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  • La contagion monégasque...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question royale. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019) et La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    Alain de Benoist : « Le Journal officiel des familles royales, désormais, c’est Closer, Gala ou Voici ! »

    Entre le piteux exil du roi Juan Carlos en Espagne, le prince Andrew banni de Buckingham Palace en raison de ses frasques sexuelles auprès de Jeffrey Epstein, le prince Harry et Megan Markle qui soutiennent maintenant la campagne Black Lives Matter, comment jugez-vous le spectacle donné par les monarchies européennes ?

    Il y a, heureusement, de belles exceptions, mais les familles royales n’ont plus aujourd’hui de « royales » que le nom. Peut-être faudrait-il parler de contagion monégasque. Leurs représentants font tout simplement partie des « people », dont on suit les aventures conjugales ou extraconjugales exactement comme on suit celles des acteurs, des chanteurs ou des joueurs de football. On a pleuré la princesse Diana comme on a pleuré Michael Jackson. Le Journal officiel des familles royales, désormais, c’est Closer, Gala ou Voici.

    Beaucoup font partie de la jet-set, cette plèbe dorée parasitaire dont la vie se déroule entre aéroports et grands hôtels, croisières de luxe et jets privés, partouzes d’élite et conseils d’administration. Quand on lit les noms figurant dans le carnet d’adresses de Jeffrey Epstein, opportunément « suicidé » l’an dernier, on les retrouve à peu près tous : membres des familles princières et politiciens en vue, hommes d’affaires et financiers internationaux, play-boys et « masseuses » professionnelles, mannequins et vedettes du show-biz, traders et agents d’influence en contact avec les mafias, les « services » et les « réseaux ». Leurs femmes se présentent invariablement comme galeristes, décoratrices, architectes d’intérieur. Tous ont, bien entendu, leurs bonnes œuvres humanitaires pour mieux blanchir leurs spéculations et leurs trafics. Au total, cinq à dix mille familles sans aucun rapport avec les gens ordinaires. Si l’on faisait les enquêtes que l’on ne fait pas, on s’apercevrait que la grande majorité mériteraient d’être en prison.

    En Espagne comme en Angleterre, où la couronne bénéficiait naguère d’un large consensus, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’un retour à la république. Ce débat vous semble-t-il légitime ?

    Je le crois surtout inutile. Ce qui frappe, quand on compare les sociétés européennes, c’est qu’elles ont toutes les mêmes problèmes, connaissent les mêmes dysfonctionnements, subissent la même idéologie dominante. On ne constate entre elles aucune différence politique, sociologique ou autre qui serait due à leur statut de république ou de monarchie. Les monarchies de droit divin étant devenues impensables, les seules qui puissent exister sont d’ailleurs des monarchies constitutionnelles et parlementaires, c’est-à-dire des démocraties couronnées. Il reste, bien sûr, des symboles dont je ne méconnais pas l’importance mais qui, par eux-mêmes, ne résolvent rien. De ce point de vue-là, le débat est complètement dépassé.

    Et à titre personnel, avez-vous la fibre monarchiste ? Le retour de la royauté serait-il une bonne nouvelle ou relève-t-il tout bonnement de la simple rêverie ?

    Dans l’abstrait, on peut discuter à perte de vue des qualités et des défauts du principe monarchique. On se souvient de la célèbre Enquête sur la monarchie, publiée par Maurras dans La Gazette de France, du 29 juillet 1900 au 1er juillet 1902 (et publiée sous forme de livre en 1909). L’auteur d’Anthinéa était allé poser à diverses personnalités la question suivante : « Oui ou non, l’institution d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée est-elle de salut public ? » Mais à cette époque, à peine plus d’un siècle après la Révolution, la France était encore partagée entre républicains et monarchistes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il y avait aussi un prétendant crédible, ce qui n’est plus le cas non plus. Pour restaurer la monarchie, Maurras prônait le coup d’État (Si le coup de force est possible, 1907). Quand on voit ce qui s’est passé ensuite, on comprend que sa grande erreur a été de surestimer le pouvoir des institutions (et d’avoir exagéré la coupure entre l’Ancien Régime et la Révolution).

