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Entretiens - Page 240

  • De droite et de gauche !... (1)

    Nous reproduisons ici un entretien de François Bousquet, rédacteur en chef du Choc du Mois, avec Alain de Benoist et Michel Marmin, publié dans l'avant-dernier numéro de la revue Eléments (n°136, juillet-septembre 2010). Une mise au clair passionnante sur les évolutions de la Nouvelle Droite au cours de ces dernières années...

    Compte tenu de la longueur de cet entretien, nous le publions en deux parties. Bonne lecture !

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    La Nouvelle Droite est-elle de gauche ?

    François Bousquet : Certains observateurs ont probablement été déroutés par des orientations, perçues comme «gauchisantes», que vous avez suivies depuis une douzaine d’années et sont fondés à se poser la question de savoir si la Nouvelle Droite est aujourd’hui de droite ou de gauche. Où la situer ?

    Alain de Benoist : Tu parles comme s’il existait une droite et une gauche unitaires, ou comme si la droite et la gauche formaient un continuum par rapport auquel on pourrait déplacer le curseur pour marquer la place occupée par tel ou tel. Mais cela n’a jamais été le cas. Certaines orientations peuvent s’observer à droite sans être approuvées par toutes les droites, aussi bien qu’à gauche sans être approuvées par toutes les gauches. Se demander si la ND est «aujourd’hui de droite ou de gauche» n’a donc guère de sens, car il faudrait commencer par définir la droite et la gauche, ce que les politologues n’ont jamais su faire d’une manière qui ait fait l’unanimité. Cela dit, il est incontestable que, depuis quinze ou vingt ans, la ND se réfère plus fréquemment qu’avant à certains auteurs généralement classés à gauche, ou qu’elle reprend à son compte certains de leurs arguments. Si certains s’en trouvent «déroutés», c’est qu’ils n’ont pas bien compris ce qu’est la ND ni, d’une façon plus générale, en quoi consiste un travail d’élaboration idéologique ou théorique.

    Toute praxis intellectuelle vivante se doit d’être à la fois dynamique et ouverte. Dynamique, cela signifie que les idées ne sont pas quelque chose de figé, comme un bien précieux qu’il faudrait placer dans un coffre-fort, mais qu’elles ont en permanence à être travaillées. Les idées se prouvent en s’éprouvant. Une fois énoncées, on doit encore les confronter à de possibles objections, en explorer les conséquences logiques, en examiner les limites. C’est la base même de tout travail de la pensée. Travail éminemment dialectique, et qui ne saurait avoir de fin. Ouverte, cela signifie que la dernière chose à faire quand on cherche à évaluer la valeur de vérité d’une idée, c’est d’y apposer a priori une étiquette. Que telle ou telle idée soit apparue à gauche ou à droite, à tel ou tel moment, ne nous dit strictement rien de ce qu’elle vaut. Le but n’est pas d’identifier des idées «de droite» ou «de gauche»,mais des idées justes. Et leur justesse ne dépend en aucune façon de leur lieu d’origine.

    Ma conviction est par ailleurs que l’une des grandes caractéristiques de la modernité a été d’instituer des dichotomies ou des oppositions qui n’ont pas lieu d’être : l’âme et le corps, l’inné et l’acquis, la conservation et le changement, la liberté et l’égalité, etc. La plupart des ces oppositions doivent être surmontées et dépassées (au sens de l’Aufhebung hégélienne). L’opposition droite-gauche fait partie de ces couples antagoniques qui, selon les époques et les lieux, ont pu revêtir des formes différentes,mais ne correspondent aujourd’hui pratiquement plus à rien. Or, l’une des aspirations les plus constantes de la ND a toujours été de parvenir à de nouvelles synthèses.

    Il faut aussi tenir compte des circonstances sociales-historiques. Un corpus théorique n’a de pertinence intrinsèque et de chance d’exercer une certaine influence que dans la mesure où il tient compte des évolutions du champ social, lequel s’est profondément modifié depuis trente ans dans les pays occidentaux. Les hégémonies dominantes, les modes de production, les mécanismes de contrôle social, ne sont pas les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque où la ND est apparue, à la fin des années 1960, ni même qu’il y a vingt ans, au moment de la chute du Mur de Berlin. Être conscient du moment historique que l’on vit est essentiel. Les gens qui, à vingt ou trente ans d’intervalle, répètent exactement la même chose n’en sont visiblement pas capables. Ils aggravent leur cas en parlant de «fidélité», sans réaliser que ce terme n’est que l’alibi de leur paresse intellectuelle ou de leur rigidité mentale. Lors des dernières élections régionales, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un tract de l’UMP appelant à «sauver la jeunesse du péril gauchiste». C’était atterrant de bêtise. Croire qu’en 2010, ce qui menace la jeunesse, c’est le «péril gauchiste»,montre vraiment que ces gens-là se trompent d’époque.

     

    François Bousquet : C’est la première fois que j’entends parler de «péril gauchiste». De nos jours, c’est plutôt l’épouvantail fasciste qu’on brandit à tout bout de champ…

     

    Alain de Benoist : Laissons les épouvantails. Ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes plus à l’époque où l’extrême gauche marxiste (pour schématiser) régnait sans partage sur l’intelligentsia dominante. (Il n’y a plus aujourd’hui que le journal intégriste catholique pro-américain Présent pour s’imaginer que Le Monde est un quotidien «trotskyste»!). Aujourd’hui, l’idéologie dominante correspond à la double thématique des droits de l’homme et du marché. Et c’est par rapport à elle que doit se positionner une pensée critique radicale, c’est-à-dire soucieuse d’aller aux racines.

    Le fait dominant aujourd’hui, c’est l’extension planétaire de l’idéologie de la marchandise et du système de l’argent, accélérée par une mondialisation qui va de pair avec l’américanisation (sans en être synonyme: les États-Unis en sont le principal vecteur et le principal bénéficiaire,mais ils n’en sont eux-mêmes qu’un rouage). Le vrai «choc des civilisations», actuellement, c’est la guerre des États-Unis contre le reste du monde, et la résistance des peuples à l’arraisonnement du monde par l’infinité du capital, ce mélange d’hubris et d’apeiron qui était déjà le principal ressort de la chrématistique. C’est ce qui m’a amené à écrire que l’ennemi principal est aujourd’hui le capitalisme et la société de marché sur le plan économique, le libéralisme sur le plan politique, l’individualisme sur le plan philosophique, la bourgeoisie sur le plan social et les États-Unis sur le plan géopolitique.

    Si l’on se situe dans cette perspective, alors on doit aussi admettre que, dans les circonstances présentes, chaque fois que le gouvernement d’un pays occidental passe à droite, ce n’est pas à une amélioration des choses que l’on assiste,mais à une aggravation. La droite au pouvoir, aujourd’hui, cela signifie plus de libéralisation des échanges, plus de mondialisation, plus d’atlantisme pro-américain, plus de libertés données à la Forme-Capital et au système de l’argent. Et de fait, les pires chefs d’État ou de gouvernement de ces dernières décennies ont été ou sont encore les Margaret Thatcher, George W. Bush, José Maria Aznar, Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy et autres Lech Kaczynski, en attendant les Gianfranco Fini, les David Cameron, les Geert Wilders ou les Sarah Palin! (Cela ne veut pas dire, bien entendu, que je pense grand bien de leurs adversaires de gauche, mais tout simplement qu’avec eux, c’était pire).Une certaine droite,malheureusement, déplore tous les jours la mondialisation tout en ne cessant, de manière réflexe, de s’ingénier à mettre au pouvoir ceux qui vont en accentuer les aspects les plus négatifs.

     

    François Bousquet : Exception faite de Reagan et de Thatcher, le modèle de tous ces gens-là, n’est-ce pas plutôt Tony Blair qui l’a posé ?

     

    Alain de Benoist : Tony Blair, avec sa pseudo «troisième voie», est surtout un exemple typique de la dégénérescence «moderniste» de la gauche et de la façon dont elle a rejoint la pire des droites. La droite, dans le passé, avait pourtant su s’élever contre le système de l’argent, car celui-ci contredisait à angle droit ses valeurs traditionnelles. Au XIXe siècle, notamment, une grande partie de la droite s’oppose d’autant plus au libéralisme et à l’individualisme qu’elle sait très bien que ces doctrines sont intrinsèquement liées à la philosophie des Lumières. Il se trouve,malheureusement, que cette critique s’est atténuée peu à peu, tant en raison de la baisse évidente des capacités théoriques de la droite (qui s’explique en partie par des raisons historiques) que de son embourgeoisement et de son goût immodéré pour le pouvoir, qui ont entraîné son ralliement de fait à l’idéologie libérale. De son côté, une certaine gauche s’est aussi élevée contre le système de l’argent, non parce qu’elle se réclamait des mêmes valeurs que la droite, mais parce qu’elle était surtout sensible aux dégâts sociaux résultant de l’exploitation des travailleurs par le capital. Comme cette gauche a, depuis au moins un siècle, largement surclassé la droite pour ce qui est du travail théorique, il est tout à fait normal que, dans ce domaine, ce soit «à gauche» que l’on trouve encore aujourd’hui des éléments de théorie critique auxquelles on puisse se référer, qu’il s’agisse des travaux des socialistes français, de George Orwell, de Walter Benjamin, de Karl Polanyi, de Castoriadis, d’André Gorz, de Jean-Claude Michéa, etc. Même si l’ennemi de mon ennemi n’est pas automatiquement mon ami, il ne peut qu’en résulter certaines convergences objectives. Mais cela ne signifie nullement que ces bases théoriques puissent être attribuées à «la gauche» dans son ensemble, puisqu’une large partie de cette gauche a elle aussi été infectée par la logique de la société de marché.

