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  • Feu et destin : Manifeste du Prométhéisme...

    Nous reproduisons ci-dessous le "Manifeste du Prométhéisme" de Prometheica, revue italienne d'études sur le surhumanisme, la technique et l'identité européenne, qui compte parmi ses animateurs, notamment, Adriano Scianca et Carlomanno Adinolfi.

     

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    Feu et Destin :
    Manifeste du Prométhéisme

    1 L’ASSAUT AU CIEL

    Le feu de la technique est aujourd’hui dérobé par un système de pouvoir qui se dit progressiste mais qui est en réalité bigot, superstitieux et stagnant. Par technique, nous entendons non seulement l’ensemble des pratiques et des savoirs liés à la science, mais aussi tout l’assortiment des actes politiques, esthétiques, religieux, sociaux avec lesquels l’homme a historiquement compris et transformé le monde, l’œuvre générale de mobilisation totale de la réalité aujourd’hui méconnue, omise et condamnée. Dans cet Olympe décadent, les dieux exténués de la civilisation humaniste, égalitariste, libérale conservent une flamme sans en avoir conscience, une flamme dont ils ne soutiennent même plus la vue. L’assaut contre ce ciel de plomb pour la libération du feu est ce que nous appelons la Révolution Prométhéenne.

    2 EUROPE AVANT-GARDE

    La technique a une portée à la fois universelle et particulière. Cette étincelle d’innovation et de création accompagne l’homme depuis toujours et en tout lieu, elle est même ce que l’être humain a de spécifique par rapport aux animaux. Cette portée a cependant été déclinée de manières très différentes dans les diverses cultures : certaines, bien que ne pouvant empêcher l’usage de la technique, l’ont entourée d’interdits, de tabous, de condamnations morales et de narrations inhibitrices. D’autres, au contraire, en ont fièrement relevé le défi. Le nom de la terre où le feu de la technique a brûlé avec le plus d’éclat est : Europe. Le prométhéisme reconnaît et revendique ce trait culturel, sans pour autant fonder sur lui aucune prétendue hiérarchie morale universellement valable.

    3 ACCÉLÉRER POUR NE PAS POURRIR

    Résolument révolutionnaire, le prométhéisme rejette toute tentation réactionnaire ou conservatrice, toute critique de l’esprit du temps qui parte de l’esprit du temps tout juste passé, tout refuge dans des valeurs et des institutions données. Le réactionnaire n’est que l’agent régulateur du subversif, celui qui défend les subversions d’hier. Ce n’est pas en retardant les processus en cours que l’on échappe à leurs aspects perturbateurs, mais en les accélérant à une vitesse telle, qu’elle en fasse ressortir l’impensé. Ne pas se retirer du processus, donc, mais aller plus loin, accélérer le processus.

    4 POUR LA SURHUMANITÉ

    Pour le prométhéisme, l’homme, comme abstraction autant éthique que biologique, est quelque chose qui doit être dépassé. Ontologiquement propulsé vers l’avant tel un projectile, l’homme est réellement fidèle à lui-même quand il dépasse ses propres limites. Il ne se retrouve pas dans une essence façonnée à l’image et à la ressemblance d’un être transcendant ou d’une charte des droits, mais dans un nombre incalculable de transformations, imitations, hybridations, relations, connexions ; il se prolonge dans la machine, s’identifie à l’animal, il se répand dans l’ordinateur, se projette dans les dieux. L’homme est sa propre expérimentation. Si cette tension vers “l’ultérieurité” accompagne l’homme dès l’hominisation, aujourd’hui elle devient consciente. Le défi pour la post-humanité devient un défi incontournable, qui peut, bien entendu, conduire à l’inhumain comme au surhumain. Le conflit fondamental – qui caractérisera l’avenir et dans lequel le prométhéisme prend part avec un lucide fanatisme – est la bataille entre les éleveurs d’un homme rétréci et les éleveurs d’un homme renforcé.

