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peuple - Page 33

  • Vers un printemps des peuples européens ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Jean-Paul Baquiast, tiré du site Europe solidaire, comportant un certain nombre de réflexions intéressantes. A lire...

     

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    Quel printemps pour les peuples européens ?

    Les peuples européens, et à quelles conditions, pourraient-ils connaître un printemps politique analogue à celui des Tunisiens et des Egyptiens?

    Nous avions fait l'hypothèse, dans notre éditorial du 11/02/2011 « Le printemps des peuples » que l'exemple des révolutions tunisienne et égyptienne allait peut-être inspirer un certain nombre de peuples du monde jusqu'ici privés de liberté politique et de droits civiques par des gouvernements autoritaires. Ceci ne résoudrait pas nécessairement leurs difficultés économiques mais y contribuerait. La démocratie rendrait plus difficile la confiscation et le gaspillage des ressources nationales par les cercles du pouvoir. Les individus rendus plus autonomes pourraient mieux participer à la création de richesses collectives. Plus généralement, ceux qui sont situées au bas des échelles sociales auraient davantage de moyens pour se faire entendre. On comprend que de telles perspectives, pour des populations qui ne disposent d'aucun de ces avantages, considérés comme allant de soi dans les démocraties européennes, génèrent un grand enthousiasme collectif.

    Mais nous nous demandions quel type de révolution serait susceptible de générer de l'enthousiasme collectif parmi les populations européennes, puisque celles-ci, globalement, bénéficient depuis quelques décennies des libertés civiques dont sont privées les citoyens vivant dans des dictatures. Or les Européens, à écouter ceux qui parlent en leur nom, font valoir nombre de sujets de mécontentements. Beaucoup de ceux-ci ne sont pas tels qu'ils les pousseraient à descendre dans les rues pour provoquer une révolution à l'égyptienne. Ils sont cependant assez nombreux et importants pour inspirer ce que l'on pourrait nommer de façon sommaire un véritable « rejet du Système ». On peut donc penser que si des forces révolutionnaires hypothétiques proposaient, non des aménagements de façade, mais de véritables mutations dans le Système politique et économique global, elles pourraient susciter un grand enthousiasme populaire.

    Encore faudrait-il que ces propositions ne soient pas utopiques. Les citoyens européens sont suffisamment avertis d'un certain nombre de contraintes globales pesant sur l'humanité pour ne pas soutenir de programmes proposant par exemple le développement continu de la consommation, la diminution radicale du temps de travail productif ou une égalité absolue entre régions et couches sociales. En simplifiant beaucoup, nous pourrions dire que la revendication la plus susceptible de rassembler les populations européennes concernerait le travail. Il s'agirait d'abord du droit au travail pour tous, autrement dit le refus du chômage en train de devenir une véritable plaie, même en Europe. Il s'agirait ensuite, à l'intérieur de chacune des professions, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé, de la conquête d'une plus grande autonomie à l'égard des hiérarchies, des réglementations et plus généralement des contraintes imposées par un ordre économique libéral ou néo-libéral devenu dominant en Europe, dont les inconvénients apparaissent bien supérieurs aux avantages.

    Du temps où les oppositions de gauche s'inspiraient d'un marxisme théorique, le remède proposé aux dysfonctionnement des régimes capitalistes consistait à remplacer les « patrons » par l'Etat ou par des entreprises publiques assurant une répartition dite tripartite du pouvoir entre les cadres, les personnels et les usagers. Ceci n'a pas donné que de mauvais résultat, puisqu'on doit à une telle politique, en France, ce qui distingue encore notre pays de ses voisins plus libéraux: les services publics de l'énergie et des transports, le secteur santé-social, un certain nombre de grandes entreprises industrielles où l'Etat a conservé une certaine participation,. Bien sûr, tout ceci est actuellement détruit systématiquement par le capitalisme financier soutenu par un gouvernement acquis à sa cause. Mais l'on pourrait envisager qu'une « révolution » adaptée aux exigences du temps présent propose d'y revenir.

    Ceci cependant ne serait pas suffisant. La financiarisation systématique de l'économie, donnant priorité aux profits spéculatifs sur la production de biens et services relevant de l'économie dite réelle, a mis en place au niveau mondial un système d'appropriation des résultats du travail au profit de nouveaux pouvoirs bien plus exploiteurs que les anciens chefs d'entreprises. Les crises économiques récentes les ont mis en évidence. Il s'agit des industries financières, banques, assurances, gestionnaires de marchés spéculatifs. Il s'agit aussi des gouvernements et des classes sociales supérieures qui, dans le monde entier, sans exception, se sont associés aux responsables de ces organismes pour mettre en commun les moyens civils, réglementaires et le cas échéant militaires permettant de s'imposer à des populations sans défense.

    Les pays dits développés, comme les pays émergents ou ceux qui sont encore sous-développés, n'échappent pas à cette nouvelle tyrannie. Les Européens, si aujourd'hui ils voulaient renverser les dictateurs qui les oppriment, ne devraient pas se limiter à renverser les gouvernements détenteurs du pouvoir politique. Ils devraient renverser parallèlement les détenteurs du pouvoir économique et social, en tout premier lieu les banques et les institutions financières qui soutiennent la spéculation. L'ennui est que celles-ci forment un réseau sans faille au plan international. Vouloir réformer l'un de ses représentants entraine la réaction violente de l'ensemble des autres. De plus, les banques et assurances répondent à un besoin indéniable, celui de gérer et faire circuler les épargnes. Elles se sont appuyées sur ces services pour développer leurs activités spéculatives et prédatrices. Il faudrait donc, dans la perspective d'une « révolution » s'en prenant au pouvoir financier, conserver, sous une forme moins prédatrice, par exemple mutualisée, les activités utiles de la banque, de l'assurance et de la monnaie.

    Est-ce à dire qu'une révolution politique visant à détruire les pouvoirs qui oppriment les citoyens européens, notamment en les privant de leur droit au travail et à la responsabilité dans leur activité professionnelle, serait impossible. Beaucoup de gens le pensent. Le monde est trop complexe, l'Europe est imbriquée dans des luttes entre blocs géopolitiques bien trop puissants. Il faut se résigner à subir le chômage, la dépersonnalisation de ce qui reste d'activités productrices. Il faut accepter le luxe et le gaspillage dont profite une petite minorité de dominants se soutenant les uns les autres au plan international. Pour notre part, nous ne le pensons pas. Mais pour s'en convaincre, il est nécessaire de réfléchir à la façon dont se feront les révolutions à notre époque, qui est celle de l'Internet et des réseaux interactifs, dits du web 2.0.

