les Chinois se souviennent qu'en 1985, Washington avait forcé les Japonais à réévaluer le yen, tordant le cou à l'industrie japonaise. Ils ne laisseront pas la même chose leur arriver.

    Par ailleurs, indexer le yuan sur le dollar, c'est garantir aux multinationales qu'elles ne prennent pas de risques de change. En retour, la Chine demande à celles-ci de produire pour l'exportation, pas pour le marché local. C'est une stratégie géniale, un pacte gagnant-gagnant: les multinationales engrangent les bénéfices, et la Chine les excédents commerciaux. Aux dépens de l'industrie et des balances commerciales de l'Europe et des Etats-Unis, qui perdent des emplois et des capitaux.

    Quel est l'intérêt pour la Chine d'accumuler ces excédents?

    D'abord, le pays ne peut pas basculer brutalement d'un modèle mercantiliste, basé sur l'exportation, à un modèle de consommation intérieure. Ensuite, la Chine vieillit, comme l'Allemagne: dans 20 ou 30 ans, il faudra financer un grand nombre de retraites. D'où le besoin d'engranger des recettes à l'export.

    Enfin, celles-ci permettent de racheter des actifs. Par exemple des bons du Trésor américain, c'est-à-dire la dette publique des Etats-Unis. Pékin se tourne aussi de plus en plus vers des actifs tangibles: telle ou telle entreprise qui dispose d'une technologie convoitée, telle autre, point d'entrée pour un marché particulier. On s'attend aussi à une importance croissante de la Chine dans la finance.

    Quelles sont les conséquences de cette politique pour les économies occidentales?

    Elle entraîne pour l'Europe et les Etats-Unis des déficits commerciaux considérables. Non seulement les emplois, mais aussi les capitaux sont délocalisés en Asie. Les multinationales n'investissent plus en Occident. Qu'est-ce qu'il reste? Des emplois publics, avec lesquels on espère masquer l'hémorragie d'emplois marchands. Tandis que l'on fait des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux super-riches.

    Est-il impossible de faire pression sur la Chine pour qu'elle infléchisse sa politique monétaire?

    L'erreur a été de l'admettre à l'OMC, en 2001, sans lui demander de renoncer au contrôle des changes. Entre 2005 et 2008, la Chine a procédé à une réévaluation par petites touches, 1% de temps de en temps, sous la pression internationale. Avec l'arrivée de la crise, ils se sont complètement réindéxés sur le dollar. Depuis quelques mois, ils ont repris leurs petites réévaluations. Mais pour mettre le yuan à son niveau réel, il faudrait le réévaluer de 30 ou 40%. D'un autre côté, on peut comprendre les Chinois, qui ne veulent pas alimenter l'inflation par une hausse importante.

    Mais, en l'absence d'une forte demande intérieure, la Chine n'a-t-elle pas intérêt à la prospérité de ses principaux partenaires commerciaux?

    Elle est obligée à un pilotage assez fin. Mais globalement, on est à un moment où la machine économique échappe à ses acteurs. Plus personne ne maîtrise plus rien, et Pékin ne peut pas racheter les dettes de tous les Etats européens. Les Chinois se sont déclarés prêts à aider, mais c'est surtout un effet d'annonce.

    Peut-on espérer un front uni des Occidentaux sur le yuan lors du G20 de Cannes, début novembre?

    Je crains que les Européens ne soient pas unis. Le principal partenaire de la Chine en Europe, c'est l'Allemagne, qui a adopté la même stratégie mercantiliste en réalisant ses excédents sur la zone euro. Le fait que l'euro soit trop fort par rapport au yuan, les Allemands s'en fichent: ils occupent la niche du haut de gamme. Le taux de l'euro, ça joue peu quand on vend des Mercedes. C'est plutôt nous, Français, qui sommes concernés par la question. Quant aux Américains, qui seraient les seuls à pouvoir faire pression sur la Chine, ils ne remettent pas en cause son adhésion à l'OMC, par attachement au libre-échange. Ils n'ont pas compris les problèmes que pose leur déficit commercial, alors que l'Amérique s'appauvrit.

    Il ne faut donc pas trop compter, selon vous, sur les grands changements annoncés?

    Non. Les Chinois veulent que leur monnaie devienne à terme la seconde devise mondiale, voire la première. Ils ont déjà suggéré aux autres puissances émergentes de ne plus utiliser le dollar pour leurs échanges entre elles, mais une monnaie commune, et pourquoi pas le yuan...

    Que peut faire l'Europe face à cette nouvelle super-puissance chinoise?

