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Points de vue - Page 312

  • Des Européens bien naïfs...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une très bonne mise au point de Jean-Michel Quatrepoint sur Xerfi Canal consacrée aux méthodes des Etats-Unis. Il fustige, en particulier, la naïveté des "élites" françaises....

     

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  • La France, nouvelle province de l'Empire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Jérôme Leroy, cueilli sur Causeur et consacré à la soumission de la France à l'Empire...

    Auteur talentueux de polars d'anticipation, Jérôme Leroy vient de publier Dernières nouvelles de l'enfer aux éditions de l'Archipel, un recueil de nouvelles, et son dernier roman, Le Bloc, devrait être réédité en format poche, dans la collection Folio, à la rentrée.

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    La France, nouvelle province de l'Empire

    Je n’ai aucune sympathie particulière pour Edward Snowden. Si on regarde un peu sa biographie, ce n’est jamais qu’un geek libertarien, avec un fort tropisme néoconservateur. Cela fit de lui un soutien enthousiaste de la politique étrangère de Bush en Irak, au point d’avoir eu autour de ses vingt ans les désirs typiques des garçons qui ont trop joué en ligne : rejoindre les forces spéciales. Ayant davantage le physique de Woody Allen que de Chuck Norris, il ne put accomplir ce « rêve héroïque et brutal ».
    On le félicitera tout de même de s’être découvert une vocation tardive de Winston Smith face au totalitarisme panoptique et « panauditif » de la NSA qui est d’ailleurs celui de tous les services secrets, comme l’avait si bien vu Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle (1988) : « Les services secrets étaient appelés par toute l’histoire de la société spectaculaire à y jouer le rôle de plaque tournante centrale ; car en eux se concentrent au plus fort degré les caractéristiques et les moyens d’exécution d’une semblable société. Ils sont aussi toujours davantage chargés d’arbitrer les intérêts généraux de cette société, quoique sous leur modeste titre de « services ». Il ne s’agit pas d’abus, puisqu’ils expriment fidèlement les mœurs ordinaires du siècle du spectacle. Et c’est ainsi que surveillants et surveillés fuient sur un océan sans bords. »
    Après tout, dans cet « océan sans bords », les libertariens comme Snowden ont leurs bons côtés quand ils sont cohérents. Ils ne se montrent pas seulement favorables à l’idée que les pauvres aient le droit de vendre leurs organes ou que n’importe quel citoyen puisse s’équiper à l’armurerie du coin et avoir la puissance de feu d’un porte-avions pour nettoyer par le vide la première école primaire qu’il rencontre. Non,  ils sont aussi persuadés que l’Etat est une menace constante pour les libertés individuelles.  Que ce soit en créant une sécu ou en espionnant la vie privée de ses citoyens avec des barbouzes à grandes oreilles.
    Du coup, voici notre Snowden devenu une nouvelle icône pour toute une belle jeunesse, d’Occupy Wall Street à Notre-Dame-des-Landes en passant par les Anonymous.  C’est un peu paradoxal, mais après tout, à cheval donné, on ne regarde pas la monture et quand on pense que Mélenchon est capable de voir en Kerviel un nouveau Dreyfus, la France pouvait bien accorder l’asile à Snowden.
    Et c’est là que le bât blesse. On avait cru comprendre que si on n’accordait pas l’asile à Snowden, c’était qu’il ne nous l’avait pas demandé. Mais que s’il l’avait demandé, bien entendu, la patrie des droits de l’homme le lui aurait donné illico presto. Seulement, ce qui s’est passé le 2 juillet a prouvé le contraire de manière éclatante.
    Ce jour-là, la France s’est complètement déshonorée en interdisant de survol du territoire national l’avion d’un chef d’Etat étranger qui avait peut-être à son bord Snowden comme passager. L’avion était celui d’Evo Morales. Evo Morales est le président de la Bolivie, élu dans la foulée de Chavez au Venezuela et de Correa en Equateur. Il revenait de Moscou après une conférence sur les pays exportateurs de gaz. Oui, Morales a nationalisé son gaz, ce qui fait de lui, avec quelques autres chefs de l’Etat de la région regroupés dans l’Alba1, le cauchemar vivant du nouvel ordre mondial : imaginez un peu, un sous-sol qui appartiendrait aux citoyens vivant dessus. Imagine-t-on plus atroce aberration ?
    Si l’on en croit les détails, ce refus de survol aurait même pu occasionner une catastrophe, l’avion d’Evo Morales s’étant posé les réservoirs pratiquement vides à Vienne. L’Italie, à peine moins lâche que la France, voulait bien que Morales se posât à condition d’accepter une fouille de l’appareil. Il aurait fait beau voir qu’il fasse le malin, l’Inca cryptomarxiste avec son poncho style El condor pasa.
    On pouvait espérer que la France, celle de de Gaulle et des communistes s’opposant à l’Amgot en 44, allait éviter de devancer le désir de ses maîtres. On pouvait espérer que la France, même après cinq ans de sarkozysme qui marquèrent, plus encore que sous Giscard, le summum de la servilité atlantiste, garde le souvenir du discours de Villepin à l’ONU sur notre grandeur de « vieux pays » comme disait l’inénarrable Rumsfeld qui ne  se rendait pas compte du compliment. Eh bien non ! François Hollande, décidément,  ne nous aura rien épargné.  Une certaine idée de la France, comme disait l’Autre, vient d’être niée, encore une fois, au nom de notre soumission totale, absolue au libre échangisme comme horizon indépassable de notre avenir radieux.
    C’est croire que François Hollande est un lecteur résigné de Toni Negri et qu’il  a accepté que la France devienne une simple province de ce nouvel Empire défini ainsi par le philosophe italien : « L’Empire englobe la totalité de l’espace. Aucune frontière ne le limite. Il se présente non pas comme un régime historique qui tire son origine d’une conquête, mais comme un ordre qui suspend le cours de l’Histoire et le temps, fixe l’état présent pour l’éternité et la manière dont les choses sont et seront pensées.”
    Cet Empire contre lequel luttent, avec l’énergie du désespoir et chacun à leur manière, Evo Morales et Edward Snowden.

