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général de gaulle

  • "La notion même de patriotisme est devenue incompréhensible dans les milieux médiatiques"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist au site Place d'armes, dans lequel il revient sur la polémique provoquée par la publication au mois d'avril dernier de tribunes signées par des militaires en retraite et par des militaires d'active dénonçant le délitement de la France.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (Pierre-Guillaume de Roux, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

     

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    Entretien avec Alain de Benoist

    Place d’armes (PdA) : Avez-vous suivi de près la polémique née de la « lettre aux gouvernants » dite « lettre des généraux » et qu’en déduisez-vous ?

    Alain de Benoist (AdB) : Je l’ai suivie attentivement, sinon de près. Elle me fait invinciblement penser à la vieille histoire de l’idiot qui regarde le doigt quand on lui montre la lune. Tout le monde a parlé du doigt, presque personne de la lune. On pourrait dire aussi qu’on a voulu tuer le messager, pour ne surtout pas parler du message. On a fouillé le passé des signataires, on a utilisé les termes les plus délirants pour qualifier leur initiative, et même leur « vocabulaire », on a parlé de « coup d’État en préparation », d’« appel à l’insurrection » et des « sanctions » qui s’imposaient contre les « factieux », on s’est gravement demandé de qui cette lettre « faisait le jeu ». Ce qu’on s’est en général abstenu de faire, c’est de poser la seule question qui méritait de l’être : la situation décrite dans cette lettre correspond-elle ou non à la réalité ? La France est-elle en état de « délitement » ? Est-elle en danger pour les raisons que décrit la lettre ? Oui ou non ? Telle est la question de fond.

    On pourrait évidemment faire une anthologie de toutes les sottises, de toutes les affirmations grotesques qui ont émaillé cette polémique. Personnellement, ce qui m’a le plus frappé est de voir à quel point la notion même de patriotisme est devenue, non seulement ringarde, mais incompréhensible, dans les milieux médiatiques. La patrie, l’honneur, cela ne veut tout simplement plus rien dire pour la majorité de ceux qui ont charge de façonner l’opinion selon les critères de l’idéologie dominante. Là aussi, un énorme fossé s’est creusé entre les médias et le peuple. Aujourd’hui, 90 % des journalistes pensent exactement le contraire de ce que pensent 90 % du peuple. Cela donne à réfléchir.

    PdA : Que pensez-vous de la double réaction : celle des militaires à la retraite : plus de 27 000 signataires dont 62 généraux et celle de la lettre des militaires d’active révélée par « Valeurs actuelles»?

    AdB: Elle montre évidemment à ceux qui ont parlé d’un « quarteron de généraux en charentaises » qu’une large partie de l’armée est en accord avec ce que dit la « lettre aux gouvernants ». Ce n’est pas une surprise, mais c’est symptomatique, et c’est ce symptôme qui mérite d’être souligné. Le reste, les propos indignés de ceux qui veulent que « la parole se libère », mais que l’armée reste la Grande Muette ne sont que des calembredaines. Il en va de même du « devoir de réserve ». Lorsque, durant la guerre d’Algérie, le général de Bollardière avait dénoncé l’usage de la torture, la gauche ne lui avait pas reproché d’être sorti de son « devoir de réserve ». De même, il y a peu de gens aujourd’hui pour estimer qu’en lançant son Appel du 18 juin, le général de Gaulle est sorti de son devoir de réserve ! Dire que « la neutralité de l’armée est essentielle », c’est encore se moquer du monde. Le rôle de l’armée est de combattre l’ennemi, ce qui est le contraire même de la neutralité. En désignant l’ennemi, les militaires ne font que leur devoir, qui est celui de défendre le pays.

    PdA : Comment interprétez-vous le sondage où 49 % des Français souhaitent que l’Armée intervienne même sans l’accord des politiques ? Est-ce derrière une notion de coup d’État ou plus simplement le désaveu des politiques ?

    AdB : En septembre 2019, un sondage Ipsos avait déjà révélé que pour 77 % des Français « l’arrivée d’un leader fort, capable de briser les règles » constituerait une « solution pour améliorer la situation du pays ». On a bien entendu aussitôt parlé de « dictature » et de « coup d’État ». Je crois qu’il faut y voir beaucoup plus l’expression d’un sentiment de défiance généralisée, touchant aussi bien les institutions que les hommes politiques de toutes tendances ou les médias. Les gens se rendent compte que nous vivons dans une époque de crise généralisée, et que la démocratie libérale, parlementaire et représentative (que je ne confonds pas avec la démocratie tout court), est incapable d’y faire face. Toute situation d’exception appelle des mesures d’exception.

    Que l’armée soit aujourd’hui à peu près la seule institution à laquelle les Français font encore confiance nous révèle du même coup ce qu’ils pensent eux-mêmes. Le sondage dont vous parlez indique d’ailleurs aussi que, pour 73 % des Français, « la société française est en train de se déliter ». Gérard Longuet, ancien ministre de la Défense, me paraît avoir eu le mot juste quand il a déclaré que « l’armée française n’est pas composée de gens qui sont dans la repentance ».

    PdA : Comme nous, vous pensez que l’élection présidentielle ne résoudra pas les problèmes traversés par la France, pouvez-vous nous donner vos raisons ?

    AdB : Guy Debord disait que si les élections pouvaient changer quoi que ce soit, il y a longtemps qu’elles seraient interdites ! Cela vaut pour l’élection présidentielle comme pour toutes les autres. De façon plus générale, je suis de ceux qui pensent que, dans les circonstances actuelles, aucune action politique n’est susceptible de réaliser le nécessaire changement de société, la nécessaire révolution dont notre pays a besoin. Mais je ne crois pas non plus beaucoup au mythe de l’« homme providentiel ». Je dois avouer enfin que je suis extrêmement sceptique sur le sens politique d’un grand nombre de militaires. Les qualités d’un homme d’État ne sont pas forcément les mêmes que celles d’un chef de guerre. Un général de Gaulle ne se rencontre pas tous les jours !

    PdA : Rejoignez-vous les nombreuses personnalités qui parlent de coup d’État ou au minimum d’explosion ? Et pensez-vous qu’une telle action sera consécutive à un problème social ou à un problème d’identité ?

    AdB : Je crois que nous sommes sortis de l’époque des pronunciamientos. Je crois aussi que nous vivons plus au temps des implosions qu’au temps des explosions. C’est la raison pour laquelle, contrairement à beaucoup, je ne crois pas beaucoup à la guerre civile, du moins à court terme et sous sa forme classique (pour qu’il y ait guerre civile, il faut d’ailleurs déjà que l’armée soit divisée en deux camps). Je suis convaincu, en revanche, que nous allons assister à la multiplication des épisodes de violence sur fond de décomposition, de dissolution progressive et de montée du chaos. Lénine disait que les révolutions se produisent quand à la tête on ne peut plus, et qu’à la base on ne veut plus. La vaste majorité des gens, à commencer par les classes populaires et la partie des classes moyennes qui est en voie de déclassement, sinon de disparition, ne veut visiblement plus. Je pense qu’on peut s’attendre à une révolte de grande ampleur, car les problèmes d’identité et les problèmes sociaux sont indissolublement liés. Ce sont les mêmes qui vivent en état de précarité et d’insécurité, tant politique que culturelle et sociale.

    PdA : S’il y a confrontation violente, pensez-vous qu’elle se produira simplement en France ou enflammera toute l’Europe ?

    AdB : Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, dans la mesure où la crise que nous traversons ne se limite pas à la France, il y a tout lieu de penser que les violences ne s’arrêteront pas non plus à nos frontières, même s’il faut évidemment tenir compte du caractère particulier des situations nationales et locales.

    PdA : Enfin si vous aviez à inciter les Français qu’ils soient civils ou anciens militaires à rejoindre « Place d’Armes » que leur diriez-vous ?

    AdB : Je ne crois pas que ce soit à moi de me substituer aux animateurs de « Place d’Armes » pour inciter civils et militaires à vous rejoindre ! Je n’ai hélas aucun titre à le faire. Je peux seulement conseiller à tous ceux qui s’interrogent sur un avenir qui les angoisse d’écouter ce que vous avez à leur dire.

    Alain de Benoist (Place d'armes, 4 octobre 2021)

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  • Entre politique et barbouzerie...

    Les éditions Perrin viennent de publier une étude historique de François Audigier intitulée Histoire du SAC - Les gaullistes de choc 1959-1969. Maître de conférence en histoire contemporaine à Nancy-II, François Audigier a publié récemment Les Prétoriens du Général - Gaullisme et violence politique de 1947 à 1959 (PUR, 2018).