    Le mouvement de Maurras, l’Action française, fondée en 1898 par Henri Vaugeois et Maurice Pujo, existe toujours aujourd’hui. On y rencontre de sympathiques et talentueux jeunes militants royalistes, de belles fidélités, des nostalgies qui sont respectables – comme le sont beaucoup de vœux pieux. Mais rien qui puisse empêcher la Nouvelle Classe de dormir sur ses deux oreilles.

    Je n’ai, personnellement, jamais été monarchiste, mais je ne méconnais pas certains mérites de la monarchie. Je n’oublie pas, en même temps qu’à partir de la fin du Moyen Âge, la monarchie s’est instaurée aux dépens d’un ordre féodal qui avait, à mes yeux, de plus grands mérites encore. Je n’oublie pas, non plus, que les monarchies n’ont pas toujours été héréditaires : les premiers rois, à commencer par Clovis, étaient désignés par l’assemblée des hommes libres (qui les « hissaient sur le pavois ») ; ils étaient donc élus, comme le furent ensuite les empereurs du Saint-Empire romain germanique, les doges de la République de Venise et les papes. Ces dernières années, c’est sans doute Jean Raspail qui a le mieux parlé de l’espérance monarchiste (Sire, 1991). Vous ne serez donc pas surpris que mon roi préféré soit Antoine de Tounens, le roi des Patagons !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 11 octobre 2020)

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  • Le moment populiste...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux publient demain un nouvel essai d'Alain de Benoist intitulé Le moment populiste - Droite-gauche, c'est fini !. Philosophe et essayiste, éditorialiste du magazine Éléments, Alain de Benoist dirige les revues Nouvelle Ecole et Krisis et anime l'émission Les idées à l'endroit sur TV Libertés. Il a récemment publié Les démons du Bien (Pierre-Guillaume de Roux, 2013), un essai consacré à l'idéologie du genre, ainsi que Survivre à la pensée unique (Krisis, 2015), un livre d'entretien avec le journaliste Nicolas Gauthier. Son essai Au-delà des droits de l'homme a fait l'objet d'une réédition en 2016 chez Pierre-Guillaume de Roux.

     

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    " L’extraordinaire défiance de couches de population toujours plus larges envers les « partis de gouvernement » et la classe politique en général, au profit de mouvements d’un type nouveau, qu’on appelle « populistes », est sans nul doute le fait le plus marquant des transformations du paysage politique intervenues depuis au moins deux décennies. Le phénomène tend même à s’accélérer, comme l’a montré l’élection de Donald Trump, survenant quelques mois après le « Brexit » britannique. Partout se confirme l’ampleur du fossé séparant le peuple de la Nouvelle Classe dominante. Partout émergent de nouveaux clivages qui rendent obsolète le vieux clivage droite-gauche.

    Mais que faut-il exactement entendre par « populisme » ? S’agit-il d’un simple symptôme d’une crise générale de la représentation ? D’une idéologie ? D’un style ? Ou bien le populisme traduit-il une demande fondamentalement démocratique face à des élites accusées de ne plus faire de politique et de vouloir gouverner sans le peuple ? C’est à ces questions que répond ce livre, qui part de l’actualité la plus immédiate pour situer les enjeux politiques, sociologiques et philosophiques du débat.

    A quelques mois d’une élection présidentielle où le thème du populisme ne va pas manquer d’être discuté avec vigueur, Alain de Benoist publie un véritable manuel de la question. "

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  • « Le fossé séparant les peuples des élites mondialisées ne cesse de se creuser »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux mantras inlassablement répétés par les élites mondialisés...

