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  • Chrétiennes et musulmanes, les racines de l'Europe ?...

    Les racines de notre Europe sont-elles chrétiennes et musulmanes ? Tel est le titre de l'essai historique de Guy Rachet, publié aux éditions Jean Picollec. A cette question importante, l'auteur, spécialiste de l'antiquité, et en particulier de l'Egypte ancienne, apporte une réponse qui réfute la vulgate actuelle. Ni musulmanes, ni chrétiennes, les racines de l'Europe sont essentiellement gréco-latines. L'ouvrage est particulièrement bien documenté et est doté d'une riche bibliographie.

     

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    "Les racines de l'Europe ? Voilà un sujet important et d'actualité. Guy Rachet, avec sa culture, se fondant sur une vaste documentation sérieuse, diversifiée, s'attaque. souvent avec verve et toujours avec courage, à ce débat voire à ce choc des civilisations. Textes et références à l'appui. Guy Rachet prouve que sur le socle des Celtes, Germains, Slaves, Latins, Hellènes s'est épanouie une civilisation novatrice et libératrice. Il atteste que le Moyen Âge européen n'a jamais été la période obscure et barbare que d'étranges " europhobes " ont professée. qu'il n'y a jamais eu de rupture avec la tradition gréco-romaine, et que, contrairement à l'islam dont le Coran a toujours été aux fondements de l'enseignement, celui des clercs du Moyen Age était établi avant tout sur la connaissance des auteurs latins dits " profanes ". Guy Rachet met ici en valeur la prodigieuse floraison d'art, de peinture. de sculpture, d'architecture (romane et gothique), de littérature, de philosophie et de science, qui marque cette période. Un ensemble qui fait de l'Europe du Moyen Age puis de la Renaissance un des joyaux de la civilisation. Il est patent que c'est à la Grèce que l'Europe doit ce qui la distingue dans le concert des peuples et des nations."

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  • Ben Laden et DSK : deux icônes... (1)

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec François-Bernard Huyghe paru dans la lettre d'information Communication & Influence. Docteur en sciences politiques, médiologue et spécialiste des sciences de l'information et de la communication, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais comme La langue de coton (Robert Laffont, 1991), L'ennemi à l'ère numérique (PUF, 2001), Quatrième guerre mondiale - Faire mourir et faire croire (Editions du Rocher, 2004), Maîtres du faire croire (Vuibert, 2008) ou dernièrement, en collaboration avec Alain Bauer, Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire (PUF, 2010)

     

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    Le mois de mai a vu éclore sur les médias du monde entier deux événements majeurs dont les images ont marqué les publics : la mort de Ben Laden et la chute de Dominique Strauss-Kahn ? Comment le médiologue que vous êtes interprète-t-il ces séquences d’une grande violence ? De quelle manière ces images qui ont tourné en boucle pendant des jours ont-elles pu influer sur les jugements et analyses des populations et des élites ?

     

    Dans les deux dossiers, on est confronté à une production d’images. Prenons d’abord le cas de Ben Laden. Qu’est-ce qui a assuré sa notoriété, sinon prioritairement la production des terribles images du 11 septembre 2001 ? Au-delà de la mort de 3.000 personnes, c’est le fait d’avoir porté la mort symboliquement au coeur de la puissance de l’occident, d’avoir frappé les Twin Towers, ces modernes tours de Babel qui incarnaient l’argent et l’omnipotence des "Juifs et des Croisés". Tout le monde comprend ce jour-là que cette frappe par l’image inaugure une nouvelle ère. On vit en direct, en regardant des films tournant en boucle sur tous les écrans du monde, un événement d’une puissance inouïe, qui va conduire à un basculement géopolitique majeur. Sous nos yeux se produit une rupture historique, d'une amplitude difficilement appréciable immédiatement. Et Ben Laden en est le père spirituel. Stratège guerrier, il s’impose aussi et avant tout comme stratège médiatique.

     

    Or, presque dix ans plus tard, le paradoxe est que Ben Laden disparaît pratiquement sans image de lui. Analysons cet effacement. Après son coup d’éclat des Twin Towers, Ben Laden perd peu à peu l’initiative dans cette guerre médiatique. Bien sûr, il y a encore des images mythiques, comme celles le montrant à l’entrée de sa caverne au moment de l’invasion de l’Afghanistan, réactivant de vieux mythes et des figures archétypiques. Néanmoins, ses apparitions se font plus rares, elles bouleversent de moins en moins la planète. Ses messages vidéos se tarissent, puis les cassettes audios qui leur succèdent sont de moins en moins audibles, n’intéressent plus grand monde.

