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  • L’hommage aux « Poilus » dévoyé par l’idéologie dominante...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan sur les commémorations du centenaire du 11 novembre 1918. Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016), Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017) et, dernièrement, Mai 68 vu d'en face (Balland, 2018).

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    L’hommage aux « Poilus » dévoyé par l’idéologie dominante

    Pensée par le socialiste Joseph Zimet en charge de la Mission du centenaire de la Grande Guerre, à la ville époux de Madame Rama Yade ancien secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy, la cérémonie du 11 novembre 2018 célébrée sous l’Arc de Triomphe laisse une impression de malaise.

    D’abord, comment expliquer l’insolite relégation des représentants de la Serbie à l’extérieur de la principale tribune officielle alors que leur pays fut un des artisans majeurs de la victoire après avoir perdu 450.000 combattants tués et 134.000 autres blessés sur une population de 4,5 millions d’habitants ? Sans compter des pertes civiles s’élevant à 800.000 morts…

    Ensuite, comment qualifier l’insulte personnelle faite au président Trump, obligé de subir la prestation-provocation de sa compatriote d’origine béninoise, la chanteuse Angélique Kidjo, l’une de ses plus farouches adversaires ? Il est en effet utile de rappeler que cette militante activiste avait manifesté contre son élection au sein de la Women’s March, et qu’elle le qualifie d’homme qui n’a « ni morale, ni valeurs humaines »... Un tel affront diplomatique restera dans les annales...

    Enfin, point d’orgue de la grande entreprise de réécriture de l’histoire de France, l’amplification du rôle de l’Afrique durant la Première Guerre mondiale, à travers un message plus que subliminal : les Africains ayant permis la victoire française, leurs descendants ont des droits sur nous et voilà donc pourquoi ils sont chez eux chez nous…

    Je répondrai à ce troisième point en reprenant mon communiqué en date du 13 mai 2016 dont le titre était « La France n’a pas gagné la Première guerre mondiale grâce à l’Afrique et aux Africains ».

    Laissons en effet parler les chiffres[1] :

    1) Effectifs de Français de « souche » (Métropolitains et Français d’outre-mer et des colonies) dans l’armée française

    - Durant le premier conflit mondial, 7,8 millions de Français furent mobilisés, soit 20% de la population française totale.

    - Parmi ces 7,8 millions de Français, figuraient 73.000 Français d’Algérie, soit 20% de toute la population « pied-noir ».

    - Les pertes parmi les Français métropolitains furent de 1.300 000 morts, soit 16,67% des effectifs.

    - Les pertes des Français d’Algérie furent de 12.000 morts, soit 16,44% des effectifs.

     2) Effectifs africains

    - L’Afrique fournit dans son ensemble 407.000 hommes, soit 5,22 % de l’effectif global de l’armée française.

    - Sur ces 407.000 hommes, 218.000 étaient originaires du Maghreb (Maroc, Algérie et Tunisie).

    - Sur ces 218.000 hommes, on comptait 178.000 Algériens, soit 2,28 % de tous les effectifs de l’armée française.

    - Les colonies d’Afrique noire dans leur ensemble fournirent quant à elles, 189.000 hommes, soit 2,42% de tous les effectifs de l’armée française.

    - Les pertes des Maghrébins combattant dans l’armée française furent de 35.900 hommes, soit 16,47% des effectifs, dont 23.000 Algériens. Les pertes algériennes atteignirent donc 17.98% des effectifs mobilisés ou engagés.

    - Les chiffres des pertes au sein des unités composées d’Africains sud-sahariens sont imprécis. L’estimation haute est de 35.000 morts, soit 18,51% des effectifs ; l’estimation basse est de 30.000 morts, soit 15.87%.

    Pour importants qu’ils soient, les chiffres des pertes contredisent l’idée-reçue de « chair à canon » africaine. D’ailleurs, en 1917, aucune mutinerie ne se produisit dans les régiments coloniaux, qu’ils fussent composés d’Européens ou d’Africains.

    Des Africains ont donc courageusement et même régulièrement héroïquement participé aux combats de la « Grande Guerre ». Gloire à eux !

    Cependant, compte tenu des effectifs engagés, il est faux de prétendre qu’ils ont permis à la France de remporter la victoire. Un seul exemple : l’héroïque 2° Corps colonial engagé à Verdun en 1916 était composé de 16 régiments, or, les 2/3 d’entre eux étaient formés de Français mobilisés, dont 10 régiments de Zouaves composés très majoritairement de Français d’Algérie, et du RICM (Régiment d’infanterie coloniale du Maroc), unité alors très majoritairement européenne.

    Autre idée-reçue utilisée par les partisans de la culpabilisation et de son corollaire « le grand remplacement » : ce serait grâce aux ressources de l’Afrique que la France fut capable de soutenir l’effort de guerre.

    Cette affirmation est également fausse car, durant tout le conflit, la France importa 6 millions de tonnes de marchandises diverses de son Empire et 170 millions du reste du monde.

    Conclusion : durant la guerre de 1914-1918, l’Afrique fournit à la France 5,22% de ses soldats et 3,5% de ses importations.

    Ces chiffres sont respectables et il n’est naturellement pas question de les oublier ou de les tenir pour secondaires. Prétendre qu’ils furent déterminants est en revanche un mensonge doublé d’une manipulation idéologique.

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 14 novembre 2018)

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  • Feu sur la désinformation... (209)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours de Nicolas Faure.

