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doxa - Page 2

  • La soumission à l'idéologie libérale est en marche...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 11 juillet 2017 et consacrée à la réforme du Code du travail et à ce qu'elle signifie...

     

                                      

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  • La langue des médias...

    Les éditions du Toucan viennent de publier dans leur collection L'Artilleur un essai d'Ingrid Riocreux intitulé La langue des médias - Destruction du langage et fabrication du consentement. Agrégée de lettres modernes, l'auteur est actuellement chercheur associé à l'Université Paris IV.

     

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    « Les journalistes se présentent volontiers comme des adeptes du "décryptage". Mais est-il autorisé de "décrypter" leur discours ?

    En analysant de très nombreux exemples récents, ce livre montre que les journalistes ne cessent de reproduire des tournures de phrases et des termes qui impliquent en fait un jugement éthique sur les événements. Prenant pour des données objectives des opinions qui sont en réalité identifiables à des courants de pensée, ils contribuent à répandre nombre de préjugés qui sont au fondement des croyances de notre société. Si le langage du Journaliste fonctionne comme une vitre déformante à travers laquelle on nous montre le présent, il est aussi une fenêtre trompeuse ouverte sur le passé et sur l'avenir.

    Analyser le discours du Journaliste, c'est donc d'une certaine manière mettre au jour l'inconscient de notre société dans tout ce qu'il comporte d'irrationnel. Ce livre est conçu comme un manuel de réception intelligente à l'usage des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs quotidiennement exposés aux médias d'information. Son ambition est de lutter à la fois contre la naïveté et la paranoïa complotiste afin de n'être plus "orientés par un discours orientant". »

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  • Jihadisme et idéologie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog Huyghe.fr et consacré à la force d'impact de l'idéologie djihadiste et à ce qu'il est possible ou non de lui opposer... Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe a publié dernièrement Think tanks : Qand les idées changent vraiment le monde (Vuibert, 2013).

     

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    Jihadisme et idéologie

    À quoi sert un idéologie ? Globalement à trois choses.

    D'abord à expliquer : par elle, le monde s'éclaire et se simplifie. Grâce aux cadres mentaux qu'elle fournit, à sa doxa qui est comme un logiciel, elle fait rentrer la complexité du réel dans un système d'interprétation. Et nous persuade que notre vision du monde est universellement valable et donne de la cohérence au chaos de l'histoire. Munis de l'idéologie qui fournit les réponses avant les questions, nous savons désormais d'où viennent nos malheurs (des ennemis, des dominants, des capitalistes, des résistances archaïques au progrès...), nous distinguons es desseins secrets derrière les événements et les lois qui font où va le monde. On notera au passage que l'islamisme est presque imbattable en ce domaine puisqu'il fournit la métacroyance (la croyance qui permet de juger des croyances) la plus simple et la plus stricte.

    Ensuite à rassembler. L'idéologie - Nous contre Eux - n'existe que par référence à une idéologie ennemie : il y a nous, les véridiques et eux, ceux qui pensent à rebours soit qu'ils soient égarés par de mauvais bergers (en ce cas, on pourra les persuader et les ramener au vrai avec beaucoup d'efforts), soit que leur nature profonde (de classe, ethnique...) les rende imperméables à la vérité, et en ce cas...

    Enfin l'idéologie oriente : elle nous présente des espoirs où nous assigne des tâches destinées à améliorer le monde, quand ce n'est à réaliser l'utopie. Elle est forcément prescriptive : son dire vise toujours à un faire ; il implique des obligations au moins implicites. A minima de voter pour X ou de soutenir Y.

    De ce triple point de vue, le jihadisme extrêmement performant.