     

    Bref, inexorablement, sa sphère médiatique se restreint et ses moyens d’action se trouvent réduits à la portion congrue. D’ailleurs, les dernières images que l’on a de lui – sont-elles vraies ? C’est une autre histoire, et ici peu importe... – le montrent comme un vieillard nostalgique regardant les scènes vidéos de ses heures de gloire. Sa mort survient sans que lui-même n’apparaisse vraiment. Le scénario mérite d'être examiné de plus près. A l’occasion de l’assaut sur sa demeure où il reste cloitré, le public a seulement des images allusives, indicielles. En revanche, ce sont ses ennemis qui sont mis en scène. En témoigne l'image répercutée sur tous les médias du monde montrant Obama et son équipe regardant depuis la Maison Blanche la mort de Ben Laden en direct sur un écran vidéo.

     

    Chacun joue là un rôle dont le symbole est net, Hillary Clinton la première. Si l’on excepte une vague tentative de substitution de corps reprise par une télé pakistanaise, on ne voit pas son cadavre. Celui-ci est très vite déclaré comme ayant été jeté à la mer. En revanche, les médias diffusent des images qui tournent autour de sa disparition et forment une longue chaîne d’indices devant permettre de conclure à sa mort, de lui donner un contexte et des auteurs. On voit ainsi des plans, des descriptions du lieu pris d’assaut, des reconstitutions modélisées expliquant de quelle manière les Navy Seals ont opéré au coeur même de sa résidence et ont pu éliminer l’ennemi n° 1 de l’Amérique.

     

    Le rôle de l’image est également déterminant dans l’affaire Strauss-Kahn…

     

    Oui, bien sûr. Toutes choses égales d’ailleurs, on se trouve là aussi confronté, dans l'affaire Strauss-Kahn, à un cas de réussite et de chute par l’image. DSK était extraordinairement présent dans les médias. Bien avant d’être le candidat du PS, il était d’abord le candidat d'Euro RSCG. Il s’imposait sur la scène politique, et économique comme une icône intouchable, sacré d’emblée par les faiseurs d’opinion comme le meilleur économiste de la planète, comme Raymond Barre en son temps avait été décrété meilleur économiste de France ! DSK, meilleur économiste, c’était plus qu’un postulat, c’était un credo auquel chacun était prié de se soumettre sans autre forme de procès. DSK était devenu l'icône de cette nouvelle société mondialisée, icône incarnant la quintessence de l’élite et mise en scène par ses communicants. Bref, DSK, c’était le chevalier blanc qui allait sauver le monde, avec à ses côtés son épouse aimante et dévouée Anne Sinclair !

     

    Le public était fortement incité à croire sans suspicion cette bande-son nous interprétant les pensées du grand homme, muet à l’image. Car DSK ne parlait pas. Il devait se montrer à nous comme un sphinx omniscient ne pouvant s’exprimer du fait de sa hauteur de vue et de ses fonctions. Face à cette résurrection d'une pythie des temps anciens, les communicants étaient les interprètes de ses oracles. Un sourire, un pincement de lèvres, une mimique suffisaient à alimenter les rédactions du monde entier. Au-delà des réserves inhérentes à sa fonction, son pouvoir était d’être silencieux. Il régnait par l’étonnant mystère du silence. Plus il se taisait, plus il était ambigu et mystérieux sur ses intentions présidentielles, plus cela le dispensait de s’exposer dans les bagarres de clans et de chapelles, plus il se tenait éloigné des prises de position sur les délicates questions de programme politique, plus son aura s’accroissait au regard de ses amis du PS et de la cour innombrable des observateurs et autres experts.

     

    Dans le même temps, l’image de son concurrent direct, Nicolas Sarkozy, était vouée aux gémonies. Sans nul doute, clamaient les pontes du cénacle médiatico-politique, l’hôte actuel de l’Elysée était appelé inéluctablement à disparaître. Nicolas Sarkozy, affublé des pires caricatures, représenté comme l’agité permanent, l’homme des riches, l’instable, apparaissait bel et bien aux antipodes de cette solennité silencieuse et majestueuse qu’était supposé – selon le monde de la presse et des médias – incarner DSK.