    Tu parles de ceux que la démarche de la ND – démarche de recherche et d’études, rappelons-le – a pu «dérouter ». Elle déroute naturellement ceux qui, enmatière de routes, ne se sentent à l’aise que sur les chemins familiers. Il fait bon parcourir les chemins familiers. On s’y sent bien. L’inconvénient, c’est qu’on n’y découvre jamais rien. Pour parfaire un itinéraire, trouver des choses nouvelles, il faut emprunter des chemins de traverse. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours affectionné tout particulièrement les auteurs qui ont eu des itinéraires eux aussi transversaux, qu’il s’agisse de Georges Sorel, de Georges Valois, d’Édouard Berth, d’Ernst Niekisch et de bien d’autres. (On pourrait même y ajouter Marx, si l’on tient compte de ses facettes les plus contradictoires). Ils ont plus découvert que les autres.Ayant plus découvert, ils ont aussi plus apporté.

     

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    François Bousquet : Mon impression est que, venant de la droite, vous vous montrez aussi impitoyable à son encontre que Christopher Lasch, venant lui de la gauche américaine, l’a été à l’égard de sa famille d’origine…Question plus personnelle et j’allais dire plus existentielle : vous-mêmes,Alain de Benoist et MichelMarmin, en quoi vous percevez-vous «de droite» ou «de gauche»?

     

    Alain de Benoist : L’important, àmon avis, est de pouvoir se réclamer de l’une et de l’autre enmême temps – tout en sachant, pour les raisons que je viens de dire, qu’on ne pourra jamais se réclamer que d’une certaine droite (et non de toutes) et d’une certaine gauche (et non de toutes). Personnellement, je n’ai jamais eu l’esprit de famille. Cela veut dire que j’essaie d’avoir une pensée personnelle, que je n’arrête pas mes idées en me demandant ce qu’il convient d’en penser dès lors que l’on appartient à tel ou tel groupe. Parmi les 400 ou 500 personnes avec lesquelles je suis aujourd’hui en contact plus ou moins régulier, il y a à peu près autant d’hommes «de droite» que «de gauche». Je pourrais ajouter qu’intellectuellement je penche souvent à gauche, alors que je penche nettement à droite pour ce qui est des valeurs (l’éthique de l’honneur). Gabriel Matzneff a dit de Byron qu’il «avait un tempérament de droite et des idées de gauche». Être un «homme de gauche de droite» me convient tout à fait.

     

    Michel Marmin : Quant à moi, je me reconnaîtrais plus volontiers dans Stendhal que dans Byron. Les «idées de gauche» de Byron procèdent d’un sentimentalisme, certes bien placé, et d’ailleurs courageux,mais que l’on peut assimiler à une sorte de crise de conscience de classe assez répandue dans l’aristocratie européenne de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Elles participent peut-être aussi, du moins en partie, de son dandysme (qui, lui, est bel est bien «de droite»)… Byron me fait penser, en moins velléitaire bien entendu et surtout avec beaucoup plus de panache, au héros du film Allonsanfan des frères Taviani, un aristocrate italien engagé aux côtés des Carbonari dans l’Italie de la Restauration post-napoléonienne. Stendhal, c’est un peu le contraire. C’était un enfant de la Révolution française, qui avait bruyamment exulté à l’annonce de l’exécution de Louis XVI et dont les idées étaient clairement «de gauche», mais que son esthétisme, son hédonisme et son scepticisme moral déportaient non moins clairement «à droite».Au XXe siècle, on pourrait retrouver ce type d’ambiguïté (ou d’ambivalence) avec Aragon comme pendant de Byron et Roger Vailland comme pendant de Stendhal… Et sans multiplier les exemples de chassé-croisé gauche-droite droite-gauche, que dire de Balzac qui, avec des idées parfaitement réactionnaires et assumées comme telles (avec des nuances quand même), a délivré un tableau de la société française dont Marx et Engels feront leur miel ?Tout ceci pour simplement montrer qu’il y a mille façons d’être à la fois «de droite» et «de gauche» et de naviguer de l’un à l’autre pôle…L’histoire de la Nouvelle Droite pourrait alors bien être celle d’une navigation, d’autant plus compliquée que cette histoire est aussi celle d’une fédération instable de parcours individuels plus ou moins erratiques ! Cela peut évidemment dérouter. Mais le propre de la ND n’est-il pas justement de ne pas tracer de route,mais d’explorer des chemins ?

     

    François Bousquet : Balzac est assurément plus grand que la préface générale de La comédie humaine, où il se définit comme auteur catholique et légitimiste, mais enfin il l’a écrite. Quant à la critique marxiste de Balzac, il lui est certes arrivé d’être géniale, surtout chez Georg Lukács, mais elle passe complètement à côté de la question centrale de La comédie humaine, à savoir : la charité peut-elle, oui ou non, racheter la laideur du monde ?Va expliquer cela à un marxiste !

     

    Michel Marmin : J’ai simplement dit que Marx et Engels avaient lu Balzac avec profit, je n’ai pas dit que Balzac était marxiste ! Sur la «question centrale» de son œuvre, je me bornerai à constater que nombre de chrétiens, notamment en Amérique latine à l’époque de la théologie de la libération, ont intégré sans difficulté les principales analyses de Marx à leur vision et à leur action, tels Gustavo Gutiérrez ou Enrique Dussel.Ces gens-là, un peu oubliés aujourd’hui et dont Jacques Paternot et Gabriel Veraldi ont fait un portrait passionnant (et d’ailleurs critique) dans leur roman Le dernier pape, n’avaient pas besoin qu’on leur explique ta question: ils t’auraient répondu que la révolution est la charité même. En remontant plus loin, on pourrait également citer le Front des chrétiens révolutionnaires de Maurice Laudrain, fondé en 1935 et dont la revue, Terre nouvelle, se consacrait au rapprochement entre christianisme et communisme. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini, sans omettre certains textes de Marx et Engels eux-mêmes bien entendu. L’un des plus émouvants reste sans doute celui de la poétesse mystique Madeleine Delbrêl (1904-1964), actuellement en procès de béatification, qui travailla comme assistante sociale en banlieue communiste, dans les années 1930, et qui écrivait :«Dans le Parti communiste, je suis persuadée que le mobile le plus puissant qui fasse agir un militant est, très souvent, pour ne pas dire le plus souvent, l’amour […] L’expérience communiste, qui est une grande expérience, est l’expérience d’un amour.» Devrait évidemment s’ensuivre un débat sémantique, philosophique, théologique et historique, mais il nous éloignerait du sujet de notre discussion…

     

    François Bousquet : Vous vous êtes séparés de la droite sans être pour autant accueillis par la gauche. Est-ce la droite qui a cessé de vous aimer ou vous qui avez cessé d’aimer la droite ? Que lui reprochez-vous finalement ? Et que reprochez-vous à la gauche ?

     

    Alain de Benoist : Le but n’a jamais été d’être «accueillis» ou reconnus par quiconque. Le travail des idées ne peut obéir, en tant que tel, à des considérations stratégiques (s’il y obéit, il se renie lui-même). Il consiste à dire ce qu’on pense. Et ce n’est pas non plus une affaire de sentiments : amour et désamour n’entrent pas en ligne de compte ! Mais tu as raison: s’il y a des choses à prendre à droite comme à gauche, il y a aussi beaucoup de choses à leur reprocher. Encore faut-il distinguer les reproches de fond et les reproches de circonstance.

    À mon sens, ce que l’on peut le plus reprocher à la gauche – encore une fois, je prends le terme de façon conventionnelle : il s’agit seulement d’examiner des thématiques qui, historiquement, ont été plus fréquemment attestées «à gauche» –, c’est d’abord son irréalisme concernant la nature humaine, et ensuite son universalisme politique. Cet irréalisme lui fait croire que l’homme est partout lemême, en sorte que ce qui vaut pour un peuple vaut aussi bien pour un autre (c’était le credo de Condorcet), et qu’il est en outre modifiable ou perfectionnable à l’infini. Saine réaction contre des déterminismes trop rigides,mais aussi claire dimension d’utopie, qui méprise volontiers les enseignements de l’histoire et rend incapable de comprendre les raisons pour lesquelles la philosophie des Lumières n’a pas tenu ses promesses d’émancipation. La gauche, en outre, a trop souvent repris à son compte la thématique fondamentale de l’idéologie du progrès, ce qui explique qu’elle soit si souvent tombée dans l’historicisme. Ajoutons-y encore – cela va de pair avec l’universalisme – sa faveur pour lesmorales déontologiques de type kantien et, dans sa défense légitime des opprimés et des exploités, un certain dolorisme qui la porte à considérer que la faiblesse est une valeur en soi et que les victimes ont raison, non du fait de telle ou telle condition sociale-historique,mais du seul fait qu’elles appartiennent à la catégorie des dominés.

    La droite est plus réaliste,même si ce réalisme est fortement entamé par ses perpétuelles aspirations restaurationnistes («c’était mieux avant !»), fondées sur la nostalgie, l’idéalisation du passé et le goût de l’histoire-refuge. Ce que je lui reproche essentiellement, c’est de confondre l’appartenance et la vérité, tombant ainsi dans le trait majeur de la modernité : la métaphysique de la subjectivité. Concrètement, la droite a tendance à reprendre à son compte l’idéologie individualiste en se bornant à élargir le «je» (j’ai tous les droits) en «nous» (nous avons tous les droits). Elle a ses préférences, qui sont légitimes et naturelles,mais elle en conclut que ce qu’elle préfère est objectivement supérieur ou meilleur, ce qui n’est pas nécessairement vrai. Elle n’a pas tort, par ailleurs, de vouloir réhabiliter la notion d’autorité,mais son goût de l’autorité la rend généralement incapable de s’intéresser aux mécanismes de contrôle social et indifférente aux processus d’exploitation du travail vivant. Professant un unanimisme souvent mystificateur (l’«unité nationale») qui détourne l’attention des rapports sociaux, elle est tout autant incapable de prendre en compte les facteurs de classe. C’est pourquoi elle a si souvent été du côté du désordre établi, des exploiteurs et des plus forts (au seul motif parfois qu’ils étaient les plus forts, ce qui l’a fait glisser sur la pente du darwinisme social, du colonialisme et du racisme).Mentionnons encore, en dépit même de l’unanimisme dont je viens de parler, son irrésistible tendance à s’en prendre à des catégories d’hommes (les «hommes en trop») plutôt que de s’employer à réfuter des idées fausses.

