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etats-unis - Page 54

  • Le maniement des hommes...

    Les éditions La Découverte viennent de publier un essai de Thibault Le Texier intitulé Le maniement des hommes - Essai sur la rationalité managériale. L'auteur est chercheur en sciences humaines, attaché à l'université de Nice.

     

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    " Regardons autour de nous. À quoi ressemble notre monde, sinon à un continuum fonctionnel d'appareils, d'organisations et de managers ? Depuis un siècle, tandis que la critique vilipendait le capitalisme et l'État, la gestion, subrepticement, s'est immiscée partout. Ainsi manageons-nous aujourd'hui les entreprises et leurs salariés, certes, mais aussi les écoles, les hôpitaux, les villes, la nature, les enfants, les émotions, les désirs, etc. La rationalité managériale est devenue le sens commun de nos sociétés et le visage moderne du pouvoir : de moins en moins tributaire de la loi et du capital, le gouvernement des individus est toujours davantage une tâche d'optimisation, d'organisation, de rationalisation et de contrôle. Ce livre montre comment cette doctrine, forgée il y a cent ans par une poignée d'ingénieurs américains, a pu si rapidement conquérir les consciences, et comment l'entreprise a pris des mains de l'État et de la famille la plupart des tâches nécessaires à notre survie. "

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  • Etats-Unis, France : ne pas désespérer des citoyens de la base...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur son site Europe solidaire et consacré à la contestation de l'oligarchie par les citoyens de la base, aux Etats-Unis comme en France...

    Jean-Paul Baquiast anime également le site d'information techno-scientifique Automates intelligents.

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    Etats-Unis, France. Ne pas désespérer des citoyens de la base

    On dit, et nous le répétons volontiers souvent tant le jugement paraît juste, qu'aux Etats-Unis, 1% de super-puissants gouvernent les 99% restant, ceux l'on pourrait nommer les citoyens de la base. La chose se retrouve dans tous les pays du monde, y compris en France. Cependant elle y est moins marquée chez nous et en Europe, vue la survivance de ce qui reste d'un ancien Etat-providence.

    Or le récent discours sur l'Etat de l'Union prononcé par Barack Obama devant le Congrès le 12 janvier, illustre bien cette domination des super-puissants, dont il est le représentant au plus haut niveau de l'Etat. Le discours n'a évidemment pas fait allusion à l'immense croissance des inégalités sociales, le démantèlement d'une partie de l'industrie, le déclin mondiale du capitalisme américain et la domination croissante d'une élite financière parasite et souvent maffieuse.

    Tous ceux qui écoutaient le Président ne pouvait pas se dissimuler que, malgré ses accents volontaristes, il ne dominait rien, laissant le pouvoir aux militaires les plus militaristes, aux agences de renseignement et à Wall Street. Concernant les relations extérieures, il n'a pas évoqué le fait qu'élu pour arrêter la guerre en Irak, il a amplifié la politique des ses prédécesseurs, en ajoutant à la guerre en Afghanistan de nouvelle guerre en Libye, Syrie et Irak, en multipliant le recours à l'usage de drones destructeurs des populations et surtout en accumulant les provocations à l'égard de la Russie et de la Chine, pouvant conduire à de nouvelles guerres mondiales.

    A l'inverse, le thème essentiel de son discours a consisté à exalter la force militaire des Etats-Unis et sa volonté personnelle d'y recourir encore partout si nécessaire. Il a proclamé avec un cynisme incroyable “The United States of America is the most powerful nation on Earth. Period. Period. It's not even close. It's not even close. It's not even close. We spend more on our military than the next eight nations combined. Our troops are the finest fighting force in the history of the world. No nation attacks us directly, or our allies, because they know that's the path to ruin.” La presse française a traduit cela, sans d'ailleurs s'en indigner, par « Les Etats-Unis sont la nation la plus puissante du monde. Point final"

    Le bilan, pour une bonne partie des médias américains non-alignés, est tout au contraire la généralisation du passage à un Etat oppressif, multipliant l'espionnage, arrêtant les semeurs d'alerte, militarisant la police et protégeant en toutes occasions les meurtres accomplis par elle. Le bilan est représenté par les milliers de milliards de dollars consacrés à réparer les spéculations criminelles des banquiers de Wall Street responsables de la crise de 2008 et de ses suites, les économies imposées à ce qui reste de services publics sociaux et éducatifs, le vol des épargnes privées imposé aux « bénéficiaires » de la pseudo réforme de la Sécurité Sociale dite « Obamacare ».

