Atlantico : Manuel Valls, défendra lundi son projet de loi sur le renseignement devant le Parlement. A quelles menaces pesant actuellement sur le pays cette loi devrait-elle répondre, peut-on dresser une liste ?
Xavier Raufer : Dans notre monde chaotique et mouvant, en constante accélération formelle du fait de la technique informatique, répondre à cette question est bien sûr impossible. Une telle liste serait périmée, à peine publiée. Qui avait entendu parler de l'Etat islamique voici deux ans ? Et qui connaît le nom du dernier sanguinaire Cartel mexicain qui a massacré quinze policiers dans l'Etat de Jalisco, voici une semaine ?
Dans ces circonstances, tout le problème pour un Etat est donc de disposer d'un appareil d'alerte sachant lui signaler à temps - les deux mots à temps sont d'évidence cruciaux - les dangers graves et imminents, ce qui clairement, n'est pas le cas aujourd'hui.
A l'inverse, on doit regretter la sévère incompétence de la présente direction du Renseignement intérieur. Après l'affaire Merah, Manuel Valls avait en 2012 averti cette direction : "que cela ne se produise pas une deuxième fois !" Or depuis, de tels drames se sont multipliés : Mehdi Nemmouche... Le "Bilal" de Joué-les-Tours... Les frères Kouachi... Coulibaly 1 et 2 - et le renseignement intérieur n'y a rien pu - sans doute, n'y a-t-il rien compris.
Que prévoit cette loi pour faire face à ces menaces ?
Xavier Raufer : Dans un Etat de droit, la loi ne vise pas à affronter les menaces. La loi fixe un cadre de légalité aux entreprises des services officiels. Telle investigation opérée lors d'une instruction doit être légale - prévue par la loi - pour qu'ensuite, la justice puisse en user lors d'un procès. La loi fixe aussi un cadre au comportement des citoyens : ceci est permis, ceci est interdit. Mais ensuite, la loi n'opère qu'a posteriori, quand une infraction a été commise, en bout de circuit, et joue donc un rôle modeste dès lors qu'il s'agit d'affronter des périls divers.
Les services de renseignements français pourront surveiller les terroristes potentiels grâce à des autorisations administratives, sans passer par la justice. Ils pourront effectuer en toute légalité des "interceptions de sécurité" portant sur les contenus des courriels et des conversations téléphoniques, uniquement s'ils sont en lien direct avec l'enquête. Quels dangers cela représente-t-il pour les libertés civiles ? Cela vous parait-il adapté aux enjeux ?
Xavier Raufer : Ces dispositions trop englobantes trahissent l'affolement du gouvernement devant le présent terrorisme, dont il comprend mal la nature, l'essence. Alors, il fait dans le principe de précaution, la pêche au chalut, le 360°, appelez ça comme vous voulez, juste au cas où... Ici encore transparaît l'incompétence du Renseignement intérieur, incapable ce cibler précisément des individus déterminés - les "bombes humaines" qui ont tué à Toulouse, Paris et Vincennes - et qui constamment gémit qu'il y a des milliers de terroristes potentiels et qu'il faut d'immenses effectifs pour surveiller chacun d'entre eux - ce qui est outrageusement faux.
Qu'aurait-il fallu faire différemment ? Les garanties pour la protection des libertés individuelles et le respect de la vie privée sont-elles suffisantes ?
Xavier Raufer : Eh bien, il faut et il suffit de doter l'Etat, le gouvernement, d'un appareil efficace de détection précoce des menaces, ce que je m'évertue à prôner depuis une décennie et plus. Il faut qu'en matière de sécurité, l'Etat apprenne à accomplir ce qu'ailleurs, en médecine notamment, il fait plutôt bien : du préventif. Le préventif s'intéresse à des individus, des entités et des situations clairement et gravement dangereux. Le préventif fiche une paix royale à la population en général, les citoyens n'ayant rien du tout à craindre de ce travail-là. Si besoin, le décèlement précoce débouche ensuite sur de la microchirurgie visant des Merah, des Kouachi - non les citoyens ordinaires. De part en part, le décèlement précoce respecte tous les droits humains. Et est plus efficace que de nébuleuses usines à gaz judiciaires, ou qu'une aveugle bureaucratie - par exemple, sise à Levallois.
Xavier Raufer (Atlantico, 13 avril 2015)