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    « Le fossé séparant les peuples des élites mondialisées ne cesse de se creuser »

    Il ne faut pas « stigmatiser », ne pas faire « l’amalgame ». Pour ne pas réveiller la « bête immonde » dont les idées « nauséabondes » nous menacent, il faut louer le « métissage » et la « diversité »… À force de mouliner des mantras, les moulins à prière sémantiques finissent par donner vertige et tournis. Mais qu’est-ce que tout cela signifie ?

    Cela signifie que nos dirigeants ont régressé au stade de ce que Freud appelle la pensée magique. En répétant leurs mantras, ils prononcent des incantations et lancent des exorcismes. Les loups hurlent, les hiboux ululent, Manuel Valls agite ses amulettes. Comme il a perdu ses nerfs, le Premier ministre se flatte de « stigmatiser » le Front national et n’hésite pas à recourir à toutes sortes d’amalgames, alors même qu’il ne cesse de mettre en garde contre les amalgames et la « stigmatisation ». Même contradiction chez ceux qui célèbrent à la fois la « diversité » et le « métissage » sans voir que le second réduit inévitablement la première. Le « métissage » est d’ailleurs lui-même un mot magique, invoqué comme une force agissante au service de la fusion rédemptrice : « L’hybridation généralisée est le rouleau compresseur qui produit l’homogénéisation et le nivellement des cultures, l’abolition finale de la diversité culturelle », écrivait récemment Pierre-André Taguieff. Quant à l’allusion répétée à la « bête l’immonde », elle relève à la fois du vocabulaire zoologique et du langage de curés : comme dans les régimes totalitaires, il s’agit de dénier à l’adversaire son humanité pour le ramener à l’animalité.

    De même évoque-t-on jusqu’à plus soif les fameuses « valeurs républicaines ». Mais quelles sont-elles ?

    On abuse aujourd’hui du mot « valeurs ». En réalité, il n’existe pas de « valeurs républicaines », il n’y a que des principes républicains. Mais lesquels ? L’allusion à la res publica est chose ancienne : Les six livres de la république de Jean Bodin datent de 1576, la République de Platon remonte au IVe siècle avant notre ère. De quelle République les officiants des « valeurs républicaines » entendent-ils se réclamer ? De la Première, celle de la loi des suspects, de la Terreur et du génocide vendéen ? De la Troisième, celle de la colonisation patronnée par Jules Ferry ? De la Quatrième, restée célèbre par son instabilité ? Le terme « républicain » est en fait un mot-caoutchouc, une « bulle de savon », disait récemment Frédéric Rouvillois.

    Il y a déjà quelques années, dans un article resté célèbre, Régis Debray avait avec bonheur opposé les « républicains » et les « démocrates ». Révélateur est à mon avis le fait que la classe dirigeante préfère évoquer les « valeurs républicaines » plutôt que les valeurs démocratiques. Les premières renvoient principalement à l’État, tandis que les secondes privilégient le peuple (souveraineté étatique et souveraineté populaire ne sont pas la même chose). Or, le fossé séparant les peuples des élites mondialisées ne cesse de se creuser. Le peuple rejette spontanément les mots d’ordre de la Nouvelle Classe. La Nouvelle Classe se méfie du peuple, qui pense mal et ne vote jamais comme on lui dit de le faire. D’où les critiques contre le « populisme », manière élégante d’avouer qu’on méprise le peuple et qu’on aspire par-dessus tout à gouverner sans lui.