    Jérôme Leroy (Causeur, 9 juillet 2013)

     

    1 Alliance  Bolivarienne pour les Amériques comportant huit états opposés à la zone de libre échange avec les USA.

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  • « Rendez-moi Montaigne et Guy Mollet ! »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue percutant de Jean-Philippe Immarigeon, cueilli sur Theatrum Belli et consacré à l'intolérable soumission de la France aux Etats-Unis...

    Avocat, bon connaisseur des Etats-Unis, Jean-Philippe Immarigeon est l'auteur de plusieurs essais d'une grande lucidité comme American parano (Bourin, 2006), Sarko l'Américain, (Bourin, 2007) ou L'imposture américaine (Bourin, 2009). Il collabore régulièrement à la revue Défense Nationale.

     

     

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    « Rendez-moi Montaigne et Guy Mollet ! »

    Début juin, juste avant que n’éclate ce qu’on nomme l’Affaire Snowden, une amie très chère me disait en substance : « C’est pas idiot tout ce que tu écris depuis 2001 sur les Américains, mais tu te répètes, Jean-Phi ! ». Qu’à cela ne tienne, et faisons assaut de vanité puisque rien de ce que j’ai pu publier depuis plus d’une décennie ne s’est jusqu’à ce jour démenti : nous sommes le produit de deux civilisations antagonistes, ce qui est assumé par les Américains mais nié par les Français au prix de crises à répétition qui ne pourront se résoudre que le jour où nous accepterons l’existence de ce gouffre atlantique. Car tant que cela ne sera pas, nous accepterons servilement les humiliations au nom de prétendues valeurs communes et de principes supposés partagés. 

    La France des Gunga Din 

    Violation des échanges diplomatiques, accès aux informations économiques, lecture des données personnelles sur les réseaux sociaux : les Américains nous espionnent. United Stasi of America. C’est inadmissible, font semblant de se fâcher nos gouvernants, avec toujours cette restriction : « si cela devait s’avérer exact… ». Bien sûr que c’est exact, les Américains n’en ont jamais fait mystère chaque fois qu’ils ont été surpris le doigt dans le pot de confiture. Ceci dit, on proteste mais c’est pour du beurre, hein, ne le prenez pas mal, d’ailleurs, on ferme notre espace aérien à l’avion présidentiel du chef d’Etat bolivien pour vous être agréable, vous voyez bien que c’est pour du beurre…

    Je comprends les Américains et leur agacement récurrent devant ces crises de nerf à répétition, qui surviennent entre une réintégration dans le commandement militaire intégré de l’OTAN qu’ils ne réclamaient plus, et l’achat à prix d’or de drones qu’ils vont nous surfacturer avec d’autant plus de morgue qu’ils seront les chevaux de Troie du Pentagone au sein de nos systèmes de défense. L’affaire Snowden n’a pas seulement confirmé une surveillance à l’échelle planétaire sur nos pages Facebook et nos boîtes Gmail, elle a aussi mis en évidence le piège-à-cons que constituent les Clouds. Venez, braves gens, plutôt que de conserver vos fichiers sur des CD, des clefs USB, des disques durs ou des ordinateurs non branchés sur le Net, transférez les dans des serveurs américains et des centres de stockage enterrés dans le désert du Nevada ou en Pennsylvanie, ils y seront sécurisés et illisibles ! Et ça a marché. Pourquoi les Américains se gêneraient-ils pour nous prendre pour des imbéciles, et nous le faire savoir ?

    Car à quoi bon protester, puisque la réponse ne changera pas : oui nous vous espionnons, oui vous le savez, oui vous en faites autant, et que le meilleur gagne ! Discours qui finalement passe assez bien dans l’opinion publique française, car elle ne voit pas que le problème est ailleurs, non dans ce qui relève de l’espionnage, mais dans la soumission de la France à l’Empire. Car l’essentiel des données que les Américains détiennent, c’est nous qui les leur donnons. Ainsi les dix-neuf informations communiquées à leurs services concernant tout Français qui achète un billet pour se rendre de l’autre côté de l’Atlantique. Pour leur livrer nous avons dû modifier nos règles et collecter des informations que nous ne collections auparavant. Il ne s’agit plus de coopération mais de l’introduction des lois et des normes américaines en France. Ça porte un nom, ça s’appelle la colonisation. Dès lors, comme écrivait Ludovic Naudeau dans L’Illustration du 26 février 1938, parlant d’autres et dans un contexte totalement différent il est vrai mais la formule est fort belle : « Quant à nos objurgations littéraires, elles les font puissamment rire. ». 

    La première réponse de Barack Obama relève ainsi de ce souverain mépris que tous les dirigeants américains professent depuis deux siècles à l’encontre de la patrie de Rochambeau et Lafayette : pourquoi recourir à la NSA, lorsque j’ai besoin d’une information sur la France, je m’adresse directement au président Hollande. D’ailleurs n’est-il pas lui-même un ancien Young Leader, promotion 1996, de la French American Foundation ?