    Son explication du monde se réfère à un schéma victimaire : les Juifs et les Croisés nous persécutent depuis la fin du califat ottoman (ou peut-être depuis la chute du califat de Bagdad en 1255). La Terre est le lieu d'affrontement entre les lois de Dieu et celles des hommes : choisissez.
    Son "Nous" représente une communauté soudée par la soumission à des règles qui séparent des autres communautés, mais ce sont aussi des règles universelles destinées un jour à s'appliquer à tous les hommes. Eux, ce sont tous les égarés, qu'il est licite de traiter en ennemis et de soumettre. De ce point de vue, le jihadisme est imbattable : il a accumulé un tel ressentiment dans ce que Sloterdjik appelait "les banques de la colère

    Quant au but, il n'est rien moins que l'instauration d'un ordre ultime conforme à la volonté de Dieu. Du reste, l'État islamique explique déjà qu'un vrai musulman doit aller vivre sur les terres du califat, les seules où l'on puisse mener une vie digne, faire la hijrah. On peut ainsi goûter maintenant - à moins de choisir le martyre qui est un ascenseur direct pour le Paradis - à un avant-goût de la vie digne et juste.

    Face à ce bloc, nos réactions restent pauvres.
    Se dire "génération Bataclan" et boire un apéro pour leur montrer combien nous les craignons peu, avec quel bonheur nous pratiquons le vivre ensemble, et avec quelle résistance nous sommes attachés à nos valeurs ? Ce n'est pas très efficace à cause de la métacroyance évoquée plus haut et peut même les inciter à nous mépriser davantage. Le spectacle de notre jouissance individuelle et de nos fraternisations est la cause de leur haine, pas son remède.
    Le discours de réfutation - nous ne faisons la guerre qu'aux extrémistes pas aux musulmans que nous aimons ; rejoignez le camp de la diversité et le monde sans frontières - semble peu les intéresser pour des raisons qui nous échappent.
    Les bombarder ? C'est les multiplier.
    Les déradicaliser ? Dans certains pays, on essaie de le faire par des pratiques qui évoquent davantage la resocialisation des délinquants accompagnée de soutien psychologique. Dans d'autres, on joue davantage de l'autorité des religieux et de l'expérience des religieux, et c'est plus efficace.
    Si une croyance ne peut être vaincue que par une croyance, nous sommes encore loin de savoir désarmer l'hostilité.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 22 novembre 2015)

     

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  • Printemps syrien ?...

    «En arabe, révolution se dit thawra. Il n’est pas certain que ce mot y ait la même valeur eschatologique qu’en Occident. La Révolution française et ses échos historiques continuent donc à fausser la vision de ce qui se passe dans le monde arabe, dont le moins qu’on puisse dire, mais qui n’est pas dit, est que les peuples qui le constituent ne sauraient désirer ni la terreur robespierriste ni l’hiver soviétique. Se ranger à l’idée que ce sont les peuples qui ont chassé les dictateurs de Tunisie, d’Égypte, du Yémen, de Libye est en réalité aussi niais que de soutenir que l’intervention américaine en Irak était réclamée à cor et à cris par le peuple irakien ou que les Serbes désiraient à tout prix être délivrés de Milosevic grâce au bombardement massif de leur territoire par les avions de l’OTAN – deux exemples de crimes de guerre que l’histoire officielle n’enregistrera jamais comme tels.»


    Les éditions Fata Morgana viennent de publier un petit texte superbe de Richard Millet intitulé Printemps syrien. Un point de vue à contre-courant de l'opinion dominante comme on pouvait l'attendre de l'auteur de L'opprobre ou de Fatigue du sens...


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    "Plus acerbe que jamais, Richard Millet s’insurge contre l’actuel discours journalistique – consensuel, mou et édulcoré – au sujet des insurrections en Syrie, et nous donne à voir son appréhension, à contre-courant de la doxa occidentale, quant à la portée des événements qui frappent le Proche-Orient."

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  • La finance imaginaire...

    Les éditions Aden viennent de publier La finance imaginaire - Anatomie du capitalisme : des marchés financiers à l'oligarchie, une étude de Geoffrey Geuens. Enseignant à l'université de Liège, il s'intéresse aux structures de pouvoir, aux discours qu'elles produisent et aux agents qui les incarnent...