    Les gouvernements s’étant succédé aux affaires ne cessent d’évoquer un autre mantra, le « vivre ensemble », alors même qu’ils sont les premiers atteints lorsqu’ils dénoncent comme « l’anti-France » un bon tiers du corps électoral…

    Ici, c’est différent. On peut ironiser sur la façon dont la classe politique use et abuse du « vivre ensemble », mais le mauvais usage que l’on fait de cette expression ne nous dit rien de sa valeur. Or, le « vivre ensemble » est le principe même de toute vie sociale ou communautaire. Le commun est au fondement du politique pour la simple raison qu’il n’y a pas de politique des seuls individus. Il n’y a de politique qu’en référence au collectif. Si la démocratie est en son fond un régime politique, c’est parce qu’elle permet une participation de tous les citoyens aux affaires publiques qui équivaut elle-même à une mise en commun. Le bien commun se définit alors comme ce dont chacun peut jouir sans qu’on puisse en faire l’objet d’un partage. Le commun ne peut être partagé ou divisé, il est inappropriable par nature. Les biens communs sont des supports du vivre ensemble.

    Mais encore faut-il comprendre ce qu’implique le « vivre ensemble ». Les gens vivent d’autant mieux ensemble qu’ils peuvent se reconnaître dans ceux qu’ils voient autour d’eux. Les comportements sont d’autant plus altruistes que les gens sont spontanément portés à avoir confiance dans leur entourage. Même les « ghettos », que dénoncent adversaires et partisans de l’immigration, les premiers y voyant autant de « zones de non-droit » et les seconds autant de preuves d’un défaut de « mixité sociale », ne sont pas seulement le résultat des conditions économiques, mais aussi la conséquence du vouloir vivre ensemble. À l’inverse, ce qui détruit le plus le vivre ensemble, c’est l’imposition, le mélange ou la coexistence forcée de modes de vie que les gens ressentent comme profondément différents du leur. Quand ces modes de vie deviennent dominants, les gens commencent à se sentir étrangers chez eux et, s’ils en ont les moyens, ils partent s’installer ailleurs. Ce que la doxa dominante appelle le « vivre ensemble », c’est donc exactement l’inverse de ce qu’il requiert, à savoir l’existence de liens sociaux organiques. Ceux qui prônent aujourd’hui le « vivre ensemble » sont en réalité ceux qui en détruisent le plus consciemment le pouvoir fédérateur.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 mars 2015)

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  • Hongrie : la révolution conservatrice en marche ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Javier Portella consacré à la révolution conservatrice hongroise portée par le premier ministre Viktor Orban et son parti le Fidesz. Essayiste, Javier Portella a publié Les esclaves heureux de la liberté - Traité contemporain de dissidence (David Reinharc, 2012).

     

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    Hongrie : une grande révolution conservatrice en marche

    Face à la perte de toutes sortes de racines : culturelles, historiques, spirituelles, face à l’évanouissement de l’identité de nos peuples plongés dans la vulgarité de l’homme-masse – cet être à la fois individualiste et grégaire pour qui seules les questions immédiates comptent et seules les choses plaisantes importent –, la nation hongroise est en train de suivre un chemin profondément différent qui, depuis 2010, l’a conduite à s’écarter résolument de la voie libérale. Dans tous les domaines. Non seulement dans la sphère économique : dans les domaines culturel, spirituel, politique aussi.

    Si le peuple magyar s’écarte du libéralisme, serait-ce pour renier la démocratie et tomber dans les griffes d’une dictature d’extrême droite, « fasciste » même, comme les oligarques de la Nouvelle Classe, bureaucrates de Bruxelles en tête, ont accusé les dirigeants hongrois ? C’est même d’un « nouveau Mussolini » que la presse anglo-saxonne a parlé à propos du premier ministre Viktor Orbán(1).

    Non, la démocratie n’est pas du tout menacée en Hongrie. Aussi bien les libertés publiques que les règles du jeu démocratique sont parfaitement respectées par cette véritable « révolution conservatrice » (faisons un clin d’œil à la Konservative Revolution allemande des années 1920) dirigée par le Fidesz de Viktor Orbán, le parti qui, après avoir remporté avec une majorité absolue les élections de 2010 (52,73% des voix et deux tiers des sièges), a réussi à faire sortir la Hongrie de la débâcle où des années d’incurie socialiste l’avaient plongée. Dans la mesure où, loin de limiter les libertés publiques, c’est le pouvoir de la banque qui a été restreint, et, donc, sa capacité d’influencer les grands groupes médiatiques (nationalisation du Magyar Kereskedelmi Bank, MKB, avec achat de 99% de ses parts à la banque allemande Bayerische Landesbank), les règles de la pluralité démocratique se trouvent bien mieux respectées que sous la dictature de la pensée unique que la Nouvelle Classe financière et médiatique impose partout.