    5 POUR UNE POLITIQUE PROMÉTHÉISTE

    Le prométhéisme refuse de se cristalliser en une formule sociale spécifique déduite de la politique politicienne et admet en son intérieur des sensibilités et des provenances différentes. Il ne peut cependant s’accorder avec des positions humanistes, kantiennes, réformistes, hédonistes, réactionnaires, conservatrices, technophobes, cléricales, libérales ou politiquement correctes. Par conséquent, le cercle se resserre.

    6 SOUVERAINETÉ TECHNOLOGIQUE TOTALE

    Le thème de la souveraineté technologique s’impose avec une telle évidence que même les agendas politiques des sociétés occidentales en font de plus en plus souvent mention. Ces préoccupations sont cependant réduites à néant par les utopies mondialistes, les tabous technophobes et la perte constante de souveraineté générale que l’on constate à tous les niveaux dans nombre de ces sociétés. Le prométhéisme exige une souveraineté technologique totale, pour laquelle sera sûrement nécessaire un « saut quantique » dans la manière globale de se référer à la politique et à la technologie. La souveraineté technologique totale implique – puis elle alimentera – la souveraineté politique et la disponibilité de moyens technologiques à la hauteur, c’est-à-dire la liberté et la possibilité concrète d’adopter certaines stratégies. Ce « saut quantique » n’est donc concevable qu’à l’échelle de la grande politique, qui est forcément celle du grand espace de civilisation européen.

    7 L’AUTODÉTERMINATION BIOCOMUNAUTAIRE

    Le développement des biotechnologies et des anthropotechniques met aujourd’hui l’homme face à des décisions pour lesquelles il en ira de la quantité et de la qualité de sa descendance. Le perfectionnement des techniques de diagnostic et de soins prénataux, de procréation artificielle, d’édition génomique, de clonage change radicalement la perspective dans laquelle nous concevons aujourd’hui les questions démographiques ainsi que ce nœud de problèmes mêlés de tabous brûlants qui porte le nom d’eugénisme. Mais, que nous décidons d’utiliser pleinement toutes les techniques à notre disposition, ou que nous décidons d’y fixer des limites, nous sommes, de toute façon, pleinement responsables de la direction que nous avons choisi d’entreprendre. L’interdit bioéthique est lui aussi un choix interventionniste, culturel, auto évolutif. Le prométhéisme vise à relever de manière créative ce défi en vue d’une autodétermination biocommunautaire.

    8 UNE ÉCOLOGIE FUTURISTE

    Contrairement aux apparences, le prométhéisme est aujourd’hui la seule vision du monde qui puisse aboutir à une pratique écologique couronnée de succès. L’environnementalisme petit-bourgeois des « petits gestes quotidiens », celui nihiliste et extincteur, la temporisation suicidaire de la décroissance, le green washing hypocrite des multinationales – tout cela relève d’une idéologie anti-humaine, anti-politique et anti-européenne qui n’a, par ailleurs, le moindre espoir d’influencer les dynamiques écologiques. La seule écologie authentique est celle qui intervient sur la nature, avec plus et non avec moins de technique, et qui décide comment modeler l’environnement selon des paramètres culturels donnés. Bases pour une écologie prométhéenne : géo-ingénierie, nanotechnologie, intelligence artificielle, nucléaire, génie génétique, recherche de nouvelles ressources, de nouvelles techniques de stockage et de recyclage.

    9 DU CÔTÉ DES ROBOTS

    Depuis plus d’un siècle, la figure du robot perturbe le sommeil de la modernité, qui y entrevoit le profil d’un nouveau golem. En présence du robot, l’homme moderne fait l’expérience de la honte que l’on ressent face à la grandeur humiliante de son propre produit, qui « a vu des choses que nous, humains, ne pouvons même pas imaginer ». Mais les plaintes moralisatrices sur l’homme dépossédé de son âme par les robots négligent une donnée fondamentale : l’outil en obsidienne des premiers hominidés et la puce en silicium ont été forgés par le même feu prométhéen. C’est en « s’aliénant » dans l’artificiel que l’homme est devenu lui-même depuis la nuit des temps. Dans le robot – même dans la version la plus réaliste des super-ordinateurs et de l’IA – le prométhéisme voit le miroir de l’homme, sa volonté de dépassement, un allié au-delà du bien et du mal.

