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  • Ils ont tué tous les héros !...

    Les éditions Le Passeur viennent de rééditer un essai de Jean-Claude Guilbert, publié initialement en 1978 et intitulé Ils ont tué tous les héros. Aventurier et journaliste, Jean-Claude Guilbert est notamment l'auteur d'une biographie d'Hugo Pratt et a signé avec Gérard Chaliand et Patrice Franceschi, De l'esprit d'aventure (L'aube, 2008).

     

     

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    " Nous sommes trop lâches, trop gras, trop mous. Nous avons perdu depuis un certain jour du Moyen Âge le goût du serment. Nous ne respectons plus la parole donnée et — sous prétexte de réalisme — laideur, bassesses et compromissions envahissent notre vie quotidienne.

    De ce pamphlet aux multiples facettes se dégage une question fondamentale: à force de pensées, sommes-nous devenus avares de notre courage ? Jusqu’où l’égoïsme intellectuel et sa fille naturelle, la lâcheté physique, nous conduiront-ils ? Faut-il choisir le geste ou le discours ? Et ces deux positions, apparemment contradictoires chez l’homme occidental moderne, sont-elles vraiment irréconciliables ?

    En 1976, avec Ils ont tué tous les héros, Jean-Claude Guilbert renouvelait l’essai, ensoleillait la colère, malmenait notre quotidien et lançait un appel romantique prémonitoire à ses contemporains. « Il faut agir et réagir, dit-il, afin que nos quatre vérités d’aujourd’hui ne deviennent pas nos remords de demain. » Sur ce sujet grave, inquiétant et totalement d’actualité si l’on observe les mœurs contemporaines, l’auteur se révèle visionnaire. Un pamphlet salvateur ! "

     

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  • Marc Lévy et Victor Hugo...

    Nous reproduisons ci-dessous la dernière chronique de Richard Millet, cueillie sur son site et consacrée à la dégénérescence des goûts culturels des Français. Cruel et réjouissant...

    Auteur de nombreux romans, récits et essais, Richard Millet vient de publier récemment le Dictionnaire amoureux de la Méditerranée (Plon, 2015) et Solitude du témoin - Chronique de la guerre en cours (Léo Scheer, 2015).

     

     

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    Henri Dutilleux

     

    Marc Levy et Victor Hugo

    Eclairant, le sondage réalisé pour Le Figaro sur les goûts littéraires des Français : d’après cette consultation para-démocratique (un sondage ayant valeur de journal quasi-officiel), il ressort que les écrivains préférés des Français sont, pour les vivants, Marc Levy, Jean d’Ormesson, Guillaume Musso, Max Gallo et Amélie Nothomb. Pour les morts : Victor Hugo, Marcel Pagnol, Jules Verne…

    Si ce sondage est reçu sans sourciller par le monde littéraire comme par les honnêtes gens, c’est que la cause est entendue : la « littérature française » est une grande famille sympa et tolérante, qui ne saurait exclure personne ni stigmatiser aucun de ses membres, appartinssent-ils à la sous-littérature, comme c’est le cas de quatre des cinq premiers écrivains vivants – d’Ormesson étant un cas à part, un écrivain sans importance, qui représente une littérature bourgeoise depuis longtemps disparue, et justement aimé pour cela : le Paul Bourget de notre temps, le corpus ormessionnien pouvant se ranger sous ce générique : Mon dernier pet sera pour vous, le comte d’Ormesson étant d’ailleurs appelé à bientôt péter dans la soie de la Pléiade, c’est-à-dire plus haut que son cul.

    Dans ce « peloton de tête », on s’étonnera de ne trouver ni Das Klezio ni Modiano, pourtant nobélisés, non plus qu’aucun représentant de la « diversité » ethnique ou sexuelle – la femme Nothomb sauvant l’honneur de l’ex-« beau sexe » devenu le sexe fort et puissamment représenté dans la production romanesque. Sans doute est-on allé au plus lisible, les « Français » ayant donné là leurs « coups de cœur », encore que Levy et  Musso soient l’exemple même de l’illisibilité contemporaine.