     

    Une Nouvelle Classe qui doit bien trembler en entendant des proclamations comme celles que fait le gouvernement de Viktor Orbán :

    « Nous proclamons que nous incombe l’obligation générale d’aider les plus vulnérables, les plus démunis. Nous proclamons que l’objectif commun des citoyens et de l’Etat est d’atteindre le plus haut niveau possible de bien-être, ainsi que la sécurité, l’ordre, la justice et la liberté pour tous. Nous proclamons que la démocratie n’est possible que dans la mesure où l’Etat est au service des citoyens et administre ses affaires de façon équitable, sans abuser de son pouvoir et sans leur porter des préjudices. »

    Quelle horreur ! Des mesures d’intervention économique de la part de l’Etat ! Aïe, aïe, aïe ! vont s’exclamer les naïfs… ou les intéressés à la préservation du pouvoir ploutocratique qui nous gouverne. Ces pauvres Hongrois, vont-ils poursuivre, viennent de se débarrasser du communisme, et les voilà sur le point d’y retomber. Quel fiasco doit être leur économie !

    Aucun fiasco, bien au contraire. Les résultats économiques – compte tenu surtout de la déconfiture d’où vient le pays – sont excellents. La Hongrie a pu sortir de la situation de faillite où elle se trouvait en 2010, lorsque le pays était intervenu par le FMI et par la Commission européenne, le produit intérieur brut se trouvait en chute libre (-6,8% en 2009), la dette publique galopait jusqu’à 82% du PIB, et la Banque centrale annonçait une banqueroute imminente. Qui plus est, en rompant avec des politiques jusque-là soumises aux diktats du capitalisme international – une dépendance qui a été qualifiée de « coloniale » par Viktor Orbán –, le gouvernement du Fidesz a réussi à faire sortir le pays de la récession et à réduire l’inflation en 2013 à 1,3%, le PIB ayant augmenté entre 2010 et 2013 d’une moyenne annuelle de 1%. Et alors que l’économie des pays de l’Union européenne stagnait (croissance zéro au deuxième semestre de 2014), c’est au grand étonnement de tous que la Hongrie parvenait à croître de 3,9%, son taux le plus élevé depuis 2006.

    Ceci pour ce qui concerne les résultats économiques. Quant au risque de retomber dans le communisme, soyons sérieux ! Chat échaudé craint l’eau froide, comme on le sait bien. Or le pays, plus qu’échaudé, a été ébouillanté… deux fois, même, de surcroît. Car les brutalités du nazisme, la Hongrie les a connues aussi, même si leur durée a été bien plus courte (à l’occasion du 70ème anniversaire de l’occupation nazie de 1944, un monument consacré à la mémoire des victimes vient cette année d’être inauguré justement dans le centre de Budapest).

    Bref, il n’y a en Hongrie aucune sorte de nostalgie pour les deux grands épouvantails auxquels les tenants du libéralisme font sans cesse référence, partout, de façon compulsive, comme s’ils n’avaient pas de meilleur argument à faire valoir – et ils n’en ont pas, en effet. Ils peuvent continuer à pousser de hauts cris et à agiter à l’encontre de la Hongrie autant de fantômes dictatoriaux qu’ils voudront (Bruxelles a même brandi la menace d’une expulsion de l’Union européenne), ce qui est en jeu dans le pays magyar n’a rien à voir ni avec la momie nazie ni avec le fossile communiste. Ce qui est en jeu en Hongrie va bien au-delà des schémas, vieux, vides, usés jusqu’à la corde, de « droite » et de « gauche ».

