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Entretiens - Page 68

  • Bernard Lugan, une certaine idée de la France en Afrique (1)...

    "Les conversations de Paul-Marie Coûteaux" permettent de partir à la découverte d'une personnalité en évoquant avec elle ses passions, ses souvenirs et les éléments fondateurs de sa vie pour mieux comprendre son œuvre. Volontairement intimiste, "Les conversations de Paul-Marie Coûteaux" sont filmées in situ, là où ces personnages hors du commun trouvent leurs forces et leur inspiration.

    Dans cette nouvelle série d'émissions, Paul-Marie Coûteaux part à la rencontre de Bernard Lugan, historien, pour évoquer avec lui l'Afrique où il a vécu, en diverses capitales, le plus clair de sa vie, dont il a écrit l'Histoire et dont la connaissance approfondie fait partout autorité.

    Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont Histoire de l'Afrique (Ellipses, 2009), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018), Esclavage, l'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2020) et dernièrement Pour répondre aux « décoloniaux », aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance (L'Afrique réelle, 2021).

     

     

                                                

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  • Un glissement vers un "autoritarisme doux"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Marion Maréchal à Boulevard Voltaire et consacré à l'actualité sociale et politique. Marion Maréchal dirige l'Institut des sciences sociales économiques et politiques.

     

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    Marion Maréchal : « Nous assistons à un glissement vers une forme d’ “autoritarisme doux” exercé par un État qui voudrait faire notre bien malgré nous »

     

    La société française est plus fracturée que jamais. On fait beaucoup d’analogies entre les gilets jaunes et les opposants au passe sanitaire. Est-ce le cas et que révèle-t-elle ?

    Tout ne se recoupe pas parfaitement sur le plan territorial ou sociologique, mais à la manière des gilets jaunes, ce qui s’exprime ici est une profonde défiance nourrie par des mois, voire des années de mensonges.

    Il est probable que ces mobilisations aient pour origine commune une perte de confiance profonde vis-à-vis des institutions et des autorités quelles qu’elles soient. Depuis longtemps, déjà (et pas toujours sans raison !), les élus sont considérés comme des traîtres, les journalistes comme des menteurs, les professeurs comme les acteurs de l’effondrement de l’école et les magistrats comme des laxistes. L’une des rares autorités à faire encore consensus, jusque-là, était le monde médical et scientifique. Cette confiance a explosé en vol avec la crise du Covid, les scientifiques et médecins ayant révélé au grand jour de vives oppositions entre eux, des contradictions dans les analyses, des revirements ou encore des liens d’intérêt douteux avec des laboratoires pharmaceutiques qui remettent en cause l’impartialité de leurs positions. Un vrai traumatisme au pays de Descartes.

    Cette crise de confiance contribue à freiner l’adhésion tant aux restrictions qu’à la vaccination. Elle pousse également au doute, à la remise en cause du discours officiel et médiatique, à la recherche d’informations alternatives, le tout encouragé par le foisonnement d’informations disponibles sur Internet.

    Vous voulez parler des « complotistes » ?

    Cette posture vis-à-vis de l’autorité crée une véritable différence entre des citoyens qui suivent les injonctions gouvernementales sans se poser de question et ceux qui les remettent en cause par principe, ces derniers étant volontiers qualifiés, en effet, de « complotistes » dans la presse et dans la bouche des ministres.

    Attardons-nous un peu sur ce terme. Toute l’histoire de la politique n’est qu’une lutte permanente entre le bien commun, l’intérêt général et des intérêts privés. Parfois, le bien commun gagne et parfois les intérêts d’argent et de pouvoir l’emportent au détriment du collectif. Cette injustice est souvent le moteur qui conduit beaucoup d’entre nous à nous engager dans les élections. Il n’y a rien de « complotiste » à imaginer que les décisions prises par les gouvernements ne soient pas toujours animées par la recherche de l’intérêt général. Il est, au contraire, tout à fait réaliste qu’elles puissent être parfois influencées par des calculs politiciens, des logiques de réseaux, des puissances privées, des lobbys d’argent, quelquefois à l’insu même des gouvernants qui se laissent intoxiquer par des informations partiales ou partielles.

