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Entretiens - Page 205

  • A propos de Nietzsche...

    Nous reproduisons ci-dessous les réponses de Paul-Eric Blanrue aux questions posées par le site Nietzsche Académie. Journaliste et historien critique, Paul-Eric Blanrue est en particulier l'auteur de Le monde contre soi - Anthologie des propos contre les juifs, le judaïsme et le sionisme (Edition Blanche, 2007), ouvrage préfacé par Yann Moix, ainsi que de Sarkozy, Israël et les Juifs (Oser dire, 2009), deux ouvrages qui ont suscité la polémique et des tentatives de censure.



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    Paul-Eric Blanrue répond aux questions du site Nietzsche Académie

    Quelle importance a Nietzsche pour vous ?
    Nietzsche, que j’ai découvert à l’âge de quinze ans, est l’une des plus puissantes lumières de l’esprit humain. Comme le resplendissant soleil du Grand Midi qui rayonne dans le ciel alcyonien, Nietzsche donne à voir le proche et le lointain, au-delà des ombres et des apparences, sans verser dans la fascination morbide pour les arrière-mondes. Et, tel l’enfant du conte d’Andersen, il apprend à oser dire ce que l’on voit sans tenir compte des opinions diverses qui se tiennent en embuscade dans nos petites têtes malléables pour nous inciter au mutisme lâche ou à la complaisante modération. L’autocensure est le premier verrou à faire sauter pour parvenir à être un authentique esprit libre. Nietzsche exerce à se “désopinioner”, à se défaire de l’imposture sociale, journalistique, philosopharde, cultureuse, politicolâtre, qui se déverse dans nos cerveaux comme autant de tumeurs malignes destinées à exterminer toute vie intérieure, toute résistance personnelle. “Vis ignorant de ce qui paraît le plus important à ton époque. Mets l’épaisseur d’au moins trois siècles entre elle et toi”, écrit-il. La guerre entre la confrérie des “derniers hommes” et nous est constante, sans répit, c’est une guerre à mort. Il y faut de la tenue : toujours être aux aguets, se tenir prêt à riposter ou à répondre d’un sourire à une niaiserie par laquelle tel clan tente de nous charmer, tel autre de nous subvertir. Nietzsche offre à son lecteur une hygiène mentale, il l’aide à entrer en lui-même pour y palper comme un fruit mûr, comme le corps d’une femme désirée, la vérité propre qui le compose. Chez Nietzsche, toute vérité est charnelle. L’âme est la forme du corps, a dit justement Aristote, de qui Nietzsche n’est pas aussi éloigné qu’on le suppose. Cette matière inspirée, cette âme-corps, il faut la dompter - ou la laisser vibrer à sa fréquence, c’est selon -, mais pour cela il faut d’abord la connaître. S’il est donc question de voir, il ne s’agit pas de voir pour croire, comme dans l’Évangile, mais de voir pour comprendre. Pour se comprendre : en extension, en immersion, en isolement complet, en toutes circonstances, partout. La vérité que Nietzsche propose n’est pas La Vérité, majusculaire, pompeuse, scolastique, celle des philosophes officiels et des religions verrouillées par le clergé, celle de l’université de Bâle qu’il a fui pour composer son oeuvre par monts et par vaux. Ce n’est pas non plus la vérité de la rue, du comptoir, celle de l’horrible “bon sens” qui coure dans tous les sens révélant ainsi qu’il n’en a aucun (on sait que chaque dicton a son dicton contraire qui l’annule). C’est la vérité saine, patiente, modeste, une vérité en acte, utile à notre dharma, celle qui va nous apprendre à exister. Nietzsche nous accompagne sur un chemin de vie escarpé que nous n’avons pas choisi mais que nous sommes les seuls au monde à pouvoir tracer. Il n’y a pas à suivre Fritz en pèlerinage de Sils-Maria à Turin, au gré de ses gîtes d’ermite dansant, comme s’il était un infaillible gourou : il réfute par avance tout disciple, au contraire de Schopenhauer dont il a mis trop de temps à se défaire lui-même. Il faut l’écouter lentement, penser avec lui et contre lui, et enfin le dépasser de toutes nos forces pour nous forger une vie à notre mesure, rebelle à l’embrigadement. “Persistez dans votre bizarrerie”, disait Baudelaire. Seulement l’objectif n’est pas de tendre vers la folie ni d’opérer “le dérèglement de tous les sens” préconisé par Rimbaud qui s’en repentira vite, mais de développer nos particularités tendancielles, nos singularités émergentes. Sans elles, nous ne sommes plus nous, mais ce que les autres veulent que nous soyons. À méditer Nietzsche à différentes époques de sa vie, à voyager en sa compagnie sous toutes les latitudes, on atteint une subtilité de pensée, aussi antisectaire que possible, difficile à saisir pour qui ne l’a pas fréquenté longtemps et de près. C’est un travail de Romain que de “devenir ce que l’on est” selon l’antique sagesse ! Avec son marteau philosophique, le roboratif Nietzsche réveille et revigore l’âme, on le sait, mais il invite encore à ne pas nous satisfaire de nos travers “humains, trop humains”, de nos minables égos sociaux insignifiants, de nos ambitions grégaires ; il incite aussi à jeter par-dessus bord nos ressentiments qui fixent le Temps alors qu’il importe de le maîtriser avec souplesse pour être libres de nos mouvements. Sa pensée en perpétuelle tension n’est pas figée. Elle est un arc, ses idées en sont les flèches. Elle est à l’occasion contradictoire, on l’a assez dit, car Nietzsche n’hésite pas à se combattre lui-même si la situation l’exige, comme il entreprendrait une politique de terre brûlée pour mieux protéger ses troupes d’élite. Mais cette pensée en tension n’impose rien, aucun rite, aucun dogme, elle a pour seul, unique et éminent mérite de produire un germe qui permet de faire naître en soi le désir de développer une ultime sincérité et de la vivre à temps plein. À première vue, l’ambition paraît simple : en réalité, c’est le plus difficile. Être soi-même, devenir ce que Julius Evola appelait un “homme différencié” implique de mener une existence réfractaire, qui suppose l’acceptation de la gratuité, du don de soi, d’une certaine forme d’exil et de solitude intérieure. “L’homme est quelque chose qui doit être surmonté” dit Nietzsche. Vu la nature carcérale du monde moderne, la pente est rude, le sommet est si haut qu’il demeure invisible au randonneur. Pour monter, il faut s’alléger, se délester du conformisme et du contentement. C’est pourquoi un authentique nietzschéen se reconnaît au premier coup d’oeil. Il y a des physiques de nietzschéens. Normal puisque l’âme est la forme du corps… J’ai un bon radar pour les détecter. Je peux vous assurer qu’il y en a peu qui vivent encore sur cette terre, en ces temps particuliers du Kali Yuga où la mollesse d’âme s’est généralisée jusque chez les meilleurs.