    Des cyber-activistes cognitifs

    Le monde va changer très vite sous l'influence de l'évolution exponentielle des technologies de l'information, de l'intelligence artificielle et de la robotique autonome (voir notre présentation du livre de Martin Ford, « The Lights in the Tunnel », bien informé de ces questions). Ceci entraînera des conséquences profondes sur les processus productifs et l'emploi, sur le contrôle imposé aux populations mais aussi sur les modes d'action des oppositions politiques et syndicales. Aucun pouvoir, aussi tyrannique qu'il soit, ne pourra prétendre les neutraliser. Dans les systèmes anthropotechniques chaotiques en conflit qui sont ceux du monde global, ces oppositions, que ce soit pour détruire ou pour construire, s'exprimeront nécessairement dans et par les réseaux. Mais quelle forme prendront-elles?

    Les révolutions tunisienne et égyptienne en ont déjà donné une petite idée. On doit se persuader qu'une population, même lorsqu'elle est très opprimée, ne se révolte pas spontanément. Il faut qu'apparaissent (qu'émergent) des agitateurs. Ce furent les « encyclopédistes » du Tiers Etat avant la révolution française de 1789, les intellectuels anarchisants des révolutions anti-czaristes avant 1917 ou les militants de la bourgeoisie française « allant au peuple pour l'éduquer » durant l'entre deux-guerre. Aujourd'hui on commence à désigner de tels agitateurs par le terme d' « activistes cognitifs » ou, dans la mesure où ils utiliseront massivement les ressources du web, de cyber-activistes cognitifs.

    Il s'agit dans les pays pauvres de représentants des classes moyennes fortement diplômes qui ne trouvent pas leur place sur le marché du travail et qui théorisent les changements sociaux souhaitables. Mais au lieu de s'exprimer comme jadis par les voies traditionnelles du militantisme et de la presse, ils utilisent les réseaux interactifs. Ils s'en servent non seulement pour préciser leurs propositions mais pour les diffuser au sein des couches sociales qui ne se révolteraient pas spontanément. Les pouvoirs, aussi tyranniques qu'ils soient, peuvent difficilement couper les réseaux et neutraliser les serveurs, de plus en plus nombreux, même dans les pays pauvres.

    Ceci dit, le terme de cyber-activisites cognitifs pourrait aussi désigner, dans les pays développés, les innombrables sources qui contestent sur Internet les pouvoirs établis et proposent des solutions alternatives. Tout le bouillonnement en résultant ne s'est pas encore concrétisé par des programmes politiques susceptibles de mobiliser les électeurs ou susciter d'éventuelles manifestations suivies, mais le mouvement est en marche.

    Dans les pays développés cependant, tels les pays européens, les cyber-activistes cognitifs devront pour toucher les foules dépasser le niveau de l'opposition primaire. Nous avons vu que les problèmes à résoudre sont extrêmement compliqués. Aucune solution ne peut s'imposer dans susciter d'innombrables débats. L'ignorance, l'intolérance, spontanées ou entretenues, des citoyens, sont considérables. Pour que les opinions se motivent en profondeur, soit en vue d'une expression par la voie de la démocratie représentative, soit à défaut dans la rue ou sous d'autres formes non prévues par les institutions, un travail de formation, de construction et de dialogue en profondeur s'impose. Pour cela, il ne suffira pas de prise de paroles sur les blogs et moins encore d'affirmations abruptes lancées sur twitter. Même des articles s'efforçant à la pédagogie comme le présent texte ne suffiront pas.

    Nous pensons que les cyber-activistes cognitifs visant à faire évoluer en profondeur les sociétés européennes, dans le sens d'une véritable révolution citoyenne, devront s'impliquer de deux façons supposant un engagement total.

    La première et la plus importante consistera à expérimenter des modes de production ou de distribution utilisant les nouvelles technologies pour changer en profondeur les activités économiques. Il s'agira d'enlever du pouvoir aux formes concentrées d'exploitation soumises aux intérêts financiers mondialisés pour le redonner à des producteurs locaux mutualisés. Cela concernera l'agriculture, les diverses formes de production industrielles ou artisanales relocalisables, la banque et l'assurance mutualistes. Mais il s'agira aussi de repenser les activités de service, y compris celles relevant de la sphère publique. Ceux qui auront les moyens ou le courage de se lancer dans de telles expériences devront utiliser systématiquement les ressources de l'internet pour faire connaitre et discuter leurs objectifs et leurs résultats. S'ils ne le font pas, ils ne pèseront pas face aux multinationales et aux politiques publiques qui sont à leur service.

    Le second mode d'action, plus ludique et facile en apparence, consistera à utiliser les ressources de l'intelligence artificielle et de la gestion des connaissances en ligne pour intéresser les citoyens de la base à la façon dont des réformes, voire des révolutions, pourraient améliorer leur condition de travailleur et de consommateur de produits culturels. On sait qu'aujourd'hui, les personnes même les plus défavorisées consacrent beaucoup de leur temps à des émissions de télévision qui sont des machines à décerveler et à soumettre. Il faudrait que des cyber-activistes cognitifs de plus en plus nombreux proposent des produits (par exemple sur le mode des jeux vidéos) capables de rendre concrets les enjeux et les modes d'organisation d'une société européenne devenue en profondeur digne des valeurs qu'elle prétend incarner.

    De telles propositions, faites rapidement comme c'est le cas du présent article, resteront  sans doute incompréhensibles à beaucoup. Mais nous sommes persuadés que certains cyber-activistes cognitifs européens, ceux que nous pourrions qualifier de citoyens, ont déjà réfléchi à la façon de les concrétiser. Bien mieux, ils le font déjà mais ils n'ont pas fait assez d'efforts pour se faire connaitre à l'échelle européenne, compte tenu des différences de langage et de culture propres à ce continent qui en sont par ailleurs la richesse.

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 12 février 2011)

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  • Dix questions sur les "révolutions arabes"...

    Se poser des questions, c'est commencer à réfléchir !... Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial de Polémia, daté du 2 février 2011, qui pose de bonnes bases de départ pour analyser ce flot d'images et de paroles qui nous submerge depuis plusieurs semaines.

      

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    Dix questions sur les "révolutions arabes"


    Que sait-on vraiment ?

    Des manifestations, des émeutes, des morts, un dictateur en exil, un autre fragilisé. Voilà ce que nous savons. Mais pour le reste « les écrans font écran » à la réalité et les interrogations sont multiples : peut-on croire à la spontanéité des manifestations ? Quelle est l’ampleur des pillages ? Et quelle est leur origine ? Que se passe-t-il en dehors des capitales et dans les provinces rurales ? Quels sont les jeux des différents groupes d’intérêts ? Quel est le poids des ingérences étrangères ?

    Quelles sont les raisons de l’asymétrie médiatique ?