     

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    " SAC : Service d’Action Civique. Peu d’organisations politiques ont autant défrayé la chronique et suscité les passions que le service d’ordre gaulliste, fondé en 1960. Ses milliers d’adhérents, rugueux et déterminés, protégeaient les meetings et campagnes d’affichage du parti au pouvoir. Gaullistes fidèles, anciens de la Résistance ou de la France libre pour beaucoup, ils vouaient un culte au Général dont ils se considéraient comme les grognards inconditionnels. Ce carré de la Garde était engagé lors des élections compliquées et les moments de crise du régime (putsch des généraux, barricades de 68). Mais le SAC avait aussi sa part d’ombre. Car à côté d’une majorité d’honnêtes militants figuraient des éléments douteux : membres d’extrême droite attirés par l’anticommunisme violent, aventuriers et escrocs mythomanes, malfrats à la recherche d’une impunité policière et judiciaire. Des mauvaises fréquentations expliquant les délits dans lesquels des adhérents se trouvaient impliqués : braquages, trafics de drogue, d’armes et de fausse monnaie, proxénétisme, escroqueries, rackett, agressions… Aux méfaits crapuleux s’ajoutaient à l’occasion des dérives et violences politiques : infiltration des forces de l’ordre, provocations et espionnage clandestin, coups contre les militants de gauche. Que le patron politique du SAC ait été Jacques Foccart, puissant et mystérieux conseiller du Général pour les affaires sensibles touchant aux services secrets, à l’Afrique et à l’outre-mer, achevait d’exciter les imaginaires. Le SAC n’aurait-il pas été un service d’ordre barbouzard jouant les polices parallèles ?
    Sans négliger cette part de fantasme, et fort de sources inédites, François Audigier démêle le vrai du faux et inscrit l’histoire de l’organisation dans un temps plus long. Il en réaffirme la nature politique en montrant que les gros bras étaient aussi les petites mains d’un gaullisme manquant alors de militants et en soulignant les liens personnels forts du Président avec ces « Prétoriens » du régime. Plus largement, il explore les questions sensibles du lien aux forces de l’ordre officielles, de la pratique du renseignement politique et de l’infiltration des services de sécurité. Loin des clichés, l’ouvrage se penche enfin sur les membres du SAC, des grandes figures (Charles Pasqua, Pierre Debizet, Paul Comiti…) aux adhérents les plus modestes, ces Mamelouks du Général souvent plus sensibles à l’épopée du gaullisme qu’à son programme politique, ces militants bagarreurs qui, en marge du parti, constituaient un « corps franc » dévoué à de Gaulle. "

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  • Corse : pour un fédéralisme à la française...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune de Jérôme Besnard, cueilli sur Figaro Vox et consacrée à la question corse. Jérôme Besnard est élu municipal et membre du conseil national des républicains.

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    Corse : pour un fédéralisme à la française

    Avouons d'entrée une peine certaine devant la gestion de la question corse par le Président de la République. Voir le président d'une région française soumis à une fouille avant de pouvoir assister au discours du chef de l'État est choquant. Gilles Simeoni s'inscrit dans une tradition politique revendicative mais nullement terroriste. Un demi-siècle de militantisme familial est là pour le prouver. Qui connaît Gilles Simeoni sait qu'il est de la trempe de ces militants régionalistes pour lesquels la violence symbolique, lorsqu'elle doit s'exercer, doit toujours demeurer au service de la raison. On pense bien entendu ici au FLB de Jean Bothorel ou au Mouvement Normand de Didier Patte. Pas à l'ETA ou aux dérives, savamment entretenues par certaines officines, du FLNC. Gilles Simeoni a la confiance et l'estime d'Hervé Morin, président de l'Association des régions de France qui est en train de réussir la fusion des deux régions normandes. C'est un avocat de profession, un humaniste au plus beau sens du terme. J'étais l'un des trois élus continentaux présents au rassemblement fondateur de Femu A Corsica le 29 juillet dernier à Corte. Je n'y ai rien constaté de séditieux ou de choquant pour notre commune décence politique française.

    L'absence de drapeau corse lors du discours d'Emmanuel est tout aussi stupide. On pense à l'étonnement du général de Gaulle face au drapeau malouin flottant au sommet de l'Hôtel de Ville de la cité corsaire: le rappel qui lui fut fait de l'indépendance de Saint-Malo au XVIe siècle lui fit convenir qu'il ne s'agissait pas là d'une offense à la République. Pensons aussi au discours du même général de Gaulle en langue bretonne à Quimper le 2 février 1969. Une intervention du chef de l'État en langue corse aurait eu un certain panache.

    La solution à la question corse n'est pas «girondine» pour la bonne raison que le girondisme n'est qu'un jacobinisme modéré. Les Girondins furent aux Jacobins ce que les Mencheviks furent aux Bolcheviks. La solution est à rechercher dans le trésor du fédéralisme français, si conforme au principe de subsidiarité. Le débat est ancien si l'on se réfère aux premiers écrits de l'Association normande d'Arcisse de Caumont (1831) ou à l'Association bretonne fondée en 1843. Même s'il a forcé le trait, on relira avec profit L'Ancien régime et la Révolution d'Alexis de Tocqueville. On se souviendra surtout que notre fête nationale du 14 juillet ne doit pas grand-chose à la prise de la Bastille mais tout à cette fête de la Fédération de 1790 que l'historien Marc Bloch plaçait au même niveau que le sacre de Reims dans la symbolique française.

    «La Corse est au cœur de la République» est venu dire Emmanuel Macron dans une de ces phrases creuses dont il a le secret. Non, la Corse n'est pas au cœur de la République, elle est un territoire insulaire, montagneux et en grande partie rural, situé non seulement en périphérie de la France métropolitaine mais au cœur de cette France périphérique si bien décrite par le géographe Christophe Guilluy, cette France qui doute de son avenir et qui ne se retrouve pas dans le discours de mondialisation heureuse qui a été celui du Président de la République depuis son émergence sur la scène politique nationale.

    Plutôt que d'invoquer des principes républicains aux contours souvent flous, on serait mieux inspiré d'en appeler à notre histoire commune depuis 1768 et l'achat de l'île à la République de Gênes par le roi Louis XV. Que l'on se souvienne des jours heureux et des peines communes, des batailles de Borgo et de Ponte-Novo, de la rivalité entre Bonaparte et Pozzo di Borgo, de la place centrale des Corses dans l'administration française, des sacrifices du 173e Régiment d'infanterie pendant la Première guerre mondiale. Allons écouter le vent dans les châtaigniers qui entourent la maison natale de Pascal Paoli à Morosaglia. Inclinons nous devant le sacrifice des goumiers marocains au col de Teghime. Saluons les deux églises, latine et grecque, de Cargèse. Pensons au dernier vol de Saint-Exupéry au départ de Poretta. Songeons au mariage de Romain Gary et Jean Seberg à Sarrola-Carcopino. Souvenons-nous de la Légion étrangère quittant Calvi pour aller libérer les Belges et les Français dans l'enfer de Kolwezi.

    Commémorons ces pages de l'histoire française qui ont fait de la Corse une île de notre pays. Donnons-nous les moyens institutionnels de la conserver dans le giron français en respectant sa culture et son peuple. Cela passe par l'ouverture d'un vrai dialogue avec Gilles Simeoni et ses amis que leurs succès électoraux accumulés depuis quatre ans revêtent d'une légitimité incontestable. Des outils juridiques et constitutionnels existent pour que la Corse résolve avec l'aide de la France ses problèmes culturels et économiques, qu'elle préserve ses paysages et qu'elle offre un avenir à sa jeunesse.

    Jérôme Besnard (Figaro Vox, 9 février 2018)

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  • De Gaulle : sous la statue, le volcan...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Yannick Jaffré, cueilli sur son blog Sévèrement français et consacré à la "pensée d'action" du général De Gaulle... Professeur agrégé de philosophie et auteur d'un essai intitulé Vladimir Bonaparte Poutine (Perspectives libres, 2014).

     

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    De Gaulle : sous la statue, le volcan

    De quoi De Gaulle est-il aujourd’hui le nom ? Celui d’une occultation  assourdissante. Plus on commémore le grand homme – invoqué comme un mort illustre, enfoui sous les trémolos – plus on cherche à étouffer, sans y parvenir, la clameur du Politique. Nietzsche voyait dans l’« histoire monumentale » le résultat d’une double opération : signaler dans le passé des figures exemplaires ; édifier le peuple par l’exaltation de ce panthéon national. Mais dans un pays, le nôtre, qui pratique depuis quarante ans la repentance et l’autophobie, les monuments historiques subissent de méticuleuses démolitions contrôlées. Si De Gaulle est à peu près le seul à rester debout dans la période moderne, il ne faut pas s’y tromper : on ne l’épargne jamais que pour l’embaumer. La grande ombre historique, trop proche, est aussi trop dangereuse pour l’ordre établi dès qu’on retourne le regard vers qui la projette. On éloigne donc le Général dans le passé en le plaçant aux côtés de Jeanne d’Arc, Louis XIV et Napoléon. Alors qu’il exprime plus violemment qu’eux les origines, réalités et horizons de la France contemporaine, on fait au mieux de lui une statue du Commandeur, au pire, et le plus souvent, une inoffensive autorité morale.

