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protectionnisme européen

  • Pour une Europe-puissance dans un monde multipolaire !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Aymeric Chauprade à Boulevard Voltaire et consacré à la question de l'Europe au sein du monde multipolaire...

     

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    «En 1991, après la chute de l’URSS, nous avons manqué une chance historique…»

    Un monde bipolaire pouvait induire un possible choc des civilisations. Mais l’univers multipolaire qui s’annonce est-il forcément plus rassurant ?

    Le monde bipolaire n’était pas le choc des civilisations, il était le choc de deux utopies mondialistes, le libéralisme et le socialisme planétaires, chacune adossée à la logique de puissance d’une nation motrice, les États-Unis et la Russie. Remarquez que la théorie du choc des civilisations a repris de l’actualité juste après l’écroulement de l’Union soviétique, avec Samuel Huntington, quand précisément les Américains, pour ne pas voir leur alliance otanienne connaître le même sort que le pacte de Varsovie, ont tenté de réveiller les représentations civilisationnelles.

    Ce qui s’est passé à partir de 1991 est assez simple. Le projet unipolaire américain (l’Amérique-monde) s’est accéléré, et il lui a été offert d’un coup, par l’effondrement soviétique, des territoires immenses à intégrer dans l’OTAN, comme dans l’OMC. En opposition au projet unipolaire, les émergents importants – Russie, Chine, Turquie, Inde, Brésil – se sont mis à reconstruire leur puissance régionale et à marcher vers la puissance. Seuls les Européens sont interdits de « puissance » par l’Union européenne et donc incapables de préparer l’Europe-puissance dont nous aurions besoin pour affronter les défis à venir. Bien sûr que le monde multipolaire n’est pas plus rassurant que le monde bipolaire. Si nous voulons la paix, il faut en réalité l’équilibre des puissances. La bipolarité a reposé sur l’équilibre de la terreur. La multipolarité doit reposer sur l’équilibre de toutes les puissances, nucléaires ou conventionnelles.

    Est-ce l’occasion pour l’Europe, non pas de retrouver son rôle dominant de naguère, mais au moins de reprendre la main sur l’échiquier mondial ?

    En 1991, après l’écroulement de l’URSS, les Européens ont raté une chance historique. Ils pouvaient décider de s’émanciper des États-Unis (sans se fâcher avec eux, là n’est pas le but !) et construire une Europe-puissance. Mais avec le Royaume-Uni (le général de Gaulle avait vu juste) et une logique d’élargissement à l’Est (intégration horizontale) qui diluait tout effort d’intégration verticale, c’était impossible! Le triste bilan des 23 années qui suivent la fin de l’ère bipolaire, c’est que les Européens ont finalement abdiqué leur souveraineté non pour une « Europe-puissance », mais simplement pour s’arrimer aux USA et la dynamique d’élargissement de l’OTAN. Sur le continent eurasiatique il y a place pour trois blocs de puissance – l’Europe, la Russie et la Chine –, seulement les Américains n’en veulent surtout pas car ils perdraient alors la main sur l’histoire mondiale.

    Ne serait-ce pas le moment, pour la France, de remettre à l’honneur ses vieilles alliances : Turquie, Amérique latine, monde arabe ?

    L’échec géopolitique, économique, social de l’Union européenne doit nous imposer une remise en cause complète du cadre actuel, fondé sur le couple OTAN/UE. Nous devons retrouver notre souveraineté nationale et proposer à nos amis et partenaires européens d’en faire autant (ce qu’ils feront dès lors que nous le ferons), puis refonder le projet européen sur l’idée d’une Europe confédérale et d’un partenariat fort avec la Russie. Les Allemands peuvent ouvrir à la France l’Europe centrale et orientale, tandis que nous pouvons aider les Allemands à se développer outre-mer grâce à notre présence mondiale (nous avons le deuxième espace maritime mondial derrière les Américains, et une grande partie des ressources de demain est en mer). Un véritable protectionnisme européen doit être mis en place sur le plan économique. L’Europe de demain devra aussi avoir une véritable flotte européenne reposant d’abord sur l’alliance de trois puissantes marines – française, allemande et russe – qui ensemble pourront peser autant que la flotte états-unienne, nous assurer une présence maritime mondiale et assurer la sécurité de nos approvisionnements. Tant que nous dépendrons de la thalassocratie américaine, nous ne serons pas indépendants.