    10 ÉPIQUE DE L’ESPACE

    Dans un monde toujours plus petit, l’espace devient la dernière frontière de conquête. En plus d’être un formidable vecteur de recherche et de développement pour des technologies utiles ici sur Terre, l’exploration spatiale garantit l’accès à des matières premières rares et la consolidation de la souveraineté satellitaire. Mais c’est surtout, dans son aspect radical de découverte, de colonisation et de terraformation d’autres planètes, une source inépuisable de merveilleux. Peut-être que le prochain ver sacrum se produira en direction d’un destin stellaire. Quant aux éventuelles rencontres avec des civilisations extraterrestres, le prométhéisme n’a pas de préjugés positifs ou négatifs, tout en faisant l’éloge de la pluralité du vivant, de l’altérité radicale, de formes multiples de l’être et du devenir, de ce qui nous pousse au-delà, plus loin, plus haut, au-delà des universalismes et des anthropocentrismes judéo-chrétiens plus ou moins sécularisés.

    11 PHILOSOPHIE DE LA VOLONTÉ

    Le prométhéisme n’est pas un messianisme. Il n’annonce pas plus un nouvel âge d’or où des machines à l’intelligence semi-divine conduiront les hommes hors de l’histoire, que l’avènement d’un monde parfait où des citoyens sans défauts ne connaîtront ni maladie ni mort. Le prométhéisme est, au contraire, une philosophie inspirée du sens tragique de la vie et du volontarisme. Non prédiction fataliste de ce qui, certainement, sera, mais exhortation de ce que nous voulons être. La simple reconnaissance d’un destin déjà écrit est déjà un acte anti-prométhéiste. Prométhée est la divinité de la décision et de la volonté. À la lumière de son feu resplendit un monde façonné par notre plus authentique liberté.

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  • Le symbolisme dans la mythologie grecque...

    Les éditions Payot viennent de rééditer dans leur collection de poche un essai de Paul Diel intitulé Le symbolisme dans la mythologie grecque. "Psychologue français d’origine autrichienne, philosophe de formation, Paul Diel (1893-1972) a approfondi sa propre recherche sous l’influence des découvertes de Freud et d’Adler, travaillant notamment sur les rêves et les mythes".

     

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    " Einstein admirait la puissance de sa pensée. Paul Diel, psychothérapeute mort en 1972, inventeur de la psychologie de la motivation, était aussi philosophe. "Quand on aura suivi Paul Diel dans les associations de mythes, on comprendra que le mythe couvre toute l'étendue du psychisme mis à jour par la psychologie moderne. Tout l'humain est engagé dans le mythe" (Gaston Bachelard). Icare, Tantale, Persée, Zeus, Gaïa, les Titans, Chronos, Midas, Eros et Psyché, Prométhée, entre autres, nous concernent tous : comme eux, nous sommes menacés par la tentation de la démesure, hantés par la vanité et la culpabilité, la soif de pouvoir, la multiplication des désirs... "

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  • L'idéal de l'Empire de Prométhée à Epiméthée

    Nous reproduisons ci-dessous un texte intéressant du philosophe et homme politique italien, Massimo Cacciari, cueilli sur le site du quotidien Libération. Massimo Cacciari est l'auteur de nombreux essais et une partie de son oeuvre est traduite en français. Les éditions de l'Eclat ont ainsi publié en 2011 un texte intitulé Le Jésus de Nietzsche

     

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    L'idéal de l'Empire de Prométhée à Epiméthée