    Les citoyens de la base

    Mais qu'en pensent les premiers concernés, les citoyens de la base? Manifestement, le bel enthousiasme ayant accueilli Obama après son élection a presque totalement disparu. Ceci que ce soit autant parmi les électeurs républicains que parmi les électeurs démocrates. Chez les premiers, la popularité croissante de Donald Trump inquiète de plus en plus l'establishment. Issu lui même de cet establishment, Trump, pour des raisons qui ne sont pas simplement électoralistes, mais répondent sans doute à une conviction profonde, contredit toutes les « valeurs » et s'oppose à toutes les politiques défendues par ses rivaux républicains aux prochaines élections primaires.

    Et ceci lui acquière une popularité massive parmi ceux que nous nommions les citoyens de la base. Inutile d'y revenir ici. On peut espérer que, constatant le succès de ses propositions, il en ajoutera d'autres de la même eau. S'il est élu à la Maison Blanche, l'establishment aura plus de mal à le mettre en tutelle qu'il n'en a eu avec Obama.

    Mais du coté des Démocrates, se profilent d'autres évènements tout aussi porteurs d'espoirs. D'une part la « candidate incontournable » qu'était Hillary Clinton semble faire eau de toute part. Ce sera une excellent chose pour la paix du monde, car elle était bien partie pour déclencher la 3e guerre mondiale évoquée plus haut. N'y revenons pas.

    D'autre part, du coté opposé aux Républicains, la concurrence de Bernie Sanders au départ considéré comme un candidat marginal, s'est manifestée avant les primaires et n'a cessé de s'affirmer depuis. Sanders porte de plus en plus nettement un message anti-establishment qui convainc un nombre croissant des électeurs de la base. Même si ses objectifs sont encore mal précisés, et comportent en matière de politique étrangère des aspects très conservateurs, il est présenté partout comme socialiste, et de plus en plus prisé comme tel.

    Or même si le « socialisme » de Sanders n'est pas le même que celui généralement entendu par ce mot en Europe, il comporte cependant des mesures très révolutionnaires pour les Etats-Unis, le rapprochant dans une certaine mesure des premières ambitions de Roosevelt ou du Labour Party britannique à la fin de la 2e guerre mondiale. 1)

    Qu'en sera-t-il en France?

    En France, ceux qui commencent à ne plus supporter le conservatisme et la docilité vis-à-vis de l'establishment manifestés tant par le PS que les Républicains, se demandent quel(le) candidat(e) pourrait lors des prochaines élections présidentielles, incarner des ambitions à la Trump ou à la Sanders. Aucun n'apparait du côté de la gauche radicale, où continue à régner l'atonie alors que de nombreux thèmes « révolutionnaires » pourraient être défendus.

    A l'extrême-droite, on trouve bien évidemment le FN et sa candidate Marine Le Pen. Mais beaucoup s'interrogent sur la capacité du parti et de sa présidente à présenter des objectifs clairs et surtout à les mettre en oeuvre une fois au pouvoir, soumis qu'ils seront aux pressions formidables du grand capital international.

    Il faudrait dans tous les cas, comme d'une certaine façon le font Trump et Sanders, que les représentants de la gauche radicale et du FN, qui auraient un nombre considérable d'objectifs communs à présenter aux électeurs révoltés de la base, s'unissent clairement, derrière un candidat commun, pour le faire.

    Jean Paul Baquiast (Europe solidaire, 14 janvier 2016)

     

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  • Le déluge...

    Les éditions Les Belles Lettres viennent de publier un essai d'Adam Tooze intitulé Le déluge 1916-1931 - Un nouvel ordre mondial. Docteur en histoire de l'économie, Adam Tooze, après avoir été professeur à Cambridge, enseigne l'histoire moderne allemande à l'université de Yale. Son livre précédent Le salaire de la destruction - Formation et ruine de l'économie nazie , qui était particulièrement passionnant et iconoclaste, a été publié chez le même éditeur.