    Contrairement à ce que l’on entend souvent, les souverainistes ne sont pas opposés à l’idée européenne, bien au contraire. Ils veulent simplement la refonder sur un authentique projet de civilisation (les racines chrétiennes de l’Europe, l’affirmation de nos identités) autant que de puissance (la puissance ne signifie pas l’agression !), tenant compte des réalités nationales et des complémentarités possibles entre nations européennes. La preuve même que l’Union européenne est en train de tuer la puissance européenne, c’est que tous les budgets de défense nationaux européens sont en train de s’effondrer sans qu’aucune défense européenne n’émerge en échange ! Il y a une règle simple dans la vie, c’est que si un système en place depuis maintenant plus de vingt ans a produit un effondrement identitaire, économique, social, géopolitique de l’Europe, c’est qu’il n’est pas bon et qu’il faut en changer sans plus tarder.

    Aymeric Chauprade, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 11 décembre 2013)

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  • Tour d'horizon... (43)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Les Influences, Christian Harbulot pense que la crise italienne donne l'occasion à la France de proposer à l'Europe un vrai projet politique. On peut toujours rêver...

    Europe : meurtre à l'italienne

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    - sur Le Monde, Etienne de Durand, directeur des études de sécurité de l'IFRI, plaide en faveur d'un maintien du budget de la défense, et plus généralement des budgets régaliens...

    Ne réduisons pas le budget de la défense

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    - sur Le Monde, Sylvia Zappi évoque la dérive mafieuse des cités et le racket systématique sur les entreprises engagées dans les chantiers de rénovation urbaine

    Racket sur les chantiers de rénovation urbaine

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  • Les sept plaies du capitalisme...

    Les éditions Léo Scheer viennent de publier Les sept plaies du capitalisme, un essai d'Henri de Bodinat. Entrepreneur, l'auteur a adopté depuis plusieurs années des positions favorables à un certain protectionnisme européen.

     

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    "«  Memento mori  », murmurait-on aux généraux romains pendant leur triomphe. «  Rappelle-toi que tu peux mourir  », voudrait-on chuchoter à l’oreille du capitalisme, à la fois triomphant et menacé, du début du xxie siècle.
    La crise de 2008 est le symptôme d’une mutation maléfique du capitalisme depuis la chute du communisme, qui entraîne irrésistiblement vers le gouffre de l’inégalité, de la stagnation et du chômage l’ensemble des sociétés occidentales. La cupidité est devenue la valeur suprême, empoisonnant l’organisme social et déclenchant une série de maladies adventices  : l’infection du lobbyisme, le virus de la rente, la septicémie de la finance, l’anémie de la mondialisation, le cancer des externalités… Ces plaies ouvertes au flanc du capitalisme se combinent en une gangrène infernale qui tue le progrès et l’espoir, instaure le règne de la peur et menace la substance même de nos sociétés. Muter de cet hyper-capitalisme cupide et mortifère à un néo-capitalisme juste et intelligent exige des dirigeants occidentaux une dose massive de lucidité dans le diagnostic, de volonté dans le changement et de courage dans l’exécution. Une réforme  ? Non, une véritable révolution pour sauver le capitalisme de lui-même et restaurer solidarité, équité et efficacité dans nos sociétés malades."
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  • L'Europe meurt, et c'est tout...

    Nous avons cueilli sur le site Scriptoblog une réponse de Michel Drac à l'article de Marc Rousset, intitulé Vers une Union carolingienne. Michel Drac est l'animateur des éditions Le retour aux sources et est lui-même l'auteur de plusieurs essais percutants comme La Question raciale (Le retour aux sources, 2009) et Crise économique ou crise du sens ? (Le retour aux sources, 2010).

