Télé-empathie
Le 6 novembre, sur le plateau d'"On n'est pas couché", Eric Zemmour s'interrogeait sur le "cas" Marine Le Pen : "Le problème aujourd'hui c'est que Marine Le Pen n'est pas antisémite, qu'elle ne fait pas de vanne à deux balles sur la seconde guerre mondiale, que sur la mondialisation, elle dit des choses pas très différentes de la gauche de la gauche. Et donc ça pose un vrai problème parce qu'elle est moins diabolisable que son père." "Pour l'instant, l'interrompit Laurent Ruquier, on a, j'ai choisi de ne pas recevoir Marine Le Pen. Et vous, Michel Drucker, vous la recevriez ?""Non, répondit l'animateur de "Vivement dimanche" présent, lui aussi, sur le plateau. Je n'ai pas reçu le père. La question ne se pose pas. Ce n'est pas d'actualité. On ne m'a rien demandé.""La question va se poser, Michel", prédit Eric Zemmour.
Un mois plus tard, sur Radio Classique, Marine Le Pen expliquait que ces propos sont un "véritable scandale". "Il (Michel Drucker), ajoutait-elle, se permet d'exclure de son émission le représentant, ou la représentante d'ailleurs, de millions d'électeurs (...). M. Drucker, comme l'ensemble des autres journalistes qui travaillent sur le service public, ont un devoir."
Sur son blog, notre confrère de L'Express, Renaud Revel, a pris la défense de Michel Drucker. "Il faut, écrit-il, faire preuve d'un bien grand cynisme et feindre de méconnaître le destin pour le moins bouleversant des Drucker, pour réagir de la sorte." Rappelant ce qu'écrit l'animateur sur son père juif, persécuté par les nazis pendant la guerre, dans Rappelle-moi (éditions Robert Laffont), Revel ajoute : "On peut aisément pardonner à Michel Drucker de ne pas vouloir donner suite à la demande d'une responsable politique de premier plan, à la droite de la droite, qui n'a jamais cru bon contester, même du bout des lèvres, les propos infâmes d'un père, Jean-Marie Le Pen, sur la Shoah."
Sur le site Causeur, Elisabeth Lévy défend un point de vue différent : "Drucker et Ruquier n'aiment pas Marine Le Pen, c'est leur droit. Mais je ne savais pas que les invités de leurs émissions étaient choisis en fonction du goût des animateurs. On fait du divertissement, on invite qui on veut, disent-ils. Ben voyons ! Sauf que, nous divertissant avec des politiques, ils participent au débat public et doivent en respecter les règles."
A partir du moment où Michel Drucker reconnaît lui-même qu'il ne veut pas rendre Marine Le Pen "sympathique" en l'invitant, toute la question est de savoir s'il est légitime d'inviter des personnalités politiques dans des émissions de pur divertissement qui, de fait, sont devenues de véritables lieux de promotion d'image. Si l'on pense que oui, alors se pose la question de savoir à qui il revient de lancer les invitations pour participer à de telles émissions de "télé-empathie". Comme disait Zemmour, ces questions vont se poser. Elles se posent déjà.
Franck Nouchi (Le Monde, 10 décembre 2010)