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  • Mondialisme et civilisation...

    Nous reproduisons ci-dessous une bonne analyse par Claude Bourrinet du projet civilisationnel du libéralisme mondialisé, qui a été publiée initialement sur Voxnr.

     

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    Mondialisme et civilisation
     
    Le libéralisme, comme le marxisme, issus tous deux de la même matrice rationaliste, se prévalant tous deux d’une scientificité qui rompt avec les « illusions » idéologiques du vieux monde, sources d’erreurs et d’anarchie, fonde son interprétation du monde et ses prédictions sur l’état des faits, c’est-à-dire, comme ultima ratio, sur la nécessité économique, qui indique un sens de l’Histoire. Bien plus que le marxisme néanmoins, qui « comprenait » l’existence de « superstructures » idéologiques, et les légitimait, du moins provisoirement en attendant la société sans classes, le libéralisme considère toute attache sociale, culturelle ou identitaire comme l’expression d’un retard archaïque, qui freine la fuite en avant vers une fin de l’Histoire, qui serait vraiment une gestion efficace des choses. Et davantage que le marxisme, il est messianique, et destructeur de la vie réelle des hommes.

    Dans un article paru le 5 mars dans la Tribune (1), Julia Cagé, enseignante à l’université de Harvard et à l’Ecole d’économie de Paris, nous livre une sorte de vulgate des certitudes libérales contemporaines, présentation qui n’échappe pas à la chaleur prosélyte que connaissent bien les prédicateurs.

    A vrai dire, les arguments assénés comme des vérités, nullement mis à l’épreuve par des hypothèses contraires, ne sont ni nouveaux, ni surprenants. Leur postulat repose sur le principe de la division mondiale du travail, véritable vache sacrée de la modernité conquérante, pour qui la réalité doit se réduire au domaine techno-économique, c’est-à-dire à l’action, au détriment de toute autre dimension civilisationnelle.

    L’article, dont le chapeau provocateur souligne l’inéluctable désindustrialisation de la France, considérée comme un bien (« En fait, c’est tant mieux »), et encore même comme l’objet de « discours dangereux », place l’accent sur la nécessité de l’innovation, domaine dans lequel notre pays a pris du retard (« C'est l'un des rares pays de l'OCDE dont la part de la R&D dans le PIB a reculé au cours des quinze dernières années. »), contrairement à l’Allemagne.

    Comme le note pertinemment notre jeune professeur, « on érige (un peu trop) souvent l'Allemagne en exemple ». En effet. On notera qu’il en est de même en matière fiscale ou éducative, contre tout bon sens parfois. A croire que nos amis d’outre Rhin, comme jadis, suscitent soit du ressentiment, soit une admiration hyperbolique.

    Quoi qu’il en soit, l’Allemagne aurait fait le choix, contrairement à la France, de l’ « outsourcing », d’une délocalisation sans complexes, « tout en maintenant sur les sites nationaux les étapes à haute valeur ajoutée ». Cette option aurait permis par la même occasion le maintien de l’emploi.

    Bien que le chômage reste chez nos voisins à un taux élevé, surtout si l’on ajoute les « emplois à un euro », il aurait été nécessaire de pousser un peu plus dans les causes concrètes des performances germaniques, qui se traduisent surtout dans le secteur des machines outils et dans les objets manufacturés de haute qualité. L’Allemagne a poursuivi une politique socio-économique drastique, avec une baisse des salaires conséquente, et surtout bénéficie de la vaste arrière-cour de l’Europe centrale, parfois imprégnée de culture et de langue allemande, pourvue d’ouvriers qualifiés et de salaires modestes, néanmoins avide d’une consommation en constante progression. Nous pourrions aussi ajouter à ces atouts le sérieux, la rigueur et le sens des responsabilités légendaires des Germains, un euro fort, aussi fort que l’ancien mark (les clients n’hésitent pas à payer cher de bons produits), et les perspectives prometteuses d’une ouverture, de longue date, à l’Est.

    Il va de soi que la politique extérieure catastrophique de la France durant la dernière décennie, qui a brûlé ses cartes au profit d’un alignement naïf au tout libéral, qui s’est empêtrée dans une politique intérieure démagogique ou impuissante, peut-être aussi parce que nous avons une classe dirigeante qui a perdu le sens du réel pour adopter une vision manichéenne, n’a pas multiplié les conditions pour muscler notre économie. Nos gouvernants le voulaient-ils ? Car, contrairement à ce qu’avance Julia Cagé, les concepts qu’elle avance sont entièrement partagés par eux.

