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Points de vue - Page 37

  • « La France doit enfin valoriser son histoire par des superproductions grand public ! » ...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Aurélien Duchêne et de Timothy G. Parvez consacré à l'absence du cinéma français dans les films historiques à grand spectacle... 

    Aurélien Duchêne est analyste en relations internationales. Timothy G. Parvez est étudiant franco-américain en relations internationales. Il travaille en parallèle au ministère de l'Intérieur.

     

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    Les Trois Mousquetaires : « La France doit enfin valoriser son histoire par des superproductions grand public ! »

    Qui regarde l'histoire de France a le vertige. Une histoire magnifiée entre autres par nos grands auteurs, qui ont contribué à faire vivre l'imaginaire collectif au travers de classiques tels que les Trois Mousquetaires. Le chef-d'œuvre d'Alexandre Dumas fait justement l'objet d'une nouvelle adaptation sortie cette semaine au cinéma. Or, le film de Martin Bourboulon se distingue par le fait qu'il s'agit de l'une des très rares superproductions françaises consacrées ces dernières décennies à l'histoire ou aux classiques littéraires de notre pays.

    En comparaison, les Anglo-saxons sont coutumiers des grosses productions historiques, au point de produire davantage de «blockbusters» sur l'histoire de France que les Français eux-mêmes ! Napoléon fera ainsi cette année l'objet d'une superproduction de Ridley Scott, puis d'une série de Steven Spielberg. Mais naturellement, les grosses productions américaines et britanniques concernent d'abord l'histoire de leurs pays respectifs. Au niveau national, elles entretiennent le patriotisme ; au niveau mondial, elles conquièrent les esprits.

    Quand la France va-t-elle à son tour multiplier enfin de grosses productions (films, séries, jeux vidéo), valorisant l'histoire et le patrimoine de notre pays ? Qui puissent avoir auprès du grand public l'impact d'un phénomène culturel comme Game of Thrones ? Si l'on peut louer le fait que nous n'enseignions plus les artifices du roman national d'antan, nous pouvons déplorer le fait que nous ne transmettions plus depuis des décennies des repères majeurs de notre histoire. Qu'évoquent au grand public les batailles fondatrices de Bouvines et Valmy, ou le souvenir de la Nouvelle-France ? Pis, qu'inspirent aux jeunes générations des événements ou personnages naguère connus de tous, de Clovis à Clemenceau ?

    À l'heure où les Français ne lisent en majorité pas plus de livres d'histoire que de classiques littéraires, les films et séries pourraient jouer ce rôle de transmission de notre héritage millénaire. Puisque ce n'est pas le cas, les productions venues d'ailleurs remplissent la brèche. Les nouvelles générations grandissent ainsi souvent biberonnées aux superproductions américaines. Or, certaines de ces productions véhiculent parfois des narratifs et des idées qui peuvent fragiliser le sentiment d'appartenance, pilier de l'unité nationale. Ainsi du film Black Panther 2, qui met en scène l'humiliation de soldats français accusés d'avoir pillé des ressources au Mali, nuisant autant à l'intégration des jeunes issus de la diversité qu'à l'image de la France. Ce sont nos futurs ambassadeurs qui grandissent sous de telles influences. De la même manière, l'absence d'offre culturelle rendant plus attractifs notre héritage et nos valeurs explique pour partie le fait que tant de jeunes s'en détournent, voire embrassent des idées qui leur sont hostiles.

    Certes, de récentes grosses productions historiques françaises ont connu un franc succès et ont marqué les esprits et les références de toute une génération. Des films tels qu'Astérix ont permis de réinventer le mythe de l'irréductible Gaulois, sous une forme sympathique et attachante, et de réintégrer cette figure dans l'imaginaire collectif. Mais la figure du Gaulois n'est malheureusement présentée que sous cette forme parodique. Et là où une majorité de Français la connaissent à travers Astérix, où sont les références culturelles communes qui permettraient à tous les Français de s'intéresser à d'autres personnages incontournables de notre histoire ?

    Sans films ou séries grand public sur les Capétiens, Louis XIV, les figures de la Révolution ou de la IIIe République, comment faire vivre dans notre culture contemporaine ces personnages cantonnés aux livres d'histoire ? Bien évidemment, il ne s'agit pas ici de substituer des œuvres célébrant l'histoire de France aux productions qui dominent la scène culturelle française (comédies, films et séries centrées sur la vie quotidienne…). Il s'agit de dépoussiérer notre passé pour le faire enfin revivre dans la culture populaire. C'est ainsi que nous transmettrons à nouveau notre héritage, pour nous réunir autour de la fierté nationale. Il s'agit aussi de réinventer et de relancer l'influence française, en crise et en déclin à divers égards. Au-delà de la valorisation de notre histoire, nous devons aussi mettre en scène ce qui fait de la France une puissance qui compte encore. Les Britanniques le font en partie : James Bond incarne ainsi une figure patriotique rassembleuse, une référence qui transcende les clivages générationnels et incarne l'excellence britannique dont il est un ambassadeur mondial.

    Concrètement, comment mettre en œuvre de tels projets ? Pour toucher l'audience la plus large possible, il s'agira de concilier souci du réalisme historique sur le fond et qualité du divertissement sur la forme. Avec des budgets à la hauteur, soit plusieurs dizaines de millions d'euros par projet. Outre les financements privés, des aides publiques directes et massives seront indispensables. Ces fonds publics pourraient provenir d'une réorientation d'une partie des subventions à la création audiovisuelle. En particulier celles dédiées aux grosses productions commerciales qui pourraient se passer d'aides. Financer des superproductions valorisant notre héritage culturel et historique aidera aussi à lutter contre le mal-être collectif dans lequel baigne notre pays. Comment mieux nous en extraire qu'en renouant avec un imaginaire positif, fédérateur ? Valoriser un passé révolu, ce n'est pas vouloir son rétablissement, mais nous projeter dans un avenir commun.

    Aurélien Duchêne et Timothy G. Parvez (Figaro Vox, 14 avril 2023)

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  • La politique de Macron : une révolution oligarchique contre le peuple...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan cueilli sur Polémia et consacré à Macron en tant qu'actuel fondé de pouvoir du système oligarchique.

    Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015), Achever le nihilisme (Sigest, 2019), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022) et La planète des philosophes (Dualpha, 2023).

     

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    La politique de Macron : une révolution oligarchique contre le peuple

    « Liquidation », écrivait Frédéric Rouvillois dans son livre sur Macron comme définition de son projet (Liquidation – Emmanuel Macron et le saint-simonisme, Cerf, 2020). Le projet de Macron, c’est cela : liquider tout ce qui restait solide dans la société française, certains habitus et mœurs, certaines structures, certains projets (devenir propriétaire d’une maison, la léguer, avoir un métier dont on est fier et pas seulement un « job »), rendre tout liquide, tout réversible, tout jetable (notamment les traces de notre histoire), tout interchangeable (les peuples, les gens, les sexes, les métiers, les territoires, etc.). Éparpillé façon puzzle : cela veut dire que notre pays et notre peuple ont été mis en morceaux. Dispersés et hachés menu. Éparpillé : c’est le résultat de la politique de Macron. Un peuple dispersé, affaibli, atomisé. Loin de n’avoir « rien fait », comme on l’entend parfois, Macron a presque tout réalisé de son programme. Vendre l’industrie française : c’est le capitalisme de connivence. Conforter l’oligarchie : c’est le pacte de corruption lié au covid, c’est-à-dire à l’interdiction de traiter les malades du covid hors utilisation de vaccins (ceux permettant des superprofits aux membres de la caste – ceux qui ont propulsé Macron et qui attendaient leur retour sur investissement).

    Téléologie et domination du Capital

    Il faut ici faire appel à Marx. Et d’abord souligner son point faible : la téléologie, voire une certaine eschatologie. C’est ce qu’il y a de moins convaincant chez Marx. « Pour nous, écrit Marx, le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement » (L’Idéologie allemande). On peut en douter. Pour le dire autrement, peut-on penser que le règne du Capital (entendons par là les rapports sociaux liés à un certain état et un certain agencement des forces productives) aboutisse nécessairement, même avec un coup de pouce politique, au communisme selon Marx, c’est-à-dire à la fin de l’aliénation ? Non. On ne peut valider la thèse de l’inéluctabilité historique de la marche vers le socialisme marxien comme travail conscient de la transformation de la nature et de soi-même. On peut craindre au contraire que le brouillard des âmes et le brouillage de la conscience de soi comme sujet historique ne s’étendent, par le développement du fétichisme de la marchandise.