    Etre nietzschéen qu'est-ce que cela veut dire ?
    J’aime beaucoup cette phrase de Nicolas Berdiaev, ce christo-nietzschéen, immense Russe orthodoxe et théologien hors pair de la liberté, qui a prouvé qu’on pouvait croire en Dieu, être ouvert au Grand Mystère et rester un fervent nietzschéen (C’est une contradiction ? Oui. Mais  Nietzsche a bien mis sa vie au service de Dionysos qui est un dieu grec !) : “Il ne sert à rien de réfuter Nietzsche ; ce qu’il faut c’est vivre son expérience et le surmonter en soi”. Berdiaev a dit là l’essentiel. Être nietzschéen, si cela a un sens, pourrait consister à “être autant que possible nos propres rois et fonder de petits États expérimentaux, comme le dit Nietzsche, qui ajoute : “Nous sommes des expériences : soyons-le de bon gré”. Autrement dit : amor fati et inch’Allah !

    Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?
    Tous, sans oublier la correspondance et les fragments posthumes, indispensables. Ne lire qu’un seul livre de Nietzsche revient à avancer e2-e4 sur l’échiquier sans poursuivre la partie. Il faut aller jusqu’au bout, que le résultat soit Pat ou Mat. L’abandon est interdit. On doit vivre en professionnel de l’existence. Le jeu fait partie du métier. Les masques aussi, qui font partie du jeu : on retrouve là Venise, “la ville aux cent profondes solitudes”, dont on connaît l’importance pour Nietzsche. Si on n’a pas le tempérament adapté, qu’on en reste à Kant. C’est déjà pas si mal, Kant : “Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains”, disait Péguy. On a aussi le droit de descendre à la station Schopenhauer, à condition d’avoir digéré auparavant les Parerga et Paralipomena si on ne veut pas finir suicidaire. Je connais aussi des gens très heureux qui ne jurent que par Platon, et pourquoi pas, après tout ? Evola a tenté la grande jonction entre Nietzsche et Platon avec quelque succès. “Deviens ce que tu es !

    Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?
    Vu que ces notions proviennent toutes deux de la très moche révolution française, triomphe de la veulerie sur l’esprit chevaleresque, elle n’ont aucun sens appliquées à Nietzsche, élégant antidémocrate, aristocrate de l’esprit, qui rejette tout ce fatras idéologique empestant l’égalitarisme faisandé. Comme René Guénon après lui, il réclame à cor et à cri le retour du Régne de la Qualité contre celui de la Quantité. Ce qui signifie, bien entendu, qu’il est forcément de droite pour les idéologues dits progressistes, car trop lucide pour être à leur image un optimiste béat, qui penserait que l’histoire avance au prétexte qu’elle convulse. Quand on n’est pas de gauche, on est obligatoirement classé à droite, c’est ainsi. Ce n’est pas infamant, c’est réducteur. Et quand on sait en quelle piètre estime Nietzsche tenait les politiciens de son temps, c’est à côté de la plaque. Vous vous imaginez Nietzsche en train de déposer un bulletin de vote dans l’urne de la Rathaus de Röcken ? Impossible, trop anarchiste pour ça. Un anarchiste de droite, si vous voulez. C’est ainsi, d’ailleurs, que Julius Evola se présentait à la fin de sa vie, quand, revenu de ses fantaisies politiques, il appelait les hommes parmi les ruines à relire Nietzsche pour tout recommencer à zéro (pour en comprendre les raisons, il faut étudier impérativement son Chemin du cinabre, l’équivalent d’Ecce Homo appliqué à son “équation personnelle”, comme il dit). Sur la gauche, il y a certainement des choses qui ne sont pas à jeter chez Georges Bataille et Michel Foucault, qui ont dénietzschisé Nietzsche comme tout bon nietzschéen est un jour amené à le faire, mais ils restent indécrottablement accros à la moraline-base dès qu’ils s’éloignent de la question sexuelle qui les obsède du fait de névroses qui leur sont propres. Bref, le nietzschéen de droite est improbable et celui de gauche n’existe pas.

    Quels auteurs sont à vos yeux nietzschéens ?
    Ni Gide ni Malraux, en tout cas, quoi qu’en disent les manuels scolaires. En vrac : Hugues Rebell, Antonin Artaud, Nicolas Berdiaev, Nicolás Gómez Dávila, Oswald Spengler, Gabriele d’Annunzio, le jeune Maurice Barrès, Julius Evola, Martin Heidegger, Cioran… J’en ajouterais volontiers d’autres, moins attendus, comme Sacha Guitry par exemple (voir la morale de Mon Père avait raison), ou Céline pour certains passages. Quoi qu’il en soit, la liste n’est pas très longue.

    Pourriez-vous donner une définition du surhomme ?
    Le terme a été trop galvaudé pour qu’on en fasse encore des thèses, mais n’en est pas loin celui qui met en pratique dans sa vie quotidienne cette maxime de Gabriele d’Annunzio : “Souviens-toi de toujours oser” (Memento audere semper). Comme principaux candidats à ce poste je préconise, au risque de choquer, Jésus-Christ (quel qu’ait été son rôle réel dans l’histoire) et le prophète Mohammed (saws). Reprenant la formule de l’empereur Frédéric II de Hohenstauffen, je rappelle que Nietzsche, ce soi-disant athée qui a pourtant écrit que le Dieu de la métaphysique n’était pas mort, proclame dans son Antéchrist : “Paix et amitié avec l’Islam !” L’islamophobe et nietzschéen de gauche (sic) Michel Onfray peut aller se rhabiller à la mode de Caen.

    Votre citation favorite de Nietzsche ? 
    "Par chance je suis dépourvu de toute ambition politique ou sociale, en sorte que je n'ai à craindre aucun danger de ce côté-là, rien qui me retienne, rien qui me force à des transactions et à des ménagements ; bref j'ai le droit de dire tout haut ce que je pense, et je veux une bonne fois tenter l'épreuve qui fera voir jusqu'à quel point nos semblables, si fiers de leur liberté de pensée, supportent de libres pensées." (lettre à Malwida von Meysenbug, 25 octobre 1874)

    Paul-Eric Blanrue, propos recueillis par Olivier Meyer (Nietzsche Académie, 6 octobre 2013)
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  • Unir la gauche et la droite anti-Euro ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jacques Sapir au site italien L'Antidiplomatico et disponible en traduction sur son site RussEurope.

