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dollar

  • Vers la fin du dollar ?...

    Le 30 mars 2023, Clémence Houdiakova recevait Guillaume Travers dans Ligne droite, la matinale de Radio Courtoisie, pour évoquer avec lui l'affaiblissement du dollar comme monnaie d'échange internationale.

    Professeur d'économie, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments et fondateur du laboratoire d’idées Champs Communs. Il a déjà publié Pourquoi tant d'inégalités ? (La Nouvelle Librairie, 2020), Économie médiévale et société féodale (La Nouvelle Librairie, 2020), Capitalisme moderne et société de marché (La Nouvelle Librairie, 2020) et La société de surveillance, stade ultime du libéralisme (La Nouvelle Librairie, 2021). Il est aussi l'auteur dans la collection Qui suis-je ?, aux éditions Pardès, d'un Werner Sombart (2022) et d'un Ernst Kantorowicz (2023).

     

                                              

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  • La guerre des monnaies...

    Le nouveau numéro de la revue Conflits (n°42, novembre - décembre 2022), dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré à la guerre des monnaies entre les États-Unis et la Chine.

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    ÉDITORIAL

    Pensée simple, monde complexe, par Jean-Baptiste Noé

    CHRONIQUES

    LE GRAND ENTRETIEN

    « La culture stratégique de nos élites est navrante ». Entretien avec le général Jean-Marie Faugère.

    IDÉES

    La transition de puissance au XXIe siècle et son implication sur la contestation de l'ordre juridique international : vers un retour de l'ordre westphalien, par Matthieu Grandpierron et Eric Pomès

    PORTRAIT

    Général Lloyd Austin, serviteur discret du Pentagone, par Hadrien Desuin

    ENJEUX

    GRANDE STRATÉGIE

    Guerre en Ukraine : le retour de l'artillerie, par Frédéric Jordan

    HISTOIRE BATAILLE

    Dobropolje (14-15 septembre 1918). La théorie des dominos, par Pierre Royer

    GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISE

    RIEN QUE LA TERRE

    GUERRE ET CULTURE

    CHEMINS DE FRANCE

    CARTE MAÎTRESSE

    LIVRE

    ART ET GÉOPOLITIQUE

     

    DOSSIER

    Dollar

    Guerre des monnaies, guerre des empires, par Jean-Baptiste Noé

    Billet vert et métal jaune : les piliers de la puissance américaine, par Arnaud manas

    Le long combat de Jacques Rueff contre John Maynard Keynes, par Samuel Cregg

    Dollar / renminbi : la guerre des monnaies, par Louis-Vincent Gave

    Bitcoin : le roi est nu, par Laurent Gayard

    La désintégration des monnaies implique la disparition de nos libertés, par Charles Gave

    Effets de réseau et démondialisation, par Charles Gave

    Money, money, money, le dollar œuvre d'art, par Martin Capistran

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  • Après la guerre d’Ukraine, un monde fragmenté...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur le site de Geopragma et consacré à la fracturation géopolitique du monde provoquée par la guerre russo-ukrainienne. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

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    Après la guerre d’Ukraine, un monde fragmenté. L’aspect monétaire et financier.

    Faire la guerre, ou à un degré plus limité, soutenir l’effort de guerre de quelqu’un, est un acte à la fois coûteux et risqué. D’où l’importance centrale des buts de guerre. Or en l’espèce, au-delà d’un point de départ évident (soutenir un État agressé et envahi),  l’évolution des buts de guerre occidentaux pose bien des questions, car elle remet sur certains points en question l’architecture même du monde que ces mêmes Occidentaux et notamment les Américains prétendent construire. Nous allons le voir sous l’angle monétaire et financier.

    La dérive idéologique occidentale

    J’ai évoqué ce sujet par ailleurs [1].  Je distingue trois grands types de buts de guerre: idéologiques, impérialistes et patriotiques. Je note que les deux premiers types favorisent les options guerrières, la première notamment, car une idéologie n’admet pas de compromis et tend à classer le monde entre bons et méchants. Ce faisant, on favorise l’ascension aux extrêmes que le processus de la guerre tend par ailleurs à produire. La guerre en Ukraine est sur ce plan particulièrement symptomatique. Côté occidental, surtout américain, la dimension idéologique a pris de plus en plus le dessus,  dans un grand récit de lutte des démocraties contre les régimes autoritaires. Cette attitude est dangereuse, notamment au vu de ce que cela signifie pour le monde de demain. Concrètement, sauf issue militaire improbable, la Russie fera partie du paysage international de demain. On peut évidemment désirer que l’issue de la guerre sera le moins favorable possible pour elle, et agir en ce sens. Mais sans de ce fait prendre de risque excessif, sans nourrir l’ascension aux extrêmes, et sans détruire des liens utiles ou des actifs. Déjà il était irrationnel de démanteler toutes les positions des entreprises occidentales en Russie, ou de boycotter sportifs et artistes russes. A fortiori de mettre en place des embargos dont les Européens souffrent au moins autant que les Russes.

