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assimilation - Page 2

  • On peut éventuellement assimiler des individus, mais pas des communautés...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'impossible assimilation des communautés immigrées.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (Pierre-Guillaume de Roux, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

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    Alain de Benoist : « L’assimilation des immigrés n’est ni une bonne ou une mauvaise idée… Elle est juste impossible ! »

    Le débat sur l’« intégration » des immigrés s’enlise depuis des décennies, ne serait-ce que parce qu’il n’est jamais précisé à quoi il s’agit de s’intégrer : à une nation, à une histoire, à une société, à un marché ? C’est dans ce contexte que certains préfèrent en appeler à l’« ». Il y a deux mois, le magazine Causeur consacrait tout un dossier à cette notion en titrant, en première page : « Assimilez-vous ! » Ça vous inspire quoi ?

    Dans les milieux qui s’inquiètent le plus du flot migratoire, on entend en effet souvent dire que l’assimilation serait la solution miracle : les immigrés deviendraient des « Français comme les autres », et le problème serait résolu. C’est la position défendue avec talent par Causeur, mais aussi par des auteurs comme Vincent Coussedière, qui va faire paraître un Éloge de l’assimilation, ou Raphaël Doan (Le rêve de l’assimilation, de la Grèce antique à nos jours). D’autres objectent que « les immigrés sont inassimilables ». D’autres, encore, refusent l’assimilation parce qu’elle implique nécessairement le métissage. Ces trois positions sont très différentes, et même contradictoires, mais elles ont en commun de considérer que l’assimilation est possible, au moins en théorie, même si certains n’en veulent pas ou considèrent que les immigrés ne jouent pas le jeu.

    L’assimilation est un concept de nature universaliste, hérité de la philosophie des Lumières (le mot se trouve déjà chez Diderot). Il présuppose que les hommes sont fondamentalement tous les mêmes. Pour faire disparaître les communautés, il faut donc amener les individus qui les composent à s’en détacher. C’est en quelque sorte un marché que l’on se propose de passer avec les immigrés : devenez des individus, comportez-vous comme nous et vous serez pleinement reconnus comme des égaux, puisqu’à nos yeux l’égalité suppose la mêmeté.

    Vous vous souvenez de l’apostrophe de Stanislas de Clermont-Tonnerre, en décembre 1789 : « Il faut tout accorder aux Juifs comme individus, il faut tout refuser aux Juifs comme nation ! » (Les Juifs n’ont pas cédé à ce chantage, sans quoi ils auraient dû renoncer à l’endogamie et il n’y aurait plus de communauté juive aujourd’hui.) ne dit pas autre chose quand il affirme que la citoyenneté française reconnaît « l’individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout ». Raphaël Doan est très clair sur ce point : « L’assimilation est la pratique qui consiste à exiger de l’étranger qu’il devienne un semblable […] Pour assimiler, il faut pratiquer l’abstraction des origines. » Autrement dit, qu’il cesse d’être un Autre pour devenir le Même. Pour ce faire, il doit oublier ses origines et se convertir. « Émigrer, c’est changer de généalogie », dit Malika Sorel. C’est plus facile à dire qu’à faire. Car s’assimiler aux « valeurs de la République », cela ne veut rien dire. S’assimiler, c’est adopter une culture et une histoire, une sociabilité, un modèle de relations entre les sexes, des codes vestimentaires et culinaires, des modes de vie et de pensée spécifiques. Or, aujourd’hui, les immigrés sont dans leur majorité porteurs de valeurs qui contredisent à angle droit celles des populations d’accueil. Quand on leur propose de négocier leur intégration, on oublie tout simplement que les valeurs ne sont pas négociables (ce qu’une société dominée par la logique de l’intérêt a le plus grand mal à comprendre).

    Et vous, l’assimilation, vous la jugez bonne ou mauvaise ?

    Ni bonne ni mauvaise. J’ai plutôt tendance à la croire impossible. La raison principale est qu’on peut assimiler des individus mais qu’on ne peut pas assimiler des communautés, surtout quand celles-ci représentent 20 à 25 % de la population et que celles-ci sont concentrées – « non parce qu’on les a mis dans des ghettos, mais parce que l’être humain cultive naturellement le voisinage de ceux qui vivent comme lui » (Élisabeth Lévy) – sur des territoires qui favorisent l’émergence de contre-sociétés exclusivement basées sur l’entre-soi. C’est surtout vrai dans un pays comme la France, marquée par le jacobinisme, qui n’a cessé de lutter contre les corps intermédiaires pour ramener la vie politique et sociale à un face-à-face entre l’individu et l’État. Colbert avait déjà déployé de grands efforts pour « franciser » les Indiens d’Amérique. Ce fut évidemment un échec.