     

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    Unir la gauche et la droite anti-Euro

    1. Monsieur le Professeur, vous avez été parmi les premiers économistes européens à mettre en évidence les dommages produits par l’euro et à en demander sa fin. Dans une de vos dernières analyses vous avez écrit que c’est désormais une fin inévitable. Selon vous, combien de temps passera-t-il encore avant que cela n’arrive et de quel pays partira l’initiative ?

    Il faut bien distinguer ici deux problèmes. Le premier est celui de l’analyse de la situation économique que l’Euro a créée et de ses conséquences. Nous voyons depuis maintenant près de 13 ans que l’Euro non seulement n’a pas induit de convergences macroéconomiques mais qu’il a au contraire exacerbé les divergences. Je l’ai dit à plusieurs reprises, et désormais, cette position fait consensus chez les économistes. Nous voyons aussi que l’Euro est un énorme frein à la croissance pour la majorité des pays qui l’ont adopté, sauf, bien entendu, l’Allemagne. Nous voyons enfin que l’Euro aggrave les déficits, tant en interne que les déficits extérieurs, et qu’il conduit à un endettement toujours plus grand des pays qui sont entrés dans Union Économique et Monétaire. Tout ceci est copieusement documenté par de très nombreux auteurs. J’en déduit que l’Euro ne pouvant fonctionner que dans une spirale d’appauvrissement pour de très nombreux pays, il est condamné. Mais, ici, nous avons un deuxième problème, celui des conditions qui mettront fin à l’Euro. Ces conditions peuvent être une crise catastrophique qui prenne naissance sur le marché obligataire. Pour l’instant, de ce point de vue, la situation est stabilisée par la Banque Centrale Européenne. Mais, la crédibilité de cette dernière tient beaucoup à ce qu’elle n’est pas testée. Un jour ou l’autre les marchés vont tester la résolution de la BCE, et ce jour-là M. Mario Draghi va se retrouver fort dépourvu. Ces conditions peuvent aussi provenir des tensions politiques croissantes que l’Euro provoque tant entre les pays membres de l’UEM qu’au sein de ces pays où les forces anti-européennes prennent aujourd’hui de l’ampleur. Elles peuvent à un moment confronter les acteurs politiques avec la nécessité de dissoudre la zone Euro ou de quitter l’Euro.
    J’ai, personnellement, surestimé la rapidité des évolutions financières, sur la base de ce que nous avions connus en 2008-2009. Mais ceci ne change rien à l’analyse de fond.

    2. Sur votre blog, vous avez fait allusion à un retour possible au SME après une éventuelle dissolution de la zone Euro. Quelle est selon vous, la meilleure stratégie pour sortir de l’Euro pour les pays de l’Europe méridionale ?

    Un retour au SME implique que chaque pays retrouve sa monnaie nationale. La question de la stratégie est ici centrale. Les pays d’Europe du Sud ont le choix entre prendre une décision de sortie isolément ou demander la dissolution de la zone Euro. Si certains pays, comme l’Italie, la France et l’Espagne disaient lors d’un conseil ECOFIN qu’ils sont prêts à quitter l’Euro mais qu’il vaut mieux le dissoudre, compte tenu de l’attachement des Allemands pour le Deutsch Mark, la solution de la dissolution serait rapidement acceptée. Elle serait de loin la meilleure car étant prise de manière collective elle apparaîtrait comme une décision « européenne ». La fin de l’UEM n’impliquerait pas la fin de l’Union Européenne ni celle d’une coopération sur les questions monétaires entre les pays concernés. Néanmoins, cette solution est aussi la moins probable à l’heure actuelle. Une sortie isolée d’un pays est aujourd’hui la solution la plus probable. Elle entraînera à terme (6 mois probablement) l’éclatement de la zone Euro. Mais le contexte politique sera bien plus conflictuel.

    3. Quelle est, selon vous, la part de responsabilité des partis socialistes européens dans la crise actuelle et quelles forces politiques considérez-vous capables d’effectuer un changement ?

    La responsabilité des partis socialistes européens est écrasante. Elle est tout d’abord directe : ces partis ont capitulé sans condition devant les exigences de la finance et du capital ; ils ont imposé des politiques austéritaires inouïes à leurs populations et ils portent de ce fait une large responsabilité dans la stagnation économique que nous connaissons. Mais il y a aussi une responsabilité indirecte. En prétendant qu’il n’y a pas d’autres solutions que l’austérité, et proclamant le « dogme » de l’Euro, en agitant des catastrophes hypothétiques en cas d’une « sortie » de l’Euro ces partis socialistes ont construit un discours politique qui bloque la situation et qui fait partie intégrante de la crise. C’est pourquoi il ne pourra y avoir de sortie de crise que par la destruction de ces partis, leur éclatement, et des recompositions politiques importantes. Nous sommes en train d’assister à cela en France et en Grèce.
    Aujourd’hui, il faut unir les forces tant de gauche que de droite qui ont compris le danger que représentait l’Euro, non pas dans un seul parti mais dans une alliance qui sera capable de porter une politique de rupture.

    4. Vous considérez la France comme un pays de l’Europe méridionale ou d’Europe du Nord ? En fonction de sa position, quels sont les risques que votre pays encourra en 2014 ?

    Très clairement, pour moi, la France est un pays d’Europe Méridionale. Elle l’est si l’on regarde les caractéristiques tant structurelles que conjoncturelles de l’économie et qu’on les compare à celles de l’économie italienne par exemple. La France est aussi culturellement bien plus proche de l’Europe méridionale que de l’Europe du Nord. De ce fait, elle est la plus exposée aux conséquences conjuguées des politiques d’austérité menées en Italie et en Espagne. Tant que ces trois pays resteront dans la zone Euro ils sont condamnés à être dans une concurrence féroce les uns contre les autres. Par contre, dès qu’ils auront retrouvé leurs monnaies nationales, ils pourront retrouver des marges de manœuvre importante.

    5. Pour conclure, comment jugez-vous les vicissitudes de la politique italienne depuis novembre 2011 quand Mario Monti a commencé à imposer les mesures d’austérité de L’Europe ?

    La politique de Mario Monti a consisté à chercher à obtenir des résultats à très court terme sans se préoccuper du long terme. Il a bloqué les paiements qui étaient dus par l’État aux entreprises, il a laissé le crédit s’effondrer et l’investissement se contracter, ce qui condamne à moyen terme l’économie italienne. C’est le contraire d’une politique d’ »expert ». La réputation de « spécialiste » qu’il s’est construit est parfaitement usurpée. Il s’est conduit comme l’un de ces politiciens de bas étage dont le nom a disparu dans les poubelles de l’histoire.