    Les médias français – et occidentaux – ont été plus « allants » sur la Tunisie que sur l’Algérie et l’Egypte : 50 ans après l’indépendance, le FLN algérien et l’armée algérienne, quasi maffieuse, continuent de bénéficier d’une image « progressiste » ; quant à l’Egypte, il est difficile d’oublier son rôle de partenaire privilégié d’Israël et des Etats-Unis, pays qui souhaitent une « transition ordonnée ». Ce qui conduit les médias dominants à davantage de prudence sur l’Egypte que sur la Tunisie, pays moins stratégique.

    Jusqu’où ira l’impérialisme américain ?

    Au nom du « devoir d’ingérence » humanitaire les chancelleries occidentales prennent position publiquement dans les processus politiques en cours dans les pays arabes. Les Américains vont plus loin : en Tunisie, ils ont provoqué le départ de Ben Ali – qu’ils préparaient depuis trois ans – en s’appuyant sur le chef de l’armée, le général Rachid Ammar ; en Egypte, les mêmes Américains promeuvent simultanément le général Suleiman, chef des services de renseignement et jugé proche d’Israël, et Mohamed El Baradeï. Les pays européens s’alignent sur ces positions : il est vrai que la lecture des dépêches diplomatiques américaines publiées par Wikileaks fait apparaître bien des dirigeants politiques allemands, britanniques et français comme de simples « fantoches » des Américains.

    Quelle est la géopolitique des populations ?

    Partout ce sont des masses de jeunes hommes qui se mettent en mouvement. L’âge médian des populations est de 30 ans en Tunisie, de 24 ans en Egypte. Pourtant la situation de ces deux pays paraît nettement différente : la Tunisie est en transition démographique depuis 1990, le taux de fécondité y est inférieur à 2 enfants par femme et Tunis n’a que 700.000 habitants. Le Caire, 16 millions ! Et il naît encore en Egypte plus de 3 enfants par femme. Et 10% des Egyptiens sont des chrétiens coptes. Le potentiel explosif de l’Egypte est donc très supérieur à celui de la Tunisie.

    Quelles sont les insuffisances du modèle économique mondialiste ?

    La Tunisie et l’Egypte sont insérées dans les échanges mondialisés. Plutôt bien pour la Tunisie. Les taux de croissance du PIB y sont élevés, de l’ordre de 5% par an, jusqu’à 7% en Egypte. Cela ne suffit pas pour mettre ces pays à l’abri du chômage ni de disettes sur des produits essentiels ; encore moins d’une urbanisation totalement anarchique. Au contraire, le libre-échange mondial déstabilise des pans entiers des économies locales notamment paysannes, ce qui amplifie les problèmes alimentaires et les difficultés urbaines. Et les personnalités les plus impopulaires sont les affairistes liés à la superclasse mondiale. Enfin le système économique mondialisé n’offre guère de sens.

    Jusqu’où ira la recherche de sens ?

    Le manque de sens, c’est précisément la faiblesse du système. Le sens, c’est justement la force des islamistes, l’islam étant à la fois une religion et un programme politique. D’où la force du simplissime slogan : « L’islam est la solution. » C’est pour cela qu’en l’état actuel, dans tous les pays arabo-musulmans, les élections démocratiques lorsqu’elles ont lieu font le jeu des partis islamiques. D’où la contradiction de « l’Occident » réclamant davantage de démocratie… tout en craignant les Frères musulmans.

    Le sabre et/ou le Coran ?

    Sur les ruines des régimes en crise politiquement autoritaires et économiquement libéraux, deux forces semblent émerger : les islamistes d’un côté, l’armée de l’autre. C'est-à-dire deux « archaïsmes », deux structures hiérarchiques, deux institutions porteuses de sens, deux lieux de liens et de promotions sociales.

    Jusqu’où iront les révolutions arabes ?

    Les leçons de l’histoire sont claires : en règle générale des périodes longues de grande stabilité alternent avec des périodes révolutionnaires de changement rapide : de Mirabeau à Robespierre puis Bonaparte ; de Rodzyanko au prince Lvov, puis de Kérensky à Lénine ; de Chapour Bakhtiar à Khomeiny ; de Gorbatchev à Eltsine puis Poutine. Il est donc plus que probable que les hommes aujourd’hui au pouvoir à Tunis et au Caire n’y sont pas durablement !

    Quels risques pour l’Europe ?

    Vues du nord de la Méditerranée, les révolutions arabes présentent des aspects inquiétants : le risque du chaos économique et politique motivant de nouvelles vagues migratoires. Et ce alors même que les législations européennes se placent du point de vue des droits des individus (à immigrer) et non du droit des peuples à défendre leurs intérêts et leur identité. C’est le syndrome du « Camp des saints ».

    Quelles chances pour l’Europe ?

    A contrario, les peuples européens peuvent avoir des raisons de se réjouir de l’affaiblissement possible du suzerain américano-israélien et de la mise en échec des oligarchies mondialistes. Car ce sont ces mêmes oligarchies mondialistes qui leur imposent la délocalisation de leurs activités économiques et l’immigration de masse. D’autant qu’en Europe les nouveaux moyens de communication sont encore plus présents que dans les pays arabes et qu’ils y sont moins facilement neutralisables. Par nature les révolutions sont imprévisibles. Mais un rejet du système mondialiste est d’autant plus envisageable que, s’il survenait d’abord dans un pays, il pourrait par contagion s’étendre aux autres. Car comme aime à le rappeler le grand historien Dominique Venner : « L’histoire est le lieu de l’inattendu. »

    Polémia
    2 février 2011

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  • "Ma tête et mon couteau", un entretien avec Michel Drac...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Michel Drac, cueilli sur le site d'Egalité & Réconciliation-Bretagne. Michel Drac est l'animateur du site Scriptoblog et le responsable des éditions Le Retour aux Sources, qui ont publié plusieurs livres intéressants au cours des derniers mois.

     

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    Les ouvrages du Retour Aux Sources font la part belle aux méthodes d’organisation et d'action  pensées par la gauche radicale (TAZ d’Hakim Bey, théorie des multitudes de Négri, éco-villages, …).

    Croyez-vous la droite anti-libérale incapable de produire des idées pertinentes et des outils opérationnels adaptés à notre époque en crise ?

    La droite anti-libérale a de toute évidence un problème pour se penser en rupture avec le Système. Ceci peut paraître curieux, dans la mesure où elle est objectivement plus étrangère au Système que n’importe quelle autre tendance politique. Mais au fond, c’est logique : pour se penser en rupture avec le Système, il faudrait que la droite anti-libérale conceptualise une rupture au sein du concept général de « droite », car une partie de la « droite » est dans le Système. Or, la droite anti-libérale, prisonnière de l’illusion d’un continuum de la « droite », ne parvient pas à penser cette rupture.

    Ici, il faut bien dire que les logiques de classe ont tendance à prendre le pas sur les logiques purement politiques : il y a toujours un moment où le bon bourgeois anti-libéral est renvoyé à ses contradictions : comment être un bourgeois anti-libéral, aujourd’hui ?

