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identité - Page 26

  • Nation et identité ethnique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Guillaume Faye, cueilli sur son site J'ai tout compris et consacré à l'analyse des rapports entre nation, État politique et identité ethnique...

     

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    Nation et identité ethnique

    La transgression du tabou idéologique

     

     

     

    Nadine Morano a mis les pieds dans le plat, avec sa verve naïve (ce n’est pas un reproche) de fille du peuple méprisée par l’oligarchie, pour ses propos sur « la France, pays de race blanche », en reprenant une réflexion de De Gaulle cité par Alain Peyrefitte dans C’était de Gaulle, au cours d’une émission On n’est pas couché de Laurent Ruquier en septembre 2015. Cette émission polémique et superficielle de France 2 est connue pour être le temple du politiquement correct, de la propagande officielle ; elle est le symbole de la pseudo-dissidence médiatique camouflée par la création de scandales maîtrisés. Éric Zemmour et Natacha Polony, trop incorrects, en ont été éjectés, remplacés par des perroquets de l’idéologie dominante (Aymeric Caron, Léa Salamé, Yann Moix…). Bref, Nadine Morano a enfreint le grand tabou. Elle a été piégée, certes, par le talentueux Ruquier (qui ne songe qu’à son audience et à ses cachets et qui adapte ses convictions à celles de son employeur) mais il fut l’arroseur arrosé. Il n’a pas ridiculisé Mme Morano, il a été son meilleur imprésario politique. 

     

    Elle a été punie par son propre parti pour sa transgression de l’interdit idéologique absolu. Néanmoins, elle est gagnante. Ainsi d’ailleurs que le Front national, qui peut remercie M. Ruquier.  Sarkozy, en effet, est très embêté : ses sanctions contre Nadine Morano lui ont fait perdre immédiatement 6 points auprès des sympathisants des Républicains, selon le baromètre Ipsos–Le Point. Ce qui, au lieu de lui permettre de récupérer des électeurs passés au FN va encore augmenter l’hémorragie des électeurs LR passant au vote frontiste. Nadine Morano a dit tout haut ce que le peuple de base  pense tout bas. 

     

    Le politicien Juppé, cheval de retour, qui vise la présidence de la République sur une ligne centriste molle,  a déclaré à propos de la polémique qu’elle a suscitée  qu’assimiler la France à « la race blanche » le scandalisait : «  ça n’a aucun sens, c’est même intolérable de dire que la France est un pays de race blanche ». Usant de la langue de bois de la vulgate, il a rappelé le catéchisme : le sentiment national est fondé sur le « vivre ensemble » et réaffirmé son objectif oiseux de l’ « identité heureuse » – en réponse à l’essai de Finkielkraut L’identité malheureuse qui a scandalisé l’intelligentsia bien-pensante.

     

    Le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, a comparé Nadine Morano rien moins qu’à « une porte–parole du Klu Klux Klan . Une telle outrance laisse rêveur. Les deux grandes cocottes politiciennes bourgeoises de l’ouest parisien, Valérie Pécresse et Nathalie Kosciusko-Morizet, ont été outrées par les propos de la fille de chauffeur routier, la seconde jugeant ses propos « exécrables ». Et Nadine Morano est évidemment éliminée par Sarkozy de l’investiture aux régionales dans la région Est. Elle est coupable d’avoir prononcé le mot tabou, « race » associé à l’épithète « blanche », circonstance aggravante. On est là dans une logique sémantique de nature religieuse pour ne pas dire magique, très loin de la rationalité politique.  

     

     Nicolas Sarkozy, commentant la petite phrase, de Nadine Morano, a lâché  : « ses derniers propos ne correspondent ni à la réalité de ce qu’est la France ni aux valeurs défendues par les Républicains ». Il a raison, paradoxalement : après des décennies de laxisme migratoire extra-européen en accélération constante, il est certain que le caractère ”blanc” (d’origine ethniquement européenne) de la France est démographiquement en grand recul. À ce phénomène subi  et refusé par le peuple, s’ajoute la rupture culturelle provoquée par l’islamisation, elle aussi imposée au  peuple qui n’a pas son mot à dire dans cette dépossession de son identité et de ses territoires.  C’est la ”démocratie” n’est-ce pas ? Cette dernière, qui s’oppose au ”populisme” honni, signifie maintenant en réalité pouvoir de l’oligarchie, mot français pour establishment.    

     

     

     

     

    Vulgate antiraciste, racisme anti–Blancs et obsession raciale

     

    Ces réactions traduisent la haine ethnique de soi, l’ethnomasochisme des dirigeants et intellectuels français et européens, coupés des populations autochtones et ahuris par cette idéologie ”antiraciste” dont les ressorts psychologiques – voire psychanalytiques – relèvent de l’obsession raciale. 

     

    Les propos de la directrice de France Télevision sont hallucinants : elle déplorait qu’il y eût parmi son personnel « trop d’hommes blancs de plus de 50 ans ». Si ce n’est pas du racisme anti–Blancs, on se demande ce que c’est… De même, les discours innombrables sur la « diversité » et la « mixité sociale », assortis d’obligations et de sanctions de la loi sont des euphémismes, des simulacres linguistiques : ils dissimulent une stratégie de mélange forcé ethno-racial (et non pas ”social”)  dont les conséquences, par ailleurs, seront explosives.  

     

    Le racisme anti-Blancs (et antijuif), le seul réel,  est une nouveauté sociologique qui n’est pas prise en compte par les élites et dissimulée par les médias.  Il provient d’une population fort bien repérée, mais intouchable. Les lois ”antiracistes” vont encore être durcies, en ciblant uniquement ceux qui s’en prennent à l’islamisation et à l’immigration invasive. Il s’agit d’intimider et de faire taire des médias comme Valeurs actuelles. Une telle logique mentale fait songer au syndrome collaborationniste des années 40–45…  

     

    On admet parfaitement et avec sympathie qu’un Africain estime que son continent est par essence de ”race noire”, ou qu’un Asiatique (Chinois, Japonais, Thaïlandais, Coréen, etc. ) estime que son pays est de ”race jaune”. En revanche, suggérer que l’Europe est de ”race blanche” est criminalisé.

     

    Il est en effet prohibé, incorrect, déplacé, nauséabond, scandaleux et immoral de penser et de prétendre que la France et l’Europe sont des ensembles de ”race blanche” et, pis encore, qu’elles doivent le rester. Et personne ne s’offusque de la création du CRAN (Conseil représentatif des Associations noires),  ouvertement racialiste, qui, sous prétexte de lutter contre une ”inégalité” et une ”discrimination ” fantasmées, vise à promouvoir le favoritisme envers les Noirs.  Puisque les ”races ” n’existent pas, selon le catéchisme pseudo-scientifique de l’idéologie dominante, pourquoi le CRAN  est-il subventionné ? Il s’agit bel et bien d’un lobby racial. Se revendiquer de la ”race noire” est licite. Se revendiquer de la ”race blanche” est illicite.  On marche sur la tête.

     

    Imaginons qu’il existe une structure mentionnant des associations blanches : elle serait immédiatement poursuivie et interdite. En réalité, ce n’est pas tant la mention de la ”race” qui choque que l’allusion à la ”race blanche”, qui est seule a être accusée d’être ”raciste”. N’est donc raciste que celui qui se réclame de la ”race blanche” (supposée ne pas exister…), ce racisme constituant le péché capital le plus grave dans l’échelle du catéchisme de l’idéologie dominante.

     

     L’antiracisme produit l’obsession raciale. Cette dernière est schizophrène, comme toute obsession : d’un côté, on nie le fait racial (pour soi) de l’autre, on le sublime (pour les autres).La notion de ”race blanche” provoque un choc sémantique et psychologique  dès qu’elle est évoquée. Le puritanisme antiraciste est autant lié à l’obsession raciale que le puritanisme sexuel à l’obsession sexuelle et il représente une forme biaisée de racisme.   

     

     

    Classes populaires et révolte ethnique

     

    Nadine Morano a été autant condamnée pour ses propos dans sa famille politique, la droite, que par la gauche. Ce qui prouve à quel point la droite politique est ligotée par les idées de gauche qui la complexent et la paralysent, depuis bien longtemps. Et pourtant ce que Mme Morano a dit recoupe ce que pense la majorité de la population, surtout dans les classes populaires. Ce qui confirme l’énorme césure entre ces dernières et leurs représentants politiques. Les appareils politiques, de droite et de gauche, comme 90% des élites médiatiques, sont totalement déconnectés des sentiments du peuple. Facteur révolutionnaire à moyen terme.

     

    Ivan Rioufol écrit, en faisant allusion au roman de George Orwell 1984, paru en 1949 : «  l’épisode Morano, né d’une polémique orwellienne sur l’emploi du mot ”race” a montré l’emprise de la pensée fléchée : elle commence par la mise sous surveillance du langage, passe par le détournement de mots vidés de leur sens, finit par la correction de la mémoire afin de l’accorder au présent. Rappeler ce qu’était la nation – blanche, gréco-latine, chrétienne– est devenu un délit pour le Système. En imaginant un ”commissariat aux Archives et un ”ministère de la Vérité”, l’auteur de 1984 avait visé juste ; nous y sommes ». (Le Figaro, 16/10/2015). Oui, nous sommes bel et bien entrés dans un totalitarisme soft

     

    Relevons l’hypocrisie de cette oligarchie politique, médiatique, intellectuelle qui pratique l’adage : ”faites ce que ce je dis, pas ce que je fais”.  Partisans ombrageux de cette ”diversité” et de cette ”mixité”, ces gens la refusent pour eux-mêmes. Jamais ils ne mettraient leurs enfants dans des écoles publiques avec une forte proportion d’élèves d’origine immigrée extra-européenne ; jamais, ils n’accepteraient de cohabiter dans des immeubles ou des quartiers avec des familles africaines. Leurs sermons moralisateurs et leurs dogmes idéologiques sont en contradiction flagrante, schizophrénique, avec leur comportement privé. 

    Pour être clair, dans l’inconscient collectif du peuple français, la France est un pays de ”race blanche” et doit le rester très majoritairement. Le même sentiment est partagé dans l’opinion populaire de la plupart des pays d’Europe. C’est la conséquence de l’immigration incontrôlée depuis trente ans, dont seule (pour l’instant) la grande bourgeoisie oligarchique ne souffre pas. Une nostalgie de l’ ”ancienne nation”, ethniquement et culturellement européenne, est en train de se répandre. Elle est complétée par un refus croissant de cohabiter avec les nouvelles populations, dont une partie n’est pas pacifique. Cette configuration débouchera sur une explosion.

    La schizophrénie de l’idéologie française sur l’identité de la France

     

    L’idéal de De Gaulle, auquel s’est référée Nadine Morano, selon lequel la France est un «  pays de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-latine » – et qui doit le rester –, expliquait, selon Alain Peyrefitte, que le général ait abandonné  l’Algérie. Il ne voulait pas que des millions de musulmans, en forte progression démographique, deviennent français. Pour eux, il ne ne croyait nullement à la moindre ”intégration” ou ”assimilation” possibles. Ce réalisme s’associait à la crainte que « Colombey–les–deux–églises ne devienne Colombey–les–deux–mosquées ».  Malheureusement, De Gaulle n’avait pas prévu l’immigration de masse autorisée par le laxisme de ses successeurs.   

