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  • Konrad Lorenz dans le fleuve du vivant (I)

    Une présentation par Alain de Benoist, de l'oeuvre de Konrad Lorenz, prix Nobel de médecine et fondateur de l'éthologie, publiée dans le numéro de mai 2009 de la revue Le Spectacle du Monde :

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    Konrad Lorenz : l'homme qui écoutait les oies
    Il y a vingt ans, disparaissait le biologiste et zoologiste Konrad Lorenz. Père de l’éthologie, prix Nobel de médecine et de physiologie, ses travaux pionniers sur le comportement animal et humain ont ouvert des voies décisives en resituant « l’homme dans le fleuve du vivant ».

    Il a sans doute été l’un des savants les plus populaires de son temps – ce qui ne l’a d’ailleurs jamais mis à l’abri des critiques ! L’un de ses premiers livres ayant été traduit sous le titre Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons, Konrad Lorenz avait tout pour plaire aux enfants, mais aussi aux adultes, qui se le représentaient toujours suivi par une nichée d’oies sauvages ou plongé dans une conversation avec des choucas. Mais ce sont ses pairs de la communauté scientifique qui ont fait attribuer le prix Nobel à ce grand biologiste et zoologiste autrichien, mort il y a tout juste vingt ans.

    Konrad Lorenz est né le 7 novembre 1903 à Altenberg, en Autriche. Son père, Adolf Lorenz, chirurgien et orthopédiste, fut l’ami personnel de l’empereur François-Joseph. Dès la petite enfance, le jeune Konrad se passionne pour le monde animal. Il rêve de posséder une oie sauvage… à défaut de pouvoir en être une ! Il se passionne aussi pour la théorie de l’évolution. La fille de ses voisins, son amie Margarethe (Gretl) Gebhardt, partage ses goûts. Devenue gynécologue, elle finira par l’épouser en 1927, l’année même où il publiera, dans le journal d’ornithologie de Leipnitz, sa première étude scientifique.

    En 1922, son père l’envoie étudier la médecine à l’université Columbia de New York. Il y fait la connaissance de Thomas Hunt Morgan, l’un des pères de la génétique moderne. A son retour en Allemagne, il suit à l’université de Königsberg les cours de Ferdinand Hochstetter, célèbre anatomiste, qui lui apprend à reconstruire l’arbre généalogique des espèces à partir de leurs similarités et de leurs différences anatomiques. En 1927, il crée sa première colonie d’animaux. Ayant horreur de la domestication, il étudie les animaux dans leur milieu naturel, en vivant parmi eux. En 1929, il est docteur en médecine. Six ans plus tard, après avoir soutenu à Munich une thèse de doctorat sur le vol des oiseaux, il se tourne définitivement vers l’étude comparée des comportements animaux.

    Il commence, âgé de trente-deux ans, par enseigner la psychologie animale et l’anatomie comparée à l’Institut d’anatomie de Vienne. En 1936, à l’occasion d’un colloque à La Haye, il fait la connaissance du Hollandais Nikolaas Tinbergen, qui travaille sur les mêmes sujets que lui. En 1939, il devient professeur de psychologie à l’université de Königsberg, où il se voit confier la chaire d’Emmanuel Kant. C’est alors qu’il développe les théories qui le feront connaître après la guerre dans le monde entier.

    Ses premières recherches consistent à appliquer les méthodes de l’anatomie comparative à l’étude des comportements animaux. Chaque espèce, constate-t-il, développe une gamme de comportements stables, quasiment invariables, qui lui est propre. Ces formes de comportement, acquises au cours de l’évolution, peuvent se classer en quatre catégories : la dimension de causalité immédiate (réaction à un stimulus), la dimension ontogénétique (le comportement inné, préprogrammé), la dimension phylogénétique (les différences et les similarités entre les espèces), la dimension adaptative (les facteurs extérieurs ayant généré un comportement).

    Ainsi naît une nouvelle discipline, l’éthologie, qui se définit comme l’étude expérimentale des bases biologiques du comportement animal et humain. En montrant le caractère inné d’un grand nombre de comportements, l’éthologie permet à la psychologie scientifique de faire sa jonction avec la théorie de l’évolution.

    Lorenz réhabilite avec force la notion d’instinct, terme qu’on jugeait avant lui souvent trop flou ou caractéristique d’une philosophie « vitaliste » (Hans Driesch) scientifiquement discréditée. Pour ce faire, il s’inspire de la théorie des instincts développée par Erich von Holst en 1935 à partir d’une série de travaux sur le système nerveux central.

    La plupart des comportements innés sont des comportements instinctifs, c’est-à-dire des suites d’attitudes ou de mouvements stéréotypés caractéristiques qui, une fois déclenchés par un stimulus quelconque (visuel, tactile, sonore, odorifère, etc.), s’exécutent jusqu’à la fin, même si, en cours de route, ils ont perdu toute utilité. Leur caractère inné est établi par le fait que ces séquences de mouvements coordonnées sont identiques chez tous les représentants de l’espèce, qu’elles ne sont modifiées par aucune forme d’apprentissage et, surtout, qu’elles varient en forme et en diversité en fonction de la distance génétique séparant les groupes ou les espèces chez lesquels on peut les observer (c’est ce qu’on appelle la phylogenèse des comportements).