    Au sommaire :

    • 1 : Les gilets jaunes, aussi « fachos » que fâchés ?
      Ce samedi 17 novembre, la contestation des gilets jaunes s’incarne dans les rues et sur les routes françaises. Né d’une contestation de la hausse des taxes sur l’essence, ce mouvement populaire est-il noyauté par l’extrême-droite comme semble le penser plusieurs observateurs ? Les gilets jaunes sont très fâchés. Sont-ils aussi un peu « fachos » ?
    • 2 : Le Zapping d’I-Média 
      Maggy Biskupski, policière engagée pour la défense des forces de l’ordre dans les médias, s’est donné la mort avec son arme de service. Un triste événement qui interpelle… Tout comme le refus du débat sur la question de la PMA chez LREM. Un parti qui sanctionne le fait de simplement évoquer le « lobby LGBT ».
      Pendant ce temps-là, le Breton Francis Joyon perpétuait la tradition européenne du dépassement de soi et remportait la Route du Rhum 2018.

    • 3: Macron et Trump, de l’armistice à la guerre ?
      Lors de la commémoration de l’armistice de la 1re guerre mondiale, Emmanuel Macron a multiplié les erreurs diplomatiques. Au point de fâcher Donald Trump et de créer une petite crise entre les deux hommes. Retour sur une cérémonie dédiée à la paix qui a fini par tourner au conflit.
    • 4 : Les tweets de la semaine
      Plus de Mohammed mort en 14-18 que de Martin ? Le choix très militant de titrage du Parisien interroge. Tout comme celui, encore plus vicieux, du Monde qui illustre un article sur la montée de l’antisémitisme avec des symboles… catholiques !
    • 5 : Macron et Facebook à marche forcée vers 1984
      C’est une annonce qui a de quoi effrayer les amoureux de la liberté d’expression. Emmanuel Macron et Facebook ont annoncé un partenariat pour censurer, notamment, les discours dits « de haine ». Une coopération approfondie entre les deux entités qui laisse très sérieusement planer la menace d’une dérive autoritaire.

     

     

                                        

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  • Macron et les années 30...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy cueilli sur Polémia et consacré aux déclarations du Président de la République sur la ressemblance de notre époque avec celle des années 30... Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a récemment publié La Superclasse mondiale contre les peuples (Via Romana, 2018).

     

     

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    Retour des années 30 ? Macron ne croit pas si bien dire

    Emmanuel Macron est déjà entré en campagne pour les élections européennes. Il a choisi la diabolisation de ses adversaires qui, selon lui, incarneraient « la lèpre nationaliste » ; alors que, lui, représenterait bien entendu le camp « progressiste », celui du Bien.

    Un clip de propagande, financé par le contribuable, valorise ainsi l’Europe de Bruxelles et présente Matteo Salvini et Viktor Orban comme les artisans diaboliques de la désunion européenne.

    Et dans une interview à Ouest France [1] Emmanuel Macron a renchéri : « Le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres. »

    La ficelle est évidemment un peu grosse et revient à suggérer que ceux que les médias nomment les populistes seraient des fascistes voire des nazis. Et qu’Emmanuel Macron serait un valeureux résistant contre la nouvelle peste brune…

    La réalité est tout autre.

    Un contresens historique

    La leçon d’histoire d’Emmanuel Macron tente de nous faire, ne peut qu’amuser car elle repose sur un grave contresens historique.

    Mais il faut dire qu’en digne représentant de la Davocratie, Emmanuel Macron ne connaît pas l’histoire. Il n’a d’ailleurs que mépris pour « le monde d’avant ». Ce n’est pas de sa faute, car, à l’Ena, on n’enseigne que l’économie et le droit, pas l’histoire ni les humanités.

    Prétendre assimiler au fascisme la révolte des peuples européens contre l’oligarchie mondialiste qui règne à Bruxelles repose sur un total contresens.

    Car, précisément, ceux que l’on désigne aujourd’hui sous le terme de populistes ne veulent pas instaurer la dictature – celle du prolétariat ou celle d’un Chef comme dans les années 30 – mais au contraire restaurer la démocratie.

    Une démocratie que, justement, les oligarchies européennes ont détruite en instaurant la dictature des minorités ainsi que le gouvernement des juges et en transférant la souveraineté des Etats à la bureaucratie mondialiste de l’Union européenne.

    Les progressistes sont en réalité les nouveaux totalitaires

    Quand Emmanuel Macron fait mine de défendre l’Union européenne contre les méchants populistes, en réalité il défend le totalitarisme post-démocratique que la Davocratie a imposé à l’Europe.

    Un nouveau totalitarisme qui consiste à imposer aux peuples des évolutions qu’ils rejettent, notamment s’agissant de l’immigration de peuplement ou de la déconstruction « sociétale » des mœurs et des identités.

    Comme le disait si bien Daniel Cohn Bendit, un fidèle soutien d’Emmanuel Macron : « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison [2] ».

    On ne saurait mieux démontrer que l’oligarchie mondialiste a la démocratie en horreur.

    Les prétendus progressistes – qui, soit dit en passant, ne cessent de déconstruire l’histoire sociale de l’Europe – sont en réalité les nouveaux totalitaires. Des totalitaires qui veulent museler les peuples européens en imposant partout leur censure et leur propagande.

    Ce sont donc bien eux qu’il faut arrêter et non les populistes !

    En réalité la situation est bien pire que dans les années 30 !

    La référence macronienne à l’entre-deux-guerres comporte cependant une part de vérité, mais pas du tout dans le sens où l’entendent le Président de la République et les médias de propagande à sa dévotion !

    En réalité, la situation actuelle est bien pire que dans les années 30.

    En effet, de nos jours, comme dans les années 30, les régimes parlementaires sont incapables de faire face aux événements : ils sont impuissants face au chômage de masse car ils pratiquent la même politique récessive consistant à augmenter les impôts et à baisser les salaires et les pensions.

    A la différence que, dans les années 30, les frontières existaient encore en Europe alors qu’aujourd’hui on les a détruites au nom du libre-échangisme mondialiste. Mais, comme dans les années 30, la pauvreté et la précarité s’installent partout et les inégalités sociales sont de plus en plus criantes.

    Car, comme dans les années 30, la bourgeoisie et les nouveaux riches méprisent les peuples. Avec cette différence que, dans les années 30, les riches avaient peur de la révolution communiste, alors que de nos jours ils n’ont plus peur de rien et se croient tout permis.

