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Entretiens - Page 241

  • Eric Rohmer : un catholique du Grand Siècle

    Nous reproduisons ici un entretien donné au blog de Monde & Vie par Michel Marmin, rédacteur en chef de la revue Eléments et cinéphile réputé, à l'occasion de la mort du cinaste Eric Rohmer.

     

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    M&V: La question piège tout d’abord: quels sont les films qu’il faut voir les premiers pour entrer dans l’univers de Rohmer?

    Michel Marmin : À quelqu’un qui n’aurait jamais vu de films d’Éric Rohmer, je conseillerais de commencer par ses contes des quatre saisons, quatre films lumineux qui dissèquent les mensonges du cœur et de l’esprit. Dans Conte de printemps (1990), Conte d’hiver (1992), Conte d’été (1996) et Conte d’automne (1998), il y a une sorte de jubilation shakespearienne à mettre au jour les jeux de l’amour et du hasard, mais aussi une sorte de férocité racinienne, mêlée à une perspective philosophique que l’on pourra qualifier de pascalienne. Ces références ne devraient pas rebuter l’honnête homme nourri de culture classique, bien au contraire! J’ajoute que tout cela, chez Rohmer, est exprimé le plus naturellement du monde, avec une fraîcheur et une sensibilité incroyables. Ces quatre films, et bien d’autres évidemment, nous disent les choses les plus profondes à travers un sourire ou un nuage qui passe dans le ciel.

    Ses films aux budgets modestes, mais toujours rentables, lui ont permis toutes les audaces, comme Perceval le Gallois, d’après Chrétien de Troyes, ou Les Amours d’Astrée et de Céladon, d’après Honoré d’Urfé. Homme de cinéma et de littérature, comment le définir?

    Il faut tout d’abord rappeler qu’Éric Rohmer a débuté comme romancier en publiant en 1946 La maison d’Élisabeth, chez Gallimard. Rappelons aussi qu’il est un musicologue très averti, auteur notamment d’un remarquable essai sur Mozart. Ses films ne sont certes jamais très loin de la littérature, et de la plus grande littérature. Ce ne sont pas pour autant des films « littéraires », en ce sens que leurs dialogues participent d’une vision cinématographique globale, au même titre que les décors, l’allure et le timbre des acteurs et actrices, les couleurs ou les sons. Rohmer n’enregistre pas les dialogues, il les « filme »… Dans Ma nuit chez Maud (1969), qui l’a rendu célèbre, il est aussi naturel de parler morale et métaphysique que cigarettes, whisky et p’tites pépées dans un film d’Eddie Constantine ! Les films de Rohmer délivrent un sentiment d’évidence que l’on n’a que devant les très grandes œuvres d’art : les choses, dirait-on, ne pourraient être filmées autrement…

    Par quel prodige le réalisateur de La Marquise d’O, qui a défrayé la chronique en son temps, peut-il être considéré comme l’un des derniers grands réalisateurs catholiques français ?

    En adaptant avec génie la nouvelle de Kleist, Éric Rohmer ne me paraît pas avoir le moins du monde dérogé à la stricte philosophie catholique qui est la sienne ! À ce compte, on pourrait soupçonner Robert Bresson d’hérésie! Mais je laisse à des théologiens plus qualifiés que moi le soin d’en débattre… Oui, Rohmer était incontestablement, avec Bresson, le plus grand cinéaste catholique que la France ait connu. On notera en passant, pour faire le lien avec ce que nous avons dit tout à l’heure, que ses obsèques ont été célébrées en l’église Saint-Étienne-du-Mont, où se trouvent les tombeaux de Pascal et de Racine. Il ne pouvait être mieux entouré. Tous ses films en témoignent, Rohmer était un catholique du Grand Siècle, avec ce que cela implique de hauteur de ton, d’exigence esthétique et de réalisme psychologique. Le vrai prodige, c’est qu’il ait réussi à conquérir et à conserver un public d’une importance non négligeable, à une époque qui cultive le contraire : la bassesse du ton, la négligence esthétique et l’imbécillité psychologique !

    Preuve de cette indépendance d’esprit, il réalise L’Anglaise et le duc, une incursion politiquement incorrecte au cœur de la Révolution française, conçu avec une technologie numérique!

    Ce film d’une originalité extraordinaire a démontré deux choses. La première, c’est que Rohmer est resté jusqu’au bout un cinéaste nova teur, capable des expérimentations formelles les plus audacieuses. La seconde, c’est que c’était non seulement un homme fondamentalement de droite, ce que l’on savait depuis soixante ans, mais encore un fervent royaliste. Comme quoi, ce dont je suis personnellement convaincu, l’avant-garde artistique et la Tradition peuvent faire bon ménage et le font même souvent. On en a un autre exemple avec l’œuvre romanesque de Jean Parvulesco, que je ne cite d’ailleurs pas par hasard. Parvulesco aura été le compagnon de toujours d’Éric Rohmer, et on le voit apparaître personnellement dans Les Nuits de la pleine lune (1984). C’est d’ailleurs toute la Nouvelle Vague qu’il conviendrait de reconsidérer sous cet angle, y compris Jacques Rivette qui se croit de gauche! Rivette n’est-il pas l’auteur du très éminemment « rohmérien » Ne touchez pas à la hache (2007), adaptation de La Duchesse de Langeais de Balzac? Quant à Jean-Luc Godard, il se faisait traiter de fasciste dès son premier film…

    Autre curiosité, Triple Agent, son avant-dernier film est aussi le seul de sa longue filmographie qui soit lié à l’histoire du XXe siècle. C’est sans doute la seule fois où l’on entend parler de grèves, d’attentats et de communistes…

    Ce n’est pas à proprement parler un film politique, mais un film dont l’histoire politique de la France des années 1930 fournit la matière et le décor. Cela dit, Triple Agent ne laisse guère de doute sur les sympathies que le milieu de l’immigration tsariste inspire à son auteur, même si le couple d’enseignants communistes qui lui est opposé est dépeint avec délicatesse, sans jamais céder à la caricature. Finalement, le seul film véritablement politique d’Éric Rohmer reste L’Arbre, le maire et la médiathèque (1993), spirituelle satire de la France boboïste et mitterrandienne.