     

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    "Figure imposée de la communication politique, la dénonciation des excès du capitalisme sauvage – aussi virulente qu'inoffensive – a duré le temps nécessaire à la recapitalisation des banques. Les responsables et intellectuels dominants des puissances occidentales l'avaient, pourtant, répété à qui voulait l'entendre : l'État allait reprendre la main sur la finance et contrôler les banquiers. Voilà pour les slogans de campagne.
    Sur le terrain, le capitalisme réel voit les plus grands noms de la politique internationale – qu'ils soient démocrates ou républicains, travaillistes ou conservateurs, socialistes ou libéraux – siéger dans les conseils d'administration de trusts et hedge funds assimilant l'économie à un portefeuille géant d'actifs. Quant aux spéculateurs d'hier, dénoncés il y a peu encore pour leur cupidité et leur irresponsabilité, ils ont déjà été réinstallés par les pouvoirs publics à la tête de commissions de sages prônant une meilleure gouvernance de la finance...

    Étude détaillée de l'oligarchie financière et analyse serrée du discours social, La finance imaginaire, véritable Who's Who, rompt avec l'image désincarnée des marchés financiers que relaient, jour après jour, les penseurs de la doxa, et qui est bien faite, consciemment ou non, pour laisser impensés les véritables bénéficiaires des mesures de crise et politiques d'austérité à venir."

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  • Chevènement, le PS et la doxa néolibérale...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien de Bernard Poulet avec Jean-Pierre Chevènement, publié sur le site de L'Expansion, dans lequel ce dernier revient sur la conversion du PS au néolibéralisme

     

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    Pourquoi les socialistes se sont-ils convertis au néolibéralisme peu après être arrivés au pouvoir, en 1981, se demande Jean-Pierre Chevènement dans son dernier livre, La France est-elle finie ? (Fayard, 315 pages, 19 euros). A l'approche de la présidentielle, l'ancien ministre socialiste explique pour L'Expansion les raisons de ce tournant dont ses anciens camarades ne sont jamais revenus. Au passage, il en étrille quelques-uns.

    Pourquoi pensez-vous que la gauche doit réévaluer l'histoire du tournant économique du début des années 80 ?

    A chaque étape, la gauche n'est repartie qu'en se mettant au clair avec elle-même. Or, en 1981, à l'instar de Christophe Colomb, la gauche française a cru découvrir les Indes - le socialisme -, et elle doit réaliser qu'elle a trouvé l'Amérique - le néolibéralisme. Même si l'environnement international n'était pas favorable, rien n'obligeait les socialistes français à opérer ce tournant néolibéral, ni à aller aussi loin : l'Acte unique européen, négocié par Roland Dumas, et la libération totale des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis de pays tiers, ou l'abandon de la clause d'harmonisation fiscale préalable qui figurait dans le traité de Luxembourg. Ou encore le Matif [Marché à terme international de France], créé en 1984, et la loi de libéralisation financière, en 1985. Tout cela était une manière de mettre Margaret Thatcher au coeur de la construction européenne, d'accepter d'abandonner l'Europe, pieds et poings liés, au capitalisme financier. En critiquant ces choix, je n'ignore pas l'existence du monde extérieur, mais on n'était pas obligé d'appliquer toutes les règles de la doxa néolibérale. On aurait pu maintenir quelque chose ressemblant à une économie mixte. L'Etat pouvait garder la maîtrise de quelques mécanismes de régulation essentiels. L'idéologie néolibérale a fait admettre comme vérité d'évangile que, grâce à la désintermédiation bancaire, les entreprises s'alimenteraient à plus faible coût sur les marchés financiers. L'entrée dans une mécanique irréversible en souscrivant à toutes les dérégulations prévues par l'Acte unique, la libéralisation des mouvements de capitaux, l'interdiction des politiques industrielles et des aides d'Etat, l'introduction de la concurrence dans les services publics, tout cela, personne ne nous le demandait vraiment.

    Quels ont été les motifs des architectes de cette politique ?Robert Lion et Jean Peyrelevade, qui dirigeaient alors le cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy, Philippe Lagayette, qui était aux manettes de celui de Jacques Delors aux Finances, comme tous les hiérarques du ministère de l'Economie et des Finances, Michel Camdessus, directeur du Trésor, Renaud de La Genière, gouverneur de la Banque de France, et plus tard Jean-Claude Trichet, lui aussi à la tête du Trésor, ou Pascal Lamy, directeur de cabinet du président de la Commission européenne (1), tous croyaient fermement à la théorie de l'efficience des marchés. Ils étaient convaincus que tout ce qui était réglementation devait disparaître pour sortir de ce qu'ils appelaient l'"eurosclérose" et libérer l'économie des contraintes bureaucratiques qui l'empêchaient de se développer. Comment tant d'hommes dont je ne puis suspecter l'honnêteté ont-ils pu opérer pareille conversion ? Cette énigme doit être résolue.C'étaient des représentants de la haute fonction publique...