    L'Europe à 27 est une hérésie. La France doit se mettre à table avec l'Allemagne et discuter d'une nouvelle étape de la construction européenne. Peut-on continuer à vivre ensemble, avec les compromis que cela implique? Il faut alors construire une vraie puissance européenne, avec une vraie géostratégie. Les brésiliens ont créé des taxes à l'importation, obligent Apple à produire sur place, idem pour les voitures. L'Europe doit y venir aussi.

    Pourquoi avoir titré votre livre «Mourir pour le yuan»?

    A la longue, si rien ne se passe, si on continue à accumuler les déséquilibres, comme au début du XXe siècle, l'issue sera la même: la guerre.

    Propos recueilli par Dominique Albertini

    Libération (24 septembre 2011)
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  • L'imprévu, la Chine et l'occasion favorable...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial de Dominique Venner publié dans le dernier numéro la Nouvelle Revue d'Histoire, actuellement en kiosque, et consacré à l'imprévu dans l'histoire.

     

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    L'imprévu, la Chine et l'occasion favorable

    L’actualité offre parfois des exemples saisissants d’imprévu. Au printemps dernier, chacun a été frappé par le choc des images montrant l’un des puissants de ce monde, visage défait, menottes aux mains, déchu de façon soudaine de son statut d’impunité. Par médias interposés, les spectateurs ont senti qu’ils assistaient à beaucoup plus qu’un fait divers. En une seconde, l’un des princes de l’époque, par la révélation imprévue d’une sordide incartade, se trouvait précipité à terre, et avec lui les espérances d’une coterie arrogante.

    Chacun pouvait en tirer la conclusion que l’inattendu est roi, non seulement en petite politique, mais aussi en histoire. Soudain, le dérisoire humain triomphait de la puissance. Mais en d’autres occasions, la puissance agissante sait trouver des instruments pour faire choir un obstacle condensé en une personne, comme le montrent les révolutions colorées de notre époque.

    Nous le savons, l’histoire est le lieu de l’inattendu. La guerre en offre de brutales démonstrations. Il est assez surprenant qu’en Europe une réflexion sérieuse sur le sujet ait dû attendre les lendemains de l’aventure napoléonienne. Clausewitz fit alors le constat que l’Europe avait échoué à penser la guerre. Paradoxalement, disait-il, si elle a échoué de la sorte, c’est qu’elle a toujours voulu prévoir la guerre et la modéliser. Elle a voulu la penser en référence à un « modèle » qui ne se rencontre jamais dans la réalité. Le propre de la guerre, dit-il, c’est que sa réalité ne coïncide jamais avec le « modèle » (1). On l’a souvent dit pour l’armée française, mais cela vaudrait pour d’autres. En 1914, elle préparait la guerre de 1870 et, en 1940, celle de 1914… Les Américains n’ont pas agi autrement. Ils voulurent en Irak et en Afghanistan éviter les erreurs de leur guerre du Vietnam, ce fut pour y retomber d’une autre façon.

    Finalement, qu’attend-on du grand stratège politique ou militaire, sinon « le coup de génie » qui consiste à laisser de côté toutes les modélisations, saisir au vol les « facteur porteurs », se fier à son flair et à sa perspicacité, ce que les Anciens appelaient la Mètis, dont Ulysse, dans l’Odyssée est l’incarnation même.

    À la différence des Européens, les Chinois anciens avaient développé une vraie pensée de la guerre à l’époque des Royaumes combattants, aux Ve et IVe siècles avant notre ère. La Chine était alors divisée en principautés rivales qui se faisaient une guerre continuelle pour restaurer à leur profit l’unité de l’Empire. C’est alors qu’ont été écrits les traités de Sun Zi et de quelques autres, dont on ne trouve pas l’équivalent en Europe, sinon dans la patience et de la ruse d’Ulysse révélées par l’Odyssée. Ulysse n’a pas modélisé à l’avance un plan de survie ou de victoire. Mais, avec un talent inné, il observe la situation, voit comment elle évolue et sait en tirer profit, réagissant alors comme la foudre (pour aveugler le cyclope Polyphène ou pour neutraliser la magicienne Circé), mais parfois aussi en s’armant de patience (« patience, mon cœur »), durant sa longue captivité chez Calypso ou encore dans la préparation de sa vengeance après son retour à Ithaque.

    Détecter les facteurs « porteurs », cela signifie être capable d’attendre l’occasion, le retour de la « fortune ». Comme au bridge ou au poker, il y a des moments où il faut « laisser passer », faute de « jeu ». Dans l’Odyssée, cette notion stratégique est constamment présente. Ulysse ne cesse de patienter dans l’attente du moment propice. Alors, il fonce comme l’éclair (la liquidation des « prétendants »). La notion même de la Mètis (ruse) disparut cependant de la pensée grecque et même de la langue à l’époque classique quand s’imposa le raisonnement philosophique (Platon). La notion des essences platoniciennes, en disqualifiant la méthode empirique au profit d’une construction abstraite, instaura pour longtemps l’ère de la modélisation. Celle-ci fit la force mais aussi la faiblesse de l’Europe.