     

    Or, de manière fulgurante, des images vont venir détruire avec une violence inouïe cette patiente et subtile construction. Aucun scénariste n’aurait osé écrire une telle oeuvre de fiction ! Et pourtant, ces images surgissent de l’impensable et font le tour du monde. Elles montrent un DSK perdu, hagard, mal rasé, les menottes aux poignets, encadré par des policiers comme un petit délinquant du Bronx, et ainsi, font exploser le mythe. La scène est cruelle, il est amené vers les flashs des caméras comme vers un peloton d’exécution médiatique. Circulant en flux continu autour de la planète, elle consacre sa chute. Chaque spectateur ressent alors une impression d’irréalité, a le sentiment d’évoluer dans l’une de ces séries télévisées auxquelles nous sommes accoutumés, à la différence près que le héros déchu est un puissant de ce monde, un puissant qui existe vraiment.

     

    D’ailleurs, ironie de l’histoire, le soir où DSK tombe, TF1 diffuse New York unité spéciale, une série consacrée aux policiers en charge des affaires de moeurs délicates et crimes sexuels. Quel clin d’oeil du destin ! Plus que jamais s'opère un aller-retour incessant entre la réalité et la fiction. Et puis, il y a la bande-son incessante, qui, en France, diffuse sans relâche des appels à la présomption d’innocence, comme pour exorciser ces images auxquelles on ne peut croire. C’est là toute l’ambiguïté des médias qui se targuent d'objectivité et simultanément, se repaissent du terrible spectacle, se prétendant tout à la fois juges impartiaux tout en étant cependant moteur de ce même drame.

     

    Bref, subsiste un terrible enseignement : DSK qui a vécu par l’image est tué par l’image.

     

    Ces techniques d’influence par le biais de l’image prouvent-elles qu'en fait, la réalité importe finalement assez peu, ou du moins, est fortement modulable ou modelable ?

     

    On ne peut pas faire l’économie de la réalité. On part ici de faits tangibles, dont l’interprétation peut varier, mais qui ont une certaine densité, un fond, une consistance, sinon, quelles qu’en soient les causes, l’événement n’aurait pas eu lieu. Non, ce qui me paraît plus important, c’est de comprendre le pourquoi de ces images. Comme nous l'avons dit, dans le cas de la mort de Ben Laden, Obama devait être mis en scène, il devait produire des images dans une configuration bien précise. Il était important que le Président des Etats-Unis ordonne et respecte une dramaturgie montrant qu’il avait victorieusement dénoué l’écheveau du Mal. Il ne pouvait décemment pas prendre le risque d’inventer une mort de Ben Laden, si ce dernier avait pu réapparaître quelques jours après, avec une vidéo le montrant en train de brandir le journal du jour ! Obama devait assister à la mise à mort, comme guerrier en chef d'abord, pour endosser dans la séquence suivante la fonction de juge suprême, en affirmant à la face du monde que "justice avait été faite".

     

    Pour ce qui est de DSK, il n’y a pas eu, me semble-t-il, de volonté délibérée de l’humilier. C’est simplement la triste routine de la justice américaine. Cette dernière est par nature scénarisée. D’ailleurs, on peut observer que toute justice de par le monde se trouve être d’une manière ou d’une autre scénarisée. Il y a presque toujours une mise en scène où le corps du prévenu ou du coupable est montré, donc exhibé à la foule de ceux qui veulent voir. L’affaire présente une densité très forte dans le cas américain puisque l’on observe alors une exacerbation du phénomène, de par le tourbillon médiatique qui prend forme et de par sa répétition sans relâche sur les myriades de canaux qui répercutent inlassablement ces images. Il y a comme une sarabande des innombrables matériels, caméras, projecteurs, micros, photos, qui se déchaîne autour du corps de celui qui est, de fait, désigné à la vindicte publique.

     

    L’humiliation symbolique est un ressort puissant de cette logique. Le 11 septembre 2001 comme la descente aux enfers de DSK, à des degrés divers bien sûr, et sur des plans dissemblables, relèvent de cette même logique d’humiliation publique de maîtres du monde. On évolue là dans des sphères où le mythique ressurgit des tréfonds de l’archaïsme. C’est sans doute un écho du syndrome du bouc émissaire. Mais attention cependant à ne pas avoir qu’une lecture unilatérale ! On peut aussi souligner que les interprétations des publics sont différentes selon leurs traditions, leur histoire, leur manière de percevoir les choses.