    Il est donc sain que le citoyen passe la décision publique à la moulinette de son esprit critique, d’autant plus quand celle-ci s’est révélée maintes fois incohérente, comme c’est le cas depuis de nombreux mois, en France.

    J’ai récemment lu l’article d’un auteur roumain, Radu Portocală, écrivain et journaliste exilé de son pays par le pouvoir communiste roumain, en 1977, qui faisait un parallèle entre certains mécanismes actuels et ceux à l’œuvre au sein de l’URSS. J’aime autant vous citer directement l’extrait : « La différence est minime avec le monde soviétique, où la vérité était édictée par le Parti – sans, pour autant, qu’elle fût constante : les intérêts politiques pouvaient, à tout moment, la faire changer. Les gens vivaient donc sous l’empire de la vérité du moment. Nul n’avait le droit de s’en abattre ni de la contester, sous peine de graves persécutions. Nul, non plus, ne pouvait demander pourquoi ce qui avait été vrai la veille cessait de l’être le lendemain. Ou pourquoi énoncer une chose tenue pour vraie une semaine plus tôt, mais tombée en désuétude depuis, faisait courir un risque insensé. Il fallait, sans arrêt, se tenir au courant des fluctuations de la vérité.

    Le propagandiste était l’équivalent de l’actuel vérificateur de vérité. Lui seul savait ce qu’il fallait croire à chaque moment. Celui qui contredisait ses propos ou, simplement, les nuançait tombait dans la catégorie pénale des « lanceurs de fausses rumeurs », devenait un « rumoriste ». Des peines de prison étaient prévues pour ces imprudents.

    Nous n’en sommes pas encore là. Ou, plutôt, nous n’y sommes pas de la même manière. Pour l’instant charitables, les progressistes se contentent de fustiger les complotistes, de les exposer à l’opprobre général et de les censurer, quand leurs devanciers, plus expéditifs, envoyaient en prison les rumoristes, ancêtres involontaires de nos complotistes. Cela viendra peut-être. »

    « Dictature », « autoritarisme », ce sont les mots qui reviennent le plus souvent pour qualifier la mise en place de ce passe sanitaire. Pensez-vous qu’ils traduisent une réalité ?

    Je pense, en effet, que nous assistons à un glissement vers une forme d’« autoritarisme doux » exercé par un État qui voudrait faire notre bien malgré nous, y compris par la contrainte s’il le juge nécessaire. Un État qui voudrait nous garder en bonne santé à tout prix, même si cela implique de restreindre nos libertés fondamentales sans notre consentement. Je trouve cette dérive très inquiétante.

    Il y a à peine quelques années, tout le monde était horrifié par la mise en place du crédit social chinois. Ce système qui attribue des points à chaque citoyen en fonction de ses bonnes ou mauvaises actions – un retard de paiement d’impôt entrant dans cette catégorie, notamment – et qui leur interdit certaines activités en fonction de leur crédit, par exemple de prendre l’avion.

    Selon moi, il n’y a pas de véritable différence de nature entre le crédit social chinois et le passe sanitaire, simplement une différence de degrés. Certains diront que j’exagère, mais la logique n’est pas très éloignée. Vous êtes un bon citoyen vacciné, alors vous avez le droit à une vie normale. Vous êtes un mauvais citoyen non vacciné, eh bien, vous serez privé de sport, de culture, de vie sociale au bar ou au restaurant et vous serez suspendu de votre emploi sans indemnités. Certains me rétorqueront que l’État français fait cela pour notre bien et la santé de tous ; le gouvernement chinois justifie aussi sa politique pour le bien du pays.

