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valeurs actuelles

  • Laurent Dandrieu fait son cinéma...

    Les éditions de L'Homme nouveau viennent de publier un Dictionnaire passionné du cinéma établi par Laurent Dandrieu. Journaliste et critique de cinéma à Valeurs actuelles, Laurent Dandrieu était, dans les années 90, un des animateurs de la revue Réaction, remarquable revue de la droite littéraire de conviction. Il a récemment publié Woody Allen - Portrait d'un antimoderne (CNRS éditions, 2012).

     

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    " Comment s’y retrouver dans une production cinématographique surabondante, et de plus en plus accessible au gré des rééditions vidéo, mais aussi de la multiplication des chaînes de télévision ? Comment distinguer ce qui vaut la peine d’être vu de ce qui est une simple perte de temps, les films qui élèvent de ceux qui dégradent, ceux qui ouvrent au spectateur de nouveaux horizons de ceux qui l’enferment dans une vision négative de l’existence ?
    Offrant une sélection très large du cinéma récent, mais aussi des grands classiques, chefs-d’œuvre, curiosités ou fausses valeurs que le septième art a produits depuis l’origine, Laurent Dandrieu présente 6000 films à regarder ou à éviter. Par rapport aux autres dictionnaires existants, son Dictionnaire passionné du cinéma offre la singularité de voir un même et unique critique analyser un très large éventail de films, en toute indépendance de jugement, sans égard pour les notoriétés établies et les admirations obligatoires.
    Au passage, ces pages sont l’occasion de décrypter le monde tel qu’il va ou tel qu’il ne va pas ; à travers le miroir qu’en fournit la production cinématographique du monde entier, c’est ainsi un état des lieux de la modernité, de l’esprit du siècle et de sa conception de l’homme qui se dessine. "

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  • Les snipers de la semaine (8)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Valeurs actuelles, Jean-Paul Brighelli rafale les "chantres du laxisme";

    Les casseurs de thermomètres

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    - sur Polémia, Michel Geoffroy liquide la génération 68.

    La génération de l'échec

     

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  • James Ellroy, agent provocateur

    Jérôme Leroy a publié dans Valeurs actuelles (11 février 2010) un beau papier sur le dernier roman de James Ellroy, Underworld USA, paru chez Rivages.

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    James Ellroy, agent provocateur

    Fresque totale mêlant l’historique et l’intime, “Underworld USA” est l’histoire pleine de bruit et de fureur de l’envers ténébreux de l’Amérique des quarante dernières années, racontée par un romancier au sommet de son art.

    On oublie trop souvent que la littérature, comme l’infanterie, est l’arme des cent der­niers mètres. On a beau préparer le terrain avec l’artillerie de la documentation, avec des bombardements massifs de données, d’archives, de témoignages, il faudra toujours se préparer au corps à corps décisif pour remporter la victoire. Une vic­toire sur le temps et les choses cachées depuis la création du monde, sur l’opacité des amours perdues, des crimes sans rédemption et des spasmes occultes de l’Histoire.

    Seuls quelques rares romanciers semblent équipés pour affronter ces intuitions ruineuses, ces vérités ambiguës et cette « approbation de la vie jusque dans la mort », aurait dit en son temps Georges Bataille.

    James Ellroy fait partie de cette confrérie très fermée. Sur la scène américaine, on peut même penser que, depuis la mort de Norman Mailer, il ne reste plus, en ce domaine, que Don DeLillo et lui pour convoquer l’indicible sur des centaines de pages.

    Ils ont d’ailleurs tous les trois – mais est-ce un hasard ? – traité à un mo­ment donné d’un sujet identique avec la même minutie obsessionnelle, le même hyperréalisme psychotique, le même génie inquiétant : l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, un jour de novembre 1963 à Dallas. Ils en ont fait autre chose qu’une banale his­toire de complot où Lee Harvey Oswald aurait été l’idiot utile de la Mafia, du lobby militaro-industriel et des Cu­bains anticastristes. Ils ont, chacun à sa manière, transformé l’événement en une mythologie fondatrice d’une histoire américaine violente et flamboyante, occulte et féroce, épique et atroce. Pour Mailer, ce fut Oswald, un mystère américain, pour Don DeLillo Libra et pour James Ellroy American Death Trip, deuxième volet d’une trilogie dont Underworld USA qui vient de paraître est le dernier volume.

