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cicéron

  • Vers de nouvelles insurrections...

    Le nouveau numéro de la revue Éléments (n°198, octobre - novembre 2022) est en kiosque!

    A côté du dossier consacré aux désobéissants, on découvrira l'éditorial d'Alain de Benoist, les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» , un choix d'articles variés et des entretiens, notamment avec le professeur de la Sorbonne Marc Dambre, le philosophe Loïc Chaigneau, l'essayiste Benoît Rayski , le directeur de l'hebdomadaire allemand Junge Freiheit Dieter Stein et la candidate à l'élection présidentielle Marine Le Pen...

    Et on retrouvera également les chroniques de Xavier Eman, d'Olivier François, de Laurent Schang, d'Hervé Juvin, de Nicolas Gauthier, de Bruno Lafourcade, de Guillaume Travers, d'Yves Christen, de Bastien O'Danieli et de Slobodan Despot ainsi que le reportage de Daoud Boughezala ...

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    Au sommaire de ce numéro :

    Éditorial

    La fin de la « communauté internationale ». Par Alain de Benoist

    Agenda, actualités

    L’entretien

    Génération Hussards, entretien avec Marc Dambre. Propos recueillis par Thomas Hennetier

    Cartouches

    L’objet disparu : le flipper. Par Nicolas Gauthier

    Une fin du monde sans importance. Par Xavier Eman

    Godard, Dominique de Roux et moi. Par Michel Marmin

    Cinéma : Michael Winner le maudit. Par Nicolas Gauthier

    Champs de bataille : Gustave II Adolphe de Suède. Par Laurent Schang

    Le saltimbank, 1ère partie : le nanti-système. Par Bruno Lafourcade

    Le grand roman du Kremlin. Par Christopher Gérard

    In memoriam : François-Bernard Huyghe. Par Pascal Eysseric

    Le Nid, un incubateur pas comme les autres. Propos recueillis par Claude Chollet

    Économie. Par Guillaume Travers

    Quel cirque ! Le regard d’Olivier François

    Bestiaire : les insectes peuvent-ils souffrir ? Par Yves Christen

    Sciences. Par Bastien O’Danieli

    Le combat des idées

    Ils ont tué Daria Douguina ! Par Pascal Eysseric

    Le mythe du complot interne contre Poutine, les élites derrière le Kremlin. Par Stéphane Brizzi

    Rendez-vous en terre inconnue : Eurodisney a trente ans ! Par Daoud Boughezala

    Le wokisme vu de Marx : l’éclairage incisif de Loïc Chaigneau. Propos recueillis par David L’Épée

    Alain de Benoist au plus intime, l’exil intérieur comme être-au-monde. Par Alain Lefebvre

    Dominique Venner vu par Benoît Rayski : éloge du guerrier réprouvé. Propos recueillis par Nicolas Gauthier et Pascal Eysseric

    Thomas Clavel et les femmes : l’anti-Despentes. Par Anne Letty

    Penser le féminisme hors du politiquement correct : 7 théoriciennes à lire. Par David L’Épée

    Chère pouffiasse, Virginie Despentes en Miss Boudin. Par François Bousquet

    L’esclave, une ressource d’avenir, comment sauver le système. Par Guillaume Travers

    Hervé Juvin et Bernard Carayon : le débat sur le « made in France ». Propos recueillis par François Bousquet et Pascal Eysseric

    Reconstruire l’avenir de l’énergie nucléaire : jusqu’où devons-nous aller ? Par Éric Blanc

    L’Allemagne vue de droite : Junge Freiheit, l’hebdo jeune et libre. Par Anne-Laure Blanc

    Allemagne, la course à l’abîme : un entretien avec Dieter Stein. Propos recueillis et traduits par Anne-Laure Blanc

    La Bibliothèque du Conservatisme, une oasis de résistance à Berlin. Par Anne-Laure Blanc

    Semper Sempé, la douceur conquérante. Par Christophe A. Maxime

    Une herbe sauvage, les vies de Falk van Gaver. Par Olivier François

    Dossier

    Les désobéissants

    Notre sondage exclusif sur la désobéissance : entre révolte et dissidence. Par Jérôme Sainte-Marie

