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  • Gilets jaunes et blouses blanches : des «métiers de merde» ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré à la remise en lumière, provoquée par la crise sanitaire, des métiers essentiels à la survie de la société. Journaliste et essayiste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017) et Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019).

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    Biopolitique du coronavirus (7). Gilets jaunes et blouses blanches : des «métiers de merde» ?

    Est-ce que je fais un « bullshit job », un boulot à la con, ou pas ? That is the question. De ce point de vue, le confinement a agi un peu comme un sérum de vérité : si je suis confiné, si je télétravaille, ne serait-ce pas parce que j’exerce un de ces boulots à la con ? Aïe, aïe, aïe ! Cette question a été posée pour la première fois par David Graeber dans un article qui a défrayé la chronique altermondialiste en 2013, avant de devenir cinq ans plus tard un livre à succès, passionnant et foutraque, au ton joyeusement persifleur, Bullshit jobs (2018). Lisez-le. Le coronavirus lui a donné une actualité nouvelle et brûlante (merci à Dominique Méda de nous avoir récemment rappelé son existence).

    David Graeber ressemble à son livre : il est aussi anarchiste que son bouquin est anarchique. Méthodologiquement parlant, il a même un côté professeur Didier Raoult. Ses sources sont parfois fantaisistes, il glane ses exemples au fil des discussions sur les réseaux sociaux. Bref, il est contre les échantillons représentatifs là où il n’y a pas de raison de les convoquer. C’est ce qui rend ses intuitions si stimulantes. Même s’il ne l’avouera pas, le slogan d’Occupy Wall Street : « Nous sommes les 99 % », c’est lui. Il faut dire qu’il les connaît bien, ces 1 % restants puisque dans son domaine d’élection, l’enseignement de l’anthropologie à la London School of Economics, l’une des écoles les plus sélectes au monde, il appartient à cette élite, académique en l’occurrence, et que partout ailleurs son gauchisme débraillé lui confère le capital culturel légitime pour faire l’intéressant sur les ondes de la BBC et de Radio France. À part cela, c’est un type très attachant.

    Nomenclature des jobs à la con

    Marx distinguait deux classes sociales antagonistes, Graeber s’en tient à deux types de boulots qui recoupent sur un mode désopilant la vieille rivalité marxiste : les « bullshit jobs », les boulots à la con, qui n’apportent rien à la communauté, mais rapportent beaucoup d’argent à ceux qui les exercent ; et les « shit jobs », les métiers de merde, qui apportent beaucoup à la communauté, mais qui ne rapportent rien à ceux qui les exercent.

    À dire vrai, Graeber est surtout intarissable sur les « bullshit jobs », peut-être parce que, comme activiste d’extrême gauche, il n’a jamais eu accès qu’à des gars qui en faisaient partie. Mais je l’ai dit, c’est un garçon sympathique et drôle. De toutes les catégories de jobs à la con qu’il recense, ma préférée demeure « cocheur de cases », qui rappelle ce chef-d’œuvre absolu de critique sociale (et métaphysique) qu’est « Le journal d’un fou » de Nicolas Gogol dans ses Nouvelles pétersbourgeoises, avec son petit fonctionnaire qui taille des crayons et consigne dans son journal une folie grandissante de plus en plus inaccessible.

    À part ça, Graeber passe en revue tout ce que les « bullshit jobs » comptent d’analystes financiers, d’agents immobiliers, de personnel administratif (il y a autant de « bullshit jobs » dans le privé que le public, mais ce dernier a déjà donné lieu à une littérature surabondante, inutile de s’y attarder), d’avocats d’affaires, de forçats du télémarketing qui vous appellent depuis Madagascar, de responsables des ressources humaines, de vendeurs de joujoux connectés débiles, d’organisateurs de séminaire, d’utilisateurs de Power Point, de coiffeurs pour chien, d’animateurs de réunion et, last but not least, tous ces types qui pondent des rapports d’activité aussi volumétriques que des piles de containers métalliques, le « reporting », comme disent les néomongoliens quand ils sont en mode « corporate » – la maladie verbomotrice du capitalisme terminal.