    En France, l’assimilation a connu son apogée sous la IIIe République, à une époque où la battait son plein à l’initiative des républicains de gauche alors désireux de faire connaître aux « sauvages » les bienfaits du « progrès ». Mais la IIIe République a aussi été une grande éducatrice : dans les écoles, les « hussards noirs » mettaient un point d’honneur à enseigner l’histoire glorieuse du roman national. Nous n’en sommes plus là. Toutes les institutions (Églises, armée, partis et syndicats) qui facilitaient l’intégration et l’assimilation dans le passé sont en crise. L’Église, les familles, les institutions ne transmettent plus rien. L’école elle-même, où les programmes sont dominés par la repentance, n’a plus rien à transmettre, sinon la honte des crimes du passé.

    L’assimilation implique qu’il y ait une volonté d’assimiler du côté du pouvoir en place et un désir d’être assimilé du côté des nouveaux arrivants. Or, il n’y a plus ni l’une ni l’autre. En décembre dernier, Emmanuel Macron l’a explicitement déclaré à L’Express : « La notion d’assimilation ne correspond plus à ce que nous voulons faire. » On voit mal, d’autre part, quelle attractivité le modèle culturel français peut encore exercer sur des nouveaux venus qui constatent que les autochtones, qu’ils méprisent souvent, quand ils ne les haïssent pas, sont les premiers à ne vouloir rien savoir de leur histoire et à battre leur coulpe pour se faire pardonner d’exister. Dans ce qu’ils voient, qu’est-ce qui peut les séduire ? Les enthousiasmer ? Les pousser à vouloir participer à l’histoire de notre pays ?

    Dernière remarque : dans le modèle assimilationniste, l’assimilation est censée progresser de génération en génération, ce qui peut paraître logique. Or, on s’aperçoit qu’en France, c’est exactement le contraire. Tous les sondages le démontrent : ce sont les immigrés des dernières générations, ceux qui sont nés français et possèdent la nationalité française, qui se sentent le plus étrangers à la France, qui pensent le plus que la charia prime la loi civile et trouvent le plus inacceptable tout « outrage » à leur religion. En août dernier, interrogés sur la proposition « L’islam est-il incompatible avec les valeurs de la société française », 29 % des musulmans répondaient par l’affirmative, tandis chez les moins de 25 ans, cette proportion était de 45 %.

    Un tel débat est-il propre à la France ? Aux pays occidentaux ? Ou bien la question de l’intégration par l’assimilation se retrouve-t-elle un peu partout ?

    Les pays anglo-saxons, n’ayant pas été marqués par le jacobinisme, sont plus hospitaliers aux communautés. Par ailleurs, aux États-Unis, les immigrés n’ont en général aucune animosité envers le pays dans lequel ils cherchent à entrer. La grande majorité d’entre eux, à qui l’on a inculqué le respect des Pères fondateurs, veulent être américains. Le « patriotisme constitutionnel » fait le reste. En Asie, c’est encore différent. La notion d’assimilation y est inconnue, pour la simple raison que la citoyenneté se confond avec l’appartenance ethnique. Pour les deux milliards d’individus qui vivent dans le nord et le nord-est de l’Asie, en particulier dans la zone d’influence confucéenne, on naît citoyen, on ne le devient pas. C’est la raison pour laquelle la et le Japon refusent de faire appel à l’immigration et ne naturalisent qu’au compte-gouttes (les très rares Européens qui ont obtenu la nationalité japonaise ou chinoise ne seront, de toute façon, jamais considérés comme des Japonais ou des Chinois).

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 mars 2021)

     

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  • Assimilation : la désintégration triomphante...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Richard Dessens, cueilli sur EuroLibertés et consacré à la question de l'immigration. Docteur en droit et professeur en classes préparatoires, Richard Dessens a notamment publié La démocratie travestie par les mots (L'Æncre, 2010), Henri Rochefort ou la véritable liberté de la presse (Dualpha, 2017) et La démocratie interdite (Dualpha, 2018).

     

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    Assimilation : la désintégration triomphante

    Les Européens devraient s’inspirer de l’expérience française en matière d’immigration, afin d’éviter d’en répéter les erreurs idéologiques fondamentales.

    Les immigrations italiennes et espagnoles de la première moitié du XXe siècle en France ont débouché sur une intégration parfaite au bout de deux générations.

    Prénoms francisés ou français, noms de famille parfois eux-mêmes francisés ; adoption des règles du vivre-ensemble français déclinées régionalement selon les usages locaux ; volonté de parler correctement la langue française en oubliant même leur langue d’origine.

    Dans certaines familles le déni des origines étrangères est même souvent constaté au bout de trois générations. Il en est de même des immigrations moins massives toutefois, des Polonais notamment mais aussi d’autres peuples européens. Quant à la conservation de quelques habitudes tenant à leurs origines, principalement chez les Italiens, elles ne diffèrent pas des écarts qui peuvent exister entre un « chtimi » et un provençal…

    Ce seul constat tend à prouver qu’il existe bien une communauté européenne de valeurs et d’identités communes permettant un brassage intra-européen sans réelle remise en cause des équilibres sociétaux.

    Au contraire, une telle mixité est plutôt positive et riche en apports à une civilisation européenne confrontée à des porosités internes millénaires.