    Si les investissements nécessaires à l’innovation scientifique et technologique ne se sont pas faits suffisamment, c’est qu’ils n’ont pas pu. Les raisons de cette impuissance ne résident pas uniquement dans le manque de volonté, mais sans doute dans l’inefficacité (relative) d’un système éducatif de plus en plus déficient, au manque de subventions (privées ou publiques), à la modestie d’un tissu de petites ou moyennes entreprises capables de mettre en valeur ces innovations, de les amortir et de créer des plus values, mais probablement aussi par l’appel d’air, surtout américain, qui suscite une « fuite des cerveaux », à la suite d’offres pécuniaires plus désirables et de meilleures conditions de travail.

    On voit par là que la concurrence entre nations très développées peut être féroce, et ne conduit pas mécaniquement à un « tous gagnants ». Il y a, il y aura des perdants, et la prise en considération de l’attrait exercé par certains pays, du fait de leur puissance, de leur « culture », de leur civilisation, n’est pas un moindre atout. Les pays anglo-saxons, singulièrement l’Amérique, sont bien placés pour attirer les spécialistes séduits par l’american way of life.

    On voit de même que l’économie ne peut pas être appréciée à l’exclusion des autres dimensions d’existence, et que l’environnement culturel, sociétal, peut être déterminent.
    Mais ce n’est pas là l’essentiel. Car les conséquences d’une acceptation des réquisits économistes comportent des dangers beaucoup plus importants que la simple baisse de productivité. D’ailleurs, plutôt que d’acceptation, ne faudrait-il pas parler de résignation ?

    Il est évident qu’en soi l’économie n’a rien à voir avec la morale. Du moins dans un premier temps, si on se laisse obnubiler par le charme des chiffres et des courbes. Ainsi la division mondiale du travail indique-t-elle, de façon logique, que les productions exigeant une main d’œuvre nombreuse et sous qualifiée, docile et malléable, peu exigeante en matière salariale et sommée de travailler dans des conditions parfois scandaleuses, place la Chine, l’Inde et d’autres pays « émergents » dans une situation plus intéressante que notre Europe qui subit le malheureux héritage d’un haut niveau de vie, d’une protection sociale enviable, de traditions de luttes syndicales dommageables, et de quelques droits protégeant les citoyens (comme celui de grève). D’une certaine manière (et d’ailleurs Juia Cagé site la firme Nike, ce qui n’est pas un hasard), l’économie globalisée contemporaine jouit de l’existence d’un esclavage qui ne dit pas son nom, cyniquement tenu sous silence, avec la complicité tacite de consommateurs enivrés par des produits peu chers.

    Mais foin de la morale ! même si le système libéral repose idéologiquement sur le dogme des droits de l’homme, et se trouve en l’occurrence gêné aux entournures.

    En revanche, il n’est pas sûr que le projet « civilisationnel » qu’il porte soit si pertinent que celui d’un vieux monde jugé obsolète.

    Les nouvelles technologies, comme l’iPhone, sont des paradigmes de l’économie « du XXIe siècle », gage d’un avenir qu’on voudrait idyllique. Evidemment, on n’insistera pas sur la masse des produits bas de gamme, qualitativement désastreux, réservés à des millions de consommateurs dont Julia Cagé ne parle pas, et pour cause.

    En admettant que cette économie avancée, technologiquement innovante, demandant une très haute qualification, soit l’avenir de la planète, il n’en demeure pas moins que les classes populaires des pays développés, qui n’auront pas la chance de se faire exploiter comme des serfs ainsi que leurs congénères asiatiques, resteront sur la touche. A trop loucher sur le PIB, la balance commerciale, on oublie le facteur humain. Du reste, si « une étude américaine a montré que les États-Unis capturaient la plus grosse partie de la valeur ajoutée produite par l'iPod, la Chine une toute petite partie seulement », est-on sûr que les classes populaires américaines en profitent ? Ne sont-ce pas plutôt les banques, les fonds de pension, qui ont investi dans ce secteur si alléchant ?