     

    American Komintern 

    On commence à connaître cette officine créée en 1976, et je conseille la lecture de son site tant ses objectifs y sont clairement exposés : faire de l’entrisme dans les institutions françaises, et convaincre nos prétendues élites de l’intérêt de servir les intérêts américains. Chaque année sont sélectionnés une vingtaine de Young Leaders, moitié français moitié américains. Parmi les alumni des années précédentes, outre le chef de l’Etat, on trouve Jean-Marie Colombani (promotion 1983), feu Olivier Ferrand (2005), David Kessler (1999), Laurent Joffrin (1994), Arnaud Montebourg (2000), Aquilino Morelle (1998), Bruno le Roux (1998), Fleur Pellerin (2012), Matthieu Pigasse (2005), Marisol Touraine (1998), Justin Vaisse (2007), ou Najat Vallaud Belkacem (2006). En un mot la France américaine, et fière de l’être.

    Mais le summum se lit dans la liste des lauréats 2013 publiée le 25 juin dernier. Y apparaît le capitaine de frégate Philippe Naudet, commandant du Sous-marin Nucléaire d’Attaque Améthyste (S-605). Ce qui veut dire que la Royale dépêche auprès des Américains un futur pacha de Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins – puisque le cursus se fait généralement ainsi dans cette arme –, soit un des huit (deux équipages par SNLE) décideurs finals de notre dissuasion nucléaire, ceux qui, sur ordre du chef des armées, tournent la clef qui lance les missiles… ou ne la tourne pas. Et qui le fait savoir, et dévoile son identité.

    Mais le plus drôle – à ce stade il ne reste rien d’autre à faire que de rire – c’est que dans le contingent américain des Young Leaders de la promotion 2013, notre futur détenteur de secrets nucléaires côtoiera Madame Anne Neuberger, conseillère spéciale du patron de la NSA.

    Cette espionne (car il faut appeler un chat par son nom) se présente elle-même ainsi dans un ouvrage collectif : « Shortly afterward, a new military command was established – Cyber Command – consisting of a team recruited to work on protecting military networks. I became part of that team, and it evolved into my current position as special assistant to the director of the National Security Agency, which is one of the largest intelligence agencies of the Department of Defense. I’m part of a group that is responsible for raising the security of critical private sector cyber-infrastructure. » Notre MinDéf nous expliquera que sa présence auprès d’un futur pacha de SNLE est fortuite. Le président américain dira : pourquoi écouter les Français, il suffit de leur demander leurs codes nucléaires. Pour les services secrets américains, comme le dit ma belle amie, la France est désormais open bar. De Gaulle, reviens !

    Les surfeurs relèveront également que la Young Leader 2013, dans l’ouvrage précité, explique longuement comment elle parvient à combiner ses activités d’espionne avec ses obligations de mère de famille croyante. Exhibitionnisme ? Non, transparence et absence de frontière entre vie professionnelle et sphère privée à dire vrai inconnue, celle que nous décrivent les innombrables séries et téléfilms, sans que les Français veuillent comprendre cette Amérique qui se décrit elle-même comme un gigantesque panoptique.

    Les barbelés de Franklin 

    L’expression est de Gilles Deleuze, inspirée de D.H. Lawrence. Si on ne l’a pas en perspective, on ne comprend pas pourquoi les Américains acceptent d’être écoutés, surveillés, lus, pistés, arrêtés, détenus, on ne comprend pas ce qui avait tant effrayé le vicomte de Tocqueville qui écrivait qu’on ne peut appréhender leurs institutions si l’on n’étudie pas auparavant les premières communautés calvinistes, et lu le Lévitique et le Deutéronome. Si on ne se dote pas de cette grille de lecture, on ne comprend rien à une Amérique réalisation des dystopies de la fin des Lumières, comme L’An 2440 de Louis-Sébastien Mercier : une société toute de transparence où chacun lit dans le cœur et l’âme de l’autre, où policiers et espions traquent l’écart et le trouble, veillent sur la vie privée, où les villes sont tracées au cordeau, où la masse impose à l’individu la rectitude du conformisme le plus étouffant et « traque les ténèbres hétérodoxes du for intérieur de même que ses lanternes portent la lumière impitoyable dans tous les recoins et les rues. » C’est le modèle décrit par Tocqueville qui y voyait un despotisme d’un genre nouveau, reprit plus tard par le Nous autres de Zamiatine puis par les anticipations de Huxley puis Orwell. C’est cette société et nulle autre que l’Amérique a choisie en intégrant dans sa Constitution de 1787 une disposition qui fait, depuis plus de deux siècles, de l’état d’exception la norme, citée par toutes les dispositions législatives et judiciaires pour justifier ces lois qui sont le lot commun de l’Amérique, depuis les Sedition et Alien Acts de 1798 jusqu’à la NDAA de 2012 : la Suspension Clause.

    Cette Suspension Clause qui faisait dire à Kurt Gödel, au juge américain qui le naturalisait, qu’avec une telle faille Hitler n’aurait pas eu besoin en avril 1933 de faire son coup de force de Postdam et de suspendre la constitution, il l’aurait simplement appliquée. Dire que l’Amérique trahit ses propres principes, c’est n’avoir jamais lu ces derniers. Et rien compris à Tocqueville.

    Cette société panoptique, dont les frasques de la NSA ne sont qu’une des déclinaisons, ne pourrait-on la qualifier d’un terme passé de mode mais parfaitement adapté au pays qui a ouvert, dans le strict respect de ses règles constitutionnelles, un camp de concentration à Guantanamo : la tyrannie ?