    Jacques Sapir (RussEurope, 11 octobre 2013)

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  • Alain de Benoist et la théologie politique...

    A l'occasion de la sortie du numéro 62 de la revue Nouvelle École consacré à la théologie politique, l'équipe de Méridien Zéro, qui œuvre sur Radio Bandiera Nera, recevait Alain de Benoist. Vous pouvez écouter ci-dessous cette émission diffusée le 10 octobre 2013.

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  • Un retour vers la défense citoyenne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Bernard Wicht, chercheur spécialisé dans les questions stratégiques et militaires, réalisé par Theatrum Belli à l'occasion de la sortie de son dernier essai intitulé Europe Mad Max demain ? - Retour à la défense citoyenne.

    Bernard Wicht est également l'auteur de plusieurs autres essais stimulants, notamment  L’idée de milice et le modèle suisse dans la pensée de Machiavel (L’Age d’Homme, 1995), L’OTAN attaque (Georg, 1999), Guerre et hégémonie (Georg, 2002) et Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011). Il a aussi contribué à Gagner une guerre aujourd'hui (Economica, 2013), ouvrage collectif dirigé par le colonel Stéphane Chalmin.

     

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    Un retour vers la défense citoyenne ?

    A l’heure où les autorités politiques, de droite comme de gauche, transforme l’armée française en une armée de poche ; où la criminalité s’amplifie et devient toujours plus violente dans les zones urbaines, que le citoyen est victime d’une surveillance généralisée étatique et extra-étatique, qu’il subit une pression fiscale de plus en plus lourde, THEATRUM BELLI se tourne vers Bernard Wicht, qui dans son dernier livre « Europe Mad Max demain ? le retour de la défense citoyenne » prône « un retour à l’initiative individuelle » et « la formation de petites communautés organisées » pour à nouveau prendre son destin en main et assurer soi-même sa propre sécurité…en s’appuyant sur la figure du « citoyen-soldat ».

    THEATRUM BELLI : Les électeurs helvétiques viennent massivement de voter à 73% pour le maintien du concept démocratique de citoyen-soldat ? Quel est votre sentiment sur résultat de ce vote ?

    Bernard WICHT : C’est réjouissant ! Selon mon analyse, l’argument qui a eu le plus d’impact est celui de l’ « obligation » (pas nécessairement militaire), c’est-à-dire l’opinion – y compris dans les milieux peu sensibles aux questions militaires – qu’une société ne peut exister « sans obligation », que le citoyen se doit d’accomplir une activité au service de la communauté. L’unanimité des cantons (26) en faveur de l’obligation de servir est également particulièrement frappante dans ce sens-là. En revanche, la notion de liberté républicaine (les citoyens participant à la gestion des affaires communes) est peu apparue dans les débats. J’y vois un déficit de culture politique faisant que l’on peine à exprimer et à expliquer les concepts fondamentaux sur lesquels reposent l’Etat dans notre pays. Il faut également ajouter un autre facteur : la situation socio-économique difficile que connaît l’Europe actuellement ainsi que les pressions que subit la Suisse dans ce contexte ont certainement eu une influence sur la décision – l’ère de la « paix éternelle » promise à la fin de la Guerre froide est terminée. Le scénario des récentes manœuvres militaires de notre armée illustre bien ce changement de perception (une défense des frontières face à des bandes armées provenant d’une Europe en plein effondrement).

    TB : Vous avez publié en mai dernier un livre au titre quelque peu provocateur « Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne ».  Pourquoi un tel titre ?

    BW : Le titre n’est pas moi, c’est le choix de l’éditeur qui souhaitait quelque chose de percutant ! C’est le sous-titre qui indique l’orientation de ma réflexion, à savoir un travail sur le citoyen-soldat à l’âge de la globalisation et du chaos.

    TB : En prônant le concept de défense citoyenne, vous mettez en relief, sans le nommer, le concept de subsidiarité ascendante qui, à l’origine, est un concept militaire : Durant l’époque romaine : le « subsidium » qui était une ligne de troupe se tenant en alerte, derrière le front de bataille, prête à porter secours en cas de défaillance… Cette philosophie politique antique peut-elle être à nouveau d’actualité au XXIe siècle ?

    BW : Ma référence principale n’est pas tant l’Antiquité romaine, mais plutôt les républiques urbaines de la Renaissance italienne. Celles-ci sont déjà modernes, en particulier en raison de leurs activités commerciales et de la naissance du premier capitalisme. Ce dernier élément est très important à mes yeux et n’apparaît que peu dans l’empire romain (où l’économie est encore peu développée) : d’où mon intérêt pour les cités italiennes du Quattrocento. De nos jours en effet, je pense que toute réflexion politico-stratégique doit sous-entendre l’existence prédominante du capitalisme globale, au risque sinon de retomber dans de « mauvais remake » de l’Etat-nation et des armées de conscription. De mon point de vue à cet égard, lorsqu’on réfléchit à l’outil militaire, il faut avoir bien présent à l’esprit que nous avons perdu le contrôle de l’échelon national (sans parler de ceux situés au-dessus) et, par conséquent, des armées et gouvernements nationaux. C’est pourquoi dans ma démarche sur la défense citoyenne aujourd’hui, j’ai pris comme point de repère notamment la notion de chaos qui nous « délivre » en quelque sorte d’un cadre politique préconçu. Dans le même sens, je me suis penché attentivement sur l’affirmation des groupes armés (de tous ordres) comme nouvelles « machines de guerre » en ce début de XXIe siècle. J’ai ainsi émis l’hypothèse que ceux-ci étaient en train de supplanter les forces armées régulières des Etats, ceci au même titre que les armées mercenaires de la Renaissance ont supplanté la chevalerie médiévale et, plus tard, les armées nationales issues de la Révolution française ont supplanté celles de l’Ancien Régime. Cela signifie que je considère que le tournant est non pas seulement stratégico-militaire mais aussi, et surtout, historique.

    TB : Comment analysez-vous le fossé qui se creuse entre l’Etat et la nation ?

    BW : Je considère qu’il n’y a d’ores et déjà plus adéquation entre les deux. La nation avec ses valeurs et son idéal de solidarité est morte dans les tranchées de Verdun, les ruines de Stalingrad, les crématoires d’Auschwitz et les rizières du Vietnam. On oublie un peu vite le traumatisme des deux guerres mondiales, la destruction morale de notre civilisation que cela a signifié, et le fait que des sociétés ne peuvent se relever facilement d’un tel choc. J’analyse le délitement actuel de nos sociétés (de la chute de la natalité au renversement des valeurs que nous vivons notamment dans le domaine de la sexualité) comme provenant fondamentalement de ces séismes à répétition. Les travaux de l’historien britannique Arnold Toynbee sur la « grande guerre destructrice », la « sécession des prolétariats » – autrement dit sur les formes que prend le déclin d’une civilisation – trouvent ici toute leur pertinence.