    Bref, je ne crois pas que la droite anti-libérale soit incapable de produire des idées pertinentes. Je constate en revanche qu’elle a du mal à les concrétiser, et même à les amener au stade du programme, du plan d’action. La droite anti-libérale est une sensibilité qui ne peut pas s’organiser.

    Penser restaurer le système, l'aider à s'auto-corriger ou lutter pour le réformer (comme le font les réactionnaires, par exemple) n'aura pour résultat que de retarder la fin du Cycle et le début du suivant, selon vous. Quel peut donc être le rôle à jouer et la voie à suivre par des hommes différenciés en cette fin de Kali-Yuga? Cultiver une conscience politique propre à la formation d'une élite capable d'encadrer une (hypothétique et future) révolte des masses? Montrer l'exemple en se plaçant en dehors du jeu (retraite physique, élévation individuelle)? Ou combiner les deux?

    L’économie occidentale contemporaine n’est pas réformable. C’est une énorme machine hypersophistiquée, une bonne partie des pièces s’est mise à fonctionner sans souci de l’ensemble, on a perdu le cahier de maintenance, et pour tout arranger, le pilote de machine est sourd, fou et ivre mort. La seule chose à faire, c’est d’attendre que le moteur explose, en se protégeant autant que possible contre les projections ! La priorité pour des hommes différenciés, comme vous dites, c’est de se préparer à se sauver eux-mêmes, alors que nous allons vers une période très, très dure.

    Au demeurant, je pense que ce travail, s’il est conduit à termes, portera des fruits au-delà de son objectif immédiat. Au fond, si nous nous organisons pour nous en tirer le mieux possible, nous produisons simultanément et spontanément un modèle que d’autres voudront imiter. Paradoxalement, penser un égoïsme collectif, dans le contexte actuel, c’est aussi une manière d’aider tous ceux qui ne peuvent plus penser que l’égoïsme individuel. Plus que la noblesse des intentions, il faut juger l’efficacité concrète, et sous cet angle, la démarche consistant à structurer une contre-société me paraît aujourd’hui la plus porteuse.

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    Le narrateur de Vendetta explique ses actes (des assassinats, ndlr) à mots (ironiquement) choisis : ceux du champs-lexical managérial (« expérience passionnante et vie pleine de sens », etc.).

    Penser les médiations nécessaires à une révolution, avec les concepts du système, résonne comme un aveu d'incapacité à produire du sens à l’extérieur de la matrice. Sens que le dernier opus du Retour au Sources (G5G – La Guerre de Cinquième génération) se propose, lui, de recréer. Pouvez-vous nous en dire plus?

    Vous avez très bien saisi l’esprit des deux livres. Vendetta est une description de ce que l’on peut redouter, si la démarche proposé dans G5G est empêchée.

    Il ne faut pas perdre de vue que les révoltés structurent toujours leur révolte avec, à la base, les concepts, les catégories du système qu’ils combattent. C’est pourquoi le parti communiste soviétique avait repris une partie des « techniques de gouvernement » propres à l’Eglise orthodoxe. C’est pourquoi le cérémonial napoléonien avait récupéré une partie des us et coutumes de la société de cour à la française. Etc.

    Vendetta a été écrit pour expliquer, en gros : le Hitler, le Staline, le Mao de demain sont dans les tuyaux, et c’est la « démocratie libérale » contemporaine qui est en train de les incuber. Elle les incube d’une part parce que son dérèglement finit par rendre la vie impossible aux gens, ce qui va les pousser à la révolte ; et d’autre part parce qu’elle leur apporte sur un plateau les ingrédients de la violence révolutionnaire future : primat de la jouissance, de l’instantanéité, réduction de l’expérience humaine à l’individualité, compensée par un fonctionnement en réseau fluide.

    On commence d’ailleurs à voir poindre cette nouvelle violence politique. Cette semaine (NB : début janvier 2011), nous avons eu une tuerie aux USA, avec un type qui a ouvert le feu en aveugle, lors d’un rassemblement politique. C’est là une pulsion de destruction (et d’autodestruction) qui ne s’organise pas, ou alors seulement de manière informelle, en réseau, et qui ne poursuit aucun autre objectif que la satisfaction de ceux qui s’y livrent. C’est ce vers quoi nous allons : la dictature par l’anarchie, l’extrême violence incontrôlable servant de prétexte à l’encadrement paranoïaque, partout, tout le temps.

    G5G, à l’inverse, consiste à dire : dépêchons-nous d’offrir une issue, une voie vers le dehors de ce Système devenu fou, et qui nous rend fous. G5G, c’est le seul antidote à Vendetta, si vous voulez.

    Dans De la souveraineté, vous expliquez que le mondialisme néolibéral se caractérise par l'absence d'idéologie originelle, combinée à une pathologie narcissique et au profit comme finalité - ce tout menant, selon vous, à la dictature du matérialisme bourgeois (fortification de l'élite du capital et asservissement de la masse).

    Vous y opposez une posture européenne et traditionnelle : celle de la soumission du corps à la force, et de la force à l'esprit. Cette posture est-elle consubstantielle, comme mentionné par ailleurs, d’un certain élitisme et d’une purification éthique (mais pas ethnique) inévitable?

    Dans De la souveraineté, j’ai essayé de faire comprendre rapidement quelque chose à mes lecteurs, tout en sachant que c’est quelque chose qu’on ne peut faire comprendre rapidement qu’au prix d’un certain simplisme. Ce quelque chose, c’est : le Système dans lequel nous vivons est une idéologie, à l’intérieur de laquelle nous habitons, et si nous avons l’impression qu’il n’y a pas d’idéologie, c’est parce que nous sommes dedans. L’absence d’idéologie originelle perçue par nous à la racine du Système provient uniquement du fait que nous confondons notre habitation au monde avec le rapport spontané, naturel, immédiat, de l’homme au monde. C’est la différence entre notre totalitarisme et les défunts modèles soviétiques et nazis : chez Goebbels, chez Souslov, tout le monde savait qu’il existait une idéologie ; c’était visible, revendiqué, même. Chez nous, cela reste caché. A aucun moment, le capitalisme et le consumérisme contemporain ne se donnent explicitement pour des constructions idéologiques. Le néolibéralisme lui-même se vit comme une simple description du réel. Quand un économiste néolibéral confond profit comptable et richesse, il ne sait pas qu’il opère un choix idéologique ; dans son esprit, c’est pareil, forcément pareil.