    Incontestablement, la période qui va de l’écroulement du « socialisme réel » à la nouvelle « grande crise » que nous traversons actuellement peut être définie véritablement comme une époque. Le terme Epochè indique, en effet, l’arrêt, l’interruption, mais non pas comme s’il s’agissait d’un espace vide, d’un intervalle. Il signifie, au contraire, un resserrement dans le cours du temps, une abréviation extraordinaire, dans laquelle ses caractères essentiels s’expriment comme contractés les uns sur les autres et les uns contre les autres. L’époque, de ce point de vue, n’est donc nullement un « temps long », mais le concentré de ses significations dans un spasme, qui les révèle et peut aussi, en même temps, les dissoudre. De ce même point de vue, on peut définir comme « époque » la grande guerre civile qui a anéanti la centralité politique de l’Europe entre 1914 et 1944: trente ans seulement, à peine plus que « notre » 1989-2011. Dans l’époque, se précipitent évidemment des idées, des facteurs, des contradictions mûries dans le « temps long » – et c’est pourquoi il est impossible de la comprendre de manière isolée. Mais elle assume toutefois une valeur révélatrice et déploie les mêmes éléments qui étaient déjà à l’œuvre selon des dimensions et des énergies nouvelles. Alors que, précisément, toute « normalité » est arrêtée, ce qui semblait à première vue normal et facilement prévisible dans ses développements s’exprime désormais selon des formes inattendues et inquiétantes. Dans un certain sens, l’époque assume toujours une valeur « apocalyptique ». Conséquence évidente de cet état de choses : l’affirmation d’une extraordinaire porosité des mots. Leur puissance « apophantique » décroît redoutablement. Le rapport entre les mots et les choses qu’ils devraient désigner se fait dans la plus grande insécurité. Que signifient aujourd’hui les mots démocratie ? marché ? paix ? Ou encore : nous avons fait l’unité européenne – mais que signifie l’Europe ? l’Occident ? Ainsi, le terme époque résume aussi en soi sa profonde signification sceptique : toute époque authentique se révèle également en tant que doute radical sur son propre passé et ne s’ouvre au futur que de manière hasardeuse.

    À la veille d’une telle « époque », les signes qui permettent de la lire restent cachés. Les temps semblent même favoriser des prévisions contraires. La veille d’une époque se caractérise par un certain bavardage sur notre capacité à « contrôler » l’avenir, tandis que l’époque qui suit semble « faite » pour démontrer la loi éternelle de l’hétérogenèse des fins. Ce fut le cas de l’anno mirabile 1989. La troisième guerre mondiale était terminée. Un seul Titan restait en scène, à la puissance inapprochable. Mais c’était un Titan qui, malgré son nom, se voulait non-violent. C’était un Prométhée bienfaiteur des misérables mortels, qui aurait travaillé et se serait volontiers sacrifié pour harmoniser et unifier leurs désaccords et leur assurer justice et bien-être. Comme Prométhée, il avait en réserve, pour nous, le don le plus précieux: la raison, le nombre, la capacité de calculer et de transformer. L’affirmation de son modèle de rationalité aurait été le fondement de la sécurité et de la paix.

    Aube ou crépuscule ? L’époque rapproche les couleurs jusqu’à les confondre. Mais tous ou presque obéirent à cette Annonce, comme à l’aube d’un Nouveau Commencement. Le tragique vingtième siècle de la « tyrannie des valeurs » déclinait enfin et surgissait l’âge de la concorde entre science, technique, marché, démocratie et « droits de l’homme ». Qu’il y ait pu y avoir une symbiose inavouable entre les deux Titans (à partir d’une origine commune !) – qu’ils n’aient pu régner qu’ensemble – et que, donc, la fin de l’un ait pu représenter une menace mortelle pour l’autre – tout cela ne fut même pas suspecté. Tout au plus les traditionnels adversaires du vainqueur s’exercèrent à en dénigrer la puissance solitaire – justifiés en cela par l’indécente jubilation de ses vassaux.