    Certains voient dans cette numérisation de la société et ce laissez-passer sanitaire sous forme de QR code les prémices de la mise en place d’une identité numérique qui, à moyen terme, fusionnerait les différentes données bancaires, fiscales, sociales, de santé, professionnelles, permis de conduire, etc., de chaque personne et donnerait accès à différents services gouvernementaux. Des données dont disposent déjà l’État mais qui, une fois, pourraient potentiellement permettre à l’État de sanctionner un individu en le privant d’accès aux autres services. Par exemple, une amende impayée pourrait entraîner le blocage de votre carte bancaire.

    Dans certaines régions des États-Unis, le déploiement des identités numériques est déjà en cours. La Floride lance le permis de conduire numérique et le Queensland, en Australie, a mis à l’essai une licence numérique de l’État. Cette année, l’Union européenne a fait un pas vers un projet d’identité numérique pour l’ensemble des citoyens, résidents et entreprises européennes, avec un objectif de 80 % en 2030. Cette ID permettrait, via le téléphone, d’avoir accès à de nombreux services gouvernementaux et de justifier l’identité des individus. Si cela facilitera certainement les démarches, il faudra être extrêmement vigilant à l’usage qui en sera fait, vu la piste glissante dans laquelle nous sommes engagés. Chacun se souvient quand nos gouvernants proclamaient que jamais ils ne mettraient en place le passe pour les activités du quotidien. Or, nous y sommes.

    Chaque citoyen doit avoir conscience des dangers que peut engendrer cette numérisation de la société. Cela implique d’avoir des exigences très fortes sur le plan de la souveraineté numérique, du cadre juridique et technique de protection des données et je dirais même de la moralité des gouvernants. En Afghanistan, une base de données biométriques, HIIDE, développée par les Américains, ainsi que les dizaines de milliers de caméras installées à cette fin sur le territoire sont aujourd’hui dans les mains des talibans. Tout cela pour dire que des technologies formidables tombées entre de mauvaises mains pourraient, demain, être le fossoyeur de nos libertés démocratiques si nous n’y prenons garde.

    Alors certes, contrairement à une dictature, les opposants politiques et les journalistes dissidents ne sont pas jetés en prison, mais l’autocensure et la peur de la mise au ban social suffisent souvent à faire taire les voix dissidentes. Le bannissement des opinions politiquement incorrectes sur les réseaux sociaux fait le reste.

    De même, il n’y a pas de « propagande officielle » proprement dite, dont la dénonciation entraînerait une condamnation, mais il y a néanmoins les prémices d’une vérité médicale d’État. Alors que le débat sanitaire a toujours été libre dans la société civile et la médecine indépendante, pour la première fois, l’État a établi une interdiction de prescrire un médicament pourtant autorisé. C’est le gouvernement qui décide de la liste (très limitée) des contre-indications au vaccin et non plus les médecins qui sont pourtant à même d’évaluer les risques courus par leurs patients au cas par cas. Les médecins qui émettent une opinion divergente sur la vaccination ou décident de soigner leurs patients atteints du Covid avec autre chose que Doliprane™ sont rappelés à l’ordre, voire interdit d’exercer par l’Ordre des médecins.

    Or, la plupart de ces médecins n’ont fait que poser une réflexion médicale sur le fait que l’injonction du « Faites-vous vacciner pour protéger les autres » est infondée, tout simplement parce que les vaccinés contaminent autant ou presque, comme l’affirme, par exemple, le CDC, l’agence de santé publique américaine. Ce qui rend, de fait, la justification du passe sanitaire caduque.

    Comment expliquer que, malgré l’existence de contre-pouvoirs (les deux chambres, le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel…), rien ne semble pouvoir contredire l’action de ce gouvernement ?

    La peur est un puissant anesthésiant politique. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’exercice du pouvoir a été particulièrement solitaire. Cette situation politique doit nous conduire à interroger non seulement le fonctionnement de nos institutions, excessivement centrées autour de la présidence, mais aussi nos modes de scrutin. Nous vivons, aujourd’hui, dans un système de démocratie non représentative, de manière évidente, encore amplifié par l’abstention massive qui tend à devenir chronique. Le Conseil constitutionnel est un organe dont la composition est excessivement politique, cette situation ne peut que nuire à l’impartialité de cette juridiction suprême. Or, il est indéniable que le passe sanitaire, obligation vaccinale déguisée, viole non seulement plusieurs dispositions de notre droit, de notre Constitution mais aussi du droit international.