     

    De Gaulle, en réalité, personnage ambigu influencé par Maurras, le néo-monarchiste, et par Barrès, l’aède de l’enracinement charnel  de la France, se démarquait de l’idéologie française universaliste issue de la Révolution. L’idéologie républicaniste des conventionnels de 1792, aux accents cosmopolites mystiques, leur faisait dire : « tout homme a deux patries, la sienne et la France ».  Mais on était dans la pure gratuité de l’utopie idéologique, puisqu’il n’y avait pas d’immigration. On pouvait raconter ce qu’on voulait.

     

     Mais, par la suite, le virus idéologique s’est activé : l’Empire colonial français a rapidement caressé l’idée d’une possible France multiethnique, cosmopolite, mondiale, en rivalité avec les autres puissances européennes. En dépit de terribles contradictions idéologiques de la gauche républicaine au pouvoir, par exemple Jules Ferry qui en appelait au « devoir des races supérieures de civiliser les races inférieures ».   

     

    D’ailleurs, pendant toute la IIIe République, l’entreprise coloniale a été combattue par une partie de la droite nationaliste au nom d’une conception ethniciste et non pas universaliste de la Nation. On se souvient du slogan : « plutôt la Corrèze que le Zambèze ». De Gaulle héritera en partie de cette vision des choses. Par la suite, l’appel à des troupes ”indigènes” (on dirait aujourd’hui ”allogènes” !), issues des colonies, pendant les deux Guerres mondiales – engagés contre d’autres Européens – a considérablement renforcé la conception cosmopolite et multiethnique de la nation française.

     

     

     

    L’idéologie française de la nation, héritée de la Révolution, s’avère donc à la fois antinationale et antifrançaise, au sens ethnique, par l’introduction du concept d’ ”assimilation”, supposé possible avec tout le monde et n’importe qui. Et surtout à l’intérieur même de l’Hexagone ! Alors qu’à l’époque, l’ ”Empire français”, géographiquement mondial, n’envisageait pas l’immigration en métropole. Cette vision abstraite se heurte aujourd’hui à la violence des faits. Cette schizophrénie française se formule ainsi : la France se pense, depuis deux cent ans, – à travers la majorité de sa classe intellectuelle – comme un idéal universel et moral (comme une sorte d’Eglise catholique laïque), alors que l’opinion populaire vit la France comme une patrie charnelle.    

     

    Une schizophrénie voisine s’est manifestée en URSS, aux Etats-Unis et pour la construction européenne. En URSS, on observait la césure et la confusion (surtout pendant la dernière guerre) entre le combat communiste de la ”patrie des travailleurs” contre le nazisme, combat internationaliste par essence, et la résistance armée de la ”patrie russe” contre l’Allemagne. Aux USA, l’opposition est toujours très vive entre ceux qui considèrent le pays comme une ”société” multiraciale ouverte à toutes les immigrations et ceux (à l’image du think-tank American Renaissance) qui voient le melting pot américain comme une stricte union de populations d’origine européenne et les Etats-Unis comme une nation blanche.

     

    Le même quiproquo se remarque à propos de l’Union européenne : super-État impérial et fédéral ethniquement européen et souverain dans l’idéal d’une minorité d’ ”européistes” adeptes d’un patriotisme européen, mais dans les faits, un ”machin” bureaucratique et sans frontières sans aucun souci de l’identité européenne. Insurmontable contradiction. (1) 

     

     

    Le sang et le sol : problème central 

     

    Le catéchisme officiel des bien-pensants est parfaitement représenté par le dernier essai de l’intellectuel de cour Roger-Pol Droit, auteur de l’essai Qu’est-ce qui nous unit ? (Plon). Il tente de définir dans une gymnastique intellectuelle scolaire et convenue la nature des liens empathiques humains, nationaux, familiaux, personnels, etc. Pour lui, tout ce qui est mémoriel, biologique, identitaire ne vaut rien. Seul compte, dans la nation, l’Idée désincarnée. Il entend éviter « les pièges du terroir et de l’identité ». On reconnaît là l’idéologie cosmopolite officielle, qui dénie aux Français et autres Européens toutes racines revendiquées, toute  identité ethnique, mais en revanche applaudit et protège celles des autres, surtout des intouchables immigrés.

     

    M. Droit formule le dogme de cette manière : «  l’Histoire nous apprend que les identités sont du côté du devenir, pas de l’être. Ce qui fait liens entre humains, ce ne sont jamais ni le sang ni le sol ». Si, justement ! C’est d’abord le sang et le sol qui forment l’identité et la cohésion de la France et des autres nations. Le ”sang”, c’est-à-dire la lignée des ancêtres communs au même peuple, héritier de la même histoire, de la même civiltà (2) ; le ”sol”, c’est-à-dire la terre léguée et configurée par l’Histoire, le territoire à défendre dans ses frontières protégées. Roger–Paul Droit ajoute une autre ineptie, issue du catéchisme libertaire et mercantile : « Qu’est-ce qui nous unit ? Il est possible de répondre : nos échanges ». La nation réduite au statut de supermarché : passeport assuré pour sa désagrégation, voire pour la guerre civile… 

     

     Éric Zemmour  a éreinté ce prêchi-prêcha dans une chronique du Figaro (24/09/2015) intitulée Nous ne sommes pas ce que vous croyez. Il écrit : «  Mais comment devenir français si personne ne donne le modèle de l’être ? Et quel est ce « devenir » français si l’ « être » français a été englouti ? Si on prend un couteau tricolore et que l’on remplace la lame et le manche, qu’est-ce qui reste de la France sinon le nom sur l’étiquette ? Avec l’identité française, Roger-Paul Droit fait le même pari que les partisans de la théorie du genre avec le sexe »

     

    R-P. Droit recopie la thèse erronée de Renan, selon laquelle la Nation est un ”projet” plus qu’une appartenance. Sauf qu’à son époque, Renan parlait de manière abstraite, dans le vide, vu que l’immigration colonisatrice n’existait pas…. De plus, cette idée est stupide : un projet national, un avenir commun ne peuvent se fonder que sur une appartenance commune héritée d’une histoire passée et d’une parenté partagée. Il n’existe aucun avenir, aucun projet possible avec des populations  immigrées, majoritairement musulmanes et globalement hostiles, ancrées dans une autre longue histoire, antagoniste de la nôtre. Il en a été de tout temps ainsi dans l’histoire de tous les peuples.

     

     

    Qu’est-ce que la nation ?  Qu’est-ce que la patrie ?

     

    Une nation est d’abord une réalité ethnique avant d’être une réalité politique. L’étymologie de nation (natio, en latin, du verbe nascere, ”naître”) renvoie à la terre de naissance, la terre-mère, celle des ancêtres. Elle a donc une dimension d’enracinement biologique, historique, géographique et culturel – mais non pas idéologique. Sa traduction en grec – ancien et moderne – est d’ailleurs ethnos, ce qui se réfère à un apparentement dans une mémoire et une lignée, et ce qui suppose une homogénéité. C’est pourquoi une trop grande immigration détruit une nation en abrogeant son caractère ethnique et donc sa cohérence et son empathie naturelle.

     

    Aristote, à ce propos, estimait qu’une Cité (polis) doit être ethniquement homogène, ce qui est le fondement de la paix civile, de la connivence des valeurs (philia). Autrement, explique-t-il, une Cité rendue hétérogène par l’immigration étrangère est vouée à la dictature – pour établir de force la cohésion – ou à la guerre civile endémique. Si la notion de patrie (enracinée et ethnique) connaît un tel désaveu, la responsabilité en incombe en partie à l’Allemagne nazie qui a extrémisé les principes nationaux et ethniques en les défigurant dans une ubris criminelle. Le nazisme a dévoyé,  neutralisé, diabolisé l’idée de nationalisme en Europe.

     

    La responsabilité intellectuelle en incombe à Herder et à Fichte, deux philosophes allemands du début du XIXe siècle, qui ont largement inspiré le pangermanisme belliciste, catastrophique pour l’Europe, de l’empereur Wilhelm II et de Hitler. Fichte dans son célèbre Discours à la nation allemande (1807), non dépourvu de paranoïa, développe l’idée que le peuple allemand est intrinsèquement supérieur à tous les autres peuples européens parce qu’il a échappé à la romanisation et qu’il possède seul une ”âme culturelle” originelle. Cette thèse absurde, issue d’une frustration face à la France napoléonienne et d’un complexe allemand d’infériorité – transformé en complexe de supériorité schizophrénique– a donné lieu au nationalisme allemand des deux guerres mondiales, qui, par son extrémisme, a diabolisé et détruit tout sentiment ethno-national non seulement en Allemagne mais dans les autres pays européens, dont la France  (3)

     

    Cependant la fameuse ”crise des migrants réfugiés” (pseudo réfugiés à 90%), qui n’est que l’aggravation spectaculaire du processus d’immigration invasive et colonisatrice, ressuscite ce sentiment ethno-national chez les classes populaires européennes, sentiment totalement absent chez les dirigeants, uniquement préoccupés d’affairisme politicien. Cette situation peut déboucher sur un incendie incontrôlé.

     

    Qu’elle soit française ou étendue à une ”nation européenne”,  ou appliquée à Israël et à bien d’autres, l’idée de nation suppose quatre ingrédients : 1) une homogénéité ethnique et culturelle globale où les différences sont bien moindres que les ressemblances (ce qui en exclut totalement les musulmans, appartenant à leur umma) ; 2) le sentiment d’appartenance à une patrie commune enracinée dans l’histoire, formant en gros un même peuple qui se définit et se perçoit comme différent des autres et se sentant potentiellement opposé à eux (4)  ; 3) l’existence de frontières parfaitement définies et protégées ; 4) la réalité d’un État, fédéral ou centralisé, peu importe, souverain et indépendant, qui protège et assure la préférence nationale, notion centrale qui discrimine légalement l’étranger par rapport au citoyen. 

     

     L’idée ”européenne” des dirigeants actuels, même fédéraliste, ne vise absolument pas ce modèle (supra)national qu’on pourrait appeler les Etats-Unis d’Europe. Elle recherche l’abolition des fondements ethno-nationaux des peuples européens et, plus grave, l’abolition de l’européanité elle-même. 

     

     

    Objectif implicite : déconstruire l’identité de la France et des nations européennes

     

    En effet, la conception officielle de la nation française, abstraite et désincarnée, intellectuelle, non-ethnique, a été reprise et aggravée dans la construction européenne, comme l’a vu Philippe de Villiers. L’Union européenne, qui vise à détruire l’Europe des nations souveraines, n’a même pas la prétention d’être une entité fédérale et supranationale (une ”super nation”) mais s’avère être une anti-nation, une construction fondamentalement anti-européenne, aux sens ethnique, historique et politique. Un ”machin”, ouvert comme un moulin, avec, pour seule règle, l’idéologie des Droits de l’homme et du libre-échangisme tempéré par une bureaucratie privilégiée. Voici un mélange comique d’ultra-libéralisme et de soviétisme mou, l’union de la carpe et du lapin,  un ensemble flou, déraciné, aux frontières poreuses ; son idéal minimaliste est apolitique et anhistorique (droits de l’homme, consumérisme, etc.), incapable de susciter l’enthousiasme des peuples et apte seulement à favoriser des flux migratoires incontrôlés et à obéir à tous les désidératas de Washington.

     

    L’idéologie dominante et la classe politique ont une conception libertaire de la nation (issue du libéralisme philosophique – à ne pas confondre avec le libéralisme économique) qui ramène cette dernière à un agrégat d’individus sans enracinement. Conception exprimée par l’inénarrable Alain Juppé : «  la nation, ce sont des hommes et des femmes qui veulent vivre ensemble » (Grand Jury RTL–Le Figaro, 4 octobre 2015). Aucune mention d’une histoire, d’une culture, d’une appartenance, d’une identité communes. Cette vision de la nation en détruit la substance même en la ravalant au rang de ”société”, ensemble flou sans passé et sans avenir. Un grand Club Med. Face à l’islam fanatique et conquérant, c’est désopilant.