    La soviétisation du néolibéralisme

    C’est ce qui pousse Graeber à comparer le néolibéralisme à la bureaucratie soviétique, deux armées de parasites en miroir. En régime capitaliste avancé, le travail inutile gagne du terrain partout. Ainsi selon Graeber, jusqu’à la moitié du travail utile – les métiers socialement utiles donc – est perdue en travail inutile (rédaction de rapports chronophage, perte de temps en réunions interminables et autres stages de formation superflus, etc.).

    Mais le problème est plus vaste. Songez au temps fou gâché à remplir des formulaires, à renseigner des demandes d’inscription numériques, à noter des identifiants qu’on perd et des mots de passe qu’on ne retrouve pas. Ou encore à télécharger des séries addictives au lieu de bosser, à se gratter le nez au lieu de réfléchir à ce qu’on fera à Macron après le déconfinement ou à faire défiler des applications sur son smartphone pour écrire des informations aussi capitales que : « Tu as bien fermé la porte du frigo ? » ou « Qu’est-ce qu’elle est cruche, Cindy ! Non, mais allô quoi ! »

    Où sont passés les analystes financiers ?

    En résumé, le néocapitalisme est un mélange de productivisme et de parasitisme. Comment est-ce possible ? Il suffit de lire les travaux d’Ivan Illich sur la contreproductivité. Passé un certain stade, tout gain se transforme en perte. Les cercles vertueux dégénèrent en cercles vicieux. C’est vrai plus encore des institutions en situation de monopole, sans autre prédateur qu’elles-mêmes, ce qu’est le système capitaliste, qui multiplient les activités inutiles chargées d’encadrer d’autres activités qui finissent par devenir à leur tour inutiles. Si inutiles qu’elles pourraient disparaître sans que personne ne s’en aperçoive. La preuve par le Covid-19. Qui a remarqué la disparition des promoteurs immobiliers et des analystes financiers ?

    On en arrive ainsi, de job foireux en boulot oiseux, à un tiers de personnes, aux États-Unis, au Royaume-Uni et sûrement en France, qui pensent que leur boulot n’a pas plus de sens qu’il n’a d’utilité sociale. Cela a même donné lieu à un nouveau syndrome : le « brown-out », littéralement la baisse de courant ou chute de tension. Une sorte de neurasthénie molle et ouateuse, sensation plus houllebecquienne que kafkaïenne, qui s’incarne ou se désincarne dans la figure du déprimé déprimant.

    Les nouveaux galériens

    Voilà pour les « bullshit jobs », venons-en aux « shit jobs », les métiers de merde, socialement dévalorisés, mais indiscutablement utiles. Si jamais ils venaient à disparaître, la société s’effondrerait sur elle-même. Sans eux, pas de pain, pas de soins dentaires, pas de pâtes alphabet pour les enfants, pas d’enlèvement des poubelles. Ceux qui les exercent sont les soutiers de la société de consommation et les galériens de la société de service : ils en assurent le « back office », selon les termes de Denis Maillard dans Une colère française (2019). On admettra volontiers qu’aucun d’entre eux ne peut bosser en télétravail.

    Macron les a gazés, éborgnés, matraqués, poursuivis. Sans pitié. Aujourd’hui, il les félicite. Subitement, les zéros sont devenus des héros, les derniers de cordée des premiers de tranchée et les Gilets jaunes sont passés sans transition des gardes à vue aux nuits de garde. Ça ne les a pas beaucoup changés, me direz-vous. Le gouvernement qui n’a jamais été avare en LBD et grenades lacrymogène (la notion de stock stratégique trouve ici tout son sens) n’a pas cru bon de leur fournir des masques !

    Jérôme Fourquet et Chloé Morin ont comparé la sociologie des professions jugées de première nécessité, sinon vitales, en période de pandémie, et celle des Gilets jaunes : le moins qu’on puisse est qu’elles présentent nombre de points communs. On y trouve pêle-mêle des caissières, des chauffeurs routiers, des aides-soignantes, des livreurs, des facteurs, des éboueurs, des magasiniers, les fameux « caristes ». C’est un prolétariat sans gloire et sans mythe mobilisateur. La maison du peuple, c’est désormais l’entrepôt. Chez les hommes, l’entrepôt a désavantageusement remplacé l’usine. Chez les femmes, c’est l’aide à la personne – et elle n’a pas avantageusement remplacé le personnel des maisons bourgeoises d’antan.