    La même confusion vaut pour la liste des morts, qui mêle trois degrés de l’échelle littéraire. Gageons que, de Hugo, on ne connaît plus que des résumés des Misérables, peut-être Ruy Blas revu par Oury et de Funès, et quelques poèmes. Jules Verne est, lui, aussi un véritable écrivain, sans doute inclassable. Quant à Pagnol, c’est un bon cinéaste.

    Nous touchons donc le fond : la faute en incombe non seulement à la presse dite littéraire qui s’emploie à mettre sur le même plan tous les « auteurs » afin de les faire accéder au statut d’écrivains, mais aussi à l’Education nationale qui, non contente de ne plus fournir d’échelle historique aux élèves, réduit leur jugement esthétique à la binarité « j’aime/j’aime pas », laquelle interdit évidemment toute évaluation critique qui puisse être vécue comme stigmatisante.

    Il en va de ce sondage comme des « personnalités préférées » des Français : on en a honte – et l’un des effets de cette honte est d’empêcher qu’on se sente encore français. Comment être, en effet, le concitoyen de Marc Levy et de Yannick Noah ? Imaginons un étranger lisant le résultat de ces sondages : il constatera que la France n’existe plus ; et il aura raison. Autant être maltais, chypriote ou australien.

    Dans le même temps, de bons musulmans afghans tuaient à coups de pied une femme accusée d’avoir profané le coran, de bons sunnites abattaient 142 mauvais chiites dans des mosquées de Sanaa, et la mémoire d’Henri Dutilleux, un des plus grands compositeurs du XX° siècle, était de nouveau offensée par le pouvoir socialiste, qui a décidément du mal avec lui : l’auteur de Métaboles et de Timbre Espace Mouvement (titres élitistes, discriminatoires !) avait eu le mauvais goût de mourir, en 2013, le même jour que le chansonnier Georges Moustaki, ce qui explique qu’il n’y ait eu, à ses obsèques, pas même un sous-secrétaire d’Etat. J’ignore par ailleurs si le pouvoir moustakiste a dépêché quelqu’un aux obsèques de Demis Roussos… Le cas Dutilleux n’est cependant pas réglé : un certain Christophe Girard, commissaire politique de la mairie de Paris, vient d’empêcher qu’on appose une plaque commémorative sur la maison habitée par le compositeur, dans l’île Saint-Louis, sous le prétexte que Dutilleux a composé, au temps du Maréchal, la musique d’un film destiné à la jeunesse vichyste. Suggérons à ce fasciste culturel d’étendre son prurit épuratif à tous les lieux parisiens portant les noms d’Aragon, d’Eluard, de Beauvoir, de Sartre et de tous ceux qui se sont compromis avec le totalitarisme communiste ou qui ont été joués sous l’Occupation : ce ne serait que justice. Il est vrai que la schizophrénie politique de gauche se double d’une volontaire confusion des valeurs qui rend possible le sondage du Figaro ou le fait que la première manifestation de la Philharmonie de Paris, grandiose salle vouée à la musique classique, soit une exposition consacré à David Bowie, qui est à la musique ce que les romanciers post-littéraires sont à la vraie littérature. A-t-on par ailleurs vu les écrivains bowifiés protester contre l’affront posthume fait à Dutilleux? Ils ne savent même pas qui est ce compositeur. Tel est l’état de la culture, en France.

    La plaque commémorative consacrée à Dutilleux portait ce texte : « Compositeur de musique contemporaine », autant dire : « Passant, oublie Dutilleux, il composait une musique inaudible du bon peuple métissé, post-moderne, démocratique »… Au moins le compositeur aura-t-il échappé à ce ridicule.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 21 mars 2015)

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  • La revanche du nationalisme ?...

    Les Presses universitaires de France viennent de publier un nouvel essai de Pierre-André Taguieff intitulé La revanche du nationalisme - Néopopulistes et xénophobes à l'assaut de l'Europe.

    Philosophe, politologue et historien des idées, Pierre-André Taguieff est directeur de recherche au CNRS et est l’auteur de plusieurs essais importants et souvent décapants  comme La Force du préjugé - Essai sur le racisme et ses doubles (La découverte, 1988), Résister au bougisme (Mille et une Nuits, 2001), Les Contre-réactionnaires : le progressisme entre illusion et imposture (Denoël, 2007), Julien Freund, au cœur du politique (La Table ronde, 2008) ou , récemment, Du diable en politique - Réflexions sur l'antilepénisme ordinaire (CNRS, 2014). Il a également noué un dialogue critique avec la Nouvelle droite, notamment au travers de son essai Sur la Nouvelle Droite - Jalons d'une analyse critique (Éditions Descartes et Cie, 1994).