    Cette crise de confiance entre le politique et le citoyen peut-elle être résorbée par l’élection présidentielle à venir ? 

    Malheureusement, je crains que l’élection ne se joue pas sur les sujets essentiels, elle sera verrouillée autour de la question du Covid et du passe sanitaire. Le Premier ministre semble déjà vouloir prolonger le passe sanitaire après le 15 novembre. Chose invraisemblable : le gouvernement n’a donné aucune indication sur les conditions de sa levée ! L’état d’urgence qui devait durer trois mois dure depuis près d’un an et demi et suspend le fonctionnement normal de notre démocratie. L’immigration, sujet vital, l’Union européenne et la souveraineté, l’indépendance industrielle et militaire, même les réformes économiques resteront au second plan. Bref, on va sacrifier la discussion autour de l’avenir de la France, qui doit être le grand débat de chaque élection présidentielle, au profit d’une discussion cadenassée et hystérisée autour de l’actualité sanitaire.

    Voyez-vous une dynamique, un espoir quelconque se dessiner autour de n’importe lequel des candidats ou du camp que représentent les uns et les autres ?

    Ce qui est certain c’est que tous les candidats auront un immense défi : réussir à reconstruire un fait majoritaire dans un pays socialement, territorialement, culturellement, ethniquement et maintenant sanitairement fracturé. Une démocratie fonctionne sur la constitution d’une majorité. Or, la construction de cette majorité implique que le système soit adossé à un peuple possédant suffisamment de principes, références, attentes, expériences partagées pour pouvoir dégager un consensus. C’est, manifestement, de moins en moins le cas, en France, du fait des clivages métropole-périphérie, du fossé générationnel, de l’immigration, de l’écart de revenus, de la disparition d’une religion commune, du phénomène de l’individualisme consumériste, etc. La facilité restera donc de faire de la politique catégorielle par l’addition des groupes d’électeurs en les flattant sur leurs intérêts immédiats, comme le fait très bien Emmanuel Macron. Mais les intérêts catégoriels, les clientèles électorales, ça ne fait pas un peuple. Le véritable chef d’État sera celui capable de sortir de cette logique mortifère pour rassembler vers un horizon commun.

    Marion Maréchal (Boulevard Voltaire, 1er septembre 2021)

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  • Faire face à la désinformation

    Le 31 août 2021, Thomas Arrighi recevait Alain de Benoist, dans l'émission «Sputnik donne la parole» pour évoquer avec lui la désinformation et « l’infobésité », à l'occasion de la publication de Survivre à la désinformation (La Nouvelle Librairie, 2021), un recueil d'entretiens donnés à Boulevard Voltaire et consacrés à la mise en perspective de l'actualité.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (Pierre-Guillaume de Roux, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

                             

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  • Afghanistan, une revanche de la géographie...

    Nous avons cueilli sur Geopragma un entretien donné à Figaro Vox par Fabrice Balanche et consacré au fiasco occidental en Afghanistan et, notamment, à son lien avec le mépris de la géographie... Fabrice Balanche est maître de conférences en géographie à l’Université Lyon 2 et spécialiste du Proche-Orient. Il a notamment publié un Atlas du Proche-Orient arabe (PU Paris-Sorbonne, 2011) et une Géopolitique du Moyen-Orient (Documentation française, 2014).

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    L’Afghanistan est l’archétype de la revanche de la géographie

    FIGAROVOX. – Quelles sont les spécificités géographiques de l’Afghanistan ?