    Pas de marche assurée au dépassement du capitalisme donc. En revanche, le règne du Capital (de la Forme Capital) peut aboutir à une version apocalyptique du « communisme », cette fois au sens stalinien, ou au sens de la dictature chinoise, c’est-à-dire à l’étatisme absolu. Mais la différence entre le totalitarisme néo-libéral et les totalitarismes communistes, c’est qu’il s’agit d’un étatisme antinational avec les néo-libéraux, l’État ayant fusionné avec les multinationales et la finance, qu’il a déjà sauvées en 2008 (cf. notamment Alain de Benoist, Au bord du gouffre – La faillite annoncée du système de l’argent, Krisis, 2015). Nous vivons ainsi sous le « soleil noir du capital », comme écrit Anselm Jappe. Il est là non pour nous chauffer l’âme, mais pour brûler nos vies et pour nous aveugler par le crétinisme télévisuel des médias de grand chemin.

    Quand Macron fait du saint-simonisme

    Frédéric Rouvillois dit encore : « Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, Macron fait du saint-simonisme sans le savoir » (FigaroVox, 27 septembre 2020). Cela va plus loin que cela, et c’est encore plus grave que cela. L’utopie rationaliste et techniciste de Saint-Simon (le socialiste) se voulait un « nouveau christianisme » (1825). Avec Macron, c’est d’un antichristianisme ou d’un postchristianisme (car s’opposer suppose de connaître, ou d’être déçu, non d’être indifférent) qu’il s’agit. Ses mots d’ordre sont non seulement ceux du télétravail mais ceux de la télévie. Une vie désincarnée. « Éloignez-vous les uns des autres », « suspectez tout le monde (de ne pas être vacciné, d’être “un danger”) », « méfiez-vous de votre prochain », « isolez-vous » et, finalement, « préparez-vous à la vraie vie dans le monde libéral : la guerre de tous contre tous ». C’est le refus de toute incarnation. C’est l’effacement de toutes les images fédératrices. C’est la destruction de toutes les formes instituantes : école, églises, histoire de France, élections prises au sérieux, fêtes solennelles. C’est la victoire de « ceux qui ont créé leur start-up » sur « ceux qui ne sont rien » et qui pourtant sont tout le peuple. C’est la domination des arrogants improductifs voire nuisibles (les affairistes) sur les travailleurs, sur les producteurs.

    Les libéraux des deux rives contre le peuple et le politique

    La politique Macron est le stade ultime du libéralisme et du capitalisme. Mais en quel sens ? C’est ici que nous voyons un tournant et une accélération dans les politiques libérales menées depuis 1983. Que s’est-il passé pour que le libéralisme devienne l’ennemi des libertés ? Il a fallu que le libéralisme fasse un constat. Le libéralisme se heurte à la résistance de la nature humaine. Qu’en conclut-il ? Qu’il faut changer la nature humaine. Tel est l’objectif de Macron et plus largement du Great Reset (la grande réinitialisation) de Klaus Schwab et Thierry Malleret (un livre publié en 2020). Le libéralisme ne se remet pas en question. Il remet le réel en question. La société n’est pas conforme aux postulats libéraux ? Ne changeons pas le libéralisme, mais changeons la société. Les communistes ont parfois fonctionné de cette façon. En ce sens, les libéraux sont leurs élèves. Entendons : les élèves de ce que les communistes ont fait de pire.

    Les libéraux ont donc constaté que la société n’était pas entièrement conforme aux schémas libéraux. Il faut donc changer la société. C’est pourquoi le libéral-libertaire Macron, unissant les libéraux des deux rives, les fossoyeurs de la France des deux rives, les oligarques des deux rives (une affaire qui a mieux marché que la sympathique tentative de Jean-Pierre Chevènement en 2002 d’unir les « républicains des deux rives »), appuyé sur le crétinisme et l’inculture des bobos, veut donner au libéralisme un nouvel élan et ne peut le faire qu’en supprimant la démocratie, en la réduisant à des procédures hors-sol, non représentatives.

    C’est pourquoi la Ve République (qui n’était pas parfaite mais était un outil améliorable) a été vidée du meilleur de son contenu, avec l’extension des pouvoirs du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, des juges, avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, avec la transformation du poste de Premier ministre en simple poste de collaborateur (et pas le premier) du chef de l’État, et avec bien entendu la tutelle de l’UE (si utile car déresponsabilisante).

    Bilan : des élites robotisées et les robots contre la France. Les élites peuvent se permettre d’être antipatriotes et hors-sol, de partout et de nulle part. Le peuple ne le peut pas. « À celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien[1]. »

    « Crise » du covid et « crise » du climat comme moyen de tétanisation du peuple

    En rendant les élections de plus en plus déconnectées du peuple (la grande majorité des élus des chambres viennent des couches supérieures de la nation), en mettant dans les lois ordinaires toutes les lois d’exception qui devaient être temporaires, liées au terrorisme, à la « crise » du covid[2], au « climat », la politique Macron vise aussi à sauver le capitalisme par une mutation totalitaire. Il s’agit de mêler fausse « urgence » écologique (alors que l’écologie sérieuse, c’est le long terme), réduite à ce qui intéresse le système, c’est-à-dire la « croissance verte » et non la relocalisation de nos économies et industries, et réformes sociétales consistant à mettre l’accent sur de faux problèmes (comme les inégalités de salaire hommes-femmes, qui sont depuis longtemps interdites par… le Code du travail).

    S’ensuit tout un discours mensonger sur de soi-disant « réfugiés » climatiques, prétexte à de nouvelles vagues migratoires, et sur un « changement » climatique d’origine seulement anthropique, hypothèse bien incertaine (le climat a tout le temps changé, et l’influence du soleil peut être infiniment plus importante que l’action humaine. Lire ou relire Emmanuel Le Roy Ladurie sur le perpétuel changement du climat. En outre, un réchauffement n’a pas que des aspects négatifs). Tétaniser les hommes pour les neutraliser. Mondialiser tous les problèmes pour faire oublier que des solutions locales et démocratiques peuvent exister. Mais aussi préparer un nouvel âge du capitalisme. Voilà l’agenda Macron.

    Vaccinations et lutte du Capital contre la baisse tendancielle du taux de profit

    Nous avons souligné les limites de Marx quand il croit pouvoir déceler un mouvement téléologique dans l’histoire. Mais cela ne peut faire oublier que Marx est totalement pertinent quand il inscrit l’économie dans une anthropologie et une philosophie, inscription richement prolongée par de nombreux marxiens, tels Karel Kosík[3], Georg Lukács, Tran Duc Thao, Roger Garaudy[4], Lucien Sève[5]… Il n’y a, comme le soutenait Raymond Abellio même après s’être détaché de certains aspects du marxisme, de solide théorie de la valeur que celle, marxienne, de la valeur-travail. En conséquence, sont aussi pertinentes la théorie de la plus-value et la loi de baisse tendancielle du taux de profit. Le jeu des tendances et contre-tendances de cette loi garde une grande valeur explicative. Or, dans la mesure où l’économie capitaliste du monde occidental, et surtout européen, est de moins en moins productive, le capitalisme a besoin d’être de plus en plus parasitaire, prédateur, improductif. Il a besoin de contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit. Et c’est là qu’arrivent les « vaccins ».

    Un vaccin obligatoire ou des vaccins obligatoires, et renouvelables plusieurs fois par an, constituent un formidable moyen de rétablir de hauts taux de profit dissociés de toute production socialement utile. Des profits sûrs avec la socialisation des risques et des éventuelles pertes (ou coûts de recherche), et avec la privatisation des profits. Processus classique d’un capitalisme de plus en plus ennemi de l’économie réelle, un capitalisme parasitaire et improductif qui a besoin de l’État pour restaurer ses profits, pour sauver les banques et les marchés financiers.