     

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    " Depuis le milieu des années 1980, les formations politiques dites « populistes » ou « néopopulistes » de droite, sans perdre leur dimension protestataire et anti-élites, sont devenues de plus en plus identitaires, anti-européistes et anti-immigrés. On peut y voir l'apparition de nationalismes non classiques, qui ont substitué aux visées expansionnistes ou impérialistes des préoccupations défensives ou conservatrices, centrées sur la préservation des identités collectives supposées menacées.
    Dans ces nouvelles mobilisations nationalistes qui séduisent de plus en plus de citoyens, l'orientation xénophobe est moins politique que culturelle. L'ennemi principal n'est plus le pays voisin, rival menaçant, mais l'ensemble des forces et des flux censés mettre en péril les manières de vivre, de penser et de sentir des citoyens de telle ou telle communauté nationale. C'est à ce titre que l' « américanisation » ou l' « islamisation » des moeurs sont dénoncées. Loin d'avoir mis fin aux mobilisations nationalistes, la construction européenne et la mondialisation sont devenues les principales causes de ces réactions nationalistes non prévues par les experts. Cette évolution de nombreuses formations politiques vers une nouvelle forme de nationalisme, un néonationalisme idéologiquement compatible avec le néolibéralisme comme avec le social-étatisme (l'État-providence), a été masquée par le style populiste de leurs leaders, pratiquant l'appel au peuple contre le « système » ou les élites dirigeantes, ainsi que par un étiquetage polémique consistant à les inclure dans la catégorie diabolisante d' « extrême droite », interdisant toute analyse fine et non biaisée de leurs conditions d'apparition, de leurs traits distinctifs et des facteurs de leurs succès électoraux. Il est contre-productif de dénoncer ces formations politiques comme anti-démocratiques, alors que la plupart d'entre elles exigent plus de démocratie et d'engagement civique que n'en permettent aujourd'hui les démocraties représentatives, minées par l'érosion de la confiance entre gouvernants et gouvernés. S'il est légitime de s'interroger, non sans inquiétude, sur cette grande vague national-populiste qui balaie l'Europe depuis une trentaine d'années, il faut aussi reconnaître que la séduction croissante de ces mobilisations idéologiquement nationalistes et rhétoriquement populistes constituent un défi pour tous les citoyens soucieux de revivifier la démocratie sans restreindre le champ des libertés individuelles. "

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  • Carl Schmitt, un Prussien catholique...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec David Cumin, cueilli sur l'excellent site Philitt et consacré au juriste et politiste allemand Carl Schmitt. Juriste, maître de conférence à l'université Jean Moulin de Lyon, David Cumin est un connaisseur de l’œuvre de Carl Schmitt auquel il a consacré une biographie intellectuelle et politique (Cerf, 2005). Spécialiste du droit de la guerre, il est l'auteur d'un copieux manuel publié aux éditions Larcier, qui fait déjà référence, et également d'une Histoire de la guerre (Ellipses, 2014).

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    Entretien avec David Cumin : « Carl Schmitt est un catholique prussien, un Prussien catholique. »

    PHILITT : Dans votre biographie politique et intellectuelle de Carl Schmitt, vous relativisez sans occulter le rôle qu’il a joué dans l’administration du IIIe Reich. Pourquoi réduit-on l’œuvre de Schmitt à cet épisode, et pourquoi est-ce, selon vous, une erreur ?

     

    David Cumin : J’ai été le premier en France, dans ma thèse soutenue en 1996 à démontrer l’engagement de Carl Schmitt dans le IIIe Reich. Autrefois, cet engagement était plus ou moins occulté, négligé voire oublié. Et c’est en 1994 à la bibliothèque universitaire de Strasbourg que j’ai exhumé tous les textes de Carl Schmitt juriste et politiste de la période qui s’étend de 1933 à 1945. Personne ne l’avait fait depuis la Libération, et c’est en lisant, traduisant, analysant ces textes que j’ai pu avérer ce fait là.