    Haute fonction publique qui avait, pour l'essentiel, sa carte au Parti socialiste, où, il est vrai, elle était plutôt orientée "deuxième gauche". Personne parmi eux n'était résolu à mener une politique un tant soit peu volontariste. Tout s'est passé comme s'il leur fallait user la gauche au pouvoir et l'amener au "tournant libéral" que la technocratie bien-pensante avait, déjà avant 1981, imaginé pour elle. On les appelait "les rocardiens" ; en fait, ils étaient partout, et Rocard n'y était pour rien ! Tout cela a été conçu par des gens qui savaient où ils allaient et qui étaient décidés à se faire un allié de la puissance des marchés. Jacques Delors était cohérent. Il a passé consciemment un pacte avec ce qu'il appelle "les vents dominants" de la mondialisation. Très peu de gens dans l'administration, en dehors de ceux qui étaient avec moi à l'Industrie, s'opposaient à ce courant dominant, et la plupart de ceux qui avaient la charge d'appliquer le programme sur lequel François Mitterrand avait été élu, en 1981, n'y croyaient tout simplement pas. Il y avait une sorte de frénésie idéologique qui voulait que plus on libéralisait, plus on était "moderne".

    Mais où était le Parti socialiste ?

    Le Parti socialiste était presque absent sur les questions industrielles, monétaires et de régulation, qui lui paraissaient très techniques. Il estimait qu'il s'agissait d'une parenthèse qui ne changeait pas les orientations fondamentales, à commencer par le souci prioritaire de l'emploi. Le premier secrétaire du PS d'alors, Lionel Jospin, s'est porté garant de cette continuité politique et de l'absence de tournant réel, d'autant que François Mitterrand affirmait haut et fort ne pas avoir changé d'orientation. Le Parti communiste n'intervient pas non plus en 1983. Car il ne veut pas apparaître comme le parti de la dévaluation. L'affaire ne se joue finalement qu'entre un très petit nombre d'hommes.

    C'est donc Jacques Delors qui a joué le rôle clé ?

    Il était lié à François Mitterrand depuis les années 60. C'était un militant chrétien social, l'homme du dialogue social au cabinet de Jacques Chaban-Delmas. Je le reconnais comme un maître en idéologie. Il a toujours agi avec une bonne conscience inaltérable. Son discours pieux déconnectait parfaitement l'économique et le social, et, avec son disciple Pascal Lamy, il était sans doute convaincu que l'autorégulation des marchés tendait à favoriser la croissance. J'aime ces deux-là. Leur dogmatisme libéral sans peur et sans reproche, tout enrobé de bonne conscience chrétienne moralisante, fait plaisir à voir !

    Delors jouait dans les médias le rôle de saint Sébastien, criblé de flèches par ses camarades de parti, alors qu'il organisait le désengagement de l'Etat et la désintermédiation bancaire. Mystification conceptuelle qui conduisit en fait à l'explosion des revenus financiers. Mais je ne crois pas qu'il ait bien vu monter le capitalisme financier à l'horizon de la société. A l'époque, très peu de gens avaient compris qu'on avait tourné la page de l'ère du New Deal et du keynésianisme. Ne mesurant sans doute pas ce qu'il faisait, c'est lui qui a mis en place la dérégulation sur le continent. Il a fait la politique que Margaret Thatcher et Ronald Reagan appliquaient en Angleterre et aux Etats-Unis.

    Mitterrand n'y comprenait pas grand-chose, mais il souhaitait un accord européen, car il ne voulait pas que la France soit "isolée". Il raisonnait comme si elle était toujours le n° 1 en Europe. Quand il poussera à l'adoption de la monnaie unique, il ne verra pas non plus que la réunification allait faire de l'Allemagne le pays central, gouvernant l'euro comme un "mark bis".