    Passe sanitaire, confinements et couvre-feu contre la révolte populaire

    Le puçage généralisé de tous et, au-delà de cela, le transhumanisme comme fabrication synthétique de soi et marchandisation de soi sont des moyens de relancer l’exploitation de l’homme en poussant l’aliénation jusqu’à la création d’un homme nouveau, simplifié, interchangeable, déshérité, sans culture. Un homme en kit, dans lequel tout est amovible, y compris ses organes sexuels. C’est ce qui se passe avec la stratégie dite « anti-covid », avec passe sanitaire puis passe vaccinal, couvre-feu et confinements (et pourquoi pas bientôt des confinements contre le réchauffement climatique, sachant qu’il y a déjà des interdictions de circulation ?).

    Ce qu’ont entrepris Macron et l’Union européenne comme projet de long terme, c’est une guerre de liquidation anthropologique de l’homme comme lié à ses semblables c’est-à-dire d’abord à son peuple, et être d’héritage culturel, issu d’une histoire, bénéficiaire d’une transmission. Libéral, on pourrait penser que le pouvoir macronien est issu pourtant en ligne directe du libéralisme de Benjamin Constant. Mais il y a dans cela une cohérence : la logique du libéralisme est l’individualisme. Elle est le tout à l’ego. Sa logique est la dissociation et l’éclatement du lien social. Sa logique est l’atomisation des gens et des peuples. Sa logique mène donc à la mort des peuples et à l’individualisation de tout (d’où la destruction du Code du travail, la destruction de la Sécurité sociale, des retraites par répartition, etc.). La logique du libéralisme comme individualisme et culte des idées abstraites est la suppression du passé. Voilà comment on tue une civilisation pour y substituer une sous-civilisation de gens pucés et sous surveillance continue. Voilà comment on crée un « parc humain », comme dit Peter Sloterdijk. C’est pourquoi le libéralisme est contre les libertés et les peuples. Sa logique est orwellienne. 1984, nous y sommes.

    Une nécessaire libération : se libérer du libéralisme pour se libérer du règne du Capital

    Macron est l’actuel fondé de pouvoir de l’oligarchie. Un personnage anecdotique en un sens, mais si emblématique. Et c’est pourquoi il inspire les sentiments massivement hostiles que l’on peut constater chaque jour. Car la seule chose qu’il incarne, c’est justement l’abstraction, l’inhumanité et la brutalité de ce pouvoir oligarchique.

    Le monde de Macron, c’est un libéralisme totalitaire au service de l’argent roi. C’est pourquoi le réveil des solidarités locales et nationales est nécessaire. Il ne s’agit pas d’autre chose que d’une lutte de libération nationale et sociale. « Il faut refaire des hommes libres », disait Bernanos (La liberté, pour quoi faire ?, 1946). Cela ne se fera pas sans reconquérir nos libertés de peuple, nos libertés en commun.

    Pierre Le Vigan (Polémia, 16 avril 2023)

     

    Notes :

    [1] Au moment où on débat des droits de succession sur les héritages, il faut savoir qu’un Français sur trois n’hérite de rien, et qu’un ouvrier et employé sur deux hérite de moins de 8 000 (huit mille) euros (de quoi acheter une place de parking à Montélimar).
    [2] Le covid car c’est un virus, et non la covid car qui dit virus ne dit pas forcément maladie (2 % seulement des entrées en hospitalisation en 2020 y sont liés, France Info, 17-11-2021).
    [3] La Dialectique du concret, François Maspero, 1970 – Les éditions de la Passion, 1988.
    [4] Marxisme du xxe siècle, 10-18, 1966.
    [5] Une introduction à la philosophie marxiste, Éditions sociales, 1980.

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  • Démographie et immigration...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial que Bernard Lugan a consacré aux liens entre la démographie africaine et l'immigration dans L' Afrique réelle du mois d'avril 2023.

    Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Histoire de l'Afrique (Ellipses, 2009), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018), Esclavage, l'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2020) et dernièrement Pour répondre aux « décoloniaux », aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance (L'Afrique réelle, 2021).

    Il est également l'auteur de deux romans avec Arnaud de Lagrange, Le safari du Kaiser (La Table ronde, 1987) et Les volontaires du Roi (réédition : Balland, 2020) ainsi que d'un récit satirique, Le Banquet des Soudards (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    Démographie et immigration

    L’actuelle migration de masse qui déferle sur l’Europe est la conséquence d'une démographie africaine devenue folle. 

    C’est elle qui tue l'Afrique à petit feu, lui interdisant tout développement, exacerbant ses conflits et poussant ses habitants au départ. 

    Cette explosion démographique s'explique parce que, hier, au nom de leur « amour de l’autre », les missionnaires, les religieuses soignantes, les médecins et les infirmiers coloniaux ont heureusement délivré les Africains de la lèpre, de la rougeole, de la trypanosomiase, du choléra, de la variole, de la fièvre typhoïde, de la fièvre jaune etc., cependant que les militaires les libéraient des esclavagistes. 

    Laissons parler les chiffres. Avec la colonisation, en un siècle, la population du continent a été multipliée par 10. De 100 millions d'habitants en 1900, elle était passée à environ 275 millions dans les années 1950-1960, puis à 640 millions en 1990, à un milliard en 2014 et à 1,4 milliard en 2022. 

    Selon l’ONU, dans les années 2050 les Africains seront plus de 2 milliards (dont 90% au sud du Sahara), puis plus de 4 milliards en 2100 et ils représenteront alors 1/3 de la population mondiale. En 2050, 40% des naissances mondiales seront africaines (Unicef. Afrique/Génération).

    Dans ces conditions, l’aide au développement revient à labourer l’océan, tout progrès étant immédiatement avalé par la démographie qui créé automatiquement de nouveaux besoins. Rien n'y fera car, ni le miroir aux alouettes de l'aide à l'Afrique, ni les accords avec des Etats artificiels gangrenés par la corruption ne permettront de simplement endiguer le phénomène. 

    De plus, comment espérer que les migrants économiques cesseront de se ruer vers le « paradis » européen non défendu et peuplé de vieillards ? Un « paradis » où les vidéos X leur font croire que les femmes s'offrent au premier venu et où, par hédonisme, elles ne font plus d’enfants ? 

    Un « paradis » dans lequel les hommes s'interrogent sur leur identité sexuelle, où l’idéal qui leur est présenté est celui de la déconstruction de leur masculinité et où toute attitude virile est considérée comme « machiste », donc « fasciste » ? 

    Désarmés par l'hystérie émotionnelle de la classe politico-médiatique ainsi que par la compassionnelle sollicitude des clercs, en premier lieu celle du Vatican devenu un des principaux fourriers idéologiques du « grand remplacement », les Européens sont sommés d'accepter et de subir. En France, les forceurs de frontière sont maintenant envoyés repeupler les petits bourgs et les campagnes contre la volonté des indigènes.

    Bernard Lugan (L'Afrique réelle, avril 2023)

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  • Les rentiers de l'hospice constitutionnel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur Idiocratie et consacré au Conseil constitutionnel... Les "larbins dorés" de l’État n'ont pas fait faux bond au président de la république...

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    Les rentiers de l'hospice constitutionnel

    Rarement, le Conseil constitutionnel n’aura été scruté avec une pareille vigilance comme si les bien mal nommés « sages » pouvaient être autre chose que ce qu’ils ont été tout leur vie durant : des larbins dorés de l’Etat. Peut-on s’imaginer un seul instant que des individus qui ont passé toute leur existence sous les ors de la République, avec tout ce que cela suppose d’allégeance pour les hauts fonctionnaires et de manigances pour les acteurs politiques, se dressent face au pouvoir, même d’un point de vue purement juridique, et rejoignent ainsi le peuple à qui ils ne doivent rien, exception faite de quelques mandats électoraux bien mal acquis. Certes, le vent peut tourner un peu mais sûrement pas renverser une institution dont la raison d’être est de maintenir l’ordre constitutionnel.

