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identité - Page 22

  • Une insurrection des peuples qui menace les élites occidentales !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 28 juin 2016 et consacrée au vote du peuple britannique en faveur du Brexit et aux enseignements qu'il est permis d'en tirer...

     


    Brexit : Le vote anglais suscite de nombreuses... par rtl-fr

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  • A table citoyens !...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un court essai polémique de Périco Légasse intitulé A table citoyen ! - Pour échapper à la malbouffe et sauver nos paysans. journaliste et critique gastronomique, défenseur d'une cuisine enracinée dans les terroirs, Périco Légasse a déjà publié un Dictionnaire impertinent de la gastronomie (François Bourin, 2012).

     

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    « Pour s'évader du camp de consommation qui nous soumet à la grande distribution, financiarise notre alimentation, ruine nos artisans, éradique notre agriculture paysanne et empoisonne notre environnement. »

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  • Le temps des gestionnaires et des technocrates est révolu !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 24 mai 2016 et consacrée aux enseignements qu'il est possible de tirer du résultat des élections présidentielles autrichiennes. Une excellente analyse !...

     

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  • Le populisme à la croisée des chemins...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse impeccable de Michel Geoffroy, cueillie sur Polémia et consacrée à la nécessité pour le populisme, s'il veut triompher, d'articuler la question identitaire à la question sociale...

     

    La croisée des chemins

     

    Le populisme à la croisée des chemins

    Pour l’emporter, le populisme doit être social et non pas libéral. Une proposition qui ne plairait pas à tout le monde …

    Le moteur du populisme en Europe – et en France du Front national – provient historiquement du refus de l’immigration de peuplement. Ce refus se justifie aujourd’hui plus que jamais alors que le Grand Remplacement et l’Islamisation de l’Europe progressent si rapidement qu’il faut désormais être aveugle ou complice pour ne pas le constater.

    L’erreur des mouvements et partis populistes serait évidemment d’abandonner cette ligne identitaire au moment même où une part croissante de nos concitoyens comprend que l’avenir de notre civilisation est en jeu.

    Mais une erreur symétrique consisterait aussi à n’en rester qu’à ce niveau, en oubliant l’autre versant de la dissidence identitaire : la société et le social, justement.

    Un refus fondateur

    Le populisme en Europe est la forme politique prise par le refus de la disparition de leur civilisation et de leur identité par les Européens qui se sentent abandonnés par les pouvoirs publics et trahis par les oligarchies remplacistes (1).

    Il s’agit d’un refus politiquement fondateur, comme toutes les grandes alternances politiques et intellectuelles se sont fondées de la sorte : qu’il s’agisse du refus d’une religion, du refus d’un régime, du refus d’une défaite, du refus d’une oppression ou du refus d’une injustice.

    Cependant il ne suffit pas de dénoncer le Grand Remplacement : pour le combattre efficacement il faut aussi s’interroger sur ses causes profondes, ce qui ouvre nécessairement d’autres perspectives.

    Le moteur du Grand Remplacement est d’abord idéologique

    Le Grand Remplacement n’est pas tombé du ciel en effet.

    Car il correspond au projet de l’oligarchie occidentale (2) qui a pris le pouvoir à la fin du XXe siècle en Occident et qui a mis en application son idéologie libérale/libertaire et cosmopolite. Même si ce projet a fini par lui échapper en partie sous la forme du djihadisme, l’oligarchie l’a initié, l’a encouragé et l’a entretenu.

    Le moteur du Grand Remplacement est donc d’abord idéologique, avant d’être civilisationnel, africain, musulman ou climatique.

    C’est au nom de l’idéologie libérale/libertaire que l’Occident croit que les hommes doivent circuler et s’installer librement partout, comme s’il s’agissait de marchandises. C’est pourquoi les oligarques ont détruit les frontières et les douanes qui permettaient de réguler la concurrence, ainsi que les mouvements de populations et de marchandises. Et ils ont fait cela pour le plus grand profit des entreprises mondiales. Car l’immigration permet de faire baisser les salaires et de réduire au silence les salariés autochtones.

    Au nom de cette même idéologie, tous les hommes sont désormais réputés avoir les mêmes « droits » politiques et sociaux, qu’ils soient étrangers ou citoyens d’un Etat : ce qui a permis de déconstruire la souveraineté et la démocratie en Europe occidentale et de faire exploser les régimes de protection sociale.

    Le Grand Remplacement, une dérégulation civilisationnelle

    Le Grand Remplacement n’est que l’effet le plus visible de la catastrophe culturelle, sociale et humaine provoquée partout par les oligarques occidentaux, qui depuis 30 ans exercent un pouvoir sans partage, notamment en Europe. Car le Grand Remplacement est une dérégulation civilisationnelle au même titre que la dérégulation financière, économique et sociale.

    La mondialisation n’est heureuse (3) que pour les oligarques, les bobos, les banquiers, les histrions médiatiques et les dirigeants des entreprises transnationales. Pour les autres, c’est-à-dire la majorité de la population, elle signifie désindustrialisation, chômage, précarité du travail, fin de l’ascenseur social, diminution des droits et des protections sociales, réduction des services publics, augmentation des impôts, des charges et des taxes, déflation, dépossession de son identité, inquiétude devant l’avenir.