     

    Son engagement a été très fort, mais on ne peut pas réduire la production intellectuelle de Schmitt aux années 1939-1945. Il a écrit avant et après cette période, et il y a des points de ruptures certes, mais aussi une vraie continuité sur certains sujets. Par exemple après 1933, par opportunisme, il intègre la doctrine raciale dans sa conception du droit et de la politique, mais de façon superficielle et controversée. Controversée par les nationaux-socialistes eux-mêmes ! On lui reprochera, à la suite d’une enquête de la SS en 1936, d’être un vrai catholique et un faux antisémite. Dès lors, sa carrière est bloquée. Il aurait peut-être apprécié d’être le juriste du IIIe Reich, mais il n’y est pas parvenu, parce que sa conception raciale était superficielle. Le véritable juriste du IIIe Reich était un rival de Schmitt : Reinhard Höhn.

     

    Si on réduit le personnage et son œuvre à cette période c’est évidemment pour des raisons polémiques, pour les discréditer. Et pourtant, nombreux sont les critiques de Schmitt qui ne connaissent pas ses écrits de la période 1939-1945, qui n’ont toujours pas été traduits pour nombre d’entre eux. Il y a d’ailleurs des textes de cette période qui n’ont rien d’antisémites ou de raciaux, notamment sur le concept discriminatoire de guerre qui reste un texte majeur de droit international.

     

    PHILITT : Voyez-vous une contradiction entre l’héritage intellectuel des grands penseurs politiques classiques (Hobbes, Thucydide, Machiavel, Bodin) porté par Carl Schmitt d’une part, sa catholicité d’autre part, et son adhésion au NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) ?

     

    David Cumin : Effectivement, Schmitt est un classique, imprégné de culture française, latine, catholique. Il a pour références Bonald, Maistre, Cortès… C’est un Européen catholique ! Mais en même temps il est un nationaliste allemand. Et il se trouve qu’il a, en 1933, les mêmes ennemis qu’Hitler. Il est contre Weimar, contre Versailles et contre le communisme. Or, c’est à ce moment qu’il arrive au sommet de sa carrière, mais il doit concilier sa culture classique et sa catholicité avec son adhésion au NSDAP. Même si ce dernier n’est pas anticatholique dès 1933 puisqu’un Concordat relativement favorable à l’Église catholique est signé, le problème se pose plus tard, et se cristallise autour du problème de l’embrigadement de la jeunesse. Cette lutte contre l’Église met Schmitt dans une situation inconfortable, mais il la surmonte : depuis toujours il a connu la difficulté d’être à la fois catholique et prussien de naissance. En 1938 dans un livre sur Hobbes il formule une critique de l’Église qu’il accuse d’avoir une influence indirecte ou cachée, lui qui faisait l’éloge d’une autorité visible. Mais définitivement, Schmitt est un paradoxe ! Tout en étant catholique, il a divorcé. Ses deux épouses étaient des orthodoxes serbes, autre paradoxe… Mais ce qui est absolument essentiel chez Schmitt, c’est l’ennemi. Pour lui l’ennemi primait sur tout, il disait :  « l’ennemi est la figure de notre propre question ».

     

    PHILITT : Faut-il donc considérer la pensée de Schmitt, et celle de la Révolution conservatrice allemande de manière globale, comme un réel moteur du NSDAP ou comme une simple caution intellectuelle ? 

     

     

    David Cumin : Ce n’est pas un moteur, ce n’est pas non plus une caution. C’est davantage une connivence. Le NSDAP est un parti de masse, un parti de combat, mais qui n’a pas de réelles idées neuves. Toute la production intellectuelle est due à la Révolution conservatrice allemande, pour autant beaucoup d’auteurs sont distants : Ernst Jünger se distingue immédiatement, Martin Heidegger s’engage mais sera vite déçu. Carl Schmitt est peut-être celui qui s’est le plus engagé, mais comme nous l’avons dit dès 1936 sa carrière est bloquée. Et n’oublions pas que le NSDAP est composé, tout comme la Révolution conservatrice allemande, de différents courants. Par exemple certains sont catholiques, d’autres se réclament du paganisme etc…

     

    Mais il y a tout au plus des passerelles, des connivences, le principal point commun étant le nationalisme et l’ennemi : Weimar, Versailles, le libéralisme et le communisme. D’ailleurs, le NSDAP méprisait les intellectuels, et plus particulièrement les juristes. Encore un problème pour Schmitt, donc.

