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guerre - Page 71

  • Quelle mémoire pour la France ?...

    Nous reproduisons ici, en ce jour du 11 novembre, une belle réflexion de Jean-Yves Le Gallou sur la mémoire de la France, initialement publiée sur le site de Polémia.

    jean-yves le gallou,shoah

    11 novembre : la mémoire de la France est davantage à Verdun qu'à Auschwitz

    Le ministre de l’Education nationale a choisi symboliquement le jour de la rentrée scolaire, le 1er septembre 2011, pour recevoir Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), et le cinéaste Claude Lanzmann, auteur du film Shoah. Luc Chatel leur a redit solennellement l’importance primordiale qu’il accordait à l’enseignement de la « Shoah », une importance telle qu’elle justifie d’ailleurs l’existence d’un site officiel dédié sur le portail de l’Education nationale.

    La persécution dont les juifs ont été victimes durant la seconde guerre mondiale est naturellement un élément central de la mémoire juive. Et les souffrances des juifs français sont bien évidemment un élément important de la mémoire française. Nul ne peut oublier le souvenir de nos 25.000 compatriotes juifs français (et des 50.000 juifs étrangers présents en France) déportés dans les camps de concentration dont bien peu eurent, comme Simone Veil, la chance de revenir en France.

    Hypermnésie de certaines souffrances, amnésie des autres

    Mais ces souffrances-là ne doivent pas conduire à nier ou à minimiser les autres drames français. Or, l’hypermnésie de la souffrance des uns conduit souvent à l’amnésie de la souffrance des autres. A-t-on le droit d’oublier (chiffres donnés par Jacques Dupâquier dans Histoire de la population française) :

    • - les 123.000 militaires tués en 1939/1940 ; dans la bataille de France, en ce printemps 1940, c’est 3.000 hommes qui sont tombés chaque jour, le plus souvent en combattant, à l’instar des Cadets de Saumur ; - les 45.000 prisonniers de guerre qui ne revinrent jamais ;
    • - les 20.000 tués des FFI et des FFL ;
    • - les 27.000 résistants morts en déportation ;
    • - les 43.000 morts de l’armée de la Libération ;
    • - les 40.000 requis morts en Allemagne ;
    • - les 125.000 victimes des bombardements aériens (pas toujours justifiés militairement) et terrestres.

    Oublier ces victimes, ce n’est pas seulement un déni de compassion, c’est les tuer une deuxième fois ; c’est aussi trahir la vérité historique.

    Ce qui compte dans la mémoire d’un peuple c’est ce que ses ancêtres ont charnellement vécu

    Et pourtant ces victimes furent honorées dans l’immédiat après–guerre : par les timbres-postes, les noms de rue, les livres, les films, les disques, et ce jusqu’au début des années 1970, avant de disparaître dans l’obligation de repentance et l’oubli officiel. Pourtant ces victimes-là sont encore très présentes dans la mémoire française : parce que, les événements qui ont provoqué leur mort, ceux qui ont survécu les ont aussi connus et pas seulement au… cinéma. Or ce qui se transmet dans la mémoire des familles et des lignées, c’est ce que les ancêtres ont vécu. La patrie, c’est la terre des pères.

    Français de souche ? Avoir son patronyme inscrit sur un monument aux morts

    C’est pourquoi dans chaque famille française la mémoire de 1914 est si vive. Chaque famille conserve le souvenir des 1.400.000 morts de la Grande Ordalie : 1.000 morts par jour pendant quatre longues années. Et les Français vivants ont tous un père, un grand-père, un arrière-grand-père ou un trisaïeul qui a combattu à Verdun. Dans cette guerre civile européenne, c’est le sang gaulois qui a coulé. La présence dans nos villes et nos villages des monuments aux morts est infiniment poignante.

    Réfléchissons un instant à ce qu’est un Français de souche : un Français de souche, c’est un Français dont le patronyme est inscrit sur l’un de nos monuments aux morts.

