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stéphane foucart

  • Quand l'économie devient religion...

    Les éditions Grasset viennent de publier un essai de Stéphane Foucart intitulé Des Marchés et des Dieux - Comment l'économie devint religion. Journaliste, spécialiste des questions de sciences et d’environnement, Stéphane Foucart est l'auteur de La Fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger (Denoël, 2013).

     

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    " 2007-2008  : la crise des subprimes plonge le monde dans la stupeur. Personne, ou presque, ne l’a vue venir, et surtout pas les économistes mainstream. L’économie n'était-elle pas censée être une science infaillible ?
    Peut-être est-ce tout le contraire. Dans l’Occident post-religieux, le discours économique semble avoir pris la place du sacré. Ce culte a pour principe divin le Marché, incarné par une multitude de Marchés dont l’appétit n’est apaisé que par la croissance. Il a pour valeur cardinale la liberté d’entreprendre, pour idéal l’équilibre et pour credo l’infinitude du monde, condition à la satisfaction des dieux. Il a ses temples, ces grandes bâtisses d’allure gréco-romaine où valsent les indices, reflets des humeurs divines changeantes  . Il a ses rites de consommation ; il a son clergé, la finance, et ses archiprêtres, les grands banquiers centraux, seuls capables d’apaiser la colère des dieux.
    Progressivement, depuis le XVIIIe siècle, l’économie a acquis l’autorité dont était investie la religion. Elle ne s’attaque plus à l’astronomie et à la biologie, comme le christianisme avant elle, mais s’en prend à l’écologie et à toutes les sciences qui fixent des limites au Marché. Le nouveau Jupiter, c’est lui.
    Une fascinante enquête historico-économique à la recherche des ressorts profonds du système économique qui nous régit. "

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  • Il était une fois les mythes...

    Nous reproduisons ci-dessous un article passionnant de Stéphane Foucart, cueilli dans le supplément Culture & idées du journal Le Monde et consacré aux travaux de l'universitaire américain Michael Witzel sur l'origine des mythes dont il a publié récemment une synthèse dans un ouvrage intitulé The Origins of the World’s Mythologies (Oxford University Press, 2013).

     

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    Dans les rêves de Cro-Magnon

    Si nous étions dans le siècle de Darwin, si le temps n’avait pas été accéléré par Internet et les réseaux sociaux, si un livre académique épais et compliqué pouvait encore secouer la grande actualité, celui de Michael Witzel aurait provoqué un formidable séisme. Des colloques de préhistoriens, de linguistes, d’anthropologues auraient été organisés en urgence. Des journalistes auraient été envoyés couvrir des séminaires savants s’achevant, façon bataille d’Hernani, en pugilats de barbes grises et de crânes dégarnis. Pro-Witzel d’un bord, anti-Witzel de l’autre. Il y aurait eu des blessés, et peut-être des morts.

     

    Bien sûr, il n’en a rien été. The Origins of the World’s Mythologies, « Les origines des mythologies du monde » (Oxford University Press), a paru en janvier 2013, et, hors de petits cercles de spécialistes, il est passé remarquablement inaperçu. Le projet et la théorie de Michael Witzel, professeur de sanskrit à Harvard (Massachusetts), sont pourtant d’une extraordinaire portée.

    Qu’on en juge : l’éminent linguiste dit avoir retrouvé rien de moins que les bribes de nos premières histoires, celles qui peuplaient l’imaginaire des quelques centaines d’Homo sapiens qui venaient de quitter l’Afrique de l’Est, voici 65 000 à 40 000 ans, avant de se répandre à la surface de la Terre.

    De ces légendes primordiales, ou plus exactement de ces représentations de l’homme et de l’Univers, dit Michael Witzel, il reste encore les échos dans les grandes mythologies du monde. La thèse est ambitieuse et fascinante : une part de nos réflexes mentaux, la manière dont nous nous représentons l’Univers, nous viendrait de cette époque où Homo sapiens ornait les parois de Lascaux ou d’Altamira, et avait pour seuls instruments des outils taillés dans l’os, le bois ou le silex…

    « L’AMPLEUR DU PROJET EST ÉPIQUE »

    « La lecture est épique, l’ampleur du projet est épique, et ce livre fera l’objet de discussions épiques – pour ou contre – pendant la prochaine génération au moins », estime le linguiste Frederick Smith (université de l’Iowa), dans une recension publiée en septembre 2013 au sein de la Religious Studies Review. De fait, le projet, auquel Michael Witzel travaille depuis plus d’une décennie, est de colossales dimensions.