     

     Décryptons cette déclaration très idéologique (et indigne) de François Hollande lors d’une visite à l’École des Chartes, temple de la tradition française de l’enseignement gréco-latin que Mme Vallaud-Belkacem est en train de saborder : « La France n’est pas une identité figée dans le marbre, elle n’est pas une nostalgie qu’il faudrait conserver, un corps vieilli avec un sourire fatigué. La France est une espérance ». Puis, après cette insulte voilée à la patrie française (”vieillie et fatiguée”)  le petit président politicien fit l’apologie d’un « portrait de la France dans sa diversité », ce qui, en langue de bois signifie qu’il faut imposer aux Français historiques de souche l’apport massif de populations étrangères. C’est la théorie du lobby socialiste Terra Nova, à visées électoralistes, en faveur de la ”nouvelle France” (la France 2.0), celle de la ”diversité”. Malheureusement, une large partie de ces ”nouveaux Français” issus de l’immigration n’en ont (pardonnez-moi d’utiliser exceptionnellement le bas argot) strictement rien à foutre de la France, de son identité, de son histoire, de son avenir. Ils ne se reconnaissent pas en elle, ils sont d’accord pour la détruire. Détruire la France (et les peuples européens) au nom même d’une ”certaine idée” de la France et de l’Europe, tel est le projet orwellien (par inversion sémantique) de l’oligarchie et de leurs alliés.    

     

     Abordons maintenant un point capital, lié à Éric Zemmour. Ce dernier, par ses livres et sa présence médiatique – et malgré les intimidations par censures, procès, etc. – est devenu un défenseur emblématique du patriotisme français et de l’identité française. Or, il est Juif. Ce qui semble poser un problème aux clercs de l’idéologie dominante. Léa Salamé (cf. autre article de ce blog) dans l’émission de Ruquier (FR 2) On n’est pas couché s’était étonnée qu’un Juif (apostrophe : « vous, le Juif… ») puisse professer de telles idées patriotiques.  

     

    Guy Bedos sur France 5, début octobre 2015, a commis le même lapsus : « Zemmour est juif. C’est un drôle de Juif…Il est devenu plus français que les Français ». Le comique bourgeois d’extrême gauche à bout de souffle révèle deux choses par cette saillie : d’abord un antisémitisme de gauche (un Juif ne peut pas  prétendre être un vrai Français et vice–versa, ce qui nous ramène à l’idéologie de Vichy dont le régime était peuplé de socialistes et…de communistes) ; ensuite une francophobie évidente : le Français de souche, le ”franchouillard ” des classes populaires, est méprisable par essence.    

     

     

    L’indispensable unité ethnique, facteur de paix

     

    L’historien et sociologue Georges Bensoussan – aujourd’hui très mal vu, comme Finkielkraut, par le clergé intello-médiatique –  explique que désormais en France cohabitent sur le même territoire comme ”deux nations”, deux populations antagonistes. Elles ne partagent absolument pas les mêmes valeurs, la même culture, les mêmes comportements et moeurs, ni les mêmes projets. Une de ces populations, en forte croissance, d’origine immigrée récente, est de plus en plus islamisée et ne se sent absolument pas appartenir à la ”nation France” traditionnelle ; au contraire, elle lui manifeste une hostilité croissante. Elle se réclame à la fois de sa nationalité d’origine et de l’umma musulmane supranationale. L’équation est insoluble. 

     

    Le déni de ce phénomène central par l’intellocratie et les dirigeants politiques, attachés au dogme utopique et angélique de l’ ”intégration”, de l’ ”assimilation” ou de l’ ”inclusion” par une cohabitation pacifique de communautés inconciliables, ressemble aux techniques des médecins du XVIIe siècle (relire Molière) qui tuaient les malades en prétendant les guérir.

     

     L’idéologie française officielle et ”républicaine” de la Nation est contredite par l’histoire de France elle-même. La France intellectuelle se pense comme une idée (lourde erreur, énorme prétention) mais la France populaire se vit comme une patrie charnelle.  Le « vivre ensemble », monstrueux néologisme de la novlangue de bois, se terminera dans la guerre. On ne peut vivre ensemble qu’avec ses proches, pas avec ceux qui vous désignent comme ennemis. 

     

    Contrairement aux mensonges de l’idéologie officielle, la France, comme les autres pays d’Europe, a toujours été globalement homogène ethniquement jusqu’au XXe siècle, à la fin duquel a commencé une immigration massive extra-européenne, en grande partie musulmane. Ce phénomène historique est le plus important et le plus grave vécu par les Européens depuis le début du Moyen–Âge, bien plus que toutes les guerres, crises économiques et épidémies. Parce qu’il risque de signer notre acte de décès.  

     

    Toute l’histoire démontre (et le Proche-Orient en est l’éclatante démonstration) que la diversité ethnique sur un même territoire ou sous une même autorité politique est, la plupart du temps, ingérable et débouche sur le chaos, fruit d’une impossible cohabitation. On commence à le ressentir en Europe. Plus que jamais, le bon sens, l’expérience quotidienne populaire, les leçons de l’histoire s’opposent aux délires idéologiques et aux calculs politiciens de l’oligarchie. Reprenons Aristote : chacun chez soi, dans ses frontières. Ce qui ne remet pas en cause la notion d’Humanité mais rappelle qu’elle est faite de peuples différents et (souvent) hostiles et ne constitue pas un magma anthropologique.  C’est la loi de la vie. La paix entre les êtres humains est proportionnelle à la méfiance et aux barrières qu’ils dressent entre eux.  Si vis pacem, para bellum.

    Guillaume Faye (J'ai tout compris, 17 et 22 octobre 2015)

     

    Notes :

     

    (1) Les maux attribués à l’Union européenne en tant qu’institution, y compris la soumission volontaire aux USA, ne sont pas imputables à l’UE comme telle mais aux gouvernements européens eux-mêmes.

     

    (2) Civiltà : terme italien difficilement traduisible qui signifie à la fois ”culture” et ”civilisation”, héritage et construction partagés par un même peuple.

     

    (3) Le IIIe Reich et son souvenir, son ubris, ses crimes et sa défaite ont provoqué chez le peuple allemand une implosion, une délégitimation  de toute idée nationale et patriotique.

     

    (4) Carl Schmitt et Julien Freund ont bien montré que toute identité ethnique ou politique ne peut se construire que contre un ennemi. Le positif interagit avec le négatif. On peut le déplorer, mais la psychologie humaine est ainsi faite.

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  • Peut-on aimer la France, sans aimer les Français ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Denis Bachelot, cueilli sur Polémia et consacré à l'oligarchie et à son entreprise de déconstruction identitaire...

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    Peut-on aimer la France, sans aimer les Français ?

    La grande offensive médiatique qui sévit depuis quelques semaines autour de la crise migratoire a au moins un mérite certain ; elle a mis au jour la vision du destin de leur pays portée par les élites dirigeantes européennes.
    En effet, au-delà des injonctions émotionnelles sur l’indispensable solidarité avec les « réfugiés » que nous avons le devoir moral d’accueillir sans restriction, l’argument massue mis en avant est celui de la contrainte économique :

    La démographie du vieux continent nous obligerait à recevoir dans les prochaines décennies des dizaines de millions d’immigrés pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre qui menace les pays d’Europe. Cet argument représente la version rationalisante du discours dominant.

    Imposée comme une vérité d’évidence, cautionnée par les économistes en vue, cette affirmation, contestable au strict plan économique, doit être perçue par ce qu’elle révèle de ses présupposés idéologiques.

    On pourrait rétorquer, de prime abord, que les hommes ne sont pas des êtres indifférenciés que l’on peut sans risque substituer les uns aux autres. Dans cette approche anthropologique, la vraie question est de savoir alors quel est le rôle de la cohésion culturelle dans les performances des différentes nations ? Le sujet, du coup, devient infiniment plus complexe que la bien-pensance contemporaine ne l’affirme.

    Mais le point central de cette affirmation est sa conception induite du devenir des nations et de leurs peuples. Pour la première fois, officiellement et massivement, les dirigeants européens ont fait savoir à leurs populations que leur avis n’avait aucune importance. La nécessité économique, telle que les élites, économiques et politiques, la perçoivent, s’impose comme une fatalité qui relève de l’ordre naturel qui n’est pas à discuter.

    Un passage en force

    Maîtresse du jeu européen, Angela Merkel, sans aucune consultation autre que les pressions intenses du patronat allemand, a ouvert toutes grandes les vannes d’une immigration de masse qui déstabilise les équilibres fragiles du vieux continent. Sa rapide marche arrière, avec une fermeture « temporaire » des frontières, apparaît bien dérisoire face à l’appel d’air qu’elle a activé.

    En France, très rapidement, le PS a choisi le passage en force, en affirmant la responsabilité morale de l’Europe à l’égard des « réfugiés ». Le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a donné le ton lors du Congrès de Poitiers. « J’en ai assez, lance-t-il devant une salle acquise d’avance, de cette Europe forteresse, assez de cette Méditerranée cimetière, il faut un monde solidaire ». Et Manuel Valls de surenchérir : « Ceux qui fuient la guerre, les persécutions, la torture, les oppressions, doivent être accueillis. »

    Tout discours « d’équilibre », selon l’approche verbale du président Hollande et du premier ministre sur la nécessaire maîtrise des frontières fait par la suite pâle figure au regard de l’injonction morale qui, d’emblée, culpabilise et disqualifie tout esprit de résistance. Tout un chacun peut comprendre que le propos volontaire sur l’accueil contrôlé (qui croit au chiffre de 24.000 inlassablement répété ?) n’est qu’un paravent qui masque l’impuissance du politique face à une fracture de l’histoire.

    D’ailleurs, quelques personnages publics, plus ou moins oubliés, sont venus, opportunément, dire la vérité toute nue. Pour Dominique de Villepin, « les dirigeants politiques n’ont pas à se déterminer par rapport au  sentiment populaire » sur ce sujet et Mgr Gaillot, tiré de son sommeil médiatique, nous rappelle, vigoureusement, à notre devoir moral : « Seule compte la tragédie des migrants, des frères que nous devons accueillir ; nous ne devons pas penser à nous dans ces circonstances ».

    Dans sa naïveté moralisatrice, l’évêque de Partenia nous révèle la vérité profonde que l’idéologie dominante agite depuis longtemps sans l’expliciter tout à fait : l’histoire ne doit jamais être considérée du point de vue des peuples européens.

    Le désinvestissement affectif des «  élites »

    Nous sommes là au cœur du processus de domination culturelle qui sévit en Europe depuis plus de quatre décennies. La déconstruction des romans nationaux, particulièrement exacerbée en France, a principalement servi à délégitimer le lien fusionnel qu’un peuple entretient avec son histoire et son territoire. Le but recherché est de conduire le sujet collectif à ne plus distinguer le Nous de l’Autre, ne plus faire la différence entre ce qui procède de mon identité et ce qui est extérieur à moi.

    Le fait que personne ne questionne, dans les univers politiques et médiatiques institutionnels, l’affirmation qu’il faille, absolument, compenser le déclin démographique européen par une immigration de masse est la preuve la plus manifeste d’un désinvestissement affectif total des dirigeants européens à l’égard de leur peuple. L’identification à un destin commun a disparu.