    Si l’on en vient aux critiques de circonstance, la première chose qui saute aux yeux est que la plus grande partie de la droite se trouve aujourd’hui dans un état intellectuel proche de l’encéphalogramme plat. Les uns ressassent leurs obsessions nostalgiques ou publient le 3001e article sur un auteur auquel ils en ont déjà consacré 3000. Les autres continuent, depuis plus d’un siècle, d’en appeler au «sursaut national», à l’«union des patriotes » et autres inusables calembredaines. D’autres encore font des pèlerinages et des veillées de prière, car c’est bien sûr le Sacré-Coeur qui sauvera la France ! Je ne parle pas ici de ceux qui croient que Saint-Loup est un auteur plus important que Max Weber – ces cas-là sont désespérés. Le fait est que les grands auteurs de droite ont disparu les uns après les autres sans avoir été remplacés. En dehors de certains milieux libéraux et de certains milieux chrétiens, exceptions notables, la droite ne lit presque plus rien, sinon quelques auteurs fétiches qui font partie des meubles de famille. Épurée à plusieurs reprises, souvent (injustement) ostracisée, et parfois même persécutée, elle paie le prix de tous les combats qu’elle a perdus avec une remarquable régularité. Elle a aussi des excuses : l’esprit ambiant, la montée de générations peu curieuses, la destitution de l’écrit.Mais enfin, les faits sont là : ce n’est pas sur elle qu’on peut compter pour analyser la gouvernance, les mécanismes du marché, l’apparition d’un capitalisme post-bourgeois et post-prolétarien, pour critiquer la morale disciplinaire ambiante qui vise à conformer l’individu au désir d’échange, pour produire une psychologie des émotions, une théorie de l’érotisme, une doctrine épistémologique, une méthode sociologique qui lui soit propre. Incapable de créer en France un journal comparable à ce qu’est l’hebdomadaire Junge Freiheit enAllemagne, elle reste, comme toujours, pratiquement muette sur les luttes sociales et les problèmes économiques, s’en tenant dans le meilleur des cas à une «critique artiste» de la logique du capital, quand elle ne tombe pas dans la dénonciation rituelle des «banquiers » et des «gros», ou dans l’apologie du bon capitalisme (industriel) enraciné contre le méchant capitalisme (financier) nomade. Que pourrait-elle dire sur les nanotechnologies, sur la mort de Kostas Axelos, sur les controverses mondiales autour de l’oeuvre de John Rawls ou l’Empire de Hardt et Negri ? Elle n’en a tout simplement jamais entendu parler.

     

    François Bousquet : Je te concède que pour les nanotechnologies, l’homme numérique ou encore l’oeuvre de John Rawls, la droite brille surtout par son absence. Mais je dois t’avouer, pour ce qui concerne les «multitudes» vaporeuses de Negri, que je ne pousserai pas le masochisme jusqu’à m’y intéresser. Impossible en tout cas de les prendre au sérieux.

     

    Alain de Benoist : Pas d’accord. Lorsque le livre de Michael Hardt etAntonio Negri a paru, le New York Times l’a qualifié de «Manifeste communiste du XXIe siècle». C’était bien entendu très exagéré,mais il n’en est pas moins vrai que la théorie des «multitudes», que je crois absolument fausse, exerce aujourd’hui une influence notable sur une large partie du mouvement altermondialiste. Quantité de livres et de colloques lui ont été consacrés, et il s’est même créé en France une revue (dirigée par l’un des fils de Pierre Boutang!) pour la défendre. La moindre des choses, quand on se veut attentif au débat d’idées, et surtout quand on est en désaccord avec une théorie nouvelle, c’est de l’analyser et d’expliquer ce qu’on lui reproche.

    Sur les sept cultures de base de l’honnête homme : la culture historique, la culture littéraire, la culture artistique, la culture philosophique, la culture scientifique, la culture psychologique, la culture en sciences sociales, la droite ne maîtrise plus guère, en tout cas, que les trois premières. Plus encore qu’elle n’en est exclue, elle s’exclut elle-même des débats. Obsession de l’entre-soi. Cette droite-là s’enferme d’elle-même dans un ghetto coupé du monde, à partir duquel elle jette l’anathème sur les pourris, les traîtres et les salauds. Délires sur la «subversion», les «agents d’influence», le «gouvernement invisible», les Rouges, lesViets, les fellouzes, les homos et tutti quanti. Complexe obsidional de ces «maudits» qui se font gloire de leur mise à l’écart, en s’imaginant y voir la marque de leur élection ou la preuve de leur héroïque supériorité. Quand on lit le courrier des lecteurs de la plupart des journaux de droite, on est partagé entre le fou rire et l’accablement.

    Mais la gauche, quoique moins atteinte, n’est à bien des égards plus que l’ombre d’elle-même. Le parti communiste est devenu un parti social-démocrate, le parti socialiste un parti social-libéral. Convertis aux «droits de l’homme» et à l’économie de marché, les «repentis» se font gloire d’abjurer leurs anciennes convictions révolutionnaires, les syndicats surenchérissent dans le réformisme, tandis que d’autres se bornent à défendre les sans-papiers parce que le prolétariat les a déçus. La classe politique de gauche s’est radicalement coupée du peuple. L’Italien Massimo D’Alema, qui applaudissait en 1999 au bombardement de la Yougoslavie par les troupes de l’OTAN, ou le Français Dominique Strauss-Kahn, passé sans état d’âme de la direction du PS à celle du Fonds monétaire international (FMI), sont de parfaits symboles de cette gauche qui veut améliorer la société sans en changer et dont la pensée, vidée de toute substance, ne se ramène plus qu’à l’autoréférence narcissique. Renouant avec les sources libérales de la philosophie des Lumières, cette gauche-là a bien entendu abandonné toute pensée critique radicale, toute perspective de révolution.Ce qui rend d’autant plus précieux les rares véritables foyers de pensée critique existant encore en son sein.

     

    Michel Marmin : Comme Alain de Benoist, ce que je reproche le plus à la gauche, c’est d’avoir, en gros, capitulé en rase campagne face à la déferlante libérale. Mais, ceci expliquant cela, je lui reproche aussi d’avoir en fait renoncé à ses propres fondements qui sont, àmes yeux dumoins, une exigence morale kantienne (dont elle continue de se prévaloir) et le refus de l’humiliation. On peut bien entendu critiquer la philosophie de Kant, et la ND n’a pas été la dernière à le faire. Cependant, et cette assertion n’engage que moi, je crois que la morale kantienne avait du bon en ce sens que, la religion ayant cessé d’encadrer les comportements individuels, elle pouvait constituer une barrière à la guerre de tous contre tous et un socle sur lequel pouvait être reconstruite une société moins cruelle (plus juste, si on veut) : c’est la «morale socialiste» prônée au XIXe siècle par des théoriciens socialistes français tels que Benoît Malon et dont on ne retrouvera malheureusement qu’une version caricaturale et parfois franchement comique dans les mouvements de menton de Ségolène Royal, ce qui est peut-être pire que rien. (Soyons très clairs : au second tour de l’élection présidentielle de 2007, j’ai néanmoins voté sans la moindre hésitation pour elle, et ce choix ne m’inspire évidemment pas le moindre remords.) Quant au refus de l’humiliation, dont Malraux a si bien parlé dans L’espoir, c’est en quelque sorte une application directe et essentielle de la morale kantienne. L’égalité bien comprise n’est pas autre chose.

    J’ai été très frappé, au moment de l’affaire Pelat, par cette définition que m’a alors donnée du socialisme un avocat angevin, vieil ami politique de mon père : «Pour moi, le socialisme, c’est la simplicité». Cette définition semblera peut-être un peu courte. Je le crois essentielle et, pour tout dire, «romaine». Je reproche à la gauche d’avoir oublié Plutarque. Quant à la droite, elle a oublié Don Quichotte ! Pire, dans le combat de Don Quichotte contre les moulins à vents, c’est aux moulins à vent que la droite peut être aujourd’hui identifiée…

     

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    François Bousquet : Tout ça, c’est bien beau,mais tu connais la phrase de Péguy sur le kantisme qui a les mains pures,mais qui n’a pas de mains. Vient un temps où ces mains, il faut accepter de les salir un peu…

     

    Michel Marmin : Je crois connaître et admirer suffisamment Péguy, l’écrivain qui m’a le plus marqué depuis que je suis en âge de lire, pour me permettre de dire qu’il avait parfois la formule trop facile, et je crois que c’est le cas ici. La morale kantienne – la morale du devoir pour le devoir, rappelons-le – ne lui était évidemment pas étrangère : c’est bien elle qui a déterminé son engagement dreyfusard, par exemple. Quant à se salir les mains, je ne suis pas sûr que ce soit jamais une nécessité. Ou alors, à condition d’être bien conscient que cette salissure est une tache indélébile et inexpiable, et qu’elle ternit à jamais la fin qui la «justifie», ce dont se moquent éperdument, il est vrai, les «salauds de tous les partis», comme disait justement Péguy.

     

    François Bousquet : Le clivage gauche-droite n’a manifestement plus grand sens pour vous,mais peut-être peut-il encore nous éclairer sur votre itinéraire personnel et celui d’Éléments ? Et comment qualifier cet itinéraire ? De politique ? De métapolitique ? De philosophique ? De culturel ?