    L’inégalité devant le risque

    Une des thèses centrales d’Ulrich Beck, l’auteur de La Société du risque (1986), livre central pour comprendre notre temps, c’est que, à l’heure de la globalisation, les risques sont de plus en plus indiscriminés, singulièrement dans les sociétés dominées par ce qu’il appelle la « subpolitique technologique » : plus le risque se mondialise, plus il est socialement indifférencié – bref il se « démocratise ». Ainsi les particules fines ou le réchauffement ne font-elles pas le tri entre le cadre supérieur et l’ouvrier. C’est vrai. Mais il faut néanmoins des décontamineurs à Fukushima ou à Tchernobyl, et, sauf erreur, ce ne sont pas des militantes d’Osez le féminisme qui sont les premières à se porter volontaires. Pas plus que ce ne sont des suffragettes ou des cadres supérieurs qui achètent des pavillons pourris avec vue sur la centrale de Flamanville ou de Fessenheim en espérant faire une plus-value immobilière avant leur cancer de la thyroïde. Aussi convient-il de nuancer cette sociorépartition du risque et son exposition, hier aux coups de grisou, aujourd’hui aux virus ou autres.

    Cette inégalité devant la mort s’observe plus chez les hommes. Les ouvriers vivent six ans de moins que les cadres (pas les ouvrières), chiffre jusqu’ici incompressible. Une réserve, mais de taille, dans ce tableau aussi implacable qu’une tragédie grecque : l’inégalité par temps de guerre. Si de tout temps c’est l’infanterie qui a été l’arme la plus exposée, la plus sacrifiée, celle où on dénombre le plus de morts, il est faux d’imaginer que cette saignée n’affecte que le prolétariat troupier. Aujourd’hui, les médecins sont en première ligne, les pharmaciens aussi, sans parler des élus locaux, des commerçants-artisans et dans une moindre mesure des enseignants. Et pour mémoire, ce furent les officiers inférieurs, en 1914-1918, qui subirent les plus lourdes pertes. Pour un fantassin sur quatre massacré dans les tranchées, un officier d’infanterie sur trois, dont son lot de saint-cyriens certes, mais aussi de profs – depuis le normalien jusqu’à l’instit (au statut autrement supérieur qu’aujourd’hui), la profession proportionnellement la plus touchée.

    Compter les sous ou compter les morts

    Le gouvernement français n’est pas pressé de donner le bilan des personnels de santé infectés par le Covid-19. En Italie, on sait qu’il y a déjà eu une centaine de médecins décédés. En France ? Circulez, y’a rien à voir. Il serait pourtant très simple de réunir les données des agences régionales de santé. Mais Macron en a peur, Olivier Véran ne sait pas qu’elles existent et Jérôme Solomon s’embrouille tout le temps dans ses tables de multiplication. Ces Messieurs savent pourtant compter, mais les sous, pas les morts (le prémonitoire « Vous comptez les sous, on comptera les morts ! » scandé à l’automne dernier par des blouses blanches en grève).

    Alors bien sûr, on ne va pas ajouter sa voix au concert de louanges quotidiennes douteuses adressées aux soignants – trop attendues et trop entendues pour être crues sur parole. Mais une fois de plus on vérifie que la société abrite des trésors de dévouement en dépit du laminage constant de la philosophie utilitariste qui postule la recherche de l’intérêt individuel, seule unité de mesure des peines et des plaisirs. Cette philosophie, qui au cœur du néolibéralisme, ne résiste pas un instant à l’analyse. Son contraire non plus du reste. Nous sommes ainsi faits que nous recherchons le gain et la sympathie, nous nous débattant en permanence entre la sociabilité naturelle de notre espèce et un quant à soi non moins naturel, la recherche de l’intérêt et le désintéressement, la confiance et la défiance, l’ami et l’ennemi. Ni ange ni bête, comme dit Pascal, qui, pourtant en bon janséniste, voyait le mal partout.