    Le discours, sinon, serait – et ce depuis longtemps puisque la démographie est une affaire de long terme – de mettre en place des politiques natalistes volontaristes qui, outre leur finalité matérielle, solliciteraient le sentiment collectif d’une identité à perpétuer. Il faut pour cela un sentiment affectif d’appartenance commune à une identité qui fait aujourd’hui largement défaut à nos gouvernants. A comparer avec la politique nataliste qu’à mise en place le gouvernement de Poutine, au nom du destin historique du peuple russe.

    Ce que proposent aujourd’hui les responsables européens à leurs peuples est un effacement de leur identité au nom d’une logique économique simpliste et courtermiste qu’ils camouflent sous des vocables désincarnés et pavloviens d’ouverture à l’autre et de diversité ; enrichissantes, forcément !

    Dans ce contexte, toute référence à un principe identitaire pérenne qui dépasse et transcende les intérêts immédiats et particuliers est une dissidence insupportable à l’achèvement d’un monde plat, nomade et indifférencié, qui sous-tend la vision politique des élites dominantes de la vieille Europe, celles de Bruxelles en tête.

    Cette vision, elles la théorisent avec un simplisme intellectuel désarmant. Rappelons-nous les réflexions des technocrates de Terra Nova sur l’effacement irréversible des classes populaires traditionnelles (comprendre : blanches) issues du monde de la production, et la nécessité vitale pour le PS de réorienter ses choix politiques en fonction des nouvelles dynamiques sociales issues des minorités ethniques et culturelles : une façon grossière de faire passer une réalité mouvante, issue de facteurs circonstanciels, pour une vérité définitive et inéluctable. Les livres du socio-géographe Christophe Guilluy sont, opportunément, venus repositionner dans le débat public l’existence de ces classes « invisibles » qui, loin des centres villes, forment encore la substance profonde du pays.

    « La France doit être gérée comme un hôtel », affirmait, dans la même logique, le prophète cathodique de la mondialisation nomade Jacques Attali. Mais qui est prêt à mourir pour la gestion d’un hôtel ?

    Ce désinvestissement émotionnel total à l’égard d’un peuple et de son destin n’explique toutefois pas tout. Il ne pourrait être qu’une indifférence fonctionnelle et distante, sans autre finalité qu’un utilitarisme trivial. Comme nous l’écrivions dans notre précédent article : « L’œuvre de déconstruction identitaire, basée sur un intense travail de culpabilisation de l’identité traditionnelle, n’était pas une condition indispensable de la nouvelle phase de déploiement du capitalisme en voie de mondialisation» (1).

    Haine et violence idéologique

    L’entreprise forcenée de déconstruction identitaire dont nous sommes témoins depuis plusieurs décennies ne peut pas faire l’économie de la prise en compte d’une démission déterminante du combat politique : la haine comme fondement de la violence idéologique.

    On ne peut expliquer sinon, après bien d’autres exemples, l’incroyable violence de la campagne médiatique qui a frappé Nadine Morano, après sa déclaration sur le peuple « de race blanche et de culture judéo-chrétienne », reprise du général De Gaulle et maintes fois évoquée dans le débat public depuis la publication du livre d’Alain Peyrefitte qui la rapporte. Elle renvoie à une réalité historique simple et évidente, forte de deux millénaires de mémoire vive, que seule une hystérisation émotionnelle du débat permet, non pas seulement de nier, mais d’en interdire jusqu’à l’évocation même !

    Et pourtant, n’importe quel esprit tant soit peu rationnel peut d’emblée saisir la différence entre le rappel historique d’une réalité identitaire qui s’est construite au fil des siècles et un jugement de valeur sur la France contemporaine, désormais (qui peut le nier ?) multiethnique et multiculturelle. Mais le peuple « de souche », le peuple indigène, n’a pas le droit de se nommer lui-même en tant que référence première et déterminante de l’identité française, au risque, sinon, de ressusciter les démons du passé.

    La reductio ad hitlerum a encore de beaux jours devant elle. Elle est la pointe avancée d’une violence idéologique dont les formes de domination relèvent plus des mécanismes de la psychologie collective que de l’affrontement des idées.

    Le retournement des processus d’identification qui conduisent naturellement à privilégier ce qui vous ressemble, vous précède et vous prolonge, s’est construit sur un gigantesque travail de dévalorisation des cultures populaires traditionnelles, transformées en des séries de représentations répulsives et ringardes. Comment peut-on oublier, pour ne citer qu’un exemple, le personnage de prolo qui fit les choux gras de Coluche, avec son nez rouge d’alcoolo, son phrasé d’abruti et son racisme primaire ?

    Les discours rationalisants sur la « diversité » comme source d’enrichissement culturel et facteur de croissance économique ne sont que des constructions secondaires dans les rapports de force idéologiques, comparés à la puissance subjugante des systèmes de représentation de masse qui activent les processus collectifs d’identification.

    L’identification à la force au cœur de l’idéologie « progressiste »

    Il n’y a plus d’identification positive possible à la représentation dégradée d’une masse indifférenciée. Plus encore, nous assistons à un phénomène de renversement du processus d’identification qui fait que l’identification à l’Autre, l’étranger à ma culture, est plus valorisante que l’identification au semblable infériorisé. Nous sommes là dans une situation de domination culturelle et sociale classique, où le dominé n’arrive plus à se percevoir au travers de ses propres références culturelles qui le valorisent et intériorise son statut de dominé. Et l’identité dévalorisée du dominé ne suscite plus le désir d’identification. La faiblesse n’a rien d’attractif et l’identification va naturellement au modèle fort.

    L’occultation de son processus d’identification à la force est la face la plus cachée de l’idéologie « progressiste » mass-médiatisée (2).

    L’identification à la cause de l’Autre victimisé (l’étranger, l’immigré, le réfugié, quelle que soit sa dénomination) permet d’occuper une position de force en se valorisant par la défense du faible qui donne ses lettres de noblesse à l’engagement politique. Cette posture d’identification au faible mythifié est le socle de la fonction normative qui permet de dire qui est au service du bien et qui est du côté du mal ; un pouvoir redoutable pour qui le contrôle.

    L’écroulement des grands systèmes idéologiques n’a pas mis un terme à la violence idéologique. Le journaliste Jean Daniel, en 1979, publia un petit livre fort instructif dans lequel il racontait, à travers l’histoire du Nouvel Observateur, trente ans de cheminement de la conscience de gauche à la lumière des grands événements qui, depuis la Libération, l’ont portée.

    Dès les premières pages de son livre, Jean Daniel tentait de comprendre les mécanismes qui façonnent l’engagement de gauche. D’où vient cette attente passionnée du grand soir, du basculement de l’histoire ? Cette volonté violente de rupture que Michel Foucault, préfaçant l’ouvrage de Jean Daniel, relevait aussitôt : « Il [Jean Daniel] fait apparaître ce qui pour lui constitue la grande évidence structurant toute la conscience de gauche, à savoir que l’histoire est dominée par la révolution ». Une mystique de la révolution que l’auteur appréhende avec une distance critique : « Je finis par me demander, confesse-t-il, à propos de certains d’entre nous, si ce qui leur importe ce n’est pas la légitimation de la violence plutôt que la transformation de la société ? ».

    L’histoire, depuis, a fait son œuvre et les idéologies révolutionnaires se sont écroulées, en même temps que les régimes qui en avaient été, tour à tour, les porteurs. Le mythe d’une grande révolution collective, tranquillement, a été remplacé par celui de la « libération» individuelle.

    L’idéologie de la libération, beaucoup plus sociétale que sociale, a toutefois conservé le soubassement idéologique du mythe révolutionnaire : la rupture radicale avec l’ordre ancien comme condition de l’émergence d’un homme nouveau, libéré des contraintes et des aliénations du passé. La même violence idéologique, la même haine de l’ordre « naturel », sont recyclées au service d’une transformation de l’intérieur, celle du rapport de l’individu à ses désirs.

    Le mythe de l’individu absolu

    Un mythe de l’individu libéré, ou individu absolu, dont la mystique révolutionnaire est certes le soubassement originel, mais qui l’a largement débordé pour devenir, en tant que système de représentation de masse, une idéologie passe-partout, dont la banalisation même vide la mystique révolutionnaire de sa radicalité absolue, sans la vider pour autant de toute sa violence constructiviste.

    Pas de chance pour le prolétaire, jusque-là investit d’une mission messianique en tant qu’acteur historique du projet révolutionnaire, il devient, soudainement, le maillon faible d’un projet d’émancipation dont il ne maîtrise pas les codes culturels et qui n’est plus centré sur ses anciennes luttes sociales. Ce sont désormais les classes moyennes du tertiaire « intellectualisé» qui portent les valeurs de la transformation sociale. Et le beauf de Cabu, avec le mot qui va avec, devint le symbole dérisoire d’une France populaire ringardisée et exécrée.

    A contrario, on ne fait pas carrière dans l’espace public en tant que défenseur de la « France moisie ». Les chanteurs et les actrices « engagés », les comiques et les animateurs en vogue, les intellos en vue et les artistes connus, les journalistes vedettes, la masse des politiques médiatisés et les autorités morales institutionnelles sont quasi unanimes pour brocarder les tentations identitaires d’une France « franchoulliarde » qui, de toute façon, c’est bien connu, n’est qu’un fantasme sans réalité.

    « L’unanimité est mimétique », nous dit René Girard ; le système médiatique fonctionne effectivement en créant cette unanimité de façade qui vise à sidérer les esprits. Cette méthode est particulièrement efficace lors des grandes campagnes d’exécration collective lancées pour punir un « dérapage » ; l’affaire Morano en est un exemple parfait, ou lors des grandes opérations d’émotion de masse, type « Je suis Charlie ».

    Un message répété à l’infini, et légitimé par l’orchestration des voix les plus en vue, détient une force subjugante qui annihile les résistances rationnelles. La peur de ne pas être à l’unisson de ce qui est imposé comme la normalité évidente (il faut être un concentré de médiocrité et d’égoïsme pour refuser d’ouvrir les bras à la masse des réfugiés qui souffrent !) suffit à faire taire toute velléité de contestation du consensus émotionnel. Ce que le peuple « d’en bas » pense au profond de lui-même et refoule dans son for intérieur n’a plus aucune importance. Le Système actuel, au contraire des grands totalitarismes qui ont marqué le XXe siècle, n’a plus besoin de l’adhésion des foules ; il se contente d’une acceptation passive.

    Les rares voix dissidentes acceptées au banquet médiatique sont là pour occuper la case du « méchant » qui permet d’entretenir l’illusion d’un débat contradictoire et loyal. Eric Zemmour, avec talent, tient la première place du « réac » que le Système adore détester, un peu concurrencé désormais par Michel Onfray qui tourne mal, comme l’a vigoureusement expliqué Libération. L’icône de l’athéisme jouissif et de la gauche popu devient désormais un philosophe de bistrot pour beaufs lepénisés !

    Enfermée dans une série de représentations négatives, souvent teintées de mépris social, l’identité traditionnelle française est soumise à un processus d’exécration collectif qui soude la cohérence idéologique du Système dominant. La négation même de cette réalité identitaire est probablement l’aspect le plus violent d’un processus de déconstruction, qui, a contrario, sans le dire tout à fait, ne cesse de renvoyer à cette identité française « blanche et judéo-chrétienne », quand il s’agit de dénoncer le racisme et la xénophobie !