     

    Alain de Benoist : Le clivage droite-gauche est apparu à l’époque de la Révolution française,mais les termes de «droite» et de «gauche» ne sont véritablement entrés dans le langage courant qu’au début du XXe siècle (Marx, pour ne citer que lui, ne s’est jamais défini comme un homme de gauche). Cette dichotomie «spatiale» possédait au départ une portée historique, dans la mesure où la «droite» correspondait à une manière de survivance de l’Ancien Régime (valeurs, institutions, idées). Les choses, néanmoins, se sont très tôt compliquées, avec l’apparition de l’orléanisme, ancêtre de la droite libérale, et, à l’autre bout de l’échiquier, avec l’essor d’un mouvement ouvrier politiquement révolutionnaire mais en matière de valeurs beaucoup plus conservateur et traditionnel qu’on ne l’a dit (voir la «décence commune» évoquée par Orwell), raison pour laquelle le socialisme des origines ne se confond pas avec la philosophie des Lumières, dont il lui est pourtant arrivé de s’inspirer, ni d’ailleurs avec la morale kantienne, dont Michel Marmin fait plus grand cas que moi !

    Ce clivage droite-gauche, qui ne recoupe nullement, comme l’a bien montré Costanzo Preve, l’opposition entre l’individualisme possessif et le solidarisme communautaire (le premier n’étant qu’un produit d’exportation idéologique occidental, alors que la seconde a une portée beaucoup plus générale), s’est cristallisé au cours des deux derniers siècles sur des terrains variés : problème des institutions (monarchie ou République), problèmes de la laïcité, problèmes scolaires, problèmes sociaux, etc.Toutes ces problématiques sont aujourd’hui épuisées. Nous sommes entrés dans la post-modernité, qui est une époque aussi bien post-communiste que post-fasciste, une époque dominée par un nouveau mode d’expansion de la Forme-Capital, lui aussi post-bourgeois et post-prolétarien. Les grands événements qui se produisent dans le monde révèlent des clivages nouveaux, qui parcourent de façon transversale toutes les familles de pensée, et qui restent en grande partie à conceptualiser. Même dans le jeu politicien et parlementaire classique, où les termes de droite et de gauche continuent d’être employés, le recentrage des programmes et la «pipeulisation» de la vie publique font que la différence entre droite et gauche est de moins en moins bien perçue. «Soyons modestes et francs : nous ne savons plus clairement ce qu’est la gauche, ni ce qu’est la droite», écrivait Pierre-AndréTaguieff en 2005. L’indistinction entraîne l’indifférence, ce qui explique la volatilité grandissante des choix électoraux. Dans le domaine des idées, enfin, le clivage droite-gauche n’est plus opératoire depuis longtemps, contrairement à ce que prétendent les représentants de la Nouvelle Classe politico-médiatique et la cléricature stipendiée des fonctionnaires de la pensée. Ce qui subsiste peut-être, en revanche, c’est une distinction d’ordre psychologique : les circonstances historiques ont fait qu’il y a une «mentalité de droite» (mais on la retrouve parfois à gauche) et une «mentalité de gauche» (mais on la retrouve parfois à droite). C’est en ce sens, précisément, qu’on peut se référer à la fois à des idées de gauche et des valeurs de droite.

    Plutôt que d’« itinéraire personnel», je parlerais de chemin de pensée (Denkweg).Tout intellectuel digne de ce nom a un chemin de pensée, et tout chemin de pensée suppose un horizon de pensée, lequel se modifie sans cesse sous l’influence de facteurs intérieurs (rencontres, lectures, réflexions) et extérieurs (les évolutions sociales- historiques auxquelles nous assistons). Je crois être un intellectuel assez typique : j’en ai toutes les qualités (rarement reconnues) et tous les défauts (toujours stigmatisés). Le chemin de pensée parcouru par la plupart des auteurs ou des théoriciens permet par ailleurs souvent de distinguer une période de jeunesse et une période de maturité (le «jeune» Goethe, le «jeune» Marx, le «second» Jünger, etc.) – une distinction où le contraste est indissociable de la continuité. Mon chemin de pensée n’a pas échappé à cette règle. Politique ? Métapolitique ? Philosophique ? Culturel ? C’est évidemment tout cela à la fois.

    J’ai parlé de chemin de pensée et aussi de travail de la pensée. Il faudrait préciser ici qu’il y une grande différence entre «penser à» et penser tout court. Penser au rendez-vous que l’on aura demain, penser à aller chercher les enfants à l’école, etc., est tout autre chose que penser – penser la technique, penser le jeu du monde,penser l’emprise du Ge-Stell, etc. La plupart des gens sont capables de «penser à»,mais beaucoup sont incapables de penser. Une démarche de pensée est également tout autre chose qu’une démarchemilitante –même si un intellectuel est aussi capable de consacrer sa vie entière à la défense de ses idées, parfois jusqu’à enmourir d’épuisement.

    Quand ils ont des idées, ce qui n’est pas toujours le cas, les militants en ont généralement une approche utilitaire ou instrumentale : elles ne valent à leurs yeux que par ce qu’ils peuvent en faire. Ils n’aiment pas les pensées qui dérangent et les obligent à se remettre en question. Ils préfèrent les réponses catéchétiques aux questionnements. Les idées sont pour eux, certes des armes,mais aussi et surtout des béquilles ou des réservoirs de slogans. «Les gens ne cherchent pas la vérité, ils cherchent une croyance, ce qui est tout autre chose», dit très justement le philosophe Marcel Conche. Les «petites brutes» dont parlait Bernanos croient qu’il n’y a pas de vérité (à chacun la sienne !) : relativisme intégral et droit du plus fort. Marx lui-même a fait l’erreur de ne pas croire à la vérité philosophique, qu’il ne faut pas confondre avec la certitude scientifique.Moi, je crois à la valeur de vérité de ce qui, dans un horizon de pensée, se dévoile comme tel. Aléthèia.

     

    Michel Marmin : L’évolution d’Éléments est bien sûr consubstantielle à celle de ceux qui l’animent, Alain de Benoist en tête. Je n’ai d’ailleurs pas grand-chose à ajouter à ce que celui-ci vient de dire, sinon que la recherche de la vérité à laquelle il fait allusion, citant Marcel Conche,peut conduire à certaines divergences de vues ou d’analyses. Les lecteurs n’auront pas manqué d’observer par exemple que Pierre Le Vigan est plus «républicain» qu’Alain de Benoist et Alain de Benoist plus écologiste que Pierre LeVigan, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’un est plus de gauche ou de droite que l’autre…Loin de l’éclairer, le vieux clivage droite-gauche a plutôt tendance à brouiller le paysage. En soi, il n’a plus aucun sens, sinon rétrospectif, et encore. Ainsi, c’est bien mal connaître l’histoire des mentalités populaires ou ne jamais avoir lu Les misérables que de croire que l’honneur, l’héroïsme, le désintéressement, le sacrifice de soi, sont des valeurs spécifiquement de droite. Ce sont des valeurs tout court, universelles sans doute, qui ont été illustrées aussi bien à gauche qu’à droite. En revanche, elles n’ont plus guère cours aujourd’hui, ni à gauche ni à droite…Un peu plus à gauche qu’à droite tout de même. Et si la droite française est indubitablement moins sectaire que la gauche, c’est parce qu’elle est devenue totalement cynique. À un point tel que je me sens moins déshonoré d’être proscrit par la gauche qu’admis par la droite !

     

    François Bousquet : Vos goûts littéraires, tels qu’ils se manifestent dans Éléments, semblent plutôt de droite, vos goûts cinématographiques plutôt de gauche. Quant à vos goûts intellectuels et artistiques, ils sont plutôt transversaux. Occuperiez-vous toute la scène politique ?

     

    Alain de Benoist : Il s’agit évidemment moins d’occuper «toute la scène politique» que d’être capable d’apprécier sans idées préconçues la valeur des oeuvres. Mais puisque tu parles de cinéma, j’aimerais souligner ici l’importance à mon avis fondamentale de tout ce qu’Éléments, grâce en particulier àMichel Marmin, a pu faire pour tenter d’expliquer à notre public en quoi consistent exactement l’écriture, le style, l’essence même de l’art du cinématographe. Cet effort a été rarement relevé par ceux qui se sont intéressés à la ND – et je ne suis pas sûr non plus que ces explications aient vraiment éduqué le regard de tous nos lecteurs ! –, mais je tenais à le souligner. Cela dit, ton observation me paraît assez juste. Intuitivement, j’aurais tendance à l’expliquer en disant que la grande littérature est un genre «de droite» (ou que les hommes de droite y réussissent mieux), tandis que le grand cinéma est un genre «de gauche» (ou que les hommes de gauche s’y épanouissent mieux),mais il faudrait sans doute aller y voir de plus près. N’oublions pas qu’un film comme La grande illusion (1937), de Jean Renoir, aujourd’hui souvent considéré comme un film «typiquement de droite», fut dénoncé au moment de sa sortie par tous les mouvements de droite comme un film typiquement de gauche ! Quant à moi, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas apprécier en même temps Balzac et Eisenstein, Flaubert et Ken Loach, La Varende et Pasolini, non certes par éclectisme,mais au contraire d’une façon très logique. Si j’en avais le temps, je pourrais en effet dire en quoi, sur bien des points, ils se rejoignent.