    « La mythologie comparée, précise celui-ci dans un entretien accordé au Monde lors d’un passage à Paris, a produit énormément de travaux depuis le XIXe siècle, mais ce qui n’avait pas été fait, c’est de comparer l’ensemble des grandes mythologies dans une perspective historique. J’ai pris, pour les comparer, la théogonie grecque d’Hésiode, l’Edda islandais, le Popol-Vuh maya, mais aussi les mythologies de l’Egypte antique, de la Mésopotamie, du Japon ou encore de l’Inde. Et une fois que l’on fait cela, on réalise à quel point ces mythologies se ressemblent, à quel point elles partagent une story line commune, un enchaînement d’une quinzaine d’éléments qui se retrouvent à peu près toujours dans le même ordre, depuis la création de l’Univers. »

    Cette structure narrative commune, Michael Witzel l’a baptisée « laurasienne ». Le mot dérive d’un terme géologique, Laurasie : le nom du supercontinent qui regroupait l’Eurasie et l’Amérique il y a quelque 200 millions d’années.

    Cette trame laurasienne peut être esquissée à grands traits. Le monde est créé à partir du néant ou d’un état chaotique de la matière ; émergent deux figures divines, l’une masculine (le ciel), l’autre féminine (la Terre) ; le ciel engendre successivement deux générations de divinités secondaires ; s’ensuit un enchaînement de cycles au cours desquels le ciel s’élève, le Soleil apparaît, où les dernières générations de divinités usent d’une boisson d’immortalité puis se débarrassent – généralement par le meurtre – de leurs divins prédécesseurs.

    L’un de ces nouveaux dieux terrasse un dragon. Ce n’est bien sûr pas fini : les humains sont ensuite créés par volonté divine comme descendants somatiques d’une déité, puis se rendent coupables d’un excès d’orgueil, qui leur vaut une vaste et meurtrière inondation. Un esprit « farceur » – le mot utilisé par les anthropologues anglophones est trickster, que Claude Lévi-Strauss traduisait par « décepteur » – apporte ensuite la culture aux rescapés : les humains prolifèrent, conduits par de nobles héros d’ascendance divine ou partiellement divine. C’est alors le début de la période historique proprement dite, c’est le règne des hommes qui commence et se poursuit jusqu’à la destruction du monde.

    GAÏA (LA TERRE) ET OURANOS (LE CIEL)

    Un spécialiste de mythologie grecque trouverait cette trame « laurasienne » relativement familière. On y entrevoit Gaïa (la Terre) et Ouranos (le ciel), on y distingue la victoire des dieux olympiens sur les Titans, ou encore le nectar et l’ambroisie. On voit aussi Apollon tuant le serpent – c’est-à-dire le dragon –, de même qu’il n’est pas très compliqué de discerner, dans la grande inondation punitive, celle infligée par Zeus aux hommes de l’âge du bronze et à laquelle seuls Pyrrha et Deucalion, le fils de Prométhée, réchappèrent finalement.

    Même la mythologie judéo-chrétienne, pourtant tardive et marquée par la révolution monothéiste, contient encore bon nombre d’éléments laurasiens. Dans la Genèse biblique, la création du monde ne commence-t-elle pas par la séparation du ciel et de la Terre ? N’y a-t-il pas notre bon vieux mythe du Déluge, avec Noé comme survivant ? N’y a-t-il pas aussi cette discrète référence à des divinités primordiales, apparaissant fugacement avec ce mot désignant des créatures divines et décliné au pluriel, Elohim, parfois utilisé dans le texte hébraïque et commodément traduit par « Dieu » ? D’ailleurs, malgré ces petits arrangements avec les mots, nombre de nos contemporains, monothéistes bon teint, entretiennent encore la vague croyance qu’il existe quelque part une communauté d’anges, sorte de déités secondaires. L’idée d’un affrontement entre divinités survit aussi dans la Bible, puisque l’un de ces anges finit vaincu, déchu, et n’est autre que Satan, l’esprit « décepteur » représenté sous l’apparence d’un serpent et qui incite Adam, par le truchement d’Eve, à croquer le fruit de la connaissance, faisant ainsi basculer l’espèce humaine dans l’état de culture…