    Ce constat permet aussi d’apporter un argument supplémentaire à l’idée d’une Europe des peuples, des régions, des différences charnelles, contre celle d’une Europe des nations factices et devenue précaire et dangereuse aujourd’hui par son morcellement et son incapacité à reconnaître une unité européenne identitaire. L’Europe des Etats-Nations, même moribonds, ne fera jamais une Europe unitaire.

    Les immigrations de la seconde moitié du XXe siècle, élargies depuis les années 70 et invasives depuis les années 90, sont d’une tout autre nature sans commune mesure avec les précédentes.

    Ce sont des civilisations distinctes et probablement justement fières de leurs valeurs qui déferlent progressivement sur l’Europe et la France en particulier, dont la générosité et son obsession idéologique d’être la championne des « droits de l’Homme », en fait un lieu d’accueil privilégié. Cette immigration-là ne vient pas par attachement à la France, mais par intérêt et commodité.

    Cette immigration-là n’a aucune intention de s’assimiler à la civilisation européenne, car c’est bien de cela qu’il s’agit, mais de continuer à vivre et se comporter conformément à leurs valeurs. Et l’écart des vivre-ensemble et des identités est tel que l’on peut se demander si ces immigrés là ne sont pas légitimes dans leurs choix profonds. Ne s’agit-il pas d’un pari intenable ?

    Ce n’est pas dire que les premiers immigrés des années 70 ou 80 n’ont pas fait, pour certains, de réels efforts d’intégration. Mais le nombre de plus en plus massif d’immigrés extra-européens dans de plus en plus de zones concentrées, puis même atomisées et « ruralisées » aujourd’hui, finit par créer des retours aux usages des origines. Dans certaines mosquées, des imams prêchent même en quasi toute impunité, l’islamisation religieuse, comportementale et culturelle de la France comme un objectif avéré.

    Mais surtout on assiste depuis quelques années à une désintégration d’un début d’assimilation. Des ex-immigrés de la troisième ou de la quatrième génération font de plus en plus un retour à leurs identités originaires, après que leur « ancêtre » francisé a fait de louables efforts d’intégration. Françaises depuis parfois cinquante ans, des familles renouent avec leurs valeurs originelles, redonnant des prénoms maghrébins ou africains notamment à leurs enfants, renouant avec des valeurs et des comportements de leurs origines, rejetant une civilisation qui n’est pas la leur. Le poids des traditions et d’un passé civilisationnel est trop lourd pour être gommé définitivement surtout par des groupes massifs auto-communautarisés.

    À la question de l’immigration permanente se greffe donc celle de la désintégration d’une partie importante de la population censée être de nationalité française souvent depuis longtemps, phénomène qui apparaît peut-être encore plus grave que la première question, car il installe au sein même de la France et de l’Europe une contre-civilisation légalisée par les naturalisations en cascade.

    Le véritable danger vient aujourd’hui de l’intérieur et de la part de « Français » qui rejettent de plus en plus les valeurs et l’identité européennes, et qui créent ainsi un antagonisme délibéré entre « Français ».

    Ceux qui accusent et stigmatisent certains d’opposer les Français entre eux au détriment d’une unité nationale putative, devraient réviser leur idéologie mortifère en constatant que les diviseurs et les ferments de guerre civile ne sont pas ceux qu’ils accusent. Mais ceux qu’ils défendent.

    Richard Dessens (EuroLibertés, 8 octobre 2019)

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  • Sur l'immigration, les électeurs de droite et de gauche votent-ils mal ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy, cueilli sur son blog Rochedy.fr et consacré aux choix politiques paradoxaux des électorats de droite et de gauche sur la question de l'immigration...

     

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    Sur l'immigration, droite et gauche votent mal

    Le paradoxe des électorats

    Je discutais la semaine dernière avec un intellectuel qui s’apprête à sortir un important livre d’enquête sur la crise identitaire Française. Débattant ensemble pour les besoins de son étude, je lui évoquai ce qui me paraissait être un sacré paradoxe de notre vie politique. Ce paradoxe est celui du vote des électorats de droite et de gauche au sujet de l’immigration.

    Le désir de l’électorat de droite et de gauche

    En simplifiant les choses et en grossissant les traits, on pourrait diviser l’électorat français en deux au sujet de l’immigration : l’un veut la séparation, l’autre l’unité.

    Celui qui veut désormais la séparation est l’électorat que l’on pourrait appeler « de droite ». En somme, c’est le parti des gens qui râlent, qui n’en peuvent plus, qui ne veulent plus du « vivre-ensemble ». Leurs désirs est de se séparer des populations d’origine immigrée, en les fuyant géographiquement quand ils le peuvent, et en souhaitant les réduire (volonté d’arrêter l’immigration, ou même d’en « réémigrer » un maximum), sinon de les contraindre violemment. Cet électorat vote Front National ou pour un candidat de la droite classique quand celui-là veut bien tenir un discours « dur » sur la question (comme Sarkozy durant ses deux dernières campagnes présidentielles).