    TB : Dans des nations européennes qui se communautarisent, ne pensez-vous pas que ce concept de défense citoyenne puisse être appliqué par des communautés ethnico-religieuses aux intérêts antagonistes ?

    BW : C’est déjà le cas ; pensons aux diasporas politiquement encadrées, aux gangs contrôlant certains quartiers urbains, aux réseaux mafieux, etc. A la fois la destruction des nations à laquelle je viens de faire référence, la globalisation financière amenant l’explosion de l’économie grise, ainsi que la fin de l’ère industrielle ont créé un terreau très favorable à la fragmentation de nos sociétés, à leur recomposition en sous-groupes pris en main par les nouveaux prédateurs susmentionnés. Il ne faut pas oublier non plus que des pans entiers de l’économie régulière ne pourraient plus fonctionner sans les travailleurs clandestins, que l’économie parallèle représente en outre environ 15% du PIB des grands Etats européens, etc., etc., etc. Il est donc urgent de se poser la question de la défense citoyenne parce que les communautés auxquelles vous faites allusion ont « fait le pas » (bon gré – mal gré) depuis longtemps : c’est le citoyen qui est « en retard », c’est lui qui est désarmé. Si nous faisons brièvement le catalogue des catégories de combattants existant de nos jours (partisans, forces spéciales, contractors, terroristes, shadow warriors), nous constatons immédiatement que le citoyen est absent; il reste donc sans défense dans une monde où la violence a retrouvé son état anarchique. En ce sens, ma contribution demeure bien modeste compte tenu de l’urgence de la situation.

    TB : La défense citoyenne peut-elle être considérée comme une réponse « localiste » au phénomène de la mondialisation ?

    BW : Comme je l’ai dit plus haut, je pense que nous avons perdu le contrôle de l’échelon national. Donc, oui, la réponse est sans doute plutôt « local ». Mais, selon moi, ce n’est pas tant dans l’opposition local/global qu’il faut travailler : la société de l’information nous offre l’opportunité de travailler en réseau open source, de manière coopérative… au-delà du local au sens strict. De mon point de vue, le facteur déterminant n’est donc pas tant le local que l’autonomie, c’est-à-dire la capacité de contrôler ses propres processus de fonctionnement (dont en priorité la sécurité). Car, si au niveau local nous restons totalement dépendant du niveau global, rien ne change ! J’ai insisté précédemment sur l’importance de prendre en considération la dynamique du capitalisme parce que, précisément, toute initiative qui n’est pas en mesure de développer une certaine marge de manœuvre vis-à-vis de cette dynamique est vouée à l’échec. Nous y reviendrons plus loin à propos des coopératives. Revenons à la dialectique local/global que vous évoquez, il n’est cependant pas possible d’agir localement si l’on ne dispose pas d’un discours global ; le cas du mouvement néo-zapatiste au Chiapas est particulièrement parlant à cet égard – une faible rébellion pratiquement sans impact militaire qui parvient en revanche à développer un discours de portée mondiale. Cet exemple tendrait à montrer qu’aujourd’hui aucune action locale (ou autre) ne peut s’inscrire dans la durée sans un discours adéquat. Je dis un « discours » et non pas du « storytelling », c’est-à-dire non pas du marketing mais une véritable mise en forme de la réalité apte à se démarquer des deux discours dominant que sont celui de l’empire (la mondialisation néo-libérale) et celui de l’apocalypse (l’épuisement des ressources, le réchauffement climatique et la fin des temps)…. faute de mieux, j’ai appelé pour le moment cette troisième voie le « discours du rebelle ». La notion de rebelle en lien avec celle d’autonomie (y compris le concept anarcho-punk de TAZ) ouvrent ici des perspectives prometteuses telles que le refus de la réquisition techniciste, la réappropriation de sa propre histoire ou encore le lien con-substanciel entre résistance et renaissance. Vous comprenez dès lors pourquoi je trouve la réduction de la réponse au rapport local/global un peu « courte ».

    TB : Julien Freund a écrit qu’« une collectivité politique qui n’est plus une patrie pour ses membres cesse d’être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d’une autre unité politique ». La Défense citoyenne peut-elle régénérer les concepts de patrie et de souveraineté ?

    BW : Certainement, la Défense citoyenne se comprend dans cette perspective, mais pas dans le sens d’une restauration de l’état antérieur. Comme je viens de le dire, nous ne retrouverons pas la Nation : « l’histoire ne repasse pas les plats » ! C’est là que se situe le premier enjeu de toute réflexion prospective : ne pas vouloir « re-bricoler le passé », s’efforcer de penser en fonction des nouveaux paramètres en vigueur (d’où l’importance de prendre en compte la société de l’information).

    TB : Vous voyez le développement possible de SMP à travers le système de la coopérative. Cette idée ne pourrait-elle pas être développée au sein des mutuelles (comme services) étant donné que leur philosophie d’origine était centrée sur le secours et l’entraide avant d’être focalisée sur la dimension santé ?

    BW : Sans aucun doute. Toute démarche de reconstruction passe obligatoirement par là…. la forme peut toutefois varier. L’essentiel dans le système coopératif (ou mutualiste) est de donner au groupe une certaine autonomie – nous y revoilà – notamment dans le domaine économique (une marge de manoeuvre par rapport à la dynamique du capitalisme global). A travers la coopérative, il est possible d’échapper quelque peu au diktat du marché et des grands acteurs mondiaux. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les coopératives ne fonctionnent bien que dans un tel contexte; en période de « vaches grasses » l’idée ne fait généralement pas recette. Dans mon livre j’ai donné l’exemples des Acadiens au Canada qui, par ce biais, dès la fin du XIXe siècle ont pu se soustraire à la tutelle des grandes entreprises anglaises qui les exploitaient. De nos jours, il ne faut pas oublier non plus que le mouvement anarcho-punk a d’ores et déjà ouvert des pistes en la matière : hormis le concept de TAZ déjà évoqué, il y aussi la philosophie do it yourself (DIY) avec ses formules choc telles que « ne haïssez pas les médias, devenez les médias » ! Or aujourd’hui, d’après mon appréciation, la sécurité serait un bon point de départ : prendre en main sa propre sécurité, c’est prendre conscience que JE suis le premier responsable de mon propre destin ! En effet, comme dans toute grande transformation, la « reconnaissance précède la connaissance » (Th. Gaudin); en d’autres termes c’est la prise de conscience qui est le prérequis de l’action (qui, à son tour, a besoin ensuite d’un discours pour se légitimer dans la durée).