    L’intervention de héros humains d’ascendance divine est une constante des mythologies laurasiennes. Le Gilgamesh mésopotamien, l’Héraklès grec, les jumeaux Romulus et Rémus, l’Ayu védique, les empereurs nippons, censés descendre en droite ligne d’Amaterasu (le Soleil), ou encore les héros mayas Hunahpu et Ixbalanque peuvent tous être rapprochés. De même, d’ailleurs, que les patriarches bibliques ou que Jésus, autant leader spirituel et politique que rejeton de Dieu. Aujourd’hui encore, nos mythologies modernes sont hantées par ce motif – celui d’un humain d’ascendance divine ou venu du ciel en sauveur ou en guide. Qui sont Jake Sully (le héros d’Avatar, de James Cameron), Clark Kent (dans le Superman de Jerry Siegel et Joe Shuster) ou Luke Skywalker (le héros de la saga Star Wars, de George Lucas), sinon des succédanés de la figure du héros laurasien ?

    L’affrontement d’une divinité avec la figure du dragon est aussi largement présent – trop, selon Witzel, pour avoir été le fait d’emprunts successifs à partir d’une source récente unique. Dans la mythologie nordique, Beowulf triomphe du dragon ; en Egypte, c’est le dieu Seth qui pourfend le reptilien Apophis ; en Mésopotamie, Mardouk tue Apsou ; dans le monde indo-iranien, c’est Indra, seigneur de la foudre, qui abat le serpent Ahi ; dans le shinto japonais, c’est Susanowo, dieu de la mer, qui débarrasse les hommes de Yamata-no-Orochi, le serpent à huit têtes ; en Chine, c’est la déesse Nuwa qui démembre le dragon noir…

    Car même en s’éloignant radicalement du fertile Proche-Orient, nous dit Michael Witzel, les chevilles du socle narratif laurasien sont toujours là, sous-jacentes, cachées dans la plupart des mythes de création, dans toute l’Eurasie et les Amériques, mais aussi en Afrique du Nord ou en Océanie septentrionale.

    TRAME COMMUNE

    Pour reconstituer la trame commune aux mythes de création rencontrés dans cette vaste aire géographique, Michael Witzel n’a pas comparé tout avec n’importe quoi. Il a utilisé la méthode des linguistes comparatistes. Celle-ci consiste à opérer des comparaisons successives entre langues apparentées, pour reconstruire le vocabulaire et la structure de la langue dont elles sont issues. Comparez ex abrupto le français, le mandarin, le maya quiché et le finnois, et vous ne parviendrez à rien ; comparez le français, l’espagnol, l’italien et le roumain, et vous aurez des chances de retrouver le latin.

    Michael Witzel a procédé de manière analogue avec les mythes, en comparant successivement les grandes traditions mythologiques au sein de chaque grande famille linguistique. Il a également utilisé les données accumulées par l’archéologie et même les sciences du climat : il est ainsi, par exemple, possible de dater les traits communs entre les mythes amérindiens et eurasiens. En effet, les premières populations à coloniser les Amériques passent par l’actuel détroit de Béring, il y a 20 000 ans environ. A cette époque, en pleine ère glaciaire, le niveau de l’océan est plusieurs dizaines de mètres plus bas qu’aujourd’hui et le passage se fait à pied sec. Mais quelques milliers d’années plus tard, avec la déglaciation, l’océan reprend ses droits et sépare le Nouveau et l’Ancien Monde. Ainsi, les traits mythologiques présents des deux côtés du détroit ont de bonnes chances d’avoir été composés il y a plus de 20 000 ans…

    Ces idées sont explorées depuis de nombreuses années par des chercheurs comme Youri Berezkin (Musée d’ethnographie et d’anthropologie de l’Académie des sciences de Russie) ou Jean-Loïc Le Quellec (Centre d’étude des mondes africains et CNRS). Mais Michael Witzel est le premier à les pousser jusque dans leurs limites, en utilisant l’ensemble des savoirs accumulés par les sciences expérimentales.

    Ainsi, la génétique des populations – mais aussi les datations des sites archéologiques fouillés en Europe et au Proche-Orient – permet de dater la trame laurasienne autour de 40 000 ans. C’est en effet à cette époque qu’un petit groupe d’Homo sapiens, quelques milliers d’individus tout au plus, commence sa migration, depuis l’Afrique de l’Est, vers le nord. C’est-à-dire vers l’Europe occidentale actuelle, avant de se diffuser plus tard vers l’est, vers l’Asie. Puis de coloniser les Amériques…

    DES HISTOIRES RAFFINÉES ET COMPLEXES

    La thèse, assez vertigineuse, est donc celle d’une origine commune des mythes de création de l’ensemble du domaine laurasien, remontant au paléolithique supérieur. A en croire Michael Witzel, ceux que l’on imagine volontiers grognant au fond de leur grotte en taillant des silex développaient surtout des histoires raffinées et complexes, liées dans une trame si bien ficelée qu’elle a perduré partout, malgré toutes les innovations sociales ou techniques des millénaires suivants.