    Celui qui veut l’unité est l’électorat de gauche. Il s’agit de l’électorat français qui croit au respect, à l’égalité et à la fraternité entre les hommes et qui souhaite par dessus tout un métissage heureux. Il nie les fractures entre les populations (et lorsqu’il les voit quand même, il les attribue aux prêcheurs de haine, qu’ils soient d’extrême-droite ou salafistes). Son but, son rêve, est l’unité d’une population française quelles que soient ses bigarrures et sa diversité. Cet électorat vote généralement pour le Parti Socialiste ou le Front de Gauche

    Les conséquences inverses de leur vote

    Pourtant, il apparaît que le vote de l’électorat de gauche et celui de droite se portent sur des candidats et des discours qui, malgré les apparences, conduisent à l’inverse de leur volonté première.

    Le programme et les discours du Front National et de la droite « dure » ont en réalité l’ambition de l’unité. Leur objectif est l’assimilation qui, précisément, est la praxis unitaire la plus accomplie. En régulant l’immigration, en punissant vraiment les délinquants pour dissuader leurs méfaits de tous les jours, en valorisant une culture française dans sa version universaliste et culturaliste (« est français celui qui respecte les mœurs et la culture française »), c’est à dire exactement  ce que se proposent de faire les « droites », alors et alors seulement la possibilité d’une unité prochaine se rendrait peut-être probable. Le vernis de l’assimilation appliqué à tous, toutes races et religions confondues, permettrait de différer, voire de supprimer, la dislocation de la société française prévue et déjà à l’œuvre.

    Premier paradoxe donc : l’électorat qui veut la séparation vote en réalité, sans le savoir, pour l’unité.

    Quant aux programmes dits « de gauche », tous concourent le plus surement à la séparation. Sous les discours des prétendues « valeurs de la République » et du métissage chantant et chanté en permanence, la gauche a abandonné l’assimilation pour l’idée d’une société multiculturelle dans laquelle tout le monde conserverait la fierté des racines et leur culture d’origine. Mieux que cela : les minorités et leurs spécificités sont défendues et promues en vertu – et en vertu seule – de leur condition de minorité. Et mieux encore, pour des raisons électorales, la gauche se permet de flatter les différentes communautés allogènes tout en exaspérant dans le même temps la communauté de souche, encore majoritaire et dépositaire depuis des siècles de la France. Rien ne pourrait, en définitive, plus générer de la séparation communautaire que ce type de politique. Pour preuve la crise identitaire violente dont nous ne vivons que les prodromes, conséquence directe de cette politique qui a présidé au traitement de l’immigration en France depuis plus de 30 ans.

    Deuxième paradoxe donc : l’électorat qui rêve sincèrement d’unité vote en fait, sans le savoir lui aussi, pour la séparation.

    Facéties quand l’Histoire pourrie

    Marx reconnaissait lui-même qu’à certaines périodes historiques, l’Histoire n’avance ni ne recule pas, elle pourrit. Ces moments sont des tourbillons d’incohérence, de velléités inconséquentes, de rêveries inutiles. Nous vivons cette époque-là. Sans doute, les choses sont plus compliquées que cela et ce paradoxe n’est pas aussi marqué qu’il semble l’être. Mais toutefois : se dire qu’un identitaire sérieux qui veut de toute sa colère la séparation, ferait mieux, parfois, de voter François Hollande, et qu’un idéaliste de gauche, plein de bons sentiments, ferait mieux de voter Marine Le Pen s’il souhaite véritablement qu’un jour des hommes de cent couleurs différentes soient main dans la main, est une facétie de l’Histoire qui mérite, sinon que l’on s’y attarde, au moins que l’on en sourit un peu. 

    Julien Rochedy (Rochedy.fr, 7 mai 2016)

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  • Pour un discours communautariste ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy, cueilli sur son blog et consacré à la question du communautarisme. Ancien responsable du Front national de la jeunesse et auteur de deux essais, Le marteau - Déclaration de guerre à la décadence moderne (Praelego, 2010) et L'Union européenne contre l'Europe (Perspectives libres, 2014), Julien Rochedy revient sur un sujet sensible et complexe, qu'avait abordé, de façon assez audacieuse et un peu provocatrice, la revue Eléments, il y a près de 20 ans, et qui est aujourd'hui d'une redoutable actualité... A lire, à commenter, à contester...

     

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    Pour un discours communautariste

    Pendant des années, je me suis convaincu que le meilleur message à porter était celui de l'assimilation. Plusieurs raisons m'y poussaient.

    D'abord, ce principe était abandonné par les autres, la gauche et la droite, lesquelles prirent le parti de l'intégration voire de « l'inclusion », c'est à dire autant de systèmes laissant aux personnes d'origine immigrée le privilège de conserver, sinon l'entièreté de leur culture, au moins la fierté de leurs origines et tout ce qui va avec. La nature ayant horreur du vide, il y avait là un principe on ne peut plus républicain à récupérer et à porter d'un point de vue politique.