    Une autre preuve du caractère inné des mouvements instinctifs est qu’ils se produisent parfois en l’absence de tout stimulus. C’est ce que Lorenz appelle les « réactions à vide ». Un oiseau, par exemple, peut très bien accomplir tous les gestes de la chasse aux insectes alors qu’il n’y a aucun insecte près de lui et qu’il n’a jamais été témoin d’un comportement semblable chez un autre oiseau. Autre exemple : les mouches mutantes, nées sans ailes, exécutent les mêmes mouvements de nettoyage des ailes que leurs congénères normalement constituées. De même, un chat tente d’enterrer ses excréments en grattant par terre même s’il a toujours vécu dans un appartement, où il ne peut gratter que le parquet ou le carreau.

    Lorenz ne rejette évidemment pas l’idée d’apprentissage. Mais il souligne qu’aucun apprentissage n’est possible s’il n’existe pas de mécanismes génétiquement déterminés qui permettent d’apprendre. En d’autres termes, un animal ne peut apprendre que ce pour quoi son système nerveux est conçu, ce que les behaviouristes (qui n’y voient qu’une machine à réflexes) se sont toujours refusés à admettre. Chez l’homme, par exemple, la langue n’a rien de génétique, mais la faculté d’apprendre une langue dépend de ses capacités innées. L’acquis opère donc toujours à partir d’un matériau prédonné. C’est également la conclusion à laquelle aboutira le linguiste Noam Chomsky.

    C’est une grande erreur, écrit Lorenz, d’opposer l’inné et l’acquis comme des réalités contradictoires, à la façon d’un jeu à somme nulle où tout ce qui est gagné par l’un est automatiquement perdu par l’autre. L’inné et l’acquis se combinent en permanence, si bien qu’aucune de ces deux notions ne peut être conçue indépendamment de l’autre.

    Le phénomène de l’« empreinte » (imprinting), que Lorenz a été le premier à décrire en 1935, à partir des travaux sur les oiseaux du zoologiste Oskar August Heinroth, et en observant surtout les oies cendrées et les canards, montre bien la façon dont se combinent l’inné et l’acquis. Dès les premières semaines de son existence, un instinct pousse le petit animal à s’identifier au premier être vivant qu’il rencontre, à rechercher sa présence et à le suivre constamment. Le plus souvent, il s’agit de sa mère, mais il peut aussi bien s’agir d’un être humain. Konrad Lorenz a pu ainsi se faire suivre pendant des mois par une nichée d’oies sauvages qu’il avait élevées dès la naissance. C’est la nature (l’inné), explique-t-il, qui dit au petit animal qu’il doit s’attacher à quelqu’un, mais c’est la culture (l’acquis) qui lui suggère qui il doit suivre.

    Ces travaux sur l’empreinte ont, par la suite, donné naissance à d’innombrables études consacrées à la notion d’attachement (maternel, entre conjoints, entre membres d’un groupe, etc.) – notion complètement distincte de celle d’amour ou de lien sexuel – qui, depuis le début des années 1970, s’est pleinement intégrée dans le champ de la psychologie humaine, d’autant qu’on a pu en identifier récemment les bases neurobiologiques.

    Tous ces acquis n’ont pas été admis sans peine. En mettant l’accent sur la part innée des comportements animaux et humains, Lorenz ne réfute pas seulement l’opinion exprimée au XVIIe siècle par Descartes, qui faisait de l’animal une machine dépourvue d’émotions, ou la conception métaphysique idéaliste qui isole l’homme du reste du vivant. Il heurte aussi de plein fouet la croyance de la philosophie des Lumières en une toute-puissance du milieu qui s’exercerait, à partir de la naissance, sur un organisme considéré comme une cire vierge ou une table rase. Il contredit enfin les élèves de Pavlov et les tenants du behaviourisme américain (J.B. Watson, Burrhus F. Skinner), selon qui tous les comportements peuvent être obtenus par une combinaison de récompenses et de punitions, l’être humain pouvant être ainsi construit intégralement de l’extérieur comme un assemblage de réflexes conditionnés.

    Mobilisé à l’automne 1941 comme médecin psychiatre auprès des soldats allemands souffrant de traumatisme, Konrad Lorenz est fait prisonnier dès l’année suivante par l’armée Rouge aux environs de Witebsk. Il sera déporté en Arménie soviétique jusqu’en 1948. « C’est à cette occasion, dira-t-il plus tard, que j’ai pu observer le parallélisme frappant entre les effets psychologiques de l’éducation marxiste et de l’éducation nazie. J’ai alors commencé à comprendre la nature de l’endoctrinement. »

    A son retour en Autriche, en février 1948, il devient le successeur de Karl von Frisch à l’université de Graz. A partir de 1949, il dirige l’Institut d’éthologie comparée d’Altenberg, puis à partir de 1961, à Seewiesen, l’Institut Max-Planck de physiologie comportementale. C’est également à cette époque que ses thèses, exposées dans de nombreux livres, touchent un grand public. Sa barbiche et ses cheveux blancs contribuent bien sûr à populariser le personnage !

    En 1963, Konrad Lorenz publie un livre qui lui vaut une renommée mondiale. Traduit en France sous le titre fautif de l’Agression (car il porte en réalité sur l’agressivité, ce qui n’est pas la même chose), il y montre le caractère inné des pulsions agressives, tout en soulignant l’importance des rituels, qu’il interprète comme la forme adaptative qu’une culture impose à ses membres pour leur permettre de canaliser ou de sublimer certaines de ces pulsions et d’en limiter les effets.