    Car l’oligarchie n’a pas hésité à sacrifier la classe moyenne européenne sur l’autel du mondialisme, annulant en quelques années l’effet des Trente Glorieuses et un siècle de luttes sociales. Dans le même temps elle a cyniquement promu l’immigré/migrant au rang de prolétariat compassionnel de rechange : Big Other permettant de masquer l’étendue de la régression provoquée partout par les oligarques et pas seulement en Europe.

    On ne saurait oublier que le développement du mondialisme économique et financier se paye ailleurs aussi de drames sociaux et environnementaux : exode rural massif entraînant la perte de l’autonomie alimentaire, mouvements de populations dans des centres urbains surpeuplés et pollués, exploitation brutale des salariés dans les usines travaillant pour les grandes firmes mondialisées, saccage de l’environnement, etc.

    Les tenants du national-libéralisme se trompent

    Cela signifie qu’on ne peut pas inverser le processus remplaciste en cours en Europe si on ne remet pas en cause l’idéologie libérale/libertaire qui le sous-tend.

    Un populisme conséquent ne peut faire l’impasse sur cette question. Car la question sociale prolonge la question identitaire : l’identité c’est la nation et la nation c’est le peuple. Et à l’âge du mondialisme seuls les peuples souffrent.

    C’est pourquoi les tenants d’une nouvelle gauche (4) qui ne se soucierait pas de la question identitaire n’ont aucun avenir.

    C’est pourquoi aussi ceux qui, au sein de la droite populiste, préconisent l’adoption d’une ligne libérale et nationale se trompent d’époque.

    Le cocktail libéral/national est en effet un oxymore ou, au mieux, un malentendu politique.

    Le libéralisme conséquent, comme agent du capitalisme, tend en effet à détruire la nation, en déconstruisant tout ce qui fait obstacle à la liberté du marché. Il ne faut donc pas confondre la liberté économique qui peut effectivement s’appliquer dans l’espace national sous certaines conditions (5) avec le libéralisme, qui est une idéologie de combat contre les identités et les nations.

    Le populisme s’affirme sur le registre de la souveraineté politique des nations, toutes choses que les libéraux ont toujours exécrées. Les libéraux ne croient qu’en l’individu et en la providence des marchés. Pour eux, comme le disait Mme Thatcher, « la société n’existe pas ». Alors pourquoi voudraient-ils la sauver ?

    On ne peut donc pas être sincèrement populiste et libéral en même temps.

    Les ravages du néo-libéralisme : un remake du XIXe siècle

    Elargissons la perspective.

    La mise en œuvre des préconisations libérales/libertaires a provoqué le chaos partout au XXIe siècle, dont ne profite qu’une infime minorité de la population occidentale. Cette situation n’est pas sans rappeler les ravages sociaux advenus au XIXe siècle lors de la mise en place de l’industrialisation capitaliste en Europe.

    Ces ravages ont provoqué par réaction l’apparition du socialisme, puis au XXe siècle, du communisme en Europe. C’est pourquoi on a pu écrire que le socialisme avait été le « cri de douleur » du prolétariat (6).

    Que le socialisme et le communisme n’aient pas réussi à abolir « l’exploitation de l’homme par l’homme » ou que le communisme ait été une utopie sanglante ne doit pas faire oublier que ces mouvements ont quand même réussi à forcer le capitalisme à se montrer plus social et à corriger ses excès en Occident (7).

    Mais de nos jours le communisme est mort, les syndicats sont marginalisés et la gauche a abandonné l’héritage du socialisme pour devenir l’idiot utile du néo-capitalisme mondialisé. Cela signifie que plus personne n’est en mesure d’obliger les oligarques mondialistes à faire preuve de retenue dans leur course au profit.

    On en voit le résultat : le chaos partout.

    Le populisme, un socialisme pour notre temps ?

    Si le populisme veut s’affirmer comme une véritable réponse aux interrogations de notre temps, il ne peut donc pas faire l’impasse sur la nouvelle question sociale.

    Pour le dire autrement, le populisme doit jouer, au plan métapolitique, vis-à-vis du néo-capitalisme mondialisé, le rôle dévolu hier au socialisme vis-à-vis du capitalisme national.

    Il doit à son tour devenir le « cri de douleur » des peuples européens et se présenter comme une force alternative aux ravages de la dérégulation néo-libérale, en Europe d’abord, au plan international ensuite.

    Le populisme doit pour ce faire promouvoir une nouvelle éthique du Bien Commun et de l’Etat, en réponse à la marchandisation du monde incarnée par les oligarques mondialistes ; en réponse aussi à l’idéologie de l’individualisme absolu, destructeur de tout lien social. Le populisme doit aussi porter le retour des vertus civiques et des bonnes mœurs, conformément aux traditions européennes, contre le laxisme et le cynisme qui sont une arme aux mains de l’oligarchie.

    Le populisme : passer du refus à la révolution

    Cela implique d’annoncer et d’entreprendre une révolution culturelle et morale qui ébranle les dogmes et les oligarques dominants. Cela implique qu’une nouvelle élite politique, économique et sociale, s’avance. Cette élite existe mais elle est réduite au silence par les oligarques : il faut seulement qu’elle sorte de sa réserve.