    La composition d’abord. Sans revenir sur l’extravagance que constitue la présence des anciens présidents de la République imaginé au départ par le général de Gaulle et Michel Debré afin de récompenser René Coty pour service rendu, la nomination des neuf membres dépend exclusivement de personnalités politiques de premier plan : le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Si l’on avait pu croire un moment que la sagesse de ces derniers allait supplanter les jeux d’appareil en privilégiant, par exemple, des profils doués pour les arcanes juridiques, toutes les dernières recrues manifestent un très haut degré de partialité pour ne pas dire de connivence avec le pouvoir. Ainsi, les soupçons de renvoi d’ascenseur qui pèsent sur la dernière nommée, Véronique Malbec : celle-ci aurait en tant que procureure générale accéléré le classement sans suite du dossier de l’affaire des « Mutuelles de Bretagne » pour laquelle le président de l’Assemblée nationale avait été mis en cause – et qui l’a nommé ! Que dire de Jacqueline Gourault, licenciée en histoire/géographie, qui a fait une belle carrière politique à l’UDF avant de rejoindre le parti au pouvoir et de devenir ministre sous la présidence d’Emmanuel Macron – et qui l’a nommé ! D’Alain Juppé qui avait multiplié les courbettes à l’endroit du Président, en trahissant au passage son camp politique, pour faire savoir qu’il était prêt à consentir à une retraite dorée au Conseil, rejoignant ainsi un autre ex-premier ministre en la personne de Laurent Fabius. Le bon Gérard Larcher ne déroge pas à la règle : il a systématiquement nommé des proches, jusqu’à son propre chef de cabinet, qui ont fait carrière dans le prolongement des Républicains. Le résultat est sans appel : qu’ils soient étiquetés à gauche ou à droite, les membres restent des grands serviteurs de l’Etat dont la servilité est inscrite dans leurs gènes. Et pour cause, qui ne rêve pas de voir sa retraite, déjà grassouillettes pour ceux-là, d’augmenter d’une indemnité de 13 500 euros par mois. A l’hospice constitutionnel, la moyenne d’âge des membres du Conseil est de 72,6 ans. 

    La jurisprudence ensuite. Sans entrer dans l’argumentation filandreuse des décisions, le Conseil s’est arrogé un droit d’interprétation exorbitant en faisant jongler les textes et les principes en fonction des situations et au fil de ses besoins ; il est devenu la matrone des représentants de la nation qui ne savent jamais quels principes vont l’emporter, et pour cause, ils se contredisent entre eux : le droit de propriété contre le droit au logement, la liberté d’entreprendre contre le principe de précaution et même le principe de fraternité contre les lois de la République ! Il n’empêche qu’une étude minutieuse de la jurisprudence ne trompe personne : les décisions penchent très souvent du côté de la liberté d’entreprendre quitte à faire prévaloir les intérêts privés contre le bien commun [1]. Le néolibéralisme qui ne dit pas son nom est également à l’œuvre au Conseil, d’autant que celui-ci n’est pas imperméable au lobbying des sociétés privées qui déploient, notamment à l’occasion des questions prioritaires de constitutionnalité, leur armada de professionnels du droit. Quant aux libertés publiques, dont le Conseil se gargarisait d’être le protecteur, elles se sont effondrées à l’occasion de la décision – honteuse – relative à l’état d’urgence sanitaire. Toutes les mesures qui en découlaient, dont la suspension de la liberté d’aller et venir, ont été validées au nom du sacrosaint principe du droit à la protection de la santé.

             Il n’est donc pas étonnant de voir, aujourd’hui, le Conseil placé sous la protection d’une garde prétorienne face à des citoyens dessillés : le droit dit l’ordonnancement du monde mais il arrive que la réalité surgisse des sous-sols et piétinent le droit. Cette nouvelle décision, même pas en trompe-l’œil, nous rappelle que les sages seraient mieux dans un véritable hospice.

    Des idiots (Idiocratie, 14 avril 2023)

     

    Note :

    [1] Voir Lauréline Fontaine, La constitution maltraitée, anatomie du Conseil constitutionnel, éditions Amsterdam, 2023.

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  • Nashville : les progressistes en quête de Genre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'Observatoire du journalisme qui revient sur les errances des médias après la fusillade meurtrière commise dans une école protestante de Nashville (Etats-Unis) par une transexuelle.

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    Nashville : les progressistes en quête de Genre

    Connue en France et dans le monde pour des raisons musicales, trop nombreuses pour être détaillées ici, Nashville a malheureusement fait la Une de l’actualité anglo-saxonne, et brièvement française, à partir du 27 mars 2023. Pour quelques jours.

    Les faits : d’après 20 Minutes, dans son édition mise à jour le 29 mars, essentiellement une copie de la dépêche de l’AFP, comme la plupart des articles parus à ce propos dans la presse française, « le tireur, un homme transgenre de 28 ans, a été abattu par les forces de l’ordre ». Le journal diffuse aussi une partie de la vidéo du tueur entrant dans l’école avec une arme de poing et surtout un fusil d’assaut. La tuerie a provoqué la mort de trois adultes et de trois enfants âgés de 8 à 9 ans. La presse française indique que la fusillade a eu lieu dans une école privée mais pas que cette école est chrétienne. À de rares exceptions, et en utilisant le vocable de « presbytérien », peu habituel en France, l’essentiel de la presse ne spécifie pas que les victimes sont chrétiennes. Chez nous, avec une vision peu compréhensible partout ailleurs de la laïcité, le christianisme est dans un camp particulier — celui du mal. Peu compréhensible ? Par exemple, dans la revue progressiste, littéraire et intellectuelle de Los Angeles The Sun, datée de mars 2023, un très long et passionnant entretien avec l’historienne américaine spécialiste des religions Molly Worthen évoque la France, le temps d’une ligne. Comme le mot « laïcité » est écrit, l’éditeur de la revue est obligé d’ouvrir une parenthèse afin d’expliquer ce que signifie cette particularité. La laïcité à la française, personne ne sait ce que c’est en réalité ailleurs dans le monde.

    Un quiproquo ?

    D’après 20Minutes, « Le chef de la police locale, John Drake, a d’abord identifié le tireur comme Audrey Hale (par ailleurs ancien élève ou ancienne élève de l’école), une femme de 28 ans, abattue lors de l’intervention des forces de l’ordre. En fin de journée, ses services ont précisé qu’il s’agissait d’un homme transgenre, né femme mais qui s’identifiait comme un homme sur Linkedin sous le prénom Aiden ». On s’y perd vite : un homme qui est une femme mais qui est un homme.

     Les médias américains ont perdu la boule

    Devant cette incertitude et face à ce qui est devenu une nécessité, réagir le plus vite possible à tout et n’importe quoi sans réfléchir ni se poser de questions, ni surtout s’informer, ce qui est un comble, les médias américains progressistes ont perdu la tête durant toute cette journée. Ils ont eu beaucoup de mal à indiquer le sexe du tireur de masse, décrivant la tueuse comme étant, un homme, une femme, puis se précipitant à la vitesse d’un progressiste lancé à toute vitesse pour affirmer que le tueur était un homme. Cela ne s’est pas fait en une fois, et il ne fut pas rare, sur le fil d’actualité du New York Times par exemple, que le passage d’un sexe à l’autre devienne une « information » plus importante que les faits eux-mêmes.

    Le tireur était-il une femme ? Un homme ? Un transgenre en tout cas. Or, comme tout transgenre, il s’identifie comme femme, comme homme ou comme sans genre spécifique. Pour les autorités, lors de la déclaration du début de l’après-midi, le tueur était une femme trans.

    Juste avant que la confirmation selon laquelle le tueur s’était identifié comme transgenre, le New York Times avait tweeté un article pour montrer que « les tueuses dans les fusillades de masse aux Etats-Unis — comme celle qui s’est produite à Nashville — sont extrêmement rares ». Il a bien fallu faire machine arrière plus tard dans la soirée : « Il y a eu une confusion au sujet de l’identité de genre de l’agresseur dans la fusillade de Nashville. Les auteurs de l’article ont employé “she” and “her” pour désigner le suspect qui semblait en fait s’identifier comme un homme sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois ». La même mésaventure est arrivée à USA TODAY qui a, lui aussi, dû rebrousser chemin. Cependant ce média a choisi de s’en prendre aux forces de l’ordre ayant mal identifié le coupable. Facile.

    Une question de pronom

    Même CNN a dû réagir. La chaîne de télévision, en perte de vitesse, a précisé qu’elle s’était trompée et que le tueur utilisait bien des pronoms masculins sur les réseaux sociaux. Pour information, car en France le débat est de faible intensité en comparaison, lors de l’inscription dans nombre d’universités, par exemple, il est demandé au futur étudiant quels « pronoms il préfère utiliser ». Et ces pronoms peuvent évidemment varier dans le temps pour une personne transgenre. Prudemment, CNN a décidé de ne pas mettre de pronoms sur ses bandeaux d’information en direct…

     Les vrais coupables ? Les conservateurs.