    Ensuite, je pensais que ce principe correspondait particulièrement à, disons, l'âme française. La France étant une nation singulièrement culturelle, et les français n'ayant, par nature, presque aucune conscience ethnique (contrairement aux allemands, anglais et autres italiens), nous ne pouvions que demander aux habitants de France de respecter une culture majoritaire. Ce message, me semblait-il, non seulement pouvait être entendu et apprécié par les français, mais il présentait de plus l'avantage – considérable – de ne pas prêter le flanc, ou très peu, aux accusations de racisme qui ont toujours plu sur le mouvement national. 

    Je supposais aussi que l'arbre français était capable de supporter de nouvelles branches, et que, perdus pour perdus, le mieux qu'il nous restait à faire était de transformer un maximum de personnes d'origine immigrée en parfaits français « culturels », c'est à dire prenant en eux-mêmes, le plus qu'ils le pouvaient, une partie de notre héritage civilisationnel afin de le transmettre, eux-aussi. 

    Ce discours de « l'assimilation », avec tous les avantages qu'il procurait, devint celui que choisit Marine Le Pen pour parler d'immigration. C'est toujours le sien aujourd'hui, et, en tant que l'un de ses portes-paroles pendant des années, je véhiculais avec lui dès qu'un micro ou un auditoire m'étaient offerts.

    Aujourd'hui, je dois le dire, je veux faire mon « coming-out » communautariste. Là encore, plusieurs raisons m'y poussent. 

    D'abord, même si je tentais d'y penser le moins possible, je savais très bien qu'il est impossible d'assimiler dix à quinze millions de personnes. L'argument est banal mais il est valable : on peut assimiler des individus mais pas des peuples. A l'échelle de ces chiffres, nous avons à faire à des peuples, non plus à des individus ayant été transférés dans des familles d'accueil. Cela ne s'est jamais produit dans l'Histoire, et puisqu'elle est, pour nous, notre seule véritable école politique, nous ne voyons pas comment un tel exploit serait possible aujourd'hui, d'autant que les conditions, ne serait-ce que pour essayer, sont désormais les pires possibles. En effet, la puissance d'attraction de la culture et de la civilisation françaises a fortement diminué. Nous ne sommes hélas plus au 18eme ou 19eme siècle. Nous avons cédé face aux cultures anglo-saxonnes depuis déjà trop longtemps, et, tandis qu'un certain nombre de français de souche n'ont déjà quasiment plus beaucoup d'attirance pour leur propre civilisation, on voudrait que des français de fraîche date devinssent des Jean Gabin et récitassent du Corneille ou du Racine ? Cela paraît hautement improbable. Et puisque de toute façon nous n'avons pas commencé, depuis trente ans, par l'assimilation, nous nous trouvons en face de gens déjà formés par leur propre culture. En somme, c'est déjà trop tard. Ajoutez à cela des cultures profondément différentes des cultures européennes, parce qu'africaines, musulmanes, etc, et vous vous retrouvez dans une situation impossible. 

    En définitive, désormais, l'assimilation relève du rêve ou de la gageure. Les communautés se forment déjà sur notre territoire, tout à fait naturellement. Un million de hussards noirs, sveltes et sévères, qui ressusciteraient, n'y pourraient rien. Et de toute façon, nous ne les avons pas. Le sort est donc jeté. 

    Mais puisque nous parlons de « messages politiques », venons-en. Les plus malins du Front National ne croient pas plus à l'assimilation de quinze millions de personnes que moi, mais rétorquent habilement que ce discours reste le plus utile à tenir. Il rassure les français sur une vieille illusion de paix sociale garantie par une forte culture commune, et peut même agréger au mouvement des personnes d'origine immigrée qui aurait fait le choix personnel de s'assimiler parfaitement. 

    Oui, ça peut marcher, et d'ailleurs, dans une certaine mesure, ça marche. 

    Toutefois, je crois qu'il est possible que le FN ait un coup d'avance en assumant une donnée qui sera la réalité incontestable de demain. En vérité, puisque le communautarisme tiendra lieu de système social dans la France – voire l'Occident tout entier – de demain, la question qu'il reste à trancher est celle de son application : sera-ce un communautarisme larvé et conflictuel ou au contraire ordonné ? 

    Les intérêts politiques d'un tel discours seraient les suivants : 

    Déjà, il serait plus proche des réalités et du possible. Alors certes, dans la « politique com », ce n'est plus vraiment l'essentiel, mais pour celui qui voudrait se préparer à exercer, effectivement, le pouvoir, intégrer à son logiciel la vérité et les éléments du possible n'est pas chose superfétatoire.

    Il réaliserait aussi l'équation assumée de ce qui est déjà, à savoir que le Front National est le parti des français, de ceux qui se ressentent et se respirent comme tel, et dont la plupart, qu'on le veuille ou non, ne sont pas d'origine immigrée.

    De plus, ce message serait loin de faire fuir les voix des personnes d'origine immigrée. Je m'explique : j'ai été frappé de constater qu'un tel discours responsabilise et rassure les français musulmans ou simplement d'origines étrangères. Il ne leur somme pas de devenir de « parfaits français », ce qu'ils n'ont pas envie d'être, à de rares exceptions, mais leur permet de rester ce qu'ils sont, organisés, respectés, avec comme seules conditions d'honorer les lois du pays en n'étant pas à sa charge. En clair, il rehausserait le drapeau et l'Etat au dessus des communautés, lesquelles seraient, le plus possible, encouragées toutes à leur porter allégeance. Nous aurions là des français, tous rassurés dans leur manière de vivre, mais travaillant de concert pour leur bien propre. 