    Un monde nouveau fragmenté

    Mais, au-delà de ces faits immédiats, ce qui frappe le plus est l’absence de vraie vision à terme, hors improbable réalisation du scénario dans lequel les démocraties, aidant les Ukrainiens à bouter les Russes hors de leur territoire, provoqueraient un changement de régime à Moscou, montrant par là au reste de la planète qu’il n’y a qu’une voie gagnante pour l’avenir. Nous ne savons pas comment se terminera cette aventure (indéniablement absurde et condamnable dans le cas russe) ; mais nous pouvons voir que, d’ores et déjà, les moyens déployés par les Occidentaux, y compris à travers les sanctions, façonnent en partie appréciable ce monde de demain. Et c’est vrai aussi en matière économique et financière.

    Il y avait déjà avant cette guerre une forte poussée de remise en cause de la conception antérieure, qu’on peut appeler de mondialisme ouvert, notamment du fait de la Covid. Avec la mise en évidence des risques appréciables qu’on pouvait courir, au niveau de la sécurité des approvisionnements, du fait de tels événements naturels, et cela tant au niveau national qu’à celui des entreprises. Mais avec les sanctions contre la Russie, un pas nouveau majeur a été accompli, car cette fois l’interruption résulte d’une volonté politique. et elle bouleverse la logique antérieure tant des échanges que des investissements. Du jour au lendemain, l’approvisionnement pétrolier et gazier d’origine russe s’est trouvé anathème ; de même la présence de la Société générale ou de Renault en Russie. Pour les entreprises, cela veut dire que pour l’avenir, quand vous investissez à quelque part, ou que vous vous y approvisionnez, si vous êtes occidental vous devrez inclure un facteur majeur de risque politique, non plus seulement par changement politique local comme par le passé, mais du fait de décisions des autorités de votre pays d’origine (ou de ses alliés). Bien sûr on en avait eu un petit avant-goût avec l’Iran. Mais les enjeux restaient alors limités : dès lors, on pouvait considérer que ce n’était qu’un cas particulier et que le reste de l’activité obéissait toujours aux règles antérieures. Ce n’est désormais plus le cas, car l’exemple russe est trop massif, trop porteur de précédents. Dit autrement, si le pays avec qui vous travaillez peut d’une façon ou d’une autre déplaire gravement à Washington, vous courez un risque élevé.

    Réciproquement, du point de vue desdits pays, la possibilité de telles ruptures est désormais avérée. Déjà significatif pour le pays moyen, le virage prend un sens tout particulier dans le cas de la Chine, en outre proche de la Russie. En bonne logique, la jurisprudence russe pourra s’appliquer demain à elle, et elle le sait. Elle ne peut qu’en tenir compte pour l’avenir.

    Le dilemme monétaire

    Il est en outre un domaine où ces considérations remettent tout particulièrement en cause les idées et les usages, qui est le domaine monétaire. On parle depuis longtemps et non sans motif du privilège exorbitant du dollar. Mais il reposait sur une idée implicite : que tout le monde pouvait investir et payer en dollar, et que le dollar était sûr, du moins politiquement. Or voici que non seulement les banques russes ont été exclues du système (et notamment des paiements par Swift, sauf exception), ou que les actifs d’une liste de personnages sont bloqués, mais surtout, les réserves mêmes de la Banque de Russie (en dollars et en euros, situées dans les pays occidentaux) ont été bloquées. Si on admet un ordre de grandeur de plus de 630 milliards (dont 40% au moins étaient dans les pays occidentaux en 2021), on voit l’importance de l’enjeu (le Financial Times parle de 300 milliards bloqués). Il est vrai que la Russie avait en partie prévenu le coup en transférant ses ressources hors d’Occident (où elles étaient à plus de 80 % en 2014) et en augmentant massivement son stock d’or, évalué à quelque 140 milliards de dollars, ce qui laisse au régime une marge de manœuvre, d’autant que le prix de l’or augmente. Mais désormais toute la planète sait que la sécurité des réserves d’un pays détenues dans un pays occidental n’est pas garantie. Certes on en reste à ce stade au blocage. Mais les fonds ne sont dès lors plus utilisables.