    Pour Don DeLillo, l’écrivain est une autre figure du terroriste et de l’assassin. C’est cette déclaration hal­lucinée dans Mao II, l’un de ses meilleurs romans, qui met les choses au point : « C’est le romancier qui com­prend la vie secrète, la rage qui sous-tend toute obscurité ou tout abandon. Vous êtes plus ou moins meurtriers pour la plupart. »

    Pour James Ellroy, l’écrivain est plu­tôt un espion dix fois retourné, un infiltré aux fidélités contradictoires, aux étranges loyautés qui ne sait plus quel maître il doit servir pour atteindre le cœur du secret, comme nous le dit l’un de ses mystérieux narrateurs dans la déclaration liminaire d’Underworld USA : « Ce livre est construit sur des documents publics et des journaux intimes dérobés. Il représente la somme de mon aventure personnelle et de quarante années d’études approfondies. Je suis à la fois un exécuteur littéraire et un agent provocateur. »

    Et vont suivre sous la plume de “l’agent provocateur” James Ellroy huit cents pages polyphoniques pour couvrir la période allant du lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, en 1968, à la mort, en mai 1972, de J. Edgar Hoover, l’inamovible patron d’une police politique appelée FBI et à la campagne pour la réélection de Nixon portant déjà en germe le scandale du Watergate.

    « Violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants », disait déjà Alexandre Dumas. James Ellroy a suivi le conseil à la lettre, avec la soyeuse brutalité d’une écriture qui scande autant qu’elle caresse, une écriture qui dira avec la même conviction com­ment un commando anticastriste scalpe des garde-côtes cubains ou comment on peut se consumer d’amour pour une femme de quinze ans plus âgée, comment on peut à la fois être un ancien flic ra­ciste flingueur de Nègres dans les ghettos de Los Angeles ou de Las Vegas et l’amant d’une syndicaliste noire à qui l’on va consa­crer sa vie et toute son éner­gie pour retrouver le fils disparu.

    Ellroy sait que l’électricité, l’énergie d’un roman comme Underworld USA qui ambitionne la fresque totale ne peuvent circuler que dans la friction per­manente entre l’intime et l’historique. Pour l’historique, Ellroy nous em­mène chez Howard Hughes, en pleine paranoïa hypocondriaque et raciste, entouré de ses gardes mormons et achetant à prix d’or les hôtels de Las Vegas à la Mafia.

    Nous nous retrouvons aussi, et c’est une sacrée épreuve, dans la psyché en décomposition de J. Edgar Hoover, qui monte des opérations de plus en plus compliquées et kafkaïennes pour déstabiliser le nationalisme noir des Black Panthers ou les groupes hippies pour la paix, se croyant toujours à l’époque où il luttait contre la subversion communiste. Un Hoover qui angoisse même à propos des chansons qui passent à la radio en cet été 1968, et notamment Tighten Up, jouée par Archie Bell and the Drells : « Cette chanson propage une atmosphère d’insurrection et d’activité sexuelle. Je suis sûr que les libéraux blancs lui trouveront un air d’authenticité. J’ai demandé à l’A.S.C. de Los Angeles d’ouvrir un dossier sur M. Bell et de déterminer l’identité de ses Drells. »

    Pour Ellroy, l’histoire et la vérité sont liées par d’étranges rapports

    Sans compter que l’on croise à plusieurs reprises un Nixon qui doit se raser trois fois par jour pour ne pas avoir l’air d’un margoulin vendeur de voitures d’occasion et le président Balaguer, de la République dominicaine. Balaguer est un nabot cruel faisant la danse du ventre auprès de la Mafia qui veut installer ses casinos et les infrastructures touristiques qui vont avec dans une dictature qui ne risque pas de basculer du côté des rouges.

    Évidemment, tous ces personnages, qui ont réellement existé selon la formule consacrée, sont liés par des pactes plus ou moins sanglants imaginés par un James Ellroy pour qui l’histoire et la vérité entretiennent ces étranges rapports que définissait déjà l’Arioste : « Si tu veux que le vrai ne te soit pas caché/Retourne entièrement l’histoire en son contraire,/Les Grecs furent vaincus, Troie fut victorieuse/ Tandis que Pénélope fut une catin. »

    Pour rendre crédible, terriblement crédible cette vision, Ellroy a créé d’autres personnages, purement fictifs ceux-là, mais dont l’épaisseur et la cohérence rendent la présence inoubliable. Il y a d’abord les vieilles con­naissances des romans précédents comme Wayne Teadrow junior, ancien policier, chimiste, drogué, rongé par la culpabilité, parricide et homme de confiance d’Howard Hughes. Ou Dwight Holly, première gâchette de Hoover, violent, tendre et désespéré par les combats douteux qu’il doit mener. Ces deux hommes sont évi­demment amenés à se croiser, à se jauger, alliés de circonstance habités par les mêmes obsessions, le même désir de rédemption et l’amour pour des femmes qu’ils ne devraient pas aimer, comme pour Holly Karen Sifakis, militante gauchiste et professeur d’université dont le journal intime nourrit les plus belles pages du livre.