     

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    "1916. Prises dans le maelström de la Grande Guerre, avec des millions de morts et aucune résolution du conflit en perspective, les sociétés chancellent sur toute la surface du globe. Le coeur du système financier se voit transféré de Londres à New York. Les besoins en hommes et en matériel ne cessent d’augmenter et gangrènent les nations bien au-delà du front. L’effort de guerre sape toute entreprise économique et politique, induisant des changements sans précédent dans l’ordre social et industriel.
    Un siècle après le début des hostilités, Adam Tooze revisite ce cataclysme historique et interroge un impressionnant ensemble de sources sur la guerre, la paix et les conséquences du conflit. De l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 à la Grande Dépression, Tooze brosse le portrait d’un nouvel ordre mondial façonné par le pouvoir économique et militaire américain. L’analyse de la réaction des nations – y compris le tournant fasciste – face à l’omnipotence américaine fait du Déluge un ouvrage saisissant, d’une grande originalité, qui changera profondément notre vision de l’héritage de la Première Guerre mondiale. "

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  • Le stratège de l'empire...

    Les éditions Odile Jacob viennent de publier un essai de Justin Vaïsse intitulé Zbigniew Brzezinski - Stratège de l'empire. Conseiller de plusieurs président américain, Zbigniew Brzezinski est l'auteur d'un ouvrage essentiel, paru en 1997, Le grand échiquier, dans lequel il expose la stratégie que doivent suivre les Etats-Unis pour maintenir leur hégémonie sur le reste du monde. Expert pendant 6 ans d'un des principaux think tanks américain, la Brooking Institution, l'auteur de cet essai cache difficilement son admiration pour le personnage et sa vison stratégique. On notera d'ailleurs avec une certaine inquiétude, compte tenu de son parcours, que l'auteur dirige désormais le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères français...

     

     

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    " Comment un jeune immigré, polonais et catholique, devient-il le stratège de la plus grande puissance du monde ? Que nous révèle son parcours des évolutions de la géopolitique des États-Unis ?

    Arrivé en 1938 par paquebot à New York alors qu’il a tout juste 10 ans, admis à Harvard en 1950, Zbigniew Brzezinski s’est rapidement fait connaître comme l’un des experts les plus influents des relations internationales et l’un des meilleurs soviétologues de son temps. Avec Henry Kissinger, il incarne cette génération d’intellectuels issus de l’« université de guerre froide » qui s’est imposée en politique étrangère contre l’establishment et la vieille élite WASP. Sa carrière fulgurante le propulsera à la Maison Blanche comme conseiller à la Sécurité nationale du président Jimmy Carter, autre outsider de la politique. Dès lors, il ne cessera plus d’être consulté par les présidents américains jusqu’à Barack Obama, et son autorité dans le débat international se fera sentir sur tous les dossiers importants de notre temps, de la guerre d’Afghanistan à la chute du mur de Berlin, de l’intervention en Irak à la montée en puissance de la Chine.

    Un document exceptionnel sur la politique étrangère américaine et sur l’une de ses personnalités les plus marquantes. "

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  • Le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une note d'Hajnalka Vincze, cueillie sur le site de l'Institut de Veille et d'Etude des Relations Internationales (IVRIS) et consacré aux décisions européennes récemment adoptées vis-à-vis du programme Ariane. Analyste indépendante en politique de défense et de sécurité, Hajnalka Vincze a travaillé pour le ministère hongrois de la défense et a fondé l'IVRIS, un réseau d'experts européens dans les questions de défense et de géostratégie.

     

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    Ariane 6 : le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne ?

    Atout stratégique par excellence, le lanceur Ariane est le symbole même de l’Europe spatiale. Fait plutôt rare, c’est un succès à la fois politique, technologique et commercial. Or il risque aujourd’hui d’être détricoté, suite à un transfert inédit de contrôle et de compétences de l’Etat vers des industriels privés. 

    Le projet du nouveau lanceur, successeur de l’actuelle Ariane 5, fut approuvé en décembre 2014 par les ministres européens. Pour faire face à la concurrence internationale, en particulier à l’américain SpaceX et ses lancements à bas prix, ceux-ci ont accepté, de A à Z, un projet proposé par les industriels. Plutôt que de privilégier l’innovation technologique, ce projet se fonde sur la mainmise de ces derniers sur l’ensemble de la filière. Il prévoit une réorganisation-privatisation de fond en comble pour s’approcher d’un modèle, prétendument plus compétitif, importé des Etats-Unis ; mais sans la garantie des engagements étatiques qui, en réalité, le font vivre de l’autre côté de l’Atlantique.