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    Réponse à Marc Rousset : l'Europe se meurt, et c'est tout

    L’Europe se dirige à terme vers une union carolingienne, nous dit monsieur Marc Rousset.

    Personnellement, je ne demande qu’à le croire.

    Autant l’empire thalassocratique anglo-saxon me répugne, autant le Saint Empire me convient.

    Je l’avoue : ce qui m’intéresse dans la France, c’est qu’elle fut la matrice de l’Europe. En réalité, quand je défends la France, je défends cette matrice. Le but, c’est de sauver l’Europe, c'est-à-dire l’idéalisme philosophique incarné dans le politique. Je l’ai écrit dans un petit bouquin commis il y a quelques années (Céfran). Je ne renie rien de ce que j’ai écrit.

    MAIS

    Mais le « petit » problème dans le propos de monsieur Rousset, c’est tout simplement que l’Europe ne prend pas du tout cette direction-là.

    A vrai dire, l’Europe ne prend aucune direction.

    Et la responsabilité de cet état de fait incombe principalement à l’actuel gouvernement allemand.

    Bien sûr, Hollande est un olibrius. Ou disons : il n’a que les moyens de se comporter en olibrius (l’homme en lui-même est une énigme). Son programme économique a été appuyé sur des prévisions de croissance probablement piochées dans un épisode de la saga des bisounours. En fait, il n’a aucun programme, et il le sait très bien. D’où, d’ailleurs, son activisme sur diverses questions sociétales (mariage homo, vel d’hiv, etc.). Pendant qu’on parle de ça, au moins, on ne lui demande pas ce qu’il veut faire concrètement sur le plan économique.

    C’est évident, je n’y reviens pas : les foireux du PS foirent, comme on pouvait s’y attendre. A vrai dire, nous avons été quelques centaines de milliers d’électeurs du FN à laisser passer le PS justement pour ça : pour qu’il nous débarrasse de Sarko et qu’ensuite, il foire. Ok, tout roule.

    Flamby a un peu inquiété les Allemands au début. Ils étaient habitués à un Président français qui dissimulait son absence de vision stratégique derrière un activisme frénétique, et faisait semblant d’être d’accord avec Merkel alors que celle-ci n’ayant en réalité pas de ligne, on ne peut évidemment pas partager une ligne qu’elle n’a pas. Ils ont été surpris par ce nouveau Président français qui, lui, dissimule son absence de vision stratégique derrière une immobilité suggérant la réflexion, et plus encore de découvrir qu’on pouvait finalement ne pas être d’accord avec une ligne que, de toute manière, Merkel n’a toujours pas.

    A présent, les Allemands ne s’inquiètent plus, ou disons plus beaucoup. Ils ont compris que le Français est là pour faire semblant d’avoir des idées, faire semblant de réindustrialiser le pays (alors qu’il ne peut rien en réalité), faire semblant d’être social, et même faire semblant de faire semblant, car à vrai dire on en est là, plus personne n’y croit, le roi est nu mais personne n’ose le dire tant que le roi lui-même ne l’avoue pas. Les Allemands, il faut le leur reconnaître, sont devenus assez bons dans le décodage de leurs voisins français. La pratique, sans doute.

    Mais les choses étant ce qu’elles sont, la très prévisible foirade Flamby n’a en réalité aucune importance. Au point où nous en sommes, la question est uniquement de savoir ce que l’Allemagne va décider. Car, étant la seule à pouvoir encore (provisoirement) payer, elle est de fait en situation de prendre les décisions pour le compte des autres.