    L’hypothèse d’un secteur des services (banque, éducation, santé…) performant, susceptible de contrebalancer les pertes du secteur industriel n’est qu’un vœu pieux, ne serait-ce que parce que les pays émergents, comme l’Inde et le Brésil, commencent à faire aussi bien que nous, et surtout parce qu’il est très facile d’ « externaliser » ces domaines, comme cela se fait pour la gestion à l’aide du numérique, ou pour les plate formes téléphoniques. Ne resteraient alors, pour le vulgus pecus, que des métiers de commerçants ou de domestiques (pour les plus chanceux).

    Ce n’est pas non plus un hasard si la Silicon Valley est citée comme emblème du nouveau paradis. C’est là qu’on trouve la nouvelle société globalisée, déracinée, dont les paramètres, les signes d’appartenance, outre un niveau de revenu appréciable, se nourrissent d’une certaine culture nomadisée, « cool », sceptique et hédoniste, hygiéniste et « tolérante » (agressivement tolérante), ancrée dans des certitudes de demi-savants, souvent inculte dans les humanités (littérature, Histoire, philosophie, en gros la haute culture considérée comme mensonge et vice). C’est cette middle class internationale, la nouvelle classe dirigeante, l’hyperclasse mondialisée, désinhibée, fluctuante aussi bien dans le travail que dans l’existence, la famille, les pulsions et les entichements, parlant anglais, dotée d’une non pensée en état d’apesanteur, affriolée par l’art contemporain, adepte des jeux vidéo, sidérée bêtement par la haute technologie, comme des adolescents qui n’ont pas voulu grandir, grande consommatrice de films pour ados, adoratrice du fric, des traders et du succès social, considérant la joute politique et toute identité autre que folklorique comme des legs fâcheux du passé, nécessairement contreproductifs.

    A ce compte, le « new deal » proposé par le libéralisme mondialisé ne laisse guère de doute sur le projet civilisationnel qui est le sien : une planète divisée horizontalement en zones « performantes », à haute valeur ajoutée, et zones d’esclavage (appelons les choses par leur nom), et verticalement en zones de vie active et valorisante et zones de sous emploi, ou vouées en partie à des travaux dégradants ou pénibles, peuplée d’individus inutiles, car non qualifiés, incompétents, trop vieux ou trop faibles, voire dangereux, qu’il faut donc conditionnés et contrôlés.
    Il n’est d’ailleurs pas inconcevable que ces deux zones fusionnent in fine, et offrent à Big Brother un plan de carrière inestimable.
     
    Claude Bourrinet (Voxnr, 11 mars 2011)
     
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  • Confessions d'un assassin financier...

    John Perkins est l'auteur d'un livre fracassant intitulé Confessions d'un assassin financier (Alterre éditions, 2005) dans lesquels il révèle son expérience de "tueur à gages" financier chargé d'amener, sous couvert de conseils et d'aide aux développement, les pays du tiers-monde, et les autres, à s'endetter et à perdre ainsi progressivement leur autonomie et leur indépendance. Le livre, qui a eu un trés fort retentissement aux Etats-Unis, n'a été publié en France que par une maison d'éditions relativement confidentielle... Dans la vidéo que vous pouvez visionner ci-dessous, John Perkins synthétise le propos de son livre. Intéressant...

     


    John Perkins, confessions d'un corrupteur de... par Nzwamba

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  • Les Condottieres...

    « Le Condottiere apparaît telle une "figure faustienne" dont Hercule serait le dieu de tutelle. Pratiquant la virtuosité, parente de la vertu sans moraline, il magnifie la conduite, le talent pour commander aux parts qui, en nous, veulent l'empire et la toute-puissance.» Michel Onfray, La sculpture de soi (Livre de poche, 2010)

     

    Les éditions Ellipses viennent de publier sous la plume de Sophie Cassagnes-Brouquet et de Bernard Doumerc une interessante études consacrée aux Condottieres, figures marquantes du conflit des Guelfes et des Gibelins et de la Renaissance italienne. Une heureuse initiative puisque depuis le livre Geoffrey Trease, publié chez Elsevier dans les années 70, il n'existait pas grand chose sur le sujet en langue française...

     

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    "Sur la place San Zanipolo de Venise s’élève la statue équestre de Bartolomeo Colleoni. Du haut de son piédestal, le condottiere s’apprête à foudroyer ses ennemis dans un assaut décisif. Meneur d’hommes, véritable professionnel de la guerre, il est l’un de ces capitaines d’aventure qui ont fait la puissance et la ruine de l’Italie à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance (XIIIe-XVIesiècle). Objet de mépris, d’envie ou d’admiration, le condottiere est une figure obligée de la Renaissance au même titre que le prince ou l’artiste. En effet, s’il représente le côté sombre, violent et brutal de cette époque, il sait aussi se faire humaniste et mécène dans la compagnie des savants et des artistes. Le capitaine n’ignore pas comment utiliser leur talent au service de sa gloire.