    Que faire quand la « fortune » se dérobe, quand le facteur « porteur » est absent ? On peut, bien entendu, de façon très européenne, se jeter quand même dans une action inutile mais héroïque. En fait, il y a des moments où il faut savoir se retirer en soi en attendant que la situation change. Et elle change toujours. C’est ce que fit par exemple un stratège politique appelé De Gaulle. Pendant sa « traversée du désert », faute de « jeu » au sens chinois du mot, il écrivit ses Mémoires de guerre. C’était une façon d’attendre et de préparer l’avenir.

    Dominique Venner (Nouvelle Revue d'Histoire n°56, septembre-octobre 2011)

    Notes :

    1.François Jullien, Conférence sur l’efficacité, Paris, PUF, 2005.

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  • Libye : vers une défaite politique du couple anglo-français ?...

    Vous pouvez écoutez ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à la Radio iranienne de langue française à propos de la guerre en Libye et des tentatives de marche arrière de notre pays pour sortir rapidement du conflit.

     

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  • Une petite leçon de stratégie... et de realpolitik !

    Nous reproduisont ci-dessous un entretien éclairant avec le général Vincent Desportes, publié dans le Journal du Dimanche des 9 et 10 juillet 2011. Ce spécialiste des questions stratégiques, fidèle à sa réputation d'esprit libre, constate l'absence de stratégie de la France dans la guerre en Libye. Le général Desportes a récemment publié Le piège américain (Economica, 2011), une brillante réflexion sur la culture stratégique américaine. 

     

     

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    "La stratégie d’attente de Kadhafi pourrait être gagnante"

    Près de quatre mois après les premières frappes françaises contre les chars de Kadhafi, à Benghazi le 19 mars, où va la guerre en Libye? Saint-cyrien, le général de division Vincent Desportes a dirigé l’École de guerre de 2008 à l’été dernier. En juillet 2010, à 56 ans, il a été sanctionné par le ministre de la Défense pour avoir publiquement critiqué la façon dont était conduite la guerre en Afghanistan. Connu pour sa liberté de parole, le général Desportes estime que la guerre en Libye a été lancée dans des conditions hasardeuses et qu’il est "temps de trouver un compromis avec les autorités libyennes". Entretien.

    Près de quatre mois après le début de l’offensive en Libye, quel regard portez-vous sur la façon dont est conduite cette guerre ?


    On a cru que cette guerre serait une entreprise facile. Nous sommes partis en Libye comme les Américains en Irak en 2003, ou Israël face au Hezbollah en 2006, en estimant que notre puissance létale suffirait aisément à produire des résultats politiques… Je suis surpris par la difficulté qu’ont les nations à retenir les leçons de l’Histoire. Le pari risqué de gagner très rapidement, sans avoir à engager de troupes au sol (dont de toute façon nous ne disposons plus en nombre suffisant) ,n’a pas fonctionné. Depuis le début de cette guerre, on espère chaque jour que de simples actions supplémentaires de bombardement suffiront à faire tomber Kadhafi. Or, l’Histoire nous montre que ça ne marche pas. Nous avons à nouveau oublié qu’il est impossible de produire des effets politiques durables par le recours à la seule arme aérienne.

    Que s’est-il passé ?
    Les guerres sont souvent déclenchées sans analyse stratégique suffisamment approfondie, ce qui explique qu’elles échappent presque toujours à ceux qui les ont décidées. Dans le cas de la Libye, il n’est pas impossible que l’on ait confondu guerre et maintien de l’ordre. La puissance militaire a été utilisée comme une compagnie de gendarmes mobiles, en oubliant que la guerre obéit à des logiques très différentes des opérations de police sur le territoire national. L’objectif initial de la coalition (une zone d’interdiction aérienne et la protection des populations de Benghazi) était parfaitement réalisable. Mais dès lors que l’on s’est lancé dans une démarche de nature politique, à savoir la chute de Kadhafi, on s’est engagé dans un processus très ambitieux par rapport aux moyens que l’on pouvait déployer. Mon impression est que la réflexion stratégique initiale a été imparfaite : sur la finalité possible de l’intervention, pour le moins ambiguë ; sur les capacités politiques et militaires de la rébellion, que nous avons surestimées ; sur la force et la résilience des pro-Kadhafi, que nous avons sous-estimées ; sur cette insurrection générale que nous espérions et qui ne s’est jamais déclenchée. Je ne parle même pas de "l’après-Kadhafi", qui va être extrêmement compliqué et dont, forcément, nous allons être responsables pendant des années.