    Quelques exemples. Prononcée pour remettre à leur place les anglo-saxons reprochant à la France sa guerre d’Algérie, la phrase de De Gaulle : «  la grande querelle sur Terre, c’est la querelle de l’Homme », deviendrait aujourd’hui le titre possible d’un débat « humaniste » entre démocrates-chrétiens et franc-maçons. De même la réconciliation franco-allemande est-elle convoquée à l’envi par la droite européiste, à telle enseigne que le chef des Français libres finirait presque par apparaître, comble de l’énormité, comme un émule de Robert Schuman. Et même quand on honore l’homme du 18 juin, c’est pour réduire son combat contre l’occupant à l’antifascisme sans fascistes des années 1980, théâtral selon Jospin lui-même. Pour preuve, on a vu Anne Hidalgo (Anne Hidalgo, quand même…) aller fleurir à Colombey la tombe d’un homme qui occupe l’exact antipode de son pauvre univers. C’est son droit, à l’incohérence. Avec elle et ses semblables,  l’époque voudrait rendre rassurant un acteur de l’histoire qui, entouré de haines, passant sous les balles, y a fait vaincre des principes terriblement clivants.

    Côté gaulliste prétendu, la référence n’est pas moins usurpée. Ainsi Villepin mobilisait-il De Gaulle pour défendre en 2005 une constitution européiste dont le but était clair : enkyster plus profondément la France dans un organisme atlantiste dont le Général avait retardé l’avènement. Ainsi Fillon avance-t-il avec d’autres « gaullistes » la notion de « souveraineté partagée », contradictoire dans les termes. Ainsi encore Sarkozy avait-il placé sa campagne de 2007 sous le sceau gaullien pour faire réintégrer à la France, une fois élu, le commandement militaire de l’OTAN. Ainsi Juppé enfin, le pire d’entre eux tous, a-t-il couvert aux affaires étrangères la destruction de la Libye et, à travers elle, du nationalisme arabe soutenu par de Gaulle – se laissant au  passage imposer, comme une serpillière, Bernard-Henri Lévy pour vice-ministre. Dans ce camp-là, plus généralement, les uns et les autres se livrent à des primaires bafouant l’esprit de la Ve république qui voudrait que l’élection présidentielle, substitut laïc du sacre de Reims, célèbre la rencontre d’un homme avec le peuple français. Cette atmosphère de pseudo-gaullisme n’est somme toute percée que par une lame claire, la déclaration, j’y reviendrai, sur « la France, peuple européen, de race blanche, de culture gréco-romaine et de religion chrétienne ». Reparue dans le débat public, elle y porte de nouveau une puissante, une nécessaire charge polémique.

    Paradoxe savoureux, ses ennemis historiques sont désormais les meilleurs traducteurs de De Gaulle. Pétainistes qui lui reprochent d’avoir été, lui, le sauveur de la France, héritiers de l’OAS ne supportant pas qu’il les ait compris, royalistes ne lui pardonnant pas d’avoir restauré le principe monarchique sans mutiler la France de son bonaparto-républicanisme, atlantistes stay behind qui le détestent pour avoir secoué la tutelle américaine et mené une politique socialiste française – tous ceux-là sont au fond plus fidèles au De Gaulle réel que ses embaumeurs. Parce qu’ils prétendaient détenir le monopole du nationalisme ou, selon, du « national-occidentalisme », ils conservent rageusement la mémoire du politique machiavélien qui les a terrassés par la France. Et si déformé par la haine soit le portrait qu’ils dressent de lui, du moins savent-ils combien De Gaulle a soulevé de passions et de forces contraires, les leurs et celle de l’extrême-gauche, pour bâtir son œuvre nationale. Ce n’est que la mauvaise foi qui empêche ces perdants de la grande histoire de France, résiduels, d’admettre que son corpus est aujourd’hui indispensable contre les vents dominants qui, depuis quarante ans, font sortir la France de l’histoire. En face de leur détestation d’arrière-garde, vit dans le peuple le puissant souvenir de l’époque encore récente où la nation, prospère et unitaire, grande et respectée, était conduite par un chef  de dimension mondiale.

    Cette nostalgie est parfaitement légitime. C’était non seulement mieux dans les années 1960 qu’aujourd’hui, mais ce qui reste de solidité française vient pour l’essentiel de la présidence De Gaulle. La mémoire vive du temps où la France, si elle n’était plus depuis Napoléon la première, demeurait une puissance souveraine, imprévisible pour ses alliés comme pour ses ennemis, cette mémoire est grosse d’une politique. Mais la peinture du géant d’hier reculé dans l’ombre avec, obscènes, les nains Sarkozy et Hollande sautillant à ses pieds en pleine lumière, atrocement descriptive de notre état, nous condamnerait à la dépression si nous n’y trouvions, par la répulsion, un puissant ressort moral.

    Car le désespoir, en tout état de cause, nous est interdit. Parce qu’il serait une honte devant tout, les causes objectives d’abandon étant, quoi qu’on prétende, plus fortes en juin 1940 qu’à l’automne 2016. Et parce que le pire, qui n’est jamais sûr, reste à venir : si nous gémissons maintenant sur les ruines françaises, que ferons-nous demain dans un pays exsangue où patrouilleraient les jeeps de Daesh ? Exemple moral contre l’esprit de renoncement, le gaullisme est aussi, surtout, une doctrine politique à deux articles : sauvegarde de l’identité et puissance par la souveraineté. Ces travaux d’Hercule sont plus que jamais à l’ordre du jour. Sous peine de mort.

    Pour ressaisir cette pensée d’action, il faut dégager De Gaulle des incantations. Déboulonner la statue dans laquelle on l’enferme pour faire rejaillir, sur la terre remuée, l’athlète qui s’élance. Libérer l’énergie nucléaire que contiennent pour nous aujourd’hui ses actes majeurs. Cette tâche revient aux gaullistes « AOC ». Ni compagnons de la Libération, par génération, ni chiraquiens, par rigueur, ni sarkozystes, par décence, ils se recrutent parmi ceux, d’où qu’ils viennent, qui mesurent avec précision la magnitude gaullienne. Que ferait De Gaulle ? n’est pas la question qu’ils doivent se poser. Comment transposer le grand gisement en y triant, soustrayant et développant pour dominer le « vieil aujourd’hui »? Voilà leur affaire. Moderne et classique à la fois, la ressource gaulliste est infiniment plus opérante pour penser et agir dans notre temps que le national-libéralisme, le néotraditionisme ou l’impérialo-européisme où certains patriotes, aussi sincères qu’approximatifs, vont chercher leurs recours. Cette ressource est une tradition – au sens superbe de Gustav Mahler : « non la vénération des cendres, mais la passation du feu ».

    La mesure du Titan

     Au risque de paraître abrupt, j’irai vite sur l’homme du 18 juin. Sa trajectoire est au regard historique littéralement extraordinaire. Qu’un général deux étoiles parti de presque rien devienne un acteur mondial aux côtés de Churchill, Staline et Roosevelt, le fait, selon son propre mot, « sortir de toutes les séries ».

    Mais la geste héroïque fut aussi rationnelle : ayant avec quelques autres la prescience du caractère inévitablement mondial de la guerre, De Gaulle a vu sur l’instant l’armistice comme une faute absolue. Connaissant aussi bien la dimension nationale de Pétain que ses limites personnelles, il savait que cet homme-là doublerait le désastre militaire d’un effondrement moral. Que la légitimité du Maréchal soutenant une collaboration inscrite dans l’armistice, la nation en serait empoisonnée dans sa profondeur. Qu’une reddition militaire sur le territoire métropolitain, qu’un gouvernement déplacé vers l’Empire, auraient été les moyens de préserver son âme maintenant avec sa liberté demain. A l’opposé de ces idées claires et nettes, la rhétorique de la « révolution nationale » était aussi involontairement comique que scabreuse. Elle plaçait en effet sous la bannière d’un « esprit de sacrifice » surmontant « l’esprit de jouissance » de l’entre-deux guerres une politique que, par ailleurs, elle justifiait par la volonté d’« atténuer » les souffrances des Français. Pour le dire brutalement : ni deux ans et demi de (relative) villégiature en zone libre, ni la (relative) correction des militaires allemands pendant la même période, achetés à l’Allemagne nazie à un taux spoliateur, ne valaient la corruption intime du pays par la collaboration.