    Entretien avec Marine Le Pen : « Nous, les nouveaux tribuns de la plèbe ». Propos recueillis par Pascal Eysseric et Nicolas Gauthier

    À la Fête de l’Huma avec François Ruffin : recherche classes populaires désespérément. Par Pascal Eysseric

    La « grande démission », maladie terminale de la civilisation ? Par Guillaume Travers

    Appel à une génération démissionnaire. Par Violaine Malleterre

    Panorama

    L’œil de Slobodan Despot

    Reconquête : réfutation du survivalisme. Par Slobodan Despot

    La leçon de philo politique : Cicéron. Par Ego Non

    Un païen dans l’Église : Les œuvres de chair d’un moine solitaire au monastère de Brou dans l’Ain. Par Bernard Rio

    C’était dans Éléments : pourquoi le peuple déserte la gauche. Par Alain de Benoist

    Éphémérides

     

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  • Cicéron et les devoirs du citoyen...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque l'idéal du Bonus vir et honestus civis, de l’homme bon et du citoyen honnête selon Cicéron.

     

                                         

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  • L'Antiquité et l'avenir de l'Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Raphaël Doan, cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'importance de l'enseignement de l'héritage gréco-latin pour l'avenir de notre civilisation...

    Agrégé de lettres classiques, Raphaël Doan est l'auteur de Quand Rome inventait le populisme (Cerf, 2019).

     

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    Latin et grec supprimés à Princeton : « Et si l'Antiquité était au contraire meilleure guide pour l'avenir ? »

    Depuis quelques mois, les milieux universitaires américains sont agités par une polémique improbable: l'étude du monde gréco-romain serait-elle un repaire du fameux «racisme systémique»? Accusés à la fois d'avoir servi de justification aux pratiques coloniales du XIXe et du XXe siècles, d'usurper la place de langues antiques moins connues et d'être un obstacle à la diversité sociale dans l'enseignement supérieur, le grec et le latin voient leur prééminence remise en cause par des militants adeptes de la «critical race theory». Si certains ne voulaient y voir qu'un salutaire débat sur le sens de leur discipline, il faut se rendre à l'évidence: cette offensive sert désormais à justifier la suppression du latin et du grec dans l'enseignement supérieur américain. Au nom de la lutte contre le racisme systémique, la célèbre université de Princeton vient d'annoncer que le latin et le grec ne seraient plus obligatoires pour les étudiants en classics, c'est-à-dire… pour étudier la littérature grecque et romaine. On pourra donc obtenir un diplôme de lettres antiques à Princeton sans être capable de lire un mot de grec ou de latin, ce qui est aussi logique que d'être diplômé de mathématiques sans savoir faire une addition.

    Passons sur la tactique interne des départements universitaires qui espèrent probablement, en baissant ainsi les exigences, recruter plus d'étudiants pour accroître leurs financements. On comprendrait que, faute de candidats suffisamment nombreux, ils renoncent à exiger la maîtrise des langues anciennes à l'entrée dans le cursus ; après tout, on peut tout à fait commencer à les pratiquer dans l'enseignement supérieur. Mais pour la même raison, il est parfaitement illogique de renoncer à l'obligation de les étudier pendant le cursus. Une telle révolution, qui pourrait un jour ou l'autre arriver en France, est bien le fruit d'une idéologie qui vise à dénier au grec et au latin leur prééminence dans l'étude du monde antique, et, plus largement, leur utilité dans le monde moderne.

    Car c'est bien de cela qu'il s'agit: au-delà des délires propres aux tenants du «racisme systémique», la place des langues anciennes dans la société contemporaine est précaire. Depuis longtemps – en réalité, depuis la fin du XIXe siècle au moins – des pédagogues en dénoncent l'inutilité, des sociologues y voient de l'élitisme, et des gestionnaires en condamnent le coût. En France, sous l'Ancien Régime et jusqu'en 1863, un apprentissage intensif du latin était la base obligatoire de toute instruction secondaire, avant même l'étude du français. Il resta prépondérant pendant toute la première moitié du XXe siècle, avant de connaître un lent déclin pour laisser place à d'autres matières jugées plus indispensables au monde moderne.