    FABRICE BALANCHE. – C’est un pays de montagnes avec des vallées encaissées, des cols pour passer d’une région à une autre : c’est un pays compartimenté. Cela pose évidemment problème à toutes les puissances qui souhaitent y pénétrer. Le relief est extrêmement difficile à maîtriser.
    Ce compartimentage physique, a un versant humain, social. Le pays compte différentes ethnies qui résident dans les vallées : les Pachtounes, les Ouzbeks, les Tadjiks. Ces ethnies sont elles-mêmes divisées en clans et en tribus, qui sont concurrentes. Même l’autorité centrale à Kaboul, du temps de la royauté, n’est jamais parvenue à poser un contrôle direct sur la population.

    Cette réalité physique et cet éclatement ethnique sont des dimensions essentielles pour comprendre le pays. Elles sont d’ailleurs liées entre elles : les tribus peuvent garder leurs spécificités identitaires grâce à la géographie physique du terrain. On est maître de sa vallée par exemple.
    Précisons que la géographie a deux objets : la question physique et la spécificité humaine, culturelle, du pays. Les dirigeants occidentaux n’ont pas voulu les voir ni les comprendre, et c’est ce qui les a menés au fiasco.
    Est-ce que cette spécificité a participé à la défaite américaine ? Ce conflit était-il perdu d’avance ?

    Le conflit n’était pas nécessairement perdu d’avance. Mais une armée occidentale, comme l’armée américaine, fait face à de grandes difficultés avec ce relief. Elle a eu toutes les peines du monde à contrôler le territoire. En Irak, le pays est essentiellement composé de grandes plaines, c’était donc plus facile à cet égard, mais l’armée américaine s’est heurtée à une culture qu’elle ne comprenait pas.

    C’est exactement la même chose en Afghanistan. Les Américains n’ont pas su comprendre la diversité ethnique et tribale. C’est la problématique des puissances occidentales qui veulent faire du « regime change », avec la promotion de la démocratie, des droits des femmes, des droits de l’Homme, mais tout cela est en porte-à-faux avec la société et le conservatisme afghan, c’est-à-dire avec la réalité du pays. Les dirigeants pro-soviétiques, Babrak Karmal et Najibullah, avaient voulu aussi, en leur temps, moderniser le pays à la mode communiste, et ils avaient rencontré les mêmes problèmes. Les Occidentaux ont répété cette erreur.

    Est-ce que la géographie est la clé de la géopolitique de l’Afghanistan, pays qui n’a jamais été colonisé ou durablement occupé ?

    Robert D. Kaplan, un auteur américain, a écrit un livre paru en français en 2014, La Revanche de la géographie (Ce que les cartes nous disent des conflits à venir). Il écrit très justement que l’on peut envoyer des hommes sur la lune mais que l’on a toujours autant de difficultés à traverser l’Himalaya. Il y a des réalités géographiques, additionnées à des réalités culturelles qui s’imposent, et qu’il faut prendre en compte. On peut arriver dans la société afghane et pratiquer des opérations à cœur ouvert, mais changer les mentalités, cela demande beaucoup plus de temps.
    Les États-Unis et les Occidentaux en général, avec leurs moyens colossaux, financiers ou technologiques, ont pensé réussir à changer profondément la société afghane et gagner les cœurs et les esprits.
    On parle souvent de relations internationales en expliquant les volontés de chaque pays, les velléités des puissances et effectivement, il y a un contexte, mais ce n’est pas tout. Reprenons la métaphore du jeu d’échecs : en termes géopolitiques, les pièces sur le jeu sont les différents acteurs et les différentes puissances, mais l’échiquier sur lequel on joue a lui aussi une dynamique spécifique, les cases ne sont pas uniformes : c’est cela la géographie. Entre les cases il y a des différences, liées aux reliefs et à la culture locale.

    Depuis les bureaux, à Paris ou Washington, on oublie tout cela. La géographie se rappelle à eux, on le voit bien dans le cas de l’Afghanistan. On pourrait même dire que l’Afghanistan est l’archétype de la revanche de la géographie : un relief difficile à contrôler, des populations difficiles à faire évoluer. Les Occidentaux cumulent les handicaps dans ce pays.
    Depuis une dizaine d’années s’ajoutent d’autres facteurs, notamment concernant les pays voisins, la Russie, la Chine, le Pakistan, qui ont gagné en puissance : la Russie et son intervention en Syrie, la Chine qui a des velléités mondiales. En outre, certains ont mis de l’huile sur le feu en armant les Talibans pour faire partir les Américains. Tout cela a renforcé la pression sur la présence américaine. Malgré tout, la réalité géographique n’a pas été prise en compte.

