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peuple - Page 9

  • Les populistes identitaires sont-ils en train de gagner...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'émission Signe des temps diffusée sur France Culture qui réunissait, pour évoquer la montée du populisme identitaire, Aurélien Bellanger, Dominique Reynié et Alain de Benoist.

     

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    " L'ouverture de la "Nouvelle librairie Nationale" rue de Médicis à Paris invite à se pencher sur la montée des conservatismes et sur le mouvement multiforme et parfois contradictoire que l’on appelle populisme ou identitaire

    La "Nouvelle librairie Nationale" est une libraire historique située rue de Médicis à Paris, juste en face du jardin du Luxembourg. 

    Entre 1900 et 1925, elle a été la propriété du mouvement antisémite et royaliste l’Action Française fondé par Charles Maurras avant d’être reprise ensuite par George Valois, créateur du faisceau, le premier mouvement fasciste français, qui rejoignit par la suite la Résistance.

    Elle a rouvert cet été 2018 sous la direction de François Bousquet, le rédacteur en chef de la revue "Eléments", qui veut en faire un instrument de "guérilla culturelle" ainsi qu’il l’a raconté à l’Express. Cet automne, elle propose donc dans ses rayons entre autres livres ceux de et sur Maurras, ceux de Michel Houllebecq, les œuvres complètes du penseur fasciste italien Julius Evola et ceux de l’écrivain français Jean Raspail, tous deux inspirateurs de l’ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, qui sillonne en ce moment même les capitales européennes pour créer un grand front antilibéral.

    Pendant ce temps, ce même automne

    Frédéric Taddeï commence une nouvelle émission sur la chaîne officielle du gouvernement russe "Russia Today", Natacha Polony prend la tête de "Marianne", racheté par l’industriel tchèque Daniel Kretinsky, et à Lyon, Marion-Maréchal Le Pen ouvre l’Institut des sciences sociales économiques et politiques destiné à former les cadres de "la jeunesse conservatrice". Bien sûr, ces figures sont toutes différentes, mais, sur les ruines d’une gauche qui, pour reprendre les termes de Pierre Rosanvallon, n’a plus rien à dire, elles ont pour point commun de se lancer toutes à l’assaut d’un paysage culturel hanté par la correction politique.

    Signe des temps, l’émission qui n’a peut-être jamais si bien porté son nom qu’aujourd’hui, propose donc pour ce troisième numéro de se pencher sur le mouvement politique peut-être le plus important du début de ce nouveau siècle, ce mouvement multiforme et parfois contradictoire, que l’on appelle populisme ou identitaire, qui est aussi difficile à définir qu’à comprendre, mais qui, né en France dans les dernières années du XIXe siècle, s’est étendu aujourd’hui de la Hongrie à l’Italie, des Etats-Unis à la Pologne et à la Russie, de l’Allemagne à l’Autriche, et semble en passe de gagner la bataille sinon politique, du moins culturelle. "

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  • Une désastreuse présidentialisation du régime...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'évolution présidentielle du régime politique de notre pays. Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l'Elysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014).

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    Le Congrès de Versailles ou la désastreuse présidentialisation du régime

    Continuer de parler encore de la Ve République à propos du régime politique français actuel relève du contresens absolu. L'organisation et le fonctionnement du pouvoir n'ont aujourd'hui plus aucun rapport avec le système instauré par le général de Gaulle en 1958 et en 1962. La Ve République reposait sur un chef de l'État souverain, élu pour 7 ans, «guide de la Nation», au-dessus des partis et des factions, tenant sa légitimité de la confiance du peuple. Le gouvernement, la politique quotidienne, les choix de politique économique et de société, relevaient de la seule mission du Premier ministre et des ministres sous le contrôle du Président de la République et du parlement.

    Le régime a été radicalement transformé par la réforme du quinquennat depuis 2000, qui aligne le mandat des députés sur celui du Président, le transforme en chef d'une majorité et place l'Assemblée nationale sous la quasi-tutelle de l'Élysée. Cette mutation se prolonge aujourd'hui avec la banalisation du Congrès de Versailles qui achève de transformer le chef de l'État en un super-Premier ministre présentant son programme, ou son bilan de politique générale devant le Parlement.

    Le problème, c'est que ce président/chef de Gouvernement, désormais en première ligne de la politique au quotidien de la Nation, est lui irresponsable pendant cinq ans, échappant à toute sanction politique. D'où une situation contraire à un principe fondamental républicain: la source de pouvoir essentielle échappant au principe de responsabilité.