    Alors que les Néerlandais ou les Danois ont conservé de cette période, et malgré leurs collaborateurs, le sentiment de leur dignité nationale, nous payons encore 70 ans après, et malgré nos résistants, le prix d’une collusion organisée avec l’occupant qui, Patrick Buisson le montre dans son remarquable 1940-45 années érotiques, a compromis le peuple français jusque dans sa chair. Mais grâce à De Gaulle, l’extrême droite du même Buisson n’y pouvant rien, cette histoire-là ne fut pas toute l’histoire et le pays fut relevé, autant qu’humainement possible, dans les ordres réel et symbolique. C’est toute l’actualité tragique, pas déclamatoire, du 18 juin et de la France libre : l’esprit de collaboration souffle aujourd’hui dans les élites au moins aussi fort qu’en 1940-44 tandis qu’une part importante de la classe moyenne, dont les « Charlies » sont la pointe avancée, plierait vite si le vent mauvais soufflait plus fort encore. Démarquant l’axiome de Giono pour justifier son allégeance à un Euro-Califat « démocratique » : « Je préfère être un Allemand vivant qu’un Français mort », elle glisserait alors vers cette soumission post-pétainiste que Houellebecq, la décrivant avec son ricanement glacé d’épave talentueuse, place au titre de son dernier roman d’anticipation. La geste gaullienne est à cette enseigne un soleil moral, coupant, sous lequel il n’y a rien de nouveau que des hommes lâches ou courageux.

     Mais l’héroïsme ne suffit pas. Que De Gaulle ait été assassiné ou que les Américains eussent réussi contre lui la manœuvre Giraud-AMGOT[1], et il serait resté dans l’histoire comme un chef de guerre alors qu’il fut aussi, surtout, un politique, comme un libérateur alors qu’il fut plus encore un fondateur. Alexandre le Grand, qui n’a laissé derrière lui que d’épiques ruines, possédait la celeritas : « Le geste de son bras n’est pas symbole de protection, mais invitation au départ, signal de l’aventure[2]. » Washington était un général intellectuellement frustre entouré de grands penseurs du droit et de l’État. Oscillant entre l’héritage européen et la recherche d’une voie propre à l’Amérique latine, Bolivar a laissé une inspiration plus qu’une doctrine. Michael Collins a conquis l’indépendance de l’Irlande sans avoir le temps de la bâtir et de jeter sur son sol, comme Bonaparte consul avec le Conseil d’État et le Code civil, « quelques masses de granit ». De Gaulle, lui, répond pleinement à l’avertissement de Tocqueville : « Ce n’est pas la force seule qui assoie un gouvernement nouveau ; ce sont de bonnes lois. Après le combattant, le législateur. L’un a détruit, l’autre fonde[3]. » Déployant une pensée complète de l’État, du social, de l’économie et de la géostratégie, trempée dans l’histoire de France, c’est le De Gaulle nomothète, chef du gouvernement provisoire et fondateur de la Ve république, qui fournit aux nationaux leurs plus solides appuis.

    Institution de l’État, état des institutions

    Commençant par le commencement, c’est-à-dire les institutions, De Gaulle refait l’État en 1944 puis, surtout, en 1958. « Franco-romain », il établit naturellement le primat de la puissance publique sur la société quand les anglo-saxons font émaner la première de la seconde ; monarcho-républicain, il assoie contre le parlementarisme la prééminence de l’exécutif sur le législatif en installant au sommet de l’État « une tête directement mandatée par l’ensemble de la nation et mise à même de vouloir, de décider et d’agir ». Il a suivi ce plan simple sans obéir entièrement au précepte de Bonaparte d’après lequel « une constitution doit être courte et obscure pour ne pas gêner l’action du gouvernement ». Courte mais claire, celle de 1958 libère l’action de l’exécutif en répartissant, avec précision, les pouvoirs autour de lui.

    Où en sommes-nous aujourd’hui ? Notre situation est paradoxale. L’autorité de l’État n’est pas minée par un parlementarisme résurgent mais – et c’est pitié – par la pratique de l’exécutif lui-même. Alors que la constitution gaullienne faisait en principe relever du règlement tout ce qui n’était pas expressément attribué à la loi, les gouvernements inversent depuis trois décennies l’ordre du principe et de l’attribution. C’est-à-dire qu’ils confectionnent, le parlement étant leur chambre d’enregistrement, des lois pour tout et, de fait, pour n’importe quoi. Ni le voile intégral, ni le burkini, par exemple, ne devrait être prohibés par une loi mais, au principe, par un règlement administratif. L’enjeu n’est pas seulement de compétence mais d’autorité : sous le règne du « droit bavard », l’État affaiblit la sienne comme si l’esprit du parlementarisme lui était, littéralement, monté à la tête. Une telle inflation législative, décrets et règlements compris, porte avec elle plusieurs conséquences fâcheuses : complexité excessive de l’édifice légal, insécurité juridique liée à la sur-politisation des textes, contestations endémiques procédant de l’une et de l’autre, le tout épuisant les entrepreneurs, les administrations et décourageant les investisseurs étrangers.

    La constitution elle-même est affectée par cette involution. De Gaulle ne voulait pas que l’État fut un théâtre d’expression pour « idéologies inconsistantes ». Or la constitution leur sert aujourd’hui de dépotoir puisqu’on y introduit des dispositions – écologistes, féministes, européistes – qui n’ont rien à y faire, souvent des lois qu’on a craint de voir censurées par le parlement. C’est ainsi qu’on a procédé pour la parité qui violait trop manifestement le droit de suffrage. Quant au droit libéral-européiste, il pénètre le socle de la république française par l’article 88-1 constitutionnalisant « la participation de la France à l’Union Européenne ». Placé sous cette hypothèque, le conseil s’épuise à défendre le texte fondamental, par le biais de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), contre la concurrence que lui imposent les normes européennes. Il s’épuise pour le bien mais nuit aussi, du fait de sa composition, à l’esprit de la première des lois. Alors qu’il est désormais une sorte de cour suprême qui devrait assurer au peuple souverain que son représentant, le parlement, et son exécutant, le gouvernement, respectent sa volonté constituée, ses membres –  anciens présidents de droit, ministres, députés nommés par l’exécutif, tous liés à des lois qu’ils ont eux-mêmes rédigées – sont animés par des polarités idéologiques de court terme. Ils ne censurent pas les lois qui le mériteraient et censurent,  plus rarement, celles qui ne devraient pas l’être.

    Que faire ? La VIe république imaginée par Mélenchon et Montebourg promet un retour vers le futur de la IVe. Il faut plus sérieusement refondre la Ve république « de bronze » voulue par De Gaulle. C’est-à-dire réaffirmer le droit supérieur de l’État contre un État de droit sans consistance ni autorité, en se souvenant avec Carl Schmitt que l’existence du premier conditionne celle du second, et les libertés publiques celle des droits individuels. Quelques mesures y pourvoiraient : rétablir l’État dans sa prérogative en reversant dans le règlement tout ce qui ne concerne pas la loi ;  alléger la constitution de ses alluvions récentes ; supprimer l’article 88-1, et se dispenser de la QPC en quittant l’Union ; modifier la composition du conseil constitutionnel dont les membres, à partir d’un premier collège nommé par un gouvernement national, seraient installés à vie par cooptation, selon le seul critère de la compétence publique ; rétablir en haut le septennat pour que le président cesse de disparaître comme Chirac derrière le gouvernement ou, comme Sarkozy et Hollande, de se confondre avec lui ; approfondir à la base l’empreinte référendaire de la Ve république à travers un véritable référendum d’initiative populaire inspiré de la Suisse qui permet au peuple de se saisir d’un enjeu que le législateur esquive ou, plus violemment encore, de bloquer l’adoption parlementaire d’une loi pour s’en emparer lui-même – la question du quorum pertinent demeurant à résoudre.

     Toutes ces mesures, bien sûr, resteront des vœux pieux sans une transformation gaullienne de la sociologie et même, plus profondément, de l’anthropologie des élites. L’événement, ici, fera loi. Aucun texte ne fera revenir les partis sur la désastreuse pratique des primaires sans des vagues brutales qui balayeront les médiocres, les notables, les gamelleurs. Si les institutions peuvent parfois limiter cette médiocrité, elles souffrent en retour, et plus fatalement, d’être mal habitées. C’est du fond de mœurs nationales revivifiées par les événements, c’est depuis ce que Montesquieu appelait « l’esprit général d’une nation », c’est peut-être, hélas, par la guerre, impitoyable sélectrice, que de véritables élites nationales réémergeront. Mais donc ici le politique dépend de l’histoire qui, de nature, est redoutablement imprévisible.