    Ce qui permet, à mon avis, de prendre conscience du caractère idéologique du mondialisme néolibéral, c’est le rappel tranché, brutal, des alternatives possibles. On ne se sait enfermé dans l’idéologie que quand on en voit le dehors. C’est pourquoi j’ai rappelé qu’il avait existé, et qu’il existait encore, des mondes où l’impératif consumériste en contrepoint de l’impératif productiviste aurait été à peu près complètement dénué de sens – des mondes où le corps était là pour construire la force, et la force nécessaire pour préserver l’esprit. Des mondes, en somme, où l’être se réalise en réalisant sa nature, et non en violant la nature autour de lui. Ce rappel permet de faire comprendre en quoi le mondialisme néolibéral est idéologique : quand on voit le dehors, on comprend qu’on est à l’intérieur de quelque chose, d’une construction, qui n’est pas tout le monde, seulement un certain rapport au monde.

    Quant à la question de l’élitisme, à la nécessité d’une forme de purification, il ne faut pas en faire un impératif figé, une sorte d’affirmation par hypothèse, que je donnerais là, au nom de je ne sais quelle autorité imaginaire. Il s’agit surtout dans mon esprit de rendre pensable une alternative, donc de rendre possible l’énonciation du négatif. Que ce négatif soit énoncé à partir d’une alternative élitiste ou non-élitiste, en fait, peu m’importe : à mes yeux, l’essentiel, c’est qu’il soit à nouveau énoncé. C’est la dynamique collective qui doit définir l’alternative au nom de laquelle le négatif est énoncé.

    Sous diverses formes (action violente, retraite armée), l’engagement physique tient une place de choix dans les ouvrages du Retour Aux Sources.

    Si le Grand Jihad (lutte intérieure contre ses mauvais penchants) doit précéder le Petit Jihad (lutte physique), pourquoi choisir de mettre plus en lumière l’action de révolte – au détriment du cheminement intérieur et individuel qui y mène ?

    Vous trouvez que l’engagement physique tient une place de choix ? Pour l’instant, ce n’est que du papier… Plus tard, on verra de quoi il retourne, quand on passera à la pratique.

    On sait, grâce à Norbert Elias notamment, que l’interdiction de la violence conduit à un auto-contrôle qui s’étend inexorablement à tous les domaines de la moralité (autocensure,…).

    Rejoignez-vous cette idée que, pour redevenir humain, il faut d’abord redevenir barbare ?

    Je pourrais vous répondre que les barbares sont généralement contraints à un très fort autocontrôle, puisque leur barbarie peut à tout moment se manifester entre eux. En ce sens, on pourrait tout aussi bien retourner le propos, et dire que pour nous libérer de l’obligation de l’auto-contrôle, il faut au contraire nous re-civiliser.

    C’est la Loi qui libère. L’auto-contrôle, l’auto-censure contemporains trouvent leur source dans la disparition de la Loi. On ne sait plus ce qu’on a le droit de dire, de prôner. On ne sait plus où est l’orthodoxie. La Loi existe peut-être, mais elle est fixée si haute, si loin, qu’on ne peut plus la lire, tout au plus la deviner.

    Ce que nous devons faire, c’est nous organiser entre nous pour définir une Cité à nous, distincte de la fausse cité définie par le Système. Et dans notre Cité à nous, nous fixerons notre Loi à nous. Et tout le monde pourra la lire, et tout le monde saura ce qu’on peut dire ou ne pas dire, et pourquoi. Alors nous serons libres. Il ne s’agit donc pas d’être barbares : il s’agit d’avoir une ville à nous, pour être civilisés entre nous.

    Dans vos livres, l’individualité des personnages et leur temporalité (vie et mort) ne sont que des moyens au service d'une tâche (combat) sans cesse à recommencer. L'assurance de ne pas voir "le jour de la victoire" peut décourager certains de passer à l'action ("A quoi bon?") – mais  constitue aussi pour d'autres l'essence de leur engagement (dépassement de la peur de la mort). Comment peut-on (ou pourquoi doit-on) lutter, en ces temps de chaos, dans la joie et l'espérance?

    Je n’ai écrit aucun roman, je suppose donc que le « vos » de « vos livres » fait référence ici aux romans publiés par le Retour aux Sources. Ou alors, il s’agit d’Eurocalypse, auquel j’ai participé ?

    Bref. En tout cas, à titre personnel, je crois qu’un homme ne peut échapper à l’Absurde qu’en préparant sa mort. C’est sans doute en quoi je suis radicalement étranger à mon époque, d’ailleurs. Je n’arrive pas à comprendre à quoi rime l’existence qu’on nous propose, et qui pourrait se résumer ainsi : vous allez consommer le plus possible pour penser le moins possible à la mort, et quand vous mourrez, ce sera discrètement, dans une chambre d’hôpital, avec des soins palliatifs pour que vous ne fassiez pas de bruit et une euthanasie pour économiser les frais médicaux. Où est l’intérêt ?

    Je trouve qu’une vie intéressante est une vie où l’on se bat, où l’on souffre, où l’on affronte l’adversité, et surtout, où l’on s’affronte soi-même. Je trouve qu’une vie intéressante est une vie difficile. C’est ce qui me donne de la joie, en tout cas, et peut-être de l’espérance ; je me dis que quand je partirai, couché sur un lit à regarder le plafond en sentant le froid qui remonte de mes pieds vers mon cœur, je pourrai dire au patron, dont je suppose qu’il m’attend de l’autre côté : j’ai joué ma partition, maintenant, tu décides pour la suite. Je trouve que ce qui rend la vie intéressante, c’est de se battre pour en arriver là : savoir qu’on a lutté.

    Donc, en somme, pour répondre à votre question : c’est la lutte qui donne joie et espérance. Il ne s’agit donc pas de trouver joie et espérance pour lutter, mais de lutter pour trouver joie et espérance. Enfin, c’est comme ça que je vois les choses.

    On trouve dans Vendetta cette sentence très juste : « On peut tout vouloir (…) à condition de vouloir les conséquences de ce qu’on veut ».

    Dans un contexte de tensions réelles, et de surenchère générale – consciente ou ignorée - peut-on réellement vouloir précipiter le chaos?

    Le narrateur de Vendetta est un homme absolument désespéré. Et c’est terrifiant : imaginez un monde où on aurait fabriqué des millions de fils uniques narcissiques, shootés à la consommation, plongés dans une absurdité radicale, et du jour au lendemain, réduits à la pauvreté, à l’impossibilité de se délivrer de l’Absurde par la consommation, de l’absence de transcendance par la mondanité. C’est le monde de demain, si la machine économique occidentale tombe complètement en panne, d’un coup, alors que le conditionnement consumériste des populations s’est poursuivi jusqu’au dernier moment.