    En outre, il manque désormais à la France ce qui faisait la spécificité de la Ve République, un président visionnaire, au-dessus de la mêlée, symbole de sagesse, incarnant l'unité nationale et le destin à long terme du pays, responsable de la politique étrangère et de défense, tout en déléguant au Premier ministre le gouvernement du pays.

    Les nouvelles institutions de la France, transgression de la Ve République, sont un véritable désastre. Elles se traduisent par l'émergence du culte médiatique d'une image personnelle omniprésente. Elles favorisent l'illusion de l'autorité à travers la sublimation du mythe du chef. Pourtant, elles sont contraires à l'autorité et à l'efficacité dès lors qu'elles entraînent l'affaiblissement de toutes les sources de gouvernement du pays - absorbées dans le rayonnement élyséen - et courroies de transmission entre les dirigeants et le peuple, gouvernement, ministres, parlementaires, collectivités et élus locaux, services publics.

    La politique s'éloigne toujours un peu plus de l'action concrète pour devenir un grand jeu de manipulation des émotions collectives. Elle oscille entre idolâtrie et lynchage, amour et détestation de l'icône présidentielle, chute dans le manichéisme. Le nouveau régime favorise la division et le déchirement du pays. La fuite dans l'émotionnel favorise les haines et les fureurs. La vie politique dérive dans le spectacle permanent et stérile autour d'un héros des uns, antihéros des autres, et tout logiquement, de son combat du bien contre le mal.

    D'ailleurs, l'une des phrases clés du discours de Versailles oppose le «progressisme au nationalisme», autrement dit, le bien libéral et mondialiste contre le mal «populiste» ou la vile multitude de Thiers. La fracture entre les élites et le peuple ne cesse de se creuser d'année en année.

    La réélection présidentielle devient l'objectif suprême de la vie politique au détriment de l'intérêt général à long terme du pays, favorisant la démagogie sous toutes ses formes, la communication, les illusions, les coups et le faire semblant, au détriment de l'action en profondeur sur les grandes questions de fond: l'endettement public, l'écrasement fiscal, le chômage de masse, la pauvreté, la maîtrise de l'immigration, le communautarisme, la violence, le déclin scolaire...

    L'actuel président de la République n'est pas le seul responsable de cette évolution déjà à l'œuvre depuis des années. Il ne fait que la porter à son paroxysme. La personnalisation extrême du pouvoir, ou le culte médiatique de la personnalité, qui caractérise la politique française, se présente avant tout comme un masque de l'impuissance publique et du renoncement, par le monde dirigeant, à régler les problèmes de fond de la société française.

    L'opposition républicaine, à travers sa guerre des chefs en vue des présidentielles, n'a pas (encore?) su rompre avec cette logique de personnalisation outrancière des enjeux au détriment du débat d'idées et du bien commun. Elle seule pourrait avoir un rôle majeur à jouer dans ce contexte en prônant le retour de la politique au sens noble du terme: non pas un spectacle narcissique mais une volonté d'action collective, modeste et désintéressée, en faveur de l'intérêt général. Le rétablissement du septennat (non renouvelable) est une piste de réforme constitutionnelle intéressante. En aucun cas elle ne serait suffisante: c'est une transformation des mentalités politiques qui est nécessaire: le retour au sens de l'intérêt général contre toute forme d'obsession narcissique et de culte d'un chef mythique, contraire au principe d'efficacité et d'autorité véritable.

    Maxime Tandonnet (Figaro Vox, 10 juillet 2018)

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  • Le peuple face aux seigneurs du big business !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné au Figaro Vox par le philosophe italien Diego Fusaro, qui est un des inspirateurs du programme du Mouvement Cinq Étoiles. Professeur d'histoire de la philosophie à l'université de Milan et déjà auteur d'une dizaine d'essais, très influencé par Marx, Diego Fusaro est considéré comme le principal disciple de Costanzo Preve, mort en 2013.

     

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    Entretien avec Diego Fusaro, l'homme qui murmure à l'oreille de Di Maio et Salvini

    FIGAROVOX.- L'entente entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles est-elle l'alliance de vos vœux pour remplacer le clivage gauche/droite?