    En agissant ainsi, les gouvernements européens, en premier lieu la France, prennent de sérieux risques. Outre les aspects financiers (qui laissent poindre le spectre d’une immense gabegie), c’est avant tout la modification des rapports de force entre industriels et pouvoirs publics qui s’annonce fort problématique. Donner les clés de ce programme hautement stratégique à des industriels comme Airbus, aux visées douteuses et à l’allégeance malléable, témoigne, de la part de l’Etat, d’une attitude pour le moins irresponsable.

    Postulats erronés

    Précisons d’emblée que la fusée, de même que la société qui l’exploite et le commercialise, Arianespace, est un succès incontesté et incontestable. Pour reprendre les propos de Stéphane Israël, le PDG d’Arianespace, récemment auditionné au Sénat, Ariane est « sur le point de battre un double record opérationnel et commercial », tout en étant une fierté européenne et nationale, ayant pour tâche principale de « garantir un accès indépendant de l’Europe à l’espace ». Chose surprenante par les temps qui courent, M. Israël n’oublie pas de rappeler l’effort collectif à la base de ces résultats remarquables. Quelques mois auparavant, devant les députés, il avait fait remarquer que « les systèmes de lancement que l’entreprise exploite, en particulier Ariane, n’existeraient pas sans la volonté et les investissements publics. Cette fusée est donc aussi un peu la vôtre. »

    Or, il est clair que la décision des gouvernements européens concernant la suite de l’aventure soulève plus de questions qu’elle n’en résout. La cause en est simple : ils partent de postulats idéologiques au lieu de s’en tenir aux faits, et préfèrent des gains mercantiles immédiats (par ailleurs incertains) à la stratégie et à la vision politique à long terme. Les deux sources d’inspiration derrière ce choix, entériné en décembre 2014 par les ministres de l’Agence spatiale européenne, étaient l’Allemagne et les industriels eux-mêmes. Comme l’a expliqué la ministre Fioraso à l’époque, c’est Berlin qui fut l’avocat d’« une intégration industrielle plus importante, une prise de risques plus grande des industriels », en faisant valoir que « si l’industrie prend davantage de risques, il est normal qu’elle participe davantage à la conception et qu’elle partage la stratégie ».

    Les industriels, eux, n’attendaient que cela. Ils avaient même devancé les gouvernements et les agences spatiales. Airbus, le maître d’œuvre, et Safran, le motoriste, avaient travaillé dans le plus grand secret, pour mettre les autorités publiques devant le fait accompli, en présentant, dès juin 2014 leur projet. En plus du design de la fusée, ils ont annoncé leur intention de fusionner leurs actifs respectifs, par la création d’une co-entreprise. Le tout assorti d’une condition de taille: la cession des parts du gouvernement français dans Arianespace. Deux semaines après, François Hollande lui-même donne son feu vert, lors d’un petit déjeuner rassemblant tous les acteurs principaux au palais présidentiel.

    La co-entreprise Airbus Safran Launchers (ASL) aura donc désormais autorité sur les lanceurs dans tous les segments. Outre le développement proprement dit, cela inclut donc la conception (jusqu’ici la prérogative des agences, désormais réduites à définir les grandes lignes), de même que la commercialisation. Car en juin 2015, le gouvernement français a, en effet, entériné la cession des 34% d’Arianespace détenus par le CNES à ASL, ce dernier devient ainsi premier actionnaire avec 74% du capital. Rappelons encore une fois qu’en arrière-fond de cette restructuration-privatisation sans précédent se trouverait la volonté de « l’optimisation » de la filière dans le but de réduire les coûts, pour relever le défi de la concurrence internationale.

    Paradoxalement, les points d’interrogation sur l’avenir d’Ariane sont moins liés à la compétition mondiale qu’aux choix opérés par les gouvernements européens soi-disant pour y faire face. A bien y regarder, le tant redouté américain SpaceX ne semble pas provoquer, en soi, un danger existentiel pour Ariane. Tout en reconnaissant les talents de son créateur Elon Musk (on lui doit également le service de paiement en ligne PayPal et les voitures électriques Tesla), il convient de souligner, comme l’a fait le PDG d’Arianespace, que les principaux atouts de SpaceX sont d’ordre politique, dans la mesure où le soutien indirect du gouvernement fédéral lui est fort bénéfique, à la fois en termes de marché captif (garanties de lancements domestiques) et en termes de prix.