    Alors certes, on va me dire que ce modèle est celui des Etats-Unis. Oui, c'est vrai. Là-bas, dans l'archétype, les communautés existent et vivent plus ou moins comme elles l'entendent, du moment qu'elles respectent les lois de l'Etat et soient capables de le servir dans une conscience rehaussée de servir quelque chose qui les dépasse et les garantie dans leurs modes de vie.

    Ce n'est pas l'idéal, bien entendu. Mais nous n'avons plus quinze ans : l'idéal est derrière nous. Nous devons faire au mieux avec les conditions sociales qui sont les nôtres, et tant pis si celles-ci ressemblent désormais aux sociétés multiculturelles anglo-saxonnes. Ce n'est pas de notre faute si c'est ainsi. S'il n'en avait tenu qu'à nous, il n'y aurait pas eu d'immigration et tous ces problèmes ne se seraient jamais posés. 

    De toute façon, quelle est l'alternative ? Entendu que quinze millions de personnes, sans doute vingt demain, ne deviendront jamais, tous, des auvergnats et des bretons classiques, il va bien falloir organiser un peu tout cela. Ne serait-ce que – parce que nous y tenons – pour conserver le type classique de l'auvergnat et du breton. Restes des solutions de guerre civile, de remmigration massive ou de génocides, mais personne, en l'état, en raison et en morale, ne peut proposer de telles solutions. Dès lors, organiser en vue de la France des communautés qui de toute façon existent et existeront encore plus demain, semble la seule solution d'avenir à la fois pacifique et salutaire. Le reste n'est qu'illusions, anarchie et sang.

    PS : J'ajoute, pour ceux qui rêvent de "remigration", que celle ci ne pourrait être envisageable que dans un contexte de communautés clairement identifiées. Tous les exemples de mouvements de populations dans l'Histoire en témoignent.

    Julien Rochedy (Rochedy.fr, 19 mars 2015)

     

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  • L'ombre de Terra Nova...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 17 décembre 2013 et consacrée au rapport sur l'intégration publié sur le site internet de Matignon, et qui a provoqué de nombreuses réactions...

     


    Rapport de l'intégration : ni un couac, ni une... par rtl-fr

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  • Cap vers le multiculturalisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michèle Tribalat, cueilli sur Atlantico et consacré au multiculturalisme rampant, désormais favorisé par les autorités françaises et européennes...

    Démographe, Michèle Tribalat a publié ces dernières années Les yeux grands fermés (Denoël, 2010) et Assimilation : la fin du modèle français (Editions du Toucan, 2013),  deux essais incisifs sur les choix politiques en matière de politique d'immigration.

     

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    Intégration : les 5 rapports qui poussent la France sur la voie du multiculturalisme choisi sans le dire trop haut

    Après le rapport Tuot, les rapports remis par cinq commissions (voir ici) chargées, sur des sujets spécifiques, de formuler les pistes de refondation de la politique d’intégration, permettent de se figurer enfin la déclinaison française du multiculturalisme pour lequel l’UE (et donc la France, discrètement) a opté lors du Conseil européen du 19 novembre 2004. Signalons, pour ne plus en reparler, le rapport sur l’habitat rendu illisible par le langage, la syntaxe et l’orthographe.

    Le terme multiculturalisme n’est employé qu’une fois sur les 276 pages des cinq rapports, et encore à titre historique et anecdotique. C’est pourtant bien de multiculturalisme dont il s’agit dans ces rapports. Ces rapports nous expliquent que le terme intégration a servi de camouflage à une politique d’assimilation et que le Haut Conseil à l’intégration a été le lieu de ce camouflage. Or, rien n’est plus faux. La tendance républicaine récente, dont on fait grief au HCI, a plutôt contrasté avec d’autres plus anciennes. À sa création, lorsqu’il s’est agi de définir l’intégration, le HCI a en effet opté pour une définition multiculturaliste. L’intégration y est désignée comme "le processus spécifique par lequel il s'agit de susciter la participation active à la société nationale d'éléments variés et différents tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l'ensemble s'enrichit de cette variété, de cette complexité". Cette définition, qui fait déjà de la diversité une valeur a priori, anticipait sur celle qui allait être adoptée dans toute l’UE, laquelle insiste elle aussi sur l’idée de processus à double sens. Pour avoir été membre du groupe statistique puis du HCI, je me souviens fort bien que la fermeté républicaine, jugée aujourd’hui synonyme d’intolérance, n’a pas toujours été de mise, comme on fait mine de le croire.