    L’époque qui s’est ouverte alors a fait justice de cette antiquaille, nous rappelant le célèbre dit romain : vae victoribus ! « Malheur aux vainqueurs ! » On ne remporte pas la victoire dans la guerre tant qu’on n’a pas remporté la victoire dans la paix. Prométhée pouvait-il vaincre ? Ce Titan pouvait-il mener à terme l’ordinatio ad unum, cette « aspiration à l’unité » de cette planète toujours plus étriquée et plus pauvre, pour laquelle il se sentait depuis longtemps appelé? Certes, il représentait le courant spirituel et politique le plus fort d’Occident, la seule puissance hégémonique qui avait survécu au suicide d’Europe, profondément enracinée dans une grande culture populaire, forte de valeurs partagées. Mais là aussi résidait sa faiblesse. Sa propre puissance créait l’illusion que le monde pouvait être guidé depuis les sommets du Capitole. Il l’avait déjà été péniblement au cours des décennies précédentes à travers le foedus, l’«alliance», toujours incertaine, mais aussi toujours opérante, entre Empire d’Occident et Empire d’Orient. L’écroulement de ce dernier ébranlait de manière automatique des régions tout entières, stratégiques d’un point de vue géopolitique et sur lesquelles le vainqueur n’avait quasiment aucune prise : il «  libérait » des énergies auparavant contrôlées de quelque manière et contraintes à jouer toujours, en tout cas à l’intérieur de la « guerre mondiale » ; il brisait le conflit, en le rendant illisible pour celui qui avait été formé à calculer selon les paramètres « universalistes » de cette guerre.

    L’époque a mis à l’ordre du jour, impérieusement, l’idée d’Empire – et tout aussi impérieusement elle l’a démantelée. Voici un exemple éclatant de cette morsure du temps qu’une époque représente. L’occasion impériale s’avérait presque comme nécessaire à la proclamation de la victoire. Les vassaux européens suivaient, en applaudissant, son char. Mais les adversaires en faisaient tout autant. Aucune apologie de l’Empire ne fut plus convaincante, concernant le destin qu’il aurait dû représenter, que les critiques de ses détracteurs. Mais Prométhée n’est pas intrinsèquement capable d’Empire. Il ne sait pas le concevoir ex nationibus ; il n’a aucune idée du pluralisme (idéologique, religieux, culturel) qui est immanent à son concept; par conséquent, il ne parvient pas à donner naissance à des formes de gouvernements authentiquement « impériales ». La guerre – que, tout au long des années 60 et 70, le vainqueur s’était déjà montré incapable de conduire efficacement en dehors des schémas de la rationalité militaire, fondés sur le concept de justus hostis – n’était que la poursuite de la faillite de la politique par d’autres moyens. L’Empire dure jusqu’au 11 septembre. Puis l’époque en consume l’écroulement.

    Le 11 septembre crée l’illusion d’une relance en grandes pompes de l’idée impériale ; en réalité, elle en marque la fin. Les désastreuses guerres de Bush junior en poursuivent le fantôme, tandis qu’elles essaient de masquer les causes aussi matérielles qui en décrètent la faillite.

    Il s’est avéré, toujours lors de ce temps bref, dans le dialogue tout aussi bref de l’époque, que le nouvel Empire avait construit une grande partie de son hégémonie en étendant sa dette ; il s’est avéré que son peuple, même en se fondant sur la foi en sa propre mission, s’est caractérisé par une épargne négative. Il s’est avéré que les politiques de l’aspirant Empire ont donné libre cours à la plus glorieuse période de dérégulation que l’histoire du capitalisme ait peut-être jamais connue et à l’écroulement de toute forme de contrôle sur les activités économiques et financières. Il s’est avéré que tout cela portait le vainqueur à dépendre tout d’abord du Japon, puis de la Chine pour le financement de sa propre dette. Il s’est avéré encore que ce financement impliquait la « reddition » à la Chine sur des questions fondamentales, comme son entrée dans l'OMC en tant qu’économie de marché (sic !) et le maintien de sa monnaie à des niveaux incroyablement bas. Il s’avère maintenant que l’Empire est dans une situation de « souveraineté limitée », comme n’importe quel Etat de la vieille Europe.