    En effet, pour citer l’ancienne secrétaire d’Etat chargé du dossier, « les pouvoirs publics américains sont très impliqués ». Et Geneviève Fioraso de préciser que « la Nasa achète 130 millions de dollars à SpaceX un vol que l’entreprise va vendre à 60 millions de dollars à l’exportation. On peut appeler cela du soutien mais c’est du dumping ! » Curieusement, le patron d’Airbus Group, lui, passe cet aspect complètement sous silence lorsqu’il déclare vouloir s’inspirer de SpaceX, en louant notamment leur « dynamisme ». Fidèle à son dogme libéral-atlantiste, Tom Enders s’est servi de SpaceX pour revendiquer une restructuration complète de la filière avec, à la clé, plus de pouvoir aux industriels et la réduction du champ de contrôle des pouvoirs publics.

    Incertitudes persistantes

    La réorganisation en cours ne se fait pas sans mal, et comporte de sérieuses incertitudes pour Ariane. Pour commencer, l’annonce en fanfare du lancement du nouveau programme, et la passation des contrats qui s’en est suivie, ont failli faire oublier que les Allemands avaient obtenu un point d’étape (go/no go, autrement dit feu vert ou arrêt), à la mi-2016. Or si Berlin a été le grand avocat de l’option « industrielle » retenue pour Ariane 6 (restructuration-privatisation plutôt qu’innovation technologique), c’est avant tout parce qu’il considère le projet sous un angle mercantile. Son soutien risque de s’évaporer si, au lieu de la réduction escomptée des coûts du projet, l’opération finit, ce qui est fort probable, par en augmenter les frais.

    Outre la multiplication des factures imprévues présentées par les industriels, l’autre point d’interrogation sur le plan financier concerne les éventuelles réserves des clients actuels et potentiels. En effet, les constructeurs de satellites rivaux d’Airbus (dont c’est une des branches d’activité) pourraient ne pas trop apprécier ce nouvel arrangement. Airbus Group se veut rassurant : pour eux« notre objectif est de vendre le plus de lanceurs possible, y compris pour lancer les satellites de nos concurrents. Rien ne justifie la moindre inquiétude à ce sujet ». Pourvu que les clients partagent ce sentiment. Car même si on leur promet une cloison impénétrable entre satellites faits maison et fusées, il est difficile d’empêcher qu’à un moment ou un autre, le doute surgisse. Que ce soit l’octroi des créneaux de lancement privilégiés ou la possibilité d’offres coordonnées, Arianespace, de facto devenue filiale d’Airbus Group, pourra toujours être soupçonnée de favoritisme.

    Pour couronner le tout, en plus de la commercialisation des fusées, Arianespace remplit aussi une fonction d’expertise qui lui donne accès aux informations techniques confidentielles des constructeurs de satellites rivaux d’Airbus. Avant le lancement, elle « prépare les analyses de mission, qui visent notamment à s’assurer que le lanceur est adapté au satellite qu’il devra mettre en orbite ». Cela nécessite une connaissance exacte des données techniques des satellites. Pour le PDG d’Arianespace, un découpage entre les deux fonctions (commerciale et d’expertise) serait inconcevable, puisque les deux font ensemble le succès de la société, en positionnant Arianespace comme la garante de la fiabilité ultime de la fusée. Reste à voir comment la nouvelle co-entreprise saura jongler avec ces différents volets.

    A ces questionnements de nature financière et commerciale viennent s’ajouter ensuite des interrogations d’ordre politique. Sans surprise, la première d’entre elles concerne la question, sempiternelle, de la préférence européenne. Autrement dit, le fait de savoir si les gouvernements du vieux continent seraient enfin prêts à s’engager à privilégier leurs propres produits; comme le font d’ailleurs, et à juste titre, les Etats-Unis. Pour Ariane 6, seuls cinq lancements institutionnels seront garantis, d’après la ministre. Certes, on reste au même nombre qu’aujourd’hui, mais « cela signifie, tacitement, que chaque pays membre accepte le principe d’une préférence européenne. On ne peut pas écrire obligation, à cause des règles européennes ».