    La disruption serait bien entendue a fortiori encore plus grave si, comme certains le proposent (Josep Borrell par exemple), les Occidentaux dans leur escalade décidaient non plus simplement de bloquer, mais de confisquer ces actifs. Or si la chose est compliquée pour les oligarques (sociétés – écrans, questions judiciaires de responsabilité etc.), c’est à première vue plus facile pour les avoirs de la Banque centrale : ce sont des avoirs du pays, et ce pays en a agressé un autre, en lui infligeant des destructions massives. Quoi de plus simple politiquement que de financer en bonne partie la reconstruction de l’Ukraine (ce pour quoi les Ukrainiens par exemple évoquent jusqu’à 5 ou 600 milliards voire plus) avec l’argent de la Banque de Russie ? En clair, on façonne donc un monde dans lequel avoir des réserves dans une devise occidentale n’est plus une question purement monétaire ; ces réserves sont politiquement à risque.

    La même remarque vaut pour les transactions en dollars elles-mêmes. Les États-Unis ont décidé de bloquer les paiements par les Russes des échéances de leur dette extérieure (modeste il est vrai, qui s’élève à environ 50 milliards de dollars) – du moins si le créancier (ou sa banque) est américain. Certes, on savait déjà qu’il n’était pas innocent de faire de simples transactions en dollars : BNPP par exemple avait récemment dû payer une amende énorme pour des financements impliquant le Soudan, qui était alors sous embargo américain mais non européen. Pourtant aucune des parties n’était américaine ; mais la monnaie était le dollar (donc avec en bout de chaîne une compensation à New York). Là encore on pouvait espérer que cela resterait limité. Nous n’en sommes plus là. Maintenant quelqu’un qui a emprunté en dollars peut être déclaré en défaut de paiement (avec tout ce que cela entraîne) non pas parce qu’il n’a pas l’argent ou ne veut pas payer, mais parce que les États-Unis lui interdisent de payer !

    En réalité, c’est le sens même de ce qu’est une monnaie internationale qui change de sens. Ces monnaies (dollar et peut-être euro) ne sont plus neutres même dans leur usage par celui qui les détient. Elles sont en fait dans les mains du pouvoir politique du pays dont elles sont la monnaie, et il peut vous priver de vos actifs si vous lui déplaisez. En un sens, ce ne sont donc plus pleinement des monnaies.

    Je ne vais pas débattre ici du bienfondé de ces démarches, ni de leur efficacité. Je voudrais noter qu’on est là dans la construction d’un monde pour demain qui, hors le scénario improbable de la victoire totale, sera un monde plus fragmenté et politiquement polarisé, soit le contraire exact du monde défendu par ailleurs par les Occidentaux, Américains en tête. On risque alors de répéter la situation de 1945 : les démarches s’inscrivant pendant la guerre dans une logique de victoire ont alors débouché sur un rideau de fer – que les Alliés ne voulaient pas. De même ici : Russes et Chinois, et à leur suite bien d’autres, vont comprendre qu’ils ne pouvaient se fier aux outils communs que les Occidentaux présentaient comme mondiaux. Ils ont dès lors un intérêt majeur à développer les leurs, le plus découplé possible du reste. Quitte à continuer à jouer par ailleurs avec ces derniers lorsque le risque est jugé acceptable.

    La prétention universaliste de l’idéologie débouche donc sur l’effet contraire, celui d’un monde fragmenté, qui en matière monétaire est sans précédent dans l’histoire.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 13 juin 2022)

     

    Note :

    [1] Aide à l’Ukraine : quels sont nos buts de guerre ?

     

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  • Quand la santé de l’économie américaine n’est qu’apparente…

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question du dollar et de l'économie américaine... Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017). Son dernier essai est intitulé Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « La bonne santé de l’économie américaine n’est qu’apparente… »

    On connaît la phrase fameuse de Henry Kissinger : « Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème. » On en est toujours là ?