    Pour une partie des médias, la pensée conservatrice est coupable de la tuerie. Selon ABC News, une loi récente du Tennessee serait à l’origine de la tuerie. Il s’agit d’interdire les soins médicaux transgenres pour les mineurs. Sur NBC, la fusillade serait liée au journal conservateur The Daily Wire, journal de Nashville, qui aurait trop parlé des questions transgenres. La seule information factuelle, loin de ces allégations sans fondement ? Personne ne sait pourquoi cette tuerie a eu lieu. Par contre, chacun sait que le tueur était transgenre.

    Ojim (Observatoire du journalisme, 7 avril 2023)

     

    Connue en France et dans le monde pour des raisons musicales, trop nombreuses pour être détaillées ici, Nashville a malheureusement fait la Une de l’actualité anglo-saxonne, et brièvement française, à partir du 27 mars 2023. Pour quelques jours.
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  • Russie-Ukraine : splendeur et misère du Grand Jeu...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Oswald Turner, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré au conflit russo-ukrainien et à ses implications...

     

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    Russie-Ukraine : splendeur et misère du Grand Jeu

    L’Ukraine est de facto en guerre contre la Russie depuis 2014. Il n’est pas inutile de le rappeler. L’invasion russe en février 2022 ne fut aucunement un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il y eut d’abord, en février 2014, l’invasion et l’annexion de la Crimée par les « petits hommes verts », ces soldats russes dépourvus du moindre insigne. Pour Moscou, ce coup d’éclat tactique, assorti d’un « référendum » populaire, n’avait qu’un seul objectif : ravir la très symbolique et stratégique péninsule criméenne à l’Ukraine en la rattachant à la Russie. En parallèle, à partir d’avril 2014, le Donbass, région orientale ukrainienne à majorité russophone, sombrait dans une guerre civile opposant le nouveau gouvernement ukrainien et des milices séparatistes. L’Ukraine, tout juste ébranlée et métamorphosée par les manifestations pro-occidentales de Maïdan, plonge dans une guerre civile ouverte et une guerre larvée avec la Russie.

    Une guerre dans la guerre

    Depuis 2014, les morts ukrainiens, civils et militaires, se comptent par milliers. Les exilés et les déplacés dépassent les deux millions de personnes. Cette guerre civile n’a pas eu lieu en Afrique, mais bien en Europe. Pour autant, jusqu’en 2022, les événements paraissaient lointains, comme le sont d’ordinaire les conflits africains. Certes, de façon ponctuelle, par exemple lors du crash du vol MH17, abattu par un missile sol-air, le conflit ressurgissait dans les médias occidentaux. Il devait cependant rester aux yeux de l’opinion un événement éloigné aux enjeux méconnus. Il était d’ailleurs d’usage de parler de crise plutôt que de guerre, marquant ainsi une forme d’éloignement et de détachement vis-à-vis de ce conflit.Et pourtant, la guerre civile ukrainienne a revêtu d’emblée un caractère fortement international. D’un côté, les milices séparatistes furent soutenues et encouragées par Moscou, bien décidé à avancer ses pions en jouant la carte du pourrissement de la situation et du grignotage territorial. De son côté, le gouvernement ukrainien s’est tourné, par volonté et par nécessité, vers l’Occident, États-Unis en tête. L’annexion de la Crimée a également débouché sur les premières sanctions européennes aux effets mitigés. Le Donbass est quant à lui devenu une affaire internationale, prise dans le redoutable Grand Jeu, cette partie géopolitique jouée par les grandes puissances de ce monde. L’Europe a été confrontée à la « question ukrainienne », comme naguère la « question d’Orient » accaparait les chancelleries.

    Un petit air de XIXe siècle

    Pour l’historien, en effet, le conflit ukrainien a quelque chose de familier. Il lui rappelle ces conflits du long XIXe siècle, de la guerre d’indépendance grecque aux conflits balkaniques. Des conflits marqués par les réveils et les appétits nationaux, volontiers nationalistes, qui ébranlèrent et façonnèrent l’Europe. Or, aujourd’hui même, nous assistons en Ukraine à la (re)naissance d’une nation, à l’histoire riche, mais souvent tragique. Aux yeux des Ukrainiens, la guerre fait incontestablement figure de guerre d’indépendance et de libération. Il faut dire aussi que l’Ukraine aura toujours été coincée entre les grands empires et royaumes : Polonais, Austro-Hongrois, Russes ou encore Allemands furent autant de voisins puissants et souvent encombrants.Pour l’historien, les négociations de Minsk et le dialogue dit « Format Normandie », parfaitement infructueux et vains aujourd’hui, ont également eu des allures de grandes conférences, à l’instar de celles ayant jalonné les XIXe et XXe siècles, de Vienne (1815) à Yalta (1945). Le sort de l’Europe s’est en effet souvent joué sur un coin de table. À Minsk, François Hollande, Angela Merkel, Vladimir Poutine et Petro Porochenko se sont inscrits dans cette grande tradition diplomatique européenne des rencontres et des conférences. À leur époque respective, Talleyrand, Bismarck et Staline ont usé de ce procédé avec succès. La « question ukrainienne » nous rappelle que l’ordre géopolitique européen est historiquement façonné par les rapports de force entre les puissances.Pour Zelensky, tout l’enjeu de cette guerre est d’assurer la survie de l’Ukraine contre la Russie, mais aussi, de façon plus générale, contre toute puissance extérieure. Rien ne serait plus dangereux effectivement pour l’Ukraine que de devenir un généreux gâteau dans lequel chaque puissance finirait par se servir une part. La Pologne du XVIIIe siècle fit les frais de l’appétit de ses voisins. Aussi, il serait périlleux pour les Ukrainiens de déléguer à quiconque, y compris les Baltes, les Polonais ou les Américains, leur place à la table des négociations. Les absents, on le sait, ont toujours tort… En l’état, le pire scénario pour l’Ukraine d’un démembrement « à la polonaise   apparaît cependant peu probable, sauf victoire militaire russe ou, pire encore, funeste entente entre les grandes puissances qui ne voulant pas sacrifier Paris, Moscou ou Washington dans une guerre nucléaire se résoudraient à crucifier l’Ukraine. L’exemple des Kurdes n’illustre que trop bien le redoutable jeu des grandes puissances dont certains peuples font les frais, sacrifiés sur l’autel du grand échiquier. Si l’Ukraine doit encore gagner la guerre, il lui faudra donc aussi gagner la paix. Il en ira de même pour la Russie. Un empire a besoin de grands maréchaux, mais aussi de grands diplomates.

    Une guerre d’images, une guerre des récits

    Néanmoins, pour le moment, l’Ukraine parvient toujours (?) à tenir le terrain militaire ainsi que le très précieux terrain médiatique. Le président Zelensky, ancien comédien et humoriste, parvient ainsi à capter l’attention des médias et des opinions occidentales. Pour l’Ukraine, la médiatisation du conflit est absolument nécessaire. Face au Goliath russe, le David ukrainien doit en effet user autant de sa fronde que de sa voix, car, pour les médias occidentaux, Poutine restera toujours un personnage et un sujet plus « vendeur » que Zelensky. Dans l’imaginaire occidental, le maître du jeu demeure au Kremlin. Poutine est le méchant russe par excellence. Il renvoie à un imaginaire cinématographique puissant dont on aurait tort de sous-estimer la portée. C’est vers lui que les médias regardent, saturant d’ailleurs l’espace médiatique d’analyses et de conjonctures sensationnelles et volontiers contradictoires : le président russe étant tantôt un brillant stratège, tantôt un piètre joueur, tantôt un cancéreux en phase terminale, tantôt un homme plein d’énergie, tantôt un dictateur isolé au point d’être potentiellement assassiné, tantôt un président populaire soutenu par une large partie de l’opinion russe…Pour les Ukrainiens, en tout cas, il est essentiel que leur narratif s’impose face à celui des Russes qui excellent dans la guerre informationnelle. Pour le gouvernement ukrainien, la parole de Volodymyr doit prendre le dessus sur celle de Vladimir. On notera au passage l’extraordinaire personnalisation de ce conflit, incarné par les deux chefs d’État. La médiatisation des généraux et des stratèges est ainsi minime. Les visages de la guerre sont avant tout incarnés par la barbe de trois jours de Zelensky et le regard perçant et intimidant de Poutine. Le conflit ukrainien est une guerre médiatique, une guerre d’images, une guerre des récits.