    La menace de la révolution socialiste a imposé au capitalisme européen la conscience sociale qui lui manquait.

    La perspective d’une révolution populiste doit produire le même effet vis-à-vis du néo-capitalisme mondialisé.

    C’est à cette condition que le populisme deviendra vraiment populaire. C’est à cette condition qu’il deviendra majoritaire.

    Michel Geoffroy (Polémia, 10 mai 2016)

     

    Notes :

    1/ Selon l’expression de l’écrivain Renaud Camus.

    2/ Voir le livre de Jean-Yves Le Gallou : Immigration : la catastrophe/ Que faire ? Via Romana, 2016.

    3/ Selon l’expression de Dominique Strauss-Kahn.

    4/ Genre Mélenchon.

    5/ Comme cela a été le cas dans le passé européen.

    6/ Jaurès, Histoire socialiste.

    7/ Ce qui d’ailleurs explique l’envolée occidentale après la seconde guerre mondiale : la loi du profit étant associée à une politique sociale dynamique (social-démocratie ou sécurité sociale) ou par des salaires élevés (fordisme).

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  • Le multiculturalisme, un projet de destruction des identités nationales...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Mathieu Bock-Côté au Figaro Vox, à l'occasion de la publication de son essai Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016).

     

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    Une image de la France multiculturelle...

     

    Mathieu Bock-Côté : «L'homme sans civilisation est nu et condamné au désespoir»

    En tant que Québécois, quel regard portez-vous sur la société française?

    Je m'en voudrais d'abord de ne pas dire que j'aime profondément la France et que j'hérite d'une tradition très francophile, autrefois bien présente chez nous, qui considère encore un peu votre pays comme une mère-patrie. La France, en un mot, ne nous est pas étrangère. Vous me pardonnerez ces premiers mots, mais ils témoignent de mon affection profonde pour un pays avec lequel les Québécois entretiennent une relation absolument particulière. En un mot, j'ai le sort de la France à cœur!

    La pénétration de l'idéologie multiculturelle, que vous dénoncez dans votre livre, est-elle en France aussi forte que dans les pays d'Amérique?

    Le multiculturalisme prend un visage tout à fait singulier au Canada. Au Canada, le multiculturalisme est inscrit dans la constitution de 1982, imposé de force au Québec, qui ne l'a jamais signé. Il a servi historiquement à noyer le peuple québécois dans une diversité qui le privait de son statut de nation fondatrice. Pierre Trudeau, le père de Justin Trudeau, était radicalement hostile au peuple québécois, à son propre peuple, qu'il croyait traversé par une tentation ethnique rétrograde. C'était faux, mais c'était sa conviction profonde, et il voulait désarmer politiquement le Québec et le priver de sa prétention à constituer une nation.

    Dans l'histoire du Canada, nous étions un peuple fondateur sur deux. Avec le multiculturalisme d'État, on nous a transformés en nuance identitaire parmi d'autres dans l'ensemble canadien. Il faut rappeler ces origines oubliées du multiculturalisme canadien à ceux qui n'en finissent plus d'idéaliser un pays qui a œuvré à oblitérer sa part française.

    Je vous donne au passage ma définition du multiculturalisme, valable au-delà du contexte canadien: c'est une idéologie fondée sur l'inversion du devoir d'intégration. Traditionnellement, c'était la vocation de l'immigré de prendre le pli de la société d'accueil et d'apprendre à dire nous avec elle. Désormais, c'est la société d'accueil qui doit se transformer pour accommoder la diversité. La culture nationale perd son statut: elle n'est plus qu'un communautarisme parmi d'autres. Elle devra toutefois avoir la grandeur morale de se dissoudre pour expier ses péchés passés contre la diversité.

    Retour au Canada. Au fil du temps, le multiculturalisme canadien s'est autonomisé de sa vocation antiquébécoise et en est venu à représenter paradoxalement le cœur de l'identité canadienne. Il a remplacé ce qu'on pourrait appeler l'identité historique canadienne par une identité idéologique fondée sur la prétention. Ce qui tient lieu d'identité commune au Canada aujourd'hui, et cela plus encore depuis l'arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, que la France regarde étrangement d'un air enamouré, c'est le sentiment d'être une superpuissance morale, exemplaire pour l'humanité entière, une utopie réussie représentant non seulement un pays admirable, mais la prochaine étape dans le progrès de l'humanité.

    L'indépendantiste québécois que je suis a un regard pour le moins sceptique devant cet ultranationalisme canadien qui conjugue la fierté cocardière et l'esprit post-moderne.

    Plus largement, au Canada, le multiculturalisme sert de machine à normaliser et à banaliser les différences les plus extrêmes, les moins compatibles avec ce qu'on appellera l'esprit de la civilisation occidentale ou les mœurs occidentales. C'est le pays du communautarisme décomplexé, c'est aussi celui où on peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux et du premier ministre, qui y voit une marque admirable de tolérance.