    Faiseur d’Histoire, le condottiere est devenu objet d’histoire; en témoigne une abondante historiographie en italien et en anglais. Il demeure cependant un personnage trop méconnu en France. Certes, quelques figures emblématiques comme celles de Federico da Montefeltro, César Borgia, Francesco Sforza évoquent des images mêlées de luxe, de cruauté et de ruse, mais ces capitaines sont trop souvent assimilés à des princes ordinaires et leur aspect guerrier, oublié, gommé ou lissé. Cette synthèse souhaite combler une lacune, en proposant un double regard, celui de l’historienne de l’art et de l’historien."

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  • Entre aliénation et répression...

    Nous reproduisons ci-dessous un très bon texte de Jean-Claude Michéa, cueilli sur le site Euro-synergies. Nous vous signalons au passage la parution au mois d'octobre, aux éditions Climats, du prochain livre de cet auteur, qui sera intitulé Le complexe d'Orphée

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    Le libéralisme : entre aliénation et répression

    « Le paradoxe constitutif des politiques libérales c’est qu’elles sont constamment amenées à intervenir sur la société civile, ne serait-ce que pour y enraciner les principes du libre-échange et de l’individualisme politique. Pour commencer, cela implique en général une politique de soutien permanent au marché dit "autorégulé", politique qui peut aller, comme on le sait, jusqu’à la fameuse "socialisation des pertes" (les classes populaires étant régulièrement invitées à éponger les dettes des banquiers imprévoyants ou des spéculateurs malchanceux). Mais un pouvoir libéral est également tenu de développer sans cesse les conditions d’une "concurrence libre et non faussée". Cela implique toute une politique particulièrement active de démantèlement des services publics et des différentes formes de protection sociale, officiellement destinée à aligner la réalité empirique sur les dogmes de la théorie universitaire. Enfin, et c’est l’essentiel, l’État libéral est logiquement contraint d’impulser une révolution culturelle permanente dont le but est d’éradiquer tous les obstacles historiques et culturels à l’accumulation du capital, et avant tout à ce qui en constitue aujourd’hui la condition de possibilité la plus décisive : la mobilité des individus, dont la forme ultime est la liberté intégrale de circuler sur le marché mondial. Marx avait remarquablement compris ce point lorsqu’il écrivait que la bourgeoisie, à la différence de toutes les classes dominantes antérieures, ne pouvait pas exister sans révolutionner constamment l’ensemble des rapports sociaux. C’est ainsi qu’Hubert Védrine rappelait récemment, dans un rapport officiel destiné au président Sarkozy, qu’un des principaux freins à la croissance était la "répugnance morale persistante" des gens ordinaires envers "l’économie de marché et son moteur, le profit". De telles déclarations sont naturellement monnaie courante chez les politiciens libéraux.

    Il y a peu, je lisais, par exemple, un rapport sur la situation en Birmanie, rédigé par des experts d’une des grandes institutions capitalistes internationales, et qui expliquait qu’une partie des difficultés rencontrées par les entreprises occidentales pour s’implanter en profondeur dans ce pays, tenaient au fait que la recherche du profit individuel et le désir de s’enrichir avaient encore trop peu de prise sur la paysannerie traditionnelle birmane. Ces missionnaires libéraux en concluaient tranquillement qu’il fallait contraindre ces populations à entrer dans la modernité en les amenant à rompre avec leur mentalité archaïque et "conservatrice". Toutes ces contraintes pratiques conduisent donc un pouvoir libéral à mettre en place des politiques extrêmement interventionnistes (au premier rang desquelles une "modernisation" permanente de l’école destinée à l’ouvrir au «monde extérieur» et à l’adapter aux nouvelles réalités de l’économie mondiale). On sait du reste que, sans le concours déterminant des gouvernements de l’époque (gouvernements dont il n’est pas inutile de rappeler que, dans le cas européen, ils étaient majoritairement de gauche), les conditions techniques et politiques de la globalisation capitaliste n’auraient jamais pu être réunies. Il est donc clair que la logique réelle de l’État libéral le conduit toujours à se faire beaucoup plus interventionniste que ses dogmes officiels ne le prétendent. […]