    Le PDG d’Arianespace voulait y voir, en mai, « une sorte de ‘Buy European Act’, sachant que notre concurrent américain bénéficie déjà, quant à lui, d’un marché garanti aux États-Unis : la législation américaine impose que les charges utiles américaines soient mises en orbite par un lanceur construit majoritairement aux États-Unis. » Cinq mois plus tard, il a dû se rendre à l’évidence :« Aujourd’hui, le ‘Buy European Act’ n’existe pas. Il est vrai que les États européens peuvent choisir un autre lanceur que ceux d’Arianespace ». Ce qu’ils font, en effet, sans état d’âme. A l’instar de l’Allemagne, qui n’a pas hésité à confier à SpaceX le lancement de certains de ses satellites.

    Or, prévient la ministre française : « Si nous ne sommes pas la carte de l’Europe, nous fragiliserons et in fine, perdrons la filière des lanceurs européens. Et au-delà, nous perdons notre avantage compétitif en matière de télécoms, en matière d’accès aux données scientifiques, environnementales, climatiques et en matière de sécurité et de défense. » Mais comment attendre des gouvernements de jouer la carte de l’Europe en matière de lancement si même Airbus ne le fait pas ? Le groupe, qui aura désormais la haute main sur l’ensemble de la filière et réclame, de ce fait, la garantie de cinq lancements institutionnels, souhaitait lui-même confier à son concurrent US le lancement d’un satellite de télécommunication dernier cri de l’Agence spatiale européenne (ESA), simplement pour le rendre plus rentable…

    Abandons coupables

    Au départ, la réorganisation actuelle a été présentée comme répondant à deux critères de base. D’une part, un besoin de réduction des coûts, par le biais d’une plus grande prise de responsabilité des industriels, de l’autre le maintien, tout de même, de la position des Etats. Sur ce dernier point, la ministre Fioraso a été très claire : « L’Etat restera présent dans la gouvernance et contrôlera ». Sauf que le périmètre de cette présence se réduit comme une peau de chagrin, en emportant le pouvoir de contrôle dans son sillage. Pour le PDG d’Arianespace, « les acteurs minoritaires qui représentent un lien avec les Gouvernements (…) doivent recevoir des garanties ». Autrement dit, ce n’est pas d’emblée le cas.

    La question des coûts reste elle aussi opaque. Si les industriels disent prendre plus de risques, c’est loin d’être manifeste. Pour commencer, on ne sait toujours pas qui aura la charge d’éventuels échecs. Or, selon Stéphane Israël, « rien ne coûte plus cher qu’un échec et il importe de préciser les engagements des uns et des autres », mais « jusqu’à ce jour, rien n’est figé comme en témoignent les discussions en cours entre l’Agence spatiale européenne et Airbus Safran Launchers ». De surcroît, les industriels ne cessent de grignoter sur le volet financier de l’accord. Comme Michel Cabirol de La Tribune le met en évidence, tantôt ils demandent une rallonge d’un milliard, tantôt ils refusent de contribuer au maintien en condition opérationnelle du pas de tir en Guyane, tantôt ils exigent pour eux la gratuité pure et simple du Centre spatial, une faveur jamais octroyée à Arianespace.

    Force est de constater que, dans ce domaine hautement stratégique, on risque de se retrouver devant un schéma étrangement similaire à celui des Etats-Unis. Un modèle caractérisé par de grandes sociétés privées, soutenues par d’immenses gaspillages de fonds publics. A la différence près que, contrairement au cas américain, les pouvoirs publics en Europe ne peuvent même pas être certains, à long terme, de la loyauté des sociétés qu’ils soutiennent – en l’absence d’un marché public gigantesque qui garantirait une loyauté d’intérêt, et faute de règles contraignantes européennes capables d’imposer, comme de l’autre côté de l’Atlantique, une loyauté juridico-institutionnelle.