    Rendons grâce au virus. Il a rappelé à une certaine médecine dorée et dévoyée ses missions hippocratiques essentielles, qu’elle avait eu parfois tendance à négliger. Un peu comme dans le sketch que les Inconnus avaient consacré aux hôpitaux publics, avec un chef de service aussi crâneur que branleur qui arrive en retard, traverse négligemment les couloirs, visite en dilettante les malades, avant de s’éclipser prématurément en confiant à son assistant : « Bon, je file, j’ai un cours. »

    – À la Sorbonne ?

    – Non, à Roland-Garros !

    De toute évidence, on n’en est plus là.

    L’hôpital ne se fout plus de la charité

    Sans le coronavirus, l’hôpital public français était programmé pour finir à l’institut médico-légal. Vingt ans qu’on le démolit, lit après lit, bâtiment après bâtiment, service d’urgence après maternité. Vingt ans de coupes budgétaires avec pour conséquence une centaine de milliers de lits perdus. En dix ans, près de 12 milliards d’économie (tout cumulé). Dès avant 2008, on a choisi de sauver « nos » banques, pas notre hôpital. Pour un banquier sauvé, combien de lits sacrifiés ? Ici comme ailleurs, le service de la dette est devenu une servitude insupportable. Avec la tarification à l’activité, qui a généralisé l’abattage médical et son illusoire culture du résultat, on a instauré un hôpital d’entreprise mis au régime forcé du management automobile, suivant la logique du « lean management » (to lean, « dégraisser, mincir »). L’administration hospitalière cherche partout des gains de productivité.

    Enfin pas partout ni pour tout le monde : ce régime décharné ne vaut que pour le patient français, pas pour l’immigré clandestin. Car étonnamment, les syndicats qui braillent à raison leur mécontentement ne pointent jamais le coût délirant de l’AME, l’Aide médicale de l’État, près d’1 milliard par an, pour des pseudo-migrants qui viennent faire soigner gratuitement – tant qu’à faire – de lourdes et très coûteuses pathologies. Savez-vous que la Sécurité sociale engage en moyenne chaque année plus de dépenses de soin pour un « sans-papiers », qui n’a jamais cotisé, que pour un Français, qui a cotisé toute sa vie ?

    Ni bonnes ni nonnes

    L’hôpital, c’est aujourd’hui trente infirmiers agressés chaque jour, une douzaine d’infirmiers depuis 2016 suicidés sur leur lieu de travail, des patients de moins en moins patients, 30 % d’infirmiers qui abandonnent leur métier dans les cinq ans qui suivent l’obtention du diplôme d’infirmier et plus des deux tiers des effectifs qui travaillent en horaires décalés. Eh bien, nonobstant cela, nonobstant ce gâchis, nonobstant ces cadences infernales, l’hôpital a tenu, singulièrement les femmes surreprésentées. Ni bonnes ni nonnes, hurlaient hystériquement les féministes dans les convulsions de 1968. Oui-da, Mesdames ! Mais enfin, il n’y a rien de déshonorant à servir les malades. Il suffit de relire un des plus grands témoignages sur que soigner veut dire pour s’en assurer, je veux parler du prodigieux Un Souvenir de Solferino (1862) du futur fondateur de la Croix rouge, Henry Dunant. À lire et à relire. Avec les vieilles chroniques par temps de peste où les plus beaux témoignages, les plus déchirants, à tous les coups, sont ceux adressés aux religieuses – vos ancêtres. On naît femme, on ne le devient pas.

    François Bousquet (Éléments, 28 avril 2020)

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  • Le travail n'est pas une marchandise...

    Les éditions du Collège de France viennent de publier un court essai d'Alain Supiot intitulé Le travail n'est pas une marchandise - Contenu et sens du trail au XXIe siècle. Juriste, professeur émérite au Collège de France, Alain Supiot est l'auteur de plusieurs essais dont Homo juridicus - Essai sur la fonction anthropologique du droit (Seuil, 2005) et La gouvernance par les nombres (Fayard, 2015).

