"Un bref rappel historique s'impose pour situer le contexte de ce film elliptique, aux dialogues réduits au strict minimum, et dont le personnage principal est muet. Eventration, décapitations hors champs, mais avec craquements d'os bien audibles : les Barbares qui s'y affrontent sont des guerriers fanatiques de l'an 1000, aussi patibulaires les uns que les autres. D'un côté des païens, Vikings navigateurs et pillards, de l'autre les mercenaires d'une christianisation forcée, aveugles justiciers de Dieu.
Les historiens affirment que les Vikings auraient pu s'aventurer jusqu'en Amérique du Nord. En 1960, des archéologues y auraient découvert les traces d'un campement susceptible de leur être attribué, où une stèle pourrait avoir été élevée par eux. Les audacieux qui iront voir
Le Guerrier silencieux trouveront là l'explication possible de la fin du film, où l'Antéchrist se sacrifie en arrivant sur un territoire peuplé d'Indiens, après avoir construit un monticule de pierres.
Vous aurez compris que la signification de ce voyage initiatique n'est pas d'une limpidité extrême. Torse tatoué, cheveux en chignon, l'espèce de Superman borgne dont Nicolas Winding Refn nous invite à suivre le périple se libère de ses chaînes grâce à un enfant qui le suit comme un disciple, et accompagne sans se convertir des soldats de Dieu déterminés à rejoindre la Terre sainte afin de s'y enrichir. A l'issue d'une traversée vécue comme une malédiction (l'embarcation se retrouve perdue dans les brumes, immobilisée par l'absence de vent), les conquérants débarquent sur cette terre inhospitalière qu'il est permis d'identifier comme le Nouveau Monde américain.
Dire que Nicolas Winding Refn réinvente le film de Vikings est un euphémisme. Ce film découpé en six chapitres est une odyssée poétique dans l'inconnu, le symptôme de la recherche de l'un des cinéastes actuels les plus intrigants qui soient, poussé du nihilisme vers une métaphysique qui rechigne à dévoiler ses codes. Portée par une impassible fascination contemplative, l'absurdité de la quête débouche sur une énigme dont les indices sont la majesté de la nature (sites sauvages, austères), le culte de l'épée (référence à Excalibur) et l'impossibilité pour le personnage principal de sortir du chaos autrement que par la mort.
Hanté par le thème de l'enfermement physique ou mental, l'auteur de la trilogie Pusher poursuit ici une série de portraits de bagarreurs rebelles, portée au plus haut point avecBronson(2008), évocation d'un braqueur ultra-violent. Reflet probable de l'auteur, le héros borgne du Guerrier silencieuxest un prisonnier de lui-même en liberté, scrutant une raison d'espérer par l'oeil de la caméra. Il s'est avoué ensorcelé par Scorsese et Kubrick, mais sa référence semble être ici Werner Herzog et son Aguirre (1972).
Dans ce film envoûtant, où les repères géographiques et temporels restent flous, où le réel se brouille au rêve en des visions rouge sang, un combattant traque au coeur des ténèbres ce qui pourrait lui donner une raison d'être. Aussi fracassante qu'elle soit, l'expérience physique ne le mène à rien. Emmuré dans son corps de gladiateur moyenâgeux, son salut réside dans le legs spirituel. En d'autres termes, Nicolas Winding Refn poursuit par le cinéma un but qui lui reste secret, et c'est ce mystère qui captive, comme la fulgurance d'une oeuvre d'art en gestation
Jean-Luc Douin (Le Monde, 9 mars 2010)
"[...]L'extrême lenteur du rythme, les obscurités du récit, son foisonnement de symboles et une complaisance certaine pour la violence ne font pas de Valhalla Rising une oeuvre aimable, au sens ethymologique du mot, ni d'un accès évident, mais pour ceux qui se laisseront tout simplement envoûter par la beautéfantastique des images et la présence inouïe de Mikkelsen, le voyage sera inoubliable."
Patrick Laurent (Rivarol, 19 mars 2010)