    En Afghanistan, le « regime change » ne peut pas fonctionner ainsi : on n’installe pas la démocratie en claquant des doigts. Malgré la débauche de moyens, la présence des ONG, il n’y a pas de changement. Cela peut même avoir un effet contraire. Je l’ai vu en Syrie : les acteurs du changement de la société civile sont finalement exfiltrés. Les ONG qui font la promotion des droits de l’homme formatent des activistes qui se retrouvent en complet décalage avec la réalité du terrain et finissent par entretenir l’illusion de la réussite de cette politique. Car, du personnel local aux responsables de l’ONG, tous ont intérêt à ce que les budgets soient reconduits pour conserver leur travail et pour les activistes locaux obtenir un visa pour l’Europe ou l’Amérique du Nord.
    La même stratégie prévaut dans la diplomatie occidentale. Celui qui se montre réaliste est mis au placard, tandis que celui qui entretient l’illusion obtient une promotion. Il est donc normal que Kaboul, la vitrine du succès occidental en Afghanistan, soit tombée en quelques heures.
    Près de 200 milliards de dollars ont été dépensés pour reconstruire l’Afghanistan et ses institutions et voici le résultat. La stratégie doit être différente, il faut avoir une gestion plus proche des réalités locales et ne pas chercher à imposer nos concepts occidentaux sur ce type de société. Du point de vue de la gouvernance, il faut promouvoir une gouvernance indirecte, où on laisse l’autonomie aux différents groupes, aux différentes ethnies.

    La réalité que l’on ne comprend pas, la diversité ethnique, tribale et clanique, est le principal facteur d’organisation de la société et de la politique. Les classes sociales ne sont pas facteurs de mobilisation politique en Afghanistan, c’est l’ethnie et la tribu qui le sont. Cela se retrouve dans plusieurs pays : Irak, Liban, etc.

    Pourquoi ne tient-on pas compte de ces données, qui sont permanentes ? Quelle leçon en tirer sur le rôle de la géographie dans la géopolitique et l’histoire ?

    Cela est lié à l’état d’esprit des décideurs politiques, ceux qui décident des interventions militaires, ceux qui font la politique et la gestion. Irak, Syrie et Afghanistan témoignent du même problème : les stratégies sont pensées par des personnes qui projettent sur ces pays des concepts occidentaux et certaines fois, même, des fantasmes. Les décideurs ont souvent une formation Sciences Po et ne maîtrisent pas la géographie et toutes ses réalités. Ils ne connaissent pas les populations ni le terrain, car ils ne sortent pas de leurs bureaux. De surcroît ils ne font pas confiance aux personnes qui sont sur le terrain, car les conclusions de ceux-ci vont à l’encontre de leur pensée. Toutes ces raisons sont à l’origine du fiasco irakien, syrien et aujourd’hui afghan.

    Le problème est aussi de savoir comment un décideur politique prend sa décision : c’est rarement en fonction des informations de terrain. Aujourd’hui, l’Occident fait la guerre 2.0 : elle regarde Twitter, scrute les réseaux sociaux, mais ne fait pas de terrain. Or, les talibans dans leurs vallées encaissées ne communiquent pas sur Twitter !
    Sur internet, les Occidentaux vont repérer des personnalités qu’on pense être des acteurs locaux. Ils sont visibles sur le net car ils parlent anglais et ont de multiples followers. Mais ces gens-là sont une élite déconnectée de la réalité locale. Les vrais acteurs, les Occidentaux ne les connaissent pas, ils viennent des périphéries. L’exemple parfait est celui du Comité national de transition pour la Libye. On avait des fiches sur tous ceux qu’on croyait faire partie de l’élite libyenne (réseaux universitaires) mais il s’est avéré qu’il ne s’agissait pas des vrais acteurs de la révolte. On a appuyé un Comité national de transition complètement déconnecté et qui n’avait pas de pouvoir réel.