     

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    " Les défis posés par la révolution numérique et les périls écologiques ne pourront être relevés sans remettre en cause l'assimilation du travail et de la nature à des marchandises, qui s'est imposée depuis l'avènement du capitalisme. Les statuts professionnels qui ont résisté à la dynamique du Marché total ne sont donc pas les fossiles d'une monde appelé à disparaître, mais bien plutôt les germes d'un nouvel Etat social, qui fasse place au sens et au contenu du travail - c'est-à-dire à l'accomplissement d'une œuvre. "

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  • La guerre secrète...

    Les éditions Fayard viennent de publier une enquête de Philippe Lobjois et de Michel Olivier intitulé La guerre secrète. Philippe Lobjois est reporter de guerre et est l'auteur, notamment, de Putsch rebel club (Florent Massot, 2000), un sympathique petit polar. Michel Olivier a servi dix ans comme officier dans les forces spéciales. Il est aussi expert en sciences sociales et en gestion de situations de crise.

     

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    " La défaite de Daech en Irak et en Syrie n'a en rien entamé sa volonté de détruire l'Occident, elle l'a seulement transformée. Infiltration des entreprises, pression sur les salariés musulmans, prise en main de sections syndicales ou même préparations d'attentats : affaiblir l'économie occidentale est au coeur de la nouvelle stratégie de l'islamisme radical. En 2018, pour la première fois, le plan gouvernemental de lutte contre la radicalisation et le terrorisme intègre cette donnée stratégique : la prévention de la radicalisation dans le monde du travail est le nouvel axe de la lutte contre les djihadistes.
    Façonnée par des années de lutte contre les discriminations et la culture de la diversité, l'entreprise découvre avec embarras son incapacité à gérer le fait religieux entre ses murs, et se trouve plus démunie encore pour lutter contre la radicalisation. Cette enquête est une véritable plongée dans le communautarisme ordinaire qui fait le lit de cette radicalisation, voire du terrorisme, comme l'illustrent ici plusieurs récits et de nombreux témoignages.
    Donnant la parole aux meilleurs experts de l'islamisme radical, mais aussi à des chefs d'entreprise, des DRH, des policiers et des syndicalistes, les auteurs exposent les faits, sans jugement, mais sans compromis. La guerre économique des djihadistes a déjà commencé."

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  • Sur les jobs à la con...

    Les éditions Les Liens qui libèrent viennent de publier l'essai de David Graeber intitulé Bullshit jobs. Anthropologue et économiste, professeur à la London School of Economics, David Graeber a été un des initiateurs du mouvement Occupy Wall Street en 2011.

    On peut trouver dans la revue Éléments (numéro 168, octobre-novembre 2017) une passionnante présentation du livre et de ses enjeux, sous la plume de Thomas Hennetier.

     

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    " Alors que le progrès technologique a toujours été vu comme l'horizon d'une libération du travail, notre société moderne repose en grande partie sur l'aliénation de la majorité des employés de bureau. Beaucoup sont amenés à dédier leur vie à des tâches inutiles, sans réel intérêt et vides de sens, tout en ayant pleinement conscience de la superficialité de leur contribution à la société. C'est de ce paradoxe qu'est né et s'est répandu, sous la plume de David Graeber, le concept de "bullshit jobs" - ou "jobs à la con", comme on les appelle en français. Dans son style unique, virulent et limpide, l'auteur procède ici à un examen poussé de ce phénomène. Il soutient que, lorsque 1 % de la population contrôle la majeure partie des richesses d'une société, ce sont eux qui définissent les tâches "utiles" et "importantes". Mais que penser d'une société qui, d'une part, méprise et sous-paie ses infirmières, chauffeurs de bus, jardiniers ou musiciens - autant de professions authentiquement créatrices de valeur - et, d'autre part, entretient toute une classe d'avocats d'affaires, d'actuaires, de managers intermédiaires et autres gratte-papier surpayés pour accomplir des tâches inutiles, voire nuisibles ? Graeber s'appuie sur les réflexions de grands penseurs, philosophes et scientifiques pour déterminer l'origine de cette anomalie, tant économique que sociale, et en détailler les conséquences individuelles et politiques : la dépression, l'anxiété et les relations de travail sadomasochistes se répandent ; l'effondrement de l'estime de soi s'apparente à "une cicatrice qui balafre notre âme collective". Sa démonstration est émaillée de témoignages éclairants envoyés par des salariés de tous pays, récits tour à tour déchirants, consternants ou hilarants. Il y a le consultant en informatique qui ne possède aucune des qualifications requises pour le poste, mais qui reçoit promotion sur promotion, bien qu'il fasse des pieds et des mains pour se faire virer ; le salarié supervisé par vingt-cinq managers intermédiaires dont pas un seul ne répond à ses requêtes ; le sous-sous-sous-contractant de l'armée allemande qui parcourt chaque semaine 500 kilomètres en voiture pour aller signer un papier qui autorisera un soldat à déplacer son ordinateur dans la pièce d'à côté... Graeber en appelle finalement à une révolte du salarié moderne ainsi qu'à une vaste réorganisation des valeurs, qui placerait le travail créatif et aidant au coeur de notre culture et ferait de la technologie un outil de libération plutôt que d'asservissement, assouvissant enfin notre soif de sens et d'épanouissement. "