    Naturellement les ressources de Prométhée sont immenses. Mais il est évident que ses velléités d’unification ont échoué. Et elles ne pouvaient qu’échouer. La présidence d’Obama enregistre et administre cet échec. Ce sera un blasphème – et ça l’est certainement – mais on ne peut s’empêcher de le penser. Qui n’a pas salué comme un nouveau lever du jour la perestroïka de Gorbatchev ? Quelqu’un s’en souvient-il ? Mais Gorbatchev était, tragiquement, uniquement, rex destruens, « roi démolisseur ». Lourd destin – mais il revient toujours à quelqu’un dans l’Histoire de devoir défaire, de n’avoir rien d’autre à faire que défaire, sans même espérer pouvoir repartir de là. Il n’y a pas de feu sans cendres. Obama : nouvelle ère, nouveau siècle, et même : nouveau millénaire. Nouveau visage à tout point de vue – comme Gorbatchev, qui ne ressemblait certes pas aux vieux staliniens, ni au typique représentant du KGB, comme Poutine. Obama : voici la possibilité de relancer l’idée impériale selon le fil d’Ariane des « droits de l’homme » de l’évangile démocratique, de l’œcuménisme dialogique. Avec l’icône éternelle de JFK dans le dos. Mais il semble qu’il ne lui reste qu’à « démonter » les guerres des autres, qu’à traiter avec les « maudites » agences de notation, qui, après avoir réduit en poussière tout contrôle effectif dans les années de la grande bulle, désignent maintenant, comme des censeurs sévères, les victimes imminentes à la spéculation internationale ; qu’à essayer de donner une forme plausible à l’embrouillamini inextricable qui s’est formé entre économie américaine et République populaire chinoise.

    Il n’y a aucun Empire à la fin de l’époque, et moins encore quelque organisation multipolaire fondée sur d’authentiques alliances. Celui qui, il y a vingt ans, semblait pouvoir aspirer à servir de « cocher » global, arrive à peine aujourd’hui à se tenir debout. Celui qui remplit aujourd’hui une fonction économique et financière clé n’est nullement en mesure d’assumer une fonction politiquement hégémonique. Le premier pourra-t-il renaître ? Le second pourra-t-il se transformer en puissance politique globale ? Les anciennes et nouvelles puissances pourront-elles donner vie à une organisation commune, à partir des « fondamentaux » financiers, économiques et commerciaux ? L’époque suspend son jugement. Les Prométhée qui croient tout prévoir ne sont que ceux qui la projettent et la préparent. Finalement, on « calcule » comment ce qui est arrivé correspond à ce qui était attendu en moindre proportion – et l’on n’ose pas faire de prévision. L’époque commence avec Prométhée, le «  prévoyant », et s’achève avec Epiméthée, « celui qui réfléchit après coup ». De la modestie de son doute et du réalisme désenchanté de ses analyses, nous pourrons peut-être tirer quelque bénéfice.

    Massimo Cacciari (Libération, 30 juin 2012)

    Traduit de l'italien par Michel Valensi

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  • Réhabiliter le risque assumé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue intéressant de Bruno Racouchot, paru dans l'hebdomadaire Valeurs Actuelles (24 mars 2011), qui vient nourrir le débat complexe sur l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins civiles...

     

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    Réhabiliter le risque assumé

    La tragédie qui frappe le Japon appelle la commisération et la solidarité. Cependant, par-delà l’émotion légitime qu’elle suscite, elle doit être étudiée de près. Car l’exploitation de ce drame par des groupes de pression vise les intérêts supérieurs de notre pays. Notre politique énergétique et nucléaire est directement menacée.

    Et, à travers elle, notre indépendance et notre capacité à agir, politiquement ou commercialement, sur la scène internationale. Plutôt que de subir, opérons un décryptage pour sortir de cette crise en optimisant nos atouts. Quatre enseignements peuvent d’ores et déjà être tirés de cette catastrophe. Tout d’abord, elle est initialement imputable à la nature, non à l’action de l’homme. Ce n’est pas le non-respect des règles du développement durable qui a créé le tsunami. Au lieu d’afficher la prétention ridicule de “sauver la planète” à tout bout de champ, on ferait mieux de sérier méthodiquement les risques majeurs et réels.