    Le devoir de mémoire

    La classe politique et médiatique nous l’a impérativement rappelé à l’occasion de l’affaire Morano, la France est un idéal construit autour de quelques grandes valeurs universelles. En conséquence, la citoyenneté « républicaine », basée sur l’adhésion à ces valeurs, est le seul critère légitime d’appartenance nationale, en dehors de tout héritage de cette longue durée, chère à Fernand Braudel qui a cherché avec passion à appréhender une « identité de la France », à travers la construction obstinée des siècles et des millénaires, à partir de ses peuples, ses mœurs, ses territoires et ses institutions.

    De Gaulle est le dernier dirigeant français d’envergure à avoir lié la vision de son destin personnel à celle de son peuple et de son pays. C’est probablement aussi pourquoi, au-delà de son œuvre politique, il reste tant présent dans les mémoires contemporaines. Il a incarné la pérennité d’une vieille nation, à travers ses fractures et ses drames, avec la conscience aiguë que seule la réalité de son identité profonde permet à un peuple de perdurer. Derrière le Rideau de fer du communisme soviétique, il voyait vivre encore le destin de la Russie et de son peuple. L’histoire sur ce point lui a donné raison.

    Au vu de la dramatisation des crises migratoires sur fond de ruptures géostratégiques, la question doit être désormais posée : peut-on prétendre aimer la France, voire la diriger, sans aimer les Français, c’est-à-dire les héritiers et les garants d’une identité collective pérenne que la longue durée a façonnée ?

    Denis Bachelot (Polémia, 16 octobre 2015)

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  • La seule exactitude...

    « La politique européenne d’immigration repose sur l’idée que les individus sont interchangeables.
    (…) L’un peut faire office de l’autre et l’autre de l’un : aux yeux de ceux qui comptent, le monde est un immense réservoir de travailleurs inconnus. Si nous n’abandonnons pas cette anthropologie désespérante, elle finira par avoir raison de notre civilisation. »

     

    Les éditions Stock viennent de publier La seule exactitude, le nouvel ouvrage d'Alain Finkielkraut, qui regroupe ses chroniques publiées dans le mensuel Causeur. Après la violente polémique déclenchée par la publication de L'identité malheureuse (Stock, 2013), Alain Finkielkraut doit à nouveau faire face avec la sortie de ce livre à la meute ds roquets de la bien-pensance...

     

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    " Les années trente, dit-on, sont de retour. La droite intégriste et factieuse occupe la rue, l'ordre moral sort des catacombes, la crise économique pousse à la recherche d'un bouc émissaire et l'islamophobie prend le relais de l'antisémitisme. Cette analogie historique prétend nous éclairer : elle nous aveugle. Voulant lire ce qui arrive à la lumière de ce qui est arrivé, elle en occulte la nouveauté inquiétante.
    Montrer que nous vivons un tournant historique, paradoxalement masqué par la référence incessante à l'Histoire ; appréhender ce moment crucial dans ce qu'il a d'irréductible au répertoire de nos vicissitudes : tel est le pari de ce livre. Et l'enjeu est existentiel autant qu'intellectuel. Si, comme l'écrit François Mauriac, "l'épreuve ne tourne jamais vers nous le visage que nous attendions", il nous incombe d'être à l'heure au rendez-vous et de regarder en face le visage que nous n'attendions pas.
    Dans une époque qui tend à se prendre pour une autre, l'exactitude devient la tâche prioritaire de la pensée. "

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  • La France au risque de l'immigration : le choc du réel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté, cueilli sur Valeurs actuelles et consacré à la question de l'immigration. Québécois, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et a déjà publié plusieurs essais.

     

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    La France au risque de l'immigration : le choc du réel

    On ne relit jamais sans étonnement les essais du début des années 1990, qui prophétisaient l’avènement de la mondialisation heureuse. Les frontières s’aboliraient progressivement et le métissage des peuples permettrait à l’humanité de faire l’expérience de sa profonde unité. D’ailleurs, les grands enjeux de notre temps, comme la lutte contre le réchauffement climatique ou contre les inégalités croissantes de développement, exigeraient d’en finir avec la souveraineté nationale.

    C’est un peu comme si l’optimisme progressiste des modernes les poussait à se croire délivrés de la part tragique de la condition humaine. On pourrait parler d’une “jacquesattalisation” de la pensée française. L’histoire d’avant la mondialisation n’aurait plus rien à nous dire, ce serait celle d’hommes divisés contre eux-mêmes. Les civilisations devraient désormais se fondre dans une même société planétaire et chaque société se convertir au modèle multiculturel. Vingt-cinq ans plus tard, on se demande comment on a pu errer autant.

    Les indices nous laissant croire qu’un tel récit n’était qu’une utopie ne manquaient pourtant pas. La migration de masse n’a pas commencé avec l’actuelle crise des migrants, que l’idéologie médiatiquement dominante entend réduire à sa part humanitaire, alors qu’elle représente aussi une révolution démographique majeure. Cela fait plusieurs décennies, en fait, que les observateurs nous prévenaient pourtant des risques liés à l’immigration massive et à l’idéologie multiculturaliste.

    Mais la “crise des migrants” agit à la manière d’un formidable révélateur. C’est une part du réel longtemps occultée mais pourtant déterminante qui remonte à la surface : les cultures, les civilisations et tout ce qui déborde d’une définition strictement juridique et administrative de la citoyenneté. La sociologie est la première surprise : elle avait décrété que les nations, les cultures et les civilisations étaient des constructions sociales artificielles, que les hommes pouvaient délaisser sans risque.

    On constate que c’est faux. Derrière la déconstruction, on trouve souvent une rage nihiliste, comme si l’intelligentsia désirait néantiser tout ce qui n’est pas recyclable dans son utopie globale. Mais ce n’est pas parce qu’on s’aveugle volontairement devant un pan du réel qu’il disparaît soudainement. Il est vrai que les nations occidentales ont cherché à se déraciner volontairement. On croyait émanciper les hommes en les affranchissant de leur culture. On les a plutôt condamnés à une forme terrible d’errance et de dépersonnalisation collective.

    Et pourtant demeure quelque chose comme un instinct de survie des peuples, qui les pousse à protester contre leur disparition, même s’ils n’ont plus les mots pour le dire. On les accuse de toutes les phobies lorsqu’ils protestent contre le progrès de l’indifférenciation. De la dénonciation de la xénophobie à l’europhobie, en passant par l’homophobie et la transphobie, c’est tout un dispositif de censure idéologique qui s’est mis en place. On psychiatrisera même la nostalgie : il est inconcevable de croire que le monde d’hier pouvait valoir mieux que celui qu’on nous impose.

    Sans faire du populisme à deux sous qui sacralise le peuple, on constatera néanmoins que c’est en se rapprochant des classes populaires qu’on retrouve un attachement aux vieilles vertus, aux appartenances nouées dans l’histoire et aux repères anthropologiques fondamentaux. On comprend dès lors pourquoi la politique contemporaine se clive autour des enjeux sociétaux : ce sont des visions de l’homme assez contrastées qui s’opposent. C’est ce qui se dévoile à travers la fameuse question identitaire.

    La réaction des élites médiatiques et intellectuelles est au mieux navrante, mais plus souvent qu’autrement désolante. Elles savent seulement reprocher aux peuples de ne pas s’enthousiasmer de leur possible dilution. Ils se rendraient ainsi coupables de repli identitaire et de fermeture à l’autre, ce qui est aussi une manière de les psychiatriser. On en comprend qu’il faut être malade ou simplement méchant pour ne pas consentir à la marée migratoire. Autour de la question nationale se joue aujourd’hui une nouvelle lutte des classes.

    Mathieu Bock-Côté (Valeurs actuelles, 28 septembre 2015)

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  • Cinéma et identité...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un article de Michel Mourlet cueilli sur le site Papiers en ligne et consacré à la question de l'identité au travers du cinéma. Ce texte a été publié dans le numéro de la revue Krisis intitulé Identité ? (n°40, mars 2015).

     

    CINÉMA ET IDENTITÉ

    par Michel Mourlet

    Cette étude prend appui sur deux de mes ouvrages : l’Écran éblouissant (Presses Universitaires de France, 2011) et Français, mon beau souci (France Univers, 2009). Plutôt que de me répéter, j’ai choisi d’en citer les passages qui, sur certains points, m’ont paru adaptés au sujet. 

     

    L’identité, ce qui fait qu’A est A et n’est pas non-A, reste un concept anthropologique peu utilisable tant qu’on n’en a pas précisé la qualification. Il existe plusieurs identités principales, s’appliquant soit aux individus, soit aux collectivités,  telles que la personnelle, la génétique, l’ethnique, la nationale, et secondaires, comme l’appartenance à un métier par exemple. On peut se représenter cela comme autant de cercles concentriques s’élargissant à partir du point central qu’est l’individu ; ces multiples identités s’imprègnent les unes les autres et se confondent dans l’identité personnelle complète. Cependant, nettement séparées par leurs attributs, elles  ne concernent pas les mêmes objets : avant d’examiner les rapports qui peuvent s’établir entre cinéma et identité, il importe donc de sélectionner la ou les identités pertinentes eu égard à de tels rapports.

    Il va sans dire que l’identité personnelle ne saurait être accueillie ici qu’à la faveur de l’étude d’œuvres particulières : quelle relation entre l’homme Welles et ses films, produits de son idiosyncrasie ? Ce point de vue, quoique d’un intérêt primordial, n’est pas notre sujet, car il introduirait des facteurs personnels valables pour n’importe quelle activité créatrice. Or ce qui se propose ici à notre réflexion est « le cinéma » en général, et seulement le cinéma, tel qu’il se pratique sur l’ensemble de la planète, à présent et depuis ses débuts, avec les ressemblances et les dissemblances qui composent son histoire et sa diversité. Vers quel référentiel identitaire se tourner pour rendre compte du cinéma en général, du point de vue du déroulement de son histoire et de la diversité de ses œuvres ?

    On le savait même avant Malraux : le cinéma est à la fois un art et une industrie. L’industrie, en l’occurrence production et distribution, est liée de manière simple à l’économie et au savoir scientifique et technique, qui renvoient en gros à l’identité nationale, les économies continentales ou mondiale n’étant ‒ on le voit un peu plus clairement chaque jour de crise ou de non crise ‒ que des ensembles abstraits, fragiles, pour tout dire virtuels, qui reposent concrètement, tout comme le savoir d’ailleurs, sur les capacités propres à chaque nation.

    Les arts renvoient à un système plus composite où s’interpénètrent les identités nationale, religieuse, ethnique, et, si l’on quitte le plan général, l’identité personnelle, voire familiale (dynasties artistiques). Le cinéma, art et industrie, considéré globalement, est par conséquent en relation directe avec les identités ethnique, nationale et religieuse, cette dernière composante demeurant relativement secondaire dans la mesure où elle réside au fond des œuvres et n’influe guère sur leur forme : « L’art catholique italien (peinture, sculpture, architecture) n’entretient aucun autre rapport que thématique avec l’art catholique espagnol », écrivais-je dans l’Écran éblouissant. Ce qui prédomine dans les ouvrages en question, c’est le style italien, le style espagnol. Le phénomène est encore plus flagrant au cinéma, art tout récent privé de tradition religieuse. À l’exception de quelques cinéastes tels que DeMille ou Bresson par foi, Rohmer par éducation morale, Rossellini par sensibilité, le christianisme au cinéma aura suscité plus de révolte ou de blasphèmes que de Magnificat. Et dans les films qui s’en réclament ‒ par le scénario et les dialogues ‒, rien en matière de mise en scène et en images qui soit le reflet partagé et spécifique d’une identité religieuse commune.  On voit bien en revanche par quoi DeMille est typiquement américain, Bresson et Rohmer, français jusqu’au bout des ongles.