    La question nationale

    Ecoutons de nouveau les naïfs ou les intéressés : « Bon, bon, mais que me dites-vous de ce nationalisme arrogant, asservissant, de cette chose poussiéreuse, d’un autre temps, que les Hongrois sont en train de déployer à l’encontre notamment des peuples voisins ? »

    Ça y est ! Nous voilà face à l’éternelle confusion (en partie voulue). Elle consiste à amalgamer le patriotisme et le chauvinisme, à mettre dans le même sac la défense de la nation et l’arrogance asservissante, bornée, du nationalisme. C’est vrai, les deux se sont dans le passé trouvées confondues, pour notre malheur, plus d’une fois. Est-ce le cas aujourd’hui en Hongrie ?

    On peut en douter. Voyons ce qui, avec des mots qui grincent d’ailleurs à l’oreille de l’homme apatride d’aujourd’hui, est proclamé par la Constitution de 2011 :

    « Nous, membres de la nation hongroise, conscients en ce début de millénaire, de notre responsabilité pour l’ensemble de tous les Hongrois, nous proclamons ce qui suit :

    « Nous sommes fiers que notre roi Saint-Etienne ait fermement constitué l’Etat hongrois, ayant réussi à faire en sorte que notre pays fasse partie depuis mille ans de l’Europe chrétienne.

    « Nous sommes fiers de nos ancêtres, qui luttèrent pour la survie, la liberté et l’indépendance de notre pays. […] Nous sommes fiers que, pendant des siècles, notre peuple ait défendu l’Europe les armes à la main [allusion au rôle joué par la Hongrie face à l’invasion musulmane] et qu’il ait enrichi les valeurs communes de l’Europe par son talent et par ses actions. »

    L’idée même de Nation est inconcevable sans la prégnance du passé, sans la marque de la tradition qui, comme le dit Dominique Venner, « n’est pas le passé », ce qui est révolu, « mais ce qui ne passe pas ». Or, la Nation serait également inconcevable si elle ne se tendait pas tout autant vers l’avenir. La Nation – ce tout organique, supérieur à l’addition des parties qui le composent – n’est rien d’autre, finalement, que le lien constituant un peuple à travers le lien qui tient unis les morts, les vivants et ceux à venir(2).

    C’est pourquoi la Constitution hongroise proclame avec une pareille fermeté :

    « Après les décennies qui nous ont plongés au cours du XXème siècle dans un état de délabrement moral, nous avons toujours besoin d’une renaissance spirituelle et intellectuelle. C’est avec espoir que nous envisageons un avenir qui nous concerne nous tous et très particulièrement les générations les plus jeunes. Nous sommes convaincus que, grâce à leur talent, leur persistance et leur force morale, nos enfants et petits-enfants parviendront à redonner à la Hongrie la grandeur qui lui appartient. Notre Loi fondamentale sera le socle de notre ordonnancement juridique : une alliance entre les Hongrois du passé, du présent et de l’avenir. C’est là un cadre vivant où se trouve exprimée la volonté de la nation et la façon dont nous voulons vivre. »

    Parler d’identité nationale implique de parler aussi des rapports avec d’autres identités nationales – des rapports qui, souvent, ne sont pas particulièrement calmes et paisibles… C’est pourquoi il convient de souligner ces mots de la nouvelle Constitution hongroise :

    « Nous proclamons que les nationalités qui vivent avec nous font partie de la communauté politique hongroise et sont parties constitutives de l’Etat. Nous nous engageons à promouvoir et à sauvegarder notre héritage et notre langue hongroise, ainsi que la culture, la langue et l’héritage des nationalités qui vivent en Hongrie, tout comme les biens naturels et les œuvres exécutées par la main de l’homme dans la vallée des Carpates.