    (A suivre)

    François-Bernard Huyghe (Communication & Influence, mai 2011)

     

     

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  • Philosophie des jeux video...

    Les éditions Zones viennent de publier Philosophie des jeux video, un essai de Mathieu Triclot. L'auteur qui a précédemment publié en 2008 chez Champ Vallon, Le moment cybernétique, aborde notamment la portée politique des jeux video. En jouant, dit-il, on "s’élabore une « petite technologie de soi » par laquelle on se produit en tant que « sujet conforme à l’ordre du monde digital".

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    "Vous êtes face à un jeu vidéo. Vous pressez les bonnes touches, vous déplacez la souris, vous appuyez en cadence sur les boutons du pad. Qu’est-ce qui se produit alors ? Quel est cet état si particulier, à la limite du vertige et de l’hallucination, face à l’écran et à la machine ? L’expérience ne ressemble à aucune autre : pas plus à l'état filmique des salles obscures qu'à l'état livresque de la lecture.

    De « Space Invaders » à la 3D, depuis les premiers hackers qui programmaient la nuit sur les ordinateurs géants d’universités américaines jusqu’à la console de salon, en passant par la salle d’arcade des années 1970, ce qui s’est à chaque fois inventé, au fil de l’histoire des jeux vidéo, ce sont de nouvelles liaisons à la machine, de nouveaux régimes d’expérience, de nouvelles manières de jouir de l’écran.

    On aurait tort de négliger ce petit objet. Sous des dehors de gadget méprisable, il concentre en fait les logiques les plus puissantes du capitalisme informationnel. Et ceci parce qu’il tient ensemble, comme aucune autre forme culturelle ne sait le faire, désir, marchandise et information.

    Les jeux vidéo exhibent la marchandise parfaite du capitalisme contemporain, celle dont la consommation s’accomplit intégralement et sans résidu sous la forme d’une expérience ; une expérience-marchandise branchée en plein cœur de la mise en nombres du monde.

    À l’âge de la « gamification généralisée », où le management rêve d’un « engagement total » mesuré par une batterie d’indicateurs, les jeux vidéo fournissent aussi un nouveau modèle pour l’organisation du travail, où l’aliénation s’évanouirait enfin dans le fun.

    Les jeux vidéo sont de petites poussières de rêve grâce auxquelles le capitalisme se secoue de son grand sommeil, des choses qui sont des songes, branchées sur des machines à nombres, mais ce sont aussi des miroirs brisés qui renvoient une image complexe de la subjectivité contemporaine : en s’y intensifiant, les logiques du management informationnel y redeviennent visibles, accessibles à la critique, actionnables, reconfigurables, jouables."

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  • Le retour des classes populaires ?...

    Le quotidien Le Monde a publié cette semaine un point de vue du sociologue Christophe Guilluy, qui a récemment publié un essai intitulé Fractures françaises (Bourin, 2010), consacré au retour dans le paysage français des classes populaires.

     

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    Les classes populaires sont de retour en France

    En quelques décennies le Front national est devenu le porte-voix d'une part croissante des catégories populaires. Cette évolution n'est pas la résurgence d'un populisme ancien ou la conséquence d'une droitisation de l'opinion, mais il s'agit d'un processus contemporain lié à une recomposition sociologique et politique sans précédent. Le retour des classes populaires est ainsi corrélé à l'implosion de la classe moyenne tandis que la dynamique frontiste est d'abord le fruit de la fin de la bipolarisation.

    L'éclatement de la classe moyenne a libéré un nouveau "champ sociologique" qui rend de nouveau visibles les catégories populaires. Le surgissement dans le débat public de catégories, hier oubliées au profit des classes moyennes, est un indicateur essentiel de la nouvelle donne sociale.

    Si les classes moyennes avaient accompagné hier la "moyennisation" de la société française pendant la période des "trente glorieuses", plusieurs décennies de précarisation et de déclassement social favorisent aujourd'hui l'émergence de nouvelles catégories populaires. C'est dans ce contexte qu'il faut analyser la résurgence politique et culturelle des milieux populaires. Désormais, ce sont ces catégories qui reflètent avec le plus d'acuité la réalité sociale du pays. Majoritaires dans la population active, les catégories ouvriers-employés représentent aussi une majorité des retraités. Elles recouvrent ainsi un très large spectre de la sociologie française.