    Deuxième point : conséquence du tsunami, la catastrophe de Fukushima relance le débat sur le nucléaire. Ce basculement de perspective n’est pas anodin. On sort du rationnel, on glisse dans un autre registre. Puisqu’on ne peut pas faire de la nature un bouc émissaire, on se retourne contre le nucléaire pour clouer au pilori ceux qui l’ont prôné. Qui “on” ? Pour des raisons différentes (audimat d’un côté, manipulation économico-politique de l’autre), certains groupes exploitent les peurs sans vergogne. L’émotionnel est poussé à son paroxysme. Depuis Prométhée, c’est la même rengaine. L’homme doit être puni d’avoir volé le feu aux dieux. À cette morale bon marché s’ajoutent des amalgames douteux. Le Japon n’est pas la France. Notre industrie nucléaire est la plus sûre du monde et la plus chère, ce qui nous fait d’ailleurs perdre des marchés à l’international. L’État la contrôle étroitement. Alors, pourquoi ce procès à notre encontre ? Parce que la grille de lecture du réel de ceux qui font l’opinion privilégie le compassionnel ou l’idéologique, non l’analyse objective de la situation.

    Troisième point : derrière les idiots utiles, il y a des groupes de pression, dont le rôle est de réactiver des peurs pour mieux peser sur les gigantesques enjeux géostratégiques du moment. Les fruits de décennies de recherches et d’efforts sont ainsi menacés par une overdose émotionnelle exploitée à des fins géo-économiques. Ces opérations psychologiques que l’on voit se déployer en arrière-plan obéissent à des intérêts opposés aux nôtres. Ils visent à paralyser une industrie nucléaire dont la France est la meilleure élève. En réduisant notre indépendance énergétique, en ruinant notre industrie, certains veulent faire tomber en sujétion notre pays par le simple jeu d’idées, triées et orientées. À qui profite le crime ? Qui en sont les complices ? Comment fonctionnent-ils ? De quelle façon peut-on inverser la tendance, peser dans les débats et remettre les pendules à l’heure ?

    C’est là le dernier point : il est vital de réagir. Que doit faire l’industrie énergétique française ? L’erreur serait de se borner à opposer seulement des arguments techniques et rationnels. La rigueur de l’ingénieur est impuissante face aux opérations de manipulation. Cessons d’être réactifs, montrons-nous proactifs. Opérons autrement. Et d’abord pensons le problème en amont, sur le plan des idées. Les directions de la stratégie et de la communication de nos grands groupes doivent entamer une réflexion de fond débouchant sur l’engagement de stratégies d’influence positives. C’est là un travail sur le long terme, qui exige surtout de changer de perspective. La communication de “Bisounours”, avec ses discours infantilisants et sa langue de bois aussi niaise que contre-productive, a montré ses limites. Pourquoi ne commencerait-on pas par réhabiliter la notion de risque assumé ?

    Le hasard veut que le thème du IIIe Festival de géopolitique et de géo-économie, qui se tient jusqu’au 27 mars à Grenoble, soit “Risques et défis géopolitiques d’aujourd’hui”. En ces temps où le compassionnel bon marché fait florès, l’initiative mérite d’être saluée. Oui, le risque est inhérent à la vie. Il est même consubstantiel à la volonté d’accomplissement d’un destin. Un peuple qui entend rester maître de son devenir doit s’en donner les moyens. Une entreprise qui développe des activités stratégiques aussi. Toute volonté d’agir comporte des risques. C’est en les intégrant lucidement dans notre perception du monde, dans une stratégie collective, que l’on peut se donner les moyens de les réduire. Mais le risque zéro n’existe pas. Il nous faut réapprendre à vivre avec le risque. À cet égard, les Japonais nous donnent un bel exemple de dignité et de stoïcisme. Comme quoi le critère différenciant dans une situation d’exception reste bel et bien l’état d’esprit des hommes, leur volonté et leur faculté de résilience. C’est sur ce socle que peut se construire une stratégie d’influence digne de ce nom. Le combat pour notre indépendance énergétique et le nucléaire français doit prioritairement intégrer ce paramètre. 

    Bruno Racouchot (Valeurs actuelles, 24 mars 2011)

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