    C'est le pays qui banalise sous le terme d'accommodements raisonnables un relativisme généralisé, qui peut aller très loin. C'est le pays où certains iront même jusqu'à dire que le niqab est peut-être même le symbole par excellence de la diversité canadienne, puisque son acceptation par les élites témoigne de la remarquable ouverture d'esprit de ceux qui le dirigent et des institutions qui le charpentent. Pour le dire autrement, le Canada pratique un multiculturalisme à la fois radicalisé et pacifié.

    En France, le multiculturalisme semble moins agressif ...

    Il domine aussi l'esprit public mais n'est pas nécessairement revendiqué par les élites, qui entretiennent, à travers la référence aux valeurs républicaines, l'idéal d'une nation transcendant sa diversité. On sait bien que la réalité est autre et que la référence républicaine s'est progressivement désincarnée et vidée de sa substance nationale depuis une trentaine d'années.

    En fait, la France fait une expérience tragique du multiculturalisme. Elle se délite, se décompose sous nos yeux, et la plupart de mes interlocuteurs, ici, me confessent avoir une vision terriblement pessimiste de l'avenir de leur pays. J'ajoute, et je le dis avec tristesse, que les Français semblent nombreux, lorsque leur pays est attaqué, à se croire responsable du mauvais sort qu'ils subissent, comme s'ils avaient intériorisé pleinement le discours pénitentiel occidental, qui pousse nos nations à s'autoflageller en toutes circonstances.

    Le multiculturalisme s'est imposé chez vous par une gauche qui, depuis le passage du socialisme à l'antiracisme, au début des années 1980, jusqu'à la stratégie Terra Nova, en 2012, a été de moins en moins capable de parler le langage de la nation, comme si cette dernière était une fiction idéologique au service d'une majorité tyrannique désirant écraser les minorités.

    Il s'est aussi imposé avec l'aide des institutions européennes, qui sont de formidables machines à dénationaliser les peuples européens.

    La droite, par ailleurs, toujours prompte à vouloir donner des gages au progressisme, a peu à peu abandonné aussi la nation, ou s'est du moins contentée de la définir de manière minimaliste en en évacuant l'histoire pour retenir seulement les fameuses valeurs républicaines.

    Le multiculturalisme est la dynamique idéologique dominante de notre temps, et cela en Amérique du nord comme en Europe occidentale. Chez les élites, il suscite la même admiration béate ou la même passion militante. Il propose toujours le même constat: nos sociétés sont pétries de stéréotypes et de préjugés, elles sont fermées à la différence et elles doivent se convertir à la diversité pour enfin renaître, épurées de leur part mauvaise, lavées de leurs crimes. Pour emprunter les mots d'un autre, le multiculturalisme se présente comme l'horizon indépassable de notre temps et comme le seul visage possible de la démocratie.

    La gauche européenne, en général, y voit d'ailleurs le cœur de son programme politique et idéologique.

    Je note autre chose: le multiculturalisme est partout en crise, parce qu'on constate qu'une société exagérément hétérogène, qui ne possède plus de culture commune ancrée dans l'histoire et qui par ailleurs, renonce à produire du commun, est condamnée à entrer en crise ou à se déliter. Lorsqu'on légitime les revendications ethnoreligieuses les plus insensées au nom du droit à la différence, on crée les conditions d'une déliaison sociale majeure.

    Mais devant cette crise, le multiculturalisme, loin de s'amender, loin de battre en retraite, se radicalise incroyablement. Pour ses thuriféraires, si le multiculturalisme ne fonctionne pas, c'est qu'on y résiste exagérément, c'est que les nations historiques, en refusant de s'y convertir, l'empêchent de transformer pour le mieux nos sociétés selon les termes de la promesse diversitaire.

    Il faudra alors rééduquer les populations pour transformer leur identité et les amener à consentir à ce nouveau modèle: on cherche, par l'école, à fabriquer un nouveau peuple, ayant pleinement intériorisé l'exigence diversitaire. On cherchera à culpabiliser les peuples pour les pousser à enfin céder à l'utopie diversitaire.

    C'est la tentation autoritaire du multiculturalisme, qui est tenté par ce qu'on pourrait appeler une forme de despotisme qui se veut éclairé.

    Quels sont les points communs et différence avec la France?

    L'histoire des deux pays, naturellement n'est pas la même. La France est un vieux pays, une vieille culture, une vieille civilisation qui se représente généralement comme un monde commun à transmettre et non comme une utopie à exporter, même si la révolution française a eu un temps cette tentation.

    En un mot, la France a des ressources inouïes pour résister au multiculturalisme même si elle ne les mobilise pas tellement le discours culpabilisateur inhibe les peuples et les convaincs que l'affirmation de leur identité relève de la xénophobie et du racisme.

    Mais encore une fois, il faut le dire, c'est le même logiciel idéologique qui est à l'œuvre. Il repose sur l'historiographie victimaire, qui criminalise les origines de la nation ou réduit son histoire à ses pages noires, sur la sociologie antidiscriminatoire, qui annihile la possibilité même d'une culture commune, dans la mesure où elle n'y voit qu'une culture dominante au service d'une majorité capricieuse, et sur une transformation de la démocratie, qui sera vidée de sa substance, dans la mesure où la judiciarisation des problèmes politiques et le transfert de la souveraineté vers le gouvernement des juges permet de désarmer institutionnellement un peuple qu'on soupçonne de céder au vice de la tyrannie de la majorité.