    Partout ? Pas tout à fait. Si tel était le cas, on pourrait croire, comme le psychiatre et psychanalyste Carl Jung (1875-1961) l’a proposé le premier, à une émergence spontanée des mêmes motifs, des mêmes thèmes. Selon Jung, les ressemblances frappantes entre mythologies s’expliqueraient par la structure même de la psyché humaine. Des histoires identiques pourraient indépendamment apparaître, ex nihilo, un peu partout à la surface de la Terre. Si elle se vérifiait, cette théorie, dite des archétypes, rendrait inutile et parfaitement vaine la recherche, dans une perspective historique, d’origines mythologiques communes. Et les quelque 700 pages des « Origines des mythologies du monde » n’auraient été que jeu de l’esprit.

    En bon scientifique, Michael Witzel a donc cherché à tester sa théorie laurasienne sur des populations issues d’une autre vague migratoire. Il faut, là encore, s’appuyer sur les sciences expérimentales, et en particulier la génétique. Celle-ci pose que l’une des premières populations d’Homo sapiens à s’être répandues hors d’Afrique a quitté le continent noir voici 65 000 ans environ et qu’elle n’est pas partie vers le nord, vers l’Europe. Arrivée au carrefour proche-oriental, elle a mis le cap à l’est et a suivi les rivages de la mer d’Oman et du golfe du Bengale, traversant ensuite les îles de la Sonde pour poursuivre et coloniser durablement l’Australie, la Tasmanie et une partie de la Mélanésie.

    Michael Witzel a colligé un grand nombre de mythes de ces régions et a constaté que les principaux éléments de la structure laurasienne en étaient absents. De même qu’ils sont absents des traditions orales d’une grande part de l’Afrique subsaharienne. Le linguiste américain a donné un autre nom (lui aussi dérivé de la géologie) à cette autre grande aire mythologique : le Gondwana. « Dans le Gondwana, au contraire de l’un des traits caractéristiques du monde laurasien, il n’y a pas de création de l’Univers, dit-il. Les mythologies du Gondwana s’intéressent essentiellement à la manière dont les hommes évoluent. Il y a des variations : les hommes peuvent être façonnés à partir d’argile ou de bois, on rencontre également des animaux qui se transforment pour devenir des hommes… Mais toujours l’Univers est déjà là. » Autre grande vague migratoire, autres mythes : l’argument pèse lourdement en faveur de la théorie witzélienne d’un enracinement très ancien des mythologies actuelles.

    DEUX GRANDS ENSEMBLES

    Ainsi se dessinent deux grands ensembles mythologiques. Deux mondes aux conceptions radicalement différentes. Une vision laurasienne, conçue par un petit groupe de quelques centaines ou quelques milliers d’Homo sapiens partis coloniser l’Europe il y a 40 000 ans pour se répandre ensuite autour du globe ; une vision gondwanienne, plus ancienne, retrouvée dans la mythologie des populations qui ont quitté 25 000 ans plus tôt l’Afrique – ou qui ne l’ont pas quittée. D’un côté, une vision dans laquelle l’Univers est soumis au même destin que les hommes, à la nécessité de naître sous les auspices d’un couple puis de subir la tragédie du temps qui s’écoule et qui le précipite vers sa destruction ; de l’autre, une vision dans laquelle l’Univers est plat et immanent, imperméable à la marche du temps, et existe de toute éternité sous la houlette d’un haut dieu.

    Michael Witzel ne se risque cependant pas à proposer une story line caractéristique des mythologies du Gondwana. Celles-ci sont trop disparates, mal documentées car rarement écrites, leur pérennité étant tributaire du travail des rares ethnologues de terrain qui les recueillent.