    Le géographe doit faire du terrain. La géographie avait beaucoup d’importance jusqu’au milieu du XXe siècle. René Caillié a été le premier Occidental à avoir foulé la terre de Tombouctou et à en être revenu au XIXe siècle. On faisait confiance aux gens qui avaient vu.

    Pourquoi la géographie n’est-elle plus considérée ?

    Sans doute parce qu’aujourd’hui, avec les satellites et la télédétection entre autres, on pense pouvoir se passer des gens sur le terrain. On pense qu’on a assez d’informations technologiques, or il nous manque l’essentiel : connaître les sociétés.
    On n’envoie plus des géographes sur le terrain en France et il y a moins d’appétence à prendre des risques. Tout comme, en opérations extérieures dans les pays à risques, on répugne à risquer la vie de nos soldats en les faisant patrouiller (on préfère les enfermer dans leurs bases), on n’envoie plus de géographes découvrir le terrain.
    Je parle avec mon expérience. Lorsque j’étais à l’Institut français du Proche-Orient, en Syrie, on ne pouvait guère en sortir, officiellement pour raison de sécurité. Les collègues qui veulent durer dans l’Institut travaillent dans les quartiers situés autour de l’Institut. Ou encore mieux : ils restent à la bibliothèque. Si malgré tout, on décide de profiter pleinement de ce pour quoi nous avons obtenu un de ces postes, très privilégié sur le plan financier, et faire sérieusement du terrain, eh bien nous sommes sanctionnés.

    Cela explique en partie d’ailleurs l’échec français en Syrie. Malgré la présence d’un pléthorique Institut français du Proche-Orient, où de nombreux chercheurs bénéficient de rentes confortables, le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad semble avoir été une surprise pour tout ce petit monde. Ceux qui se doutaient que l’autoritarisme n’allait pas s’effondrer ont préféré se taire pour éviter d’être cloué au pilori. Car il ne fait pas bon avoir un avis contraire aux décideurs politiques, tous issus du même moule de sciences politiques où la géographie de terrain est absente. Si on rajoute le décolonialisme et la cancel culture, en vogue à l’Université et dans les grandes écoles, on comprend que chercheurs et étudiants vont encore davantage s’éloigner de la réalité du Moyen-Orient.

    Y a-t-il un problème de formation en France de ce point de vue ?

    Oui, enseigner la géographie de terrain devient «has-been». Ainsi, le communautarisme, qui est une réalité dans les pays du sud notamment, ne doit plus être évoqué. La plupart des étudiants et des universitaires refusent d’entendre cette réalité, ce qui complique considérablement les recherches et l’enseignement. Pour revenir à l’Afghanistan, si un chercheur s’intéresse aux groupes de rap à Kaboul, il aura plus facilement une allocation de recherche que s’il voulait effectuer un travail de fond sur le tribalisme. C’est exactement le même problème sur le terrain français lorsqu’on veut travailler sur le communautarisme dans les banlieues.

    Fabrice Balanche (Figaro Vox, 19 août 2021)

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  • Culture de l'annulation et liberté d'expression...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une discussion entre Alain de Benoist et deux jeunes cinéastes québecois sur l'évolution du cinéma et sur les phénomènes de la ''culture de l'annulation'' et de la rectitude politique qui rongent la liberté artistique et d'expression.

     

                                             

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  • Actualité de Carl Schmitt...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Pierre-Antoine Plaquevent à Xavier Moreau pour Stratpol et consacré à Carl Schmitt et à son actualité. Il anime le site métapolitique Les Non-Alignés ainsi que le site Strategika, et vient de publier Soros et la société ouverte (Le Retour aux Sources, 2018).

     

                                        

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