    Cela s’est même aggravé. En 1973, la fin du système de Bretton Woods avait consacré le règne de l’étalon-dollar comme première monnaie de réserve mondiale et inauguré l’ère de la mondialisation, en permettant aux États-Unis d’acheter ses produits à crédit au reste du monde et de financer des déficits courants extraordinairement élevés en vendant des obligations du Trésor à leurs partenaires commerciaux au lieu de payer leurs importations avec de l’or.

    Depuis, les États-Unis ont imposé la règle selon laquelle toute transaction utilisant des dollars américains relève automatiquement de la juridiction américaine, même si elle ne concerne que des sociétés non américaines effectuant une transaction en dehors des États-Unis. Tous les pays sont également dans l’obligation de s’aligner sur les sanctions décrétées par les États-Unis sous peine d’être sanctionnés à leur tour. En 2014, BNP Paribas avait ainsi écopé d’une amende de près de neuf milliards de dollars pour avoir violé des embargos décidés par les États-Unis en effectuant des transactions en dollars. Plus récemment, la Chine a été sanctionnée pour avoir acheté des systèmes d’armement à des entreprises russes. En France, Total et Peugeot ont dû rompre leurs relations commerciales avec l’Iran au seul motif que Donald Trump a décidé de sortir de l’accord conclu par son prédécesseur avec Téhéran.

    Enfin, l’adoption, l’an dernier, du « Cloud Act » (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act) permet maintenant à l’État américain d’accéder à sa guise aux données sensibles de tout acteur économique sous le coup d’une enquête de la Justice américaine, y compris les données stockées à l’étranger.

    On dit que l’économie américaine se porte bien et que le chômage est au plus bas (moins de 4 %).

    Parce qu’on ne comptabilise plus tous les chômeurs ! Si l’on réintègre dans les statistiques les « discouraged workers », c’est-à-dire ceux qui ont renoncé à chercher un emploi, soit 23 millions de personnes, on constate que le véritable taux de chômage est beaucoup plus élevé : 10,5 %, selon les plus optimistes, et jusqu’à 23 %, selon les autres. La population active a augmenté de 21 millions depuis 2007, mais seulement deux millions d’entre eux ont aujourd’hui un travail à plein temps. Au total, il y a aujourd’hui 95 millions d’Américains aptes au travail qui n’ont pas d’emploi. Le tout sur fond de stagnation des salaires et des revenus, de désindustrialisation et d’envol des inégalités entre les 1 % les plus riches et la grande majorité de la population.

    La bonne santé de l’économie américaine est seulement apparente. Vous savez qu’en février 2017, les États-Unis ont purement et simplement décidé d’abandonner le plafonnement de leur dette, que George W. Bush avait déjà fait doubler, suivi par Obama, qui en a fait autant. L’endettement public, qui n’était que de 280 milliards de dollars en 1960, a atteint 22.000 milliards de dollars en 2018, et l’on prévoit déjà que l’on arrivera à 30.000 milliards d’ici à dix ans, soit une augmentation de trois milliards de dollars par jour ! Si l’on ajoute à la dette fédérale brute (108 % du PIB) celle des États (state debt), des comtés et des municipalités (local debt), on arrive à près de 120 % du PIB. Et si l’on ajoute encore la dette des particuliers et des ménages, on arrive au chiffre astronomique de 72.000 milliards de dollars, soit 86 % du PIB mondial et 3,5 fois le PIB américain !

    Les chiffres publiés le mois dernier montrent, par ailleurs, que le déficit commercial américain vis-à-vis de la Chine a pulvérisé, une fois encore, son record historique en s’établissant à 43,1 milliards de dollars pour le seul mois d’octobre. Ce qui signifie que Trump a déjà perdu la guerre commerciale qu’il a lancée contre Pékin ; ce qui n’a rien d’étonnant, car les États-Unis dépendent beaucoup plus de la Chine pour leurs importations que la Chine ne dépend des États-Unis pour les siennes.

    En fait, les États-Unis sont un pays virtuellement en faillite, qui ne peut plus survivre qu’en s’endettant à un rythme de plus en plus rapide. La dette ne sera, bien sûr, jamais remboursée, et il n’est pas exclu que même les intérêts ne puissent plus être payés. À l’heure actuelle, le seul service de la dette représente 333 milliards de dollars par an ! Dans ces conditions, le dernier atout des Américains tient au fait qu’un effondrement des États-Unis aurait des conséquences catastrophiques pour la plupart de ses partenaires, à commencer par la Chine. Mais cela ne signifie pas qu’à la faveur d’un nouveau krach mondial, cet effondrement ne puisse pas se produire, ce qui serait dramatique pour les épargnants et les cotisants des sociétés d’assurances et des fonds de pension. On ne peut écarter, dans cette perspective, la possibilité d’une guerre civile dans un pays où 300 millions d’armes à feu sont en circulation.