    Devant l’obstacle – comme André Tardieu titrait dès 1924 son essai sur le problème que nous posait une Amérique qui effrayait à la même époque ses contemporains, de Jules Romains à Denis de Rougemont en passant par Georges Bernanos, Robert Aron, Georges Duhamel et tant d’autres – la question est très simple : sommes-nous disposés à abandonner nos régimes parlementaires protecteurs des libertés publiques, pour adopter les règles d’une constitution rédigée du temps des rois ? Poser la question c’est y répondre. Pourtant, nous sommes entrés dans un panurgisme suicidaire dans un domaine où les Etats-Unis, tant au niveau des moyens mis en œuvre que de leurs institutions, seront toujours les maîtres : le cyber.

    Le cyber, degré zéro de la pensée stratégique 

    Voilà plus de deux ans que nos militaires, nos consultants, nos revues, nos éditeurs, et les participants à nos colloques, singent les Américains. Or le cyber n’est pas l’outil miraculeux qui ouvre des perspectives inconnues, la nouvelle frontière d’un Occident désorienté : c’est l’instrument qu’attendait la civilisation américaine pour instaurer sa gestion panoptique du monde.

    On me répond : c’est comme tout instrument, tout dépend de l’utilisation que l’on en fait. Non, le cyber est structurant en soi, on ne peut pas y faire son marché, l’instrument impose cette société d’ordre et d’autorité, pour reprendre la manière dont Tocqueville caractérisait l’Amérique dans une de ses lettres de 1831 à son ami Kergolay.

    Premier fondamental : le cyberespace repose sur un principe de complétude et de totalisation, comme la psychanalyse freudienne ou le déterminisme laplacien, il ne tolère aucune exception. A monde global système global, c’est même lui qui est censé prouver téléologiquement que ce monde est global : le cyber est global ou n’est pas, la collection des datas est totale ou n’a aucun sens. Mais n’en déplaise aux sectateurs du déterminisme, il sera toujours impossible de tout collecter, de tout traiter, de tout analyser, comme d’ailleurs de tout censurer et de tous nous embastiller. D’où le second fondamental : à l’image de la société américaine, le cyber ne tient que dans l’acceptation de leur propre surveillance par les citoyens. Que se passera-t-il s’ils se comportent désormais comme des objets quantiques, ne donnant que les informations qu’ils veulent bien donner, les fragmentant, les dégradant, contournant les systèmes de surveillance et réalisant non seulement que c’est possible mais qu’ils s’en sortent très bien ?

    Imagine-t-on surtout les Français, héritiers de mille ans de luttes pour des libertés chèrement acquises, co-inventeurs avec leurs cousins anglais des droits de l’homme et du régime parlementaire, jeter leur Histoire aux orties pour adopter une pensée, des institutions, un mode de vie venu de l’autre côté de l’océan ? Que nos politiques, nos services et nos armées ne le comprennent pas, et pour ce faire qu’ils envisagent, à mots désormais à peine couverts, de détruire nos libertés et un système politique bi-séculaire, est vraiment le signe d’une déréliction de nos prétendues élites, sauf à ce qu’ils acceptent par avance de voir leurs têtes se promener un jour au bout de piques.

    Le cyber est désormais un grand champ de ruines conceptuelles. S’il faut sacrifier le cyber pour ne pas nous laisser emporter dans le gouffre américain, sacrifions-le ! C’est un choix de société et même de civilisation.

    Il est minuit moins une

    Il va falloir trancher. Il est déjà tard, très tard, trop tard presque, pour ne pas entendre sous peu le président américain de nouveau ironiser : pourquoi aurions-nous intercepté l’avion de Snowden, les Mirage de Creil s’en sont chargé.

    On va finir par regretter la SFIO et un Guy Mollet parti pour Suez sans les Américains et même contre eux, puisqu’une fois sur site nos avions avaient trouvé les navires de la VIe Flotte bord à bord avec les unités égyptiennes. Mais notre nouveau roi de Bourges n’a plus que quelques bandes picardes à sa disposition : encore deux Livres Blancs, et pour peu que leur chambre soit assez grande et la baignoire pas trop petite, nos enfants pourront jouer aux petits soldats avec la totalité de l’armée française en maquettes.

    Il faut accorder à Snowden cet asile qu’il nous demande, pas pour le bonhomme mais parce que les Etats-Unis ne comprennent que la manière forte et ne respectent que ceux qui leur tiennent tête. Même Mollet l’avait compris. Mais nos Young Leaders ne le peuvent pas. Ils vont laisser passer l’orage jusqu’à la prochaine crise, jusqu’à ce que la France de Montaigne et Diderot soit la dévastation dont rêvent ces « Européens apostasiés » que sont les Américains, comme l’écrivait D.H Lawrence qui ajoutait : « Voyez l’Amérique prise dans ses propres barbelés et dominée par ses machines. Entièrement dominée par ses barbelés moraux et ses “tu dois !”, “tu ne dois pas !”. Quelle farce ! Là est votre chance, Européens ! Lâchez les brides de l’enfer, reprenez votre dû ! »

    Oui, je sais, chère Véronique, j’ai déjà cité cet extrait dans mon American Parano. Mais dans cette affaire, le plus grand risque que je coure n’est certainement pas de me répéter.

    Jean-Philippe Immarigeon (Theatrum Belli, 3 juillet 2013)

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  • Criminalité : la fin d'une idée reçue ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur le site du Nouvel Economiste et consacré à l'idée agitée par les tenants de la culture de l'excuse d'une ciminalité nécessairement liée à la misère sociale...