    Diego FUSARO.- Oui, absolument. Dans notre temps, celui du capitalisme financier, la vieille dichotomie droite-gauche a été remplacée par la nouvelle dichotomie haut-bas, maître-esclave (Hegel). Au-dessus, le maître a sa place, il veut plus de marché dérégulé, plus de globalisation, plus de libéralisations. Au-dessous, le serf «national-populaire» (Gramsci) veut moins de libre-échange et plus d'État national, moins de globalisation et une défense des salaires, moins d'Union européenne et plus de stabilité existentielle et professionnelle. Le 4 mars en Italie n'a pas été la victoire de la droite, ni de la gauche: le bas a gagné, le serf. Et il est représenté par le M5S et la Ligue, les partis que le maître global et ses intellectuels diffament comme «populistes», c'est-à-dire voisins du peuple et pas de l'aristocratie financière (Marx). Si ceux-ci sont populistes, il faut dire que les partis du maître sont carrément démophobes, ils haïssent le peuple.

    Le président Mattarella a finalement permis la formation du nouveau gouvernement, Savona n'est plus à l'économie mais il fait encore partie de l'équipe. A-t-il eu peur que de nouvelles élections ne donnent encore plus de voix aux deux formations dissonantes?

    Tout à fait. Il fallait ne prendre aucun risque. L'Italie, comme tous les pays d'Europe, vit sous une pérenne dictature financière des marchés. Cela veut dire un totalitarisme glamour, le totalitarisme du marché capitaliste. Les marchés demandent, les marchés se sentent nerveux: ils sont des divinités qui décident d'en haut, c'est l'aboutissement du fétichisme bien décrit par Marx. En 2011, l'Italie fut victime d'un coup d'État financier voulu par l'UE. Et encore maintenant cela s'est presque reproduit. Malgré tout, le gouvernement «jaune-vert» (les couleurs du M5S et de la Ligue, respectivement) a été formé, même s'il a souffert de fortes modifications (notamment le rôle de Savona), pour ne pas laisser les marchés trop insatisfaits...

    Pourquoi Di Maio et Salvini regardent-ils vers la Russie?

    Parce que la Russie de Poutine est aujourd'hui la seule résistance contre l'impérialisme du dollar, c'est-à-dire contre l'américanisation du monde, aussi connue sous le nom de mondialisation. Il vaut mieux un monde multipolaire, comme on dit ces jours-ci, à la place du cauchemar de la «monarchie universelle» (Kant), c'est-à-dire d'une seule puissance qui envahit la totalité du monde. L'Italie devrait sortir de l'OTAN, se libérer des plus de cent bases militaires américaines et chercher à retrouver sa souveraineté monétaire, culturelle et économique, s'ouvrant à la Russie et aux États non-alignés.

    Peut-on dire que la crise de l'euro est de retour, concernant la situation en Italie mais aussi en Espagne?

    Je crois que oui. Je ne connais pas la situation espagnole comme un expert, mais certainement l'Espagne, comme l'Italie et les autres pays méditerranéens, a beaucoup de souffrances causées par l'euro. L'euro n'est pas une monnaie mais une «méthode de gouvernement» (Foucault): une méthode de gouvernement néolibérale contre les classes travailleuses et les populistes, et créant des bénéfices seulement aux seigneurs du mondialisme capitalistique. Il ne faut pas sauver l'euro, il faut se sauver de l'euro! J'ai soutenu cela dans mon livre «Europe et capitalisme». J'espère que le gouvernement jaune-vert fera sortir l'Italie de l'euro et de l'Union Européenne: c'est la seule voie pour défendre les classes travailleuses et les personnes précaires, en faisant des dépenses publiques et une vraie politique sociale.

    Vous dites souvent que la vieille bourgeoisie et le vieux prolétariat font maintenant partie du même groupe opprimé, n'est-ce pas un peu exagéré?

    C'est exactement comme ça. Il est le nouveau «précariat»: la vieille souche moyenne bourgeoise et la vieille classe travailleuse, pendant un temps ennemies, sont aujourd'hui opprimées et précarisées, elles forment une nouvelle plèbe paupérisée et privée de droits compte tenu des prédations financières et de l'usure bancaire. La classe dominante est, cette fois-ci, l'aristocratie financière, une classe cosmopolite de banquiers et de délocalisateurs, seigneurs du big business et du dumping. Marx le dit très bien dans le troisième livre du Capital: le capitalisme surpasse sa phase bourgeoise et accède à celle financière, basée sur la rente financière et les vols de la bancocratie. C'est notre sort.

    Diego Fusaro, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 18 juin 2018)

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  • L'illusion politique ?...