    Bodin, Richelieu, De Gaulle : le parti des politiques

    Bodin a forgé la doctrine de l’État souverain, Richelieu lui a donné sa praxis, De Gaulle son extension moderne. Avec une même philosophie reposant sur le primat du politique sur les marchands et les prêtres, de l’État sur l’économique et le religieux. Or la puissance publique est asservie à ces deux forces, auxquelles se coagulent aujourd’hui des intérêts communautaires nés de l’immigration extra-européenne de masse. – Entretenue par la trahison d’élites françaises ayant perdu tout centre de gravité historique, cette immigration morcelle le corps national. Celui-ci, qui supportait naguère l’État, au double sens du terme, en est désormais séparé par une incertitude mortelle : qui sert-il  ? Or la réalité du « multiculturolibéralisme » contredit si violemment son discours que, par un mouvement de balancier, le politique resurgit dans cette question. Et c’est par la crise identitaire, dont les attentats ne sont que la pointe sanglante, qu’il reparaît comme  insoluble dans l’économie, le juridique et le social.

    C’est sur deux fronts qu’un nouveau parti des politiques, encore diffus, mène le combat, celui de l’État, celui du peuple. Il ressaisit au sein du peuple, dont l’État ne peut mépriser le sentiment que jusqu’à un certain point, un ethos civico-national. Il n’y a ici pour l’instant rien à attendre des « Charlies », qui n’éprouvent devant la violence de l’histoire qu’une peur privée. On observe en revanche dans de larges couches populaires et moyennes une lucidité nouvelle devant le choc des civilisations à domicile et, moins clairement perçue toutefois, devant une mondialisation qui déracine et appauvrit. L’expérience de la précarité et du danger rebranche les individus sur la totalité nationale, les disposant à renouer avec ce que Hegel appelait la « vie éthique ». Patriotique, ce mode d’être doit venir inquiéter, avant bientôt de l’investir, un État français qui agit contre sa propre substance populaire.

    Car ce patriotisme resurgi n’atteindra sa pleine effectivité que s’il pénètre en retour, par une victoire politique que rien ne garantit, le corps de l’État. Faute de quoi il restera un réflexe de sauvegarde aussi légitime et nécessaire qu’insuffisant. Un État de nouveau national reforgerait l’esprit public contre le mondialisme et l’islamisme. Par l’école, et le chantier est immense ; par l’armée, sans militarisation « nippo-impériale », mais en replaçant l’esprit des armes au cœur de la cité. Il y a sur ce dernier point un paradoxe gaullien à surmonter dialectiquement : ayant fait rentrer l’armée dans le rang au moment de la guerre d’Algérie, De Gaulle incarnait aussi – Général, président chef des armées – le militaire dans le politique. Mais dans les deux cas, école et armée, pas d’illusions : l’assimilation des extra-européens, particulièrement musulmans, sera marginale. On aura du moins fait quelque chose si on replace les Français, par le roman national et une éthique du combat, dans l’axe de leur civilisation et le sens de sa mortalité.

    Cette civilisation nationale est composite. De Gaulle en possédait la généalogie, sachant que le catholicisme, c’est la France, mais que la France, ce n’est pas seulement le catholicisme mais aussi, sans exhaustivité, l’humanisme renaissant, le cartésianisme, la république nationale. Il faut au passage lever la confusion entretenue par Patrick Buisson dans son dernier ouvrage : la défense du catholicisme passe par la France plus que l’inverse. Si les vertus théologales, l’espérance éminemment, peuvent irriguer les combats temporels, elles ne sauraient se substituer aux vertus politiques sans diminuer leur force. En termes plus brutaux, il ne suffit jamais, dans le monde temporel, d’être chrétien pour que vive la liberté chrétienne. Il faut être Grec, Romain,  Français, et parfois en armes. Que chacun s’en souvienne.

    De manière plus générale, aucune civilisation n’a jamais été défendue comme un seul homme par elle-même mais par des corps particuliers, les nations, qui en sont la réalité existentielle. C’est parce que l’Europe prétend s’unifier politiquement qu’elle cède sur tout, identité, indépendance, composition démographique ; et c’est par des réactions nationales, venues de Hongrie et du Danemark que le flux migratoire par exemple, sans tarir, ne passe pas partout. La civilisation européenne ne fera jamais une politique. On se souvient de la formule de De Gaulle sur Chateaubriand, Goethe et Shakespeare qui ont servi cette civilisation en étant intensément Français, Allemand et anglais, pas en écrivant dans quelque « Volapük intégré ». C’est dans le même esprit que le nouveau parti des politiques, exclusivement consacré à la nation française, préserverait en même temps une part de la culture européenne.

    Économie politique : Bismarck, De Gaulle, Poutine

    Les archi-gaullistes doivent enfin affronter la nouvelle configuration du capitalisme – mondiale, prédatrice et nihiliste. On a parlé naguère à propos du dirigisme gaulliste, et de quelques autres expériences proches, de « troisième voie » entre le libéralisme et le collectivisme. Aujourd’hui que le second est mort, que l’ultra-libéralisme règne largement dans le monde, en France sous sa formule sociale-libérale, cette troisième voie est devenue la deuxième.  Les pseudo-gaullistes brandissent parfois telle formule de De Gaulle : « En économie, non plus qu’en politique ou en stratégie, il n’existe, à mon sens, de vérité absolue. Mais il y a les circonstances. » – manière pour eux de dissoudre les principes dans un pragmatisme de reniement. Si souple fut-il tactiquement, De Gaulle plaçait en réalité son économie politique sous une philosophie néo-colbertiste édifiée sur trois fondements.

    Le refus d’abord que la propriété privée, qu’il ne s’agit pas d’abolir, devienne une puissance supérieure à celle de l’État – le refus, autrement dit, que Fouquet en remontre au Roi. A ceux qui ricanent à l’évocation du Plan, on peut rétorquer que le dirigisme est pratiqué aujourd’hui, mais au service exclusif des grands oligopoles mondialisés qui (faut-il l’apprendre à quiconque ?) ne comprennent que la force. Dans House of cards, série hyperbolique portée par l’excellent Kevin Spacey, celui-ci, président des États-Unis, réplique à un pétro-oligarque méprisant qui le menace de détruire des milliers d’emplois en vingt minutes : « N’oubliez pas que je suis le type avec les types avec des fusils ». Rien de fictif ici, ni d’obsolète. De Gaulle a domestiqué le grand capital dans les années 1960, Poutine dans les années 2000. Pour ceux qui croiraient devoir craindre la référence à l’heure où le taux d’imprégnation atlantiste des élites est radioactif, c’est en l’espèce Poutine qui, s’appuyant sur un constitution inspirée de la Ve république, est gaulliste. Autour d’un exécutif fort, il a constitué une korpokratura. La notion conjugue l’intégration par l’État de la puissance économique, la subordination étroite des intérêts capitalistiques aux politiques nationales et, obtenue de gré ou de force, la loyauté des grands groupes industriels et commerciaux. Cette « corpocratie d’État » intègre le grand capital en lui retirant le sentiment de son indépendance. A travers des prises de participations majoritaires et des grands consortiums publics s’affirme donc un dirigisme d’inspiration gaulliste qui porte sans doute, dans le contexte d’une mondialisation devenue folle, une formule d’avenir.

    Le gaullisme veut parallèlement que l’État impose à la société, dans sa dimension économique, un principe de décence « rousseauisto-bismarckien ». Contre le mépris de classe qui animait Voltaire, Rousseau plaidait : « quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre » Un siècle plus tard, le Genevois reçoit un écho inattendu chez Bismarck : « Pourquoi l’invalide de guerre et le fonctionnaire atteint par l’âge devraient-ils avoir une retraite, et pas le soldat du travail ? Cette obligation s’imposera. L’avenir lui appartient. Il se peut que ma politique s’effondre après ma mort. Mais le socialisme d’État restera. (…) Voilà l’idée : un socialisme d’État ! La collectivité doit prendre en charge l’assistance aux plus défavorisés »[4]. Sans la contrainte publique, premier principe du gaullisme, nulle solidarité ne peut s’installer dans la durée. C’est le sens de la sécurité sociale et de la retraite par répartition qui ont entretenu jusque dans les années 1980 la common decency orwellienne, brillamment associée par Jean-Claude Michéa à la pensée socialiste française pré-marxiste. Et somme toute, le gaullisme, c’est Proudhon plus l’État.