     

    PHILITT : Une erreur du NSDAP n’est-elle pas d’avoir voulu bâtir une notion d’État stable et pérenne sur des idées (celles de la Révolution Conservatrice Allemande) nées d’une situation d’urgence et d’instabilité, celle de l’entre-deux guerres ?

     

    David Cumin : Effectivement, des deux côtés il y a une pensée de l’urgence, de l’exception, de la crise, de la guerre civile. Les partis communistes, socialistes, le NSDAP, ont tous à l’époque leurs formations de combats. Mais attention sur la question de l’État. Si la plupart des conservateurs, comme Schmitt, mettent au départ l’accent sur l’État, le NSDAP lui met le Volk, le Peuple, la race, au centre. Et après 1933, Schmitt va désétatiser sa pensée : il théorise la constitution hitlérienne selon le triptyque État – Mouvement – Peuple. L’État n’est plus qu’un appareil administratif, judiciaire et militaire. C’est donc le parti qui assume la direction politique, et la légitimité est tirée de la race, du peuple. L’État est en quelque sorte déchu, et le Peuple est réellement au centre. Schmitt pense alors le grand espace, qui reste une pensée valable au lendemain de la guerre ! Dans le contexte du conflit Est-Ouest, ce n’est pas l’État qui est au centre mais c’est bien cette logique des grands espaces qui domine.

     

    PHILITT : Toujours s’agissant du contexte historique, l’appellation de Révolution conservatrice allemande est-elle justifiée ? Les penseurs de ce mouvement intellectuel peuvent-ils réellement être rangés dans le triptyque réaction/conservatisme/progressisme ou faut-il considérer ce mouvement comme spécifique à une époque donnée et ancrée dans celle-ci ?

     

    David Cumin : C’est un moment spécifique à une époque, en effet, et l’expression me semble très judicieuse. Armin Mohler, qui fut secrétaire d’Ernst Jünger, a écrit La Révolution conservatrice allemande en 1950, traduit en France une quarantaine d’années plus tard. C’est donc lui qui a forgé l’étiquette, qui me semble très appropriée. Ce sont des conservateurs, qui défendent les valeurs traditionnelles, mais ils sont révolutionnaires dans la mesure où ils luttent contre la modernité imposée à l’Allemagne (le libéralisme, le communisme). Ils sont révolutionnaires à des fins conservatrices. Ils admettent la modernité technique, qui les fascine, mais veulent la subordonner aux valeurs éternelles. Leurs valeurs ne sont pas modernes. Et ce qui est intéressant, c’est qu’ils s’approprient les concepts modernes de socialisme, de démocratie, de progrès notamment, pour les retourner contre leurs ennemis idéologiques. Par exemple la démocratie pour Schmitt n’est pas définie comme le régime des partis, la séparation des pouvoirs, mais un Peuple cohérent qui désigne son chef.

     

    PHILITT : Vous êtes professeur et auteur d’ouvrages sur l’Histoire de la guerre et le droit de la guerre et de la paix. Avec le recul, pensez-vous que les travaux de Schmitt (sur la figure du partisan, sur le nomos de la terre, par exemple) restent des clés de lectures valides et pertinentes après les bouleversements récents de ces deux domaines ?

     

    David Cumin : Absolument, Le Nomos de la terre et L’Évolution vers un concept discriminatoire de guerre restent deux ouvrages tout à fait incontournables. Le Nomos de la terre est absolument fondamental en droit international, en droit de la guerre. De même que la théorie du partisan, qui pourrait être améliorée, amendée, actualisée, mais demeure incontournable. On peut d’ailleurs regretter que ce ne soit que très récemment que les spécialistes français en droit international se soient intéressés à Schmitt. Pourtant il y a toujours eu chez lui ces deux piliers : droit constitutionnel et droit international. Par exemple, ses écrits sur la Société des Nations sont tout à fait transposables à l’ONU et donc tout à fait d’actualité.