    Alors là, oui, en effet, on va avoir des gens qui pourront tout vouloir…

    Eurocalypse.gif

    Vous explorez, à travers l'écriture, deux scenarii envisageables dans un futur proche : version décliniste, l’élite continue de piloter sans rencontrer d’écueil majeur et nous mourrons spirituellement. Version catastrophiste (Eurocalypse), l'accident se produit et laisse place au désastre. Comme les survivalistes, croyez-vous à la possibilité d'un collapse rapidement généralisable? Dans ce cas, pourquoi l'élite prendrait-elle le risque d'un clash intégral, alors que le chaos modéré lui permet de régner?

    Je suppose que « l’élite », qui a manifestement créé le chaos, est persuadée qu’elle pourra le contrôler de bout en bout, dans un scénario décliniste. Mais la question, c’est : est-ce qu’elle pourra le contrôler de bout en bout ?

    Vous savez, le Système n’est pas aussi fort qu’on le croit. Oh, certes, ce n’est pas nous qui allons le renverser frontalement. Mais le risque est réel qu’il se renverse lui-même. Tenez, imaginez, dans quelques années : révolte au Congrès des USA, audit de la FED, fin du financement de la dette par la dette, faillite des Etats US, réduction drastique du budget militaire étatsunien, évacuation des bases US un peu partout dans le monde. Peu après, l’Iran, délivré de la pression US, annonce disposer de l’arme nucléaire. Une « super-Intifada » traverse les « territoires occupés », le Hezbollah multiplie les attaques contre Israël. La Chine, furieuse que les Occidentaux aient organisé la déstabilisation du Soudan pour en récupérer le pétrole, laisse faire la révolte musulmane, et même la soutient discrètement. Paniquée, Tel-Aviv ordonne au MOSSAD de déclencher une série d’attentats sous faux drapeau, en Europe occidentale, pour obliger les Européens à s’engager massivement au Proche-Orient. La France, dont le président est un certain Dominique Strauss-Kahn, envoie des troupes en Palestine. Les banlieues françaises, du coup, s’enflamment…

    C’est un scénario possible, parmi des dizaines qui peuvent nous plonger, très vite et presque sans crier gare, dans un contexte si instable que plus personne ne pourra vraiment le maîtriser. Alors la question, ce n’est pas est-ce que « l’élite » veut le chaos (elle le veut), ni elle est-ce qu’elle pense le maîtriser (elle le pense). La question, c’est : est-ce qu’elle pourra le maîtriser ?

    Entre violence de bande synonyme de « refus de l’atomisation imposée par le monde moderne » (M. Maffesoli), et dépouille de blancs nantis interprétée comme de la « lutte des classes qui s’ignore » (A. Soral), la banlieue française est-elle en train de « rappeler au peuple qu’il s’est éloigné de la vertu » (in Vendetta)? Peut-elle, entre islam modéré et frustration exaspérée, constituer un relais de force révolutionnaire?

    La banlieue française, peut-on en parler au singulier ? « On » voudrait nous faire croire qu’elle est peuplée majoritairement d’islamo-gangsters violeurs, ce qui est ridicule. Il serait tout aussi ridicule de prétendre qu’elle n’est peuplée que de gens vertueux…

    La banlieue française me semble surtout, aujourd’hui, faire l’objet de beaucoup de fantasmes. En pratique, j’ai plutôt l’impression qu’on a affaire à un patchwork très hétérogène, où les forces les plus positives coexistent avec des forces extrêmement négatives. Le jeu, de mon point de vue de « de souche », consiste à nouer des alliances avec les forces positives pour neutraliser et si possible éradiquer progressivement les forces négatives.

    D’où, soit dit en passant, l’intérêt d’une démarche comme E&R : il est essentiel que les hommes de bonne volonté réfléchissent ensemble à la manière dont on peut sortir de la situation inextricable où notre classe dirigeante nous a mis. Il s’agit de définir un processus de ré-enracinement des populations déportées chez nous par le capitalisme mondialisé – un ré-enracinement soit ici, soit dans leur pays d’origine, selon les cas, mais toujours dans le respect du droit des gens, sans naïveté mais sans préjugés. Il va falloir que tout le monde y mette du sien.

    Votre idée de BAD (Base Autonome Durable), ilot fractionnaire, est pensée comme un système superposable au Système. Une alternative en lisière, reposant sur l'autonomie sécuritaire et médiatique, la construction d'une économie alternative et "une esthétique de la rareté, de la conscience et de la possession de soi". L'autonomie de la communauté y serait assurée par le trinôme Gardes (sécurité), Référents (éducation) et Intendants (production visant l'autarcie). Vous soulignez par ailleurs l'importance du légalisme ("c'est de loin la meilleure subversion").

    Pourtant, entre bouc-émissairisation (cf. Tarnac) et accomplissement limité (cf. la Desouchière), la BAD n'est-elle pas une idée "grillée"? Par ailleurs, accepter de ne pas dépasser les bornes du système,  n'est ce pas réduire sa marge de manœuvre?

    Tout d’abord, je vous ferai remarquer une chose : si j’avais décidé de « dépasser les bornes du système », je ne préviendrais pas…

    Ensuite, je reste ouvert à toute autre proposition. Quel concept alternatif à la BAD peut-on me proposer ? Pour l’instant, j’observe qu’on ne m’a rien avancé de bien concluant. Alors la BAD n’est pas la panacée, certes, mais en attendant, c’est une expérimentation à conduire.

    Les modes de vie alternatifs existent d'ores et déjà : dans le domaine de l'éducation (écoles Montessori, Steiner, homeschooling,…), de l'autonomie alimentaire (AMAP, magasins de producteurs, …), de l'habitat (auto construction, énergies renouvelables,…),…

    Quelle urgence ou nécessité implique de penser l'autonomie sous forme communautaire, comme dans le cas de la BAD ?

    Je ne sais pas si la BAD sera nécessairement communautaire. Ce qui est certain, c’est que si vous voulez résister à la pression du Système, il faut que ce soit collectif. Mais communautaire, ce n’est pas obligatoire. On peut très bien imaginer d’ailleurs plusieurs niveaux d’intégration, avec des noyaux communautaires et des entreprises non communautaires gravitant autour, et intégrant progressivement des individus « à cheval », un pied « dans le Système », un pied dehors.

    Bref, sur le plan organisationnel, tout est à construire, tout est ouvert. Je crois qu’il faut tester, et c’est l’expérimentation qui nous dira progressivement comment faire.

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    Nombre de nos camarades s’interrogent sur l’organisation concrète d’une BAD. Se rapproche-t-on des écos-villages développés par Diana Leafe Christian ?  Selon vous, qu’elle serait - entre petites structures totalement autarciques et communautés plus poreuses, donc dépendantes -, la taille optimale d’une BAD? Comment y gérer l’humain (« recrutement », sélection, …) en fonction des différentes sensibilités (du néo-baba au survivaliste) ?