    Un Français de souche, c’est un Français qui a dans ses archives familiales les lettres ou les carnets d’un ancêtre qui raconte avec des mots simples le quotidien de la Grande Guerre. Alors qu’approche le centenaire du 2 août 1914, ces écrits simples, précis et sans emphase, trouvent le chemin de l’édition : pieuses autoéditions familiales ou publication chez de grands éditeurs comme le carnet de route du sous-lieutenant Porchon (*). N’oublions pas non plus le succès du Monument, livre de Claude Duneton, qui raconte la vie des hommes dont les noms sont inscrits sur le monument aux morts d’un village du Limousin. Comme le dit un lecteur sur le site d’Amazon : « Vous ne traverserez plus jamais un petit village de France sans chercher des yeux son monument aux morts et avoir une pensée émue pour ces hommes dont le nom est gravé. Quels auraient été leurs destins et celui de leurs villages sans cette guerre ? Un livre à lire et à faire lire pour ne pas oublier. »

    Reprendre le fil du temps dans la fidélité à la longue mémoire

    Le siècle de 1914 s’achève : après avoir vu disparaître le fascisme, le national-socialisme, le communisme, c’est le libre-échangisme mondialiste qui s’effondre sous nos yeux. Le centenaire de 1914 approche, et il sera, n’en doutons pas, profondément commémoré. Pour la France et l’Europe le moment est venu de reprendre le fil du temps et de la tradition. Un fil du temps interrompu il y a un siècle. Un fil du temps à reprendre dans la fidélité à la longue mémoire.

    Jean-Yves Le Gallou (Polémia, 7 novembre 2011)

    (*) La précision de ces textes est admirable. J’ai eu la surprise de lire la narration des mêmes événements – attaques et contre-attaques aux Eparges en janvier/février 1915 – dans trois textes différents :
    - Carnet de route du sous-lieutenant Porchon, saint-cyrien, chef de section, tué au combat, commandant la section voisine de celle du sous-lieutenant Genevoix ;
    - Ceux de 14, admirable somme de Maurice Genevoix, blessé au combat ;
    - Mémoires d’Auguste Finet, mon grand-père, simple soldat, sorti de l’école à onze ans et écrivant bien le français, blessé au combat.
    Ce sont les mêmes faits qui sont précisément décrits, presque avec les mêmes mots. A cet égard la belle reconstruction littéraire de Maurice Genevoix est d’une fidélité parfaite aux événements.

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  • Faut pas rire avec les barbares...

    «J'ai bousculé les vieux pour mieux fouiller la maison, terroriser et ne pas risquer d'être surpris. Naturellement, je hurlais — c'est la consigne, la logique : on doit hurler. C'est à ce moment-là qu'elle est partie en courant. De la porte, j'ai lâché une courte rafale pour l'obliger à se coucher, mais mon chargeur s'est bloqué ; le temps de le dégager, et elle avait atteint l'orée du village et la diguette. Elle courait à petits pas pressés. Les gars se sont alors mis en position sur la lisière, doucement, en prenant bien leur temps, comme à la foire. J'ai vu une traceuse ricocher sur le petit corps et grimper en chandelle vers le ciel, comme une âme assoiffée de Dieu. Elle s'est arrêtée, comme essoufflée. Puis elle a encore fait deux ou trois pas, les bras ballants, avant de s'affaisser sur elle-même, dans ses vêtements, comme un suaire abandonné par son fantôme. Elle avait été jolie, fine, menue, comme seuls peuvent l'être ces merveilleux enfants du Viêt-nam. Elle n'était plus qu'un minuscule tas de vêtements. Il n'y avait plus d'intelligence, plus de beauté, plus de rire dans le monde. Elle avait tout emporté avec elle — tout l'amour, toute la joie de vivre — nous laissant seuls, sans idéal, sans victoire.»

     

    Les éditons de la Manufacture du livre viennent de rééditer Faut pas rire avec les barbares, d'Albert Spaggiari, initialement paru chez Robert Laffont en 1977. Dans ce livre, Albert Spaggiari, bien connu pour avoir été le cerveau du célèbre "casse", par les égouts, de la Société générale de Nice, en 1976, raconte ses souvenirs de guerre en Indochine. Une chronique assez crue qui nous met dans les pas de guerriers, de soudards gouailleurs et sans illusions, et dans laquelle l'auteur apparait sous les traits du personnage de Bert...