    Depuis, la conversion au néolibéralisme ne s'est plus démentie, puisque c'est Dominique Strauss-Kahn, ministre des Finances de Jospin, qui autorisera le rachat d'actions par les entreprises. Comment l'expliquer ?

    Dominique Strauss-Kahn a théorisé la non-intervention de l'Etat dans l'économie lors d'un séminaire tenu à Rambouillet en septembre 1999. Je fus alors le seul, avec Martine Aubry, à le contredire. Deux semaines plus tard, Lionel Jospin dira que "l'Etat ne peut pas tout faire". Ce qui se jouait, c'était l'idée que l'Etat n'avait plus rien à faire dans l'organisation de l'économie et que les décisions de structures devaient être laissées à des autorités indépendantes. Dominique Strauss-Kahn en fut le théoricien, ce qui l'amena, par exemple, à liquider les dernières participations de l'Etat dans Usinor.

    Si vous lisez son rapport à Romano Prodi en 2004, il est à mes yeux proprement confondant d'irréalisme. Il propose littéralement de former une nation européenne, de faire des listes plurinationales aux élections, de créer des médias transnationaux. On y sent à l'oeuvre la volonté de gommer la nation et d'en faire disparaître les repères. Comme chez Jean Monnet, qui est quand même, dès 1943, le grand inspirateur de cette construction d'une Europe par le marché. Vision purement économiciste, où la souveraineté populaire disparaît, happée par celle de l'empire (en l'occurrence américain).

    Mitterrand ne s'est-il pas servi de la construction européenne comme d'un prétexte pour cacher ses abandons ?

    Un prétexte, peut-être, mais aussi, chez lui, une conviction sincère. Je n'arrive d'ailleurs pas à rejeter sa vision, au moins quant à l'objectif final. L'idée que les peuples d'Europe doivent se rapprocher toujours plus me semble juste, surtout quand on est coincé comme aujourd'hui entre la Chine et les Etats-Unis. Le problème, ce sont les modalités de la construction européenne. Je ne crois pas que celle-ci impliquait un ralliement aussi complet au néolibéralisme. Pour construire une Europe "européenne", il ne fallait pas faire l'impasse sur les peuples, qui sont du ressort de la démocratie.

    Pour vous, le socialisme n'a plus de sens aujourd'hui...

    Je n'ai jamais beaucoup cru à l'autogestion. Mais je crois en la citoyenneté. Le socialisme, aujourd'hui, ça veut dire la perfection de la république, bref, la république sociale, comme l'avait pressenti Jean Jaurès. Le socialisme comme modèle de société toute faite dans laquelle on entrerait comme on enfile ses chaussures ne me séduit pas. Je n'aime pas me gargariser de formules dont je ne comprends pas le sens. Je suis viscéralement hostile à tout millénarisme et ne me range pas dans la catégorie des socialistes utopistes. "Aller à l'idéal, oui, mais comprendre le réel", disait Jean Jaurès.

    Pourquoi les socialistes n'ont-ils pas refait cette histoire ?

    Sans doute parce qu'ils restent prisonniers d'une confusion entre l'idée européenne et le logiciel néolibéral présent dans les traités qu'ils ont signés. Ils sont du parti du "Bien". Ils se veulent avant tout de "bons européens". L'Europe les sanctifie. Ils ne se rendent pas compte que l'Europe telle qu'ils l'ont façonnée est régie par des règles essentiellement néolibérales.

    Ils ne sont pas idiots, quand même ?

    Non, ils ne sont pas idiots, mais ils n'osent pas penser. Et puis leur ciment, c'est leur attachement au pouvoir. Etre "européen", c'est ce qui fait leur crédibilité vis-à-vis de gens qui ne pensent pas comme eux. François Mitterrand l'avait compris d'emblée en 1972 : je fais le Programme commun, disait-il, mais je suis européen, alors vous pouvez quand même me faire confiance.

    Jean-Pierre Chevènement

    Propos recueillis par Bernard Poulet (L'Expansion, 6 juin 2011)

    (1) Jacques Delors à partir de 1984.

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