    Ce n’est donc pas l’assimilation que ces rapports s’emploient à réfuter, tant l’usage de ce terme comme ses points d’application se sont raréfiés, mais l’intégration. L’idée en a été disqualifiée, nous explique-t-on par son usage à l’égard des descendants d’immigrés et par l’absence d’action à destination de la société dans son ensemble. « Il n’y a pas de spécificité intrinsèque aux populations vues comme “issues de l’immigration” si ce n’est justement que certaines d’entre elles sont vues et traitées comme toujours étrangères ». C’est le regard racialisant, ethnicisant, discriminant etc. de la société d’accueil qui justifie une politique globale visant à transformer ce regard et donc à réformer la partie dite « majoritaire » de cette société. Une incidente est nécessaire sur l’usage récent du qualificatif « majoritaire » dans les écrits scientifiques, notamment ceux de l’Ined, pour nommer ceux qui ne sont, comme le dit l’Insee, « ni immigrés ni enfants d’immigrés ». Sa vertu est de n’attribuer aucune qualité particulière à l’ensemble qu’il désigne et surtout pas l’avantage de l’ancienneté. Insister sur le caractère majoritaire d’une population la renvoie à une position qui ne s’explique que par son nombre, situation qui n’implique aucun ascendant autre que numérique, lequel n’est pas forcément appelé à perdurer. Aucun héritage collectif ne vient teinter l’appellation de « population majoritaire ». Tous les résidents sont équidistants puisqu’il s’agit de reconnaître « toutes les personnes qui résident en France » dans leur diversité, non pas pour la contribution qu’ils pourraient apporter à la société mais « pour ce qu’ils sont et simplement pour leur présence sur le territoire ». Cela suppose « une reconnaissance des personnes dans leur singularité, […] dans le respect des cadres sociétaux minimums communs » et une reconnaissance de la « légitimité des personnes à être ici chez elles, et comme elles sont ou se sentent être, et en conséquence une légitimité des acteurs et des organisations à agir sur les problèmes qui empêchent la normalisation des statuts sociopolitiques et la réalisation d’une égalité effective des droits et de traitement ».

    La question que se posait déjà le HCI lorsqu’il avait lancé sa définition de l’intégration, à savoir comment faire tenir ensemble ce conglomérat d’individus et de groupes, les auteurs des rapports se la posent aussi. Le HCI voyait bien se profiler la contestation « du système de valeurs traditionnellement dominant dans notre pays ». Le HCI proposait ce qu’il appelait « le pari de l’intégration » selon lequel la contestation « du cadre global de référence français » serait surmontée par « l’adhésion à un minimum de valeurs communes », tolérance et respect des droits de l’homme. C’est aussi ce que proposent les rapports rendus récemment. Ils invitent les pouvoirs publics à « rompre avec une logique extensive de normalisation », en s’en tenant à un triptyque de valeurs (droits de l’homme, droits de l’enfant, laïcité « inclusive »), lequel peut être transposable à peu près dans toutes les démocraties du monde.

    Puisqu’il n’y a ni héritage, ni culture, ni modes de vie à préserver côté « majoritaire », toute l’action politique doit être canalisée vers la lutte pour l’égalité et contre les discriminations de toutes sortes, y compris celles qui figurent dans nos textes de loi actuellement, comme la loi sur le voile à l’école ou l’exclusion des étrangers de la fonction publique. Le mal est si grand et si répandu que cette politique doit être « globale et systémique ». Les majoritaires baignent dans une société imbibée de pensées et attitudes racialisantes qui nécessitent des actions de formation qui leur feront voir la « diversité » sous son vrai jour. L’école est bien évidemment l’institution qui devrait se prêter le mieux à cette rénovation des mentalités, mais pas seulement. Nous sommes tous potentiellement visés : « ensemble des acteurs associatifs, culturels, collectifs, citoyens, acteurs institutionnels et élus ». Il faut ainsi « remettre à plat l’histoire de France » afin d’inscrire « chacun dans une histoire commune ». Pourquoi ne pas constituer un « nouveau “panthéon” pour une histoire plurielle », l’histoire enseignée se référant « à des figures incarnées qui demeurent très largement des “grands hommes” mâles, blancs et hétérosexuels » ? L’idée serait de mettre en place « un groupe de travail national composé notamment d’historiens, d’enseignants, d’élèves et de parents » chargé de « proposer une pluralité concrète de figures historiques […] et de faire des propositions en direction par exemple des éditeurs de manuels, de revues, etc. ». Les activités dites « culturelles » se prêteraient aussi fort bien à cette entreprise de reformatage idéologique. Il faudrait alors valoriser « dans tous les médias des “bonnes pratiques” où les forces vives d’un territoire s’allient pour créer avec les artistes et les habitants des récits locaux qui construisent de nouveaux imaginaires collectifs » déconstruisant ainsi « les clichés, les représentations et peurs de l’autre, inconnu ou étranger ».