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    Criminalité : la fin d’une idée reçue

    Ce n’est pas la misère qui provoque le crime mais, à l’inverse, la richesse

    Voici peu encore, des élus socialistes de Marseille ont “expliqué” le désastre criminel local par l’inévitable – et fausse – “culture de l’excuse”. Il y a du crime à Marseille, ont-ils pleuré, du fait de la misère ! Faisons du social, créons des emplois et le crime s’évanouira. Or dans les décennies écoulées, partout et à chaque fois qu’on a voulu résorber le crime par le social, l’urbanisme et la création d’emplois, l’échec a été abyssal.

    Pourquoi ? Le simple bon sens suffit à comprendre : comment en effet corriger une catastrophique situation criminelle (à Marseille ou ailleurs) en y appliquant de nouvelles couches encore de la (désastreuse) politique de la ville, ou de la (calamiteuse) “protection judiciaire de la jeunesse”, ou enfin de (l’impuissante) politique de l’emploi ?

    Hors du monde des Shadoks, une telle pratique a un précédent réel : l’agriculture soviétique. Une planification aussi aveugle qu’absurde ravage le monde agricole de l’URSS ? Une planification plus tatillonne encore résoudra aisément le problème.

    En son temps M. Jospin voulut résorber la criminalité par l’emploi des jeunes ; il créa de fait des dizaines de milliers d’emplois (souvent fictifs, mais là n’est pas la question) – or simultanément, la criminalité a explosé ! “J’ai été naïf”, reconnut ensuite M. Jospin. Malgré tout cela, les socialistes – même hélas, certains élus UMP – radotent toujours sur le social, arme anticrime.

    Avant d’établir la fausseté de cette théorie, ce bref préalable. Les criminologues approuvent le social. Que leurs concitoyens jouissent d’un logis agréable et d’un emploi lucratif leur semble heureux. Mais par profession, ils savent que le social et l’emploi (en eux-mêmes positifs) sont hélas incapables de résorber la criminalité, si peu que ce soit. Prouvons-le.

    L’argument central des Diafoirus-sociologues et de la culture de l’excuse est que la misère sociale suscite le crime ; les présents criminels, modernes Jean Valjean, n’ayant que le choix de l’illicite pour ne pas mourir de faim.Poussons leur raisonnement : c’est donc là où la misère soudain explose que la vague criminelle sera la plus violente et la plus durable. Eh bien non, c’est même exactement l’inverse.

    Premier cas d’école, les Etats-Unis. Partie de Wall Street en 2007-2008, une crise financière, puis économique et enfin sociale, ravage l’Amérique au point que de renommés économistes comparent cette crise, pire que celle de 1929-1930, à l’effondrement de la Russie en 1990-2000 (fin de l’ère soviétique). Dans les années 2007-2011, on constate même chez les Blancs pauvres américains (non diplômés) une nette contraction de l’espérance de vie !

    • Classes moyennes – revenu moyen retombé en 2011 au niveau de 1996 (moins 8 % depuis 2007). Richesse moyenne d’un ménage en 2007 : 126 000 dollars ; en 2010 : 77 300 dollars.

    • Pauvres – misère record : 12 % de la population américaine en 2000, 15 % en 2011. 46 millions de pauvres en 2011 (moins de 22 160 dollars par an par famille de 4, dont 2 enfants mineurs). En 2011, 18 % des Américains manquent parfois d’argent pour manger au quotidien.

    Ainsi donc, prédisent les Diafoirus-sociologues et leurs séides journalistes (qu’ils ne démentent pas, nous avons des archives…), la criminalité va exploser.
    Eh bien non – même, elle s’effondre, pendant cinq ans d’affilée. Dans nombre de grandes métropoles américaines, les crimes violents tombent sous les chiffres de 1964 (année où l’“Uniform Crime report” fédéral s’installe sous sa forme présente). Même – lisez bien – l’homicide sort en 2012 de la liste des 15 motifs principaux de décès aux Etats-Unis ! (statistique de santé publique tenue depuis 1965).

    Coupe-gorge voici 50 ans, New York est aujourd’hui apaisée et sûre, moins d’homicides en 2012 qu’en 1978. Normal, rétorque Diafoirus-sociologue, du fait du tout-carcéral. Autre cliché faux ! En 2011, à New York (là où la criminalité baisse le plus), on compte 1/3 d’incarcérés de moins qu’en 2000.
    Bon, insiste Diafoirus, va pour l’Amérique ! Mais en Europe…

    Encore raté. Au Royaume-Uni, où la crise financière a été la plus violente en Europe, la criminalité baisse elle aussi – et fort. Criminalité générale en 2012 : moins 8 % ; homicides moins 12 %, au niveau de 1978 ! Au Pays de Galles, la criminalité est au plus bas depuis 30 ans. Et une consommation d’alcool et de stupéfiants en nette baisse chez les adolescents.

    Mais alors, quel est donc le lien entre misère et crime ? Y en a-t-il seulement un ? Oui ce lien existe, mais c’est l’exact inverse de celui seriné par la culture de l’excuse. Ce n’est pas la misère qui provoque le crime, mais à l’inverse, la richesse. Dans une société d’abondance, ou de plus, tout bien matériel désirable se miniaturise, plus la richesse s’accroît et s’affiche et plus il y a de biens à voler. Plus de gens travaillent et plus ils possèdent de smartphones, plus il y a d’appartements vides, de gamins non surveillés, de cités-dortoirs délaissées de l’aube au crépuscule. Tout cela constituant un véritable paradis pour prédateurs, violents ou non.