    Mais à côté des différences – majeures – entre Laurasie et Gondwana, il y a aussi des traits communs. Comme, par exemple, la présence du dieu ou de l’esprit « décepteur » qui apporte aux hommes la culture. Ou, plus fascinant encore, l’omniprésence du déluge ou de l’inondation. Qu’ils soient issus de Laurasie ou du Gondwana, la presque totalité des mythes de création contiennent cet épisode de punition des hommes, coupables d’hubris aux yeux d’une ou de plusieurs divinités… Le motif d’un déluge tuant la plupart des hommes à l’exception de quelques-uns, survivant au sommet d’une montagne ou réchappant au désastre grâce à la construction d’une embarcation, est ainsi présent chez les peuples aborigènes d’Australie. Quantité de variations autour de ce thème se retrouvent dans les traditions orales de l’ensemble du Gondwana.

    Pour Michael Witzel, ces éléments communs sont peut-être des mythes « pangéens », c’est-à-dire forgés de très longue date, bien avant les premières migrations hors d’Afrique de notre espèce (dont les premiers fossiles sont datés de 200 000 ans environ). Des histoires vieilles de 100 000 ans ou plus et dont chacun, au XXIe siècle, a en tête les grandes lignes…

    Bien sûr, la construction de Michael Witzel n’est qu’une théorie. Certains de ses pairs lui opposent déjà des contre-exemples, des exceptions. D’autres vont plus loin. Un anthropologue de l’université de Californie du Sud lui fait même un procès en racisme, l’accusant de chercher à segmenter l’humanité en deux groupes. Personnalité d’une grande modestie, Michael Witzel présente surtout son travail comme une œuvre programmatique qu’il livre à la communauté scientifique. Sans faire mystère des objections qui ne manqueront pas d’être soulevées, le linguiste Frederick Smith conclut que « l’approche interdisciplinaire [de Witzel] a non seulement un avenir prometteur, mais elle parvient aussi à ce que l’on puisse enfin parler d’une science de la mythologie ».

    Stéphane Foucart (Le Monde, 13 mars 2014)

    Stéphane Foucart (Le Monde, 13 mars 2014)

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  • La croissance mondiale va s'arrêter...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien passionnant avec le physicien américain Dennis Meadows, publié dans le quotidien Le Monde daté du 26 mai 2012. Pour ce chercheur qui a participé aux travaux du Club de Rome dans les années 70, nous allons au devant d'une crise systémique majeure...

     

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    "La croissance mondiale va s'arrêter"

    En mars 1972, répondant à une commande d’un think tank basé à Zurich (Suisse) – le Club de Rome -, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) publiaient The Limits to Growth, un rapport modélisant les conséquences possibles du maintien de la croissance économique sur le long terme. De passage à Paris , mercredi 23 mai, à l’occasion de la publication en français de la dernière édition de ce texte qui fait date (Les Limites à la croissance, Rue de l’Echiquier, coll. « Inital(e)s DD », 408 p., 25 euros), son premier auteur, le physicien américain Dennis Meadows, 69 ans, a répondu aux questions du Monde.

    Quel bilan tirez-vous, quarante ans après la publication du rapport de 1972 ?

    D’abord, le titre n’était pas bon. La vraie question n’est pas en réalité les limites à la croissance, mais la dynamique de la croissance.Car tout scientifique comprend qu’il y a des limites physiques à la croissance de la population, de la consommation énergétique, du PIB, etc. Les questions intéressantes sont plutôt de savoir ce qui cause cette croissance et quelles seront les conséquences de sa rencontre avec les limites physiques du système.

    Pourtant, l’idée commune est, aujourd’hui encore, qu’il n’y a pas de limites. Et lorsque vous démontrez qu’il y en a, on vous répond généralement que ce n’est pas grave parce que l’on s’approchera de cette limite de manière ordonnée et tranquille pour s’arrêter en douceur grâce aux lois du marché. Ce que nous démontrions en 1972, et qui reste valable quarante ans plus tard, est que cela n’est pas possible : le franchissement des limites physiques du système conduit à un effondrement.

    Avec la crise financière, on voit le même mécanisme de franchissement d’une limite, celle de l’endettement : on voit que les choses ne se passent pas tranquillement.

    Qu’entendez-vous par effondrement ?

    La réponse technique est qu’un effondrement est un processus qui implique ce que l’on appelle une « boucle de rétroaction positive », c’est-à-dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque. Par exemple, regardez ce qui se passe en Grèce : la population perd sa confiance dans la monnaie. Donc elle retire ses fonds de ses banques. Donc les banques sont fragilisées. Donc les gens retirent encore plus leur argent des banques, etc. Ce genre de processus mène à l’effondrement.