    Chez l’animal, le comportement agressif répond à trois nécessités : assurer la répartition des individus d’une même espèce sur tout l’espace disponible (il existe un lien très fort entre l’agressivité et l’attachement au territoire : la combativité d’un animal atteint son maximum à l’endroit qui lui est le plus familier), opérer la sélection entre rivaux, notamment dans le domaine sexuel (l’affrontement entre les mâles permet aux plus vigoureux de se reproduire plus que les autres, et donc aux caractères portés par leurs gènes d’être mieux représentés à la génération suivante), assurer la défense de la progéniture (l’agressivité est ici directement associée à son contraire : Lorenz montre que les espèces où les parents portent à leurs petits une attention privilégiée sont aussi celles dont l’agressivité est la plus développée).

    L’agressivité intraspécifique existe chez de nombreuses espèces animales. Mais elle a ceci de remarquable qu’elle ne vise jamais à l’extermination des congénères. C’est ce qui distingue la guerre, telle qu’elle est pratiquée par les humains, des comportements prédateurs qui sont, chez les autres animaux, non seulement destinés à se nourrir, mais (à quelques exceptions près) essentiellement dirigés vers les autres espèces. La nature est violente, mais elle ignore la guerre de tous contre tous. La prédation, en outre, n’est pas à proprement dit un combat. C’est seulement chez l’homme que l’agression intraspécifique s’est généralisée.

    Son animal de prédilection Les travaux que Lorenz consacra aux oies cendrées restent, aujourd’hui encore, les plus complets jamais réalisés sur cette espèce. Outre l’étude de leurs caractéristiques physiologiques, il s’est intéressé à leur vie sociale, mettant notamment en évidence l’importance de certains rituels instinctifs.

    Au cours de l’évolution, différents rituels d’inhibition de l’agressivité ont été acquis. Ils sont fondamentaux dans la vie des espèces, qu’elles soient animales ou humaines. Lorenz montre ainsi que l’oie sauvage, son animal préféré, peut tomber en dépression si l’on modifie une seule de ses habitudes instinctives, si insignifiante qu’elle soit en apparence. Chez l’homme, les rites (de table, de vie amoureuse, d’appartenance, de conversation, de politesse, etc.) aident également à vivre. Sans les repères qu’ils confèrent aux individus et aux groupes, ceux-ci sont spirituellement et socialement déracinés. Le drame de l’espèce humaine, ajoute Lorenz, est que sa technologie meurtrière est toujours en avance sur ses habitudes morales, ce qui rend inopérants nombre de ces rituels : « L’homme qui appuie sur un bouton est complètement protégé des conséquences perceptives de son acte. » En cela réside le risque de son autodestruction.

    Lorenz montre ainsi le caractère ambigu de l’agressivité : destructrice dans bien des cas, elle est aussi indispensable à la survie et à bon nombre d’activités créatrices. « Avec l’élimination de l’agressivité, écrit-il à cet égard, se perdrait beaucoup de l’élan avec lequel on s’attaque à une tâche ou un problème. » Chez de nombreuses espèces animales, les parades nuptiales et les rites d’accouplement sont d’ailleurs des variations du comportement agressif. L’agressivité a en fait besoin d’un exutoire. Autant il serait utopique de vouloir la faire disparaître, autant il est nécessaire de la canaliser ou de la réorienter vers des substituts positifs ou des causes non meurtrières (c’est le phénomène de la catharsis). On aurait tort, en tout cas, d’en faire le synonyme du «mal»: « Stigmatiser un mal, c’est s’autoriser d’emblée à prendre des mesures pour l’anéantir ; là est la racine de toutes les formes de guerres religieuses. » Nier la réalité de la pulsion agressive, c’est se condamner à la voir se déchaîner de la plus atroce façon.

    Le 11 octobre 1973, c’est la consécration : conjointement avec l’Allemand Karl von Frisch et le Néerlandais Nikolaas Tinbergen, Konrad Lorenz reçoit le prix Nobel de physiologie et de médecine pour ses travaux sur les comportements. Aucun chercheur spécialiste du comportement ne recevra cette distinction après lui.

    Se faisant moraliste à la fin de sa vie, Konrad Lorenz, dans les Huit Péchés capitaux de notre civilisation (1971), développe l’idée d’une « autodomestication » de l’homme, qui est à la base de sa théorie de la « dégénérescence ». Comparant les animaux sauvages et les animaux domestiqués, Lorenz remarque chez les seconds des caractéristiques que l’on retrouve dans les sociétés humaines modernes : une tendance à l’obésité, des problèmes de régulation de la sexualité aboutissant souvent à une hypersexualisation, une régression infantile des individus, les adultes se comportant de plus en plus comme des individus immatures et narcissiques. N’étant plus contrainte par l’environnement sauvage, conclut-il, l’espèce humaine s’est progressivement autodomestiquée par des procédés de sélection (ou de contre-sélection) artificiels. Les pulsions élémentaires ne sont plus canalisées, et l’idéal d’« émancipation » se traduit trop souvent par une régression pure et simple aux instincts primaires.