    Je n’ai pas d’opinion arrêtée sur la taille des BAD. Il est très possible qu’il existe plusieurs « formats » de BAD, et que ces formats présentent tours points faibles et points forts, à étudier selon les circonstances, les choix des individus constituant le groupe, etc. Nous allons d’ailleurs tester prochainement, avec quelques amis, un projet collectif : nous nous ferons un plaisir d’informer E&R Bretagne sur le déroulement de ce projet, ce sera l’occasion d’échanger des expériences.

    Cela dit, ce n’est pas la question-clef.

    La question-clef, pour moi, ce n’est pas la BAD, mais le réseau des BAD. Là où la démarche « fractionnaire » que je propose se distingue des solutions « survivalistes » ou « écolos » préexistantes, c’est que je ne suggère pas d’installer des BAD ici, là, et là, d’une certaine manière et pas d’une autre. Ce que je suggère, c’est de construire progressivement, par le réseau des BAD, une contre-société.

    Pour moi, si un jour on met au point la « BAD idéale », ce sera très bien, mais ce n’est pas l’objectif. L’objectif, c’est par exemple qu’un jour, la population « ordinaire » apprenne qu’il existe désormais un tribunal d’appel pour traiter en deuxième instance tous les litiges que les tribunaux locaux des BAD auront jugés, en fonction d’un code juridique « fractionnaire » (appelez ça autrement si vous voulez, du moment que cela veut dire : séparé, distinct, de l’autre côté d’une ligne imaginaire séparant Système et contre-société). Ce jour-là, le jour où il existera une Loi de la contre-société, je peux vous dire que nous aurons porté au Système que nous combattons le coup le plus rude que nous pouvions lui porter, avec nos faibles ressources : nous aurons repris la parole.

    C’est de cela qu’il s’agit. Et comme vous le voyez, ça n’a rien à voir avec les néo-babas.

    Pour conclure cet entretien, et avant de laisser nos lecteurs retourner fourbir leurs armes contre l’hétéronomie, avez-vous quelque chose à ajouter ? Une remarque, un conseil de lecture, une recommandation ou une digression sur un sujet de votre choix, …

    Peut-être un mot sur votre président, Alain Soral, qui a (encore) des démêlés avec le lobby qui n’existe pas.

    Nous ne sommes pas tout à fait d’accord sur cette question : lui, il croit que c’est la question centrale, et moi, je crois qu’elle est très périphérique, même si elle est très perceptible. En outre, peut-être influencé par le protestantisme, je porte sur le monde juif un regard beaucoup plus nuancé que le sien – et même, dans certains cas, un regard de sympathie. J’aurais sans doute, un jour, pas mal de choses à lui dire sur le livre d’Ezéchiel, l’éthique de responsabilité et la question du « contrat » passé entre l’homme et Dieu dans la religion hébraïque… où notre ami pourrait voir que lire Ezéchiel comme un texte « sioniste », c’est faire un léger anachronisme !

    Mais, en attendant, je trouve lamentable qu’on attaque quelqu’un en justice pour des propos où il ne fait que formuler une opinion sur l’état du pays et le rôle d’une communauté. Si ces propos sont fallacieux, qu’on en apporte la preuve dans une discussion ouverte et contradictoire. Depuis quand, en France, la justice doit-elle sanctionner les simples opinions ? Il est possible que celles de monsieur Soral soient erronées : eh bien, qu’on le prouve, qu’on déconstruise son propos, qu’on en montre les limites ou les erreurs. Mais la justice n’a pas à intervenir dans le débat d’idées, ou alors, et qu’on nous le dise franchement, nous vivons sous une dictature.

    La judiciarisation du débat, en France, devient étouffante. Elle participe d’une entreprise générale d’intimidation des esprits libres. C’est pourquoi, indépendamment de notre opinion sur le fond, nous devons soutenir Alain Soral quand on prétend le faire taire par décision de justice, alors qu’il n’a formulé aucun appel explicite à commettre le moindre acte illégal.

    Sinon, après, à qui le tour, et sous quel prétexte ?

    Pour E&R en Bretagne,

    Mathieu M. et Guytan

    28 janvier 2011

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  • Alain de Benoist et la nouvelle ligne politique du Front National...

    Dans leur blog spécialisé dans le "décryptage" des populismes de droite, Caroline Monnot et Abel Mestre, journalistes au Monde, nous rapportent l'analyse que fait Alain de Benoist, dans un entretien accordé au magazine Flash et publié dans son numéro à paraître, de la nouvelle ligne politique adoptée par Marine Le Pen, la présidente du Front National.

       marine_le_pen_alain_de_benoist.jpg

     

    « Pour Alain de Benoist, donc, qui rappelle dans cet entretien qu‘il “n’a jamais voté pour le Front national”, il y a “trois inflexions nouvelles [dans le discours de Mme Le Pen]: sa critique accentuée du libéralisme économique et du pouvoir de l’argent, sa critique très jacobine du “communautarisme” et enfin une critique de “l’islamisation” qui me paraît se substituer de plus en plus à la critique de l’immigration”.

    M. de Benoist ajoute: “J’approuve la première et désapprouve les deux autres. Il est possible de dénoncer les pathologies sociales issues de l’immigration sans s’en prendre aux immigrés qui, à certains égards, en sont aussi les victimes. Il est en revanche impossible de critiquer “l’islamisation” sans stigmatiser les musulmans.  C’est en outre ouvrir la porte aux alliances contre-nature que l’on voit se multiplier actuellement, avec, pour conséquence que la droite et l’extrême droite islamophobes sont en train de devenir en Europe, une pièce du dispositif israëlien”.

    Et que pense-t-il de l’orientation plus “sociale” de Mme Le Pen par rapport à la ligne incarnée par Jean-Marie Le Pen? “Du bien”, affirme-t-il, tout en précisant que “dans ce domaine, le FN revient de loin. (…) Même en 2007, le programme du Front était encore bien libéral. A date récente, d’ailleurs, le FN a brillé par son absence dans toutes les luttes sociales. (…) C’est dire que, pour entamer un nouveau cours- et subsidiairement démontrer aux électeurs de gauche qu’il y a plus de socialisme  au Front national qu’au PS ou au PC - il reste beaucoup à faire. En la matière, il ne suffit pas de défendre les “petits” contre les “gros” ou de dénoncer de façon démagogique le “capitalisme mondialisé”. Et Alain de Benoist… d’inviter Marine Le Pen à parler “rapports de classe” et à démonter “la logique du profit et d’accumulation du capital”!

    Selon lui, le FN va devoir trancher entre deux options: “soit être un parti de droite ‘respectable’ appelé à terme à passer des accords politique (…) avec la famille politique correspondant aujourd’hui à l’UMP; soit se poser véritablement comme le parti en devenantle porte-parole des classes populaires qui font aujourd’hui les frais de la crise, et des classes moyennes menacées de déclassement et de paupérisation”. Dans l’un ou l’autre cas, il estime que “le FN aurait tout intérêt à changer de nom”.