     

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    "Albert Spaggiari est connu pour avoir été le cerveau du « casse du siècle» de la Société Générale de Nice. Ancien soldat, écrivain et photographe, après une évasion spectaculaire, il aura nargué la police française durant sa cavale qui durera jusqu’à sa mort en 1989.

    Faut pas rire avec les barbares ne parle ni du casse de la Société Générale, ni du grand banditisme, mais de la guerre d'Indochine. Spaggiari, ancien para d’Indochine, pioche dans ses souvenirs et dans ceux des soldats qu'il a connus là bas. Ce livre, rédigé à la prison de la Santé, où ses activités OAS l'ont envoyé plusieurs années après l’Indo, et bien avant le casse de la Société Générale de Nice, sera publié par Robert Laffont en 1977.

    L'Indochine de Spaggiari, c'est un mélange de Schoendoerffer, de Platoon et du Malraux de La Voie Royale. Une guerre de soudard. Un des rares témoignages vécus de cette guerre oubliée."

     
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  • L'émergence des guerres criminelles...

    Nous reproduisons ici un article du criminologue Alain Bauer, cueilli sur le site du Nouvel Economiste et consacré à la montée en puissance des organisations criminelles dans le monde chaotique qui nous entoure.

     

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    L'émergence des guerres criminelles

    Longtemps on a vu le criminel comme un individu singulier, parfois épaulé par un petit groupe (une bande, un gang, un posse…) qui, au rythme d’une carrière plus ou moins spectaculaire, construisait une légende ou un mythe. Chefs de gang, meurtriers en série ou de masse ont ainsi construit leur image au rythme du développement des moyens de communication. Quel média pourrait survivre sans sa (ses) page(s) de faits divers ?

    Public, journalistes, et parfois policiers étaient eux- mêmes fascinés par ces “beaux voyous” et quelques road-movies plus ou moins imaginaires mais basés sur des faits réels, condensés dans le temps et dans l’espace.

    Depuis la reconnaissance, un peu forcée, par Edgar Hoover de l’existence de la Mafia aux Etats-Unis, après le “raid d’Apalachin” fin 1957, le crime organisé a trouvé sa place. Mais pendant longtemps, il n’était identifié que par des chefs de file de familles, ayant développé des “business models” marqués par des opérations criminelles classiques (racket, prostitution, trafics) largement sous-estimées. L’industrialisation financière du crime a connu sa première étape marquante dans les années 80 par le siphonage des caisses d’épargne américaines (160 milliards de dollars) puis des banques hypothécaires japonaises (plus de 800 milliards de dollars détournés). Les organisations criminelles russes ne rateront pas les opportunités de la privatisation des années 90 en détournant près de 100 milliards de dollars. Les Mexicains prendront immédiatement la suite en prélevant près de 120 milliards durant la crise “Tequila” en 1994/1995. Puis le crime organisé thailandais en 1997, les Argentins en 1998, avant le retour de la crise des subprimes en 2009 qui cette fois-ci atteindra la planète entière.

    Non seulement la mondialisation criminelle n’a pas attendu celle des Etats, mais elle les a atteints au cœur. De plus, considérant la faiblesse de certains Etats, les cartels criminels ont décidé de recréer des territoires qui ne sont plus limités à quelques jungles difficiles d’accès, comme ce fut le cas pour les FARC en Colombie ou du Triangle d’or birman.

    Ainsi, depuis quelques années, les conflits entre cartels mexicains au nord du pays se sont traduits par des massacres dont la quantification dépasse désormais le bilan des conflits afghans etirakiens réunis. Dans certaines villes mexicaines, de véritables armées, équipées et en uniforme, tentent de prendre le contrôle des localités dans des batailles rangées. C’est d’ailleurs irrégulièrement le cas lors de confrontations avec les garde-frontières américains confrontés à des véhicules blindés des cartels.

    Le 20 septembre dernier, l’un des cartels a ainsi “livré” en pleine ville de Boca del Rio une cargaison de 35 cadavres, la plupart torturés ou mutilés.