    Lorenz met aussi en garde contre d’autres dangers : les armes atomiques, la dévastation de l’environnement, le surpeuplement démographique, la dégradation génétique, la « contagion de l’endoctrinement » et ce qu’il appelle la « tiédeur mortelle », expression qui désigne chez lui l’hypersensibilité croissante au déplaisir, le refus de toute contrariété, dont l’effet paradoxal est que la capacité de plaisir va s’émoussant. Trop facilement atteint, le plaisir se banalise, exigeant une surenchère permanente. Convaincu qu’il a le droit de voir satisfaits tous ses désirs, l’individu n’est lui-même jamais pleinement heureux puisqu’un désir satisfait en fait aussitôt naître un autre. Ayant mis en lumière l’importance des bases innées du comportement, Konrad Lorenz, contrairement à nombre de ses collègues anglo-saxons, se garde toutefois de tomber dans le réductionnisme. Trop averti des problématiques philosophiques pour céder à la tentation du positivisme scientiste, il souligne avec force que certaines propriétés émergentes distinguent l’homme des autres vivants, à commencer par sa faculté d’agir sur les conditions sociales-historiques de son existence. « Si vous dites que l’homme est un animal, vous avez raison, mais si vous dites que l’homme n’est qu’un animal, vous avez tort », me dit-il un jour, avec un sourire malicieux, dans sa maison d’Altenberg, près de Vienne, où j’étais allé le visiter. Chez l’homme, les instincts aussi sont présents, mais ils ne sont pas déterminés dans leur objet comme chez les animaux. Un animal sait d’instinct ce qu’il doit manger et ce qu’il doit éviter, ce qui n’est pas le cas de l’homme, alors qu’il éprouve le même besoin instinctif de se nourrir. Lorenz en conclut que l’homme peut s’adapter à beaucoup plus de situations différentes que la plupart des animaux, non parce qu’il n’a pas d’instincts, mais parce qu’il est un animal « inachevé », un être « ouvert au monde ». Alors que l’animal se voit entièrement dicter sa conduite par la sûreté de ses instincts, l’homme, spécialiste de la non-spécialisation, doit recourir à son libre-arbitre. Doté d’une « juvénilité persistante », il doit toujours faire des choix, et cette nécessité est le fondement même de sa liberté. Il doit ensuite transmettre ce qu’il a appris. « L’homme est par nature un être de culture », disait le philosophe Arnold Gehlen, l’un des auteurs que Lorenz cite le plus souvent.

    Konrad Lorenz est mort dans sa ville natale le 27 février 1989. Un autre Autrichien, Irenäus Eibl-Eibesfeldt, s’est, après lui, consacré uniquement à l’éthologie humaine, après avoir été l’un de ses principaux collaborateurs. Les acquis de l’éthologie ont parallèlement été développés par ce qu’on appelle aujourd’hui la psychologie évolutionnaire. Le mouvement des sciences ne s’arrête jamais.

    Alain de Benoist (Le Spectacle du Monde, mai 2009)

    A lire Evolution et modification du comportement. L’inné et l’acquis (Payot, 1967) ; Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons (Flammarion, 1968) ; l’Agression, une histoire naturelle du mal (Flammarion, 1969) ; Essais sur le comportement animal et humain (Seuil, 1970) ; les Huit Péchés capitaux de notre civilisation (Flammarion, 1974) ; l’Homme dans le fleuve du vivant (Flammarion, 1981) ; les Fondements de l’éthologie (Flammarion, 1984) ; Sauver l’espoir (Entretiens avec Kurt Mündl, Stock, 1990).
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  • Le siècle juif ?...

    A signaler le livre de l'historien américain Yuri Slezkine, Le siècle juif (La découverte, 2009), dont la thèse mérite sans doute d'être méditée...

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    "« L’Âge moderne est l’Âge des Juifs, et le XXe siècle est le Siècle des Juifs. La modernité signifie que chacun d’entre nous devient urbain, mobile, éduqué, professionnellement flexible. […] En d’autres termes, la modernité, c’est le fait que nous sommes tous devenus juifs. »
    Yuri Slezkine montre qu’il existe, dans la plupart des civilisations traditionnelles, une opposition structurale entre une majorité de paysans et guerriers « apolliniens » et une minorité de « mercuriens », « nomades fonctionnels » vulnérables et persécutés. Tout comme les Chinois d’outre-mer en Asie, les Parsis et les Jains dans le sous-continent indien, les Juifs sont les dignes descendants de Mercure, « le patron des passeurs de frontières et des intermédiaires ; le protecteur des individus qui vivent de leur agilité d’esprit, de leurs talents et de leur art » et dont le succès leur attire une jalousie parfois mortelle.
    Avec le XXe siècle, le capitalisme « ouvre les carrières aux talents », tandis que le nationalisme transforme tous les peuples en « peuple élu », convaincu de son destin singulier. Les Juifs deviennent les modernes par excellence. Et, de fait, leurs grandes « Terres promises » au XXe siècle furent bien l’Amérique capitaliste et libérale et Israël, « le plus excentrique des nationalismes ». Mais on oublie souvent que la Russie soviétique fut le grand réservoir d’utopie et de promotion sociale pour les Juifs. Mobilisant la démographie et la sociologie autant que la littérature, l’auteur montre que les Juifs jouèrent un rôle absolument central dans l’édification de l’URSS, avant que la machine stalinienne ne se retourne contre eux.
    Méditation sur le destin du peuple juif, pour lequel le XXe siècle fut tout à la fois une apothéose et une tragédie, ce livre propose une réflexion inédite et profonde sur la modernité, le nationalisme, le socialisme et le libéralisme. "
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  • Lucien Rebatet, toujours infréquentable ?