     

    Michel Marmin : C’est une question assez difficile…J’aurais tendance à m’approprier la réponse que Léon Daudet aurait rétorquée à quelqu’un qui s’étonnait qu’il se soit fait, lui le directeur de L’Action française, le thuriféraire d’une œuvre aussi «antipatriotique» que Voyage au bout de la nuit : «En matière de littérature, la patrie, je l’emmerde !» L’exemple est d’ailleurs intéressant car Voyage au bout de la nuit a été accueilli comme un grand roman de gauche, célébré par Paul Nizan dans L’Humanité et cité en exergue par Jean-Paul Sartre dans La nausée. Or, qui oserait soutenir en 2010 que Louis-Ferdinand Céline est un écrivain de gauche ? Et pas seulement à cause de son attitude sous l’Occupation! Le pessimisme foncier de Voyage au bout de la nuit, son effroi devant la modernité américaine, son pacifisme et son «antipatriotisme» même, sont incontestablement «de droite» plus que «de gauche», Bernanos et Daudet ne s’y étaient finalement pas trompés. Si la grande littérature contemporaine (mettons, depuis le XIXe siècle) est en effet plutôt «de droite», c’est parce qu’elle est beaucoup moins dogmatique que la littérature «de gauche» et que, s’intéressant plus aux destinées individuelles, donc à la liberté, qu’aux destins collectifs, elle est moins portée à imposer une grille idéologique préfabriquée à la réalité. Mais n’oublions pas qu’il y a de très mauvais écrivains de droite – on ne les lit heureusement plus –, comme Paul Bourget ou Henry Bordeaux, qui ont exactement les mêmes défauts que les pires littérateurs «de gauche». Et, inversement, qu’il existe de grands écrivains «de gauche» dont l’art et la manière ne sont pas systématiquement déterminés par le projet politique auquel ils souscrivent par ailleurs : j’ai déjà cité Aragon et Roger Vailland, je pourrais en ajouter d’autres, dont Paul Nizan justement ou Sartre lui-même. Je suis sûr que La nausée est un très grand livre (c’était aussi l’opinion de Pierre Gripari), je ne suis pas sûr que ce soit un livre «de gauche» (ni «de droite» du reste).

    Pour le cinéma, c’est encore autre chose. Le cinéma a intrinsèquement partie liée avec la modernité dans la mesure où il est un art issu de la révolution industrielle et où, de par ses structures économiques, il reflète assez naturellement les idéologies dominantes, aujourd’hui plus encore qu’hier : en avril dernier, la présidente de la Commission de classification des œuvres cinématographiques (autrement dit, la censure), Sylvie Hubac, s’inquiétait d’une production française «plus consensuelle» que jamais, c’est dire !Art de masse, le cinéma sait être une redoutable machine à décerveler : notre ami Ludovic Maubreuil explique cela mieux que quiconque dans deux essais vraiment fondamentaux, Le cinéma ne se rend pas et Bréviaire de cinéphilie dissidente. Cela dit, force est de reconnaître que les cinéastes qui, actuellement, tentent de briser cette relation totalitaire et avilissante entre le spectacle et le spectateur sont généralement des cinéastes de gauche et même d’extrême gauche, comme Peter Watkins,mais, il y a cinquante ans, c’était un cinéaste de droite et peut-être même d’extrême droite, Jean-Luc Godard, qui avait ouvert la brèche dans le système…Quant à Ken Loach, qu’Alain de Benoist évoque opportunément, voilà un bel exemple de cinéaste de gauche (trotskyste) dont les films exaltent des valeurs que la droite a abandonnées : l’honneur, l’héroïsme, le désintéressement, le sacrifice de soi (cf. supra)…

    J’ai bien conscience de répondre de façon incomplète et très schématique à la question de François Bousquet. Il serait notamment opportun de revenir à fond sur le problème de l’engagement artistique, infiniment plus complexe que ne l’a posé Jacques Laurent dans les années 1950. Ce sera pour une autre fois !

     

    François Bousquet : Pourquoi ne pas avoir abandonné l’étiquette «Nouvelle Droite», source de nombreux malentendus, comme vous y conviait naguère MarcoTarchi ?

     

    Alain de Benoist : Sans l’avoir formellement abandonnée, je l’utilise pour ma part le moins possible. J’ai aussi expliqué, en d’innombrables occasions, combien cette expression, qui n’est pas au départ une auto-désignation,mais une étiquette inventée en 1979 par lesmédias pour désigner un courant de pensée qui existait depuis déjà onze ans, est à mon sens insatisfaisante, car lourde de bien des équivoques. Le grand problème est que nous n’avons jamais trouvé d’expression de remplacement – et aussi qu’il est très difficile de se défaire d’une étiquette lorsqu’elle a connu une fortune aussi durable. Le nom de Nouvelle Culture, que nous avons utilisé quelque temps, était trop vague. L’expression de Nouvelles Synthèses, employée par MarcoTarchi, reste elle-même assez imprécise. Mais tu as raison: cette désignation ne peut être source que de malentendus. La seule façon de les dissiper est de suggérer qu’on s’intéresse au contenu plus qu’au contenant.

    A suivre.

     

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  • Une revue pas comme les autres...

    Profitant de la parution du cinquantième numéro de la Nouvelle Revue d'Histoire, dont le premier est sorti en 2002, Dominique Venner revient sur son objectif, celui de fonder une revue libre, sans préjugés, esthétiques et sortant de la vision moralisatrice de l'histoire...

     

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  • A propos des sayanim...

    Jacob Cohen l'auteur du Printemps des sayanim, récit publié aux éditions L'Harmattan, que nous avons évoqué ici, nous a communiqué un entretien qu'il a donné au site Info-Palestine.net et que nous reproduisons.

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    Entretien avec Jacob Cohen à propos de son livre Le printemps des sayanim

    Pourquoi ce titre ? J’ai voulu que le terme « sayanim » apparaisse d’emblée et interpelle le lecteur. On se pose la question, et la définition se trouve juste dans les premières lignes de la 4e.
    La problématique est installée, sans faux-fuyants, et sans réserve. Idéalement, j’aimerais que ce terme entre dans le vocabulaire courant, dans les analyses, et dans les commentaires.

    Voulez-vous nous la rappeler ?

    Les sayanim - informateurs en hébreu - sont des juifs de la diaspora qui, par « patriotisme », acceptent de collaborer ponctuellement avec le Mossad, ou autres institutions sionistes, leur apportant l’aide nécessaire dans le domaine de leur compétence.

    Comment avez-vous eu l’idée d’écrire sur les sayanim ?

    C’est la conjugaison de plusieurs éléments. La lecture de tout livre sérieux sur le Mossad montre l’importance essentielle de ces citoyens juifs qui décident de travailler pour les services secrets israéliens. Imaginez des dizaines de milliers d’agents, occupant des fonctions dans toutes les couches sociales, et qui obéissent au doigt et à l’œil au Mossad. Il est à noter que les auteurs anglo-saxons sont beaucoup plus prolifiques sur ce sujet. Je suis d’assez près l’actualité proche-orientale, et je consulte les médias des 2 bords. Et je suis sidéré, presque fasciné, par la puissance médiatique du lobby pro-israélien. Et comment il arrive à faire rentrer dans les esprits, jusqu’à devenir des banalités admises, des concepts comme « la seule démocratie de la région », ou tellement aberrants, comme « assurer la sécurité d’Israël ». Le fait de savoir que des sayanim sont en grande partie le moteur de cette propagande permet une lecture plus lucide et plus pertinente de l’actualité.

    Est-ce une réalité ?

    Je comprends le sens de la question. Je cite Gordon Thomas au début du livre. C’est un spécialiste reconnu des services secrets, en particulier du Mossad. Tellement reconnu qu’il a interviewé tous les chefs du Mossad depuis les années 60, et tous ont admis, en s’en glorifiant, l’apport crucial des sayanim à travers le monde. Je cite également Victor Ostrovsky, l’un des rares agents du Mossad à avoir publié, après son départ de l’institution, un témoignage unique et inédit sur le service secret, ses méthodes, ses objectifs, ses ressources.

    Quel est leur nombre ?

    En France ils seraient près de 3000. Ostrovski, ex-agent du Mossad, estime leur nombre à 3000 rien qu’à Londres. On peut imaginer leur importance aux Etats-Unis. Mais le « réservoir » est infini. Si on associe le Bnai Brit (franc-maçonnerie juive internationale), la WIZO (organisation internationale des femmes sionistes), les organisations judéo-sionistes nationales, comme l’UPJF, l’UEJF, le CRIF... en France, et dans les autres pays, ainsi que les sympathisants, on arrive facilement au chiffre de un million de juifs prêts à travailler pour le Mossad. Evidemment ils ne sont pas tous recrutés à cette tâche. Car il faudrait des centaines d’agents pour les traiter. Le Mossad se contente d’en avoir dans tous les secteurs d’activité, avec un accent particulier sur les plus sensibles : les médias, les grands hôtels et les agences de voyage (pour surveiller les allées et venues des Arabes en général, des agents de renseignement, des hommes d’affaire, enfin de toute personne susceptible d’atteindre les intérêts israéliens.

    Un cas concret pour en comprendre le mécanisme ?

    Pour revenir à Victor Ostrovsky. Lorsque la France a construit une centrale nucléaire en Irak dans les années 70, des scientifiques irakiens étaient venus à Saclay pour se perfectionner. Le Mossad était bien sûr intéressé à les connaître pour pouvoir agir sur eux. N’importe quel autre service secret aurait eu besoin de moyens en hommes, de filature, d’argent pour corrompre, peut-^tre de tentatives d’effraction, et de temps, pour y arriver éventuellement. Le Mossad, et c’est sa supériorité, s’est tout simplement adressé à un informateur juif (sayan) qui travaillait à Saclay. Et a demandé que lui fussent fournis les dossiers complets originaux. Car il se méfiait des photocopies. La majorité des renseignements étant en arabe, c’est lui-même qui s’est acquitté de cette tâche. Quel autre service de renseignements peut bénéficier de telles complicités ? Après, ce fut un jeu d’enfant pour piéger l’un de ces scientifiques, remonter jusqu’à leur responsable, et l’assassiner lors de sa visite à Paris.

    Ces agents juifs n’interviennent-ils que dans des cas d’espionnage ?

    Pas du tout. Les sayanim interviennent aussi et surtout dans les manipulations médiatiques. D’ailleurs le Mossad possède un département important, appelé le LAP, pour « guerre de propagande ». Il me revient un exemple historique. Rappelez-vous le film EXODUS. Il a réécrit l’histoire de 1948 et imposé la vision sioniste pour au moins une génération. En 1961, c’est le premier ministre israélien en personne qui a accueilli l’équipe du film à l’aéroport. C’est dire l’importance qu’on lui accordait.