    Qu’on ne s’y trompe pas : au refus du darwinisme social s’articule enfin, troisième principe, celui de l’assistanat. Front des producteurs contre les prédateurs d’en haut, le gaullisme économique, tout entier tourné vers le travail, ne saurait dévoyer la solidarité dans une myriades d’aides qui, grevant les comptes publics, ne servent qu’à acheter une paix dite sociale (pour ne pas la nommer ethnique). Ni la sécurité sociale, ni les allocations familiales ne sont, ou ne devraient être, des revenus de substitution, mais des instrument servant une politique nationale complète – identité comprise. Or, les gouvernements sociaux-libéraux successifs refusent de toucher aux mannes qui font de la France une chance pour l’immigration, en même temps qu’ils asphyxient, aux plans fiscal et administratif, les petits entrepreneurs comme ils ne l’ont jamais été dans les années 1960. Toutefois, pour reprendre ce que De Gaulle appelait une grande « politique des revenus », il faut réinventer le gaullisme. Je suis en effet sceptique sur la participation, intuition échouée du Général. L’association capital-travail supposerait en effet une immanence des intérêts qui n’est concevable, et encore, que dans les petites unités. Plutôt que d’« assouplir » le droit du travail, il faut simplifier l’administration, relancer la croissance en retrouvant la souveraineté monétaire, défiscaliser les primes et les heures supplémentaires, imposer aux grands groupes un pourcentage de reversion à leurs salariés selon les bénéfices enregistrés – bref, œuvrer, en tous domaines, contre le social-libéralisme qui émancipe les grands intérêts en écrasant les petits.

    Le monde tous azimuts

     Les forces qui veulent façonner l’opinion ont depuis vingt ans diffusé sans relâche l’idée intimidante que les mastodontes territoriaux, militaires et démographiques, écrasant les « petites » nations, seraient désormais les seuls candidats éligibles à la puissance. Or celle-ci naît toujours d’une composition de facteurs articulés entre eux par une volonté humaine qui cherche à en tirer l’optimum. C’est une conception naïve ou idéologique qui fait dépendre la puissance de forces réputées objectives, lesquelles, faute d’une volonté clairvoyante pour les agencer, se transforment bientôt en faiblesses. L’expansion territoriale romaine par exemple, d’abord source de puissance, deviendra cause de dissolution à mesure que les élites impériales perdront maîtrise et cohérence. Aujourd’hui la démographie est un facteur ambivalent, enjeu vital en Russie, sévèrement contrôlé en Chine, sous leurs paramètres respectifs. Ainsi l’équation entre puissance et volume n’est-elle pas une loi d’airain. La France, cinquième économie mondiale, siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU, se paye à la vérité un luxe parfaitement obscène en dissertant sur son incapacité à « peser seule » et la nécessité de « l’Europe, l’Europe, l’Europe »… Appréciés du Pérou, du Liberia ou d’Indonésie, si toutefois ils y parviennent, ces raisonnements doivent paraître mensongers, décadents ou ridicules. A rebours de cette attitude, la Russie a retrouvé le chemin de la puissance en renversant les dogmes du libre-échange et de l’intégration internationale auxquels elle avait rendu, dans les années 1990, un culte à perte.

    De Gaulle se faisant « une certaine idée de la France » savait bien qu’elle n’était pas une pure idée, que l’existence précède toujours l’essence, que la grandeur plonge ses racines dans la terre. Quand il faisait entendre une voix universelle, c’était donc depuis l’intérêt national français. Westphalien, réaliste, pragmatique sur la scène internationale, il projetait la France sur toutes les latitudes. De Gaulle c’était hier, et le monde a changé depuis mais, pensé dans le temps long, il ne s’est pas métamorphosé. La France y occupe toujours une place mondiale, avec les mêmes acteurs redistribués. Mais lui manque une grande politique internationale. Par défaut et par excès de pragmatisme à la fois, ses dirigeants la font participer aux croisades américaines et mènent des politiques à courtes vues vite sanctionnées par leurs conséquences – la sordide affaire libyenne conjuguant les deux tares. Ils ne veulent pas voir que la mondialisation, au lieu de les atténuer, accentue les égoïsmes nationaux, qu’il n’y a jamais de « règlement mondial des problèmes mondiaux », que l’un des mensonges de l’idéologie mondialiste, c’est de prétendre que l’avenir est aux grands ensembles régionaux. Ils ne veulent pas voir que la France, qu’elle le veuille ou non, est seule.

    Bismarck refusant alors l’aventure coloniale eut cette formule : « Ma carte de l’Afrique, c’est l’Europe ». Une géostratégie gaullienne la démarquerait en l’inversant : « La carte de l’Europe, pour la France, c’est le monde ». Elle contournerait donc l’euratlantisme par un rapprochement, sans alliance intégrée, avec la Russie qui, seule parmi les BRICS, conduit face aux États-Unis une diplomatie mondiale. Elle se dégagerait simultanément de l’Otan et, coudées franches, mènerait politique multipolaire tous azimuts en s’appuyant sur son espace maritime, deuxième mondial. Elle s’appuierait enfin sur son héritage pour pratiquer un réalisme du temps long en ravivant son aura dans le monde par la culture, l’intelligence économique, ses relais francophones, son génie juridico-institutionnel, son savoir-faire militaire.

    L’identité de la France

    J’ai évoqué en commençant la fameuse citation gaullienne sur la France et sa diversité interne. La voici dans sa version intégrale : « C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leur djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »

    Qu’y ajouter ? Historiquement, culturellement, anthropologiquement définitif, le constat possède encore plus de force aujourd’hui, après quarante ans de mélange d’huile et de vinaigre, qu’au moment où il fut prononcé. Tout, absolument tout le valide, du quotidien au Bataclan. Seuls désormais les naïfs, les débiles ou les menteurs croient encore que la nationalité administrative, procédant du droit du sol, équivaut appartenance française. On convoque parfois pour soutenir cette nationalité contractuelle le fameux « plébiscite de chaque jour » d’Ernest Renan, en omettant de rappeler qu’il le liait à un « legs de souvenirs ». Et qu’il avait ouvert sa célèbre conférence Qu’est-ce qu’une nation ? par un péremptoire : « L’homme, messieurs, ne s’improvise pas », qui vaut aussi pour cet homme collectif qu’est un pays. Or ce sont de fait des peuples entiers qui sont entrés depuis quarante ans d’Afrique en France, bouleversant sa composition ethno-culturelle. L’immigration extra-européenne de masse n’a rien d’un phénomène naturel. Certains la font remonter aux accords d’Evian. A tort, car il ne s’agissait alors que de visas provisoires délivrés, avant retour au bled, à une immigration de travail masculine. Non, c’est le regroupement familial giscardo-chiraquien de 1976 qui a déclenché la déferlante. On sait depuis Descartes que « l’âme n’est pas dans le corps comme un pilote en son navire ». Mais s’il est déjà difficile de maîtriser les passions et les affects de sa propre chair, c’est impossible quand ce corps, par membres entiers, cesse de vous appartenir. Bref, le Général est validé !

    George-Marc Benamou, une des figures les plus répugnantes du politiquement correct francophobe, a raison avec ses semblables quand il accuse, s’appuyant sur la citation ci-dessus, De Gaulle d’être raciste. Si l’on précise qu’il l’est selon les canons de l’antiracisme « années 1980 » – autrement dit, qu’il ne l’est pas. Nous nous trouvons en revanche dans la situation qu’il  voulait prévenir – en danger de mort par balkanisation, lente ou rapide. Qu’y faire ? Supprimer, définitivement et sans retour, le regroupement familial, le droit du sol, les aides parasitaires, créer autour de ces mesures un climat remigratoire, placer chacun devant une France non négociable dans ses lois et, surtout, ses mœurs. En tout état de cause, il n’y aura pas de gel communautaire sous quelque compromis du « haïr-ensemble ». La France ne dispose pas en effet de l’« insularité » ni de la religiosité patriotique américaines, ni des ressources territoriales et du logiciel impérial de la Russie. L’alternative, c’est la France unitaire ou une guerre civile extérieure. C’en est le second membre qui, à l’heure présente, paraît tenir la corde. Mais le pire, donc, n’est jamais sûr.

    De Gaulle, quelle latitude ?

    Où vit aujourd’hui le gaullisme « AOC » fait d’indépendance nationale, de justice sociale et d’affirmation identitaire ? Dans le peuple, il est un poumon puissant. Mais seuls, majoritaires encore, et seuls légitimes, les Français maintenus cherchent désespérément leur élite. Le gaullisme, autrement dit, doit trouver ses hommes et ses hommes conquérir le pouvoir. Ils n’y parviendront pas sans créer ou, de manière plus réaliste, sans investir un mouvement politique en état de le faire.