    Cela aussi se prouve. Retournons aux Etats-Unis. La crise commence à se résorber en 2012 ? Immédiatement, la criminalité prédatrice repart à la hausse (UCR/FBI, 1er semestre 2012). Vols à main armée : + 2 % ; vols avec violence : + 2,3 %; vols simples : + 1,9 %. Pareil en Grande-Bretagne, pour la délinquance d’opportunité.
    Reste bien sûr une parallèle montée de la cybercriminalité. Mais celle-ci n’inquiète, ni n’affecte, la population comme le crime violent. Et n’implique pas les mêmes malfaiteurs. Elle constitue donc un sujet d’étude en soi.

    Le cybercrime est-il un problème grave ? Rien de certain à présent car notre inusable boussole-qui-montre-le-sud ne s’est pas encore clairement prononcée. Ainsi, attendons que les Diafoirus-sociologues nous affirment, comme ils le font d’habitude, que le cybercrime est une illusoire “construction sociale” inventée par des politiciens fascistes. Dès lors, nous saurons infailliblement que le péril est sérieux…

    Xavier Raufer (Le Nouvel Economiste, 25 juin 2013)

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  • Les leçons amères à tirer de l'affaire Prism...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue intéressant de Christian Harbulot , cueilli sur Infoguerre et consacré à l'affaire Prism. Le comportement méprisable du gouvernement français avec l'avion du président bolivien Evo Morales, qui était susceptible de transporter le transfuge Edward Snowden, vient malheureusement confirmer toute la pertinence de son analyse...

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    Les leçons amères à tirer de l'affaire Prism

    La divulgation du système d’espionnage américain par l’ex consultant de la NSA Edward Snowden ouvre une brèche beaucoup plus importante que l’affaire Wikileaks dans le système de croyance édifié par les Etats-Unis aux lendemains de la seconde guerre mondiale.  L’affaire Prism a fait voler en éclats les fondements mêmes du credo sur la démocratie. On pourrait la résumer en trois actes d’accusation : violation de secrets d’Etats étrangers, accès illimité aux informations économiques de pays concurrents, lecture potentielle des données personnelles des citoyens du monde sur les réseaux sociaux.

     

    Les preuves fournies par le citoyen américain Edward Snowden remettent en cause le discours que les Etats-Unis affichent depuis leur création sur la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Si l’affaire Wikileaks a fait de la diplomatie américaine une référence mondiale qui faisait passer au second plan les autres discours diplomatiques, l’affaire Prism ramène les Etats-Unis à la case départ de la Real Politik. Suite à ces révélations, la démocratie américaine ne peut plus prétendre être un modèle pour les autres peuples du monde car elle fait le contraire de ce qu’elle dit, ne serait-ce qu’en ne respectant pas le secret de correspondance qui fut une des libertés élémentaires arrachées aux régimes absolutistes ou totalitaires.
    Cette situation nouvelle a déjà des conséquences spectaculaires. Elle mine la légitimité populaire des élites politiques des démocraties occidentales qui s’étaient habituées silencieusement depuis des décennies à assumer le poids et le prix de la surveillance américaine de leur comportement. Il n’est pas étonnant que les premières réactions politiques de rejet de l’attitude américaine viennent d’Allemagne par la voix du gouvernement fédéral. A cette posture diplomatique s’ajoute la publication par le magazine Der Spiegel de nouveaux éléments sur le ciblage par l’espionnage américain de l’Union Européenne mais aussi de la France. Contrairement à la France, l’Allemagne a une stratégie de puissance qui lui permet aujourd’hui de s’affirmer de manière beaucoup plus mature sur la scène internationale. L’absence de réaction de l’Elysée au début de l’affaire et le motus bouche cousue de la classe politique, de gauche comme de droite pendant la première période de la crise, en dit long sur notre attentisme à l’égard des Etats-Unis d’Amérique.
    L’affaire Prism a pris tout ce petit monde à contrepied. La France a du mal à se penser en dehors de son statut de petite moyenne puissance aux marges de l’empire dominant, position parfois ô combien inconfortable comme le démontre l’affaire Prism. Le fait que nous soyons incapables d’élever la voix aux côtés de l’Allemagne, « redimensionne » la valeur de nos attributs de puissance militaire et diplomatique. Sans armes nucléaires, sans fauteuil au conseil de Sécurité de l’ONU, l’Allemagne fait mieux que nous. Puissance bridée depuis 1945, elle a renversé son statut de vaincu en statut de puissance assistée (économiquement et militairement) au cours de la guerre froide pour maintenir l’équilibre des forces entre l’Est et l’Ouest. La chute du Mur et la réunification lui ont donné un nouvel élan au sein de la dynamique européenne. Berlin, contrairement à Paris, sait jouer le double jeu. Plus proche des Etats-Unis par le lien transatlantique hérité de la guerre froide, sa voix porte d’autant plus fort lorsqu’elle est la première à demander des comptes aux Etats-Unis.
    L’absence de réaction française jusqu’à l’intervention officielle de Laurent Fabius ce dimanche est l’instrument de mesure parfait de notre véritable place dans le concert des nations. Contrairement à Berlin, Paris semblait attendre patiemment la fin de cette tempête informationnelle. Mais les dernières révélations sur l’espionnage de l’Union Européenne et même de la France ont brisé le mur du silence, du moins à gauche car la droite a encore du mal à se faire entendre sur ce dossier. Les images d’un Barack Obama qui essaie de substituer à l’image dégradante de son empire, celle du premier Président noir des Etats-Unis en voyage en Afrique du Sud, ne suffisent plus à masquer ce scandale à rebondissement. Certes, on peut toujours rêver dans l’hexagone en se demandant qui osera revenir un jour sur ce statut instable de vassal de l’empire, jamais assumé devant l’électorat. Le seul dirigeant politique français à s’être démarqué de cette dépendance à l’égard des Etats-Unis fut le général de Gaulle. Et il n’est pas inutile de rappeler qu’il était à l’époque très isolé dans son propre camp sur ce dossier majeur.