    Pour Alain de Benoist,“toute la question est de savoir si Marine Le Pen se situe dans l’optique du “choc des civilisations” ou si elle entend contester frontalement un nouvel ordre mondial  qui utilise (et encourage) l’éventualité de ce “choc” pour renforcer la puissance dominante des Etats-Unis et de ses alliés. Le vrai clivage est là.” »

    (Source Droite(s) extrême(s), 26 janvier 2011)

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  • Le populisme en débat...

    Vous pourrez regarder ci-dessous l'émission "Ce soir ou jamais !" du 17 janvier 2011, animée par Frédéric Taddéi et consacré au populisme, à laquelle participaient Alain de Benoist, Alain Soral, Michel Maffesoli, Natacha Polony, Marc Weitzmann, Jacques Rancière, Clémentine Autain et Bernard Stiegler.

     


    Alain Soral dans ce soir ou jamais 17 janvier 2011
    envoyé par ERTV. - L'info video en direct.

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  • Le catéchisme postmoderne...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'humeur que Michel Onfray a publié dans le journal Le Monde daté du 9 janvier 2011.

    michel onfray.jpg

     

    Le catéchisme postmoderne

    Notre civilisation politiquement correcte diffuse, par le biais des médias légitimes financés par le marché, une pensée unique contre laquelle un intellectuel digne de ce nom ne saurait aller. Voici quelques-uns de ces lieux communs du catéchisme de notre époque : le libéralisme constitue un horizon indépassable en dehors duquel il ne saurait y avoir que gauche irresponsable, stalinisme, communisme, marxisme-léninisme, néobolchevisme et autres billevesées d'irresponsables ignorant la science économique, religion des temps sans religion ; l'Europe est une chance pour les nations et les peuples, une garantie contre les guerres, les dévaluations, les krachs boursiers, le chômage de masse ; Internet est un lieu de liberté libertaire, un espace de circulation élargie de la vérité qui échappe au marché ; l'islam est une religion de paix, de tolérance et d'amour et quiconque, livre en main, pointe dans le Coran pléthore de sourates antisémites, homophobes, misogynes, phallocrates, bellicistes, intolérantes, célébrant la torture ou la peine de mort, passe pour un dangereux islamophobe compagnon de route du Front national ; le terrorisme international provient des villages les plus reculés d'Afghanistan où il faut faire régner la terreur militaire occidentale, mais sûrement pas du Pakistan, qui a l'arme nucléaire, ni des monarchies du Golfe, qui possèdent le pétrole...

    Et puis cette idée largement répandue que quiconque parle de démocratie réelle ou revendique le souci du peuple est un démagogue ou un populiste ! Il faut bien que ces élites aient peur et de la démocratie authentique et du peuple véritable pour réagir de façon pavlovienne avec pareille insulte...

    La machinerie gaullienne a bipolarisé la vie politique. Elle ne laisse de chance, pour gouverner la nation, qu'à deux formations libérales : une droite et une gauche, que, souvent, le style et le ton séparent plus que les idées et le fond. Dès lors, quiconque doute du bien-fondé de ce système devient un homme à abattre.

    Ainsi, cette antienne en passe de devenir vérité de science politique qu'en 2002 un certain Jean-Pierre Chevènement aurait fait perdre Lionel Jospin dont on s'évertue à oublier qu'il avait pourtant clamé haut et fort que son programme n'était pas de gauche. Il est tellement plus facile de massacrer le bouc émissaire que d'analyser les raisons d'un échec pour prendre sa part de responsabilité.

    Les mêmes belles âmes recommencent : Jean-Luc Mélenchon prendrait le risque de faire perdre la gauche ! La gauche libérale, autrement dit la gauche de droite, la gauche dite de gouvernement, ne perd pas une occasion de se placer au centre, mais elle voudrait en même temps conserver le bénéfice et les suffrages de son aile gauche... Plutôt que de savoir qu'on ne peut avoir le beurre centriste et l'argent du beurre de gauche, la Rue de Solférino stigmatise ceux qui revendiquent clairement une gauche digne de ce nom.

    Pour éviter le débat sur la nature des gauches, une fois les arguments remisés, on insulte : populiste celui qui s'installe sur d'authentiques positions de gauche et réaliste celui qui nous vend une soupe libérale servie dans un bol vendu par le PS ! A la queue leu leu, les billettistes, les éditorialistes, les journalistes, les intellectuels qui disposent de leur rond de serviette dans les officines médiatiques libérales activent la machine à gifles : démagogue par-ci, populiste par-là...

    Pourtant, il suffit de se souvenir des discours tenus par leurs soins depuis des années : quid de la panacée libérale ? L'euro devait apporter le paradis sur terre, l'amour entre les hommes, du travail à gogo, la fraternité entre les peuples, le cosmopolitisme dans les chaumières, la fin du racisme... Nous en sommes loin : chômage, misère en quantité, pauvreté, paupérisation galopante, pays en faillite, foyers en détresse, prolétarisation des peuples, pleins pouvoirs à une mafia richissime et un carcan bureaucratique européen serré au plus près de la nuque citoyenne...

    Quid d'Internet, qui devait nous apporter la Bibliothèque nationale gratuitement dans nos campagnes reculées (ah ! ce bon Jacques Attali...), faciliter la vie de l'intelligence en mettant le savoir digne de ce nom à disposition de tout le monde ? Tout passe par le Net et quiconque ne dispose pas d'un ordinateur est un citoyen de seconde zone. Les traces laissées par l'usage de nos ordinateurs servent aux marchands, aux publicitaires, aux polices diverses et multiples. Ne parlons pas de la possibilité pour chacun de dire tout et n'importe quoi, de montrer son indigence sans vergogne pour en informer la planète en temps réel.

    Quid de la liberté qui devait régner à Bagdad, dont l'Occident jurait qu'il deviendrait le phare de la démocratie dans cette région ? Ou de l'Afghanistan ? Des villages détruits, des femmes et des enfants massacrés par les armées d'occupation, dont la France, sous prétexte d'empêcher des attentats dans le reste du monde.

    Quid du peuple dont plus personne ne parle sans une moue de dégoût, sauf Marine Le Pen, qui pourrait bien en retirer des bénéfices. On ne peut longtemps l'humilier en le négligeant au profit de l'oligarchie qui professe ce catéchisme politiquement correct, sans générer une colère qui, un jour, emporte tout sur son passage. Les élections présidentielles sont, malheureusement, des occasions de régler des comptes - qu'on le veuille ou non, c'est ainsi. L'oubli du peuple est la première cause de la colère du peuple. Sachant cela, la colère s'évite - si l'on veut. Sinon...

    Miche Onfray (Le Monde, 9 janvier 2011)

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