    En un mot, si l'idéologie multiculturaliste s'adapte à chaque pays où elle s'implante, elle fait partout le même diagnostic et prescrit les mêmes solutions: c'est qu'il s'agit d'une idéologie, finalement, qui pose un diagnostic global et globalement négatif sur l'expérience historique occidentale.

    Vous définissez aussi le multiculturalisme comme la créature de Frankenstein du marxisme. Mais cette idéologie est née dans les pays anglo-saxons de culture libérale. N'est-ce pas paradoxal?

    Je nuancerais. Le multiculturalisme comme idéologie s'est développée au cœur des luttes et contestations qui ont caractérisé les radical sixties et les radical seventies et s'est alimenté de références idéologiques venant des deux côtés de l'Atlantique. Par ailleurs, de grands intellectuels français ont joué un rôle majeur dans la mise en place de cette idéologie, née du croisement d'un marxisme en décomposition et des revendications issues de la contre-culture. Michel Foucault et Alain Touraine, par exemple, ont joué un grand rôle dans la construction globale de l'idéologie multiculturaliste. En fait, je dirais que la crise du progressisme a frappé toutes les gauches occidentales. Chose certaine, il ne faut pas confondre l'idéologie multiculturaliste avec une simple expression globalisée de l'empire américain. C'est une explication trop facile à laquelle il ne faut pas céder.

    En France, vieux pays jacobin qui a fait la révolution, le multiculturalisme reste contesté malgré la conversion de la majorité de nos élites …

    Il est contesté partout, il est contesté au Québec, il est contesté en Grande-Bretagne, il est contesté aux États-Unis, il est aussi contesté chez vous, cela va de soi. Sur le fond des choses, le refus du multiculturalisme repose sur le refus d'être dépossédé de son pays et de voir la culture nationale transformée en identité parmi d'autres dans une citoyenneté mosaïque. Il serait quand même insensé que la civilisation française devienne optionnelle sur son territoire, certains pouvant s'en réclamer, d'autres pas, mais tous cohabitant dans une fausse harmonie que de vrais propagandistes nommeront vivre-ensemble.

    Le drame de cette contestation, c'est qu'elle est souvent inhibée, disqualifiée ou criminalisée. La simple affirmation du sentiment national a longtemps passé pour de la xénophobie plus ou moins avouée, qu'il fallait combattre de toutes les manières possibles. D'ailleurs, la multiplication des phobies dans le discours médiatique, qui témoigne d'une psychiatrisation du débat public: on veut exclure du cercle de la respectabilité démocratique ceux qui sont attachés, d'une manière ou d'une autre, à l'État-nation.

    On ne sortira pas de l'hégémonie multiculturaliste sans réaffirmer la légitimité du référent national, sans redonner ses lettres de noblesse à un patriotisme enraciné et décomplexé.

    Depuis quelques années, on observe également en France la percée d'un féminisme identitaire qui semble tout droit inspiré de Judith Butler. Quelle a été son influence au Québec et plus largement en Amérique du Nord? Ce féminisme est-il une variante du multiculturalisme?

    Ce féminisme est dominant dans nos universités et est particulièrement influent au Québec, surtout dans une nouvelle génération féministe très militante qui voit dans la théorie du genre l'expression la plus satisfaisante d'une certaine radicalité théorique qui est pour certains une drogue dure. La théorie du genre, en d'autres mots, est à la mode, très à la mode (et elle l'est aussi plus généralement dans les universités nord-américaines et dans les milieux culturels et médiatiques), et il est mal vu de s'y opposer. Il faut pourtant dire qu'elle est portée par une tentation nihiliste radicale, qui entend tout nier, tout déconstruire, au nom d'une liberté pensée comme pure indétermination. C'est le fantasme de l'autoengendrement. La théorie du genre veut éradiquer le monde historique et reprendre l'histoire à zéro, en quelques sortes, en abolissant la possibilité même de permanences anthropologiques.

    On peut certainement y voir une autre manifestation de l'héritage des radical sixties et de l'idéologie diversitaire qui domine généralement les départements de sciences sociales et au nom de laquelle on mène la bien mal nommée lutte contre les discriminations - parce qu'à force de présenter toute différence à la manière d'une discrimination, on condamne toutes les institutions à la déconstruction. Devant Judith Butler, la tentation première est peut-être de s'esclaffer. Je comprends cela. Il faut pourtant prendre son propos très au sérieux, car sa vision des choses, et plus largement, du courant néoféministe qu'elle représente, est particulièrement efficace dans les milieux qui se veulent progressistes et craignent par-dessus tout de ne pas avoir l'air assez à gauche.

    Depuis les attentats de janvier 2015, le débat autour de l'islam divise profondément la France. Cette question est-elle aussi centrale en Amérique du Nord? Pourquoi?

    Elle est présente, très présente, mais elle est l'est de manière moins angoissante, dans la mesure où les communautarismes ne prennent pas la forme d'une multiplication de Molenbeek, même si la question de l'islam radical et violent inquiète aussi nos autorités et même si nous avons aussi chez certains jeunes une tentation syrienne.