    États-Unis-Russie : la Mer contre la Terre

    La grande tragédie pour l’Ukraine est d’être prise dans le Grand Jeu. Cette guerre civile ukraino-ukrainienne est devenue un enjeu majeur de rivalité entre les grandes puissances qui avancent leurs pions respectifs. Sur le grand échiquier international, la case ukrainienne est devenue une case clef, le lieu d’un affrontement indirect entre États-Unis et Russie. Une guerre dans la guerre, donc. Tout cela rend l’équation de la paix singulièrement difficile à résoudre, d’où l’absence de véritable médiation réussie, en dépit de quelques efforts menés notamment par les Turcs ou les Israéliens au début du conflit.Le malheur de l’Ukraine est d’être à la frontière de deux blocs géographiques : le monde occidental (Europe et États-Unis) et le vaste et profond monde eurasiatique. À certains égards, l’Ukraine constitue une marche, au sens médiéval du terme, c’est-à-dire un espace frontalier à vocation militaire, essentiellement défensive. En des termes plus antiques, on pourrait qualifier la région du Donbass de limes impérial. De façon nettement plus contemporaine, l’Ukraine peut être qualifiée de« pivot stratégique », pour reprendre l’expression de Zbigniew Brzezinski, ce formidable « stratège de l’empire » (Justin Vaïsse), qui a consacré de nombreuses pages au cas ukrainien. Pour la Russie, l’Ukraine est une pièce maîtresse de son « étranger proche », tant pour des raisons stratégiques que culturelles. De tous les pays voisins de la Russie, l’Ukraine est indéniablement celui dont l’importance symbolique est la plus forte.Une lecture schmittienne du conflit permet aisément de comprendre que l’Ukraine se trouve coincée entre la Mer et la Terre, entre le rivage atlantique (le « grand large » churchillien) et les profondeurs continentales eurasiatiques. Carl Schmitt évoquait à propos de l’affrontement entre la Russie et l’Angleterre une « lutte entre l’ours et la baleine », entre le Béhémoth et le Léviathan. De nos jours, on pourrait évidemment remplacer l’Angleterre par l’Amérique.

    Marche vers l’Est ou vers l’Ouest

    Dans cette analyse internationale du conflit, il convient d’insister sur l’ampleur géostratégique de l’affrontement. Si la guerre se joue d’abord dans les champs de tournesol et dans la raspoutitsa de l’Est ukrainien, elle se pense et se mène avant tout dans les salons et les bunkers où les joueurs avancent leurs pions sur le grand échiquier. Une partie décisive se joue sur la case ukrainienne.Les États-Unis, thalassocratie de premier plan et donc puissance de la Mer par excellence, ne peuvent que s’intéresser à l’Ukraine. Zbigniew Brzezinski, que nous citions plus haut, la percevait comme un pivot amené à former un grand axe Paris-Berlin-Varsovie-Kiev destiné à stabiliser l’architecture de sécurité européenne au profit naturellement de l’alliance euro-atlantique. Pour les États-Unis, l’Ukraine s’avère être également une formidable porte d’entrée dans l’étranger proche de la Russie. Pour fragiliser l’Empire russe, rien de mieux en effet que de mordiller son talon ukrainien. La Russie le sait. Elle, dont la marine reste très inférieure à celles de l’OTAN, ne peut pas se permettre de perdre son flanc occidental. Si elle perd l’Ukraine, elle pourrait bien perdre la Biélorussie, déjà secouée par des manifestations populaires faisant craindre pour Moscou un nouveau Maïdan. Et puis, le sort de la fragile Transnistrie pourrait également basculer. Enfin, la volonté de la Finlande et de la Suède d’adhérer à l’OTAN constitue un autre péril. De la Baltique à la mer Noire, tout le flanc européen de la Russie deviendrait hostile.Insistons sur le fait que le Grand Jeu actuel est aussi affaire de perception et d’imaginaire. La Russie se sent menacée depuis près de vingt ans par une espèce de « Drang nach Osten » (« marche vers l’Est ») otanien. A contrario, du côté de l’Europe de l’Est, on craint une poussée occidentale de la Russie, un « Drang nach Westen » russe si l’on peut dire (« marche vers l’Ouest »). Deux narratifs géostratégiques s’opposent. Les deux sont vrais, en ce sens qu’ils fondent la vision stratégique et même idéologique de chacune des deux parties. Chacune est en effet convaincue que l’autre constitue une menace. De toute évidence, il ne saurait y avoir de dialogue sincère et apaisé entre une OTAN issue directement de la guerre froide et une Russie post-soviétique animée par la volonté de puissance et le ressentiment, et même, pourrait-on dire, par la puissance du ressentiment. Le drame de la guerre en Ukraine est peut-être d’avoir été le fruit d’une paix infructueuse issue d’un dialogue de sourds, en bref, d’un Grand Jeu interminable et impitoyable, une impossible entente entre la Terre et la Mer.

    L’axe Moscou, Téhéran et Pékin

    Sur le grand échiquier, un acteur incontournable a désormais son mot à dire : la Chine. Cette dernière soutient incontestablement la Russie, contrairement aux illusions de certains hommes politiques et de certains analystes occidentaux. L’apparente prudence chinoise, toute diplomatique, car non moins finement calculée et réfléchie, ne doit pas tromper : une défaite russe n’est pas intéressante pour Pékin. Certes, on peut soupçonner un réel appétit chinois pour la Sibérie, mais tout de même : une défaite, voire un effondrement russe, n’est pas dans l’intérêt de la Chine. Un allié est toujours plus utile vivant que mort… Si la Chine évite de s’engager trop ouvertement en faveur de Moscou, et ce afin d’éviter d’éventuelles sanctions occidentales, elle n’en reste pas moins une alliée importante et de plus en plus influente. Le fleuve Amour séparant Chine et Russie continuera à bien porter son nom, au moins pendant un temps. Il conviendra à l’avenir d’observer l’évolution des relations russo-chinoises, marquées par une nette asymétrie en faveur de Pékin.Un troisième acteur stratégique est également à considérer : l’Iran. Le pays est impliqué indirectement dans le conflit, puisqu’il fournit des armes, surtout de précieux drones, aux Russes. Moscou, Téhéran et Pékin forment ainsi un puissant axe anti-occidental, donnant à cette alliance une tonalité résolument eurasiatique.En s’attaquant indirectement, mais de façon suffisamment explicite à la Russie, les Etats-Unis envoient donc un signal à l’Iran et plus encore à la Chine. Disposés à briser les pattes de l’ours russe, les Américains n’hésiteront pas à terrasser le dragon chinois le moment venu. Kiev a tenu, il en sera de même pour Taipei. Les Taiwanais, d’ailleurs, regardent avec angoisse, mais aussi espoir les événements ukrainiens, bien conscients qu’un jour, sans doute, leur île sera au centre du monde. L’armée taiwanaise se prépare déjà. Le Grand Jeu se joue aussi là-bas.Enfin, un dernier élément témoigne de l’œuvre du Grand Jeu dans le conflit : la tentative d’assassinat d’Alexandre Douguine dont sa fille, Daria, fut la victime collatérale. Nous savons désormais que l’attentat fut l’œuvre des services ukrainiens. Une telle opération n’est pas anodine. Les Ukrainiens n’ont pas en effet visé un général ou un homme politique russe, mais bien un intellectuel et un géopoliticien, c’est-à-dire un cerveau, mais pas celui de Poutine contrairement aux insanités professées par certains médias. Mais pourquoi une telle opération d’assassinat ? En l’état, celle-ci reste encore trop obscure. D’un point de vue symbolique cependant, la tentative d’assassinat constitue un signal clair de rejet de tout projet eurasiatique ou du moins de tout retour aux yeux des Ukrainiens à une espèce d’impérialisme russe dont Kiev cherche à se défaire. L’attentat contre Douguine symbolise ce changement de cap (et donc de camp) de l’Ukraine. Elle quitte la sphère russe pour rejoindre la sphère occidentale. Elle fuit la Terre pour la Mer, elle fuit l’eurasisme pour l’euro-atlantisme. Outre la dimension résolument nationaliste de l’attentat, on peut donc y voir aussi une portée géostratégique plus vaste.
    On peut se demander si la vision d’une Ukraine équilibrée entre deux mondes est fondée. N’est-elle pas condamnée, faute d’être suffisamment puissante et vaste, à être étouffée ou brinqueballée entre le rivage euro-atlantique et l’hinterland eurasiatique ? La « finlandisation » de l’Ukraine relève de la gageure, car le pays penchera toujours plus d’un côté que l’autre.Toujours est-il que la Russie, elle, n’a pas d’autre choix que de se penser comme un acteur eurasiatique, à la lisière de deux blocs, l’occidental et le chinois. Un choix pragmatique et même nécessaire au regard des dimensions gigantesques du pays qui l’obligent à se soucier des glaces arctiques, des montagnes caucasiennes, des steppes centre-asiatiques et de la profondeur sibérienne et mongole. Mais la Russie aura-t-elle les moyens de garder son empire intact ? Les discours ou les analyses évoquant un « démembrement » de la Russie illustrent ce souhait d’un éclatement russe qui reste pour l’heure un vœu pieux, et c’est sans doute heureux, car les empires se cachant rarement pour mourir, et leur agonie étant souvent bruyante, une telle perspective n’aurait rien de séduisant pour l’Europe. Les ambiguïtés de Viktor Orbán sur le dossier ukrainien ou encore la volonté d’Emmanuel Macron de ne pas « humilier la Russie » doivent ainsi être replacées dans cette perspective. Qu’elle soit blanche ou rouge, alliée ou hostile, puissante ou faible, la Russie reste dans l’architecture géostratégique européenne un acteur clef, a fortiori avec près de 6 000 ogives nucléaires… La géopolitique des États reste avant tout liée à leur géographie, ne l’oublions jamais. Avec la guerre en Ukraine, la Russie s’est imposée comme une puissance disruptive dans l’ordre géopolitique européen. Elle a réintroduit le rapport de puissance et la conquête territoriale dans une Europe globalement stabilisée depuis 1945 et surtout 1991.