    Il y a quatre ans, nous avions déjà parlé de cette « dédollarisation » qui pourrait mettre un terme à l’hégémonie mondiale de la monnaie américaine. Où en est-on ?

    Même si la majeure partie des échanges internationaux restent réglés en dollars, les efforts de dédollarisation se poursuivent, malgré les menaces de Washington contre quiconque tente de fuir le système. Les États-Unis représentent une part de plus en plus petite de l’économie mondiale et subit la pression d’autres acteurs, à commencer par les BRICS*. Mais il faut bien comprendre qu’il n’est pas facile de s’entendre sur une unité de compte mondiale de remplacement. Les propriétaires étrangers de dette américaine savent très bien qu’ils ne seront jamais remboursés, mais ils savent aussi qu’en cherchant à se débarrasser de leurs bons du Trésor américains, ils risquent de provoquer un effondrement du marché des obligations qui leur serait préjudiciable. Si nombre de partenaires commerciaux des États-Unis continuent d’investir leurs surplus de dollars dans des actifs libellés en dollars, c’est aussi qu’une conversion de ces surplus dans leur propre monnaie entraînerait une appréciation de leur monnaie et, donc, une baisse de leurs exportations.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 janvier 2019)

    * NDLR : BRICS, acronyme anglais pour désigner un groupe de cinq pays : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

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  • Quand l'argent pue...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dimitry Orlov, cueilli sur De Defensa et consacré à l'indispensable dédollarisation du monde. De nationalité américaine, mais d'origine russe, ingénieur, Dimitry Orlov, qui a centré sa réflexion sur les causes du déclin, voire de l'effondrement, des civilisations, est l'auteur d'un essai traduit en français et intitulé Les cinq stades de l'effondrement (Le Retour aux sources, 2016).

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    Quand l'argent pue

    L’expression “pecunia non olet”(l’argent n’a pas d’odeur) aurait été pondue (sans jeu de mots) par l’empereur romain Vespasien qui régna de 69 à 79 après J.-C. Elle signifie généralement que la valeur de l’argent reste la même quelle que soit la façon dont il a été obtenu. (Eh bien, dites-le à une équipe de blanchiment d’argent !) Vespasien avait raison : la monnaie romaine était principalement utilisée sous forme de pièces d’argent qui tiraient leur valeur de leur teneur en argent plutôt que de toute autre chose.

    Mais déjà à l’époque, l’argent romain commençait à puer un peu : en 64 après J.-C., l’empereur Néron a dégradé les deniers de 25% en y mélangeant du cuivre. Ce processus a suivi son cours au IIIe siècle après J.-C., alors qu’un denier typique était composé de plus de 50 % de cuivre. Puis l’empereur Caracalla a introduit une pièce de deux deniers qui pesait 1,5 fois plus – une dépréciation supplémentaire de 25%. Il ne fait aucun doute que les légionnaires romains chargés de protéger les frontières de Rome contre les barbares de plus en plus nombreux, et qui étaient payés avec cet argent de moins en moins précieux, pensaient qu’il puait vraiment, et agissaient en conséquence, comme les barbares.

    Défilement rapide jusqu’à aujourd’hui, quand la pièce de monnaie impériale est devenue le dollar américain. Contrairement à la monnaie romaine, qui a perdu 75% de son argent en trois siècles, le dollar américain a perdu 96% de sa valeur, pour chaque dollar émis en 1900. Il a été, pendant un certain temps, convertible en or, mais cela a pris fin en 1970 après un recours massif aux réserves d’or des États-Unis. Depuis lors, sa valeur n’est plus attachée à rien mais elle reste soutenue par plusieurs forces. D’abord et avant tout, l’inertie pure et simple – la majeure partie du commerce international est réglée en dollars américains – est suivie de la menace de violence contre quiconque tente de fuir le système du dollar américain (comme l’Irak et la Libye, par exemple).