    Un écorché vif caché sous une réputation de machiste réac

    C’est que l’on oublierait à quel point Ellroy, derrière sa réputation d’ultraconservateur machiste et homophobe, est avant tout, de par son propre itinéraire, un écorché vif. L’adolescent voyeur, voleur et toxicomane qu’il fut est pour toujours obsédé par la mort de sa mère, assassinée un jour de 1958, alors qu’il avait 10 ans, sans que le coupable soit jamais retrouvé.

    Il raconte tout cela dans Ma part d’ombre, son autobiographie bouleversante. Il en fait aussi le thème central du premier roman qui le fera vraiment connaître, le Dahlia noir, inspiré d’une célèbre affaire qui rappelle la mort de sa mère : l’assassinat, en 1947, d’une starlette d’Hollywood, Elizabeth Short, jamais élucidé non plus.

    Cet amour fou pour les femmes, qu’il voit comme les cibles privilégiées de tous les prédateurs, fait de James Ellroy une exception dans le roman noir. Elles ne sont chez lui ni fatales ni éplorées. Elles sont des présences vivantes, des figures fortes et vulnérables à la fois, capables de sacrifices dans un univers totalement corrompu qui a perdu jusqu’au sens de ce mot. Ainsi en va-t-il dans Underworld USA pour Karen Sifakis mais aussi pour Joan Rosen Klein, “la déesse rouge” qui traverse le roman avec sa chevelure noire et ses étranges cicatrices.

    Mais le nouveau venu le plus étonnant est sans aucun doute la projection directe d’Ellroy lui-même, le jeune Don Crutchfield. Il a 23 ans, joue le chauffeur pour des détectives privés, recherche sans espoir sa mère qui l’a abandonné, s’acoquine avec Mesplède, un mercenaire français déjà présent dans le précédent volume, ancien de l’OAS, tueur de Kennedy et toujours animé par une rage anticommuniste qui le pousse à des expéditions suicidaires et violentes sur les côtes cubaines. Mesplède ne parvient pas à pardonner le cauchemar de la baie des Cochons et nomme son petit bateau de guerre personnel PT 109, du nom donné au modèle de vedette lance-torpilles commandé par le jeune Kennedy dans le Pacifique pen­dant la Seconde Guerre mondiale, « pour dif­famer de façon ironique l’homme que j’ai tué à Dallas ».

    Pour Crutchfield, Mes­plède est le père satanique, celui qui lui apprend à tuer, et de la manière la plus impardonnable qui soit, c’est-à-dire gratuitement. Avec Crutchfield, qui se retrouve involontairement au cœur de toutes les intrigues mortifères d’Underworld USA, Ellroy a créé un véritable Candide du roman noir, à la fois pervers et angélique, qui est bel et bien, au bout du compte, le démiurge de cette histoire pleine de bruit et de fureur racontée par cet idiot sur­doué.

    Underworld USA mar­que aussi chez Ellroy un point d’équilibre qui n’était pas toujours au rendez-vous dans ses précédents ro­mans, où l’innovation formelle, le travail trop poussé sur la musicalité du style, com­me dans White Jazz, nui­saient à la narration. Cette fois-ci le dosage habituel entre coupures de presse, mémos du FBI ou de la CIA, lettres volées et journaux intimes est impeccablement maîtrisé.

    On se souviendra pour terminer de la scène inaugurale de Brown’s Requiem, le tout premier roman de James Ellroy, alors qu’il était encore caddy sur les greens de Los Angeles : un homme sort sa télévision dans sa cour et la détruit en tirant dessus au fusil à pompe. On peut y voir une jolie métaphore sur la force de l’écriture contre l’image ou alors, si vous pré­férez, un simple conseil technique pour être certain de n’être distrait par rien quand vous commencerez la lecture de ce monument appelé Underworld USA.