    Or, la vérité est que l’Allemagne ne décide rien. Elle ne peut pas. La coalition Merkel est déchirée, sans qu’on arrive d’ailleurs à comprendre qui au juste défend quelle ligne. On dirait le choc mou de deux blocs informes : d’un côté ceux qui veulent faire sortir de la zone euro les pays les plus problématiques (Grèce, mais aussi à terme Espagne, Portugal, sans doute l’Irlande pour finir, voire l’Italie) ; de l’autre côté, ceux qui s’accrochent à la « monnaie unique » parce qu’elle est finalement la seule chose qui permet encore de se donner l’impression qu’on va quelque part. A en juger par la grande presse, la droite d’affaires (Die Welt) veut « faire le ménage » dans la zone euro, tandis que la classe politique, même de droite, est plus circonspecte. Mais allez savoir qui au juste veut quoi au sein du patronat allemand. C’est compliqué : si la zone euro explose, le Mark reconstitué va s’envoler, et l’Allemagne perdra son avantage compétitif intra-européen ; si elle n’explose pas, il faudra bel et bien allonger des sommes prodigieuses (peut-être 2 000 milliards d’euros) pour sauver en catastrophe l’Europe du sud. Dans les deux cas, ça fait mal.

    Montebourg est complètement à côté de la plaque lorsqu’il compare Merkel à Bismarck. A vrai dire, c’est même grotesque. Bismarck fut sans doute le plus grand homme d’Etat européen du XIX° siècle. Sous sa direction, la Prusse a fait un sans faute. La seule grosse erreur, l’annexion de l’Alsace-Lorraine : il était contre, elle lui a été imposée par Guillaume Ier. Sans faute pour le Junker Bismarck. Un géant.

    Merkel, par contre, est une naine.

    Elle n’est pas l’idiote que l’on raille sur le web à cause de vidéos sorties de leur contexte, où elle semble ne même pas savoir situer Berlin sur une carte. Evidemment. Ce n’est pas une imbécile. C’est même, sans aucun doute, quelqu’un d’un niveau sensiblement supérieur à la norme (atterrante) des politiciens actuels.

    Mais elle n’a tout simplement ni le charisme, ni la dimension, ni le caractère, ni l’ampleur de vue qui conviendrait à une personne dont dépend bel et bien, aujourd’hui, en théorie du moins, l’avenir de l’Europe. Elle se retrouve là où elle est parce que :

    Premièrement, ça arrangeait la CDU d’avoir à sa tête une ex-allemande de l’Est, mais pas trop : Merkel, née à l’ouest, fille de pasteur exerçant à l’est, opposante très discrète au système est-allemand, avait le profil ni-ni mou qui correspondait.

    Deuxièmement, formée à l’école RDA, c’est une apparatchik parfaitement adaptée au fonctionnement bureaucratique. Avec elle, le programme, c’est « pas de vagues » : rassurant. Elle en a donné de multiples illustrations lors de son parcours au sein de l’appareil CDU.

    Troisièmement, au moment de la guerre du Golfe, quand les Américains ont commencé à s’inquiéter sérieusement de l’orientation très, très « Ostpolitik » de Schröder, elle a eu l’intelligence tactique de se démarquer, se livrant à d’impressionnantes contorsions pour parvenir à ne pas condamner l’agression états-unienne sans rompre trop franchement avec l’opinion allemande.

    Quatrièmement, c’est une femme, et dans une Allemagne ravagée par le féminisme (comme le reste de l’Europe), c’est tendance.

    Cinquièmement, il faut le reconnaître, elle est extrêmement douée pour ménager en permanence la chèvre et le chou, dire juste ce qu’il faut pour rassurer le baby-boom pléthorique qui fait le gros de l’électorat allemand (âge moyen en Allemagne : 44 ans).

    Le tout pourrait faire un chancelier correct dans une période calme, où il s’agit surtout de ne pas faire de bêtise, et d’écouter attentivement ses conseillers pour laisser le temps aux classes dirigeantes d’incuber un consensus (la méthode allemande, depuis 1949).