    Mais ces forces sont appelées à s’affaiblir avec le temps. Comme les États-Unis représentent une part de plus en plus petite de l’économie mondiale et que d’autres acteurs commencent à revendiquer une part de plus en plus grande du commerce mondial, l’inertie se dissipe. Et menacer de violence la Russie, la Chine et même l’Iran n’est pas particulièrement efficace parce que tous ces pays sont parfaitement capables de menacer les États-Unis en retour.

    Le dollar américain pue à bien d’autres égards. Le plus important est la situation financière terminale des États-Unis dans son ensemble : c’est, selon toutes les estimations raisonnables, un pays en faillite qui ne peut survivre qu’en s’endettant à un rythme de plus en plus rapide. Il n’y a aucune prétention que les dettes seront jamais remboursées ; les seuls moyens d’en sortir sont la dévaluation ou la défaillance (ou une combinaison des deux). Même le simple report de la dette deviendra impossible si les taux d’intérêt reviennent à leur moyenne historique. Comme Poutine l’a dit lors de la récente conférence internationale de Vladivostok, à laquelle ont participé les dirigeants de toutes les grandes nations asiatiques, c’est “un problème sans solution”.

    Les exigences juridiques et réglementaires de plus en plus onéreuses en matière de transactions en dollars américains viennent au deuxième rang. Toute transaction, quelle qu’en soit la taille, qui utilise des dollars américains relève automatiquement de la juridiction américaine. De son côté, le gouvernement américain a utilisé ce détournement de compétences à son avantage en punissant ses rivaux économiques et géopolitiques. Le scandale le plus récent concerne les sanctions que les États-Unis ont jugé bon d’imposer aux Chinois pour avoir acheté des systèmes d’armes à des entreprises russes déjà sanctionnées. La Chine n’a pas le droit d’acheter des armes fabriquées aux États-Unis, alors il ne s’agit même pas ici de faire mal à des concurrents, mais plutôt de faire du mal à tout le monde afin d’empêcher la Russie de prendre la première place en terme de ventes d’armes (elle est actuellement numéro deux après les États-Unis). Ajoutez à cela la menace omniprésente de voir ses fonds en dollars américains gelés à tout moment sur n’importe quel prétexte inventé, et il y a toutes les raisons de cesser d’utiliser le dollar américain. Mais comment ?

    La “dédollarisation” est actuellement un sujet de discussion très brûlant dans le monde entier. Bon nombre de pays, de manière bilatérale, notamment la Russie et la Chine, la Russie et la Turquie et plusieurs autres, sont déterminés à commencer à négocier dans leur propre monnaie, contournant ainsi le dollar américain. Mais il y a 180 monnaies en circulation dans le monde qui sont reconnues par l’ONU, et cela crée un petit problème. Tant que tout le monde transige avec le dollar américain, il en résulte un système en étoile avec le dollar américain en son centre. Pour commercer, tout le monde convertit sa devise en dollars, puis la reconvertit à nouveau en monnaie locale. Comme il est généralement plus coûteux d’acheter des dollars que de vendre des dollars, il existe une sorte de “taxe sur le dollar” que tout le monde doit payer, tandis que les États-Unis peuvent gagner de l’argent simplement en mettant des dollars américains à disposition. Ça n’a pas l’air très juste.

    D’un autre côté, il y a certains avantages à utiliser le dollar américain. Tout d’abord, il est très liquide : si vous avez besoin de trouver une grosse somme de dollars à la hâte, il suffit généralement d’un seul appel téléphonique, alors que pour certaines devises mineures, cela peut prendre un temps et des efforts considérables pour trouver la somme nécessaire. Deuxièmement, il a été relativement stable, avec une volatilité relativement faible par rapport à d’autres devises, ce qui rend la détention de dollars moins risquée que celle d’autres devises plus volatiles. Enfin, pour une entreprise qui fait des affaires à l’échelle internationale, la tenue d’une seule liste de prix, en dollars, représente beaucoup moins d’efforts que la tenue de listes de prix distinctes dans chaque monnaie nationale.

    Toutefois, il va de soi que si les avantages de continuer à utiliser le dollar américain dans le commerce international sont limités, les inconvénients potentiels sont incalculables : si les États-Unis et le système du dollar faisaient faillite de manière catastrophique, les dommages causés aux relations commerciales de chacun seraient également catastrophiques. De plus en plus de pays prennent conscience de ce fait et établissent des swaps de devises et d’autres moyens pour faciliter le commerce international dans leur propre monnaie. Le problème ici est la complexité même d’un tel système. Avec la disparition du dollar américain, le diagramme en réseau des monnaies du monde devient plus complexe, car il y a 180 nœuds au lieu de quelques-uns seulement.