    Quant à l’identité ethnique, si tant est qu’on puisse employer de nos jours cette alliance de mots (il faudrait avoir suivi avec assez d’attention les derniers progrès accomplis dans les démocraties libérales par la libre circulation des idées), on en fera vite le tour, du fait que le cinéma est un art totalement européen et plus largement occidental (Etats-Unis) dont l’invention, les techniques, les formes, la théorisation, la pratique et la critique ont pris naissance et se sont développées pour l’essentiel dans les pays appartenant à la partie du monde ainsi désignée. Éric Rohmer, comme le remarque Antoine de Baecque dans sa récente biographie du cinéaste, n’a pas manqué dans ses écrits théoriques d’insister sur cette unicité originelle – et originale ‒ du cinéma. La conséquence en est que même des cinématographies extra-européennes majeures, comme celle du Japon (les chefs-d’œuvre de Mizoguchi et Ozu au tout premier rang), bien que  son écriture soit nourrie de traditions nipponnes notamment théâtrales, ne peuvent faire qu’elles n’aient comme ultime horizon la mise en scène et les techniques définies et pratiquées en Occident.

    On objectera qu’à l’intérieur de ce périmètre occidental délimité ici par le cinéma agissent des identités culturelles plus spécifiques, moins étendues, à quoi se rattachent des cinématographies diversifiées. Ici apparaît à l’évidence l’identité nationale, sur laquelle nous allons revenir ; mais aussi deux autres variantes souvent mises en exergue aujourd’hui en France au détriment de l’identité nationale, pour tenter de les substituer à celle-ci  : la régionale et la continentale ; en ce qui nous concerne, « européenne » Si l’on peut discuter à l’infini de l’importance des identités picarde, bretonne, provençale dans le domaine des arts traditionnels ou de la langue, l’objection régionaliste en matière de cinéma, d’où le recours à un passé multiséculaire est exclu d’office, apparaîtrait vide de sens. Reste l’autre identité culturelle de substitution, dite européenne :

         …je sais bien que la mode est actuellement d’invoquer une « culture européenne », mais de quoi parle-t-on exactement ?

       Certes, tous les peuples d’Europe peuvent se réclamer de deux grands courants intellectuels, littéraires et artistiques : l’antiquité gréco-latine et le judéo-christianisme. Ce n’est évidemment pas suffisant pour justifier le concept d’une culture à l’échelon continental. Ce qui importe, c’est l’usage que chacun de nos peuples a fait à travers les siècles et continue à faire de ces deux instruments qu’il a façonnés selon les besoins, les aspirations, les contraintes nés de son sol, de son ciel, de son tempérament et de son histoire.

       Les œuvres produites sont-elles interchangeables ? Rossini aurait-il pu composer l’Or du Rhin ? Dostoïevski écrire comme Voltaire ou Ibsen comme Marivaux ? Canova sculpter les statues polychromes du musée de Valladolid ou Le Vau concevoir les façades tourmentées de Gaudi ? Turner peindre la Montagne Sainte-Victoire ? Sibelius faire danser comme Théodorakis ?  Évidemment non, et ces incompatibilités aussi flagrantes que si l’on rapprochait la musique japonaise de la musique chinoise, ces disparates de style, de pensée, de couleurs, de dessin, de rythme, d’atmosphère, chacun le sent bien au fond de lui-même, ne sont pas issues de différences personnelles. Elles procèdent de quelque chose de plus vaste qui rattache entre elles, par des traits fondamentaux et spécifiques (la clarté française, le baroquisme espagnol, les brouillards scandinaves, etc.) toutes les œuvres norvégiennes ou toutes les œuvres d’outre-monts, et qu’on appellera l’identité culturelle nationale, irréductible tant aux individus qu’à l’empire-mosaïque de Bruxelles ou de Charlemagne.

    Français, mon beau souci, « Souveraineté culturelle et linguistique »

    Il suffit d’appliquer les considérations ci-dessus à l’histoire du cinéma. Qu’y a-t-il de commun entre Affreux, sales et méchants et les Vacances de M. Hulot ? Rien de plus qu’entre une pièce de Goldoni et un portrait de La Bruyère : quoi de plus italien que Barouf à Chioggia ? Quoi de plus français que Ménalque ? Imagine-t-on la froideur allemande, méthodique et implacable de Fritz Lang derrière la caméra de Jean Renoir ? Le pince-sans-ririsme de Guitry trempé dans l’acide de Jules Renard, au service d’un baroque espagnol obsédé par le crucifix ? À part leur localisation sur la mappemonde, on voit mal ce que partageraient les films de Tati et de Comencini. En revanche, on distingue clairement ce qui rapproche le premier de toute la  psychologie française de caractère, comique ou tragique, et le second de la longue tradition italienne de la comédie de mœurs.

    Après avoir placé entre parenthèses l’identité personnelle, réduit à leur juste rôle les identités religieuse, ethnique, régionale, continentale, que reste-t-il comme identité de référence en relation forte et légitime avec le cinéma ?

    Toute l’histoire de ce dernier, les analyses critiques, théoriques, sociologiques, économiques qu’il a suscitées, ses modes de production et de diffusion, les batailles d’influence qui continuent de se livrer en son sein sont engendrés par le statut national des entités productrices qui le constituent. Les coproductions internationales, où s’exerce par nécessité une seule responsabilité créatrice, ne modifient pas cette règle générale.  Le « cinéma », notion  abstraite obtenue en additionnant une par une les cinématographies du monde, deviendrait inanalysable hors du contexte des identités nationales.

    Penchons-nous comme il est naturel sur le cas du cinéma français.

        Bien que d’apparition récente, le Septième Art prend place parmi les éléments fondateurs de notre culture telle qu’on peut l’appréhender aujourd’hui. Cela pour une raison historique précise, quelles que soient les revendications adventices et subalternes : dans la grande chaîne d’inventions  qui va de la photographie de Niepce et Daguerre au premier film tourné en 1953 selon le procédé du Pr Chrétien (cinémascope et son stéréophonique), la part de loin la plus importante revient à la France, et guère moins que dans l’histoire de l’aviation. C’est pourquoi, en dépit des chausses baissées de nos élites « morales » toujours à l’affût des plus tartuffiennes résipiscences, nous avons célébré en 1995 le centenaire de la première séance de cinéma publique au monde, celle des Frères Lumière.

       D’autres motifs font que le cinéma, comme art et comme industrie, revêt en France une extrême importance : notre patrimoine cinématographique compte un nombre considérable de chefs-d’œuvre reconnus par la communauté internationale. D’autre part, c’est dans notre pays qu’ont vu le jour et se sont développées une véritable critique et une véritable esthétique de l’« image mécanique »[1]. Dès avant la guerre de 1914, avec le futur « capitaine Canudo », ami d’Apollinaire et chantre (d’origine italienne) de l’« impérialisme artistique français », avec Louis Delluc, avec les éclairs prophétiques d’Abel Gance, jusqu’au milieu des années soixante, durant un demi-siècle s’est affirmée chez nous, et presque exclusivement chez nous, une faculté quasiment spontanée, sans précédent,  d’appréhender et de théoriser le cinéma selon des critères aussi ambitieux et complexes que ceux qu’avaient suscités les arts traditionnels. Ainsi les Français et, partant, les Francophones dans leur ensemble (cf le lustre des cinématographies québécoise, belge, suisse, algérienne, etc.), sont-ils fondés à considérer le Septième Art (terme inventé par Canudo) comme un des piliers de leur culture.

    Ibid., « Cinéma, langue et exception culturelle »

    Un des aspects les plus caractéristiques de cette part occupée par le cinéma dans l’identité culturelle française est la rivalité entre notre cinématographie et celle des Etats-Unis. Depuis Edison et les Frères Lumière, et surtout depuis le début du XXe siècle, Français et Américains ne cessent de se mesurer et de se combattre sur ce terrain, tout en reconnaissant toujours les mérites de l’adversaire.

        L’histoire de notre cinéma sous l’aspect de ses relations conflictuelles avec celui des Etats-Unis offre depuis l’origine un modèle réduit et précurseur de ce qu’on nomme à présent la mondialisation, euphémisme destiné à diluer, ad usum populi, dans une apparente globalisation des échanges l’économie du « nouvel ordre mondial » sous hégémonie américaine. Depuis le début du siècle dernier, en effet, on assiste à un duel entre nos deux « industries du rêve », duel inégal, non point tant par les moyens mis en œuvre (ils étaient même supérieurs du côté français avant la Grande Guerre) que par les circonstances historiques ayant entraîné pour les cinématographies des deux nations des effets opposés.

       Bref rappel. Avant la première guerre mondiale, prépondérance du cinéma français, du fait d’avoir été pratiquement le premier en date et d’avoir installé non seulement sur son territoire mais dans le monde entier un système de distribution (Gaumont et Pathé) sans concurrence.

       Cela fonctionna très bien jusqu’à la date fatidique de 1914, qui vit à la fois l’interruption totale de la production française et l’installation de Cecil B. DeMille à Hollywood, dans son premier studio, une grange de ce village appelé à devenir la « Mecque du cinéma ».[2] À partir de ce moment, l’intention américaine tantôt affichée, tantôt dissimulée, de conquérir la plus grande part et si possible la totalité du marché mondial du film s’est continuellement manifestée.

       La guerre terminée, le cinéma français se releva de ses ruines. La machine recommença de tourner. Cela dura jusqu’à la seconde guerre mondiale et même pendant celle-ci, puisque les effets sur notre production en ont été fort différents de la première. Paradoxalement, la période 1940-1944 aura été l’une des plus brillantes de notre histoire cinématographique, avec une multitude d’œuvres présentes dans toutes les mémoires, de Carné, Decoin, L’Herbier, Gance, Clouzot, Guitry, Pagnol, Grémillon, Christian-Jaque, Daquin, Autant-Lara, Bresson, Delannoy, Becker, etc. Alors que dans le même temps, la production allemande se révélait particulièrement médiocre, cette vitalité du cinéma occupé constitua une forme de résistance authentique, aussi exemplaire que celle de la culture hellénique durant l’occupation romaine.

        Dans l’immédiat après-guerre, la capacité de résistance  du cinéma français devait à nouveau être mise à l’épreuve et ne plus cesser de l’être. Mais cette fois on revenait à une autre guerre, celle que se livraient depuis le début du siècle Français et Américains à coups de faisceaux lumineux sur leurs écrans de toile blanche.

       En mai 1946, sortie exsangue du conflit et de l’Occupation, la France signe avec les Etats-Unis les accords Blum-Byrnes : elle obtient l’annulation de 2,85 millions de dollars de dettes et un crédit de 1,4 million en échange de l’ouverture de son marché aux produits américains. Pendant quatre ans, le cinéma d’outre-Atlantique avait été absent d’Europe, situation qui avait entraîné une accumulation considérable de films en souffrance que les distributeurs devaient absolument dégorger dans les salles de notre continent. En vertu des accords, le cinéma français se trouvait contingenté sur son propre sol au bénéfice du concurrent.

       C’était la première manifestation ostensible du projet américain d’étouffer systématiquement les autres cinématographies nationales. Car, depuis 1945, et surtout depuis une trentaine d’années, on assiste au grignotement progressif de toutes les industries cinématographiques européennes, à l’exception de la nôtre. (…) Le lent amaigrissement des cinématographies nationales  (en chiffres de production, mais davantage encore en parts de marché) est la conséquence directe de la diffusion hégémonique dans nos pays de la production d’outre-Atlantique, tant destinée au grand qu’au petit écran, puisque les deux supports, on le sait, tendent de plus en plus à unir leurs forces et à confondre leurs objectifs.