    L’impuissance des régimes parlementaires, comme dans les années 30 !

    Dans les années 30, les régimes parlementaires sont également incapables de résoudre pacifiquement la question des minorités nationales et des réparations de guerre, fruit amer du catastrophique traité de Versailles imposé par les politiciens français et les Etats-Unis, à toute l’Europe.

    Comme de nos jours les gouvernements de l’Union européenne ne savent pas comment faire face aux flux migratoires vers l’Europe ; ni comment résoudre la communautarisation et l’islamisation croissante de la société.

    Dans les années 30, les gouvernements tournent dans le vide car ils sont victimes de l’instabilité parlementaire.

    De nos jours, ils tournent dans le vide car ils ont perdu les moyens de gouverner : ils ont tout abandonné à l’Union Européenne, aux Banques et aux grandes firmes mondiales ! Et comme dans les années 30, la corruption du personnel politique s’amplifie parce que les lobbies dictent leur loi en toute impunité.

    Comme dans les années 30, la crise est morale et politique !

    Comme dans les années 30, l’Europe connaît une profonde crise morale.

    Dans les années 30, la crise résulte de la catastrophe européenne de la Grande Guerre.

    De nos jours elle résulte de l’épuisement du cycle libéral-libertaire qui débouche sur un profond nihilisme et sur l’effondrement individualiste de la société.

    Comme dans les années 30, la violence politique et sociale ne cesse d’augmenter. On a même vu un ministre de l’Intérieur [3] affirmer, le jour de son départ, que la situation serait incontrôlable d’ici 5 ans ! Ou un chef d’Etat major des Armées avertir que si les banlieues de l’immigration s’embrasaient, les Armées n’auraient pas les moyens d’y faire face [4].

    Mais à quoi sert donc l’Etat ?

    Comme dans les années 30, la défiance vis-à-vis des gouvernants de plus en plus illégitimes, car ils ne protègent plus les peuples, ne cesse d’augmenter. Le pays réel s’éloigne donc de plus en plus du pays légal.

    Une analogie trompeuse

    Alors Emmanuel Macron a raison mais malgré lui : la situation rappelle en effet, mais en bien pire, celle de l’entre-deux-guerres en Europe.

    Mais Emmanuel Macron nous trompe sur le sens de son action : il n’incarne pas en effet ceux qui résistent au chaos qui vient, mais au contraire ceux qui le provoquent par leur aveuglement idéologique libéral, libertaire et mondialiste et par leur autisme. Notamment par leur refus d’écouter ce grand cri de douleur européen qu’est le populisme.

    Comme hier, les politiciens refusent d’écouter la misère des peuples et leur aspiration à retrouver leur fierté nationale.

    Comme dans les années 30, les Français attendent aujourd’hui des hommes politiques qui soient à la hauteur des heures décisives que l’Europe et la France vont devoir affronter.

    Mais on sait déjà, hélas, qu’Emmanuel Macron, Jupiter fatigué, ne sera pas au rendez-vous de cette histoire qui vient.

    Michel Geoffroy (Polémia, 5 novembre 2018)

     

    Notes :

    [1] Le 31 octobre 2018

    [2] Le Figaro.fr du 5 juillet 2016

    [3] Gérard Collomb

    [4] Selon Philippe de Villiers , le 2 novembre 2018 à l’émission Les terriens du samedi,  l’ancien chef d’état major des armées aurait averti le président de la république « Si ça pète dans les banlieues, on n’est pas capable de faire face, on n’a pas les moyens de faire face, on n’a pas les hommes. »

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  • Feu sur la désinformation... (208)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours de Nicolas Faure.

    Au sommaire :

    • 1 : Macron. Après le léchage, le lâchage ?
      Clip de propagande critiqué, exagérations sur un retour des années 30, surdité face à la grogne des Français et, dernièrement, propos sur Pétain, les derniers jours du Président de la République ont été très compliqués. Les médias dominants lâchent-ils Emmanuel Macron ?
    • 2 : Le Zapping d’I-Média 
      Sur le plateau de Touche pas à mon poste, un Gilles Verdez hystérique appelle à censurer totalement Zemmour tandis que Thinkerview, média libertaire de gauche diffusé sur Youtube, donne la parole à Laurent Obertone sur son dernier livre.

    • 3: Malgré l’hystérie médiatique, Donald Trump en position de force
      Défaites pour les uns, victoire pour les autres, la belle performance de Donald Trump pour les élections de mi-mandat ne laisse personne indifférent. Et pendant que les médias mettent en avant les nouveaux visages des minorités démocrates, le Président des Etats-Unis semble bien parti pour être le favori des élections présidentielles de 2020 !
    • 4 : Les tweets de la semaine
      L’entreprise Google s’installera peut-être à Berlin dans l’ancien siège de la Stasi ! Si on en croit Breizh-Info, qui décode à nouveau « Les Décodeurs » du Monde, l’immeuble pourrait bien être partagé par d’autres entités. Les « zouaves » de Paris Match pourraient d’ailleurs également y avoir un bureau.
    • 5 : Violences d’Halloween, les médias en mode mineur
      Ultra-violence durant la nuit d’Halloween. La fameuse « purge » annoncée sur les réseaux sociaux a bien eu lieu. De nombreux Français, dont notamment des policiers, en ont fait les frais. Et si cette « purge » ponctuelle n’était finalement qu’une nuit de violences presque banale parmi d’autres ?

     

                                         

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  • Pavane pour une république (presque) défunte...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de réflexion de Patrice Gueniffey, cueilli sur le blog de Maxime Tandonnet et consacré à la lente agonie de la Ve république... Historien, Patrice Gueniffey est spécialiste de la Révolution et de la période napoléonienne. Il est notamment l'auteur d'un Bonaparte (Gallimard, 2013).