    Les éditions de La Table Ronde viennent de rééditer, dans leur collection de poche La petite vermillon, un essai de Jacques Ellul intitulé L'illusion politique. Philosophe, sociologue et théologien, l'auteur, décédé en 1994, peut être considéré, au travers, notamment, de ses ouvrages de réflexion sur la technique, comme un des inspirateurs de la pensée écologiste en France.

     

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    " Dans la société occidentale, le verbalisme politique exprime une double illusion, en même temps qu'il lui donne naissance. Nous assistons au développement de l'illusion de l'homme politique qui croit maîtriser la machine de l'État, qui croit prendre des décisions politiques toujours efficaces, alors qu'il se trouve de plus en plus impuissant en face de la rigueur croissante des appareils étatiques.
    Or, cette impuissance de l'homme politique est voilée précisément par la puissance et l'efficacité des moyens d'action de l'État qui interviennent toujours plus profondément et exactement dans la vie de la nation, et dans celle des citoyens. Mais l'homme politique, fût-il dictateur, n'a finalement aucune maîtrise de ces moyens. Réciproquement, paraît l'illusion du citoyen, qui, vivant encore sur l'idéologie de la souveraineté populaire et des constitutions démocratiques, croit pouvoir contrôler la politique, l'orienter, participer à la fonction politique, alors que tout au plus il peut contrôler des hommes politiques sans pouvoir réel – et s'engage, sur cette double illusion, un dialogue d'impuissants.
    Dans cette difficile situation, n'y a-t-il aucun remède? S'il en existait un, il serait, en tout cas, à la fois humble et héroïque. "

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  • Vers un conservatisme post-moderne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse de Sébastien Laye, cueillie sur Figaro Vox et consacrée au conservatisme post-moderne qui est apparu dans le paysage politique anglo-saxon... Sébastien Laye est entrepreneur et chercheur associé à l'Institut Thomas More.

     

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    Vivons-nous l'émergence d'un conservatisme post-moderne ?

    Un conservatisme post-moderne: voilà bien une expression oxymorique que d'aucuns voueraient aux gémonies dans les cercles conservateurs français!

    Celui qui observe le monde plutôt que de juger dans sa tour d'ivoire constructiviste, pourrait cependant en déceler les signes dans des mouvements sociaux ou politiques, que du point de vue de la science politique, certains qualifieraient de libéraux populistes ou libéraux souverainistes. Récemment aux États-Unis, Matt Mac Manus, de l'Université de Monterey, s'est essayé à tenter de circonscrire ce renouveau du courant conservateur sous une forme post-moderne. Car à dire le vrai, les deux termes - conservatisme et post modernité - ont longtemps été considérés comme antinomiques.

    Au-delà des divagations conceptuelles, la post-modernité peut se définir (en suivant ici l'œuvre de Michel Maffesoli plutôt que d'évoquer Baudrillard) autour d'un triptyque ou d'un basculement autour de trois notions qui dominaient les temps modernes et s'effacent progressivement depuis quarante ans. La première valeur cardinale est celle du Travail classique, salarié, qui cède le pas à l'acte créatif, l'entrepreneuriat, le travail indépendant, le contractuel, voire l'activité artistique. Le salariat n'est plus la pierre angulaire du système de production. La seconde notion battue en brèche par la post-modernité est la Raison pure, au sens kantien du terme, et le positivisme de Comte qui y était associé en France: la raison cartésienne est supplantée par la raison sensible, l'imagination, le règne des émotions également. Le Corps mais aussi le Spirituel refont leur apparition, sans nier la Raison, mais en la replaçant à sa juste valeur. Enfin, dernière notion mais non des moindres, le mythe béat et naïf du Progrès et du progressisme s'écroule sous nos yeux: Péguy, l'enracinement de Weil, la dimension dionysiaque et chtonienne d'une écosophie pratique, nous ramènent à nos racines comme un besoin irrépressible que nous redécouvrons: la flèche toute droite de Teillard de Chardin vers un point Oméga est détrônée par l'archétype de la spirale ; la spirale avance bien, le progrès scientifique est toujours en marche, mais il redécouvre sans cesse la Tradition pour mieux avancer. C'est l'enracinement dynamique qui forge l'éveil citoyen. Cette évolution remet en cause la bien-pensance de notre époque au profit d'une nouvelle sagesse populaire ou démosophie. Le post-modernisme, en remettant en cause les grandes masses de granite de l'âge moderne de la raison, s'attaque aussi à ce qu'on peut appeler des méta-narrations, c'est-à-dire de grands discours universalistes, constructivistes, prétendant définir des idéaux et valeurs communs à tous.