    Trouvé sur son blog Lettres ouvertes, un très bon texte de Raphaël Sorin sur Philippe d'Hugues et Rebatet, dont une sélection d'articles sur le cinéma, rassemblés sous le titre Quatre ans de cinéma, vient d'être publié aux éditions Pardès, et que Métapo infos a déjà signalé ici.

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    Lucien Rebatet, toujours infréquentable?

    Depuis quinze jours je n’écoute plus les grandes radios. Marre d’entendre parler de Copenhague (sauvons les icebergs), d’Éric Besson (l’homme à la Boîte de Pandore entre les dents), de Johnny («J’entends siffler le drain») etc. Donc je vagabonde ailleurs, vers les postes en marge, loin de ce qui s’entend partout. J’ai un faible pour Radio libertaire, sa gouaille, ses colères, ses refrains. Et j’écoute aussi Radio Courtoisie, sa musique classique, ses nostalgiques de l’Empire français, son langage choisi. Il m’arrive ainsi de tomber sur l’émission de Philippe d’Hugues, «Le libre journal du cinéma», que je recommande aux apprentis cinéphiles. Dans la dernière, il y parlait du cinéma français sous l’Occupation, un sujet qu’il connaît comme personne, en bousculant quelques idées reçues. Par exemple, il rappelait qu’avant la guerre nos cinéastes furent soutenus par des producteurs juifs, réfugiés en France. Sans Gregor Rabinovitch, pas de Quai des brumes, et sans les frères Penkovitch, pas de Grande illusion, pour ne citer que ceux-là.

    UN AMI DE JEAN FORTON
    Il s’étendit sur un livre qu’il venait d’éditer et de préfacer aux éditions Pardès, une anthologie des textes de Lucien Rebatet, critique de cinéma à Je suis partout, le journal de Brasillach, sous le pseudonyme de François Vinneuil. Avant de plonger dans le vif de ce sujet délicat, il faut dire un mot sur d’Hugues, personnage discret, fiable, avec qui je ne manque pas d’affinités. Il est né en Indochine puis est venu à Bordeaux où il devint l’ami de Jean Forton. Ensemble, il créèrent une petite revue, La Boîte à clous. Raymond Guérin y publia sa mémorable visite à Malaparte (reprise chez Finitude). On reparle enfin de Forton puisque le Dilettante réédite son roman le plus fort, La Cendre aux yeux, tandis que Finitude publie un inédit, Sainte famille. Dans mes Produits d’entretiens (Finitude, 2005), j’ai repris une rencontre avec lui, dans sa librairie Montaigne, à Bordeaux, où il vendait des polycopiés de droit. Il est mort d’un cancer du poumon, en mai 1982. Relisant aujourd’hui La Cendre aux yeux, je retrouve son «humour glacé», un «pessimisme sans recours». La critique passa à côté du livre, jugea son héros «ignoble». Je rappelai «qu’elle ne comprit pas qu’en admirateur de l’Orphée de Cocteau, et du Tabou de Flaherty, Forton fut un visionnaire, un homme trop ardent pour faire banalement carrière». Après d’Hugues, j’appartins, comme lui, au conseil d’administration de la Cinémathèque française. Il fréquenta Pierre Boutang dont j'ai publié, au Sagittaire, un roman plus que déroutant, Le Purgatoire. Et je lisais ses articles dans Positif, les Cahiers du cinéma, Les Écrits de Paris où il succéda à… Vinneuil, en admirant leur netteté, l’étendue de son savoir.


    AVEC QUI ON REPLONGE SOUS l’OCCUPATION

    Dans sa préface à ces Quatre ans de cinéma (1940-1944), qui reprend l’essentiel des chroniques de Rebatet, d’Hugues évoque sa longue carrière, allant de L’Action française à Valeurs actuelles, de 1930 à 1972. Il cite ses deux livres majeurs, l’un encore maudit, Les Décombres, l’autre, Les Deux étendards, reconnu comme un chef d’œuvre par Etiemble (que Sartre vira illico des Temps Modernes), Paulhan ou Blondin (son compte-rendu délirant d’enthousiasme est repris dans Ma vie entre les lignes, disponible en Folio/Gallimard). Quand Pauvert, en 1976, se risqua à publier Les Décombres, intégrés dans Les Mémoires d’un fasciste 1, suivi des Mémoires d’un fasciste 2, il eut l’imprudence d’en caviarder des passages sans avertir ses lecteurs. Au cours d’une émission de radio, en direct, je lui en fit la remarque. Il dut imprimer un papillon pour signaler cette censure stupide (faite à la demande de l’auteur?).
    Quant à Dominique Gaultier, du Dilettante, il n’a pas oublié la vague d’indignation qui lui tomba dessus dès la parution, en 1992, des Lettres de prison adressées à Roland Cailleux. Elle témoignait, chez les conspueurs, d’une volonté de ne pas lire, que j’ai connue parfois dans ma carrière d’éditeur. Condamné à mort en 1946, et gracié, Rebatet n’en finit pas de purger sa peine. Il suffit de lire ce qu’en disent les usuels de littérature qui l’exécutent vite fait. Le Dictionnaire des écrivains de langue française (Larousse, 2001), le traite moins bien que Rebell et à peine mieux que Paul Reboux et Charles Muller, les aimables pasticheurs. Quant au Dictionnaire des Littératures (Larousse, 1986), il est encore plus concis, l’entrée «Rebatet» s’achevant comiquement par ce commentaire de son Histoire de la musique (Bouquins, 1969) qui «révèle une vision originale».