    Mais la question du voile, du voile intégral, des accommodements raisonnables, se pose chez nous très vivement - et je note qu'au Québec, on s'inquiète particulièrement du multiculturalisme. Nos sociétés sont toutes visées par l'islamisme. Elles connaissent toutes, aussi, de vrais problèmes d'intégration.

    Généralisons un peu le propos: partout en Occident, la question de l'Islam force les pays à se poser deux questions fondamentales: qu'avons-nous en propre, au-delà de la seule référence aux droits de l'homme, et comment intégrer une population qui est culturellement très éloignée, bien souvent, des grands repères qui constituent le monde commun en Occident?

    Cela force, à terme, et cela de manière assez étonnante, plusieurs à redécouvrir la part chrétienne oubliée de notre civilisation. Non pas à la manière d'une identité confessionnelle militante, évidemment, mais tout simplement sous la forme d'une conscience de l'enracinement.

    Les musulmans qui arrivent en Occident doivent accepter qu'ils arrivent dans une civilisation qui a longtemps été le monde chrétien, et où sur le plan symbolique, l'héritage chrétien conserve une prédominance naturelle et légitime.

    Cela ne veut pas dire, évidemment, qu'il faille courir au conflit confessionnel ou à la guerre des religions: ce serait désastreux.

    Mais simplement dit, la question de l'islam nous pousse à redécouvrir des pans oubliés de notre identité, même si cette part est aujourd'hui essentiellement culturalisée.

    L'islamisme et ses prétentions hégémoniques ne sont-ils pas finalement incompatible avec le multiculturalisme qui suppose le «vivre ensemble»?

    L'islamisme a un certain génie stratégique: il mise sur les droits consentis par les sociétés occidentales pour les retourner contre elles. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres dans la société plurielle: il prétend s'inscrire dans la logique du multiculturalisme, à travers lui, il banalise ses revendications. Il instrumentalise les droits de l'homme pour poursuivre l'installation d'un islam radical dans les sociétés occidentales et parvient à le faire en se réclamant de nos propres principes. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres qui réclame qu'on l'accommode, sans quoi il jouera la carte victimaire de la discrimination. C'est très habile. À travers cela, il avance, il gagne du terrain et nous lui cédons. Devant cela, nous sommes moralement désarmés.

    Il faudrait pourtant se rappeler, dans la mesure du possible, que lorsqu'on sépare la démocratie libérale de ses fondements historiques et civilisationnels, elle s'effrite, elle se décompose. La démocratie désincarnée et dénationalisée est une démocratie qui se laisse aisément manipuler par ses ennemis déclarés. D'ailleurs, au vingtième siècle, ce n'est pas seulement au nom des droits de l'homme mais aussi au nom d'une certaine idée de notre civilisation que les pays occidentaux ont pu se dresser victorieusement contre le totalitarisme. Du général de Gaulle à Churchill en passant par Soljenitsyne, la défense de la démocratie ne s'est pas limitée à la défense de sa part formelle, mais s'accompagnait d'une défense de la civilisation dont elle était la forme politique la plus achevée.

    Comment voyez-vous l'avenir de la France. Le renouveau conservateur en germe peut-il stopper l'offensive multiculturaliste de ces 30 dernières années?

    On dit que la France a la droite la plus bête du monde. C'est une boutade, je sais, mais elle est terriblement injuste.

    Je suis frappé, quant à moi, par la qualité intellectuelle du renouveau conservateur, qui se porte à la fois sur la question identitaire et sur la question anthropologique, même si je sais bien qu'il ne se réclame pas explicitement du conservatisme, un mot qui a mauvaise réputation en France.

    Je définis ainsi le conservatisme: une philosophie politique interne à la modernité qui cherche à la garder contre sa tentation démiurgique, contre la tentation de la table-rase, contre sa prétention aussi à abolir l'histoire comme si l'homme devait s'en extraire pour se livrer à un fantasme de toute puissance sociale, où il n'entend plus seulement conserver, améliorer, transformer et transmettre la société, mais la créer par sa pure volonté. Le conservatisme rappelle à l'homme qu'il est un héritier et que la gratitude, comprise comme une bienveillance envers le monde qui nous accueille, est une vertu honorable. C'est une philosophie politique de la finitude.

    Réponse un peu abstraite, me direz-vous. Mais pas nécessairement: car on aborde toujours les problèmes politiques à partir d'une certaine idée de l'homme. Si nous pensons l'homme comme héritier, nous nous méfierons de la réécriture culpabilisante de l'histoire qui domine aujourd'hui l'esprit public dans les sociétés occidentales. Ce que j'espère, c'est que la renaissance intellectuelle du conservatisme en France trouve un débouché politiquement, qui normalement, ne devrait pas être étranger à l'héritage du gaullisme. Pour l'instant, ce conservatisme semble entravé par un espace politique qui l'empêche de prendre forme.

    Et pour ce qui est du multiculturalisme, on ne peut bien y résister qu'à condition d'assumer pleinement sa propre identité historique, ce qui permet de résister aux discours culpabilisants et incapacitants. Il faut donc redécouvrir l'héritage historique propre à chaque pays et cesser de croire qu'en l'affirmant, on bascule inévitablement dans la logique de la discrimination contre l'Autre ou le minoritaire. Cette reconstruction ne se fera pas en quelques années. Pour user d'une image facile, c'est le travail d'une génération.