    La critique conservatrice du post-modernisme

    C'est au beau milieu des guerres culturelles des années 1970 aux USA que le camp des conservateurs classiques va associer le post-modernisme à la pensée de 1968 et rejeter en bloc son relativisme et son dédain des valeurs universelles. Allan Bloom, dans The Closing of The American Mind, puis D'Souza dans son Illiberal Education, poseront les points essentiels de cette critique, assimilant le post-modernisme à une forme de marxisme culturel. Aujourd'hui encore, un Jordan Peterson aime s'en prendre à Derrida. Après l'apogée du conservatisme classique aux USA au début des années 2000, avec sur le plan politique les mandats de Georges Bush, ces penseurs conservateurs verront à tort en Barack Obama le premier président post-moderne. Or ces critiques font fi des sources mêmes de la pensée conservatrice qui, par exemple chez Burke, critiquent justement les futiles prétentions universalistes des Révolutionnaires français. De manière caricaturale, les conservateurs américains entourant Georges Bush ou même les conservateurs français de Sens Commun ont tenté d'imposer leurs propres valeurs universelles, de répondre à la social-démocratie universaliste par une pensée conservatrice universaliste, souvent peu respectueuse des identités, particularismes et libertés individuelles. Une telle position n'est que le renversement, sous le même paradigme, de la pensée soixante-huitarde. C'est toujours la même approche immodeste des valeurs qui prévaut. Bien au contraire, aux sources de la pensée conservatrice, on trouve la critique de ces méta-narrations globalisantes.

    Aux sources de la pensée burkienne

    Alors que d'aucuns ont prétendu que le langage de déconstruction des méta-narrations (vérités objectives et universelles qu'on ne pouvait pas décemment questionner) était une caractéristique des progressistes, il trouve en réalité ses origines dans la plus pure pensée conservatrice originelle. Ce que la droite américaine retrouve ces jours-ci sous le nom pompeux de conservatisme post-moderne n'est que l'héritage philosophique d'Edmund Burke, de Joseph de Maistre, de Lord Devlin et de Michael Oakshott. Tous ces penseurs étaient suspicieux des méta-narrations globalisantes de leur temps, et en particulier d'un rationalisme naïf qui détachait les individus de leurs identités et de leurs traditions. Pour eux, les rationalistes progressistes, avec leur vénération de l'objectivité des valeurs universelles, bâtissaient un monde dangereux. Péguy, en France, dans sa critique de Renan, revient aux mêmes fondements. Robert Bork, proche de Ronald Reagan, déplore la disparition de tout respect pour la différence et «l'irréductible complexité des individus et des sociétés». Bork et Oakshott dénoncent même ceux qui à droite, dans leur propre camp, prétendent opposer des droits naturels universels à leurs ennemis sociaux-démocrates. Ils en appellent au sens du réel et de la tradition en tournant en dérision les prétentions universalistes des intellectuels se qualifiant de progressistes. Tradition, bon sens populaire et respect des parcours personnels sont au cœur d'une pensée authentiquement conservatrice mais qui jusqu'il y a quelques années, était écrasée par des conservateurs aux prétentions universalistes et constructivistes.

    L'émergence d'un conservatisme post-moderne aux États-Unis

    En 2015, dans The Spectator, James Bartholomew a lancé l'émergence réelle de ce nouveau conservatisme en proposant le nouveau terme de «virtue signaling» pour dénoncer les postures morales aisées et sans conséquence de ses adversaires intellectuels. Cette signalisation de la vertu, que j'ai commentée dans les médias français, consistait à retourner le supposé humanisme de l'adversaire en pointant du doigt son hypocrisie et ses contradictions. Un Justin Trudeau, qui n'a de cesse hypocritement de se mettre en valeur tel un sauveur moral de toutes les causes (sans rien de concret derrière pour aider les plus faibles), deviendra l'égérie de ce virtue signalling.