    Qu’on décèle des éléments « gaulloïsants » chez Mélenchon, et il s’en trouve, qu’on juge vertueuse la trajectoire de Dupont-Aignan, intéressant surtout par son électorat, qu’on relève des personnalités authentiquement gaullistes chez les Républicains, comme Jacques Myard, ne change rien au fond de l’affaire. Sauf bouleversement radical du paysage politique par les secousses de l’histoire, que je redoute comme père autant que je les souhaite comme patriote, c’est aujourd’hui le Front national qui exprime par la force des choses, et comme malgré lui, les grands axes du gaullisme. S’il se mettait enfin à travailler sérieusement, il verrait que De Gaulle est à son ordre du jour – pas pour solder jusqu’à la fin des temps son passé d’extrême-droite, périmé par les tectonique des plaques, mais pour empoigner vigoureusement l’avenir. Il arrêterait alors peut-être d’opposer l’identité et la souveraineté dans un débat que ses protagonistes rendent, par limitation narcissique, totalement stérile. Et il se convaincrait que la souveraineté sans identité, portée par son aile gauche présomptueusement abstraite, est vide, tandis que l’identité sans souveraineté, imaginée par son aile droite concrètement bornée, est impuissante. Il revient à son chef d’opérer cette grande jonction –  maintenant, de toute urgence.

    Si ce n’est lui, le tronçon du glaive français sera ramassé tôt ou tard, mais peut-être trop tard, par une autre escouade nationale. Quoi qu’il en sera, plût à la république, à la nation, à la France éternelle que l’héritage de De Gaulle soit continué par des hommes capables de toute la vertu politique, virile et magnanime, dont le volcan de Colombey, d’où l’on est regardé avant d’y être vu, nous donne pour demain l’exemple absolu.

    Yannick Jaffré (Sévèrement français, 19 février 2017)

     

    Notes :

    [1] Le falot Général Giraud a été propulsé par Roosevelt à Alger en 1943 pour supplanter De Gaulle. Échec. Allied Military Government in Occupied Territory, « gouvernement militaire allié en territoire occupé » : mis en place en Italie, c’était le statut de sujet que les Américains avaient prévu pour la France. Échec.

    [2] Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, op. cit., ch.2, « Le Sauveur », Seuil, 1986,  p. 75.

    [3] De la démocratie en Amérique, Gallimard, 1961, « Avertissement à la douzième édition », p. 34.

    [4] Jean-Paul Bled, Bismarck, Tempus, 2011,p. 248

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  • De Gaulle et l'Allemagne...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Alain de Benoist, publié en janvier 1979 dans le Figaro magazine et consacré au général De Gaulle et à sa politique à l'égard de l'Allemagne.

     

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    EUROPE : DE GAULLE ET L’ALLEMAGNE

     

    « Non à l'Europe allemande ! » : c'est le thème de la campagne anti-européenne que mène actuellement le parti communiste, suivi par un certain nombre de membres du RPR. Le PC dénonce l’« Europe allemande » comme Drumont dénonçait la « France juive ». Et certains ne se cachent pas de vouloir « casser du Boche ». Les partis chauvins rêvent visiblement d'une Allemagne affaiblie, comme le fut l'Allemagne de Weimar après le Diktat de Versailles – dont Hitler sut si bien tirer parti. Mais l’étonnant, dans cette affaire, est que ces adversaires d'une prétendue « Europe allemande » n'hésitent pas à se réclamer de l'exemple du général de Gaulle, auquel ils prêtent d'emblée des sentiments anti-allemands et anti-européens.

    Or, en ce domaine, comme en bien d'autres, les vues du Général n'ont pratiquement jamais changé. De Gaulle a toujours considéré que le but à atteindre était l'« unité de l'Europe », que celle-ci résulterait de l’« association organisée de ses peuples, depuis l'Islande jusqu'à Istamboul et de Gibraltar à l'Oural », et qu'une telle association aurait pour épine dorsale l'alliance privilégiée de la France et de l'Allemagne.

    Dès avril-mai 1945, voyageant outre-Rhin, le Général constate la tragédie allemande, la famine, le désespoir, les destructions massives. « Je sentais, dira-t-il, se serrer mon cœur d'Européen, je sentais s'atténuer dans mon esprit la méfiance et la rigueur. Même, je croyais apercevoir des possibilités d'entente que le passé n'avait jamais offertes ». Quatre ans plus tard, il proclame : « La raison exige qu'il y ait un jour moyen d'établir entre le peuple allemand et le peuple français une entente pratique et directe ».

    Il s'y emploiera dès son retour au pouvoir. A l’issue de ses entretiens avec Adenauer, les 14 et 15 septembre 1958, à Colombey-les-deux-Eglises, il déclare : « Ce doit être fini à jamais de l'hostilité d'autrefois […] Nous avons la conviction qu'une coopération étroite entre la République fédérale d'Allemagne et la République française est le fondement de toute œuvre constructive en Europe ». L'année suivante, le 25 mars 1959, il répète : « La haine ne doit plus exister entre les deux peuples. Mieux même, elle doit faire place à l'amitié ». Et de rappeler que la réunification de l'Allemagne – « destin normal du peuple allemand » – est la condition même de la réunification de l'Europe entière.

    En butte à l'hostilité de certains de ses partenaires, qui ne comprennent pas sa position réservée à l'endroit de l'Angleterre, de Gaulle décide d'aller de l'avant et de « donner l'exemple », en proposant à Adenauer la constitution d'une Europe autonome à direction franco-allemande. Ce sera, déclare-t-il le 31 mai 1960, le socle de « cette Europe d'Occident, qui fut jadis le rêve des sages et l'ambition des puissants »… Dès le mois de juillet, les troupes françaises et allemandes défilent de concert au camp de Mourmelon.

    Le 2 juillet 1962, le général de Gaulle tire un trait sur un passé où les responsabilités furent partagées : « L'Allemagne et la France, en cherchant à s'imposer réciproquement leur domination pour l'étendre ensuite à leurs voisins, poursuivaient chacune pour son compte le vieux rêve de l'unité qui, depuis quelque vingt siècles, hante les âmes sur notre continent ». La même tendance qui opposait hier les deux pays, ajoute-t-il, pourrait demain les associer.

    Au mois de septembre de la même année, l'Allemagne, unanime, fait au Général un accueil triomphal. Le 4, saluant les élèves-officiers de l'école de guerre de Hambourg, de Gaulle leur déclare que la coopération franco-allemande constituera « la base d'une Europe dont la prospérité, la puissance, le prestige égaleront ceux de qui que ce soit ». Le 9, à Ludwigsburg, il s'adresse à la jeunesse : « Je vous félicite d'être de jeunes Allemands, c'est-à-dire les enfants d'un grand peuple. Oui ! d'un grand peuple ! qui parfois, au cours de son histoire, a commis de grandes fautes et causé de grands malheurs condamnables et condamnés. Mais qui, d'autre part, répandit de par le monde des vagues fécondes de pensée, de science, d'art, de philosophie, enrichit l'univers des produits innombrables de son invention, de sa technique et de son travail, déployant dans les œuvres de la paix et dans les épreuves de la guerre des trésors de courage, de discipline, d'organisation. Sachez que le peuple français n'hésite pas à le reconnaître, lui qui sait ce que c'est qu'entreprendre, faire effort, donner et souffrir ». « La base sur laquelle peut et doit se construire l'union de l'Europe, répète-t-il, le plus solide atout de la liberté du monde, c'est l'estime, la confiance, l'amitié mutuelle du peuple français et du peuple allemand ».

    Le 18, parlant au nom de la France, de Gaulle propose au gouvernement de Bonn la création d'une étroite union politique, culturelle et militaire. « Il y a une solidarité entre l'Allemagne et la France, déclare-t-il à cette occasion. De cette solidarité dépend la sécurité immédiate des deux peuples. Il n'y a qu'à regarder la carte pour en être convaincu. De cette solidarité dépend tout espoir d'unir l'Europe dans le domaine politique et dans le domaine de la défense, comme dans le domaine économique. De cette solidarité dépend, par conséquent, le destin de l'Europe tout entière depuis l'Atlantique jusqu'à l'Oural ».

    Dès lors, la voie était tracée. Elle aboutit à la signature, le 22 janvier 1963 à l'Elysée, du traité franco-allemand d'amitié et de coopération, qui allait servir de cadre aux relations entre les deux pays. Viendront ensuite l'Office franco-allemand pour la jeunesse, le Comité franco-allemand de coopération économique et industrielle, les jumelages de villes, les premiers « sommets » franco-allemand, etc.