    Mais cet ensemble de qualités devient un ensemble de défauts lorsqu’il faut décider. Merkel en est tout simplement incapable. Elle fait ce que le cours des choses l’amène à faire, c’est tout. Elle ne conduit pas sa politique, c’est sa politique qui la conduit. Une autruche la tête dans le sable, qui fait semblant de croire qu’on peut encore « sauver » l’euro, préserver les exportations allemandes sans renflouer des marchés qu’on a rendus insolvables – une absurdité.

    Une autruche et, avec elle, l’ensemble des classes dirigeantes allemandes : incapables de prendre une décision.

    Le résultat, c’est que le seul pays qui pourrait organiser sérieusement l’inévitable refonte de la zone euro… n’organise rien.

    Il est pourtant évident pour tout le monde, désormais, que l’Europe du sud ne peut pas avoir la même politique monétaire que l’Europe du nord.

    Le fédéralisme budgétaire n’y changera rien, parce qu’il s’agit là d’une impossibilité insurmontable.

    Ce serait possible si l’Allemagne acceptait, en gros, de transférer structurellement une fraction significative de son PIB. Mais le peuple allemand ne l’acceptera pas. Les Allemands de l’ouest ont payé pour leurs compatriotes de l’est, mais d’une part on a bien vu qu’ils n’avaient payé qu’avec réticence, et trop peu (le différentiel de niveau de vie reste important), et d’autre part il s’agissait d’Allemands. Peu nombreux en outre. La même chose n’est pas possible quand il s’agit de cent millions de méditerranéens.

    Ce serait possible aussi, à la rigueur, si l’Europe du sud importait soudainement les mécanismes qui expliquent la stabilité ordo-libérale de l’économie allemande. Mais cette importation est impossible, impossible en tout cas dans les délais brefs qu’exige la crise actuelle. Veut-on établir la cogestion en Grèce ? En Espagne ? Dans l’Italie du sud ? Mais c’est une vaste blague : la cogestion chez Don Corleone ! A un certain moment, il faudra tout de même comprendre que les structures sociales ne fonctionnent que si elles sont isomorphes avec les structures anthropologiques profondes. On ne transforme pas un Madrilène en Berlinois d’un coup de baguette magique. D’autant moins que le Madrilène est attaché à son mode de fonctionnement. Il a raison, d’ailleurs : comme n’importe qui, il doit persévérer dans son être. Sinon, il meurt. Le fait que son mode de fonctionnement soit, dans l’économie globalisée actuelle, moins performant que celui d’un Berlinois (et encore, ça se discute), ne le convaincra pas de renoncer à ce qu’il est.

    On dira : un protectionnisme européen changerait la donne. Il solidariserait spontanément l’Europe du nord et l’Europe du sud, les deux ayant forcément intérêt, dès lors, à étendre le marché continental – ce qui impliquerait sans doute, de la part des Allemands, un renoncement plus aisé à leur actuel modèle social, très régressif. Sans doute, mais : d’une part, ce protectionnisme n’est pas voulu par l’actuelle direction allemande ; en fait, c’est le contraire : c’est justement parce qu’elle ne pense pas l’Europe comme un espace protectionniste que l’Allemagne est obligée de la penser en référence à la monnaie unique. Et d’autre part, ce protectionnisme n’aurait aucun besoin de l’euro. Et s’il pousserait sans doute l’Allemagne à réviser son modèle social, rien ne garantit qu’il réduirait drastiquement le fossé qui sépare aujourd’hui les économies du sud et du nord, s’agissant des politiques monétaires optimales qu’elles appellent. Le modèle social-libéral allemand n’est pas la seule cause du différentiel de compétitivité qui s’est creusé depuis l’introduction de l’euro.

    En fait, les orientations actuelles du gouvernement allemand ne s’expliquent pas du tout par la volonté d’établir une Europe carolingienne. Elles ne font que traduire la tétanie qui s’est emparée de toutes les classes dirigeantes du continent. Elles sont en train, bien loin de solidariser les européens, de dresser les peuples de l’Europe du nord contre ceux de l’Europe du sud, où monte désormais une germanophobie à la fois compréhensible et, évidemment, stupide. Elles préparent tout simplement l’implosion économique de l’Europe, c’est tout. C’est d’ailleurs, du moins on peut le supposer, la raison profonde de l’insistance avec laquelle les Américains exigent de l’Allemagne qu’elle maintienne la zone euro, au moment précis où Wall Street et la City of London multiplient les attaques spéculatives.