    Vae victis

    Finalement, l’aspect le plus inquiétant de cette guerre – mais c’est probablement là un aspect commun à presque toutes les guerres – est l’impossibilité pour les deux parties de perdre. Il y a d’abord les centaines de milliers de tués et de blessés. Il serait inconvenable de part et d’autre de croire que le sacrifice de tous ces soldats ait été vain. Ensuite, la Russie ne peut plus se permettre de perdre. Une défaite entraînerait vraisemblablement une intégration, au moins à moyen terme, de l’Ukraine à l’OTAN. Le pari stratégique de Poutine aurait alors tourné au fiasco. L’étranger proche russe serait enfoncé. La « démilitarisation » aurait produit les effets tout à fait inverses avec une Ukraine désormais surarmée. La Russie perdrait une cruciale partie du Grand Jeu, d’autant que d’autres endroits de son étranger proche sont instables, en particulier la zone arméno-azerbaïdjanaise. Quant à l’Ukraine, une défaite aboutirait au mieux à une amputation, au pire à une décapitation. Cette guerre semble confirmer le vieil adage : « Vae victis ! ». Pour l’heure, nous ne pouvons que nous demander comment une paix territoriale pourrait germer et prospérer entre les deux pays. Que les tragiques leçons de la sévérité des traités de Versailles (1919) et de Trianon (1920) et de la lâcheté des accords de Munich (1938) soient en tout cas sagement méditées.Les Américains, enfin, ne cessent de revendiquer et de renforcer leur soutien moral, financier et militaire à l’Ukraine. Ils déroulent avec assurance leur jeu. Ils ont le matériel, l’argent et plus encore la volonté pour jouer sur le grand échiquier. Le tout est consolidé et encadré par une vision géopolitique claire et élaborée. Depuis 2014, l’armée ukrainienne est ainsi soutenue par les États-Unis qui ont contribué à son impressionnante montée en puissance. De fait, la fragile et post-soviétique armée ukrainienne de 2014 est devenue au fil des aides et du temps une armée plus moderne, s’alignant progressivement sur les critères occidentaux et les normes OTAN. L’armée ukrainienne fait office de « proxy » idéal pour l’armée américaine. À coup de milliards de dollars, Washington peut compter sur une armée disposée à se battre jusqu’au bout, à la différence de l’expérience tragi-comique de l’armée afghane en 2021. Dans l’immédiat, toute reculade américaine serait perçue comme un renoncement et enverrait un signal inquiétant aux alliés européens et asiatiques. Or, pour une Amérique gendarme du monde, un tel retrait pourrait favoriser les appétits des puissances montantes, à commencer par la Chine. Il est à craindre que le conflit s’installe dans la durée. Le Grand Jeu est une affaire de temps. Sur l’échiquier international, le sablier est indiscutablement maître du jeu.

    L’Europe : réveil ou impuissance ?

    Et l’Europe dans tout cela ? Force est d’admettre l’ambivalence du rôle européen dans cette guerre. D’abord, les Européens, y compris d’ailleurs les Ukrainiens eux-mêmes, ne croyaient pas au conflit. Les mises en garde américaines furent ainsi accueillies avec scepticisme, le précédent de 2003 ayant sans doute joué. Poutine, pensait-on, ne serait pas aussi fou pour attaquer.Et puis, il y a ces fameuses sanctions européennes contre la Russie qui laissent un goût amer. D’une part, leurs effets sont moins violents que prévu et surtout moins visibles : si des secteurs russes ont été très touchés, notamment l’automobile, la communication russe, à grands coups de rayons de supermarchés remplis – symbole moderne d’abondance et de prospérité –, est parvenue à semer le doute dans les opinions européennes et à garder la face. D’autre part, l’Europe, en sanctionnant la Russie, vise un marché économique et énergétique qui lui était pourtant précieux et même profitable. À cela, il convient d’ajouter les gesticulations diplomatiques pour remplacer le gaz russe par d’autres fournisseurs. Le Qatar et l’Azerbaïdjan se sont imposés comme une alternative énergétique importante, quitte à s’asseoir sur les droits de l’homme dont l’Europe ne cesse pourtant de se faire l’inénarrable avocate. Une hypocrisie teintée d’une forme d’amateurisme qui risque de souligner moins les convictions idéologiques de l’Europe que sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur et sa capacité à renier ses « valeurs » dès lors que ses intérêts vitaux l’imposent. Sur ce très épineux dossier énergétique, l’Europe aura finalement montré qu’elle était capable de faire preuve d’un nécessaire cynisme au mépris de son idéalisme souvent béat et hors-sol. Un bien pour un mal ? Lâcheté ou pragmatisme ? Question de point de vue.

    L’Europe jardin dans un monde jungle

    Plus inquiétant, l’Europe apparaît en retrait par rapport aux États-Unis qui, en qualité de première puissance mondiale, sont à même de s’engager puissamment face à la Russie. Le Vieux Continent est contraint de suivre cette dynamique américaine. Même la Pologne, très proactive dans le conflit, n’en reste pas moins tributaire des décisions venant des États-Unis. La bonne volonté de certains Européens doit nécessairement composer avec celle des Américains qui, ne nous faisons pas d’illusions, pensent d’abord à leurs intérêts, ce qui est parfaitement légitime pour une grande puissance. En vérité, l’ennui ne vient pas tant du jeu stratégique redoutable mené par les Américains que de… l’absence de jeu de la part des Européens. L’Europe apparaît coincée entre le coup de poker russe et le jeu d’échecs américain. Elle ne peut ni infléchir Poutine ni contredire Biden.Coincée, l’Europe l’est aussi au sens figuré du terme. Il aura fallu attendre ce conflit pour qu’enfin les chancelleries européennes redécouvrent la guerre et ses réalités. À force de côtoyer la douceur de Vénus, les Européens en ont oublié la fureur de Mars. Ce n’est pourtant pas faute pour certains états-majors, surtout français, d’avoir alerté les décideurs politiques sur le retour de la « haute intensité » et donc sur l’impérieuse nécessité de réévaluer à la hausse les budgets militaires. Avec la crise sanitaire, l’Europe a pris conscience de la fragilité de ses services de santé et de sa dépendance au reste du monde dans la quasi-totalité des domaines (électronique, médicaments, etc.). Avec la guerre en Ukraine, elle vient de découvrir que l’époque où les dividendes de la paix justifiaient un relâchement militaire est révolue.Le jardin européen – pour reprendre une belle expression de Josep Borell – découvre donc que la jungle qui l’entoure est non seulement étrangère et hostile, mais aussi expansionniste. Dans le doux jardin européen, où les roses n’ont même plus de pointe, voici que des lianes étrangères s’imposent en franchissant ses frêles murets. Le temps des naïvetés est terminé, le « temps des prédateurs » (François Heisbourg) s’est imposé.