    Cet exemple montre comment le nouveau conservatisme reprend l'héritage d'un Lyotard en déconstruisant une méta-narration («nous sommes généreux car nous défendons des valeurs morales»): le discours universaliste sur l'égalité, les valeurs morales dites humanistes, la nécessité d'accueillir des migrants, etc…des slogans creux qui sont devenus l'alpha et l'oméga du discours intellectuel et politique. Déjà à son époque, Burke se définissait en réaction face à ces belles valeurs pour mieux concilier le réel et la tradition. Bien-sûr, les nouveaux conservateurs ne se concentrent pas sur les mêmes thèmes que Lyotard ou Baudrillard, mais l'approche est la même. Le conservatisme post-moderne, terme proposé récemment aux États-Unis par Matt Mac Manus (pour le critiquer par ailleurs), est l'actualisation et le perfectionnement de cette vénérable tradition intellectuelle, que beaucoup de gens de la droite française par exemple ne peuvent pas saisir. Décuplée par la puissance des réseaux informels, des tribus et des nouvelles technologies, il s'appuie sur une jacquerie contre les élites et une politique de la colère face à l'hypocrisie d'une pensée sociale libérale qui défend plus le migrant que le pauvre, la start-up mondialisée que l'industrie locale, la spéculation que l'investissement. La révolte et la réaction naissent de la dichotomie entre le discours généreux des élites (la signalisation de la vertu) et leurs attitudes anti-démocratiques et parfois autoritaires (comme on le retrouve désormais en Europe).

    Les méta-narrations sur l'humanisme, l'égalité, le vivre ensemble, sont dénoncées comme des privilèges des élites leur permettant d'arbitrer les valeurs mais aussi les faits… Le débat sur les fake news émerge directement, y compris en France, de ces nouvelles polémiques. Si les faits sont triés par les élites, pourquoi les masses populaires devraient-elles prendre pour argent comptant les recommandations des supposés experts? Le relativisme fait son grand retour face aux apories de l'universalisme des lumières. La pensée conservatrice moderne doit aller plus loin en opposant aux élites la vénération du bon sens populaire: on retrouve toute l'autorité populaire et plébéienne de ce que Lord Devlin appelait les valeurs de l'homme de l'omnibus de Clapham. Ce faisant, tant les révolutionnaires américains que les républicains romains ne faisaient pas autre chose quand ils mettaient en exergue la supériorité du bon sens populaire. Simplement, cette autorité n'est jamais forgée par une génération, elle est enracinée dans une tradition. Ce point de détail est bien évidemment ce qui sépare les conservateurs post-modernes des post-modernes de gauche, dirons-nous pour simplifier. Leur entreprise de déconstruction ne s'étend pas à la famille par exemple - même si par exemple le conservateur post-moderne Trump ne se focalise pas sur les questions biologiques comme les conservateurs classiques tels que Bush ou Sens Commun - et retisse des liens avec le passé face aux valeurs universalistes imposées d'en haut. Elle est aussi plus respectueuse des trajectoires individuelles et donc du libéralisme économique… Ce n'est pas un hasard si le trumpisme ou même le programme de la Ligue du Nord est beaucoup plus anti-fiscaliste que les programmes des autres mouvements de droite. La droite française, soit étatiste car énarchique, soit conservatrice classique (Sens Commun, etc...), est encore en retard d'une guerre sur ce renouveau du conservatisme.

    Pour reprendre les termes de Baudrillard, l'hyper-réel medium qu'est Internet est la pierre angulaire du développement de ce nouveau conservatisme, qui souvent utilise les armes de ses adversaires. Mais ces post-modernes de droite, si l'on accepte ici une simplification des termes du débat, ne recouvrent pas tout le champ conservateur. S'ils ont gagné la partie aux États-Unis quand Trump a écrasé tous ses adversaires de la primaire, ils sont encore en minorité en France. En France, tant les Straussiens que les catholiques romains justifient leur conservatisme en invoquant toujours et encore des droits naturels,des méta-narrations, des faits et des valeurs pour arriver à des vérités absolues, sur le corps, la sexualité, les modes de vie en particulier. Cette situation ne devrait pas durer tant la France sera affectée par la même lame de fonds que les autres pays, mais aussi car la voie conservatrice «classique» est trop étroite en France pour se frayer un chemin vers le pouvoir: et un jour, ces conservateurs se lasseront d'être perpétuellement dans l'opposition.

    Sébastien Laye (Figaro Vox, 5 juin 2018)

     

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  • La fracture verticale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur son blog Bonnet d'âne et consacré à la fracture entre la France d'en haut et celle d'en bas... Normalien et agrégé de lettres, ancien professeur de classes préparatoires, Jean-Paul Brighelli est un polémiste de talent auquel doit déjà plusieurs essais comme La fabrique du crétin (Folio, 2006), A bonne école (Folio, 2007), Tableau noir (Hugo et Cie, 2014), Voltaire et le Jihad (L'Archipel, 2015) ou C'est le français qu'on assassine (Blanche, 2017).