    Il faut beaucoup d’imagination pour voir une étape vers une Europe carolingienne dans cette crispation presque puérile sur un projet, la monnaie unique, mal conçu parce que contraire aux réalités profondes de l’Europe. En fait, si, de l’absence de décisions qui caractérise les classes dirigeantes européennes, et allemandes en premier lieu, une Europe carolingienne doit sortir, ce sera que décidément, il fallait que ce fût, et quel chemin qu’on prît, on y serait parvenu.

    A un certain moment, il faut regarder les réalités en face. L’euro est un mauvais projet pour l’Europe. Il n’est pas ce dont notre continent a besoin. Il n’est d’ailleurs en rien inscrit dans les logiques relativement décentralisatrices propres à l’héritage politique carolingien. Il en est même le contraire : l’euro c’est l’unité par la centralisation et l’homogénéisation, forcée si nécessaire. On dirait une improbable synthèse entre ce que la France pouvait apporter de pire, son centralisme forcené, son tropisme niveleur, et ce que l’Allemagne pouvait, de son côté, apporter aussi de pire, son inclination irrationnelle pour la hiérarchisation à outrance, sa traditionnelle difficulté à penser la diversité sans l’accompagner d’une opposition quasi-théologique entre élus et réprouvés. Derrière les structures politiques, toujours, il y a un arrière-plan religieux : mélangez le pire du catholicisme gallican (ou de sa version laïcisée, le jacobinisme) et le pire du protestantisme germanique (et de sa traduction économique actuelle, l’inégalité « juste » instituée par l’ordo-libéralisme), vous aurez la zone euro. Prodige de l’euro : avoir cumulé les pathologies françaises et allemandes sans dégager le compromis dont l’Europe a besoin.

    Si une Europe carolingienne doit naître, elle le fera sur les ruines de la construction européenne actuelle, bruxelloise, technocratique, centralisatrice, bureaucratique, entièrement soumise aux intérêts du capital globalisé. Il y a plusieurs moyens d’arriver à cet objectif. Plusieurs scénarios de refonte de la zone euro sont envisageables. Mais pour l’instant, on ne prend aucun de ces chemins possibles.

    On suit la politique du chien crevé au fil de l’eau, on espère s’en sortir en allant toujours plus loin dans ce qui jusqu’ici n’a pas marché, parce qu’on se dit qu’au bout du bout, une cohérence se refera. La vérité, c’est que très probablement, on n’aura même pas le temps d’arriver à ce bout du bout pour voir ce qui s’y trouvait : toute la boutique sera par terre bien avant.

    Et, voilà le problème, on ne s’y sera pas préparé.

    Michel Drac (Scriptoblog, 25 juillet 2012)

     

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  • Appel pour un protectionnisme européen !...

    L'économiste Jean-Luc Gréau, qu'on voit peu sur les plateaux de télévision compte tenu de ses prises de position hétérodoxes, soutient l'Initiative citoyenne européenne pour un protectionnisme européen.

    Jean-Luc Gréau est l'auteur de plusieurs essais, dont L'avenir du capitalisme (Gallimard, 2005) et La trahison des économistes (Gallimard, 2008).


    Appel pour un protectionnisme européen soutien... par webtele-libre

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  • Une autre économie est possible !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan, cueilli sur Voxnr et consacré aux travaux du groupe des "Économistes attérrés".