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  • Le parfum du temps...

    Les éditions Circée viennent de publier un essai de Byung-Chul Han intitulé Le Parfum du temps - Essai philosophique sur l'art de s'attarder sur les choses. Originaire de Corée, admirateur de l’œuvre de Heidegger, Byung-Chul Han enseigne la philosophie à Berlin. Plusieurs de ses ouvrages ont déjà été traduits en français dont Dans la nuée - Réflexions sur le numérique (Acte sud, 2015).

     

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    " La crise de notre époque est notamment due à l’absolutisation de la vita activa. Celle-ci nous conduit à un impératif de travail qui dégrade l’être humain au rang d’animal laborans. L’hyperkinésie de notre vie quotidienne retire à la vie humaine toute faculté de contemplation, toute aptitude à demeurer, à s’attarder sur les choses. Elle conduit à la perte du monde et du temps. Les prétendues stratégies déployées pour ralentir le temps ne dissipent pas la crise. Elles cachent même le vrai problème. Il est nécessaire de revitaliser la vita contemplativa. On ne sortira de cette crise que lorsque la vita activa aura intégré dans sa krisis la vita contemplativa. "

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  • « Simplifier le Code du travail, oui… mais au profit de qui ? »...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la réglementation du travail...

     

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    « Simplifier le Code du travail, oui…mais au profit de qui ? »

    Tout le monde semble aujourd’hui d’accord pour dire que le Code du travail, devenu incompréhensible pour tout un chacun (employés comme employeurs), mérite d’être simplifié. C’est aussi votre avis ?

    Bien sûr qu’il doit être simplifié, puisqu’il est devenu inutilisable, en particulier dans les PME. Mais toute la question est de savoir dans quel sens et au bénéfice de qui il doit l’être. Rappelons que le droit du travail est né, à la fin du XIXe siècle, du constat que les salariés sont, par définition, en position de faiblesse par rapport à ceux qui les emploient, et qu’il vise à rétablir un minimum d’équilibre en donnant aux premiers un certain nombre de droits. Une réforme du Code du travail qui irait en sens inverse équivaudrait donc à violer l’esprit même du droit du travail. Un accord d’entreprise ne peut valoir, par ailleurs, que s’il apporte un plus aux travailleurs par rapport à la convention de branche, celle-ci par rapport à l’accord interprofessionnel, et ce dernier par rapport à la loi. Si l’accord d’entreprise revient à faire accepter de force par les salariés de travailler toujours plus en étant toujours moins payés, en les menaçant par exemple de licenciement ou de délocalisation en cas de refus, il est évident qu’on va, là encore, à l’encontre des principes de base du droit du travail.