    Christian Harbulot (Infoguerre, 1er juillet 2013)
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  • L'Europe en phase finale d'américanisation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue intéressant de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur son site Europe solidaire et consacré à la nouvelle phase d'américanisation dans laquelle est entrée l'Europe...

     

    Américanisation.jpg

     

    L'Europe en phase finale d'américanisation

    Les évènements se précipitent. Peu d'européens en sont encore conscients. D'autant plus que pour s'en apercevoir il faut un minimum de culture stratégique, afin de déchiffrer des évènements qui autrement paraissent anodins.


    Appelons américanisation de l'Europe le fait pour celle-ci d'acquérir le statut non d'un nième Etat de l'Union – ce qui peut conférer quelques droits constitutionnels et civiques - mais d'un Etat complètement subordonné, colonisé pour reprendre un ancien terme, sur le modèle des ex-colonies africaines de la France.

    Cette américanisation est en cours depuis la seconde guerre mondiale, sinon la première. Ces guerres ont vu l'Europe, emportée par ses divisions internes, perdre une grande partie des éléments faisant son ancienne puissance. Ceci au profit des Américains. Face à l'URSS d'abord, face aux puissances émergentes d'Asie, principalement la Chine aujourd'hui, l'Amérique a su convaincre les européens qu'ils devaient lui confier leur défense, quitte à lui livrer en échange tout ce qui leur restait de souveraineté.

    On peut avec un certain optimisme estimer qu'au cours du dernier demi-siècle et aujourd'hui encore, 100.000 européens au maximum ont toujours voulu refuser ce marché de dupes. Pour eux, l'Europe avait les moyens de se défendre et de se développer sans rien abandonner de ses atouts scientifiques, économiques, militaires. Sous le gaullisme en France, quelques 50.000 Français avaient accepté de tenir le pari. Aujourd'hui encore, ils sont peut-être 50.000 à tenter de résister, provenant de diverses horizons. L'Airbus A350 qui vient de réussir son premier vol à Toulouse est un des derniers descendants de ce rêve héroïque.

    Mais ces réfractaires à l'américanisation, en France comme en Europe, se heurtent en Europe, dans chaque Etat comme au sein même de l'Union européenne, à des résistances formidables. Il y a d'abord l'inertie de centaines de millions de citoyens qui pensent que tout ira bien pour eux s'ils suivent les modes de vie et modèles américains, s'ils obéissent aux consignes implicites venues d'outre-atlantique. Mais il y a aussi ceux qui ont mis toutes leurs cartes dans la servilité à l'égard des intérêts américains, afin d'en être grassement récompensés. L'actuel président de la Commission européenne en est un bon exemple.

    Comme ceux-là détiennent au sein de l'Union européenne à peu près tous les leviers de commande dont l'Amérique a bien voulu leur confier l'emploi, ils constituent une barrière infranchissable aux tentatives des 100.000 européens évoqués ci-dessus qui voudraient reprendre leur indépendance.

    Une accélération brutale de l'américanisation

    Tout ceci, diront les lecteurs, n'a rien de nouveau. Or ce n'est plus le cas. La conquête de l'Europe par le Big Brother américain s'accélère brutalement. Divers évènements ont mis en évidence ces derniers mois, sinon ces dernières semaines, trois mécanismes qui se conjuguent pour accélérer de façon exponentielle la domination de l'Amérique sur l'Europe.

    Le premier mécanisme est d'ordre sociétal. Il découle de la numérisation continue de l'Europe, au sein notamment de l'Internet, qui en est la partie visible. L'Internet et plus généralement l'informatisation des outils et contenus de création et d'échange en découlant n'auraient que des avantages, y compris pour les Européens, si ceux-ci s'étaient donné des gouvernements et des entreprises capables de faire jeu égal avec la concurrence américaine. Or ce ne fut pas le cas. Non seulement l'informatique et les télécommunications ont été depuis les origines monopolisées par les américains, mais aussi les serveurs et entreprises du Net qui recueillent et mémorisent, dans leurs bases de données, l'ensemble de la production intellectuelle des Européens.

    L'exemple le plus visible en est Google. Les Européens, par facilité, profitant de la dimension mondiale que Google a réussi à prendre, lui confient dorénavant le soin de recueillir, transporter, utiliser et vendre les valeurs ajoutées de tout ce qu'ils produisent, sans parler de leurs « données personnelles », c'est-à-dire de tout ce qui représente, non seulement la citoyenneté européenne, mais aussi la civilisation européenne.

    Pour capter tout cela, Google et ses homologues américains ont mis en place des centres serveurs informatiques immenses, et développé les milliards d'instructions permettant de naviguer dans les données ainsi mises en mémoire. Ils sont de ce fait seuls à pouvoir réutiliser ce qui mérite de l'être dans les cerveaux européens et les produits de ceux-ci. Ce n'est rien, dira-t-on, nos cerveaux nous restent. Quelle erreur. Laisser Google et ses homologues dominer et progressivement diriger le contenu de nos cortex associatifs, de la partie noble de nos cerveaux, aboutit au pire des esclavage, esclavage soft, mais néanmoins esclavage.