    Reçu par le chancelier Ehrard, le 11 juin 1965, le général de Gaulle déclare : « Nous entreprenons, vous et nous, la construction de l'Europe occidentale. Ah, quelle cathédrale ! Eh bien, cette cathédrale, elle a une fondation et une fondation nécessaire, c'est la réconciliation de l'Allemagne et de la France. Elle a des piliers ou elle aura des piliers, et ces piliers, c'est la Communauté économique européenne qui doit les constituer. Et puis, quand ce sera fait, il y aura à placer les arceaux et le toit, c'est-à-dire la coopération politique. Et qui sait, quand nous aurons abouti, peut-être aurons-nous pris goût à bâtir de tels monuments, et peut-être voudrons-nous alors, et pourrons-nous alors, construire une cathédrale encore plus grande et encore plus belle, je veux dire l'union de l'Europe tout entière ! »

    Le général de Gaulle voulait l'Europe. Mais pas n'importe laquelle. Il s'agit, disait-il, de réunir tous les États européens afin d'en faire « l'une des trois puissances planétaires et, s'il le faut, un jour, l'arbitre entre les camps soviétique et anglo-saxon ». Dans cette perspective, pensait-il, la seule façon de prémunir les Allemands contre l’obédience « atlantiste » consiste, d'abord à leur offrir une « alternative » – l'alliance avec la France – et, ensuite, à faire d'eux des partenaires à part entière : « Pour faire l'Europe, il faut ancrer l'Allemagne. Elle est la base de l'Europe. Sinon, l'Europe partira à la dérive ». Comment s’étonner en effet qu’une Allemagne que l’on mettrait « à l’index » aille chercher ailleurs les garanties de son existence et de sa sécurité ?

    Cette idée et cette conviction, constamment réaffirmées par le général de Gaulle, beaucoup de gaullistes semblent aujourd'hui l'avoir oubliée. C'est en revanche Michel Poniatowski, dans L'avenir n'est écrit nulle part (Albin Michel, 1978), qui souligne : « Il est contradictoire de faire reproche à l'Allemagne de s'en remettre aux Etats-Unis des moyens d'assurer sa sécurité et, en même temps, de prétendre l'empêcher d'acquérir ou de participer aux moyens d'une défense autonome ». Loin d’être conforme à la pensée du Général, la campagne anti-allemande qui se développe aujourd'hui remet en question tout un acquis de l'héritage gaullien.

    Alain de Benoist (Le Figaro magazine, 6 janvier 1979)

     

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  • A droite et à gauche... (2)

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    "En raison de la la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leur familles, la poursuite de l’immigration pose aujourd’hui de graves problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables.

    La cote d’alerte est atteinte. (…) C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage.
    Je précise bien : il faut stopper l’immigration officielle et clandestine.
    Il faut résoudre l’important problème posé dans la vie locale française par l’immigration.

    Se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes.
    Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français.
    Quand la concentration devient très importante (…), la crise du logement s’aggrave.
    Les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d'aide sociale nécessaires pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes." 

     Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste français, dans L'Humanité du 6 janvier 1981

      

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    "Ce n'est pas tant l'Europe qui est fatiguée, ou vieille (selon un fantasme américain), que nous, esprits libres, qui sommes las de ce que l'Europe est devenue par son américanisation : non pas une poubelle ethnique, comme certains le soutiennent avec excès, mais, au contraire, un espace de disneylandisation ethnique, Disneyland n'étant pas seulement un parc d'attraction mais le modèle du « parc humain » de l'avenir, où l'esprit est mis à mal par le divertissement et le spectacle : Disneyland comme résurgence hédoniste des camps de concentration, en même temps que superstition née de la peur du vide. Cette intransigeante gestion de la sous-culture dominante nous en dit plus que bien des traités sur ce que nous sommes appelés à devenir."

    Richard Millet, Fatigue du sens (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)

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    "Quand le terrestre – le matériel – ne dispose plus d’une vocation propre à l’élever quelque peu au-dessus du sol et que son niveau ne dépasse guère celui des pâquerettes, les mots cultes tels "humanisme" ou "droits de l’homme" commencent à sonner singulièrement creux. La morale, démonétisée, n’a plus vraiment cours et l’on espère seulement que les poncifs médiatiques habituels feront illusion. Le langage, à son tour, se corrompt. A quoi se réduit alors la politique ? A la gestion empirique, au jour le jour, au coup par coup. Le critère est la réussite : quel que soit son objet, quels que soient les moyens, la fin les justifie. L’étrange est que les politiciens pour qui tout se mesure en productivité, statistiques et rentabilité, n’aient pas abandonné les cérémonies et symboles évoquant d’autres temps. On n’aura jamais autant salué le général de Gaulle en commémorations que depuis l’abandon de toutes ses leçons. On n’aura jamais autant invoqué ses principes depuis qu’ils sont tellement oubliés. Ont-ils une telle peur du vide ceux qui se travestissent en des servants d’un culte qu’ils ne professent plus ? Quand le vertige les saisit, ils parlent des valeurs qu’il convient de maintenir ou même de restaurer. L’ennui est qu’ils en parlent comme de valeurs boursières, en suivent leur cote dans l’opinion et ses fluctuations, en fonction de quoi ils en déterminent l’importance."

    Marie-France Garaud, Impostures politiques (Plon, 2010)

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    "Tant qu'on n'aura pas compris que les droits de l'homme ne peuvent être qu'une conséquence des droits des peuples, les droits des peuples à exister, à perdurer, à avoir leur terre, leur langue, leur autonomie, leur identité, leurs mœurs, leur façon d'écrire l'histoire et ainsi tout simplement leur avenir, on ne fera jamais avancer concrètement les droits humains. Car l'homme concret appartient à un peuple. C'est par la mise en oeuvre des droits des peuples – le droit notamment de contrôler leurs ressources-, de s'émanciper de la dictature mondiale des marchés, de l'empire de la finance – que les droits humains peuvent être pris en compte. L'homme est d'abord un être social, un être en communauté, un être politique."

    Pierre Le Vigan, La tyrannie de la transparence (L'Aencre, 2011)

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    "[...] BHL est certainement le modèle même du « faussaire », le maître absolu, le mètre étalon. Il a créé le prototype et en a fait une référence. [...] Il a bâti sa carrière en maniant sans vergogne le mensonge. Pour autant, il se présente comme l'archétype de l'intellectuel pesant sur la vie des idées et montrant par son engagement un dévouement désintéressé et sans limite pour les causes les plus nobles.

    BHL passe pour un intellectuel éclairant le public alors que c'est un désinformateur. Il passe pour quelqu'un de profondément engagé en faveur de la morale alors que c'est le cynisme même. Il passe pour un défenseur intransigeant de la liberté alors que c'est un maccarthyste virulent. Il passe pour un universaliste alors que c'est un communautariste forcené."

    Pascal Boniface, Les intellectuels faussaires (Jean-Claude Gawsewitch, 2011)

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    "Grâce à Internet, c’est la première fois que l’on voit la société à l’état brut. Sans la mince couche de civilisation qui fait que les relations humaines restent correctes. La violence sur le Net est extraordinaire. C’est l’état primitif de la vie ! C’est le point ultime de la modernité qui nous montre l’état primitif de la société. C’est fascinant. La société sophistiquée peut voir ce qu’elle serait sans sa sophistication.[...] Et cela me rend partisan du suffrage censitaire..."

    Alain Minc, dans un entretien donné à Paris Match (28 septembre 2010)

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    "Il s'est constitué à cette occasion dans la société française une superclasse dirigeante dont, pour parler comme le sociologue Pierre Bourdieu, la droite constitue la fraction dominante et la gauche, la fraction dominée, mais qui, en toute occasion, défend avec âpreté ses intérêts propres, transcendants par rapport aux péripéties de la démocratie électorale. C'est d'elle que je disais ici même, il y a quinze jours, qu'elle fait régner une connivence de tous les instants entre la banque, les affaires, l'administration, le barreau, la politique, le journalisme, parfois les arts, l'université, l'édition ...

    Si vous ne me croyez pas, allez faire un tour, à condition que l'on vous laisse entrer, à l'Automobile Club de France (hôtel Crillon), place de la Concorde, un soir où Le Siècle, le club de cette superclasse dirigeante, se réunit pour dîner. A défaut, vous verrez au moins les chauffeurs des limousines noires qui attendent patiemment la sortie de leurs maîtres. A l'intérieur, des hommes en costume gris et quelques femmes en tailleur sobre échangent des opinions, des adresses, des tuyaux, des services, parfois des fonctions, des positions sociales, voire des amants ou des maîtresses. Dans ce milieu fermé où les socialistes ont leur place à côté des gros bataillons de la droite française, fermente l'idéologie de la classe dominante: modernisme discret, bien-pensance sociale et culturelle, conformisme économique, respect absolu de la puissance de l'argent. La pensée unique, comme dit Jean-François Kahn, est là, et bien là. Il existe, derrière les apparences successives des combinaisons ministérielles, un gouvernement de facto, un gouvernement invisible des élites financières et institutionnelles, qui à défaut de dicter sa loi, fournit la pensée et inspire l'action des élites françaises."

    Jacques Julliard, dans l'article DSK, la gauche et l'argent, publié dans Marianne (4 au 10 juin 2011)

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