    Si ces nouvelles catégories populaires ne se pensent pas comme une nouvelle "classe sociale", elles subissent néanmoins les effets négatifs de la mondialisation. Ainsi, l'essentiel des chômeurs, travailleurs pauvres et/ou à temps partiel sont issus de ces milieux. Cette insécurité sociale se double d'une nouvelle insécurité culturelle liée à l'émergence d'une société multiculturelle.

    Cette double insécurité explique que des catégories populaires très diverses, et hier parfois opposées, se retrouvent dans une même perception de la réalité sociale. L'employé du lotissement pavillonnaire, l'ouvrier rural, le chômeur du bassin minier ou le petit paysan peuvent ainsi partager une même critique des choix économiques et politiques des classes dirigeantes depuis vingt ans. Tous subissent aussi les mêmes logiques foncières et l'éloignement des marchés de l'emploi les plus actifs, ceux des métropoles.

    Ces nouvelles classes populaires sont-elles de droite ? Après la disparition du "peuple de gauche" au XXe siècle, assiste-t-on à l'émergence d'un nouveau "peuple de droite" ? Rien n'est moins sûr. L'analyse par la "droitisation" occulte une donnée essentielle : la fin de la bipolarisation.

    Désormais persuadée de la vacuité du débat droite-gauche, une majorité de Français ne font plus confiance aux grands partis. En 2010, un sondage Sofres/Cevipof estimait à 67 % le nombre de français qui ne faisaient plus confiance ni à la gauche ni à la droite ; une minorité d'entre eux arrivait encore à se situer sur l'échelle gauche-droite. Ce "ni gauche ni droite", particulièrement fort en milieu populaire, n'exprime pas une vague "protestation" ni la résurgence d'un populisme ancien mais résulte d'une réalité sociale et culturelle pour partie occultée par les grands partis.

    Pire, les responsables politiques continuent à vanter les mérites d'une mondialisation heureuse, alors même que les catégories populaires subissent une précarisation objective de leurs conditions de vie. C'est dans ce contexte que l'inanité de la bipolarisation ouvre un nouveau "champ politique" au FN.

    Mais ce n'est peut-être pas le plus important. Si le FN bénéficie de la fin de la bipolarisation et de la résurgence des catégories populaires, il ne capte qu'une part minoritaire de cette majorité de Français qui ne se reconnaît plus ni à gauche ni à droite. Il existe aujourd'hui un espace considérable pour qui souhaiterait répondre à la demande de protection des classes populaires.

    Dès lors, plutôt que de se faire peur avec la montée du "populisme" ou la droitisation des opinions, il convient de prendre acte d'une bonne nouvelle, celle du retour des classes populaires dans le champ politique. Un retour qui impliquera mécaniquement une recomposition politique qu'une majorité de Français attend.

    Christophe Guilluy (Le Monde, 25 mai 2011)

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  • Entre haines et passion...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux viennent de rééditer, dans une version revue et augmentée, la biographie que Philippe Alméras a consacré à Céline sous le titre Céline, entra haines et passion. Professeur de littérature aux Etats-Unis, Philippe Alméras est l'auteur de nombreux essais consacrés à Céline : Les idées de Céline (Berg, 1992), Je suis le bouc - Céline et l'antisémitisme (Denoël, 2000), Voyager avec Céline (Dualpha, 2003) ou encore le Dictionnaire Céline (Plon, 2004)...