    Underworld USA, de James Ellroy, Rivages, coll. “Thriller”, 848 pages, 24,50 euros.

    Toute l’œuvre de James Ellroy est disponible aux éditions Rivages.

    (Source : Valeurs actuelles, 11 février 2010)

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  • Léon Daudet : le Saint-Simon de la IIIe

    A l'occasion de la réédition des Souvenirs littéraires  de Léon Daudet chez Grasset dans la collection des Cahiers Rouges, Bruno de Cessole consacre un bel article à ce livre et à son auteur dans le dernier numéro de Valeurs Actuelles.

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    Léon Daudet  Le Saint-Simon de la IIIe
    Par Bruno de Cessole

    Truculents, généreux, éclatants de vie et de verve, les “Souvenirs littéraires” de Léon Daudet offrent une prodigieuse galerie de portraits de la France de la fin du XIXe siècle.

    La scène se passe dans les années 1880. Le jeune Léon Daudet, alors élève au lycée Louis-le- Grand, est appelé à monter sur l’estrade pour recevoir les lauriers que lui ont valus ses succès scolaires. Au côté de son père, Alphonse Daudet, trône un éléphantesque vieillard – Ernest Renan – l’oeil mi-clos, qui lui susurre en l’embrassant : «Nous ferons de vous quelque chose ! » Peu après, dans l’appartement familial de l’avenue de l’Observatoire, un barbu à l’allure proconsulaire et à la trogne rubiconde, Léon Gambetta, apprenant que le jeune fils de son hôte se révèle un brillant sujet, lui donne solennellement l’accolade et lui glisse ces mots : « Nous ferons de toi quelque chose, la République aime les travailleurs ! » Puis c’est Victor Hugo en personne,«oracle trapu, aux yeux bleus, à la barbe blanche », mélange de noblesse émouvante et de burlesque, qui, la première fois qu’il le rencontre, lui pose sur le front une main bénisseuse en lui confiant : « Il faut bien travailler et aimer tous ceux qui travaillent ! »

    Nanti de cette triple bénédiction, élevé dans la familiarité du sérail littéraire et politique grâce à son père, Léon Daudet (1867-1942) aurait dû finir dans la peau d’un notable de la IIIe République, académicien doré sur tranche, ministre ou, à tout le moins, sénateur, couvert de prébendes et de décorations.Tout à l’encontre, le léonin Léon, bête noire des politiciens de la IIIe, terreur des « rhéteurs bouffis de l’Assemblée nationale », connut un destin mouvementé de rebelle et de proscrit, mais aussi de formidable vivant et d’homme libre, justifiant le proverbe anglais selon lequel “chien de race se bat contre son père”.