     

    PHILITT : Peut-on considérer qu’il y a aujourd’hui des continuateurs de la pensée de Carl Schmitt ? 

     

    David Cumin : Schmitt a inspiré beaucoup d’auteurs, dans toute l’Europe. Il a été beaucoup cité mais aussi beaucoup pillé… Très critiqué également notamment par l’École de Francfort et Habermas qui a développé son œuvre avec et contre Schmitt. Un ouvrage britannique, Schmitt, un esprit dangereux, montrait bien toute l’influence de Schmitt dans le monde occidental et dans tous les domaines. Le GRECE et la Nouvelle Droite se sont réclamés de Schmitt, mais dans une perspective plus idéologique.

     

    Dans un registre plus scientifique, en science politique, Julien Freund a revendiqué deux maîtres : Raymond Aron et Carl Schmitt. Il en a été un continuateur. Pierre-André Taguieff a été inspiré par Schmitt également, et plus récemment Tristan Storme. Schmitt a influencé énormément d’auteurs à droite comme à gauche. Giorgio Agamben, Toni Negri, la revue Telos aux États-Unis située à gauche sont fortement imprégnés de l’œuvre de Carl Schmitt. On peut difficilement imaginer travailler sur le droit international sans prendre en considération l’œuvre de Carl Schmitt.

     

    PHILITT : Finalement, comment résumeriez-vous la pensée de Carl Schmitt ? 

     

    David Cumin : Tout le paradoxe de l’existence et de l’œuvre publiée de Schmitt se résume ainsi : Carl Schmitt est un catholique prussien, un Prussien catholique. Sa catholicité expliquant son rapport à l’Église qui est pour lui le modèle de l’institution. Son origine prussienne expliquant son rapport à l’État, et surtout à l’armée. Il avait donc ces deux institutions, masculines, pour références, qui fondent le parallèle entre la transcendance et l’exception. Les polémistes disent « Schmitt le nazi », ce qui correspond à une période de sa vie, où il n’était pas forcément triomphant. Je préfère parler du « Prussien catholique », qui met en exergue le paradoxe de son existence et de son œuvre toutes entières.

    David Cumin, propos recueillis par Valentin Moret (Philitt, 13 mars 2015)

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  • Identité ?...

    Le numéro 40 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, vient de paraître. Le thème retenu est celui de l'identité... Le sommaire est, comme toujours, particulièrement riche et comporte, notamment, un entretien avec Jean-François Mattéi.

    Le numéro est disponible à la commande sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

     

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    Alain de Benoist : Identité ?
    Jean-Claude Kaufmann : Identité individuelle et identité collective
    • Document : Charles Taylor : Le besoin de reconnaissance
    Claude Bourrinet : Quelle identité ?
    Philippe Forget : Liberté du peuple ou assignation identitaire ? Du leurre politique de l’identité originelle
    Jean-François Gautier : « Fluctuat nec mergitur » ou la nef de Thésée
    Alain Kimmel : Généalogie et histoire de l’identité française
    • Classique : Jules Michelet : La France devant l’Europe. « Voilà notre forte unité »
    Fabrice Valclérieux / Actualité et prégnance de la question identitaire en France
    Michel Drac : La nature de la France
    Claude Bourrinet : L’identité au milieu des ruines
    Louis Baladier : Littérature et identité
    Michel Mourlet : Cinéma et identité
    • Entretien avec Jean-François Mattéi : Sur l’identité européenne
    Jure Georges Vujic : Herder et Renan à l’heure globale. Identité et mémoire d’Est en Ouest
    Alain de Benoist : Problématique de l’identité juive
    • Le texte : Simone Weil : L’enracinement. « Toutes les fidélités, tous les attachements sont à conserver »

     

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  • Comment fabrique-t-on l'ennemi ?...

    Pierre Conesa, qui a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense et a récemment publié La fabrication de l'ennemi (Robert Laffont, 2012) a répondu aux questions de TV Libertés à l'occasion d'une conférence qu'il donnait à Paris, le 16 mars 2015, devant le Cercle Aristote. Il a évoqué à cette occasion la question de l'ennemi et de sa fabrication parfois intéressée, mais aussi les lois mémorielles ou les processus de réconciliation...

     

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