    Propos recueillis par Pascal Viscontini (Monde & Vie : le blog)

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  • Peine de mort : le point de vue d'Alain de Benoist

    Dans le numéro 27 de Flash (19 novembre 2009), Alain de Benoist répondait aux questions de Nicolas Gauthier sur la peine de mort.

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    Alain de Benoist : "Je ne me suis pas battu pour l'abolition de la peine de mort. Je ne me battrai pas pour son rétablissement..." 

    Si l'on en croit les clichés médiatiques, l'homme de droite serait pour la peine de mort et l'homme de gauche contre... C'est sûrement un peu plus compliqué que ça...

    Sans doute. Je connais beaucoup d'hommes de droite révulsés par la peine de mort, surtout quand ils ont eux-mêmes fait de la prison. Je connais aussi des hommes de gauche hostiles à la peine de mort, qui trouvent cependant qu'on n'a pas assez fusillé à la Libération. Le débat sur la peine de mort n'est pas seulement archi-rebattu. Son caractère. émotionnel (d'un côté "toute vie humaine est sacrée", de l'autre "le sang appelle le sang") le rend aussi plutôt ennuyeux. Les partisans de la peine de mort, qu'ils en tiennent pour des arguments utilitaristes (protéger la société en mettant définitivement hors d'état de nuire) ou moraux (la peine de mort comme punition exemplaire ou sacrifice expiatoire), ont souvent du mal à comprendre que la justice publique est quelque chose d'autre que la vengeance privée ou la loi du Talion, et que la justice pénale n'a pas pour but premier de satisfaire les victimes. Leurs adversaires, eux, tombent souvent dans l'angélisme. Mais le plus détestable, ce sont ceux qui s'opposent à la peine de mort ... sauf bien sûr dans les cas où elle leur apparaît tout à fait justifiée! Les hommes de droite observent souvent que la peine de mort a été constamment appliquée dans l'histoire (elle était pourtant peu fréquente à Rome à l'encontre des citoyens romains), tandis que les hommes de gauche se réclament plutôt de l'esprit de "tolérance" des Lumières. Mais chez les philosophes du XVIIIe siècle, le refus de la peine de mort ne faisait pas l'unanimité. Diderot disait :"Le malfaisant est un homme qu'il faut détruire et non punir" ! Quant à Cesare Beccaria, grand adversaire de la peine de mort, il prônait son remplacement par un "esclavage perpétuel" ...

    Autre cliché médiatique, la peine de mort ne serait à l'honneur que dans des nations "arriérées"... dont les USA ou la Chine, pourtant assez "avancées"... Comment expliquer cette distorsion dialectique entre une ONU qui la proscrit et une Amérique qui l'applique? "Faites ce que je dis et pas ce que je fais" ?

    L'ONU n'est pas l'Amérique. Et l'Amérique n'applique pas uniment la peine de mort: elle existe dans certains États, pas dans d'autres. C'est d'ailleurs ce qui permet de constater que la peine de mort n'est nullement dissuasive : la majorité des criminologistes savent bien que la criminalité n'est pas plus forte là où on l'a abolie. D'ailleurs, la principale cause des crimes, c'est que leurs auteurs sont convaincus qu'ils ne se feront pas prendre. Aujourd'hui, la peine de mort reste prévue dans la législation de près de 100 nations. Elle est appliquée dans les quatre pays les plus peuplés du monde: la Chine, l'Inde, les États-Unis et l'Indonésie. Géographiquement, c' est l'Asie qui est de nos jours la moins abolitionniste. À noter que la peine de mort existe aussi au Japon, et qu'en Chine, on exécute couramment pour corruption, détournement de fonds ou évasion fiscale.

    Au-delà de sa valeur éventuellement dissuasive - qui demeure à démontrer -, la peine de mort a-t-elle une valeur symbolique?

    C'est ce que l'on dit souvent. Mais symbolique de quoi ? Au-delà de la peine de mort, la torture pourrait aussi avoir une valeur symbolique ! Et d'un point de vue "symbolique", qu'est-ce qui est le pire : la condamnation à mort ou la condamnation à vie ? L'idée générale est que "les crimes les plus horribles méritent le châtiment suprême". Le problème est qu'il n'existe aucun accord sur ce qui est le plus "horrible" (on retombe ici dans l'émotionnel). Personnellement,je trouve que les crimes contre la collectivité sont beaucoup plus graves que les crimes contre les personnes individuelles, mais je doute que beaucoup de gens partagent cette opinion. Remarque subsidiaire: les crimes généralement considérés comme les plus "horribles" sont le plus souvent des crimes pulsionnels, dont les auteurs sont tout à fait inaccessibles à la notion rationnelle de dissuasion. Beaucoup sont des malades, qui relèvent de la psychiatrie plutôt que des tribunaux.

    Et vous, au fait, vous êtes pour ou contre?

    Je ne me suis pas battu pour l'abolition de la peine de mort. Je ne me battrais pas pour son rétablissement.

     

    Propos recueillis par Nicolas GAUTHIER ( Flash n°27 du 19 novembre 2009)  

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