    Rappelons l’importance du Bnai Brit. 500 000 membres dans le monde, probablement 400 000 aux Etats-Unis, dont 6 000 dans le secteur du cinéma. Comment imaginer qu’un film ou qu’une série défavorable à Israël puisse voir le jour ?

    Et plus récemment ?

    Le cas le plus flagrant est celui du soldat israélien enlevé par le Hamas. Le réseau des sayanim à travers le monde a fait en sorte que son nom soit tellement matraqué que personne ou presque n’ignore son nom. Par ailleurs, son père a été reçu à plusieurs reprises par tous les dirigeants occidentaux, par Sarkozy, Merkel, Blair, Berluscuni, Zapatero, Barroso, par le secrétaire général de l’ONU, par le parlement européen, par l’assemblée de l’UNESCO, enfin le gratin mondial. Comment est-ce possible sans l’intervention de sayanim bien placés dans les instances gouvernementales, économiques, culturelles, médiatiques ? Je rappelle qu’il s’agit d’un caporal d’une armée d’occupation. Quel autre prisonnier peut bénéficier d’une telle sollicitude internationale ? Et avoir son portrait géant sur l’édifice de la Mairie du 16e arrondissement ? Des hommes politiques français, dont Sarkozy et Kouchner, ont exigé sa libération pour raisons humanitaires. Sans dire un mot des milliers de prisonniers palestiniens.

    Dans quel but ?

    Il s’agit de faire pénétrer dans l’opinion internationale qu’Israël a un « otage » (un seul !) aux mains du Hamas. Cela fait oublier les 11 000 prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes. L’écrasante majorité d’entre eux sont des prisonniers politiques, c’est-à-dire condamnés pour leur lutte pacifique pour l’indépendance. Rappelons qu’Israël est le seul pays « démocratique » au monde qui applique la détention administrative : pouvoir emprisonner n’importe quel citoyen sans avocat, sans jugement, sans motif, sans limitation dans le temps. Et c’est sur cette base que les forces d’occupation ont kidnappé, juste après l’enlèvement du soldat, 45 personnalités politiques du Hamas, en majorité des élus du peuple. Sans qu’elles aient rien à leur reprocher. Cela s’appelle des « représailles collectives » condamnées par le droit international, et rappelle le comportement de l’occupant nazi en France.

    Ainsi, pendant que les médias nous matraquent avec le soldat « otage », on oublie le plus important, et le plus horrible.

    Une expérience personnelle : Le 26 juin, le journal du matin de TV5 avait encore fait un reportage sur le drame de ce soldat « otage ». J’ai écrit en rappelant que l’honnêteté journalistique aurait exigé de mentionner les prisonniers soumis à la détention administrative et le kidnapping des 45 élus du Hamas. Aucune réponse, aucun correctif.

    Comment se fait-il qu’on ne parle pas beaucoup des sayanim ?

    Cela reste un mystère. Comment des journalistes aguerris ont pu disserter sur Israël sans mettre sur le doigt sur cet aspect capital ! Je mets cela sur la puissance des sayanim qui ont réussi l’exploit de ne pas faire parler d’eux. Il ne faut pas oublier que la chape qui écrasait les médias pour diffuser la pensée unique favorable à Israël n’a commencé à se fissurer que depuis quelques années.

    Pourquoi des citoyens juifs français par exemple deviennent des sayanim ?

    Vous savez, l’idéologie sioniste, jusqu’en 1948, était loin d’être majoritaire dans les communautés juives. Je me souviens qu’au Maroc, dans les années 50, les rabbins vilipendaient les sionistes. Et puis la création d’Israël, la propagande, la hantise d’un nouveau génocide, ont fait en sorte que les institutions juives ont basculé dans un appui inconditionnel à l’Etat juif. Aujourd’hui en France il n’est pas admissible d’exprimer la moindre réserve dans le cadre des institutions juives. La propagande est telle que les citoyens juifs qui vivent dans le cadre de ces institutions développent un second patriotisme et un nationalisme hors du commun. Au besoin, comme illustré dans le roman (l’épisode du cardiologue), le Mossad fera appel au chantage patriotique.

    Vous donnez une grande importance à la franc-maçonnerie dans votre livre. Pourquoi ?

    La franc-maçonnerie me paraît une illustration parfaite du travail d’infiltration et de propagande mené par les sayanim. D’abord pour montrer qu’aucun domaine ne leur échappe. Il n’y a pas de petits profits. Là où on peut pousser à la défense d’Israël, on le fait sans états d’âme. Par ailleurs, cela montre que les juifs sionistes ne reculent devant rien. Car peu de gens ignorent - même si on n’est pas familier avec la franc-maçonnerie - que celle-ci est d’abord laïque, ouverte à tous sans distinction de race, de religion, ou d’orientation politique. Et voilà que des franc-maçons juifs et sionistes créent en 2002 une loge spécifiquement juive, et sioniste pour défendre Israël.

    Je l’ai vécu personnellement, car j’ai été franc-maçon pendant près de 17 ans. Cela s’est passé en 2002, au plus fort de la seconde intifada. Cela n’était pas dit expressément, car c’est contraire à l’éthique maçonnique, mais dans les faits cela revenait au même. Ne devinant pas de quel bord j’étais, ces frères m’ont mis au parfum sans ambages. Et à mon avis c’était couvert par les instances supérieures. Tout ce qui se disait dans la loge était favorable à Israël (voir le 1er chapitre et la conférence tendant à faire un parallèle entre les réfugiés palestiniens et les juifs partis des pays arabes, souvent à l’instigation du Mossad). Et chaque année, la loge organise un « voyage d’information » en Israël, encadré par des fonctionnaires du ministère israélien des Affaires étrangères.

    Un de mes personnages principaux, Youssef El Kouhen, va subir les foudres des sayanim franc-maçons. Fils d’immigrés maghrébins, il pense faire un pas décisif dans son intégration républicaine en étant admis au sein du Grand Orient. Mais ayant découvert l’existence de cette loge « judéo-sioniste », il va tenter, avec d’autres frères arabes de contrer leur propagande en créant une loge pro-palestinienne. Mais là il va se heurter à la puissance du lobby sioniste implanté au Grand Orient de France et subira une défaite cinglante. Ce lobby va agir au mépris de toutes les lois de l’Obédience.

    En parcourant le livre, on s’aperçoit que certains personnages ressemblent étrangement à des personnes connues, surtout pour leurs sympathies sionistes.

    Parmi les 3 000 sayanim français, certains sont connus. Pas en tant que sayanim. Par définition, ce sont des agents secret. Mais étant donné leur soutien constant à Israël et leur participation active à des campagnes savamment orchestrées, il est probable qu’ils agissent dans ce cadre. J’ai voulu les montrer en action, par exemple pour recruter pour monter en épingle une rencontre sportive israélo-palestinienne à Paris, sans autre finalité que de donner l’illusion d’un processus de paix.

    Et plus explicitement ?

    Il y a plusieurs années, un match de football a eu lieu au Parc des Princes entre des jeunes israéliens et palestiniens. Ce qui avait donné lieu à un battage publicitaire démesuré. J’ai repris cet événement en tentant d’imaginer les coulisses, les pressions, les manipulations, les interventions. Pour obtenir gratuitement le stade, pour le remplir avec des jeunes de banlieue en faisant intervenir le rectorat, en sollicitant des subventions de l’Union européenne et de la Mairie de Paris, en faisant pression sur les dirigeants musulmans « modérés » pour qu’ils apportent leur caution. Une opération de propagande rondement menée grâce aux sayanim, et leurs alliés, dont les plus indéfectibles : SOS Racisme et la Mairie de Paris.

    On retrouve souvent SOS Racisme. Pourquoi ?

    Pour moi, cette organisation sert de courroie de transmission aux idéologies sionistes. Sa proximité incestueuse avec l’UEJF, un des piliers du soutien à Israël, en est une illustration. Jamais SOS Racisme n’a lancé par exemple une campagne contre l’occupation israélienne, alors qu’elle se démène contre le Soudan. En occupant le terrain, grâce à des subventions généreuses, SOS Racisme empêche l’émergence d’autres organisations anti-racistes plus proches des exigences de la majorité de ses membres. On entend d’ailleurs plusieurs voix, dont celle de Joey Star, réclamer une autre organisation anti-raciste, issue des quartiers, et les représentant légitimement.

    Dans le roman, je développe un point de vue qui ne doit pas être loin de la réalité. En fait, c’est l’UEJF et ses alliés sionistes qui cherchent un candidat pour remplacer l’actuel président. D’ailleurs, quand un président de l’UEJF quitte son poste, il devient vice-président de SOS Racisme. Après un noir, les sionistes cherchent un beur présentable qui appliquera les consignes. Tout prétendant à ce poste connaît les enjeux.

    Tout un chapitre est consacré à la Mairie du 16e arrondissement. Pour quelle raison ?

    Cette Mairie est un des châteaux forts des sionistes. Le Bnai Brit (franc-maçonnerie juive internationale) s’y réunit régulièrement et y organise son salon du livre. Son maire est un ardent défenseur d’Israël. Un portrait géant du soldat israélien enlevé par le Hamas orne la façade de la Mairie.

    Il y a ce personnage, MST, qui traverse tout le roman, et qui ressemble furieusement à BHL...