    Le latin et le grec se trouvent désormais dans un cercle vicieux. Leurs enseignements ayant été réduits à peau de chagrin et saccagés par de mauvaises méthodes d'apprentissage, l'immense majorité des lycéens ayant choisi cette option est aujourd'hui incapable, après cinq ans d'étude, de traduire une phrase basique, encore moins, évidemment, de lire un texte. Au bac, ils se contentent d'apprendre par cœur la traduction française, puisqu'ils connaissent d'avance le sujet de l'examen, et obtiennent 18/20. Cette situation est absurde et ne peut plus durer: qui accepterait qu'après cinq années à apprendre l'espagnol, aucun élève de la classe ne soit capable d'en lire une seule phrase? Certes, on leur inculque pendant ce temps quelques notions de civilisation antique ; mais à tout prendre, ils pourraient les recevoir en cours d'histoire. Une telle situation alimente les critiques de ceux qui ne voient dans ces langues mortes qu'une perte de temps quand nos élèves pourraient apprendre, au choix, le marketing ou le code informatique.

    Face à cet échec, deux attitudes s'opposent, toutes deux compréhensibles. La première – c'est celle du grand historien Paul Veyne – serait de renoncer entièrement à l'enseignement des langues anciennes dans les études secondaires, pour les réserver à l'enseignement supérieur, où elles seraient correctement étudiées. En somme, mieux vaut apprendre le latin tard et bien que tôt et mal. Cela reviendrait à réserver les langues anciennes à une petite poignée d'experts ; le latin et le grec y auraient à peu près le même statut que le sanskrit ou les hiéroglyphes, des langues pour spécialistes. Les Grecs et les Romains ne seraient plus pour nous que des étrangers à moitié oubliés.

    La seconde option, qui a ma préférence, est au contraire de raviver l'enseignement des deux langues dans le secondaire, de manière à offrir aux élèves la «familiarité avec l'Antiquité» selon laquelle, disait Guizot, «on n'est qu'un parvenu en fait d'intelligence.» Ce n'est pas un choix pédagogique ou technique: c'est, pour employer un gros mot, un choix de civilisation. Dans toute l'histoire européenne, et particulièrement dans l'histoire de France, la fréquentation de l'antique a constitué le moteur des avancées politiques et culturelles. Les rois du Moyen-Âge voulaient prolonger l'Empire romain ; notre droit y a puisé sa source ; nos artistes y ont sans cesse trouvé l'inspiration. Jusqu'à la fin des Trente Glorieuses environ, nos chefs d'État ont été baignés par les textes antiques ; Georges Pompidou échangeait des blagues en latin avec Jean Foyer au sortir du conseil des ministres. Si leurs discours nous paraissent incomparablement meilleurs que ceux du personnel politique actuel, c'est qu'ils étaient nourris de rhétorique ancienne. Ce qui relie de Gaulle et Louis XIV, Bergson et Descartes, Ingres et Poussin, mais aussi, plus modestement, le bachelier de 1930 à l'étudiant de 1770, c'est que toutes ces personnes ont lu les mêmes textes dans la même langue et ont puisé à la même source: le monde classique. En l'absence de ce lien commun, notre culture - nous le voyons bien depuis quelques décennies - risque l'archipélisation, chacun ayant ses propres références et ses propres modèles. Face à une société déboussolée, quel meilleur guide pour l'avenir que celui que nous avons toujours eu: l'Antiquité?