    Quand vous dites "insuffisance d’analyse", qui visez-vous ?
    Si l’analyse stratégique avait été conduite à son terme, plus de cent dix jours et plus de 110 millions d’euros après le début de l’offensive, nous ne serions pas dans une situation si délicate et incertaine. Il est évident que le souci de protéger la population de Benghazi a été déterminant dans la prise de décision. Mais il est aussi évident que les considérations de politique intérieure ont compté. Il semble subsister en France, parfois à très haut niveau, une méconnaissance de ce que sont vraiment la guerre et la stratégie.

    Il n’y a pourtant pas eu de débat au sein de la classe politique française…
    Je regrette qu’il n’y ait pas eu en France un débat comparable à celui qui, aux États-Unis, a vu s’affronter le Pentagone, qui s’opposait à la participation américaine, et le Département d’État. Puis le président Obama a tranché. Ce débat critique a manqué en France. Quant à l’opinion, elle perçoit mal la réalité de ce conflit. Elle ignore le coût et les répercussions que ces dépenses ont, et auront, sur l’outil de défense. Mais les Français risquent de se lasser de ce qui pourrait apparaître un jour prochain comme un bien onéreux enlisement. Certains officiers de haut rang expriment déjà leurs craintes : souvenez-vous des récentes déclarations de l’amiral Forissier, chef d’état-major de la marine *. Les circonstances et les choix politiques conduisent le gouvernement français à prendre de plus en plus souvent la décision d’engager les forces françaises à l’extérieur alors que le budget de nos armées est, lui, en diminution. Il faut choisir : si on décide de réduire l’effort de défense, il faut se résoudre à voir diminuer nos capacités d’influence sur les affaires du monde.

    La France pourrait-elle être toujours engagée en Libye au-delà de la fin 2011 ?
    Cette hypothèse me paraît ridicule.

    Combien de temps cette guerre peut-elle encore durer ?
    J’espère, comme tout le monde, que Kadhafi tombera demain. Mais je ne suis pas sûr que le temps joue en faveur de la coalition. La stratégie d’attente de Kadhafi pourrait finir par être gagnante. En particulier en raison du poids de notre effort de guerre. Nous faisons déjà appel à l’Allemagne pour compléter nos stocks de munitions, qui s’amenuisent. Je ne pense donc pas que la coalition – essentiellement franco-britannique – puisse poursuivre longtemps cet effort s’il ne produit pas au plus vite un effet politique clair. C’est l’affaire de quelques mois, tout au plus. Pour l’emporter rapidement, sauf coup de chance (le coup au but sur Kadhafi), il faudrait une offensive terrestre forte de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, ce qui est strictement impossible. On parle ici d’une guerre des villes, de combats rapprochés, une guerre de soldats forcément meurtrière, pas de raser Tripoli.

    La Libye, nouveau bourbier après l’Irak et l’Afghanistan?
    Nous aurions pu nous contenter d’arrêter les blindés à Benghazi puis entrer dans une phase de négociations : en Afghanistan, si nous nous en étions tenus à l’objectif fixé en 2001, nous n’en serions pas là. La plus grande coalition de tous les temps aura probablement du mal à empêcher les talibans de reprendre finalement le pouvoir. Nous sommes désormais en Libye dans une situation difficile et une démarche d’escalade; nous avons détruit presque tout ce qui devait l’être, puis nous avons engagé nos hélicoptères, puis livré des armes aux rebelles. Hélas, parachuter des armes, ce n’est pas former une armée capable de prendre Tripoli.

    Est-il temps de négocier avec Kadhafi?
    Je ne suis pas aux affaires mais je suis persuadé qu’il est temps de trouver un compromis avec les autorités lybiennes. Mais pas forcément d’arrêter immédiatement les bombardements. Cette possibilité devra faire partie des éléments de négociation.

    Arrêter la guerre, sans être parvenu à faire tomber Kadhafi?
    Voyez l’Afghanistan. Barack Obama a eu raison de reprendre les choses en main. La poursuite de l’escalade n’était ni raisonnable ni souhaitable. Le président américain a fait preuve de courage politique. Le principe même de la stratégie, c’est de réfléchir au deuxième coup au moment où vous tirez le premier.  J’ai le sentiment que le deuxième coup n’a pas été suffisamment préparé. Mais à l’heure qu’il est, nous ne pouvons plus attendre indéfiniment que le régime de Kadhafi tombe. Il est temps de trouver un compromis politique. 

    Général Vincent Desportes (Propos recueillis par Vincent Duyck pour le Journal du Dimanche, 9 juillet 2011)

     

    * Le 10 juin dernier, l’amiral Pierre-François Forissier, chef d’état-major de la marine nationale, a déclaré : "Nous consommons de façon intensive un potentiel qui aurait dû être consommé de façon régulière tout au long de l’année."

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