     

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    Pavane pour une république (presque) défunte

    Depuis la Révolution française, toute notre histoire constitutionnelle et politique pourrait être résumée à une quête : celle du gouvernement qu’appelle la société démocratique issue de la Révolution française. Si celle-ci avait en effet inventé un nouveau type de société, elle avait échoué à lui donner un gouvernement.

    Entre parlementarisme (quatre républiques et deux régimes monarchiques et parlementaires) et autoritarisme (deux empires), il aura fallu près de deux siècles pour trouver enfin, en 1958-1962, une solution pas très différente du régime auquel songeaient les hommes de 1789 : qui associe autorité et liberté, exécutif fort et droits du parlement, monarchie et république, la première inscrite dans la fonction présidentielle (qui rappelle à bien des égards la figure du roi de justice), la seconde dans la coopération du gouvernement et du parlement.

    Autrement dit, pour la première fois dans notre histoire moderne, la France possède depuis 1958 un régime politique entouré d’un large consensus – l’unanimité n’est pas de ce monde – qui réunit les deux caractéristiques que le constitutionnaliste anglais Walter Bagehot estimait, dans un traité publié en 1864, The English Constitution, indispensables à tout régime politique, qu’il soit de forme monarchique ou républicaine : la dimension « dignified » et la dimension « efficient », la première incarnée par l’exécutif, la seconde trouvant son expression dans l’action des pouvoirs publics. Et d’ajouter :

    « In such constitutions there are two parts (…) : first, those which excite and preserve the reverence of the population – the dignified parts, if I may so call them ; and next, the efficient parts – those by which it, in fact, works and rules. There are two great objects which every constitution must attain to be successful (…) : every constitution must first gain authority, and then use authority ; it must first win the loyalty and confidence of mankind, and then employ that homage in the work of government. »

    Autant dire qu’un régime politique ne tient pas seulement dans un assemblage plus ou moins ingénieux d’institutions. Il s’explique également, et d’abord, par la pratique des institutions, et par la personnalité ou le comportement de ceux qui gouvernent. La constitution, il est vrai, confère la capacité juridique de vouloir et de décider ; mais en aucun cas elle ne donne la capacité politique de vouloir et de décider.

    Cette dernière dépend avant tout de la confiance, cette relation un peu mystérieuse qui ne se quantifie pas, aussi appelée légitimité, que le suffrage peut bien établir, ou en tout cas attester au moment de l’élection, mais sans garantir qu’elle se maintiendra jusqu’à la prochaine échéance. Si les institutions autorisent à gouverner, la possibilité de gouverner effectivement dépend d’une relation entre gouvernants et gouvernés dont la substance est avant tout morale et se déploie au-delà du cercle tracé par la constitution.

    En d’autres termes, et cela vaut pour tous les régimes politiques, sauf hypothèse d’un système purement tyrannique dont on chercherait en vain un exemple dans l’histoire – même les pires tyrannies ne se sont maintenues qu’autant qu’elles étaient soutenues par une fraction au moins de l’opinion –, s’il ne peut exister de capacité réelle de décider sans confiance, la confiance ne peut exister sans respect ni déférence.

    Les tribulations de la Ve République, et en vérité ce qui ressemble bien à sa chute, en offrent une illustration frappante, et pour une raison évidente : la personnalisation de la fonction présidentielle y renforce l’importance de tout ce qui tient à la personne et au comportement de ceux qui en sont investis.

    Sans prétendre dévoiler un secret qui n’en est plus un, il est évident aujourd’hui que, si la lettre de la Constitution demeure (partiellement, tant le texte a été amendé, au point d’en être défiguré), son esprit a disparu.

    Pour le comprendre, reprenons la distinction établie par Bagehot et demandons-nous jusqu’à quel moment la Ve République a été « efficient ». Il n’est pas exagéré de dire que le tournant s’est produit en 1986, lorsque François Mitterrand, la gauche ayant été battue aux législatives, ne s’est pas démis de ses fonctions et que la droite a accepté, par crainte d’une crise de régime et par un désir irrépressible de revenir aux affaires et de prendre sa revanche sur 1981, de gouverner avec le Président socialiste. En fait, la droite se résignait, en échange d’un pouvoir purement nominal, à ne pas gouverner puisque, même sortie vainqueur des élections, sa légitimité législative pouvait difficilement rivaliser avec celle, présidentielle, d’un chef de l’Etat au surplus décidé à ne pas faire la vie facile au nouveau gouvernement. L’institutionnalisation, au sommet de l’Etat, de la paralysie et de l’impuissance fut le premier résultat de cette cohabitation, contre l’esprit de la Ve République, qui était justement de remédier à l’impuissance qui avait marqué la fin du régime précédent.

    Cette situation, sanctionnée par la défaite de Jacques Chirac en 1988, se reproduisit par deux fois, à intervalles rapprochés, avec les mêmes conséquences, en 1993-1995 d’abord, en 1997-2002 ensuite. La réforme du quinquennat acheva de faire du régime fondé en 1958 l’expression même de la paralysie et de l’impuissance : le Président ne se voyait-il pas pour ainsi dire destitué de la position en surplomb qui lui avait été accordée, transformé en un super-premier ministre, rôle où il perdait encore un peu plus l’apparat propre à la fonction, dépossédé enfin, pratiquement, du recours à la dissolution qui faisait de lui l’arbitre de la vie politique ?

    Le « dignified » ne pouvait survivre longtemps à l’écroulement de « l’efficient ». On peut dire de cette « dignified part » qui suscite le respect et constitue la condition sine qua non de l’action politique qu’elle a subsisté jusqu’à la présidence de Jacques Chirac incluse, en raison d’un facteur purement accidentel : la prestance naturelle du personnage.