    A Karachi, une ville de 20 millions d’habitants, la guerre se poursuit au quotidien et dépasse largement les opérations commandées par des talibans contre l’Etat pakistanais ou les Occidentaux.
    La situation se dégrade au jour le jour au Guatémala, fief des Maras. La piraterie se développe à un rythme quasi exponentiel dans le golfe d’Aden et au large de la Somalie, gagnant des territoires maritimes de plus en plus étendus.

    Les autorités chinoises, souvent discrètes, ont ainsi annoncé publiquement avoir démantelé des triades fortement implantées et arrêté plusieurs milliers d’individus en raison de leurs activités criminelles.

    Les actions de la criminalité organisée sont devenues de véritables opérations militaires, disposant de moyens de plus en plus modernes et capables de se confronter aux forces étatiques les plus structurées, et pas seulement dans des Etats échoués.

    Il semble encore difficile à certains grands Etats d’admettre la réalité d’un monde chaotique qui se développe malgré eux. Les structures publiques rêvent encore d’un espace disparu où seules des superpuissances feraient régner un ordre supérieur, uniquement perturbé par quelques opérateurs criminels se contenant du tout-venant habituel. Il sera toujours temps de forger un concept médiatique pour traiter, après “l’hyperterrorisme”, de “l’hypercriminalité”. En attendant cette révélation tardive, le crime se développe. Il est devenu un acteur financier majeur. Il est en train de se construire un espace géopolitique impressionnant.

    Le rôle des criminologues ne se limite pas à celui de Pythie désespérée ou de Cassandre désabusée. Avec mes collègues Xavier Raufer ou François Haut, dans ces colonnes et ailleurs, notre rôle est d’informer et d’alerter, y compris en tentant de sortir du conformisme ambiant. Nous ne prévoyons ou n’anticipons rien qui n’aurait, sur cette question, déjà eu lieu. Rien de ce qu’un esprit honnête ne puisse constater par lui-même. Le temps stratégique s’accélère au rythme d’Internet. Comme l’enracinement criminel un peu partout sur la planète.
    Il serait temps de se rendre compte de la réalité. Au Mexique, au Pakistan, en Amérique centrale… Et ailleurs.

    Alain Bauer (Le nouvel Economiste, 30 septembre 2011)

    1. Voir notamment son excellent Quelles guerres après Oussama ben Laden, Plon 2011.

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  • Si rien n'est fait...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, cueilli dans Libération, avec Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (François Bourin Editeur, 2011)

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    Journaliste et économiste, Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (chez François Bourin Editeur), une analyse de la stratégie de puissance de la Chine face au déclin consenti des puissances occidentales. Il explique les profonds déséquilibres, aggravés par la crise, qui se creusent au détriment de celles-ci.

    La question du yuan est au menu des discussions du G20 à Washington. Quel est le problème avec la monnaie chinoise?

    Le yuan est la monnaie de la seconde puissance mondiale, du premier pays en termes de détention de réserves de change. Or cette monnaie n'est pas convertible: la Chine exerce un contrôle des changes pour en contrôler strictement la valeur. Le yuan est considérablement sous-évalué. De plus, depuis trente ans, la stratégie de Pékin est d'indexer le yuan sur le dollar, pour que les évolutions de ces deux monnaies soient synchronisées.

    Quels sont les avantages de cette stratégie monétaire?

    Elle permet d'attirer les multinationales sur le sol chinois. Garder la monnaie sous-évaluée permet de produire moins cher. Les Chinois se souviennent qu'en 1985, Washington avait forcé les Japonais à réévaluer le yen, tordant le cou à l'industrie japonaise. Ils ne laisseront pas la même chose leur arriver.

    Par ailleurs, indexer le yuan sur le dollar, c'est garantir aux multinationales qu'elles ne prennent pas de risques de change. En retour, la Chine demande à celles-ci de produire pour l'exportation, pas pour le marché local. C'est une stratégie géniale, un pacte gagnant-gagnant: les multinationales engrangent les bénéfices, et la Chine les excédents commerciaux. Aux dépens de l'industrie et des balances commerciales de l'Europe et des Etats-Unis, qui perdent des emplois et des capitaux.

    Quel est l'intérêt pour la Chine d'accumuler ces excédents?