    Le multiculturalisme peut-il finalement réussir le vieux rêve marxiste de révolution mondiale? La France va-t-elle devenir les Etats-Unis ou le Canada?

    À tout le moins, il s'inscrit dans la grande histoire du progressisme radical et porte l'espoir d'une humanité réconciliée, délivrée de ses différences profondes, où les identités pourraient circuler librement et sans entraves dans un paradis diversitaire. On nous présente cela comme une sublime promesse: en fait, ce serait un monde soumis à une terrible désincarnation, où l'homme serait privé de ses ancrages et de la possibilité même de l'enracinement. L'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre: il est nu et condamné au désespoir.

    En un sens, le multiculturalisme ne peut pas gagner: il est désavoué par le réel, par la permanence de l'authentique diversité du monde. Il pousse à une société artificielle de carte postale, au mieux ou à la décomposition du corps politique et au conflit social, au pire. Et il est traversé par une vraie tentation autoritaire, chaque fois. Mais il peut tous nous faire perdre en provoquant un effritement de nos identités nationales, en déconstruisant leur légitimité, en dynamitant leurs fondements historiques.

    Et pour la France, permettez-moi de lui souhaiter une chose: qu'elle ne devienne ni les États-Unis, ni le Canada, mais qu'elle demeure la France.

    Mathieu Bock-Côté, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 29 avril 2016)

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  • C'est l'ennemi qui nous désigne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Matthieu Bock-Côté, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question du conflit et de l'ennemi...

    Québécois, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et est déjà l'auteur de plusieurs essais. Il doit prochainement publier Le multiculturalisme comme religion politique aux éditions du Cerf.

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    Attentats à Paris et à Bruxelles : «C'est l'ennemi qui nous désigne»

    Pendant un bon moment, la figure de Julien Freund (1921-1993) a été oubliée. Il était même absent du Dictionnaire des intellectuels français paru en 1996 au Seuil, sous la direction de Jacques Julliard et Michel Winock, comme si sa contribution à la vie des idées et à la compréhension du monde était insignifiante. Son œuvre n'était pas rééditée depuis 1986. L'ancien résistant devenu philosophe qui refusait les mondanités parisiennes et la vision de la respectabilité idéologique qui les accompagne œuvrait plutôt en solitaire à une réflexion centrée sur la nature du politique, sur la signification profonde de cette sphère de l'activité humaine.

    Son souvenir a pourtant commencé à rejaillir ces dernières années. Après avoir réédité chez Dalloz en 2004 son maître ouvrage, L'essence du politique, Pierre-André Taguieff lui consacrait un petit ouvrage remarquablement informé, Julien Freund: au cœur du politique, à La Table Ronde en 2008. En 2010, certains des meilleurs universitaires français, parmi lesquels Gil Delannoi, Chantal Delsol et Philippe Raynaud, se rassemblaient dans un colloque consacré à son œuvre, dont les actes seront publiés en 2010 chez Berg international. Son œuvre scientifique y était explorée très largement.

    Mais ce sont les événements récents qui nous obligent à redécouvrir une philosophie politique particulièrement utile pour comprendre notre époque. L'intérêt académique que Freund pouvait susciter se transforme en intérêt existentiel, dans une époque marquée par le terrorisme islamiste et le sentiment de plus en plus intime qu'ont les pays occidentaux d'être entraînés dans la spirale régressive de la décadence et de l'impuissance historique. Freund, qui était clairement de sensibilité conservatrice, est un penseur du conflit et de son caractère insurmontable dans les affaires humaines.

    Dans son plus récent ouvrage, Malaise dans la démocratie (Stock, 2016), et dès les premières pages, Jean-Pierre Le Goff nous rappelle ainsi, en se référant directement à Freund, que quoi qu'en pensent les pacifistes qui s'imaginent qu'on peut neutraliser l'inimitié par l'amour et la fraternité, si l'ennemi décide de nous faire la guerre, nous serons en guerre de facto. Selon la formule forte de Freund, «c'est l'ennemi qui vous désigne». C'est aussi en se référant au concept d'ennemi chez Freund qu'Alain Finkielkraut se référait ouvertement à sa pensée dans le numéro de février de La Nef.

    En d'autres mots, Freund ne croyait pas que l'humanité transcenderait un jour la guerre même si d'une époque à l'autre, elle se métamorphosait. Le conflit, selon lui, était constitutif de la pluralité humaine. Et contre le progressisme qui s'imagine pouvoir dissoudre la pluralité humaine dans une forme d'universalisme juridique ou économique et le conflit politique dans le dialogue et l'ouverture à l'autre, Freund rappelait que la guerre était un fait politique insurmontable et que l'accepter ne voulait pas dire pour autant la désirer. C'était une philosophie politique tragique. Mais une philosophie politique sérieuse peut-elle ne pas l'être?