    Ce qui veut bien dire que cette « qualité » ne tient pas tant à la somme des pouvoirs réunis dans les mains du Président qu’au respect dont l’investissent les Français, mais qu’il doit ensuite conserver. Or, ce côté « dignified », c’est tout simplement la légitimité qui seule rend possible l’usage politique des prérogatives juridiques prévues par la Constitution. Si la personne de Chirac a permis de prolonger un peu l’apparence du pouvoir gaullien – dont il faut reconnaître qu’il fit encore usage en 2003, en s’opposant à la guerre d’Irak –, en réalité toute « légitimité » avait déjà disparue. Les costumes croisés de Chirac étaient comme un voile qui dissimulait le vide et le néant.

    Dans l’histoire politique française, on a très souvent vu le peuple renverser ses gouvernants, par l’émeute ou par les urnes. Mais, de mémoire d’historien, on n’avait encore jamais vu le gouvernement renverser le peuple : même le 18 brumaire, même le 2 décembre 1851, et même le 10 juillet 1940. Or, c’est ce qui se passa en 2005 à l’occasion du référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe. Evénement gravissime – qui rappelle ce que Guglielmo Ferrero écrivait dans son essai Pouvoir. Les Génies invisibles de la cité : la base de toute confiance politique réside dans le respect loyal, par les gouvernants, de la constitution qui les oblige. Ferrero admettait une exception, en faveur des « gouvernements qui commencent » et que ne protège aucun consensus majoritaire. Dans le cas de la Ve République, en 2005, il y avait longtemps que le consensus majoritaire était acquis, ce qui ôte au crime toute circonstance atténuante.

    Cette trahison – plus encore, ce véritable coup d’Etat contre la constitution et les principes de notre république – a marqué le divorce définitif entre le peuple et ses élites. D’un côté, des électeurs qui n’attendent plus rien de leurs dirigeants, de l’autre des élites qui se croient désormais déliées de tout devoir envers leurs commettants.

    C’est alors, entre le vote du 29 mai 2005 et la ratification par le Congrès du traité de Lisbonne en février 2008, que la dimension « dignified » de la Constitution s’est défaite.

    En effet, dès lors qu’il est devenu inutile de conquérir et de s’attacher durablement la confiance du pays pour donner une base solide au pouvoir de gouverner, donc de décider, pourquoi se gêner ? D’autant qu’à ce moment où l’ancienne génération politique issue de la guerre et des années 1950 et 1960 finissait de disparaître, on assistait, comme dans tous les secteurs, à une baisse de la qualité du personnel politique, de plus en plus formé au moule des grandes écoles ; de plus en plus issu de l’administration ; de moins en moins instruit ; associant de plus en plus souvent manières vulgaires et intérêts sans intérêt ; sans compter enfin que, venu à la politique dans un temps de paix, son apprentissage s’était identifié plutôt au management ou à la gestion d’affaires prosaïques qu’aux grandes décisions requises dans les temps de troubles et de dangers.

    Forts de la victoire qu’ils avaient remportée en 2005, nos dirigeants ont donc commencé à prendre leurs aises. D’un autre côté, s’ils n’ont plus de raisons de respecter les citoyens dont ils ne tiennent plus leur pouvoir, ceux-ci n’ont plus besoin d’être très regardants sur les qualités de leurs dirigeants, puisque de toute façon ils n’en attendent plus rien, ou en tout cas rien de mieux qu’une suite sans fin de trahisons et de manquements aux règles.

    Vous aurez observé que depuis 2007, et la date n’est pas innocente, le quinquennat se réduit en fait à un mandat présidentiel annuel (et probablement la situation serait-elle la même si l’on avait conservé le septennat, renouvelable ou non). Nicolas Sarkozy, qui pourtant ne manquait ni de talent, ni de volonté, ni de courage, ni d’idées, a été « tué » par de minuscules incidents, mais dotés d’une très forte charge symbolique : la malencontreuse soirée au Fouquet’s, le yacht de Bolloré, le (plutôt touchant d’ailleurs) « Avec Carla, c’est du sérieux », sans oublier, bien sûr, le fameux « Casse-toi, pauv’ con ! ». On n’en finirait pas d’égrener les bourdes, les scènes grotesques et les propos malheureux dont François Hollande se fit une spécialité, et il serait cruel d’égrener tant de fautes que n’équilibre aucun bilan positif, à aucun moment ni dans aucun domaine. On rappellera simplement que si cet homme par ailleurs plutôt sympathique fut méprisé comme aucun autre chef d’Etat avant lui, il le dut à son dialogue plein de sollicitude et d’humanité avec Leonarda. D’un coup, ce qui pouvait lui rester de prestige et même seulement de respect en cet automne 2013 se dissipa comme un rond de fumée. Jamais il ne se remit de cette humiliation infligée aux Français. C’est comme s’il était descendu, entraînant avec lui la France dans l’abjection.

    Episodes minuscules, fautes de comportement, maladresses qu’on pardonnerait à tout un chacun, certainement, et, dira-t-on, que l’on devrait rapporter à leur juste mesure en ne les confondant pas avec les questions vraiment importantes. C’est vrai, mais ces petites choses insignifiantes ont agi sur l’organisme comme la prolifération sournoise de cellules cancéreuses. On songe à Victor Hugo disant de Napoléon III : « Ce n’est pas que nous le haïssons, c’est qu’il nous fait honte ! » Il est des humiliations que le coupable ne peut pas plus réparer que les témoins ne peuvent les oublier. C’est comme si les Français se sentaient  insultés par celui qui a la charge de représenter.