    Le deuxième mécanisme confirmant la soumission de l'Europe à l'Amérique est politique. Il était soupçonné depuis longtemps par quelques spécialistes, mais vient d'éclater avec ce que l'on a nommé le scandale PRISM-Snowden. Inutile d'y revenir ici. Non seulement nous acceptons de confier à Google et ses homologues, pour exploitation commerciale, nos données personnelles et le contenu de nos créations intellectuelles, mais nous acceptons de les livrer sans aucune protection aux services secrets américains. Ceux-ci s'en servent, disent-ils, pour lutter contre les supposés ennemis de l'Amérique. Ce faisant, disent-ils aussi, ils nous protègent contre des ennemis intérieurs ou extérieurs, car les ennemis de l'Amérique sont nos ennemis. Que ces ennemis existent ou pas n'est pas la question. La question aurait été de dire à nos amis américains que nous préférons nous protéger nous-mêmes de nos ennemis. Car pour le moment, qui nous protégera de nos amis américains, de leurs intrusions, des mécanismes politiques de surveillance et de contrôle qu'ils ont dorénavant la possibilité de déployer à notre égard. Quis custodes custodiat.

    Les services secrets américains disposent pour ce faire, comme l'a révélé le scandale PRISM-Snowden, non seulement du contenu des immenses centres serveurs de la NSA, conçus pour mémoriser tout ce qui circule sur les réseaux numériques, non seulement des milliards de dollars de logiciels développés par des sociétés assermentées pour exploiter ces données, mais aussi de l'ensemble des contenus des serveurs commerciaux tels que Google, précité. La NSA et les autres agences de renseignement ont dorénavant une porte ouverte, un « open bar », une « back door » sur les contenus de ces serveurs. C'est-à-dire, répétons le, sur les contenus de nos cerveaux.

    De plus, ces services secrets et, en arrière plan, l'ensemble des moyens militaires du ministère de la Défense américain, ont davantage de possibilités d'intervention que les équipes de Google et de ses homologues. Ils ont de fait sinon de droit, pouvoir de vie et de mort, par destruction physique ou annihilation virtuelle, à l'encontre de tous ceux qu'ils déclarent être des ennemis de l'Amérique, ennemis déclarés ou ennemis potentiels. Ecrivant ceci, je suppose que je dois en faire partie, comme vous qui me lisez, comme tous les Européens qui voudraient devenir indépendants de l'Amérique.

    Ajoutons que les équipes du général Keith Alexander, directeur de la NSA et chef du Cyber Command du Pentagone, ne sont pas seules à pouvoir utiliser ces moyens. Elles sont doublées ou remplacées par des milliers de contractuels affrétés par l'US Army auprès de sociétés privées. Ces contractuels, bien qu'assermentés, peuvent se livrer en toute impunité à toutes sortes d'activités personnelles voir criminelles. Certains peuvent même, horresco reférens, trahir leur employeur pour motifs éthiques, au risque de leur vie, Comme Edwards Snowden, dont on est sans nouvelles à ce jour.

    Un troisième mécanisme est à considérer, dans la perspective d'un futur proche. Il s'agit d'un élément capital, le cerveau global capable de conscience artificielle. Ceux qui connaissent le développement rapide des neurosciences et de l'intelligence artificielle savent que dans quelques années verront le jour un ou plusieurs cerveaux artificiels répartis sur l'ensemble des réseaux numérisés. Or Ray Kurzweil, qui est le meilleur technicien capable de développer de tels cerveaux, a rejoint comme nul n'en ignore les équipes de Google. Il a sans doute ce faisant la totale bénédiction de la NSA.

    Mais, direz-vous, les Européens n'ont-ils pas l'intention d'étudier la mise en place pour leur compte d' un tel cerveau. Il s'agit du Human Brain Project européen, qui vient de recevoir la promesse d'un financement s'élevant à 1 milliard d'euros. Ce serait naïf de le croire. L'US Big Brother veille depuis le début de cette initiative. Le responsable en chef de ce projet est un Suisse, tout dévoué aux intérêts américains. De plus, IBM, qui avait déjà fourni le super-ordinateur nécessaire aux premiers pas du projet, vient d'ajouter de nouveaux moyens.

    Je cite:
    IBM Blue Gene/Q memory enhancements (14/06/2013)
    The Blue Brain Project
    (c'est-à-dire le projet suisse/IBM initial, repris dans le projet européen) has acquired a new IBM Blue Gene/Q supercomputer to be installed at CSCS in Lugano, Switzerland. This machine has four times the memory of the supercomputer used by the Blue Brain Project up to now...

    Est-il besoin de traduire? Quant à ceux qui ignoreraient qui est IBM, je rappellerai que ce fut dès les origines du Plan calcul français l'adversaire principal contre lequel s'était battu Charles de Gaulle. Après avoir réussi à monter une entreprise européenne (Unidata, avec CII, Siemens, Philips) capable de tenir tête au géant, les promoteurs de celle-ci ont été trahis par un européen, un certain Giscard d'Estaing.

    Ce sont d'autres Européens de même calibre, dotés d'une vision stratégique aussi pénétrante, qui se battent aujourd'hui pour que l'Europe s'engage dans les négociations avec les Etats-Unis en vue de réaliser un grand marché transatlantique. On apprend aujourd'hui 15 juin que la décision en ce sens vient d'être prise. Victoire cependant pour la France. Le culturel devrait en principe être exclu. Cela nous laissera toutes latitudes afin de financer des intermittents du spectacle qui distrairont les touristes américains et chinois quand ils nous feront la grâce de dépenser leurs devises en France. Ce sera tout ce qui nous restera à vendre.

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 15 juin 2013)

     

    15/06/2013
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