       Si cette hégémonie résultait d’une excellence incontestable des œuvres, ce serait de bonne guerre et l’observateur impartial ne pourrait que s’incliner. Mais, inondés de sitcoms débiles, de séries toutes sorties du même moule, de comédies cucu-la-praline, de crétins sanguinolents et d’héroïnes de bandes dessinées, à des années-lumière du grand cinéma américain que nous aimions, nous sommes loin de compte et voyons bien que le combat est truqué.

       D’une part, il convient de remarquer qu’avant toute exportation les produits audiovisuels américains sont déjà largement amortis et bénéficiaires sur le territoire d’origine (300 millions de téléspectateurs, un milliard d’entrées en salle par an). Ils peuvent dans ces conditions arriver sur les marchés étrangers soit, en ce qui concerne le cinéma, appuyés sur des budgets de distribution et de publicité colossaux, soit, pour la télévision, en cassant les prix ; ce qui suffit à expliquer leur omniprésence en dépit d’une qualité artistique souvent faible, voire calamiteuse (bien que nous connaissions à cette triste règle toutes les notables exceptions).

       D’autre part, il n’est pas possible non plus de lutter à armes égales chez l’adversaire, puisqu’un dispositif de règlements et de pratiques établi par notre bon Oncle Sam (si libéral pour ses propres produits) limite de façon draconienne l’accès de nos films à son marché intérieur.

        En 1980, avec le large sourire rayonnant du crocodile repu, Jack Valenti, président de la Motion Picture Association of America qui regroupe les grandes compagnies et les représente à travers le monde[3],  ne craignait pas de déclarer à la presse française : « Il y a en Amérique un formidable marché pour les films français. Les Etats-Unis sont un marché libre. Tout film étranger peut y entrer sans problème, exactement sur les mêmes bases qu’un film américain. Il n’existe ici aucune restriction de quelque nature que ce soit. Vous payez les mêmes taxes. Il n’y a pas de discrimination. » 

       Puisque tout cela allait tellement de soi, convenait-il de se demander pourquoi M. Valenti éprouvait la nécessité de le dire ? Contentons-nous de citer, tenue dans la foulée, une remarque de M. Yves Rousset-Rouard, alors président d’Unifrance Film : « La pénétration des films français sur le marché américain se heurte à une sorte de protectionnisme latent qui est sans doute plus le fait, d’ailleurs, des structures professionnelles en place que du public. »

       Au même moment, le directeur général de Gaumont, Daniel Toscan du Plantier,  confirmait : « Le fameux libéralisme américain admet, dans la pratique et dans le droit, quelques nuances : c’est un imbroglio extraordinaire et rien n’est fait à ce niveau pour que les étrangers réussissent. Rien ! »

        On n’eût pu mieux dire que le modèle libéral américain est un leurre destiné aux naïfs, leurre qui, malgré leurs perpétuelles déconvenues, continue à les faire rêver – et disserter avec assurance – des bienfaits du capitalisme mondial.

          Dans cette guerre économique sans merci livrée par les Etats-Unis aux cinématographies rivales, il reste pourtant, on l’a dit, un bastion, le bastion français, qui agace beaucoup les Américains et contre lequel ils s’acharnent depuis des années.[4]

      Une fois dévoilé le contenu des accords Blum-Byrnes, le tollé des professionnels du cinéma français fut tel qu’il fallut parvenir à un modus vivendi en assouplissant les règles du jeu. C’est ainsi que notre cinéma retrouva peu à peu sa vigueur.

       Depuis les années cinquante, le système français de production repose en grande partie sur le fonds de soutien et l’avance sur recettes. Le fonds de soutien est une idée géniale du premier directeur du C.N.C. : afin de constituer cette réserve, Michel Fourré-Cormeray a imaginé de prélever une taxe sur chaque billet d’entrée, pour tout film aussi bien étranger qu’indigène. En conséquence de quoi les Américains se sont aperçus avec horreur que leurs propres films contribuaient à financer leur plus coriace adversaire. D’où leur acharnement, dès lors, à tenter de démanteler notre système en cherchant parfois, à Bruxelles, des alliés.

       Le fonds de soutien alimente l’avance sur recettes. Ce serait bel et bon si cette avance était toujours répartie à bon escient. Or nous trouverons ici, sans doute, une des causes de la relative désaffection du public, exprimée en parts de marché, à l’égard de notre cinéma : l’avance est saupoudrée par des commissions dont la compétence artistique n’est pas toujours indiscutable et dont les critères relèvent trop souvent des idéologies à la mode, de l’épate-bourgeois ou du simple « copinage ». Pour des raisons quelque peu voisines, les fameux quotas télévisuels au service de la production nationale, arrachés de haute lutte, engendrent des investissements parfois aberrants, dans des films si exécrables qu’ils ne sont pas même diffusés par les chaînes commanditaires. Lesdits quotas, faut-il le rappeler ? firent l’objet de batailles acharnées contre la bureaucratie européiste entraînée à se courber sous les fourches caudines de Washington.

    Ibid.

    En dépit de ces carences occasionnelles mais qu’il ne faut pas dissimuler, abolir le système français de financement comme le préconisent parfois des irresponsables serait renoncer à notre privilège : rester le seul cinéma national à faire pièce au rouleau compresseur hollywoodien. N’oublions pas que les studios britanniques survivent pour le principal grâce aux tournages internationaux sous obédience américaine, que le cinéma espagnol, en déroute, ne conservait plus sur son propre territoire que 13 % de part de marché en 2013 (chiffre fourni par Cinespagne), qu’à l’exception de Nanni Moretti le cinéma italien est en crise permanente depuis un quart de siècle, sans parler du notable recyclage en Allemagne de la production grand écran dans le petit. À l’inverse, signalons qu’en France les premiers chiffres de 2014 indiquent près de 47 % de part de marché pour les films français contre 40 % pour les films d’outre-Atlantique.

        Un dernier danger guette la production audiovisuelle française et francophone, tous écrans confondus ; le même que celui qui menace notre langue : le mimétisme.

       C’est en raison d’un effondrement de nos ventes de films sur le marché américain (effondrement au demeurant guère catastrophique, vu le faible volume de notre chiffre d’affaires moyen sur ce marché) que les années 1978-1980 ont vu apparaître dans les milieux professionnels concernés une réflexion d’ensemble plus systématique et plus fouillée sur les raisons de nos échecs, de nos médiocres résultats et sur les pistes à suivre pour tenter d’y remédier. Entre 1975 et 1978, les ventes de films français aux Etats-Unis ont chuté de 48 millions de francs à 11 millions et demi, soit de plus des trois quarts. Il y avait de quoi réfléchir, en effet !

       Toujours sur la brèche (la nôtre), l’inévitable Jack Valenti, de son bureau, lança : « Le cinéma français peut tripler son chiffre d’affaires dans ce pays. (Après avoir dégringolé des trois quarts : M. Valenti ne prenait pas un gros risque…) L’influence des cinéastes français y est considérable. L’avenir ne devrait pas présenter de problème pour les producteurs français s’ils font le genre de films que les gens d’ici veulent voir. » 

       Cette dernière petite phrase fut lourde de conséquences dans les cerveaux fumants de la profession et les avis divergents qu’elle suscita ne sont pas encore complètement parvenus à se rejoindre. Grosso modo, deux écoles s’affrontèrent, dont nous avons une longue expérience car elles accompagnent toute l’histoire de la France : celles de la résistance et de la collaboration. Autrement dit, en termes de sujets et de narration sur pellicule, il y eut ceux qui pensèrent que pour plaire au public américain il fallait faire des films comme les Américains, et ceux qui pensèrent qu’il fallait faire des films résolument français.[5]

       En tout état de cause, le point important était que tout le monde prît conscience de la nécessité d’une analyse globale des faiblesses structurelles – et non pas seulement conjoncturelles – de notre système de soutien à l’exportation : renforcement de l’action d’Unifrance, entretien de bureaux à l’étranger, investigations et documentation sur les marchés extérieurs, relations publiques, promotion par des manifestations occasionnelles et les festivals, etc. Cette dernière partie de l’analyse devait d’ailleurs, en réponse à Deauville, déboucher à plus ou moins long terme sur  la création de plusieurs rendez-vous très appréciés du public et des professionnels américains avec le cinéma français : le V.C.U. de Richmond, Col Coa à Los Angeles, Sacramento, Saratosa…

       L’infrastructure économique était évidemment primordiale, mais il ne suffisait pas de parvenir jusqu’au public américain ; encore fallait-il l’intéresser. Précédant de quelques années l’effondrement de nos ventes et de nos parts de marché sur le sol national, une déclaration de M. Gérald Calderon, un des financiers du cinéma français, mérite un sort particulier : « La conquête du marché américain ne peut passer que par une certaine adaptation à ses standards (sic, sans doute pour « modèles », « canons », « archétypes », « moules », etc., selon la nuance désirée). Notre film national ne deviendra un véritable produit d’exportation que dans la mesure où le principe de la double version originale, impliquant un tournage direct en langue américaine, sera passé dans les mœurs et qu’à la condition expresse que nos productions sachent intégrer le concours des scénaristes et surtout des vedettes américaines, seules à posséder, pour l’heure, la « classe » internationale qui justifie des cachets de plusieurs millions. » 

       Il semble difficile d’accumuler plus de contrevérités, de contresens, d’abandons, de soumission à l’adversaire qu’en cette profession de non-foi dans  les ressources de la créativité nationale. On pataugeait, il est vrai, dans la pleine période du pseudo  réalisme  masochiste et capitulard à la Servan-Schreiber (anti-nucléaire, anti-Concorde, anti-Le France (le navire), anti-nation, anti-toute manifestation de puissance et d’identité française quelle qu’elle fût), tandis qu’un certain polytechnicien au pouvoir fondait arithmétiquement le poids et le rayonnement de la France dans le monde sur le rapport du nombre de ses habitants à la population  du globe. N’osant sans doute pas aller jusqu’au bout de sa pensée, M. Calderon nous privait d’une solution plus réaliste encore : renoncer carrément à notre cinématographie et nous borner à financer Hollywood. (D’aucuns s’y essayèrent d’ailleurs, qui ne s’en sont pas encore remis.)

       Les propos de ce financier comme de ses pareils s’appuyaient sur l’idée qu’il y aurait des films « internationaux » qui marchent et d’autres, nationaux, qui ne marchent pas. Or un examen même rudimentaire de la saga hollywoodienne montre que son succès repose essentiellement, on pourrait dire uniquement, sur le nationalisme pur et dur, l’ethnicité, les présupposés politiques, la fierté historique, la revendication scientifique et jusqu’à la religiosité exacerbée propres au peuple américain. Rien n’est moins « international » que la substance de ce cinéma, de la comédie sentimentale jusqu’à l’Odyssée de l’espace en passant par le western, la guerre de Sécession, le Débarquement  ou la Bible en images.

         J’ai cité dans la Télévision ou le Mythe d’Argus la réponse judicieuse du président de Gaumont, M. Nicolas Seydoux, solidement épaulée entre 1975 et 1978 par Cousin Cousine de Tacchella, Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, l’oscar de Bertrand Blier ou encore la notoriété des films de Truffaut outre-Atlantique.

    Ibid.

        Ce détour par la guerre des écrans n’avait d’autre objet que de mettre en relief le lien entre cinéma et identité française, la culture stricto sensu faisant partie de l’identité nationale au même titre que l’histoire politique de la nation, sa géographie, sa langue ou les constantes de sa psychologie collective. Il n’est pas jusqu’aux politiciens les moins guidés par le sens de la nation qui ne perçoivent le cinéma comme un enjeu, non seulement économique, mais politique. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu, ils ont toujours plié sous sa pression corporative, au risque de fâcher Washington ou Bruxelles.