    Le parapluie n’est pas un paratonnerre

    Certes, l’Europe, au vu de l’état de préparation de ses armées, peut se consoler d’être protégée par l’OTAN. L’Europe de la défense n’étant pour l’heure qu’un serpent de mer, les Européens se satisfont de la présence américaine en Europe, d’autant plus qu’elle leur permet de limiter leurs propres dépenses militaires. Le parapluie américain s’avère commode, puisque les Européens n’ont quasiment pas à en assumer le poids financier et militaire. Mais cela n’en reste pas moins problématique, car tant que les Européens ne tiendront pas en personne leur parapluie, celui-ci sera toujours soumis à la volonté du porteur. Or, l’Oncle Sam pourrait se lasser ou se fâcher, comme ce fut le cas sous Barack Obama avec l’amorce d’un pivot asiatique ou bien sous Donald Trump avec un vigoureux rappel à l’ordre envers des Européens intimés de rehausser leurs dépenses militaires à hauteur de 2 % de leur PIB respectif.Du reste, rien ne garantit vraiment qu’en cas d’averse violente, par exemple une frappe nucléaire, le parapluie américain s’ouvrira pour les Européens. Les Américains ne se mouilleront sans doute pas complètement pour l’Europe, au risque d’être eux-mêmes trempés. Enfin, en cas de tempête mondiale, les Américains pourront-ils vraiment s’occuper à la fois du typhon asiatique et de l’ouragan atlantique ? L’incertitude de la réponse impose un nécessaire sursaut européen vers, au moins, une plus grande autonomie, au mieux, une indépendance militaire et stratégique. Voilà assurément l’un des grands défis du XXIe siècle européen. Les discours sur le réveil de l’Europe, volontiers laudateurs et consolants, ne doivent donc pas faire illusion sur l’état réel du Vieux Continent. Coincée entre les États-Unis et la Chine, l’Union européenne doit aller plus loin dans son affirmation si elle veut réellement peser dans le monde. Les communiqués et les bonnes intentions de Bruxelles ou des chancelleries européennes ne suffiront pas.

    Sur terre, sur mer, mais aussi sous la mer

    Le sabotage de Nord Stream 2, événement marquant de cette guerre en Ukraine, illustre d’ailleurs toute l’impuissance de l’Europe. L’impossibilité, au moins officiellement, de désigner un responsable est en réalité moins inquiétante que l’acte lui-même. Au fond, qu’il soit l’œuvre des Russes (ce qui serait pour le moins surprenant) ou plus vraisemblablement des Américains (ou d’un groupe pro-ukrainien, selon des sources américaines), qu’importe. Ce sabotage est un coup sérieux infligé à l’Europe. Une infrastructure critique a été touchée et neutralisée. Voilà qui devrait rappeler, s’il le fallait, que les profondeurs sous-marines sont et seront des espaces de conflictualité, songeons notamment aux très indispensables câbles sous-marins. Il serait bon que les Européens ne négligent pas la Mer comme espace géostratégique, eux qui en furent les maîtres pendant plusieurs siècles. Que l’Europe retrouve ainsi l’esprit de Magellan. À notre époque hypermondialisée, le Grand Jeu terrestre se joue aussi dans le Grand bleu océanique.Un dernier aspect à prendre en compte dans l’analyse de cette guerre ukrainienne, le plus important sans doute, est le signal envoyé par la Russie. En attaquant un pays européen, candidat à l’entrée dans l’UE et dans l’OTAN, a-t-elle ouvert une boîte de pandore ? Après la Russie, faut-il craindre le passage à l’acte de la Chine ou de la Turquie, par exemple ? S’il fallait au fond trouver une raison légitime pour l’Europe de s’engager, indirectement au moins, dans ce conflit, ce serait bien celle-ci. Une absence de réaction risquerait bien d’envoyer un déplorable et dangereux signal de faiblesse et de passivité. Or, il faut rappeler qu’aux yeux de nombreux pays non européens, l’Europe est une puissance déclinante, voire décadente, ce qui peut justifier, a fortiori au regard du passif colonial et impérial, une attitude revancharde et hostile. En cela, il faut prendre très au sérieux l’attaque russe en Ukraine. Elle pourrait bien annoncer une offensive, pas nécessairement militaire d’ailleurs, contre l’Europe. Le sort de la pauvre Ukraine illustre finalement l’impuissance d’une Europe qui subit bien plus qu’elle n’impose.

    « L’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau »

    Assurément, il existe des puissances que l’on pourrait qualifier de révisionnistes, en ce sens qu’elles aspirent à un nouvel ordre international dégagé des aspirations hégémoniques occidentales. En d’autres termes, elles souhaitent désoccidentaliser le monde, provincialiser l’Occident. Or, si un affaiblissement de l’hégémonie américaine et une plus grande multipolarité sont parfaitement souhaitables et même absolument nécessaires pour l’Europe, il ne faudrait pas non plus que le continent européen soit la victime collatérale, voire directe, des prétentions anti-occidentales des puissances émergentes. Dit autrement, il ne faudrait pas que faute de pouvoir s’attaquer frontalement aux États-Unis, des puissances étrangères s’attaquent à l’Europe, perçue comme le ventre mou du monde occidental. Pour l’Europe, la marge de manœuvre est donc formidablement complexe et réduite. Dans un contexte de rivalité systémique sino-américaine, il lui faut en particulier ménager la chèvre américaine et le chou chinois. Il lui faut s’émanciper des États-Unis tout en veillant à ne pas être dévorée par les nouvelles puissances montantes. La voie de l’équilibre, qui n’est possible que sous réserve de puissance, apparaît comme une évidence pour une Europe à même de proposer au monde un ordre multipolaire et donc la capacité à ne pas s’aligner systématiquement sur l’un des deux blocs. La guerre en Ukraine a d’ailleurs démontré l’aspiration au non-alignement chez les puissances émergentes et les pays africains.Il importe donc de rappeler que si penser l’Europe-puissance est une chose, la faire en est une autre. Quoi qu’on en dise, c’est là l’unique solution satisfaisante pour peser dans le monde. Quelle que soit, au fond, la forme que prendrait l’Europe, le refus de toute idée de puissance rendrait de facto cette Europe inopérante. La respectabilité du Vieux Continent ne peut pas uniquement passer par des valeurs abstraites, a fortiori lorsqu’elles sont universalistes et impersonnelles, et qui plus est appliquées avec ambivalence et hypocrisie selon les intérêts et à la tête du client. Face à la Russie, la Turquie, la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Brésil et bien autres, l’Europe doit s’armer, au sens propre comme figuré, pour faire face à la réalité d’un monde qu’elle ne contrôle plus et qui ne lui veut pas toujours, voire rarement du bien. L’avenir dira si le conflit ukrainien fut l’amorce d’un projet européen enfin ambitieux ou s’il ne déboucha sur rien d’autre qu’un vif mais éphémère frémissement. La guerre en Ukraine ne doit pas être pour l’Europe le prétexte à un renfermement mortifère sur elle-même. Le Vieux Continent ne peut pas se résoudre à n’être qu’un petit Finistère marginalisé. Il lui faut penser à la fois la Terre et la Mer, a fortiori dans ce contexte de rivalité sino-américaine de plus en plus forte.Avec cette guerre, l’Europe s’est certainement réveillée. Mais s’est-elle levée ? En ces temps troublés, la grasse matinée n’est pas une bonne idée. Que l’Europe se lève donc promptement, car pendant qu’elle sommeille dans son lit douillet, le monde, lui, s’active. Que l’Europe se lève, et du bon pied de préférence ! Mais quand l’Europe se relèvera, le monde tremblera-t-il ? Ce qui est certain, en tout cas, c’est que si l’Europe ne se réveille pas, son lit deviendra son cercueil. Mais Nietzsche nous l’avait dit, « l’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau ». Tâchons d’y voir un signe d’optimisme en ces temps pessimistes. Faisons, en conclusion, le vœu que l’Europe ressorte et dépoussière ses pions, car sur l’échiquier international, le Grand Jeu s’active déjà ! Pour la survie de notre continent, l’échec et mat ne peut être que proscrit.
     
    Oswald Turner (Site de la revue Éléments, 20 mars 2023)
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