    Certainement notre obsession de la transparence n’arrange rien. On savait bien que de Gaulle ne portait pas toujours dans son cœur le peuple français, mais à l’exception du fameux « Tous des veaux », ils n’étaient pas nombreux à connaître les commentaires peu amènes qu’il faisait à l’endroit des Français : « Qu’ils crèvent ! » était son mot favori. Mais ces propos amers ne franchissaient pas les murs de la Boisserie, et chaque Français n’avait pas encore endossé le costume du valet de chambre qui traque sans répit sur les réseaux sociaux la moindre parole et le moindre geste des puissants. Peut-être est-il aujourd’hui matériellement impossible d’échapper à l’inquisition médiatique et de conserver un respect auquel contribuait notablement l’ombre dont s’enveloppaient ceux qui gouvernent : le secret de la famille cachée de Mitterrand ne fut pas éventé avant sa disparition. Il faut dire que Jean-Edern Hallier, qui menaçait de tout révéler, fut opportunément écrasé alors qu’il circulait à bicyclette.

    Mais il y a autre chose : peut-être la Ve République souffre-t-elle du même syndrome que la monarchie d’Ancien Régime. Louis XIV avait fait du métier de roi quelque chose de presque inaccessible au commun des mortels, qui exigeait du souverain qu’il renonçât à tout bonheur privé et fût roi vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Aucun de ses successeurs, ni Louis XV ni Louis XVI, n’avait réussi, ni même essayé, de se tenir à cette altitude. L’un tenait à ses plaisirs, l’autre au bonheur simple de la vie de famille, et ce qu’ils avaient d’humain, de trop humain, n’avait pas peu contribué à la perte de prestige d’une monarchie dont le Roi-Soleil restait, pour ainsi dire, le mètre-étalon. Le général de Gaulle n’a-t-il pas fait la même chose en fondant le Ve République ? Qui d’autre que lui pouvait, lui succédant, devenir de Gaulle ? Pompidou n’y réussit pas mal, mais il était couvert par l’ombre encore très présente du Général. Giscard d’Estaing ne put s’empêcher de jouer de l’accordéon, d’avoir des accidents avec des actrices, de boire le café avec des éboueurs et d’accepter quelques diamants offerts par des potentats africains. L’air est trop pur à ces altitudes. Comme il n’y eut pas de deuxième Louis XIV, il ne pouvait y avoir de nouveau de Gaulle. Seul François Mitterrand, en cultivant le secret et en s’entourant d’un mur d’apparence, sut endosser le costume taillé pour le chef du Coup d’Etat permanent.

    Emmanuel Macron le montre bien, lui qui, après une si détestable campagne électorale (« Il n’y a pas de culture française ! »), avait su se glisser dans le costume présidentiel avec une aisance déconcertante et qui, le soir de son élection, en impressionna plus d’un. J’avoue avoir alors pensé, comme beaucoup de Français qui n’étaient pas de son camp, que peut-être on avait trouvé l’oiseau rare, celui qui, sans être de Gaulle, possédait assez d’épaisseur et de substance pour enfin réformer ce pays réputé irréformable. Ses apparitions à l’étranger tranchaient avec le débraillé et le comportement toujours un peu ridicule de son prédécesseur.

    Las, ce n’était qu’une illusion d’optique, liée précisément à l’insignifiance du prédécesseur. Au fond, n’importe qui serait apparu comme un prodige après le précédent locataire de l’Elysée. Il aura suffi, après une année dont on ne peut dire qu’il n’en restera rien, d’un été pour que tout s’écroule, et de la même façon qu’après 2007 et 2012. Ce ne sont pas les attaques de l’opposition (qui, dans le cas d’Emmanuel Macron, n’existe pas, sauf sous la forme du Rassemblement national qui est en fait, aujourd’hui, sa meilleure chance de survie politique), qui ont mis un terme prématuré à son quinquennat, mais, une nouvelle fois, d’infimes choses qui touchent à l’essentiel : des petites phrases mal contrôlées prononcées hors des frontières ; un mépris mal caché pour ceux qui l’ont élu – les retraités en particulier – ; un goût juvénile pour l’affrontement et une certaine vulgarité d’époque, dont il y aurait beaucoup à dire.

    Encadrant la mystérieuse affaire Benalla qui, parce que mystérieuse, nourrit fantasmes et soupçons, deux photos qui ont en vérité profondément choqué les Français : la première prise à l’Elysée lors de la fête de la musique, la seconde à Saint-Martin en compagnie de deux personnages douteux à demi-dénudés.

    Il est probable qu’Emmanuel Macron s’est prêté à l’objectif du photographe sans penser à mal. C’est un désir profond des gens arrivés au sommet que de redescendre de temps en temps, et de descendre d’autant plus bas qu’ils sont montés plus haut. On rencontrait les mêmes dans l’aristocratie française à la veille de la Révolution. Il est bien normal que l’aristocratie de l’ENA adopte aujourd’hui les mêmes comportements et se livre, sans honte, à ce que Tom Wolfe appelait d’une expression si parlante, « La nostalgie de la boue », le plaisir de se vautrer, d’épouser l’espace d’un instant le contraire de ce qu’on est. Tom Wolfe en avait donné un exemple dans Le Gauchisme de Park Avenue : le grand chef d’orchestre Leonard Bernstein faisant la roue devant les Black Panthers, le temps d’une réception mondaine.

    Mais laissons là ces considérations sociologiques sur les faiblesses de nos élites technocratiques, qui témoignent surtout de ce qu’en fait, aucun de nos gouvernants ne peut plus monter très haut.

    La constitution protège notre Président, et c’est heureux. Son mandat réel d’un an, désormais expiré, se prolongera encore, nominalement, jusqu’en 2022. Sauf catastrophe bien sûr. Des événements graves pourraient même lui redonner momentanément un peu de lustre, même si les attentats de 2014 et 2015 ont montré qu’il ne fallait pas en escompter un regain durable de crédibilité politique. Surtout, l’absence toute opposition organisée, sauf aux extrêmes, protège non seulement le Président, mais le système tout entier dont la famille Le Pen est le meilleur allié puisque, ne pouvant accéder au pouvoir, elle assure comme une rente aux vieux partis, en dépit du discrédit qui est le leur. Et il est peu probable de voir la gauche et la droite se renouveler et se reconstituer, tant elles ont été laminées par l’absurde système des primaires que ces têtes molles avaient inconsidérément adopté en 2017.