    De nos jours, il devrait être évident aux yeux de tous que la production massive de l’aliénation trouve désormais sa source et ses points d’appui principaux dans la guerre totale que les industries combinées du divertissement, de la publicité et du mensonge médiatique livrent quotidiennement à l’intelligence humaine. Et les capacités de ces industries à contrôler le "temps de cerveau humain disponible" sont, à l’évidence, autrement plus redoutables que celles du policier, du prêtre ou de l’adjudant qui semblent tellement impressionner la nouvelle extrême gauche. Critiquer le rôle de l’État libéral contemporain sans mesurer à quel point le centre de gravité du système capitaliste s’est déplacé depuis longtemps vers les dynamiques du marché lui-même, représente par conséquent une erreur de diagnostic capitale. Erreur dont je ne suis malheureusement pas sûr qu’elle soit seulement d’origine intellectuelle. Focaliser ainsi son attention sur les seuls méfaits de l’«État policier» (comme si nous vivions au Tibet ou en Corée du Nord et que le gouvernement de M. Sarkozy était une simple réplique de l’ordre vichyssois) procure des bénéfices psychologiques secondaires trop importants pour ne pas être suspects. Cette admirable vigilance ne présente pas seulement l’avantage, en effet, de transformer instantanément ses pratiquants en maquisards héroïques, seraient-ils par ailleurs sociologues appointés par l’État, stars du showbiz, maîtres de conférences à la Sorbonne ou pensionnaires attitrés du cirque médiatique. Elle leur permet surtout de ne pas trop avoir à s’interroger, pendant ce temps, sur leur degré d’implication personnelle dans la reproduction du mode de vie capitaliste, autrement dit sur leur propre rapport réel et quotidien au monde de la consommation et à son imaginaire. Il serait temps, en somme, de reconnaître que de nos jours, et pour paraphraser Nietzsche, c’est le spectacle lui-même qui est devenu la meilleure des polices. […]

    On sait par exemple que, dans les pays occidentaux, près de 70% des achats opérés par les parents le sont désormais sous la pression morale et psychologique de leurs propres enfants. Cela signifie que le dressage marchand de la jeunesse s’est révélé si efficace qu’une grande partie de cette dernière a déjà tranquillement accepté d’être l’œil du système à l’intérieur de la sphère familiale. Et un nombre non négligeable de parents (généralement de gauche) a visiblement appris à vivre sans sourciller sous la surveillance impitoyable de ces nouveaux gardes rouges. Quand le pouvoir des images a acquis une telle efficacité, il devrait donc être universellement admis que l’assujettissement des individus au système libéral doit, à présent, beaucoup moins à l’ardeur répressive du policier ou du contremaître qu’à la dynamique autonome du spectacle lui-même. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que nous sommes encore très loin d’une telle prise de conscience collective comme en témoigne, entre mille autres exemples, le fait que toute interrogation critique sur les dogmes de l’éducation libérale (à l’école comme dans la famille) est devenue depuis longtemps une question taboue chez la plupart des militants de gauche.

    Parvenus à ce point, il est donc inévitable d’affronter enfin la question des questions : comment un tel retournement politique et culturel a-t-il pu avoir lieu ? Ou, si l’on préfère : par quelle dialectique mystérieuse la gauche et l’extrême gauche contemporaines en sont-elles venues à reprendre aussi facilement à leur compte les exigences les plus fondamentales de la logique libérale, depuis la liberté intégrale de circuler sur le marché mondial jusqu’à l’apologie de principe de toutes les transgressions concevables ? Il est certain que la clé de cette énigme doit d’abord être recherchée dans les mutations économiques, culturelles et psychologiques du capitalisme lui-même. »

     

    Jean-Claude Michéa, interviewé par A Contretemps n°31, mai 2009

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  • Des années érotiques ?...

    Nous vous signalons la réédition au Livre de poche de 1940-1945 : années érotiques, la fresque iconoclaste de Patrick Buisson consacrée à la vie sexuelle des Français au cours des années de la deuxième guerre mondiale. Ancien journaliste, directeur de la chaîne Histoire, Patrick Buisson passe pour être un conseiller écouté du Président de la République...