    ET ON FEUILLETTE «JE SUIS PARTOUT»
    Il est temps de méditer ce que Rebatet-Vinneuil a pu écrire sur des films produits sous la censure de Vichy et des Allemands. D’Hugues a raison de souligner leur pertinence et la clairvoyance du critique qui reconnaît la vague nouvelle des futurs grands cinéastes français, révélés après l’armistice: Clouzot, avec Le Corbeau, Bresson, pour Les Anges du pêché, Autant-Lara, avec Douce, Becker, dès Dernier atout. Il annonce, avant Bazin et les Cahiers, la «politique des auteurs».
    Sa chasse aux navets est réjouissante. Un pauvre producteur, Roger Richebé, devient une cible de choix, le «représentant du cinéma à la petite semaine». Il l’accuse même, avec ses pairs, de créer le communisme. De tels écarts de jugements sont assez rares dans ce recueil. Rebatet s’est lâché en 1941 dans Les Tribus du cinéma et du théâtre. Il s’en prend plutôt aux médiocres, au «fernandellisme». Il sent ce qui cloche dans un scénario mal construit, juge sévèrement le jeu des acteurs («Alain Cuny est décidément un comédien pour le seul "ralenti", décomposant, décantant le moindre geste, et constituant un assez lourd handicap pour le spectacle.» En cela, il prépare le terrain à Truffaut (qui reconnut sa dette) et je me demande pourquoi, le «fasciste» bien cloué et décloué au pilori, les critiques d’aujourd’hui évitent de distinguer l’auteur de 1500 (ou 2000) chroniques de films.
    Bernard Frank, dans Chronique d’un amour 2, en 1953, (voir Mon siècle, Quai Voltaire, 1993), déclarait ceci: «Je comprends… qu’on édite les livres de Rebatet. Avec les gouvernants que nous avons, ces Pinay ou ces René Mayer, ce serait une honte que les écrivains seuls perpétuent les injustices des périodes révolutionnaires. je comprends même qu’on parle de ces écrivains, si leurs livres sont bons. Encore que je n’apprécie pas trop ce gloussement de vieille poule qui s’emparent de certains critiques quand ils le font. Eh bien! oui,vous parlez de Rebatet. Ce n’est pas la mer à boire. Et une rafale de mitrailleuse ne vous menace pas. Quoi! vous voulez la Légion d’honneur?»
    Rassure toi, cher Bernard (dont Flammarion réédite Les Rats), d’Hugues et moi ne gloussons ni ne caquetons.

    Éditions Pardès, boîte postale 11,
    44, rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing.
    01.64.28.53.38

    BONUS
    Serge Reggiani eut un rôle dans Le Carrefour des enfants perdus, de Léo Joannon (on a revu de lui Caprices, une comédie charmante, lors de l’hommage à Danièle Darrieux à la Cinémathèque). Rebatet estime qu’il est le meilleur comédien du film, projeté en avril 1944. «Il y apporte une vraie nature, autant d’intelligence que de jeune vigueur.» On peut vérifier cette opinion, et faire un beau cadeau à ses admirateurs, avec un coffret édité par les productions Jacques Canetti. Il contient un CD avec 28 chansons enregistrées en public, trois DVD inédits (49 chansons en images, 26 reportages -conversation avec Melville, extrait des rushes de l'Enfer de Clouzot, moments des Séquestrés d'Altona de Sartre).

    • Raphaël Sorin • Publié le 18/12/2009 sur Lettres ouvertes, un blog de Libération.fr

     

    Il faut aussi lire, bien sûr, les réactions, assez variées, des lecteurs à cette tribune...

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  • Fêter Noël

    " Noël, fête de la mémoire, fête de la famille, fête du souvenir, fête de la foi et de l'espérance, a traversé siècles et millénaires sans mourir. Cela aussi, c'est un "miracle" que cette fête qui ne meurt jamais, qui renaît sans cesse, dans les époques et les lieux les plus différents, à l'image même de ce dont elle porte témoignage au coeur de l'hiver et de la nuit."

    Alain de Benoist, Fêter Noël

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    L'ouvrage sympathique et érudit d'Alain de Benoist est toujours disponible aux éditions Pardès.

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    "Noël... Chaque année, à l'approche du 25 décembre, une ambiance joyeuse règne dans tous les foyers. On installe le sapin, on le décore de guirlandes, de boules et de bougies
    Les enfants attendent avec espoir la merveilleuse visite du Père Noël, tandis que les parents, dans le plus grand secret, préparent les cadeaux. Et le soir tant espéré arrive enfin, avec ses festivités. Fêter Noël, c'est obéir à la plus vieille tradition du monde. Aussi est-ce tout naturellement que l'Église, à l'aube de notre ère, devait faire coïncider la naissance du Christ avec l'antique et païenne fête de Noël. C'est cette fabuleuse histoire qui nous est contée dans ce livre, ainsi que celle de toutes les traditions qui y sont aujourd'hui attachées. D'où vient la coutume du sapin
    Quand le Père Noël a-t-il fait sa première apparition ? Pourquoi le porc, la dinde ou l'oie sont-ils tout particulièrement à l'honneur dans les agapes nocturnes du 24 décembre ? Autant de questions auxquelle
    l'auteur nous offre des réponses pittoresques et savantes
    nous invitant par la même occasion à une passionnante redécouverte du folklore de la campagne française et des différentes régions d'Europe. Rempli d'illustrations anciennes et modernes, ce livre unique en son genre nous propose enfin de multiples suggestions pratiques, afin de nous permettre de fêter Noël dans la joie "
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  • Actualité d'Oswald Spengler

    "L'existence éphémère, le surgissement et l'effacement, telle est la forme de toute réalité, des étoiles dont le destin échappe à nos calculs, jusqu'au grouillement passager qui couvre notre planète."