    Or, en parlant d’Ariane, il convient de garder à l’esprit que le lanceur conditionne la pérennité, la crédibilité, la rentabilité/compétitivité et l’autonomie de l’ensemble du secteur spatial. Que l’on se rappelle les origines mêmes de la création d’Ariane : en 1973, n’ayant pas de lanceur européen à leur disposition, Français et Allemands ont dû aller quémander auprès des Américains pour pouvoir mettre en orbite leur satellite de télécommunication. Or « les Américains, se souvient Frédéric d’Allest, ancien Directeur général du Centre national d’Etudes spatiales (CNES), ont fait savoir qu’ils voulaient bien lancer Symphonie mais à condition qu’il soit limité à des fonctions expérimentales ». Profitant de leur monopole, les Américains ont donc interdit toute utilisation à des fins commerciales, par souci d’éliminer la possibilité même d’un rival.

    Un véritable déclic, d’après les témoins de l’époque, le diktat américain a finalement permis de lever les obstacles politiques, entre Européens, à la construction de ce formidable outil de souveraineté qu’est le lanceur Ariane. En effet, la leçon fut claire : sans accès indépendant à l’espace, il n’y a tout simplement pas de politique spatiale. Jouer aujourd’hui à l’apprenti sorcier, en procédant à une restructuration dans des conditions et avec des engagements opaques, au risque de fragiliser la position de l’Etat et au profit d’industriels dont le passé, le bilan et le profil sont loin d’être irréprochables – cela mérite au moins débat…

    Hajnalka Vincze (IVERIS, 1er janvier 2016)

     

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  • La puissance allemande : aube ou crépuscule ?

    Le huitième numéro de la revue Conflits, dirigée par Pascal Gauchon, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré à l'Allemagne.

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    Au sommaire de ce numéro :

    ÉCHOS

    ÉDITORIAL

    La plus belle géopolitique du monde ne peut donner que ce qu'elle a, par Pascal Gauchon

    ACTUALITÉ

    ENTRETIEN

    Georges-Henri Soutou. La géopolitique diplomate, propos recueillis par Pascal Gauchon

    PORTRAIT

    Bachar, l'héritier par défaut, par Frédéric Pichon

    ENJEUX

    Frontières inanimées, avez-vous donc une âme ? par Helena Voulkovski

    ENJEUX

    Le nouveau Grand jeu, par Laurent Gayard

    ENJEUX

    La Ryalpolitique n'est pas une realpolitik, par Frédéric Pichon

    ENJEUX

    Myanmar. un changement dans la continuité, par Jack Thompson

    IDÉES REÇUES

    Flou artistique sur le climat, par Jean-Marc Huissoud

    IDÉES

    Du partisan au djihadiste. la guerre insurrectionnelle, par Florian Louis

    GRANDE STRATÉGIE

    La papauté de la renaissance. L'invention du soft powerpar Jean-Pascal Gay

    BATAILLE

    Tarente 1940. Le chef d’œuvre inconnu, par Pierre Royer

    BOULE DE CRISTAL DE MARC DE CAFÉ

    Il y a urgence, le climat se refroidit, par Jean-Baptiste Noé

    BIBLIOTHÈQUE GÉOPOLITIQUE

    Connaissez-vous Kautilya, par Gérard Chaliand

    CHRONIQUES

    LIVRES/REVUES/INTERNET /CINÉMA

    GÉOPO-TOURISME

    Singapour, modèle ou exception ? par Thierry Buron

    DOSSIER : La puissance allemande, aube ou crépuscule

    Empire du milieu ou royaume du centre mou ? Par Pascal Gauchon

    L'Allemagne. Un objet historique non identifié, par Frédéric Munier

    La fin du peuple allemand ? par Julien Damon

    La réunification a-t-elle changé l'Allemagne, par Thierry Buron

    Miracles et mystères de l'économie allemande, par Jean Kogej

    Les Allemands et leur armée, par le lieutenant Pierre Martin

    La France doit-elle se comparer à l'Allemagne ? par David Colle

    L'Allemagne en Europe, par Maxime Lefebvre

    Allemagne et Europe centrale et orientale, par Andreas Hettyey

    L'Allemagne contre la Russie. Tout contre ? par Pascal Marchand

    La vraie "relation spéciale" des États-Unis, par Christophe Réveillard

    L'Allemagne jugée par l'Italie

    L'HISTOIRE MOT À MOT

    "J'aime tellement l'Allemagne que je préfère qu'il y en ait deux", par Pierre Royer

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