    Est-il besoin de le dire : ce qui est valable pour le cinéma français ne l’est pas moins pour les autres cinématographies. Certaines facettes des films de Risi ou de Monicelli brilleront davantage aux yeux d’un connaisseur du théâtre transalpin, depuis Ruzzante jusqu’à Dario Fo. Et comment pénétrer la substance intime de Voyage à Tokyo, de Fin d’automne, sans avoir contemplé, au moins en imagination, un jardin au Soleil Levant ?

    À la question qui me fut posée en 2008 : « Y a-t-il un génie national qui s’exprimerait dans le cinéma, comme dans l’art en général, et, en ce qui concerne le cinéma français, comment celui-ci se manifesterait-il ? », je répondis :

       Il y a un génie national, que des gens comme Debussy ou Barrès, qui n’avaient pas comme nos contemporains l’esprit paralysé par des utopies de fraternité et la sanctification de l’individu (chaque époque sécrétant ses mythes et ses tabous), percevaient avec  autant de finesse que de vigueur. Ce génie national est le génie du lieu (les sources, les forêts, les ciels et les dieux qui les hantent) combiné avec la mémoire historique la plus longue. De ce creuset sortent, si on le leur permet, les œuvres enracinées : dans un terroir, un passé, une langue. Ce sont les seules qui durent. Voyez Gance, Renoir, Pagnol, Guitry, Rohmer, Sautet, Pialat, Gérard Blain, Tavernier, Bertrand Blier, certains films de Chabrol et de Corneau…[6] Comment définir ce génie pour que la définition englobe des tempéraments et des inspirations aussi diverses ? Je dirais peut-être : une grâce poétique et une liberté d’allure consubstantiellement liées à la clarté toujours lumineuse de l’expression. 

    L’Écran éblouissant

    Tout langage, et donc tout langage artistique, moyen d’expression de quelque pays que ce soit, considéré dans son ensemble et non sous l’angle particulier de telle ou telle œuvre,  entretient avec l’identité nationale de ce pays ‒ qui lui apporte, imprimé par la matrice de l’Histoire et de la Géographie, l’essentiel de son message ‒ une relation privilégiée, plus étroite qu’avec aucun autre déterminant. Si, comme c’est le cas en France et pour le cinéma, ledit langage, depuis la formation de son embryon le plus sommaire jusqu’à nos jours, y a toujours été brillamment pratiqué, la relation est évidemment plus « fusionnelle » encore. C’est sans doute pourquoi, tant qu’existera la France, ni le capitalisme cannibale ni la bureaucratie apatride ne parviendront à démanteler notre « industrie du rêve ».

    [1] Fait établi et admis même par la critique d’outre-Atlantique, comme en témoigne cette phrase de Peter von Bagh, préfacier d’un récent ouvrage sur Raoul Walsh : « les meilleures études (et la meilleure approche) semblent toujours venir de France » (2003).

    [2] Cf. Cecil B. DeMille, le Fondateur de Hollywood (éd. la plus récente : Durante Poche, 2002).

    [3] Décédé en 2007, J. Valenti a été décoré de la légion d’honneur en 2004… probablement pour avoir activement promu le festival  de Deauville, d’ailleurs souvent d’excellente qualité mais tête de pont publicitaire en France des films américains de petit ou moyen budget.

    [4] Pour plus de détails, se reporter à l’Envahisseur américain, Hollywood contre Billancourt (Éd. Favre, 1999), par Philippe d’Hugues, historien du cinéma, ancien administrateur général du Palais de Tokyo et conseiller scientifique au C.N.C. On peut consulter également, dans les numéros de mars et avril 2000 du mensuel La Une, les extraits du débat que j’ai organisé et conduit autour du même sujet, en décembre 1999, au Centre Multimédia de l’ADAC-Ville de Paris.

    [5] J’ai également abordé cette question, en insistant sur la production télévisuelle, dans la Télévision ou le Mythe d’Argus, au sous-chapitre intitulé « Mariages de carpes et de lapins », pp. 132 à 134. (Éd. France Univers, 2002.)

    [6] Si nous avions abordé le sujet sous les espèces particulières des cinéastes et de leurs oeuvres, l’identité nationale n’y serait pas moins présente puisque nous avons observé qu’elle participe de l’identité personnelle complète. Cependant, d’autres éléments tout aussi prégnants viendraient complexifier l’analyse.

     

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  • L'Europe doit se défendre dans les nouvelles formes de guerre de 4e génération...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur Europe solidaire et consacré à la guerre des "réfugiés" qui est mené contre l'Europe et à la légitimité de mesures de riposte fermes...

     

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    L'Europe doit se défendre dans les nouvelles formes de guerre de 4e génération

    Il est devenu courant de désigner par le terme de guerre de 4e génération (G4G), dite aussi guerre asymétrique, des guerres menées contre un Etat dominant par des militants dotés d'armes légères, telles que les mines ou les kalachnikovs, mais surtout impliquant la population civile. Ainsi, au sein de celle-ci, on recrutera des propagandistes de plus en plus relayés par Internet, des candidats aux actions suicides, puis progressivement de véritables armées de l'intérieur, analogues à celles des « partisans » de jadis.

    Les pays dits pauvres mènent depuis longtemps de telles guerres contre les pays riches. L'Amérique en a particulièrement souffert dans ses campagnes malheureuses au Moyen Orient. Mais les pays riches peuvent procéder de même, en suscitant notamment par l'intermédiaire de forces spéciales ou d'innombrables actions de corruption, des oppositions civiles dans les pays où ils veulent obtenir des changements de régime (regime change). La Russie non sans raisons s'en est plainte.

    Aujourd'hui, contre les pays riches et plus particulièrement contre les plus fragiles d'entre les pays européens, sont conduites des guerres que l'on pourrait dire de 4e génération et demi, ou plus explicitement guerres des réfugiés ou guerre de l'humanitaire. Il s'agit d'inonder progressivement ces pays de milliers de tels réfugiés, qui bientôt pourront devenir des centaines de milliers voire des millions. Leur arrivée submergera progressivement les structures d'accueil des pays ciblés, puis leurs structures sociales et politiques. Progressivement, les pays européens encore riches se transformeront en pays pauvres, avec tous les conflits internes inhérents à cette situation. Mais les Européens ne pourront pas se défendre, autrement dit repousser ces flux migratoires, parce que leurs convictions y verront des victimes fuyant des tyrannies ou des conflits, plutôt que des combattants d'une nouvelle forme de guerre.

    La très grande majorité d'entre eux seront effectivement des victimes, avec leurs cortèges de femmes et d'enfants attendrissants. Mais parmi eux, il y aura de plus en plus de combattants dissimulés, organisés pour mener sinon le djihad proprement dit, du moins la destruction progressive des pays d'accueil. Il y aura aussi des trafiquants de la pire espèce qui, non contents de s'enrichir aux frais des migrants pour lesquels ils auront joué le rôle de passeur, répandront en Europe, qui déjà n'en manque pas, toutes les pratiques maffieuses imaginables.

    Les bonnes âmes refuseront cette vision qui sera qualifiée de conspirationniste, selon laquelle les flux actuels et futurs de réfugiés, au lieu de se produire spontanément, seraient organisés sciemment par des intérêts hostiles aux Européens. Mais elles seraient bien naïves. Même si ce n'est pas encore le cas aujourd'hui, cela le deviendra vite. La tentation est trop grande et sera exploitée sur des échelles de plus en plus étendues.

    Les moyens pour y arriver sont particulièrement économiques. Il suffit de quelques mouvements du type de Boko Aram pour terrifier les populations et de réseaux de passeurs ou simplement d'incitateurs à passer pour organiser les migrations. Les cargos pourris ne manquent pas, pour la voie maritime, mais la voie terrestre sera de plus en plus utilisée.

    Que faire contre cette forme de guerre?

    Mais, à supposer que l'on accepte l'analyse présentée ici, que faire? Une partie des Etats européens affirment encore qu'il n'y a rien à faire de plus que les mesures actuelles, d'une inefficacité croissante et qui sont par ailleurs principalement à la charge de l'Italie. Ils changeront d'avis quand ils seront directement touchés,mais ce sera trop tard. C'est maintenant qu'il faut agir. Le gouvernement italien pour sa part appelle l'Union européenne à l'aide, mais sans résultats. Aussi, en Italie, une partie de l'opposition, notamment appartenant à la droite radicale, commence à intervenir directement, notamment par des destructions de centres d'hébergement. Les attaques physiques contre les migrants ne tarderont pas. Les bonnes âmes, là encore, s'indigneront. Mais ces mêmes bonnes âmes accepteraient-elles d'héberger des familles de migrants dans leurs domiciles? On peut en douter. L'humanitaire se limitera souvent à offrir de recharger les batteries de téléphones portables.

    Plus officiellement, dans certains pays, Italie, France, Espagne, des parlementaires ou des militaires affirment qu'il faut agir en amont, c'est-à-dire intervenir militairement dans les pays qui aujourd'hui ou demain, serviront de base arrière aux passages, Libye notamment. Mais sous quelles formes, bombardements aériens, corps expéditionnaires à terre? Et où exactement? Pourquoi ne pas envisager d'autres pays africains, eux-aussi bases de départ, Mauritanie, Érythrée, Éthiopie, Somalie, voire une dizaine d'autres. Cependant il faut bien voir que, simplement en Libye, et malgré les demandes de l'Egypte, des interventions européennes seraient hors de porté d'une défense européenne qui pour le moment encore, n'existe pas. A plus forte raison serait-ce le cas s'il fallait faire la guerre dans pratiquement les trois quarts des pays africains.

    Une solution plus simple, et qui serait légitime au cas où une guerre de 4e génération contre l'Europe, utilisant l'arme des migrations, se précisait, serait de couler les navires affrétés par les passeurs et, par ailleurs, comme les Etats-Unis commencent à le faire sur leur frontière avec le Mexique, de tirer à vue sur les groupes de migrants. Il y aurait évidemment de nombreux morts, parmi ceux-ci, suscitant l'indignation d'une partie des opinions européennes, celles n'étant pas aux première ligne des vagues d'invasion notamment. Mais il faut bien voir, comme cela a d'ailleurs été dit sans résultats plusieurs fois, que les associations humanitaires européennes sont complices de la mort des migrants, en laissant espérer à ceux-ci qu'ils seront finalement accueillis et intégrés en Europe, ce qui n'aura évidemment pas lieu.

    Il n'est pas interdit de penser au contraire que, devant une réaction dure de l'Europe, les candidats aux migrations prendraient leur sort en mains dans leurs propres pays. Plutôt que se laisser terroriser par des bandes armées autochtones, ils s'armeraient pour se défendre contre ces dernières. C'est ce qu'ont fait récemment les Kurdes face aux agressions de Daesh et d'autres pays décidés à leur refuser des droits politiques. Ils ont constitué une armée qui commence à les faire respecter. Indiquons que la chose, sur un plan différent, se présente un peu similairement concernant les droits des femmes en pays musulmans. Si les femmes ne s'y défendent pas elles-mêmes, comme l'avait fait leurs sœurs ainées en Europe il y a un siècle, nul ne le fera à leur place. Ce ne sera pas en rêvant d'émigrer en Europe qu'elles pourront espérer changer de statut.

    Jean Paul Baquiast (Europe solidaire, 15 avril 2015)

     

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