    Oswald Spengler, L'homme et la technique                                                                            

     

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    En attendant la publication du prochain numéro de la revue Nouvelle Ecole, qui devrait être consacrée à l'oeuvre d'Oswald Spengler, il peut être intéressant de découvrir un site original consacré à cet auteur : Oswald Spengler : retour de l'Occident

    L'animateur du site a eu un parcours original puisque, ancien séminariste et ancien membre du parti communiste, il est arrivé à l'oeuvre de Spengler au travers de la lecture d'Ernst von Salomon ! Outre les articles sur les théories de l'auteur du Déclin de l'Occident, on pourra consulter avec intérêt les nombreuses fiches de lecture. 

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  • La grâce de l'Histoire

    Philippe Grasset, l'animateur du remarquable site d'analyse De Defensa, consacré aux questions politico-stratégiques, et l'auteur des Chroniques de l'ébranlement et du Monde malade de l'Amérique, prépare la publication d'un essai de philosophie de l'histoire intitulé La grâce de l'Histoire, dont on peut lire ici l'introduction. Il explique ci-dessous son projet.

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    Philippe Grasset parle de La grâce de l’Histoire

    Au départ, le projet était limité, dans l’ampleur chronologique du sujet, autant que dans le fond et dans les ambitions d’interprétation. Il devait beaucoup à une première expérience que vous connaissez (Les Âmes de Verdun, livre et album photographique dont vous pouvez consulter les différents caractères), et à une idée générale concentrée sur la période 1919-1933 et ses rapports conceptuels avec notre crise actuelle. Cette idée générale se résumais en ceci qu’on trouvait dans cette période entre 1919 et 1933 (ces dates sont justifiées précisément dans le cours du livre) un éveil considérable et un courant d’analyse et de polémique d’exceptionnelle qualité à propos de certains caractères (machinisme, américanisme, technologisme, communication, etc.) qui sont les fondements de notre grande crise actuelle. Cette crise elle-même était perçue dans ses signes précurseurs, au point que nombre des textes publiés pendant la période pourrait l’être aujourd’hui – certains sont republiés actuellement –, faisant bien meilleure figure que ceux qu’on trouve dans le courant de l’édition, venus de nos penseurs postmodernes de la crise.

    A l’étude et à la réflexion, la chose s’est transformée, le cadre s’est élargi, l’ambition a grandi, le sujet lui-même a pris ses aises et réclamé plus d’observations, de largeur de vue, d’efforts, de considération, voire de respect pour lui-même. Ce qui apparaissait, peu à peu à découvert, s’imposait bientôt comme une immense crise affectant toute une civilisation, et l’enquête réduite aux bornes initiales s’avérait de plus en plus incomplète et, en vérité, fort étriquée. Le projet a changé. Dès que le titre fut choisi, en mars dernier, un peu comme s’il s’imposait de lui-même, le sort en était jeté… La grâce de l’Histoire exigeait que l’on allât plus loin, beaucoup plus loin. Je me suis exécuté. Il y a des mots qui ont des exigences.

    Cela explique le retard apporté à ce que nous avions primitivement prévu comme calendrier pour la mise en ligne. Il faut aussi savoir que la rédaction de l’ouvrage n’est pas terminée: fin de la sixième Partie encore à faire, septième Partie (qui est la conclusion) à écrire complètement mais dont le canevas est déjà constitué en reprenant la thèse complète de l’ouvrage, avec ses perspectives; travail conséquent de relecture à faire dans les quatrième et cinquième Parties. Le travail se poursuivra donc parallèlement à la publication, et il s’agit là, au fond, du principe même du “feuilleton” dans le sens traditionnel du genre, qui est écrit à mesure de la publication. C’est suggérer également combien il est justifié de penser qu’il y aura des modifications entre la publication en ligne et la publication en édition classique que nous projetons ensuite. Le calendrier est donc à peu près celui d’une publication tous les 20-25 jours ; la première aujourd’hui, la seconde le 10-15 janvier 2010, la troisième le 30 janvier-5 février 2010 et ainsi de suite. Mais j’espère que vous comprendrez que ce calendrier est théorique, qu’il peut être changé selon la bonne marche du travail de l’auteur.