     

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    La fracture verticale

    Le gauchisme fut la maladie infantile du capitalisme. Il est aujourd’hui son symptôme sénile. Le NPA — et tous les ersatz du trotskisme —, Benoît Hamon et Jean-Luc Hyde / (celui qui se revendique castriste, à ne pas confondre avec Jekyll Mélenchon, qui préfèrerait être populaire) persistent à croire à un axe gauche / droite parfaitement horizontal, qui situe les Républicains et Marine Le Pen quelque part à l’extrême-droite du spectre. Ce qui permet à Macron de trôner au centre, dans un meden agan politique dont il a fait ses choux gras et ses 25% d’électeurs qui en valent 70. Sans doute est-ce cela que l’on appelle la démocratie.
    Cette configuration arrange si fort le Président de la République, que si elle devait persister (et il fait de son mieux pour cela), il le sera encore dans dix ans.
    La France insoumise, comme l’a raconté un intéressant article de Marianne.fr, est partagée entre ceux qui croient encore (et c’est bien de foi qu’il s’agit) à cette dichotomie droite / gauche, et ceux qui à la suite d’Iñigo Errejón, l’un des leaders de Podemos, ont compris que « la principale frontière qui divise nos sociétés n’est pas celle qui sépare les sociaux-démocrates et les conservateurs, mais celle qui sépare ceux d’en haut du reste de la société, reste de la société qui souffre du consensus néolibéral, des politiques technocratiques et des coupes budgétaires, appliquées tantôt par la gauche, tantôt par la droite ».

    J’ai moi-même mis un certain temps à le comprendre, parce que je vivais dans l’illusion professionnelle d’œuvrer pour que les enfants des classes populaires bénéficient, comme autrefois, de ce fameux « ascenseur social » dont on nous a rebattu les oreilles. Ou, à défaut d’ascenseur, en panne depuis lurette, au moins de l’escalier. Ou de l’escalier de service. Ou…
    Ou rien. Il n’y a jamais eu d’ascenseur, ce fut toujours plus dur pour les pauvres que pour les riches de monter simplement à l’étage. Et il n’y a aujourd’hui plus aucune possibilité de s’élever lorsque l’on part d’en bas. Les exemples de « réussite » que l’on nous donne valent aussi cher, en termes de raisonnement, que les self made men américains, dont la mise en évidence camoufle mal le fait qu’à 99% la société US est aussi bloquée que la nôtre. Quand tu es né en bas, désormais, tu y restes.
    Voici déjà quelques années que nous sommes revenus en 1788, avec une oligarchie crispée mais triomphante au sommet et un peuple écrasé et soumis en bas. À ceci près que désormais le roi dispose de médias obéissants (le degré de lèchecultisme du Point ou de BFM envers les puissants de ce monde est proprement inouï) afin de maintenir les gens de peu, les gens de rien dans une aliénation heureuse — ou qui prétend l’être : que l’on parle autant du bonheur au moment où il ne concerne qu’une minuscule portion de la population donne une idée de l’intoxication médiatique.

    L’axe n’est plus horizontal, il est vertical. En bas, le peuple. En haut, une caste qui se prétend légitime — non pas la légitimité de naissance, comme sous l’Ancien Régime, mais celle que confère un système électoral qualifié de « démocratique ».
    Fuck democracy ! Inutile d’invoquer les mânes de Montesquieu pour rappeler qu’elle n’est qu’une perversion de la République. Inutile de souligner que l’oligarchie est elle aussi une perversion de l’aristocratie : le gouvernement des meilleurs a été remplacé par l’entente cordiale des copains, via les filières qu’ils se sont inventées pour se reconnaître et exclure le peuple (l’ENA par exemple, avec ses filières subséquentes, la Cour des Comptes ou les grandes banques).
    À noter que cette dichotomie politique a une expression spatiale. L’oligarchie habite Paris. Le reste est… périphérique. Ça n’existe pour ainsi dire pas. On a si bien désindustrialisé la France, si bien acculé la paysannerie au suicide, si bien désespéré les cités qui ne sont pas des villes-monde, qu’il n’y a presque plus rien à craindre. Il suffit d’organiser, de temps à autre, une grande farce électorale, et le lendemain ce sera business as usual.
    Parce que le système a toutes les chances de se perpétuer, si nous persistons à penser que c’est de démocratie que nous avons besoin. Les « élites » auto-proclamées inscrivent leurs enfants dans les pouponnières ad hoc, de la Maternelle à l’Université — et se fichent pas mal que tant de talents issus du peuple trépignent à la porte. On en exfiltre un de temps en temps, on l’exhibe, on le loue — et il se vend.
    Les protestations « gauchistes » (au sens que Lénine donne au terme) de certains étudiants en ce moment vont dans le sens de cette glaciation sociale. Ouvrir l’université à tous, tout en sachant comment les élèves, les futurs étudiants, ont été laissés en friche par un système scolaire livré aux libertaires pédagogues, c’est entériner cet axe vertical qui conforte, en haut, ceux qui ont si bien confisqué le pouvoir et les richesses qu’ils finissent par se croire légitimes. C’est enterrer vivant le peuple de l’abîme.