    Le souhait du gouvernement est de donner plus de place aux accords collectifs au sein des entreprises. Il s’agit donc, dans l’esprit de Valls et de Macron, de favoriser les exceptions dérogatoires à la loi, ce qui est parfaitement conforme aux exigences du MEDEF, qui réclame toujours plus d’accords et de contrats, moins de lois et plus de « flexibilité », terme pudique pour désigner la précarité. Cela pose déjà un problème du point de vue de la concurrence : celle-ci ne peut qu’être faussée si certaines entreprises doivent appliquer des règles sociales dont certaines autres sont exemptées. Si le Code du travail est progressivement devenu d’une extraordinaire obésité, c’est d’ailleurs aussi parce qu’il a fallu y inclure les multiples régimes dérogatoires introduit par le législateur pour satisfaire aux exigences patronales. La complexité, en d’autres termes, s’est seulement déplacée du droit du travail à la négociation collective. Sous prétexte de simplifier le Code du travail, le risque est donc grand d’accélérer la précarité de l’emploi au détriment des salariés.

    Dans les milieux libéraux et patronaux, l’« assouplissement » du Code du travail, en rendant plus faciles à la fois l’embauche et le licenciement, devrait faire baisser le chômage…

    L’idée selon laquelle la simplification du droit du travail serait de nature à faire baisser fortement le chômage est une antienne du patronat qui n’est pas confirmée par les faits. Aucune étude économique disponible, y compris dans les organismes internationaux, ne permet d’établir un lien direct entre la protection de l’emploi et le niveau de chômage. Le FMI a lui-même admis récemment que « la réglementation du marché du travail n’a pas, selon l’analyse, d’effets statistiquement significatifs » sur la productivité et sur la croissance (Perspectives de l’économie mondiale, avril 2015). En réalité, le chômage résulte d’abord de l’insuffisance des carnets de commandes des entreprises, insuffisance dont les politiques macro-économiques d’austérité salariale et budgétaire sont les premières responsables, puisqu’elles font baisser la demande en comprimant le pouvoir d’achat.

    Dans le même temps, on voit bien que l’emploi connaît actuellement une véritable mutation. Pour certains, l’« ubérisation de l’économie » annonce à terme la fin du salariat. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

    Ce n’est pas encore la fin du salariat, mais l’économie numérique (Uber, Airbnb, BlaBlaCar, etc.), fondée sur des plates-formes d’intermédiation entre consommateurs et prestataires, a de toute évidence le vent en poupe. La preuve en est qu’elle a déjà réussi à faire « disruption » dans des professions variées, des restaurateurs aux hôteliers et aux chauffeurs de taxi. On en connaît le principe : financement participatif, main-d’œuvre toujours moins chère car dépourvue de toute protection (les employés sont des contractants individuels), réduction des coûts de transaction, digitalisation de l’économie, recours systématique aux logiciels libres, à la géolocalisation, aux algorithmes et autres big data. Cela séduit des auto-entrepreneurs, fondateurs de start-up, qui espèrent gagner très vite beaucoup d’argent. L’ubérisation s’inscrit, de ce point de vue, dans la tendance au présentisme. Mais il faut en voir la contrepartie.

    Le numérique est à la société postindustrielle ce que l’électrique a été à la société industrielle. Cependant, l’économiste Robert J. Gordon a bien montré que la révolution numérique n’a pas la même force de traction que les grandes innovations du passé, comme l’électricité ou l’automobile. C’est essentiellement une économie de prestation de services à bas prix mais à faible valeur ajoutée, qui ne produit ni nouveaux biens, ni hausse de croissance significative, ni progression du pouvoir d’achat.

    La « théorie du déversement » chère à Alfred Sauvy ne fonctionne plus dans le cadre de l’économie numérique, et il en va de même de la théorie de la « destruction créatrice » popularisée par Schumpeter. Le numérique tend à remplacer les emplois peu qualifiés à caractère répétitif, en particulier les tâches nées de la bureaucratisation qui a accompagné l’avènement de la société industrielle et qui sont aujourd’hui occupées par la classe moyenne. Mais les emplois créés par le numérique ne se substituent pas à ceux qu’ils font disparaître, notamment les intermédiaires. On estime à trois millions le nombre d’emplois qui pourraient être détruits par la numérisation dans les dix ans qui viennent, principalement dans les services. Là encore, on va vers des emplois toujours plus précaires, gages de destins fragmentés.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 22 octobre 2015)

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