    Une alternative est de laisser la Chine prendre le relais. C’est déjà la deuxième plus grande économie du monde après les États-Unis, et la plus grande économie du monde par sa parité de pouvoir d’achat (les Chinois gagnent moins d’argent dans l’absolu mais ont un meilleur pouvoir d’achat que les Américains). La situation financière de la Chine est presque un miroir opposé à celle des États-Unis : c’est exactement le contraire de la faillite, avec d’importants excédents et réserves de changes avec en bonus, des réserves d’or en expansion constante. Mais la Chine a tendance à être un acteur prudent et préfère les approches graduelles, ce qui rend peu probable un remplacement suffisamment rapide du dollar (USD) par le yuan (CNY).

    Lorsqu’il s’agit de questions susceptibles d’influer sur la stabilité de l’ensemble du système financier mondial, la prudence et les précautions sont de bon augure. D’un autre côté, vous vous demandez peut-être de quelle stabilité il s’agit. L’actuel résident intellectuellement déficient de la Maison-Blanche aime se réveiller le matin et déclencher une autre guerre commerciale. Il a doté diverses autres personnes au sein du gouvernement américain de l’autorité d’imposer à elles seules des sanctions financières à des pays, des entreprises et des particuliers partout dans le monde. Le déficit budgétaire fédéral américain s’élève à 1 000 milliards de dollars par an, et ce alors que l’économie est censée bien se porter. Mais ce n’est bien sûr pas le cas : il y a près de 100 millions de chômeurs de longue durée ; l’inflation (si l’on inclut le logement, l’éducation et la médecine) est effrénée ; le pays est parsemé de municipalités et d’États insolvables, etc. L’inégalité de la richesse aux États-Unis atteint les niveaux où les pays ont tendance à exploser politiquement. Peut-être plus important encore, la qualité des élites dirigeantes aux États-Unis, qui était assez élevée il y a quelques générations à peine, est maintenant devenue abyssalement faible. Ce n’est pas seulement Trump qui est intellectuellement inquiétant ; c’est aussi le cas de tous les autres. Ils feront tout ce qu’ils peuvent pour perpétuer la fiction selon laquelle les États-Unis sont toujours riches et puissants – jusqu’à ce que les lumières s’éteignent.

    Pourtant, il serait imprudent de paniquer, parce qu’en cas de panique, tout le monde s’effondrerait d’un coup. La bonne approche de la dédollarisation consiste à y travailler avec diligence, tous les jours, en poursuivant une stratégie qui minimisera ses pertes. L’effondrement du système du dollar américain ne sera pas une occasion de se faire de l’argent pour la plupart des gens dans le monde. Au lieu de cela, il faut choisir entre perdre un peu ou tout perdre, et je conseillerais la première solution. (...)

    Dimitry Orlov (De Defensa, 24 septembre 2018)

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  • De Gaulle et les Américains...

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    La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 82, janvier - février 2016).

    Le dossier central est consacré à De Gaulle et à ses rapports avec les Américains. On peut y lire, notamment,  des articles de Pierre-Yves Rougeyron ("1940-1945 : Le duel de Gaulle-Roosevelt"), de Hervé Giraud ("Giraud et les Américains"), de Nicolas Vimar ("La France devient une puissance nucléaire"), de Philippe Fraimbois ("1966. La France sort de l'OTAN"), de Gaël Moulec ("De l'Atlantique à l'Oural : De Gaulle et l'Union soviétique"), de Martin Benoist ("De Gaulle en Roumanie ou le temps des illusions") et de Lionel Rondouin ("De Gaulle et Jacques Rueff. Contre le dollar-roi").

    Hors dossier, on pourra lire, en particulier, deux entretiens, l'un avec Bernard Lugan ("Comprendre le chaos libyen") et l'autre avec Thierry Buron ("La nouvelle Allemagne"), ainsi que des articles d'Emma Demeester ("Gambetta. La République et la patrie"), de Péroncel-Hugoz ("Anne de Kiev, reine capétienne"), d'Yves Morel ("1829-2015. Pourquoi le désastre grec ?"), de Rémy Porte ("1915-19-16 : Martyre et renaissance de l'armée serbe") et de Jean-François Gautier ("Les militaires et la musique"), ou encore les chroniques de Péroncel-Hugoz et de Philippe d'Hugues....

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