    La veine de l’“histoire prophétique”

    Il s’agit d’un “essai métahistorique”, ou de métahistoire, ou de “philosophie de l’Histoire”. La “méthode”, si l’on veut bien passer sur ce mot, fait un grand appel à l’intuition, au moins autant qu’à l’expérience et à la connaissance, elle est très exhaustive, dans le choix des choses jugées importantes et dans la mise à l’écart des autres. Le style, qui est peu habituel pour un livre d’histoire comme on en a la coutume aujourd’hui, joue son rôle dans l’équilibre et la force recherchées du livre, s’il y a effectivement de l’une et de l’autre. La veine se réclame d’un courant très fécond dans la littérature française du passé, et qui s’est malheureusement tarie, de l’“histoire prophétique” (que je jugerais illustrée par des écrivains comme Châteaubriant, Maistre, etc.). J’ai retrouvé ce passage sur “l’historien prophétique” dans le livre de Pierre Kaufmann, L’inconscient politique (Vrin, 1988), p.36 – ce passage seul, sans les observations idéologiques qui l’accompagnent, qui ne sont pas nécessairement de ma chapelle; ce passage a l’avantage de résumer l’ambition de cette catégorie de la littérature qu’est l’“historien prophétique” :

    «26 mai 1789 : Schiller prononce à l’Université d’Iéna la leçon inaugurale de son cours d’histoire : Qu’est-ce que l’histoire universelle et pourquoi l’étudie-t-on ?, acte de foi dans le développement de la civilisation à l’échelle de l’humanité entière : l’historien de l’histoire universelle, en effet, n’est pas seulement l’historien du passé mais aussi bien et surtout l’historien prophétique de l’avenir…»

    Je le répète avec force, je ne suis pas sûr d’adhérer aux conceptions qui accompagnent cette citation mais je trouve dans cette citation l’ampleur de l’ambition dont je parle, quelle que soit l’orientation choisie et l’esprit politique qui la marque. Cette ampleur universelle, je l’espère, se retrouve dans La grâce de l’Histoire même si le sujet est volontairement réduit à quelques acteurs (principalement Allemagne, Etats-Unis, France, et aussi, moins présent, l’Angleterre). Ces acteurs suffisent à illustrer la thèse et constituent les principaux instruments de démonstration du phénomène universel que je veux décrire. Les spécificités nationales, si elles sont longuement et profondément étudiées, ne le sont qu’en fonction de leurs rapports avec le phénomène universel qui est le sujet de l’essai, et nullement par rapport aux spécificités nationales dont on voudrait faire des cas particuliers, et éventuellement des cas destinés au bûcher régulièrement rallumé pour brûler les nationalismes qui, c’est bien connu dans nos temps d’une crise universelle suscitée par un système technologique et de communication global qui nous emprisonne, semblent constituer le danger le plus pressant et le plus infâme. La paille et la poutre et la querelle sur le sexe patriotique des anges, voilà qui devrait être inscrit comme deux des spécialités olympiques phares des Jeux Olympiques réformés par postmodernisme.

    La poids de La grâce de l’Histoire

    Le point principal de La grâce de l’Histoire, que nous avons déjà mentionné ici et là, est bien que nous nous trouvons dans une “deuxième civilisation occidentale” depuis le passage du XVIIIème au XIXème siècle. C’est un point essentiel parce qu’il doit modifier nombre de nos visions et de nos conceptions, tant du passé (“première civilisation”) que du présent (“deuxième civilisation”). Cette idée de “deuxième civilisation” est venue dans le cours de la réflexion et de l’écriture, elle s’est imposée d’elle-même.

    Ma conviction est que des conditions nouvelles, ou les germes puissants de conditions entièrement nouvelles, embrassant tous les aspects de la vie économique, psychologique, culturelle et sociale, et la politique par conséquent, sont brutalement apparues dans l’espace de vingt années de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème siècle, établissant effectivement une rupture de civilisation. Trois événements sont principalement la cause ou les signes de cette rupture, et ils forment à eux trois la matrice de la “deuxième civilisation”: les deux Révolutions (l’américaine, ou américaniste, et la française) et le choix de la thermodynamique pour la production d’énergie (ce que nous résumons par l’expression de choix du feu que l’on retrouve dans le cours du texte, marquées en italique comme référence au livre d’Alain Gras publié en 2007 sous ce titre). Ce point essentiel du choix du feu, qui est le moins connu des trois événements de rupture que nous mentionnons, est une idée qui n’est pas nouvelle – signe de son importance. Notre ami Guglielmo Ferrero le mentionnait ainsi, en 1924 (dans la fameuse période 1919-1933), dans son Dialogue aux sourds:

    «C’est le culte du Feu, du vieux Dieu Agni, qui renaît, déguisé, dans le rationalisme dominant de plus en plus toutes les formes de l’activité humaine; la grande industrie, les machines de métal mues par la vapeur ou l’électricité; la civilisation quantitative, à grande production, qui remplace les anciennes civilisations qualitatives.»

    Mais l’hypothèse va plus loin, ou plus haut. L'idée de cette “deuxième civilisation” ainsi détaillée nimbe toute l’approche du thème ainsi choisi. Elle concerne l’Histoire dans le sens le plus haut qu’on peut donner au mot. C’est l’essentiel du propos et je ne sais encore sous quelle forme il sera précisé, et comment l’esprit en sera présenté; il formera une part importante du point de vue du sens fondamental de l’ouvrage, dans sa conclusion. C’est le mystère, ou le Mystère on verra, de La grâce de l’Histoire qui n’est pas encore achevée, à l’heure et au jour où ces lignes paraissent.

    Je m’adresse aux lecteurs de defensa.org, qui savent certes dans quelles conditions ce livre est lancé et qui souscrivent à l’esprit de ce projet. Ils ont un rôle à jouer, directement et même indirectement, en y souscrivant et en répandant le bruit de sa publication. Nous ne comptons pas trop sur les ci-devant, encore sur le devant de la scène, faisant fonction de critiques officiels de genre de la littérature historique, pour s’emparer de la chose. Ils ont d’autres chats à caresser dans le sens du poil.

     

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