     

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    Tome 1 :« Travail, Famille, Patrie ». Lorsqu’on regarde la vie de la France occupée sous le prisme de la sexualité, que reste-t-il de ce triptyque qui devait symboliser la « révolution nationale » ? Rien, en vérité. Ou plutôt une incroyable somme de contradictions.
    La première divise les équipes dirigeantes de Vichy. Deux courants ne cessent de s’y affronter : d’un côté, la droite conservatrice et cléricale désireuse d’en finir avec la démocratie républicaine ; de l’autre, un courant fasciste fasciné par le modèle allemand, souvent encadré par des personnalités venues de la gauche socialiste et communiste. L’ordre moral des premiers ne parvient pas à cohabiter avec l’ordre viril des seconds.
    Contradiction aussi entre une France vaincue et humiliée, que les discours officiels invitent à la contrition, et le développement d’une sexualité de guerre marquée par des débordements en tous genres et le goût pour la fête, en particulier à Paris et à Vichy.
    Dressant une fresque magistrale, qui couvre aussi bien l’histoire politique, littéraire, cinématographique que la chanson, la mode ou les faits divers, le journaliste et politologue Patrick Buisson, directeur de la chaîne Histoire, révèle la face cachée de l’Occupation dans une enquête sans précédent, où l’anecdote le dispute à la révélation, et qui justifie une relecture vertigineuse de cette période.

     

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    Tome 2 : Quel lien secret court de Vichy à la Résistance, des sectateurs de la Révolution nationale aux épurateurs de la Libération ? C’est l’ordre moral révèle Patrick Buisson dans ce second volet de sa grande enquête iconoclaste sur la vie sexuelle des Français de 1940 à 1945. Après la droite réactionnaire, c’est à la gauche républicaine d’en appeler à la purification des mœurs. Avec le même objectif : restaurer l’autorité patriarcale mise à mal par l’émancipation sexuelle des femmes et des « déviants » en même temps que punir celles et ceux qui ont joui à l’heure où la France souffrait.
    Pour bien comprendre ce à quoi répond l’épuration sexuelle des tondues au cours de l’été 1944, il faut suivre l’auteur dans son exploration prodigieusement documentée des zones érogènes de l’Occupation. La «collaboration horizontale » d’abord, qui touche toutes les catégories de la population féminine : de Coco Chanel à la postière de Saint Flour, d’Arletty aux lycéennes en mal de défi. Mais aussi, le marché noir de la prostitution qui jette sur le pavé des dizaines de milliers d’« occasionnelles », l’ultime âge d’or des maisons closes sans oublier les relations homosexuelles franco-allemandes.
    Après Vichy ou les infortunes de la vertu, c’est à une nouvelle plongée sidérante dans notre inconscient collectif que nous invite le politologue Patrick Buisson, directeur de la chaîne Histoire qui s’impose avec cette somme inégalée comme l’un des meilleurs analystes des passions françaises.

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  • L'art de bâcler ses guerres...

    Nous reproduisons ci-dessous ce point de vue de Georges-Henri Bricet des Vallons, publié dans Valeurs actuelles (18 août 2011), lucide et sans concession sur l'inconsistance de la politique de notre pays dans la guerre d'Afghanistan. Chercheur en sciences politiques, spécialisé dans les questions stratégiques, Georges-Henri Bricet des Vallons est l'auteur d'un essai intitulé Irak, terre mercenaire (Favre, 2009) et a dirigé un ouvrage collectif intitulé Faut-il brûler la contre-insurrection (Choiseul, 2010).



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    L'art de bâcler ses guerres



    Avant de savoir finir une guerre, il faut savoir la commencer. On ne sait ce qu’il y a de plus accablant dans l’annonce de notre retrait d’Afghanistan, le mois dernier : notre mimétisme vis-à-vis des Américains ou, ce qui va de pair, l’inconsistance totale du politique dans la conduite de la guerre ? Tout au long de ces dix années de conflit, l’Élysée n’aura été que de demi-mesure en demi-mesure. Ceux qui décident de faire la guerre à moitié l’ont perdue dès le départ et complètement. Voilà la leçon. Elle est définitive et implacable.

    La suite de notre retrait d’Afghanistan, achevé en 2014 ? On la connaît. Les écoles pour femmes fermeront. La burqa reprendra pleinement ses droits à Kaboul. Musique et cinéma seront à nouveau bannis.