    Dans ces conditions, peut-être, mais nous abordons ici en terre d’Uchronie, verra-ton ce président désormais privé de toute vraie légitimité, abandonné par la confiance et réduit au maigre carré de ses soutiens de départ (moins Gérard Collomb), continuer de gouverner un peu dans l’intérêt de ses amis et beaucoup dans l’intérêt du cahier des charges fixé par Bruxelles, délivré de toute crainte par l’absence d’alternative. Pour rester en Uchronie et en supposant que la droite et la gauche restent plongées dans l’état de coma dépassé qui est le leur, François Hollande ne pourrait-il pas concevoir l’audacieux scénario d’un retour gagnant en 2022, où il apparaîtrait, le temps ayant fait son œuvre, comme une sorte de Jacques Chirac bonnasse et grâce à Dieu mieux portant ? Il y a des époques où il vaut mieux s’amuser de tout.

    Mais revenons à la question centrale : si l’absence de dignité accroît l’inefficacité (l’impuissance politique), l’inefficacité structurelle explique aussi l’indignité et la médiocrité de nos dirigeants (même quand ils se réclament de la pensée de Paul Ricoeur).

    Le déclin de l’efficacité du politique a commencé juste après la mort de De Gaulle, lorsqu’on a commencé d’élargir les compétences du Conseil constitutionnel.

    J’irai vite. Ce « juge », qui n’était là que pour protéger l’exécutif contre les empiètements du législatif, a peu à peu conquis le statut de « juge de la loi », évolution qui exprimait en fait le renversement des relations entre droits individuels et intérêt commun. Le territoire de compétence du Conseil constitutionnel n’a cessé de s’accroître, au point que l’action du gouvernement (et de tous les responsables politiques) est exposée aujourd’hui à la menace permanente d’un veto des juges, et de juges dont chacun sait qu’ils ne sont pas neutres politiquement.

    Les rapports entre démocratie et république (qui ne vont pas forcément ensemble) s’en sont trouvé bouleversés : on est passé d’une république où l’intérêt public l’emportait, le cas échéant, sur les droits individuels, à une démocratie où rien n’est supérieur aux droits des individus.

    Ce qui a conforté cette évolution, contribué à ce véritable renversement hiérarchique entre autorité du politique et pouvoir des juges, et entraîné l’impossibilité pratique de toute vraie action politique qui en découle (le gouvernement administre mais ne gouverne plus), c’est que, depuis la fin des années 1970, le pouvoir est essentiellement et de plus en plus empêché : le « souverain captif » d’André Tardieu, ce n’est plus le peuple, mais l’Etat.

    Si, concernant les relations entre politique et magistrature, nous sommes revenus à la fin de l’Ancien Régime, lorsque les Parlements (qui étaient alors des cours judiciaires auxquelles on avait donné le droit d’enregistrer, donc de rendre applicables les lois) avaient le pouvoir de faire échec aux politiques réformatrices, dans le domaine strictement politique la marge d’action des gouvernements s’est vu réduite comme peau de chagrin : la décentralisation administrative les a désarmés par le bas ; la construction européenne et la fin des monnaies nationales les ont désarmés par le haut (quelle politique peut-on conduire si l’on ne dispose pas de la maîtrise de la monnaie ?) ; enfin, la globalisation économique a réduit leurs possibilités d’intervention en matière industrielle ou commerciale. L’économie échappe aujourd’hui en grande partie au contrôle des Etats, en tout cas de ceux qui ont laissé tomber de leurs mains « le sceptre et la couronne ». Pour ceux-là – et je ne parle ici que de l’Europe occidentale – le territoire de l’action politique a considérablement rétréci.

    On comprend bien que cette déconstruction systématique de l’Etat et la réduction de son champ d’action a eu des conséquences : d’abord le remplacement de l’action politique par les techniques de la « communication », celles-ci ayant pour fonction de couvrir d’un rideau de fumée l’impuissance réelle de nos gouvernements ; et, comme il faut bien faire quelque chose, le déplacement de la décision de l’important vers l’accessoire et l’inutile, autrement dit ce que nous appelons pompeusement les « questions sociétales », ce bric-à-brac où le grotesque côtoie le insignifiant, mais qui, dans la pratique, se traduit par la mise en œuvre et la garantie de droits toujours plus nombreux au bénéfice des individus et, surtout, de prétendues minorités.

    Marcel Gauchet l’avait écrit dès 1980 : « Les droits de l’homme ne sont pas une politique. » Les droits de l’homme, c’est en réalité ce qui reste lorsqu’il n’y a plus de politique.

    Imagine-t-on, en cas d’accident nucléaire, nos malheureux gouvernements envoyer sur le lieu de la catastrophe, pour éviter que les conséquences n’en soient encore pires, 600 000 militaires, ouvriers, techniciens et pompiers, comme l’ont fait les Soviétiques à Tchernobyl en 1986 ? Certes non. Le nucléaire est d’ailleurs une très bonne illustration du passage, en un demi-siècle, de l’efficacité à l’impuissance politique. Dans quel autre domaine trouve-t-on l’exemple d’une politique qui fut l’effet d’une décision ensuite appuyée par la volonté et la détermination de gouvernements qui surent mobiliser les ressources nécessaires pour mener à bien ce projet ? C’est l’un des grands chapitres de l’histoire des IVe et Ve Républiques. Nous le savons, la plupart de nos centrales ont aujourd’hui dépassé la durée pour laquelle elles avaient été conçues. Pour être à la hauteur des initiateurs de cette politique, il faudrait, en procédant à des arbitrages et des choix douloureux en matière budgétaire, lancer un grand programme de rénovation et de remplacement de notre parc nucléaire, étant entendu qu’il n’existe pas aujourd’hui d’alternative sérieuse à ce mode de production de l’énergie. Mais c’est justement que nos gouvernants n’ont plus les moyens, et moins encore le courage, d’aller contre l’opposition d’une poignée d’écologistes brandissant de grands principes moraux qui ont désormais valeur de tables de la loi et qui, pour le savoir, n’avoueront jamais que l’abandon du nucléaire signifie, comme en Allemagne, de renouer avec le charbon. Comme tétanisés, nos gouvernants promettent donc la fin du nucléaire, suffisamment éloignée dans le temps pour être certains de ne pas avoir à assumer les conséquences de cette capitulation, tout en sachant que le vieillissement des centrales en activité n’est pas sans exposer à quelques risques bien plus sérieux.