    La scène commence à être connue et Alain Finkielkraut l'évoquait justement dans son entretien de La Nef. Freund l'a racontée dans un beau texte consacré à son directeur de thèse, Raymond Aron. Au moment de sa soutenance de thèse, Freund voit son ancien directeur, Jean Hyppolite, s'opposer à sa vision tragique du politique, en confessant son espoir de voir un jour l'humanité se réconcilier. Le politique, un jour, ne serait plus une affaire de vie et de mort. La guerre serait un moment de l'histoire humaine mais un jour, elle aurait un terme. L'humanité était appelée, tôt ou tard, à la réconciliation finale. Le sens de l'histoire en voudrait ainsi.

    Freund répondra qu'il n'en croyait rien et que si l'ennemi vous désigne, vous le serez malgré vos plus grandes déclarations d'amitié. Dans une ultime protestation, Hyppolite dira qu'il ne lui reste plus qu'à se réfugier dans son jardin. Freund aura pourtant le dernier mot: si l'ennemi le veut vraiment, il ira chercher Jean Hyppolite dans son jardin. Jean Hyppolite répondra terriblement: «dans ce cas, il ne me reste plus qu'à me suicider». Il préférait s'anéantir par fidélité à ses principes plutôt que vivre dans le monde réel, qui exige justement qu'on compose avec lui, en acceptant qu'il ne se laissera jamais absorber par un fantasme irénique.

    La chose est particulièrement éclairante devant l'islamisme qui vient aujourd'hui tuer les Occidentaux dans leurs jardins. Les élites occidentales, avec une obstination suicidaire, s'entêtent à ne pas nommer l'ennemi. Devant des attentats comme ceux de Bruxelles ou de Paris, elles préfèrent s'imaginer une lutte philosophique entre la démocratie et le terrorisme, entre la société ouverte et le fanatisme, entre la civilisation et la barbarie. On oublie pourtant que le terrorisme n'est qu'une arme et qu'on n'est jamais fanatique qu'à partir d'une religion ou idéologie particulière. Ce n'est pas le terrorisme générique qui frappe les villes européennes en leur cœur.

    On peut voir là l'étrange manie des Occidentaux de traduire toutes les réalités sociales et politiques dans une forme d'universalisme radical qui les rend incapables de penser la pluralité humaine et les conflits qu'elle peut engendrer. En se délivrant de l'universalisme radical qui culmine dans la logique des droits de l'homme, les Occidentaux auraient l'impression de commettre un scandale philosophique. La promesse la plus intime de la modernité n'est-elle pas celle de l'avènement du citoyen du monde? Celui qui confessera douter de cette parousie droit-de-l'hommiste sera accusé de complaisance réactionnaire. Ce sera le cas de Freund.

    Un pays incapable de nommer ses ennemis, et qui retourne contre lui la violence qu'on lui inflige, se condamne à une inévitable décadence. C'est ce portrait que donnent les nations européennes lorsqu'elles s'imaginent toujours que l'islamisme trouve sa source dans l'islamophobie et l'exclusion sociale. On n'imagine pas les nations occidentales s'entêter durablement à refuser de particulariser l'ennemi et à ne pas entendre les raisons que donnent les islamistes lorsqu'ils mitraillent Paris ou se font exploser à Bruxelles. À moins qu'elles n'aient justement le réflexe de Jean Hyppolite et préfèrent se laisser mourir plutôt que renoncer à leurs fantasmes?

    Dans La fin de la renaissance, un essai paru en 1980, Freund commentait avec dépit le mauvais sort de la civilisation européenne: «Il y a, malgré une énergie apparente, comme un affadissement de la volonté des populations de l'Europe. Cet amollissement se manifeste dans les domaines les plus divers, par exemple la facilité avec laquelle les Européens acceptent de se laisser culpabiliser, ou bien l'abandon à une jouissance immédiate et capricieuse, […] ou encore les justifications d'une violence terroriste, quand certains intellectuels ne l'approuvent pas directement. Les Européens seraient-ils même encore capables de mener une guerre»?

    On peut voir dans cette dévitalisation le symptôme d'une perte d'identité, comme le suggérait Freund dans Politique et impolitique. «Quels que soient les groupements et la civilisation, quelles que soient les générations et les circonstances, la perte du sentiment d'identité collective est génératrice et amplificatrice de détresse et d'angoisse. Elle est annonciatrice d'une vie indigente et appauvrie et, à la longue, d'une dévitalisation, éventuellement, de la mort d'un peuple ou d'une civilisation. Mais il arrive heureusement que l'identité collective se réfugie aussi dans un sommeil plus ou moins long avec un réveil brutal si, durant ce temps, elle a été trop asservie».

    Le retour à Freund est salutaire pour quiconque veut se délivrer de l'illusion progressiste de la paix perpétuelle et de l'humanité réconciliée. À travers sa méditation sur la violence et la guerre, sur la décadence et l'impuissance politique, sur la pluralité humaine et le rôle vital des identités historiques, Freund permet de jeter un nouveau regard sur l'époque et plus encore, sur les fondements du politique, ceux qu'on ne peut oublier sans se condamner à ne rien comprendre au monde dans lequel nous vivons. Si l'œuvre de Freund trouve aujourd'hui à renaître, c'est qu'elle nous pousse à renouer avec le réel.

    Matthieu Bock-Côté (Figaro Vox, 1er avril 2016)

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