    TB : Comment voyez-vous la Défense citoyenne comme réponse au tout sécuritaire centralisé (de plus en plus liberticide) par l’Etat ?

    BW : Comme je l’ai dit plus haut à propos de la Renaissance italienne, ma démarche est foncièrement machiavélienne : je me préoccupe de la liberté républicaine (au sens de participation effective à la gestion des affaires communes). Dans cette optique, la dérive sécuritaire de l’Etat moderne est très préoccupante; les criminologues parlent désormais à ce sujet du passage à un Etat pénal-carcéral, c’est-à-dire une réorientation du monopole de la violence légitime non plus vers l’ennemi extérieur commun, vers la guerre extérieure mais vers l’intérieur, vers la population en général. L’Etat pénal-carcéral tend ainsi à déployer un dispositif sécuritaire ne visant plus à réprimer le crime et les criminels mais ciblant tout citoyen quel qu’il soit, au prétexte qu’il pourrait, un jour, avoir un comportement déviant. On parle aussi à cet égard de « nord-irlandisation » de l’Etat moderne avec la mise en place de lois d’exception, d’un système de surveillance omniprésent (caméras, portiques de sécurité, etc.) et d’une militarisation des forces de police. On le constate, l’Etat pénal-carcéral a besoin d’un « ennemi intérieur » pour fonctionner, pour pouvoir cristalliser les peurs et justifier de la sorte le renforcement des mesures coercitives… il y a risque que le citoyen ne devienne cet ennemi. Rappelons au passage que l’Etat moderne n’est pas démocratique par essence; la citoyenneté, la représentation, la souveraineté populaire sont le fruit d’une négociation, voire d’une lutte dans laquelle les populations ont été en mesure de « faire le poids » dans ce rapport de force avec l’Etat. Le citoyen-soldat a été un élément clef de ce marchandage, de cette affirmation démocratique…. qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

    C’est vis-à-vis de cette réalité que le cadre de raisonnement élaboré par Machiavel m’interpelle si fortement. Le Chancelier florentin s’est trouvé confronté à une situation très similaire avec les menaces qui pesaient sur la liberté à son époque (les oligarchies en place et le recours à des mercenaires). Dans sa réflexion, il établit à ce sujet un champ d’oppositions paradigmatiques qui se révèle très précieux : liberté/tyrannie; armée de citoyens/prétoriens; république/empire; vertu/corruption. Un tel cadre permet de répondre aux objections que j’entends souvent – « hors de l’Etat point de salut ! ». Machiavel nous indique ainsi que la communauté doit s’organiser avant tout en fonction de la liberté et de ses présupposés plutôt que selon un principe étatique moderne qui peut se révéler liberticide !

    TB : Monsieur Wicht, nous vous remercions pour cet entretien.

    Bernard Wicht, propos recueillis par Stéphane GAUDIN (Theatrum Belli, 7 octobre 2013)

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  • Rencontre avec Aymeric Chauprade...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Aymeric Chauprade, réalisé par l'équipe de Fdesouche à l'occasion de la sortie de la nouvelle édition de Chronique du choc des civilisations (Edition Chronique, 2013).

     


    Entretien avec Aymeric Chauprade par Pierre_Premier

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  • Panorama du Moyen-orient avec Georges Corm...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Georges Corm, consacré à la situation du Moyen-Orient, signalé par Voxnr et cueilli sur Le site Les clés du Moyen-Orient... On notera que l'entretien, qui date de juin dernier, prévoit avec beaucoup de lucidité les événements actuels...

    Économiste libanais, ancien ministre, Georges Corm est l'auteur de nombreux ouvrages consacrés à l'économie ou à l'histoire du Proche-Orient (en particulier, sa somme intitulée Le Proche-Orient éclaté, régulièrement mise à jour). Un de ses derniers essais importants, intitulé Le nouveau gouvernement du monde - idéologie, structures, contre-pouvoirs, a récemment été réédité en collection de poche aux éditions de La découverte.


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    Le Moyen-Orient est en pleine recomposition. Comment expliquez-vous cette évolution ? Etait-elle en germe, et depuis quand ?

    Il y a beaucoup d’observateurs qui pensent en effet que nous sommes dans l’ère de la fin des accords franco-britanniques dits Sykes-Picot (1916) qui ont balkanisé ce qu’on appelait, au début du siècle passé, les provinces arabes de l’Empire ottoman. Ou d’autres qui parlent de période de transition de régimes autoritaires vers des régimes de type démocratique. Je pense que dans les deux cas, nous sommes loin de tels scénarios. En effet, la remise en cause des Etats existants paraît quand même assez difficile, sauf à généraliser des situations de chaos partout. Si nous prenons le modèle syrien, ou éventuellement le modèle libyen où il y a emploi massif d’armes venues de l’extérieur, à la limite on peut dire qu’il y a des zones d’influences qui se mettent en place sous l’égide des grands acteurs régionaux et internationaux. Mais enfin je ne vois pas d’Etats disparaître de la carte et de nouveaux Etats être créés et reconnus, comme cela a pu être le cas avec l’ex-Yougoslavie. Probablement si nous étions en contact géographique direct avec l’Europe, ceci aurait pu arriver, mais sur l’autre rive de la Méditerranée cela paraît quand même nettement plus difficile. D’un autre côté, pour ce qui est de la transition vers la démocratie, le problème qui se pose aujourd’hui est essentiellement celui de la nature des mouvances islamiques sur lesquelles les milieux européens et américains ont misé depuis bien des années. Ces mouvances, trop souvent idéalisées, ont désormais montré leur vrai visage, celui d’un autoritarisme et d’un désir de contrôle des libertés individuelles.

    Nous avons donc un problème aigu, important, qui va déterminer l’avenir : est-ce que les mouvances de type modernistes, laïques ou attachées aux libertés individuelles et qui refusent le référent religieux dans le fonctionnement d’un système politique vont pouvoir s’affirmer face aux mouvances islamiques ? On peut être inquiet si l’on prend en compte le fait que ces dernières jouissent jusqu’ici de l’appui total de l’Occident et qu’elles bénéficient en outre de très importants financements en pétrodollars, en provenance des royautés et émirats pétroliers alliés des Etats-Unis et de l’Europe. Ce sera donc une très longue bataille, très intéressante. C’est cette bataille qui va décider du sort du monde arabe et de la possibilité pour ces pays arabes d’établir non seulement de véritables règles démocratiques, mais aussi une véritable indépendance par rapport aux forces régionales et internationales.


    Concernant la crise syrienne, de nombreux acteurs sont impliqués (Qatar, Arabie Saoudite, Turquie, Israël). Pourquoi ?