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    Une autre économie est possible

    Aberrante, atterrante et néfaste : telle est l’orientation de l’économie actuelle. Une économie qui met l’homme au service de l’accumulation de l’argent. De là une réaction salutaire chez quelques spécialistes de la chose économique. Avec un fil conducteur : ne pas se laisser enfermer dans l’économisme. Ainsi sont nés les économistes atterrés. Ils ont fait irruption en 2010 avec un Manifeste qui a renversé la table. Ils avaient de quoi être atterrés par quelques oublis des libéraux. D’où leurs piqûres de rappel : sans l’Etat, disent-ils justement, l’économie ne fonctionnerait pas ; sans les dépenses sociales, la consommation s’effondrerait. Quant aux prélèvements obligatoires chacun doit savoir qu’ils sont en bonne part redistribués y compris aux entreprises. Il faut aussi prendre en compte l’ambiguïté de la notion de prélèvement obligatoire : ainsi, on ne compte pas, aux États-Unis ou en Chine, les dépenses privées laissées à chacun pour la santé et l’éducation, qui sont en fait des prélèvements quasi-obligatoires, alors que ces dépenses sont comptabilisées en France car elles sont publiques.

    Les économistes atterrés s’invitent maintenant dans le débat de 2012. Avec un constat et surtout des propositions : la réhabilitation du keynésianisme (Henri Sterdiniak), un développement soutenable distinct du dogmatisme de la décroissance (Jean-Marie Harribey), le recentrage des banques sur le financement de l’économie et non sur la finance de marché (Frédéric Boccara), la réhabilitation de l’impôt, la mise en place d’une fiscalité à nouveau progressive comme elle l’était dans les années 60 et 70 sous de Gaulle et Pompidou, des propositions de réduction radicale des possibilités d’activités financières spéculatives nocives à l’économie productive (Frédéric Lordon), la mise en place d’un système socialisé et relocalisé du crédit.

    Les vérités cachées par les libéraux sont rappelées : le poids de la dette publique est moins important que celui de la dette privée, la Sécurité Sociale n’entre que pour moins de 10 % dans la dette publique, la part des salariés qui ne sont payés qu’au SMIC augmente tandis que ce salaire minimum augmente systématiquement moins que la productivité du travail. Les économistes atterrés pointent les tendances de fond : l’individualisation des protections sociales à la place des solidarités collectives, le recours accru aux assurances privées, aux frais de gestion bien supérieurs à ceux des assurances publiques, les entreprises poussées par la financiarisation à se concentrer sur les seuls secteurs à forte profitabilité et à développer la sous-traitance à bas prix, éventuellement dans le tiers monde, brisant ainsi l’unité du collectif de travail. Avec comme conséquence la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée.
    C’est pourquoi les auteurs proposent de faire de l’entreprise un véritable sujet de droit dans lequel seraient représentés salariés et sous-traitants. Ce pourrait être le moyen de mettre en place un grand chantier d’amélioration des conditions de travail, loin des utopies démobilisatrices de la « fin du travail » - et de son corollaire le revenu de citoyenneté . La poursuite, étendue à l’Europe, de la réduction du temps de travail et la mise en place d’un SMIC européen pourraient favoriser l’emploi. Les économistes atterrés engagent donc la lutte des idées pour sortir du mondialisme, de la financiarisation et de l’économisme. Ils laissent toutefois deux points de côté. L’un est la question du protectionnisme européen. Comment ne pas voir que c’est un passage essentiel vers une autre économie ? Même s’il n’est pas suffisant à lui seul. Comment ne pas en faire un productivisme à l’échelle européenne mais un projet neuf ? La deuxième question qui est occultée est le rôle de l’immigration. Comment ne pas voir qu’elle sert à peser à la baisse sur les salaires et à éviter la recherche de gains de productivité ? Comment ne pas voir qu’elle est « l’armée de réserve du capital » ?

    Encore un effort camarades !

    Pierre Le Vigan (Voxnr, 29 mars 2012)

    Notes

    Cf. l’analyse nuancée d’Alain de Benoist, Au bord du gouffre (éd. Krisis, 2012.

    Les économistes atterrés, Changer d’économie, nos propositions pour 2012, Les liens qui libèrent, 246 pages, 18,50 E

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