    Ces rapports empruntent à Bhikhu Parekh qui est tout sauf un multiculturaliste modéré, même au Royaume-Uni, puisqu’il avait proposé de remplacer le mot nation par communauté de communautés, de revisiter l’histoire du Royaume-Uni et, lui aussi, d’en finir avec le mot intégration. Ils s’inspirent aussi beaucoup des multiculturalistes québécois qui, pour se distinguer du multiculturalisme canadien, ont proposé l’interculturalisme québécois. Il faut promouvoir l’interculturel en faisant dialoguer les différentes cultures françaises, en développant les langues de France, le français n’étant que la langue dominante d’un pays plurilingue. « Il faut à la fois banaliser la pluralité des langues et encourager leur réappropriation potentielle par tous les élèves, en tant que véhicules donnant accès à des univers et rapports cognitifs constitutifs d’une pluralité de civilisations, qui font notre richesse, notre histoire et notre culture commune ». On notera la contradiction qu’il y a à demander à des enfants (compris dans « tous les élèves ») de se réapproprier des langues qu’ils n’ont jamais apprises. Ces rapports font également leur les fameux accommodements raisonnables dont les Québécois ne veulent plus guère, sans évidemment prononcer le mot qui fâche. On doit donc s’attendre, s’ils étaient entendus par le gouvernement, à une modification du cadre légal en profondeur pour contraindre aux « compromis normatifs ». C’est probablement sur les mêmes droits que ceux mobilisés au Québec que s’appuierait le nouveau cadre légal – « droit de l’égalité et celui de la liberté de pensée (opinion, religion…) » considérés comme « le socle minimum commun ».

    Ce redressement idéologique devrait évidemment toucher le langage puisque « désigner dit-on c’est assigner, c’est stigmatiser ». Seule l’auto-désignation identitaire serait désormais acceptable. Il faut donc reconnaître la différence et en tenir compte plus que jamais sans jamais la nommer. Cela va être difficile. On espère que les formations recommandées pour réformer la société fourniront le glossaire et les exercices appropriés. L’un des rapports recommande de « revisiter tous les registres lexicaux utilisées au sein et par les institutions d’action publique tout comme par les médias et les partis politiques ». On se demande ce qu’il en sera de la recherche. Il prévoit la multiplication de chartes diverses, de recommandations en direction des médias et donc des journalistes et même le « recours à la sanction pour contraindre à la non désignation ». Désigner pourrait être assimilé à un harcèlement racial. On aura intérêt à se tenir à carreau si la rénovation politique annoncée voit le jour.

    La connaissance elle-même est un enjeu important. Telle que ces rapports l’envisagent, elle serait à même de faciliter la reconnaissance. Il y faudrait pour cela une « vision actualisée » de l’immigration produite par des « connaissances actualisées ». Par actualisé, il faut entendre une mise au goût du jour. Une manière envisagée pour actualiser la connaissance serait par exemple de consacrer une journée à la commémoration des « apports de toutes les migrations à la société française ». Une autre serait de donner une prime aux documentaires et fictions « favorisant la diversité ». On envisage aussi des « ateliers-débats de philosophie » de la maternelle à la classe de seconde traitant du genre, de la religion, de l’identité, de l’altérité…

    Cette nouvelle politique « qui nous pend au nez » si le Premier ministre prend au sérieux les cinq rapports qu’il a lui-même commandés – et pourquoi n’en serait-il pas ainsi puisqu’il a, avec ces rapports, « récidivé » alors qu’il était déjà en possession du rapport Tuot ? – pourrait s’appeler « inclusive » selon les recommandations de ce dernier. « L’inclusion est l’action d’inclure quelque chose dans un tout ainsi que le résultat de cette action. » Et c’est tout. Une politique inclusive vise donc uniquement à favoriser « l’accès du citoyen aux infrastructures et aux services sociaux, culturels et économiques, de même qu’au pouvoir ». Je suppose qu’il faut entendre, par citoyen, « citoyen potentiel » s’agissant des étrangers, même si, on l’a bien compris, plus rien ne devrait logiquement séparer l’étranger du Français en termes de droits. En plus d’une loi-cadre, chaque rapport a sa petite idée sur le nom des instances à placer auprès du Premier ministre, dont certaines seraient déclinées à l’échelon régional afin de mettre en place cette politique inclusive globale : Conseil de la cohésion sociale, Cour des comptes de l’égalité, Institut national pour le développement social, économique ou culturel des milieux populaires chargé de « mettre fin à l’assignation sociale par héritage ».

    Cette politique serait distincte de la gestion des flux migratoires – qui, par souci de cohérence, devra rester bienveillante et respectueuse de la diversité - par le ministère de l’Intérieur, dont la réorganisation (décret du 12 juillet 2013) a déjà supprimé le terme d’intégration. Le SGII (Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration) a été remplacé par la Direction des étrangers en France.

    Pour conclure, il est cocasse de constater que les cinq missions mandatées par le Premier ministre qui n’ont que le pluralisme en bout de plume dans leurs écrits ne brillent guère par le pluralisme de leur composition et de leurs conclusions. Comme l’écrivait Kenan Malik dans la revue Prospect de mars 2006, « une des ironies qu’il y a à vivre dans une société plus diverse est que la préservation de cette diversité exige que nous laissions de moins en moins de place à la diversité des opinions. » Jean-Marc Ayrault semble avoir parfaitement intégré ce paradoxe.

    Michèle Tribalat (Atlantico, 9 décembre 2013)

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