    D'abord, le pays ne peut pas basculer brutalement d'un modèle mercantiliste, basé sur l'exportation, à un modèle de consommation intérieure. Ensuite, la Chine vieillit, comme l'Allemagne: dans 20 ou 30 ans, il faudra financer un grand nombre de retraites. D'où le besoin d'engranger des recettes à l'export.

    Enfin, celles-ci permettent de racheter des actifs. Par exemple des bons du Trésor américain, c'est-à-dire la dette publique des Etats-Unis. Pékin se tourne aussi de plus en plus vers des actifs tangibles: telle ou telle entreprise qui dispose d'une technologie convoitée, telle autre, point d'entrée pour un marché particulier. On s'attend aussi à une importance croissante de la Chine dans la finance.

    Quelles sont les conséquences de cette politique pour les économies occidentales?

    Elle entraîne pour l'Europe et les Etats-Unis des déficits commerciaux considérables. Non seulement les emplois, mais aussi les capitaux sont délocalisés en Asie. Les multinationales n'investissent plus en Occident. Qu'est-ce qu'il reste? Des emplois publics, avec lesquels on espère masquer l'hémorragie d'emplois marchands. Tandis que l'on fait des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux super-riches.

    Est-il impossible de faire pression sur la Chine pour qu'elle infléchisse sa politique monétaire?

    L'erreur a été de l'admettre à l'OMC, en 2001, sans lui demander de renoncer au contrôle des changes. Entre 2005 et 2008, la Chine a procédé à une réévaluation par petites touches, 1% de temps de en temps, sous la pression internationale. Avec l'arrivée de la crise, ils se sont complètement réindéxés sur le dollar. Depuis quelques mois, ils ont repris leurs petites réévaluations. Mais pour mettre le yuan à son niveau réel, il faudrait le réévaluer de 30 ou 40%. D'un autre côté, on peut comprendre les Chinois, qui ne veulent pas alimenter l'inflation par une hausse importante.

    Mais, en l'absence d'une forte demande intérieure, la Chine n'a-t-elle pas intérêt à la prospérité de ses principaux partenaires commerciaux?

    Elle est obligée à un pilotage assez fin. Mais globalement, on est à un moment où la machine économique échappe à ses acteurs. Plus personne ne maîtrise plus rien, et Pékin ne peut pas racheter les dettes de tous les Etats européens. Les Chinois se sont déclarés prêts à aider, mais c'est surtout un effet d'annonce.

    Peut-on espérer un front uni des Occidentaux sur le yuan lors du G20 de Cannes, début novembre?

    Je crains que les Européens ne soient pas unis. Le principal partenaire de la Chine en Europe, c'est l'Allemagne, qui a adopté la même stratégie mercantiliste en réalisant ses excédents sur la zone euro. Le fait que l'euro soit trop fort par rapport au yuan, les Allemands s'en fichent: ils occupent la niche du haut de gamme. Le taux de l'euro, ça joue peu quand on vend des Mercedes. C'est plutôt nous, Français, qui sommes concernés par la question. Quant aux Américains, qui seraient les seuls à pouvoir faire pression sur la Chine, ils ne remettent pas en cause son adhésion à l'OMC, par attachement au libre-échange. Ils n'ont pas compris les problèmes que pose leur déficit commercial, alors que l'Amérique s'appauvrit.

    Il ne faut donc pas trop compter, selon vous, sur les grands changements annoncés?

    Non. Les Chinois veulent que leur monnaie devienne à terme la seconde devise mondiale, voire la première. Ils ont déjà suggéré aux autres puissances émergentes de ne plus utiliser le dollar pour leurs échanges entre elles, mais une monnaie commune, et pourquoi pas le yuan...

    Que peut faire l'Europe face à cette nouvelle super-puissance chinoise?

    L'Europe à 27 est une hérésie. La France doit se mettre à table avec l'Allemagne et discuter d'une nouvelle étape de la construction européenne. Peut-on continuer à vivre ensemble, avec les compromis que cela implique? Il faut alors construire une vraie puissance européenne, avec une vraie géostratégie. Les brésiliens ont créé des taxes à l'importation, obligent Apple à produire sur place, idem pour les voitures. L'Europe doit y venir aussi.