    Je vous laisse la responsabilité de ce constat. Il est vrai qu’il y quelques ressemblances, mais en principe ce n’est pas lui. Ceci dit, il ne me déplait pas que certains fassent ce rapprochement. Michel-Samuel Taïeb est effectivement un personnage central, correspondant à son rôle flamboyant, à ses nombreux réseaux, à son implication sans réserve en faveur d’Israël, à l’acharnement avec lequel il recrute d’autres sayanim. C’est lui qui va recruter le cardiologue, qui va intervenir à l’Elysée pour donner l’ordre aux rectorats de remplir le stade de jeunes beurs, qui va appeler un responsable d’émission à Canal Plus pour humilier en direct des militantes de SOS Palestine, qui va faire pression sur le recteur de la Mosquée de Paris pour soutenir ce prétendu « match pour la paix », etc.

    On a l’impression que vous vous êtes pas mal amusé avec les noms des sayanim.

    Je n’ai pas pu m’en empêcher. Le fait de trouver ces noms, que d’aucuns pourraient rapprocher de personnages réels, me remplissait de joie à chaque fois. Il est vrai que mes sympathies vont là où vous savez. Je n’avais aucune raison de les épargner.

    Est-ce à dire que c’est un roman politique ?

    Si on entend par là qu’il prend position de façon claire et nette, tout en dénonçant les pratiques de chantages et de manipulations au profit d’une politique impérialiste, alors oui, c’est un roman politique. D’ailleurs il est dédié « à tous ceux qui se battent pour la justice en Palestine ». La forme romanesque n’est qu’un méthode pour y arriver. Bien qu’une grande partie du livre se base sur des faits réels, ou exprime une réalité telle qu’elle pourrait se dérouler. Lorsque MST appelle Canal Plus, je n’étais pas à l’écoute, mais la façon dont la plupart des grands médias lui déroulent le tapis rouge me fait penser que c’est sa manière d’agir. Et d’être obéi.

    Est-ce qu’on vous mettra des bâtons des les roues ?

    Certainement. Les sayanim et leurs complices, et ils sont nombreux et occupent des postes stratégiques, feront tout pour élever un mur de silence. Ou bien ce sera le déni. Ou enfin le recours à ces vieilles méthodes de l’amalgame. Une critique d’Israël équivaut à de l’antisémitisme. Parler des sayanim, c’est revenir à cette accusation de complot que certains antisémites au tournant du 20e siècle lançaient aux juifs pour les discréditer. Le discours du déni, et d’un certain terrorisme intellectuel, est bien rodé.

    Que peut-on vous souhaiter ?

    J’espère d’abord que ce livre ouvrira les yeux sur cette force puissante et insidieuse mise au service d’une idéologie de domination. Qu’il permette ensuite un décryptage plus pointu des événements. Et enfin qu’il favorise l’émergence de contre-pouvoirs.

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  • "La France n'a plus de politique méditerranéenne..."

    Vous trouverez ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist consacré à la situation au Proche-Orient et à la crise iranienne, publié par Flash Magazine  et reproduit par le site Mecanopolis.

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    Dans notre monde post-moderne issu de la fin de la Guerre froide, ceux qui nous gouvernent ont oublié que, par nature, l’histoire était avant tout tragique. Piqûre de rappel du philosophe qui lui, ne l’a pas oublié…

     

    Voilà des années que l’on nous « promet » la guerre en Iran… Arlésienne ?

    Cela montre au moins que le sujet reste d’actualité. Mais l’Iran n’est pas le désert des Tartares, et il y a quand même de bonnes chances que les armes finissent par parler. Où en est-on aujourd’hui ? Quand on parle de l’Orient compliqué, il faut raisonner simplement, c’est-à-dire partir du certain pour aller au probable. Ce qui est certain, c’est que l’État d’Israël souhaite de toutes ses forces une frappe militaire sur l’Iran (à tort ou à raison de son propre point de vue, là n’est pas la question) et, si possible, que ce soient les Américains qui y aillent à sa place. Problème : Obama n’est pas très chaud, pas plus que ne le sont les militaires de Washington, pour l’excellente raison que tous les scénarios d’intervention militaire imaginés au Pentagone débouchent sur des catastrophes.

    Obama s’en tient donc pour l’instant aux négociations et aux sanctions. Mais ces dernières n’auront sans doute qu’un effet limité, ce qui peut permettre aux “faucons” de reprendre le dessus. Dans ces conditions, une attaque israélienne reste hautement probable, malgré les difficultés techniques et les risques inhérents à une telle entreprise. Elle provoquerait immédiatement une réplique qui pourrait mettre à feu et à sang toute la région. Se mettrait alors en place une dynamique dans laquelle les États-Unis seraient obligés de s’impliquer. Du moins est-ce ainsi que l’on raisonne à Tel-Aviv.

    Autre possibilité : une provocation de grande envergure, qui permettrait d’attribuer aux Iraniens ou à leurs alliés un attentat “sous faux drapeau”, une tentative d’assassinat du président, ou que sais-je encore… Les États-Unis devraient alors intervenir sous la pression de l’opinion publique. On en est là.

    Un énième conflit au nom d’une énième « croisade des démocraties »… Dans votre livre, « Au delà des droits de l’homme », vous dénoncez ce néo-impérialisme, à la faveur duquel les missionnaires catholiques ont été supplantés par de nouveaux évangélistes. Imposture ?

    On peut y voir une imposture, mais il y a là une parfaite logique. Si je m’estime porteur de la vérité, alors je suis fondé à éradiquer l’erreur, c’est-à-dire à faire disparaître tout ce qui contredit mon point de vue. Et à le faire par tous les moyens. C’est le principe même de la “guerre juste”. Prétendre se battre au nom de l’humanité (les « droits de l’homme ») conduit immanquablement à placer ses adversaires hors humanité. Ceux-ci deviennent alors des ennemis absolus, des figures du Mal, avec qui une paix négociée est impossible. Le but de la guerre n’est plus la paix, mais l’extermination.

    Au-delà des gesticulations verbales et de l’armée américaine qui bombe le torse en envoyant son armada dans le Golfe persique, on sait aussi que les Iraniens, en cas d’attaque aérienne, auraient désormais les capacités de détruire au moins la moitié de cette escadrille. D’un côté, Zbigniew Brzezinski, l’un des pontes de la géopolitique américaine assure que si Israël voulait bombarder l’Iran, il serait du devoir des USA de clouer son aviation au sol… De l’autre, les Israéliens retenteraient bien une Opération “Osirak”… Une autre guerre de retard ?

    Le « danger nucléaire » joue, concernant l’Iran, exactement le même rôle que les armes de destruction massive dans le cas de l’Irak. Il s’agit de faire peur. Mais qui est en droit d’avoir peur aujourd’hui, sinon l’Iran ? J’ignore évidemment si les Iraniens auront un jour la bombe atomique. Ce que je sais, c’est que cette arme ne présente d’intérêt qu’en tant que force de dissuasion. Là aussi, les choses sont simples : on n’attaque pas une puissance dotée d’un armement nucléaire. La bombe atomique permettrait aux Iraniens de sanctuariser leur territoire, ce que les puissances occidentales, qui cherchent depuis toujours à contrôler ce pays en raison de la position-clé qu’il occupe sur le plan géopolitique, ne veulent évidemment pas.

    Avec leur bombinette, les Iraniens ne seraient un « danger » pour personne, et surtout pas pour Israël, qui dispose déjà de plusieurs centaines de têtes nucléaires (non déclarées). Sait on que l’actuel budget militaire iranien (un peu plus de six milliards de dollars par an) est inférieur à celui de la Grèce, de la Suède ou de Singapour ? À l’exception des Émirats, l’Iran dépense moins par habitant pour son armée que n’importe quel autre pays de la région.

    La Turquie lâche Israël pour se rapprocher de Téhéran. Mais dans le même temps, la Russie semble renouer avec les USA. Sans même évoquer la Chine et l’Inde. Redistribution des cartes ?

    La Russie et la Chine doivent faire face à des impératifs contradictoires. Même s’il ne fait pas de doute que ces pays sont hostiles à une attaque contre l’Iran, leur intérêt n’est pas à court terme d’affronter directement les Américains.

    Tout comme Obama, Medvedev et Poutine doivent en outre compter avec la pression des factions qui s’affrontent dans leur entourage. L’émergence d’un axe Brésil-Turquie-Iran, concrétisé par l’accord tripartite signé en mai à Téhéran, est en revanche d’une importance majeure. Cet accord montre que le monopole dont jouissaient naguère les puissances occidentales pour décider de l’ordre du monde est brisé. N’en déplaise à Bernard Kouchner, il faudra désormais compter avec les « pays émergents ».

    En arrière-plan, la cause palestinienne, peuple majoritairement arabe et sunnite, mais aujourd’hui défendu avec plus de vigueur par les Turcs (pas des Arabes) ou les Iraniens (toujours pas arabes et chiites de surcroît). Fin du mythe panarabe ?

    Les mythes ne meurent jamais, mais il ne fait pas de doute que le panarabisme appartient au passé. Dans le monde arabo-musulman, à l’époque de la Guerre froide, les nationalismes laïcs ont constamment été combattus par les États-Unis qui craignaient leur instrumentalisation par le bloc de l’Est. Pour faire pièce à ces mouvements, les Américains ont systématiquement encouragé l’islamisme, stratégie qui a culminé au moment de l’invasion de l’Afghanistan par les Russes. Que cette stratégie se retourne aujourd’hui contre eux est un juste retour des choses.

    Et une France et une Europe inaudibles sur le sujet. Enterrement de première classe de notre politique méditerranéenne ?

    La France ne peut plus avoir de politique « méditerranéenne » depuis qu’elle a choisi de s’aligner sur les intérêts israéliens. Quant à l’Europe, elle vit à l’heure de l’impuissance et de la paralysie. Hubert Védrine voyait juste quand il parlait récemment de « l’irrealpolitik » européenne, ce ménage brumeux d’ingénuité, d’abstraction et de prédication moralisante qui fait croire aux Européens qu’ils vivent dans un monde post-tragique où ils n’auraient plus à se penser comme des acteurs du jeu mondial. « Les Européens, disait Védrine, ne se résignent pas à ce que l’histoire du monde reste celle d’une compétition de puissances. Ils se sont privés des outils mentaux pour penser cette situation… » Le problème, c’est que les puissances réelles du monde réel savent,elles, très bien ce qu’il en est. C’est pourquoi il y a des rumeurs de guerre contre l’Iran.

