Pourquoi l’organisation d’un « islam de France » pacifique et représentatif est impossible
Depuis les années 80 et l’affaire du voile à Creil, la question de la « gestion » de l’islam en France a été une préoccupation constante des différents pouvoirs politiques qui se sont succédés. Au fur et à mesure de l’avancée de l’islamisation, la volonté de faire émerger des interlocuteurs de la communauté musulmane n’a cessé d’être à l’agenda. L’objectif : parvenir à avoir le contrôle de l’islam via des instances supposées être représentatives. Concrètement, ce fut bien souvent une illusion de domestication, au profit d’une soumission quant à elle bien réelle.
Dès 1999, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, organise une consultation rassemblant toutes les fédérations musulmanes, les grandes mosquées et certaines personnalités et leur soumit un texte qui ne pouvait « faire l’objet d’une négociation ». Pourtant, devant la bronca suscitée par quelques lignes souhaitant consacrer « le droit de toute personne à changer de religion ou de conviction », Chevènement décida finalement de retirer discrètement le passage polémique à la grande satisfaction des autorités musulmanes, l’UOIF (proche des islamistes des Frères musulmans) en tête.
En 2003, c’est au tour de Nicolas Sarkozy de vouloir remodeler l’organisation du culte musulman (avec la création d’une nouvelle structure, le CFCM – Conseil Français du Culte Musulman) au prétexte qu’il ne voulait pas d’un « islam en France », mais un « islam de France »… Mais cette volonté d’un islam francisé s’écroule très rapidement : dès la première élection des représentants du CFCM, les islamistes de l’UOIF arrivent en 2e position, devant la Grande Mosquée de Paris et son médiatique recteur Dalil Boubakeur. Par un tour de passe-passe permettant de surmonter ce résultat problématique, c’est néanmoins ce dernier qui obtient la présidence du CFCM.
Cette ambigüité va contribuer à créer un fossé qui ne va aller qu’en s’accroissant au fur et à mesure des années. L’UOIF marginalisée au sein du CFCM, Dalil Boubakeur décrédibilisé au sein de la communauté musulmane pour sa supposée trop grande proximité avec le pouvoir politique, l’essor du salafisme en dehors du CFCM et la « radicalisation » progressive d’une partie importante des musulmans de France ont contribué à créer une scission entre la base de cette communauté et des dirigeants souvent perçus comme illégitimes ou peu représentatifs.
Maladroitement, de nombreuses célébrités médiatiques et politiques essayeront de pallier à l’échec du CFCM par la promotion de personnalités, pensant naïvement qu’ils parviendraient à imposer par le haut des représentants à la communauté musulmane. Ce fut tout l’inverse : la mise en avant d’un individu comme l’imam Chalgoumi (dont le parcours est trouble : il fut fiché dans les années 90 pour avoir appelé au djihad dans ses prêches), présenté comme un « imam républicain », quasi-analphabète et ne cessant de dénoncer l’extrémisme islamique fut ressenti comme une forme de trahison, et eut pour conséquence d’accroître encore cette défiance.
Suite aux attentats de Charlie Hebdo, bien qu’officiellement ces attaques n’aient eu « rien à voir avec l’islam », le gouvernement socialiste se hâta de réformer l’organisation des musulmans de France avec la création d’une Fondation pour l’islam de France. L’objectif était de parvenir à une instance « plus représentative » mais « sans extrémistes ». Soit l’équation impossible à résoudre (d’ailleurs des dirigeants de l’UOIF y participèrent). Car soyons clair : pour qu’elle soit réellement emblématique, une représentation des courants ouvertement salafistes serait nécessaire. Or c’est impossible. Du coup, le serpent se mord la queue.
Plusieurs groupes salafistes l’ont bien noté. Certains réclament (avec un sens stratégique certain) la fin de l’islam consulaire où les imams sont envoyés par des pays étrangers (Algérie, Maroc et Turquie notamment). « Nous voulons des imams français et des représentants français ! » disent-ils sournoisement. L’objectif est en réalité simplement de prendre le contrôle des mosquées pour en finir avec l’islam « bledard » pas suffisamment salafiste à leurs yeux.
Pour chaque gouvernement, (et la question se pose actuellement pour le gouvernement de Macron) l’organisation communautaire des musulmans de France est un véritable casse-tête, encore plus aujourd’hui à l’heure du djihad et des attentats islamistes incessants. Auparavant, le pouvoir politique pouvait choisir les représentants de la communauté musulmane, ces derniers montraient patte blanche en chantant les louanges de la République sur les plateaux télé et recevaient en retour des facilités, notamment pour construire des mosquées. Ce n’est plus -autant- possible aujourd’hui. Une méfiance s’est largement répandue au sein de la population française envers ces représentants communautaires au discours qui sonne faux. De l’autre côté, une large part de la communauté musulmane perçoit une partie de ces porte-parole comme des traîtres. L’équation est impossible à résoudre : faut-il intégrer les courants islamistes les plus durs dans des organes officiels et avoir une vraie représentativité des musulmans – mais en leur reconnaissant une légitimité – ou bien les ignorer et n’avoir de fait que des coquilles vides et accentuer le divorce ?
Sur ce sujet comme sur d’autres, le réel poussera à renverser complètement le paradigme. En effet, dans les termes actuels, résoudre cette problématique de la représentativité des musulmans est impossible. Parce que la solution n’est pas là. La solution n’est pas « islam de France » ou « islam en France » mais islam hors de France ! Plus que jamais, seule la remigration, c’est-à-dire le retour dans leur pays d’origine d’une majorité de musulmans permettra de résoudre toutes ces crises paraissant aujourd’hui insolubles.
Sébastien Froment (Novopress, 29 mai 2018)