    On peut aussi faire une réponse non technique : l’effondrement caractérise une société qui devient de moins en moins capable de satisfaire les besoins élémentaires : nourriture, santé, éducation, sécurité.

    Voit-on des signes tangibles de cet effondrement ?

    Certains pays sont déjà dans cette situation, comme la Somalie par exemple. De même, le « printemps arabe », qui a été présenté un peu partout comme une solution à des problèmes, n’est en réalité que le symptôme de problèmes qui n’ont jamais été résolus. Ces pays manquent d’eau, ils doivent importer leur nourriture, leur énergie, tout cela avec une population qui augmente. D’autres pays, comme les Etats-Unis, sont moins proches de l’effondrement, mais sont sur cette voie.

    La croissance mondiale va donc inéluctablement s’arrêter ?

    La croissance va s’arrêter en partie en raison de la dynamique interne du système et en partie en raison de facteurs externes, comme l’énergie. L’énergie a une très grande influence. La production pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n’y a pas de substitut rapide au pétrole pour les transports, pour l’aviation… Les problèmes économiques des pays occidentaux sont en partie dus au prix élevé de l’énergie.

    Dans les vingt prochaines années, entre aujourd’hui et 2030, vous verrez plus de changements qu’il n’y en a eu depuis un siècle, dans les domaines de la politique, de l’environnement, de l’économie, la technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu’une petite part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de manière pacifique.

    Pourtant, la Chine maintient une croissance élevée…

    J’ignore ce que sera le futur de la Chine. Mais je sais que les gens se trompent, qui disent qu’avec une croissance de 8 % à 10 % par an, la Chine sera le pays dominant dans vingt ans. Il est impossible de faire durer ce genre de croissance. Dans les années 1980, le Japon tenait ce type de rythme et tout le monde disait que, dans vingt ans, il dominerait le monde. Bien sûr, cela n’est pas arrivé. Cela s’est arrêté. Et cela s’arrêtera pour la Chine.

    Une raison pour laquelle la croissance est très forte en Chine est la politique de l’enfant unique. Elle a changé la structure de la population de manière à changer le ratio entre la main-d’œuvre et ceux qui en dépendent, c’est-à-dire les jeunes et les vieux. Pour une période qui va durer jusque vers 2030, il y aura un surcroît de main-d’œuvre. Et puis cela s’arrêtera.

    De plus, la Chine a considérablement détérioré son environnement, en particulier ses ressources en eau, et les impacts négatifs du changement climatique sur ce pays seront énormes. Certains modèles climatiques suggèrent ainsi qu’à l’horizon 2030 il pourrait être à peu près impossible de cultiver quoi que ce soit dans les régions qui fournissent actuellement 65 % des récoltes chinoises…

    Que croyez-vous que les Chinois feraient alors ? Qu’ils resteraient chez eux à souffrir de la famine ? Ou qu’ils iraient vers le nord, vers la Russie ? Nous ne savons pas comment réagira la Chine à ce genre de situation…

    Quel conseil donneriez-vous à François Hollande, Angela Merkel ou Mario Monti ?

    Aucun, car ils se fichent de mon opinion. Mais supposons que je sois un magicien : la première chose que je ferais serait d’allonger l’horizon de temps des hommes politiques. Pour qu’ils ne se demandent pas quoi faire d’ici à la prochaine élection, mais qu’ils se demandent : « Si je fais cela, quelle en sera la conséquence dans trente ou quarante ans ? » Si vous allongez l’horizon temporel, il est plus probable que les gens commencent à se comporter de la bonne manière.

    Que pensez-vous d’une « politique de croissance » dans la zone euro ?

    Si votre seule politique est fondée sur la croissance, vous ne voulez pas entendre parler de la fin de la croissance. Parce que cela signifie que vous devez inventer quelque chose de nouveau. Les Japonais ont un proverbe intéressant : « Si votre seul outil est un marteau, tout ressemble à un clou. » Pour les économistes, le seul outil est la croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance.

    De même, les politiciens sont élus pour peu de temps. Leur but est de paraître bons et efficaces pendant leur mandat; ils ne se préoccupent pas de ce qui arrivera ensuite. C’est très exactement pourquoi on a tant de dettes : on emprunte sur l’avenir, pour avoir des bénéfices immédiats, et quand il s’agit de rembourser la dette, celui qui l’a contractée n’est plus aux affaires.

    Propos recueillis par Stéphane Foucart et Hervé Kempf (Le Monde, 26 mai 2012) 

     

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