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    "Cinquante ans après la mort de Louis-Ferdinand Céline, reparaît la première biographie critique consacrée à l’auteur du Voyage au bout de la nuit dans une version entièrement révisée et augmentée. Signée Philippe Alméras, cette somme - qui s’appuie sur la correspondance intégrale de Céline - a conservé toute son actualité et sa pertinence. Et pour cause…C’est Philippe Alméras qui aura imposé la réalité plus que jamais vivace d’une « idéologie » célinienne fondée sur le racisme biologique. Pas question pour lui de ménager la chèvre et le chou en séparant « le cas » de l’écrivain de génie de celui de l’antisémite notoire. Un lien intime existe entre l’oeuvre et l’homme. Et à l’intérieur de l’oeuvre, il se prolonge nettement entre le romancier révéré de Voyage au bout de la nuit et le pamphlétaire honni de Bagatelles pour un massacre et qui préconisa le nettoyage systématique des Juifs, « maison par maison, quartier par quartier ». Se refusant à flanquer le docteur Destouches d’un Mr Hyde qui sauverait un tant soit peu sa postérité, Philippe Alméras s’efforce, au contraire, de fixer l’émergence irrésistible d’un homme du ressentiment à travers toutes les haines dont il déborde. Haine des Juifs et des bolchéviques, certes, mais aussi haine des « beautiful people », haine de la femme, haine de l’homme de lettres, haine du bourgeois qui envoie l’enfant du peuple se faire tuer en 1914, haine de l’Afrique qui vous assomme de soleil et de torpeur, haine de l’Amérique glaciale et capitaliste. Et toujours cette haine qui réclame justice sans façons, à la populaire : à croire qu’elle devrait s’exécuter, d’elle-même, sur parole. Céline s’est-il cru prophète avant d’être condamnée à la vie d’ermite ? Sa montée en haine et en solitude au fur et à mesure que le siècle de passion où il gesticule devient de glace, se lit souvent « entre les lignes » : grâce à la masse de lettres qu’il a échangées. Souvent au jour le jour. Chacun les a gardées. On les a retrouvées en Australie, à Londres, au Maroc, en Californie ou chez ses éditeurs ; celles aussi adressées à Le Vigan, qui fut forcé de les vendre, ou celles encore que Je suis partout renonçait à publier en 1942 et 1943, pour « excès racistes ». Produit et miroir de son temps, Céline est scandaleux, révoltant. Mais il dit bien le haut-le-coeur qu’aura entraîné une époque de bouleversements avec ses guerres, ses massacres, et son lot de certitudes idéologiques totalitaires. S’il s’en sort, c’est une fois de plus grâce à son style : « fait de crudité drolatique, parigote et montmartroise ». Mais Philippe Alméras n’est pas dupe : « Le style joue chez lui le rôle de la voilette des jolies femmes de son temps, elle attire l’attention et elle dissimule les cicatrices de l’âge (…)»"

     

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  • Contre le Système ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article Javier Ruiz Portella, publié par Polémia et consacré à l'actuelle révolte de la jeunesse espagnole. Javier Ruiz Portella est l'auteur et l'initiateur du Manifeste contre la mort de l'esprit qui a été signé par de nombreuses personnalités espagnoles du monde de la culture (Alvaro Mutis, Zoé Valdès,...).

     

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    La « Spanish Revolution » ou le Mai-2011 espagnol

    Certains éléments de ce qui est en train de se passer lors de ce Mai-2011 espagnol sont certainement pleins d’ombre. D’autres, par contre, sont rayonnants de lumière. C’est là un double sentiment qui ressemble très fort à ce que l’on peut éprouver à propos du Mai-68 français, dont la double lecture nous a amené à publier, lors de son 40e anniversaire, un article louant ses vertus et un autre combattant ses égarements.

    Commençons par les zones d’ombre : le mépris du passé

    Certaines questions, quelque peu « folkloriques », si l’on veut, ne sont pas moins significatives de l’esprit qui marque ceux qui, par milliers, sont en train de se rassembler ces jours-ci jusque dans soixante villes de toute l’Espagne. C’est ainsi que, lorsque des drapeaux espagnols ont fait leur apparition sur la Puerta del Sol de Madrid, ils ont été conspués et il a fallu les enlever face au cri majoritaire de « Dehors tous les drapeaux ! » Voilà un bien étrange pays que l’Espagne ! Probablement le seul au monde dont le drapeau ne peut pas ondoyer lors d’un acte public de protestation. (Tout se passe comme s’il s’agissait d’une bannière partisane. Car c’est bien ainsi, voilà la déchirure, qu’elle est ressentie par la partie des Espagnols qui ne se reconnaissent que dans le seul drapeau de la République ; tout comme les Français antiroyalistes du XIXe siècle ne se reconnaissaient, par exemple, que dans le drapeau tricolore et rejetaient la bannière ornée de la fleur de lys.)