    Cette irréductible indépendance de jugement entraîna l’élève de Burdeau (celui des Déracinés de Barrès), élevé dans la foi républicaine et laïcarde, à renier les “immortels principes” pour se convertir, par l’intercession de Maurras, au royalisme et à l’antiparlementarisme. Pour autant, il ne fut jamais le “godillot” obéissant qui suit, les yeux fermés, la “ligne du parti”. Contre les dogmes esthétiques de l’Action française, il ne se priva pas de défendre les hétérodoxes qui avaient su l’émouvoir, de Céline à Bernanos, de Debussy à Proust, de Gide à Claudel et jusqu’à Picasso. Et le polémiste qui ferraillait contre le Stupide XIXe Siècle avouait son admiration pour Balzac, Baudelaire et même Hugo. Élu en 1900 à l’académie Goncourt, au fauteuil de son père, il y affirma haut et fort ses préférences, à l’avant-garde de l’art et de la littérature, à l’étonnement de ses propres amis et, plus encore, de ses adversaires. À qui déplorait devant lui que Voyage au bout de la nuit manque d’égards pour la patrie, Léon, qui s’était battu pour l’attribution du prix Goncourt à Céline, aurait rétorqué : « La patrie, je lui dis merde quand il s’agit de littérature. » Le critique Edmond Jaloux n’avait pas tort de voir en l’auteur du formidable et picaresque Voyage de Shakespeare, « prodigieusement intelligent, d’une érudition gigantesque, d’une puissance de travail inimaginable », un « homme du XVIe siècle ». Au vrai, l’excès était la norme de Léon Daudet. Il y avait en lui du Rabelais et du Brantôme,mais aussi du Mirabeau et du Danton. Ardent, passionné, entier, il aimait le combat,la joute intellectuelle comme la bagarre physique (quatorze duels, d’innombrables algarades avec les forces de l’ordre en témoignent).Tel un bulldog, il prenait ses adversaires par la nuque et ne les lâchait plus, jusqu’à ce qu’ils crient grâce. Certes il a donné des coups, parfois assez bas, mais toujours de bonne foi,certes il a prodigué son talent de polémiste dans des causes indéfendables, l’antisémitisme, notamment, au temps de la Libre Parole de Drumont puis de l’affaire Dreyfus,avant de s’en détacher, mais il a connu également des épreuves, et de terribles : la mort de son fils Philippe, dont il a toujours cru qu’il s’agissait d’un assassinat et non d’un suicide, la prison, l’exil, la diffamation… Cet ogre n’a cessé pourtant d’aimer la vie sous toutes ses formes. Porté naturellement au lyrisme, à la santé et à la gaieté, il professait des goûts simples : « les belles-lettres, les belles femmes, les bonnes blagues, le bon vin, le commerce des gens gais et libres », les cafés et les auberges plus que les palaces et les musées de la vieille Europe. En homme de droite, c’est-à-dire en homme libre, le personnage est contradictoire, et attachant par cela même. Sa vie et son oeuvre le révèlent écartelé entre le sentiment et la raison, entre élans dionysiaques et quête de sérénité apollinienne. C’est en disciple de Pan que Barrès le voit, défilant à la tête des Camelots du roi,« rayonnant d’audace, de force et de joie, être venu du fond des âges, couronné de lierre, au milieu des cymbales et des tigres déchaînés », tandis que Bernanos le dépeint « tout étincelant de vie, d’audace, de gourmandise et de génie, avec son teint doré, ses yeux brefs, fulgurants, sa bouche nerveuse, cette voix de cuivre étrangement dominatrice, et tout à coup si caressante, jusqu’au rire pathétique où roule et se prolonge on ne sait quelle plainte secrète ». Homme de guerre, et de guerres civiles, le “gros Léon” s’ébroue, comme d’Aubigné ou Barbey d’Aurevilly, dans la violence, les discordes, les passions, la vie ardente et risquée, tout en aspirant à la restauration de l’ordre et de la paix,sous la tutelle d’une monarchie qui mettrait fin à la guerre franco-française et à la lutte des classes. Cette dualité se fait jour dans ses Mémoires et jusque dans son écriture d’une vigueur et d’une liberté presque expressionnistes. Marcel Proust, qui l’admirait, le tenait pour un nouveau Saint-Simon, sachant alterner, à l’instar de l’irascible “petit duc”, l’atrocité magnifique et la noble suavité dans d’inoubliables portraits. Dans ces charges, à la limite de la caricature, « les mots, écrivait Proust, chargés d’une puissance instable, entrent en déflagration d’images irrésistibles, avec une drôlerie immortellement géniale, que la raison ne connaît pas mais dont l’évidence s’impose et s’imposera toujours à quelque chose qui, sans être la raison, est commun à tous les lettrés ». Il est visible que le mémorialiste devait s’amuser beaucoup à croquer les passagers de cette nef des fous, et les éclats de rire qu’il arrache à son lecteur font, sans nul doute, écho à son propre rire,“hénaurme”, homérique, de Gargantua sans fiel. Car, si atroces que soient ses tableaux, particulièrement dans les descriptions physiques, ils ne portent jamais la marque du ressentiment, de l’hypocrisie et de la mauvaise foi. Comme Hogarth, Daumier, Goya ou Forain, Léon Daudet possédait le don de voir au-delà des apparences, de déceler la canaille ou l’imbécile, le Tartuffe ou le mufle, sous le plastron de l’homme du monde, du ministre, de l’académicien ; bref, avec un flair infaillible de limier, il débusquait la bassesse et la misère humaines sous les grandeurs d’établissement et les réputations les mieux établies.