    Cette situation rappelle fâcheusement la fin de la IVe République, qui ne cessait d’envoyer des renforts sur l’autre rive de la Méditerranée alors même que la majorité des dirigeants ne croyait déjà plus à la possibilité de garder durablement l’Algérie.

    Face aux défis qui ne sont plus devant nous, mais qui sont déjà là – environnementaux, démographiques, migratoires ou tenant à la cohésion de nos sociétés – et qui exigeraient de définir des priorités, de faire des choix et de prendre des décisions certainement déplaisantes, nos gouvernants sont absolument désarmés.

    Les institutions restent debout ; mais il n’y a plus personne pour les habiter. Faut-il croire à un sursaut ? A une initiative forte et mobilisatrice qui permettrait de renouer les liens de confiance qui se sont dénoués ? Comme on sait, la confiance revient difficilement, dès lors qu’elle a été trahie. Les couples le savent bien. Les raccommodements durent le plus souvent ce que durent les illusions. La solution viendra-t-elle de l’extérieur du système, comme en 1800, en 1940, en 1958 ? Nul ne peut le savoir, ni prévoir sous quelle forme. L’avenir est taiseux, il garde son secret.

    Mais peut-être, pour ne pas trop accabler nos dirigeants, est-il nécessaire de rappeler aussi que les citoyens portent leur part de responsabilité dans cette situation. Après tout, si notre république se meurt, ou plutôt se vide de sa substance, c’est aussi qu’il n’y a plus vraiment de républicains. Nous formons assurément une démocratie, et même de plus en plus. Mais une république ? Le démontrer exigerait d’entrer dans quelques considérations détaillées, mais nous pouvons tenir pour acquis que la démocratie est en train de tuer la république, ou que trop de démocratie tue la démocratie. Alexis de Tocqueville en avait fait le sombre pronostic il y a plus d’un siècle : des deux formes de la démocratie, comme égalité sociale et comme liberté politique, la première aurait raison de la seconde. La démocratie comme condition sociale, poussant à l’individualisation toujours plus poussée de nos sociétés, éroderait, jusqu’à les détruire, les idées de bien commun, d’intérêt public, d’amitié sociale, de devoirs envers la collectivité sans lesquelles il ne peut y avoir de citoyenneté, autrement dit de liberté politique, cette liberté politique sans laquelle la démocratie-égalité n’aurait pu s’enraciner. La plante étouffe la racine qui l’a nourrie. Nous en sommes là. La démocratie s’est étendue, depuis la Seconde guerre mondiale, à la plus grande partie de la surface de la terre, et même là où elle ne s’est pas acclimatée, les libertés civiles progressent. Elle est partout, les citoyens nulle part. C’est que le fardeau est trop lourd à porter, et que de moins en moins nombreux sont nos contemporains qui acceptent de sacrifier aux devoirs du citoyen les droits qui n’ont cessé de se multiplier et dont chacun entend jouir pleinement et sans entraves. Une récente étude, publiée au début de 2017 par la revue Journal of Democracy, ne montrait-elle pas que plus on descend l’échelle des âges, moins la démocratie apparaît comme un régime séduisant ? C’est que le lien entre la cause – la liberté – et l’effet – les droits – s’est dénoué. Dès lors, la prédiction la plus plausible qu’on puisse faire consiste à suivre la prémonition de Tocqueville : le gouvernement non-démocratique de la société démocratique des individus, société dans laquelle Homo festivus (si bien anatomisé par Philippe Muray) succédant à Homo politicus, le régime de la simple surveillance destiné à protéger ce grand enfant démocratique contre lui-même, remplacerait le gouvernement de la collectivité par elle-même.

    Nous entrons dans une nouvelle ère, et, en définitive, nous avons les dirigeants que nous méritons. Quid, alors, de l’avenir ? Eh bien, nous verrons, ou nous ne verrons pas.

    En 1820, Joseph de Maistre, lassé d’entendre Louis de Bonald, son vieux complice en contre-révolution, se plaindre de la marche des choses, lui écrivait ceci :

    « Je vois parfaitement ce qui vous choque et vous afflige ; mais j’appelle à mon secours une de mes maximes favorites (…) : L’œil ne voit pas ce qui le touche. Qui sait si vous n’êtes pas dans ce cas, et si l’état déplorable qui vous arrache des larmes est cependant autre chose que l’inévitable nuance qui doit séparer l’état actuel de celui que nous attendons ? Nous verrons ; ou bien nous ne verrons pas, car j’ai soixante ans ainsi que vous, et si le remède est chronique comme la maladie, nous pourrons bien ne pas voir l’effet. »

    Patrice Gueniffey (Blog de Maxime Tandonnet, 21 octobre 2018)

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  • Les snipers de la semaine... (170)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur le blog Mezetulle, André Perrin, auteur de l'excellent Scènes de la vie intellectuelle en France (Toucan, 2016), mouche les magistrats de la Cour de cassation, et quelques commentateurs, à la suite d'une décision de jurisprudence sur le harcèlement particulièrement inquiétante...

    Harcèlement et novlangue

    Cour de cassation.jpg

     

    - sur Causeur, Slobodan Despot règle son compte à Emmanuel Macron® de belle manière...

    Macron, an II : Jupiter sent le sapin…

    Macron_usure.jpg

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