    « Nous sommes responsables vis-à-vis de nos descendants. C’est pourquoi il nous faut protéger les conditions de vie des futures générations en faisant un usage prudent de nos ressources matérielles, intellectuelles et naturelles. Nous croyons que notre culture nationale constitue un apport précieux à la diversité de l’unité européenne. »

    L’invocation à l’Europe, à son présent et à son passé, est sans équivoque, omniprésente. La question est donc : une telle invocation européenne est-elle compatible avec la défense de la grandeur de la nation qui l’invoque (hé oui : c’est bien de grandeur, non d’utilité ou de rentabilité, que ces gens-là parlent) ? Les deux exigences sont non seulement compatibles mais indispensables. Il est indispensable de proclamer notre appartenance simultanée, conjointe, aux deux patries : à notre grande patrie européenne et à notre « petite patrie » (patria chica, dit-on en espagnol), là où se trouvent nos racines les plus intimes, immédiates, proprement nationales.

    Qu’en est-il des autres « petites patries » ? Qu’en est-il des autres peuples et nationalités avec lesquels la Hongrie se trouve impliquée dans ce grand entrecroisement de peuples et de langues qu’est l’Europe centrale (cet enchevêtrement que l’Empire austro-hongrois tâcha de résoudre tant bien que mal : plutôt bien, d’ailleurs, bien mieux, certes, que les Etats dont le cloisonnement fut imposé par les puissances victorieuses en 1918, lorsque la première partie de notre guerre civile européenne prit fin).

    Qu’en est-il, plus concrètement, de la Transylvanie ?

    Composée de populations aussi bien hongroises que roumaines, elle avait fait partie de la Hongrie jusqu’en 1918. Depuis lors, elle fait partie de la Roumanie. Fidèle à son principe selon lequel « la Hongrie a le devoir de prendre en charge le destin des Hongrois vivant en dehors de ses frontières », le nouvel Etat magyar – c’est bien d’un nouvel Etat qu’il s’agit, non seulement d’un nouveau gouvernement – a octroyé aux habitants hongrois de la Transylvanie aussi bien la nationalité que le droit au vote, en même temps qu’il prenait différentes mesures vouées à promouvoir la langue et la culture hongroises : des mesures qui sont en elles-mêmes, il va sans dire, hautement conflictuelles, mais dont il n’a jusqu’à présent découlé aucun véritable conflit.

    La question, d’une façon plus générale, est la suivante : ce profond patriotisme qui traverse la Hongrie a-t-il quelque chose à voir (ou non) avec le chauvinisme borné et insolent dont l’agressivité a dans le passé été à la source de tant de maux en Europe ? Cette renaissance de l’idée même de Nation a-t-elle quelque chose à voir (ou non) avec le fanatisme frustre et sectaire qui n’est capable d’affirmer son identité qu’à travers le rejet de l’Autre, comme on le sait si bien en Espagne, où un tel démon s’est emparé de certaines de ses régions ? A la lumière des données dont on dispose, tel ne semble pas être un mal affligeant le pays magyar.

    La question religieuse

    Il reste l’autre grande question : celle de la religion, celle de cet étrange pays qui, dans l’Europe d’aujourd’hui, a l’audace d’invoquer publiquement, officiellement, Dieu et la chrétienté. « Que Dieu bénisse les Hongrois ! », peut-on lire dans le frontispice de la Constitution (un endroit plus convenable, au demeurant, que les billets de banque d’un certain pays où on peut lire « In God we trust »). C’est ainsi que commence la Constitution qui proclame que la Hongrie est un Etat officiellement chrétien. Cohérent avec une telle proclamation, le gouvernement actuel, dont la devise est « Soli Deo Gloria », a pris plusieurs mesures destinées à promouvoir la culture chrétienne (quel que soit le jugement qu’on porte sur le christianisme, voilà qui est toujours préférable à la promotion de la culture nihiliste…), en même temps qu’il s’est consacré à la défense de la famille et au combat contre l’avortement.