    Daudet n’avait que des adversaires, non des ennemis

    Et c’est franchement,hardiment,qu’il arrachait les masques et portait l’estocade. Sans haine, car, même en politique, ce chouan du Midi ne connaissait que des adversaires, non des ennemis,à l’exception de quelques-uns comme Malvy ou Briand. Pour avoir fait ses classes d’étudiant en médecine sous les professeurs Charcot, Potain, Péan et Brissaud, il avait le coup d’oeil d’aigle du clinicien pour dépiauter un crétin ou un charlatan. Essayiste, romancier, publiciste politique, biographe,conférencier,critique, il a parcouru tous les chemins de la littérature, mais c’est dans le journalisme et ses neuf volumes de Mémoires, couvrant cinquante ans de vie littéraire et politique,qu’il a exprimé le meilleur de son talent. L’anthologie que réédite Grasset dans la collection Les Cahiers rouges avait été composée et préfacée, avec intelligence et enthousiasme, par Kléber Haedens, qui en puisa la matière dans les neuf volumes des Souvenirs de Daudet, Fantômes et Vivants, Devant la douleur, L’Entre-Deux- Guerres, Salons et Journaux, Au temps de Judas, Vers le roi, la Pluie de sang, Député de Paris,Vingt-Neuf mois d’exil. À la source de ces Mémoires, nulle volonté de plaider pour sa paroisse, de légitimer ses actes, de rationaliser le passé, mais le désir « de montrer les choses et les gens dans leur lumière d’époque, sans rien atténuer ni rien forcer », avec pour fil rouge « la sincérité dans l’exactitude ».Un demi-siècle de vie française, à la fois intellectuelle et politique, de 1880 au début des années 1930, revit sous la plume étincelante du Saint-Simon de la IIIe République. Par son père, Léon Daudet tenait aux célébrités du second Empire, comme la princesse Mathilde ou Henri Rochefort, mais aussi à Victor Hugo, dont il devait épouser la petite-fille, Jeanne, aux frères Goncourt et à l’école naturaliste,de Zola à Mirbeau de Huysmans à Maupassant.Tout jeune, il a vu de près ces vieilles gloires sans se laisser subjuguer par une admiration béate, conservant sa liberté de jugement, sceptique devant Zola, mais admiratif devant Barbey d’Aurevilly. Plus tard, il a côtoyé Maurras et Bainville à l’Action française, Barrès, Clemenceau, Herriot, Poincaré, Daladier, Tardieu, Mandel, Blum et Briand à l’Assemblée nationale. Il a connu et aimé Edmond de Goncourt,Théodore de Banville, François Coppée, Henry Stanley, George Meredith… Ces fantômes glorieux, mais aussi les fantoches justement oubliés ressuscitent sous la plume vive, colorée, abondante du mémorialiste en de saisissants portraits ou d’incisifs croquis. Voici la princesse Mathilde « aussi pétrifiée et ligneuse que les aigles de pierre et de bois qui encombraient ses lugubres salons », Maupassant chez qui « on distinguait à l’oeil nu trois personnages : un bon écrivain, un imbécile et un grand malade, les deux premiers ayant tendance à s’absorber dans le troisième » ; Oscar Wilde, « lourd et flasque, hideux par le bas du visage et presque majestueux par le front, l’enchâssement de l’oeil et les temporaux, et dont la voix pâle et grasse sortait d’une affreuse bouche molle » ; Émile Faguet, « ramoneur halluciné, pion sans linge, chaussé d’incroyables croquenots, et répandant une odeur de soupe à l’oignon » ; René Doumic, « noyé mondain à la barbe pisseuse, aux joues creuses, au corps efflanqué […], sans goût, sans odeur et sans forme, dont la bile acrimonieuse coule à son insu, en filets saumâtres et ruisselets jaunâtres, tout autour de lui » ; le journaliste Ernest Judet, « grand diable gauche, tenant de la fouine géante et du Scandinave d’eau douce, habile de sa plume comme d’un manche à balai, pas bon, pas intelligent, intempestif, rancunier et roublard » et dont Daudet, l’ayant retourné sous toutes ses larges coutures pendant sept ans, écrit, avec cette invention langagière qui fait de lui le petit-neveu de Rabelais et l’oncle de Céline : « En vérité j’ai habité Judet, j’ai judeté dans sa judetière, comme un judouillard de judoire, et tout ce que je vais conter ici n’est que suc, quintessence, distillation de vain colosse, unique en son genre. » Mais trêve de citations ! Il faudrait trop citer, tant dans les portraitscharges que dans les portraits sublimes, et dans les tableaux d’époque, de l’enterrement de Victor Hugo aux séances de la Chambre, des dîners de la Revue des Deux Mondes aux pèlerinages esthétiques et épicuriens en Angleterre et en Belgique. Car tout n’est ici que suc, quintessence, distillation du bonheur d’écrire et de l’ardeur de vivre.

    Souvenirs littéraires, de Léon Daudet, Grasset, coll. “Les Cahiers rouges”, 570 pages, 13,80 €.

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