    Poursuivons avec d’autres faits pleins de signification. Lors du rassemblement à Palme de Majorque, les manifestants ont changé le nom d’une place, en enlevant celui de Jaime Ier, le grand roi du Moyen Age qui, après avoir conquis la province de Valence et l’île de Majorque aux Arabes, unifia le royaume d’Aragon. Mais ce que les jeunes manifestants reprochaient à Jaime Ier, ce n’était pas d’avoir combattu le pouvoir musulman. S’ils l’avaient su, loin de se borner à enlever la plaque, ils l’auraient probablement cassée et souillée… Mais, compte tenu du désert qu’est notre système éducatif, ils n’avaient sans doute pas la moindre idée de qui était le personnage dont ils dénigraient le nom. Il leur suffisait que ce soit un roi, un héros, un reste de la présence de notre passé : ce passé qu’ils essayaient d’effacer, de mépriser, tout comme il est méprisé (ou ignoré) par l’ensemble de notre époque.

    Il y a plus. Les « indignés », comme ils s’appellent eux-mêmes, ont lu publiquement, à la Plaza de Cataluña de Barcelone, le fameux best-seller Indignez-vous ! de Stéphane Hessel : ce mélange de vacuités et d’angélisme mièvre auquel je viens moi-même de répondre en publiant la plaquette ¡Escandalizaos! [Scandalisez-vous !] (1).

    Si l’on y ajoute que les communistes d’Izquierda Unida, tout comme d’autres gauchistes purs et durs, se sont infiltrés dans le mouvement en essayant d’en tirer le plus de profit, l’affaire paraît entendue, n’est-ce pas ? Et pourtant, non. L’affaire est extrêmement complexe et c’est dans toute sa complexité qu’il convient de l’envisager : sans nous offusquer par tout ce qui nous gêne ; en oubliant des puretés impossibles à atteindre ; en visant, en définitive, l’essentiel.

    Qu’est-ce que l’essentiel ? L’imprévisible, l’inattendu !

    L’essentiel c’est, d’une part, la spontanéité indubitable qui a fait éclater un mouvement qui, tout en soulignant encore une fois l’énorme importance d’Internet dans la lutte contre des pouvoirs qui semblent tout contrôler, a démontré ce qu’un Dominique Venner est en train de répéter depuis longtemps : l’histoire est par définition imprévisible. Lorsqu’aucun espoir ne semble plus se dessiner à l’horizon ; lorsque les eaux sont si calmes qu’elles semblent mortes ; lorsqu’elles sont fermement contenues par de hautes digues levées par le pouvoir, c’est alors, au moment le plus inattendu, que ces mêmes eaux peuvent pourtant déborder et tout noyer.

    Vont-elles en l’occurrence tout noyer ? Ou, par contre, elles ne vont rien noyer et c’est en eau de boudin qu’elles vont finir ? Nous n’en savons rien et personne ne peut s’aventurer au petit jeu des prévisions. Risquons-en une, pourtant. Le plus probable, c’est que les eaux qui ont commencé à déborder ne noieront finalement rien. Le plus probable, c’est que l’on assiste à la dissolution progressive d’un mouvement qui est dépourvu de toute véritable direction, qui n’a ni chefs ni figures charismatiques pour le diriger – quelque chose dont les « indignés », poussés par leur égalitarisme suicidaire, se vantent même…

    Quoi qu’il arrive, quelque chose est pourtant manifeste : des milliers d’Espagnols, jeunes pour la plupart, entourés d’une grande sympathie populaire, des milliers d’Espagnols qui n’ont rencontré aucune hostilité sociale, se sont mobilisés avec une force jusqu’à présent inconnue contre le Système qui, dirigé par sa caste politico-financière, nous a conduits à la crise actuelle. (Nous l’avions toujours dit, rappelez-vous : sans une grande crise, très profonde, très dure, rien ne pourra jamais bouger d’un pouce.)

    Et pourtant, c’est vrai : la façon dont le Mai espagnol conteste l’actuel ordre des choses, ce n’est pas la façon que nous aimerions, ce n’est pas celle que nous approuverions sans ciller. Dans l’esprit des « indignés », tout est absorbé par la revendication économique. C’est du reste bien logique : enfants de notre temps, ils sont aussi matérialistes que celui-ci. Si au lieu d’être voués au chômage et à des salaires de 1.000 euros ou moins, ils touchaient des salaires de 1.500 ou 2.000 euros, pas une seule manifestation n’aurait vu le jour et personne ne serait ému face aux manigances des puissants. Tout comme personne ne s’en émouvait lorsque les vaches étaient grasses.