    Les « pré-requis » avancés cette année ne sont que de la poudre aux yeux. Pour favoriser vraiment les enfants du peuple, il faudrait une vraie sélection, mais il faudrait surtout que l’on formât le peuple. En amont. Les restrictions sur les programmes, sur les heures de cours, le recours à des pédagogies létales (jamais il n’est apparu aussi clairement que les libertaires pédagogues, les exfiltrés des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes, les cons patissants de toutes farines, faisaient le jeu des libéraux installés tout là-haut) ont eu pour effet de cristalliser dans leurs bulles quelques nantis nés les poches pleines et inscrits dans des écoles « à l’ancienne », payantes ou non, au sommet. Et en bas la masse indistincte du peuple, abonnée désormais aux pédagogies « ludiques ». Même les grands concours sont désormais viciés : si vous ne disposez pas des codes non écrits, vous n’avez pratiquement aucune chance. Quels que soient votre talent et votre travail.
    Juste des leurres.

    Démocratie et oligarchie vont la main dans la main — aussi bien dans l’idéologie « de gauche » que dans la pensée « de droite ». Ce n’est pas pour rien que tous les gouvernements, avec une touchante unanimité, ont investi beaucoup d’argent dans la pérennisation des ghettos scolaires, puisque le ghetto d’en bas était la garantie de l’immuabilité du ghetto d’en haut. Pas un hasard si tous les gouvernements (mais particulièrement ceux de gauche) ont désigné « l’élitisme » scolaire comme leur principal adversaire, promouvant un égalitarisme qui in fine ne sert que les intérêts des classes dirigeantes — qui pratiquent entre elles une démocratie en circuit fermé.

    « Classe » est un mot bien trop lourd. Une oligarchie n’est pas une classe, mais un gang. Le modèle de ces gens-là n’est ni Adam Smith (ni Bastiat), ni Marx : c’est Al Capone, et il n’est plus installé à Chicago, mais à Bruxelles — avec une planque secondaire à Berlin. Quant à la possibilité que se lèvent des « incorruptibles » pour s’opposer à ces gens-là… Ceux qui existent se font dégommer depuis des années par les cons vaincus de l’axe horizontal.
    Il est significatif que ce soient des Etats installés aux marges de l’Europe (Espagne ou Grèce — ou Hongrie aussi en quelque manière) que s’élèvent les voix du peuple. En Espagne, Podemos est devenu en deux ans le troisième parti du pays. Mais il lui reste encore à convaincre ses concitoyens que le PP ou le PSOE sont des verrous mis en place par la mafia, des verrous qu’il faut faire sauter. Et non des partis légitimes.
    En France… Qualifier d’extrême-droite des gens qui ont voté Marine Le Pen pour protester contre leur exclusion (car le peuple a bien compris qu’il lui était désormais impossible de bouger, sous le talon de fer velouté des oligarques) permet au système de se perpétuer — on l’a vu en juin. Se réclamer de la Droite ou de la Gauche est tout aussi stérile. Et Macron, qui est loin d’être un imbécile, joue fort bien des contradictions de la Gauche et de la Droite en attirant à lui les suceurs de rondelle et les lécheurs de bottes. Laissez venir à moi les petits profiteurs.

    Contre la démocratie, dont le vice originel a permis cette division entre un Paradis réservé aux « élus » et l’enfer d’ici-bas, il faut restaurer la République. Restaurer le moment républicain, où un homme du peuple pouvait, en six mois, devenir général — et envoyer chez la Veuve les aristocrates figés dans leurs quartiers de noblesse. Contre la mondialisation, il faut restaurer la Nation. Il faut le faire vite, sinon la situation dégénérera. Ce n’est pas par les élections qu’il faut passer — elles sont contrôlées par le Système —, mais par la rue.
    Sinon, la rue se vengera tôt ou tard, pour le pire ou pour le pire.

    Jean-Paul Brighelli (Bonnet d'âne, 19 avril 2018)

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