    Voilà pour l’argument, pour l’affichage télégénique. La corruption endémique des forces afghanes n’en fait qu’une armée mexicaine au service d’une féodalité décrépite, qui sera incapable de freiner sa dislocation ethnique et tribale après le retrait des troupes occidentales, enfin disons françaises, puisque les Américains, pas assez sots pour laisser le trésor de guerre à la Chine, ne feront que réduire la voilure et resteront bien après 2014 pour exploiter les 1 000 à 3 000 milliards de dollars de gisements miniers et fossiles que recèle le sous-sol afghan. Ils se concentreront sur le pays “utile”, entendez celui qui rapporte. Comme en 1996, où l’empire s’était fort peu ému de la victoire des talibans, les États-Unis négocieront avec le nouveau gouvernement de coalition formé par les réseaux Karzaï et ceux du mollah Omar une rente suffisante pour étouffer en surface les velléités antioccidentales et garantir la sécurité du Transafghanistan Pipeline. Les logiques de baronnies reflueront, le pays se déchirera à nouveau et la routine ancestrale de la guerre civile afghane reprendra ses droits, sans pour autant représenter une menace globale. Il n’y aura, comme aujourd’hui, ni paix ni guerre véritables.

    Seigneurs de guerre et talibans peuvent dire merci aux torrents de dollars que les Américains ont jetés à fonds perdus dans l’effort d’une chimérique reconstruction d’une nation jamais construite et qu’ils n’ont, d’ailleurs, jamais eu l’intention de construire : 400 millions de dollars par an auraient ainsi été brûlés au profit des rebelles, selon le Congrès américain. L’empire a acheté la paix tactique en Afghanistan comme on achète la paix sociale dans nos banlieues mais, cahin-caha, il tient le pays, grâce, il faut le dire, à l’apport de ses supplétifs européens, merveilleuse béquille prête à tout pour satisfaire un hégémon boiteux, qui traîne et endure son ahurissant budget militaire de 700 milliards de dollars comme un pied bot.

    Le cynisme de la gestion américaine a au moins le mérite de servir, sinon son peuple, tout du moins sa puissance géoéconomique. Mais que dire de notre rôle à nous Français dans cette guerre ? Certes, sur le fond, cette décision est bonne : la guerre n’a jamais été menée pour servir l’intérêt de la France. Nous n’avons jamais été en Afghanistan des alliés pour les Américains, tout au plus un bien utile réservoir de main-d’oeuvre destiné à faire de la tactique de détail et c’est ce que nos hommes ont fait, avec une grande témérité et un grand panache. La conclusion annoncée de “notre” guerre, l’extraordinaire gâchis d’énergie et d’argent qu’elle contresigne, n’en prend que plus aux tripes. Que vaudront nos succès tactiques en Kapisa et en Surobi, sur le temps long ? Que restera-t-il de l’action des colonels Le Nen, Heluin, Durieux ? Une Bronze Star, juste récompense due aux vassaux, remisée sur l’étagère poussiéreuse d’un musée de régiment ? Tribut de la servitude volontaire.

    Enfin, au bilan de cet engagement bâclé, il faudra se souvenir du mépris, de l’extraordinaire mépris du politique et de ses calculs d’épicier : faut-il rappeler que le ministère de la Défense a attendu 2011 pour reconnaître officiellement notre engagement en Afghanistan comme une “guerre”, simplement pour ne pas avoir à payer les frais de la campagne double à nos soldats ?

    Les simulacres cérémoniels ont tendance à nous faire oublier que, dans l’alcôve des ministères, le démantèlement de l’outil militaire, déjà cassé, va son train : effectifs sabrés par dizaines de milliers à la hache de la RGPP qui tient lieu à notre classe politique de seul plan stratégique, réformes menées en fonction de postulats purement technocratiques comme celle, aberrante, des bases de défense ou du système d’information financière Chorus, réduction continue du format et du contrat opérationnel des armées, abandon de nos positions en Afrique, non-respect systématique des lois de programmation budgétaire, etc. Ce débat, ce n’est pas aux hommes politiques, qui se satisfont trop bien de la marginalité des questions de défense, qu’il incombe de le porter, mais bien aux armées, à nos officiers, à nos soldats. C’est eux et eux seuls qui sont en mesure de mettre les enjeux de la défense au cœur de la campagne. Pour ce faire, et pour exorciser définitivement le fantôme de 1940, il faut qu’ils parlent : haut et fort. 

    Georges-Henri Bricet des Vallons ( Valeurs actuelles, 18 août 2011)

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