    Mais vous avez oublié dans cette liste la France, l’Angleterre, les Etats-Unis ! J’ai eu l’occasion d’expliquer dans diverses interviews que dès le départ, il y a une différence fondamentale entre la révolte syrienne et ce qui s’est passé en Tunisie, en Egypte et au Yémen. En Syrie, vous aviez un malaise rural important depuis 2007, du fait d’une série d’années de sècheresse, puis du fait que le gouvernement a voulu faire plaisir au Fonds Monétaire International et aux pays occidentaux, et qui s’est mis à supprimer pas mal des subventions dont jouissait l’agriculture. Les observateurs de terrain en Syrie savaient que le monde rural, autrefois très privilégié par le régime et qui avait longtemps constitué sa base essentielle, commençait vraiment à connaître un état de mécontentement grandissant.

    Quand vous regardez où ont eu lieu les manifestations en Syrie, quelle était la composition sociale des manifestants et quel était leur nombre, on voit bien qu’ils étaient des ruraux pauvres dans des régions rurales pauvres périphériques, situées aux frontières avec la Jordanie et la Turquie. Les images parlaient d’ailleurs d’elles-mêmes. Elles contrastaient avec les grandioses manifestations de masse, tunisiennes, yéménites ou égyptiennes, où tous les groupes sociaux et toutes les classes d’âge étaient au rendez-vous. On a très vite assisté à l’arrivée d’armes aux mains des groupes d’opposants qui se sont constitués sur le terrain. De plus, il y a eu le déchaînement d’une guerre médiatique absolument spectaculaire contre le régime syrien. Or, les manifestations de masse en Syrie ont eu lieu en faveur du régime et contre l’opposition armée ; dans ces manifestations on a vu toutes les classes sociales, tous les groupes d’âge et de très nombreuses femmes…

    C’est donc une différence absolument fondamentale par rapport aux autres situations de révoltes dans le monde arabe. Par ailleurs, l’armée ne s’est nullement effondrée et elle a fait face avec de plus en plus de détermination et de violence à l’arrivée, de l’international, de combattants qu’on appelle à tort Djihadistes, parce que lorsque des musulmans tuent d’autres musulmans, cela n’est pas un djihad. On a donc eu en Syrie un scénario qui s’est mis en place qui est en train d’aboutir à une destruction systématique de la société syrienne et de sa richesse matérielle (infrastructures, habitations, potentiel industriel). C’est une répétition de ce que la communauté internationale a fait subir à l’Irak et demain nous verrons – comme cela s’est passé en Irak ou auparavant au Liban – que sous prétexte de reconstruction, le pays sera pillé par des grosses entreprises de BTP arabes ou turques ou internationales. On a déjà vu cela au Liban où, au sortir des quinze ans de violence entre 1975 et 1990, le pays a été enfoncé dans une dette invraisemblable et où après vingt-deux ans de reconstruction il n’y a toujours pas d’eau ou d’électricité courantes ! Et en Irak, malgré son énorme richesse pétrolière, les grandes infrastructures d’eau et d’électricité ne sont toujours pas complètement reconstruites. Il faut donc s’attendre à un même scénario en Syrie.

    Par ailleurs, il faut bien voir que les données internes syriennes sont tout à fait secondaires dans le conflit, car la Syrie est devenue un champ d’affrontement colossal entre, d’un côté les deux grandes puissances montantes, la Chine et la Russie, ainsi que l’Iran, et de l’autre les pays occidentaux, l’OTAN… dont le but est très clairement de faire sauter les derniers verrous anti-israéliens de la région, ces derniers verrous étant essentiellement constitués de l’axe Iran-Syrie-Hezbollah qu’on appelle, pour le dénigrer et pour donner dans le sensationnel, « l’arc chiite ». Beaucoup d’analyses se font à base de sensationnel communautaire qui est instrumentalisé pour faire croire que le conflit est entre chiites et sunnites à l’échelle régionale, alors qu’il s’agit d’un problème de géopolitique très profane. Il y a aussi des considérations pétrolières et gazières qui entrent en jeu.

    Pensez-vous qu’un embrasement régional pourrait avoir lieu dans le contexte de la crise syrienne, notamment au Liban ?

    Déjà en 2007, dans la revue Futurible, j’avais évoqué un scénario de troisième guerre mondiale éventuelle, déclenchée autour la question du développement de la capacité nucléaire iranienne. Car les passions anti-iraniennes étaient déjà d’une virulence peu commune qui n’a pas baissé de registre. Le reproche fait à l’Iran étant sa rhétorique anti-israélienne et surtout son aide au Hezbollah libanais passant par la Syrie. Aussi, l’axe Iran, Syrie, Hezbollah est-il considéré depuis des années comme à abattre dans les milieux de l’OTAN. Or, il faut bien voir que même si cet axe est réduit ou affaibli ou disparaît, il rebondira ou sera reconstitué différemment, et ceci tant que l’Etat israélien continuera de se comporter comme il se comporte vis-à-vis des Palestiniens qui continuent d’être dépossédés de ce qu’il leur reste de terre, mais aussi vis-à-vis des Libanais qu’ils ont énormément fait souffrir entre 1968 (date du premier bombardement contre le pays) et 2000, lorsque l’armée israélienne est forcée de se retirer du pays après 22 ans d’occupation, puis tente en 2006 de supprimer le Hezbollah par une série de bombardements massifs qui durent 33 jours.

    On a déjà assisté, à plusieurs reprises, à l’espoir d’avoir « débarrassé » le Moyen-Orient des forces hostiles à la domination israélo-américaine de la région. Ils ont tous été déçus. Cela a été le cas lors de la seconde invasion du Liban par Israël en 1982, qui a abouti à l’exil de l’OLP en Tunisie et dans d’autres pays loin des frontières israéliennes. Puis, cela a été le cas avec la conférence de Madrid et les accords israélo-palestiniens d’Oslo en 1993. Enfin cela a recommencé avec l’invasion de l’Irak en 2003 qui a fait penser que le Moyen-Orient serait en paix grâce à l’élimination de Saddam Hussein. C’est pour cela que je parle des « passions » américaines et européennes en faveur d’Israël, qui empêchent toute possibilité raisonnable de rendre aux Palestiniens leurs droits. Tant que cette situation n’est pas réglée conformément aux lois internationales, et non pas par la force, le Moyen-Orient va rester en ébullition avec tous ces risques d’affrontements dont nous parlons, et qui peuvent effectivement s’embraser.