    Voilà ce qu’il en est. Personne, certes, n’est en train de se manifester, ni personne ne va jamais se manifester (sauf, peut-être, les lecteurs de ce journal) contre « la mort de l’esprit » (2). Ce n’est certes pas l’absurdité de notre vie dépourvue de sens et d’horizon ; ce n’est certes pas la vulgarité, la bêtise et la laideur d’un monde dépourvu autant de grand art que de beauté quotidienne ; ce ne sont certes pas de telles choses qui peuvent ébranler les foules.

    Et alors ? Qu’importe ! Cela importerait beaucoup, cela serait même proprement catastrophique, si le profond changement de sensibilité et d’imaginaire, tout ce chambardement de notre conception du monde, tout ce bouleversement qui, comme dirait l’autre, « est la seule chose qui peut nous sauver », était au coin de la rue ou, tout au moins, à l’horizon. Mais ce n’est pas le cas : la question ne se pose nullement avec imminence, c’est là une affaire à longue portée, elle est tout sauf immédiate.

    Derrière la bouffe et le travail, la contestation du Système

    Ce qui est bien immédiat c’est qu’en dessous de ce qui pousse les manifestants, en dessous de ce malaise axé sur les questions de la bouffe et du travail – des questions, d’ailleurs, nullement dédaignables –, se trouve quelque chose qui n’y avait jamais été : la contestation de notre système politique. La conviction ou du moins l’intuition de l’immense tromperie, de la grande farce : le sentiment que ce qui se déploie sous le nom de « démocratie » – ce nom vide et compassé que nos politiciens répètent jusqu’à la nausée – n’a rien à voir avec celle-ci.

    « Ils ne nous représentent pas ! » « Ne les votez pas ! » « Contre tous les partis ! » « Contre le système corrompu du PPSOE ! »… (3) s’écrient les manifestants. On n’avait jamais rien vu de pareil. Surtout parce qui est opposé à la démocratie actuelle n’a rien à voir avec une quelconque dictature. C’est bien la première fois qu’on lutte résolument contre le Système – contre le libéral-capitalisme, si l’on préfère – sans prétendre abolir le marché et sans prôner rien qui aurait à voir avec la « dictature du prolétariat ».

    « La lutte des classes » chère au marxisme, ce puits sans fond de haine et de ressentiment, voilà ce qui a disparu de la scène. On ne trouve ici nulle trace des deux grands mots qui nous ont conduits jusqu’aux grands malheurs du XXe siècle. Personne n’a jamais prononcé ici – personne n’y a même songé – ni le mot bourgeoisie ni le mot prolétariat. Le mot capitalisme non plus. Ou plutôt si. A la Puerta del Sol madrilène (à la Porte du Soleil, donc…) une affiche proclamait : « Ni capitalisme ni socialisme ».

    Et pourtant, l’enjeu qui pousse les foules dans la rue n’a rien à voir non plus avec le réformisme social-démocrate qui, au fil des années, a fini par conduire au « socialisme caviar » des DSK et autres multimillionnaires et magnats socialistes : les plus fermes défenseurs de l’actuel ordre financier et déprédateur.

    C’est contre les requins des finances, c’est contre la convoitise spéculative qui nous ruine tous – y compris une partie importante des entrepreneurs productifs – que se lève une protestation dont les principales revendications économiques consistent dans des choses telles que : expropriation des logements invendus de la bulle immobilière, cette spéculation démente qui a conduit l’Espagne au bord de la faillite (c’est à plus d’un million qu’on évalue les logements jamais vendus : toute une métropole vide s’éparpillant, telle un fantôme, sur l’ensemble du pays) ; interdiction des rachats des banques, ainsi que du placement de leurs bénéfices sis dans des paradis fiscaux ; adoption d’une taxe sur les transactions internationales (la « taxe Tobin », comme on l’appelle).

    « Nous sommes des personnes, non pas des produits du marché »

    Comment ne pas soutenir de telles revendications ? Comment ne pas appuyer surtout l’esprit qui les sous-tend et qui s’exprime dans le Manifeste lancé au début de la protestation ? On pouvait y lire : « Ce qu’il faut, c’est une Révolution éthique. Nous avons placé l’argent au-dessus de l’être humain, et nous devons le mettre à son service. Nous sommes des personnes, non pas des produits du marché. »

    Javier Ruiz Portella (Polémia, 23 mai 2011) 
    (Traduit par l’auteur pour Polémia)

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