    Propos recueillis par Béatrice PÉREIRE, pour la revue FLASH

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  • "Nous sommes tous mendiants du beau jeu !"

    Le site internet Miroir du football vient de publier un excellent entretien avec Jean-Claude Michéa, à l'occasion de la réédition de son ouvrage Les intellectuels, le peuple et le ballon rond aux édtions Climats.

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    Le football est-il la joie du peuple ou l’opium des peuples ? 

    Contrairement aux anciennes formes de domination, qui laissaient généralement subsister en dehors d’elles des pans entiers de la vie sociale, le système capitaliste s’effondrerait très vite s’il cessait de trouver de nouveaux « débouchés », autrement dit de plier à ses propres lois l’ensemble des institutions et des activités humaines qui lui préexistaient ou qui s’étaient développées indépendamment de lui (qu’il s’agisse, par exemple, de la création artistique, de la recherche scientifique, de l’urbanisme, de la vie familiale, de l’organisation du travail ou des multiples traditions populaires). Il aurait donc été étonnant qu’un phénomène culturel aussi massif et aussi mondialisé que le football échappe à ce processus de vampirisation. Et, de fait, le football est devenu en quelques décennies l’un des rouages les plus importants de l’industrie mondiale du divertissement, à la fois source de profits fabuleux et instrument efficace du soft power (puisque c’est ainsi que les théoriciens libéraux de la « gouvernance mondiale » ont rebaptisé le vieil « opium du peuple »).

    Pour autant, ce rappel indispensable du rôle joué par le spectacle footballistique (et le sport médiatisé en général) dans le fonctionnement du capitalisme moderne ne doit pas nous conduire à légitimer les analyses mécanistes d’un Jean-Marie Brohm (analyses qui ne constituent, pour l’essentiel, qu’une reprise des critiques que la « gauche culturelle » américaine dirigeait, dès les années cinquante et soixante, contre l’athlétisme et le baseball). Cela reviendrait à oublier, en effet, que l’industrie du divertissement a toujours fonctionné selon deux lignes stratégiques distinctes. D’un côté, il lui faut fabriquer sans cesse de nouveaux produits (par exemple la télé-réalité, les jeux vidéo, Twitter, ou la musique industrielle) qui, dans leur principe même, sont entièrement (ou presque entièrement) conçus et façonnés selon les codes de l’idéologie libérale. De l’autre, elle travaille à récupérer, c’est-à-dire à reconfigurer en fonction de ses seules exigences, toute une série d’éléments issus des  différentes cultures populaires (mais également aristocratiques) et qui, à ce titre, relevaient à l’origine d’un tout autre système de valeurs. Tel est naturellement le cas de la logique du jeu - aussi ancienne que l’humanité - dont la dimension de plaisir et de gratuité constitutive est par définition irréductible à l’utilitarisme libéral  et à son obsession permanente de rentabilité à tout prix (c’est précisément sur l’inutilité et la futilité du jeu - incompatibles avec le nouvel esprit industriel - que se sont d’abord concentrées les premières critiques bourgeoises du sport).
    On comprend donc que la réinscription progressive des pratiques ludiques dans la logique du profit capitaliste (« le jeu - écrivait Christopher Lasch - répond au double besoin  de donner libre cours à sa fantaisie et d’affronter des difficultés sans conséquences ») ne pouvait que corrompre et dénaturer en profondeur l’essence même de l’activité sportive. Il suffit d’oublier un instant cette différence fondamentale entre la fabrication délibérée d’un nouveau gadget et la récupération d’une culture préexistante (c’est le cas de ceux qui réduisent le football à une simple « peste émotionnelle »)  pour jeter le bébé avec l’eau du bain et prêter une signification « radicale » à un type d’excommunication  qui ne fait, au fond, que reprendre sous une forme plus acceptable les vieilles croisades des puritains anglo-saxons du 19ème siècle « contre l’alcool et les distractions populaires » (Lasch). Un peu, en somme, comme si on décrétait que la prostitution - c’est-à-dire la marchandisation du plaisir sexuel - constituait l’essence même de ce dernier et sa seule vérité possible.

    Il ne s’agit donc pas de nier le fait que l’industrie du football contemporain fonctionne de plus en plus à la manière d’un « opium du peuple » (un kop d’ « ultras » donne assurément une image déprimante des pouvoirs de l’aliénation). Mais il est tout aussi important de souligner que le football moderne est aussi et encore, selon la formule d’Antonio Gramsci, un « royaume de la loyauté humaine exercé au grand air », ce qui explique pour une grande part la ferveur dont il continue à être l’objet dans les classes populaires. Et cela, même s’il est clair que le développement, résistible, de la logique marchande ne pourra que réduire toujours plus les fragiles frontières de ce royaume.

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  • Robert Ménard : “On n’ose plus braver la censure”

    Nous reproduisons ici un entretien entre François d'Orcival et Robert Ménard, ancien responsable de Reporters sans frontières, publié par Valeurs actuelles dans son numéro du 1er avril 2010.

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    Il a animé pendant vingt ans l’association Reporters sans frontières qu’il avait fondée, défendant sur tous les fronts la liberté des journalistes. Aujourd’hui directeur de la revue "Médias", il a publié (en 2003) un livre intitulé "la Censure des bien-pensants" avant de raconter ce que fut sa bataille contre la censure chinoise dans "Des libertés et autres chinoiseries", en 2008. Robert Ménard fut porté en triomphe par ces mêmes médias qui le dénoncent aujourd’hui, pendant que quelques sites Internet font de lui la cible d’attaques ignobles. Pourquoi ? Il s’en explique pour "Valeurs actuelles".

    Où en est la liberté d’expression? En France, tout le monde est “pour” mais chacun ajoute : “sauf…”. On a remplacé ce que fut la censure de l’Église aux siècles anciens, ou la censure d’État, par celle des associations. Chaque lobby, chaque sensibilité, chaque communauté se crée ainsi un espace où il est désormais impossible de parler librement. Des coalitions d’intérêts se sont constituées, qui, chacune dans sa “niche”, entendent faire la loi. À quoi s’ajoute une judiciarisation générale. Chaque fois que vous prononcez un mot qui n’a pas l’heur de plaire à tel ou tel, on vous menace des tribunaux. D’où l’effet d’autocensure : la seule menace d’un procès fait de vous un paria, vous êtes disqualifié et vous finissez par perdre toute liberté.

    Le plus surprenant est que les médias se soient à ce point mis de la partie… Comme les journalistes ne veulent pas prendre le risque de choquer tel ou tel, d’avoir des soucis avec tel ou tel lobby, l’autocensure qu’ils pratiquent est bien plus puissante que toutes les pressions économiques ou politiques. Un exemple : responsable des Éditions Mordicus, je viens de publier un livre intitulé Peut-on tout dire ? avec Dieudonné et Bruno Gaccio. Avant que ce dernier n’accepte, nous avons eu les pires difficultés à trouver un contradicteur à Dieudonné : des “grandes gueules” comme Bedos ou Tapie ont refusé de figurer en couverture par peur de se compromettre. Des libraires ont même affirmé qu’ils ne vendraient pas ce livre et qu’ils envisageaient de boycotter la maison d’édition ! Dieu sait si je ne partage pas les idées de Dieudonné, mais l’ostraciser n’arrange rien ! Les journalistes qui aiment tant dénoncer les pouvoirs se transforment à leur tour en censeurs au petit pied : l’un a le droit de parler, tandis que tel autre ne le “mérite” pas. La France a pourtant besoin de débats, y compris entre points de vue extrêmes : c’est cela qui renforce la cohésion nationale.

    Quels sont donc les sujets qui ont provoqué ces attaques contre vous ? Il y en a deux. D’abord, sur Paris Première, j’ai expliqué, à propos du projet de diffusion dans les écoles d’un dessin animé sur deux petits poissons homosexuels, que ce genre de débat me semblait prématuré en classe primaire. J’ai ajouté que, en tant que parent, je préférerais que mes enfants ne soient pas homosexuels… Évidemment, si l’un d’eux l’était, je ne l’aimerais pas moins. Mais la vie est suffisamment compliquée pour leur souhaiter des difficultés supplémentaires… Que n’avais-je dit ? J’ai immédiatement reçu un tombereau d’injures, on a publié mon adresse sur Internet, menacé ma femme. Quant à ceux qui étaient d’accord avec moi, ils m’ont conseillé de ne plus aborder le sujet. On m’a même demandé des excuses publiques : mais s’excuser de quoi?

    Un mois plus tard, au micro de France Inter, j’ai affirmé à propos de la peine de mort que son application à un criminel comme Dutroux ne m’aurait pas vraiment empêché de dormir… Ajoutant que j’en ai assez de voir classer l’humanité en deux catégories : les gentils opposés à la peine de mort et les barbares de l’autre côté. Là encore, un déluge. J’avais, il est vrai, aggravé mon cas en affirmant, à propos de l’Église et du mariage des prêtres, que la modernité ne me semblait pas être une valeur en soi…

    N’avez-vous pas l’impression que cet état de censure ne cesse d’empirer ? Personne n’ose plus s’y opposer. Même les mots sont pipés.Vous ne devez plus dire “Noir” mais “Black” ou même “non- Blanc”… Désormais, chacun se pose en victime. C’est la loi des groupes de pression. Les politiques en ont peur et les médias abdiquent. Après tout, la formule d’Éric Zemmour était peut-être à l’emporte-pièce, mais enfin, il avait bien le droit de le dire !

    Propos recueillis par François d'Orcival (Valeurs actuelles, du 1er au 7 avril 2010)

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