    Et pourtant, le divorce n’a pas été interdit, ni l’avortement pénalisé. Qui plus est, le nombre de divorces et d’avortements est toujours très élevé en Hongrie, pays qui occupe la troisième place dans le classement mondial de ruptures matrimoniales (65% des mariages contractés finissent par un divorce). En ce qui concerne les mesures prises pour lutter contre l’avortement (dont le chiffre double le taux, déjà très élevé, existant par exemple en Espagne), elles se limitent à l’information et à la propagande en faveur d’une croissance démographique jugée clé pour l’avenir du pays. Pour tout dire, on a même l’impression que les raisons d’ordre démographique l’emportent largement, dans l’esprit des dirigeants hongrois, sur les motivations proprement religieuses.

    Dans des propos qui d’ailleurs heurtent de front la position du Vatican, c’est ainsi que Viktor Orbán s’explique au sujet de la crise démographique subie par l’Europe… et de l’immigration de peuplement avec laquelle certains prétendent la résoudre.

    « L’immigration massive ne peut nullement résoudre le problème auquel l’Europe doit faire face. […] L’histoire a démontré que les civilisations qui ne sont pas biologiquement capables de se perpétuer elles-mêmes sont vouées à disparaître – et elles disparaissent. Tel est le cas de notre civilisation, de l’Europe. L’immigration massive, proposée par certains afin d’y remédier, provoque des tensions qui, du fait des différences culturelles, religieuses et de style de vie, font augmenter les conflits et les secousses politiques. Le bon sens commande à l’Europe de faire face à ses problèmes démographiques par une voie naturelle qui respecte et protège la famille et la paternité. »

    Que reste-t-il alors de l’invocation chrétienne que le nouvel Etat fait avec tant d’ardeur ? Il reste l’essentiel. Ce qui devrait, en tout cas, être l’essentiel : la dimension symbolique, rituelle, propre à toute religion.

    Non pas la prétention à commander la vie et à réglementer la conduite des mortels. La prétention, par contre, à être le signe – et signe collectif, signe pour l’ensemble d’un peuple – du grand, du saisissant mystère par lequel le monde est. Un signe, un symbole qui, pour le peuple hongrois, prend particulièrement forme, par exemple, lors des célébrations annuelles du 20 août, jour de la Fête nationale, autour de la figure du roi saint Etienne, lorsque les autorités de l’Etat participent à la messe solennelle célébrée à la basilique de Budapest, tandis que les forces armées se joignent à la procession qui, portant la relique du fondateur de la patrie, parcourt solennellement, au milieu d’une foule aussi grande que fervente, les rues de la capitale.

    Que Dieu bénisse les Hongrois !

    Que Dieu et les anciens dieux des Européens nous bénissent tous !

    Javier Portella (Polemia, 6 décembre 2014)

     

    Notes :

    1) Damien Sharkov, « Hungary’s Mussolini Vows to Make the EU Member an “Illiberal State” », Newsweek, 30.7.2014.

    2) Même lorsque, dans la vision libérale du monde, la Nation est affirmée avec force – aux Etats-Unis aujourd’hui, par exemple, ou en Europe hier –, ce n’est jamais comme un tout organique que la communauté nationale est conçue. Elle est envisagée comme une association dont les membres – « les citoyens » – se retrouvent dans une sorte de Grand Club régi par un fameux Contrat. Il en va de même pour le passé, pour la tradition. On peut, certes, dans la vision libérale du monde, s’intéresser au passé, porter sur lui le regard amusé (ou savant) qu’on accorde aux choses curieuses, pittoresques : un regard qui, du même coup, interdit que le passé soit ressenti comme le lien vivant qui nous relie à la source qui nous fait être. C’est dans ses Statuts eux-mêmes que la Nation-Club, cette association aussi atomisée que grégaire, porte inscrite la marque de la dissolution. Ce n’est donc pas étonnant qu’un tel Club ait fini par être dissous.

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