    Pourquoi avoir titré votre livre «Mourir pour le yuan»?

    A la longue, si rien ne se passe, si on continue à accumuler les déséquilibres, comme au début du XXe siècle, l'issue sera la même: la guerre.

    Propos recueilli par Dominique Albertini

    Libération (24 septembre 2011)
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  • Mourir pour le yuan ?...

    Les éditions François Bourin viennent de publier Mourir pour le Yuan ?  - Comment éviter une guerre mondiale, de Jean-Michel Quatrepoint. Journaliste et professeur d'économie, Jean-Michel Quatrepoint dénonce le déclin consenti de l'Europe face à la Chine et en appelle à une politique de puissance du noyau carolingien de notre continent. Sinon, l'accumulation des déséquilibres mènera inéluctablement à la guerre...

     

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    "Faillite de la Grèce. Endettement record des États-Unis. Crise de l’euro. Rigueur et austérité un peu partout en Occident.
    Chômage de masse. Économies exsangues. La globalisation, censée apporter bonheur et prospérité au plus grand nombre, tourne au cauchemar pour des centaines de millions de membres des classes moyennes, lentement mais sûrement paupérisés. Trois ans après la chute de Lehman Brothers, rien n’a été réglé. Bien au contraire. Les causes de la crise – déséquilibres commerciaux et déficits qui en découlent – sont toujours là. La Chine, avec son yuan sous-évalué, continue d’engranger des excédents et poursuit sa stratégie de conquête. L’Allemagne mercantiliste est tentée de jouer cavalier seul. Multinationales et financiers imposent leurs lois à des États de plus en plus impuissants. Les inégalités explosent, et avec elles, les risques d’implosion sociale.
    Comment éviter la catastrophe qui s’annonce ? Comment faire pour que cette seconde globalisation ne connaisse pas le même sort que la première, qui s’est fracassée un jour d’août 1914 ?"
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  • Le nouveau B.A. BA du BHL...

    Les éditions La Découverte rééditent, dans une version mise à jour et remaniée, Le nouveau B.A. BA du BHL, une enquête de Jade Lindgaard et de Xavier de la Porte, initialement publiée en 2004. Un déboulonnage en règle du personnage le plus nuisible et le plus arrogant du paysage intellectuel français !...

     

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    "Bernard-Henri Lévy porte beau : photogénique, chemise blanche impeccable, il a le sens de la formule et semble toujours prêt à surgir dans votre poste de télévision pour dénoncer l’injustice et les nouvelles « barbaries ». En apparence, un démocrate militant, un intellectuel de gauche engagé, à la Sartre. Vous pensez peut-être qu’il est un philosophe courageux, prompt à réveiller les consciences endormies.

    Vous avez tort. BHL n’est ni philosophe, ni intellectuel influent, ni militant des sans-grade, ni journaliste chevronné. Comme le montre cette enquête fouillée – version actualisée et largement remaniée du B.A. BA du BHL (La Découverte, 2004) –, c’est un excellent publiciste, une star des médias dotée et un essayiste à succès. Et aussi un ami des grands patrons et des dirigeants politiques, à commencer par Nicolas Sarkozy. C’est que BHL propose une offre qui rencontre une demande : il fait le spectacle, produisant le grand récit hollywoodien du monde que les médias aiment relayer et que les pouvoirs chérissent, car il les protège du feu de la critique. Il a occupé le devant de la scène lors du déclenchement de la guerre en Libye et, au nom de l’ingérence humanitaire, se préoccupe de l’Iran et du Darfour. Mais sa défense des opprimés pase au second plan lorsqu’il s’agit d’Israël, dont il relaie la communication officielle. Et son féminisme est à géométrie variable : il défend l’irakienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, menacée de lapidation, tout en décrétant par principe Dominique Strauss-Kahn inocent de l’accusation d’agression sexuelle portée contre lui.

    À soixante ans passés, l’intellectuel est un cas plus intéressant que sa propre personne. Il incarne un mouvement qui le dépasse, mais dont il fut l’un des moteurs : la réinvention du pouvoir médiatique en illusion intellectuelle."

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