    Ceci dit, il faut bien voir que dans ces passions, la folie n’est pas totale, c’est-à-dire que les Etats-Unis, après des déploiements militaires qui leur ont coûté énormément (Afghanistan et Irak) et où curieusement ils ne sont pas venus à bout de Al Qaïda, n’ont plus envie d’aventures militaires extérieures. Ce qui est une bonne chose. Maintenant, ils ont trouvé des relais régionaux qui sont notamment la Turquie, qui avait l’air prête à se battre jusqu’au bout contre la Syrie, quatre ans seulement après avoir signé des accords de coopérations, d’amitiés, de fraternité, de libre échange avec ce pays. Ils ont trouvé également les pétrodollars qui financent les armées de combattants venus de l’extérieur.

    L’on s’attendait, dans ces Etats intervenants extérieurs, à ce que l’armée syrienne s’effondre rapidement et tout le régime avec. Mais cela n’est pas arrivé, à la surprise générale de tous ceux qui connaissaient très mal le contexte syrien. Et aujourd’hui, l’armée semble reprendre le dessus militairement. Toutefois, tant que le gouvernement syrien ne pourra pas contrôler ses frontières, qui sont très longues avec la Turquie, l’Irak, la Jordanie et le Liban, les combats et la destruction de la Syrie vont continuer. Quant à ce projet de conférence à Genève, ce n’est qu’un mauvais théâtre. Il me rappelle celui d’il y a quarante ans, lorsque les soviétiques réclamaient une conférence internationale sur la Palestine à laquelle ils se seraient associés. Or, il n’y a eu qu’une seule séance orpheline d’apparat, les Américains et les Israéliens ne souhaitant pas accorder de l’influence à l’URSS dans ce conflit. Donc je suis très sceptique face à ce projet de conférence. Jusqu’ici, nous voyons des rencontres américano-russes sur la Syrie pour organiser une conférence entre les parties au conflit, mais sitôt la réunion terminée, les déclarations des parties au conflit contredisent la volonté d’apaisement.

    Concernant les retombées sur le Liban, elles sont très intéressantes. Le gouvernement libanais a prétendu sagement vouloir rester neutre dans le conflit syrien. Ceci en application du slogan qui existe depuis des années : « le Liban d’abord ». Il s’agit d’ailleurs d’un slogan que même l’OLP avait adopté après sa sortie de Beyrouth en 1982 en vertu duquel « la Palestine d’abord ». On le trouve aussi en Irak après l’invasion américaine et on l’entend dans les milieux de l’opposition syrienne. Or, l’on a vu combien ce slogan a abouti à affaiblir les dirigeants de l’OLP qui sont impuissants devant la colonisation, mais à affaiblir aussi l’Irak.

    Au Liban, ceux qui ont porté ce slogan ne l’appliquent pas, puisqu’ils sont les premiers à s’impliquer militairement par l’envoi de combattants dans la situation syrienne, de même que le Hezbollah le fait, l’arrivée de son armement dépendant largement de la survie du régime syrien, et donc aussi à terme sa propre survie. C’est pourquoi je pense que l’insécurité va demeurer sur toutes les zones géographiques libanaises limitrophes à la Syrie, puisque les combattants vont et viennent. Tout cela alors que l’armée israélienne est toujours surpuissante et a vraisemblablement des velléités d’intervenir à nouveau au Liban dans l’espoir de réussir à faire disparaître le Hezbollah. Cependant, je ne pense pas que l’insécurité va se propager sur tout le territoire. Certes, il y a à Saïda ce cheikh salafiste, radical et anti-Hezbollah qui veut faire le coup de feu contre ce parti. Il est brusquement apparu sur la scène libanaise depuis un an, vraisemblablement financé par les pétrodollars saoudien ou Qatari. La ville de Saïda connaît donc une période troublée, mais dans l’ensemble, la population de la ville est calme, à l’inverse de la ville de Tripoli, qui peut se laisser gagner par le radicalisme islamique. Par contre, plus inquiétant est le délitement des institutions de l’Etat. Mais le Liban sait s’autogérer.


    Que pensez-vous de la situation du pouvoir hachémite en Jordanie ?

    Je crois que les Israéliens doivent continuer à se gratter la tête : faut-il essayer de faire un Etat palestinien en Transjordanie, ce qui est un vieille idée d’Ariel Sharon pour régler le problème palestinien, et ce qui permettrait du même coup d’expulser les Palestiniens restés dans ce qui est devenu le territoire d’Israël. Ou bien faut-il mieux conserver cet allié fidèle des Etats-Unis qu’est la monarchie jordanienne, qui garantit la sécurité de la frontière avec Israël. Mais comme je ne suis pas dans le secret de la pensée stratégique israélienne, je n’ai pas de réponse.


    Après le deuxième mandat de Barack Obama, voit-on un repositionnement de la politique américaine concernant le Moyen-Orient ?

    Non, quand on regarde les Etats-Unis et qu’on cherche à déterminer leurs objectifs principaux, on constate ceci : un, la sécurité d’Israël, et donc qu’Israël puisse continuer de coloniser comme elle le fait depuis 1967. Deux, empêcher l’Iran d’avoir l’armement nucléaire. Dans le sillage évidemment, démanteler l’axe Iran-Syrie-Hezbollah, et ce toujours pour la sécurité d’Israël. Et puis, le contrôle des routes d’approvisionnement pétrolier, et le maintien de l’hégémonie que l’Europe a eu puis que les Etats-Unis ont de concert avec l’Europe sur toute cette zone hautement stratégique pour l’économie et la géopolitique mondiales. C’est très simple à décrypter. Quand Barack Obama a fait son célèbre discours au Caire en 2009, il était dans la droite ligne de la politique américaine traditionnelle, il n’en a pas bougé d’un iota. Ce n’est pas le fait d’inclure la citation de deux versets du Coran dans le texte du discours qui exprime un changement de politique, ce que peut être certains ont naïvement pensé ! Mais simplement les Etats-Unis, comme je disais, sont aujourd’hui beaucoup plus prudents, et cet Etat n’a pas envie de nouvelles aventures militaires extérieures, ce qui est le facteur qui calme le jeu. En tous cas, entre la politique du président George W. Bush et celle de Barack Obama, les mêmes constantes sont affirmées. Lors de son récent voyage en Israël, ce dernier a prononcé des paroles inconditionnellement favorables à l’Etat d’Israël et à sa politique, comme l’ont fait tous les présidents successifs, à l’exception d’Eisenhower et plus accessoirement George Bush père et son ministre des Affaires étrangères, James Baker, qui a protesté énergiquement contre la continuation de la colonisation et a même annulé des aides américaines à l’Etat d’Israël.

    Georges Corm, propos recueillis par Sixtine de Thé (Les clés du Moyen-Orient, 21 juin 2013)

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