    En pratique, pour restaurer l'enseignement du latin et du grec, deux évolutions seraient nécessaires. D'abord, il faudrait permettre à tous les élèves de bénéficier d'une initiation à l'une des deux langues, avant de leur proposer de suivre un enseignement approfondi – et que cet enseignement soit proposé dans tout collège et tout lycée de France. Ensuite, il faudrait que les langues anciennes soient enseignées comme des langues vivantes, l'expression orale en moins. Ce n'est en général pas le cas aujourd'hui, où l'analyse technique de la phrase précède et obscurcit la simple recherche du sens: les élèves passent plus de temps à chercher les conjonctions de coordination ou les compléments circonstanciels qu'à tenter de comprendre simplement ce que veut dire la phrase, pour finalement apprendre par cœur une traduction sans lien avec le texte. Rappelons tout de même que le latin et le grec ont été des langues vivantes, parlées par des millions de personnes dont beaucoup étaient illettrées: il n'y a pas de raison que les élèves ne parviennent pas à les comprendre aujourd'hui encore, à condition de les enseigner… comme de vraies langues, c'est-à-dire en prenant les mots dans l'ordre, et en déduisant au fur et à mesure le sens de la phrase, sans avoir besoin de la réorganiser ni de recourir à du jargon linguistique.

    C'est ainsi que l'enseignent déjà certains professeurs (1), et heureusement, de plus en plus de cercles de «latin parlé» se développent. On a même vu paraître une édition de la méthode Assimil dédiée au latin. Appuyons-nous sur ces heureuses initiatives pour apprendre les langues anciennes de manière à les comprendre. Car c'est bien le but de cet apprentissage: il faut qu'après quelques années seulement, un élève attentif puisse lire du latin dans le texte, aussi bien qu'il lirait de l'anglais. Ce n'est qu'ainsi qu'il pourra réellement apprécier le rythme et les sonorités de la poésie de Virgile, la logique des argumentations de Cicéron ou la puissance des images de Tacite. Il se forgera un goût plus sûr de la langue, de l'expression et du raisonnement. Alors seulement les langues anciennes seront réellement utiles: quand elles permettront d'accéder sans intermédiaire aux modèles qui ont forgé notre civilisation, et de s'en inspirer pour créer du nouveau. Là où l'idéologie à la mode aux États-Unis s'évertue à couper le lien qui nous unit à l'Antiquité, travaillons à en retrouver la fécondité.

    Le président de la République a appelé de ses vœux, dans un récent entretien, le début d'une «nouvelle Renaissance». Mais on ne «réinvente» pas une civilisation sans modèle. C'est en voulant restaurer l'Antiquité que la Renaissance du XVe siècle a fait naître notre modernité. Restituer l'enseignement des langues anciennes, c'est tisser de nouveau une familiarité avec ce qui, depuis des siècles, nous fait donner le meilleur de nous-mêmes. Pourquoi pas une fois de plus ?

    Raphaël Doan (Figaro Vox, 31 mai 2021)

     

    Note :

    (1) C'est notamment le cas du professeur Alain Le Gallo, dont j'ai suivi les cours et à qui je dois cette vision de la langue.

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  • Ehpad, un si discret gérontocide...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré au traitement de la vieillesse et de la mort dans notre société. Journaliste et essayiste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017) et Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019).

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    Biopolitique du coronavirus (10). Ehpad, un si discret gérontocide

    Ce gouvernement aura été dégoûtant jusqu’au bout. Alors qu’il ouvrait les prisons, il fermait à double tour les Ehpad. Alors qu’il lâchait dans la nature 10 000 détenus, il claquemurait les vieux. Alors qu’il déconfinait les maisons d’arrêt, il confinait les maisons de retraite, toutes placées au régime de l’isolement, on n’ose dire carcéral. Deux poids, deux mesures. Choix commode pour Macron et son gouvernement. Aucun risque de mutinerie dans les Ehpad, aucune chance de voir les vieux prendre en otage leurs geôliers. C’est bien dommage. Ils auraient dû, au moins auraient-ils été entendus, au moins seraient-ils morts en famille. La révolte des vieux, qui n’en a rêvé. On l’appellerait le mouvement des Gilets jaunis.

    Savez-vous qu’il y a un précédent, certes romanesque ? La fable énorme, pétaradante, hilarante, d’Olivier Maulin, dans Gueule de bois (2014). Martyrisés par le personnel, les retraités foutent le feu aux poubelles, créent un comité de libération, couvrent les murs d’inscriptions vengeresses – et passent à l’attaque. Et une table de nuit dans la gueule des auxiliaires de vie, pif ! Et une chaise roulante dans la face du directeur, paf ! Et un tribunal révolutionnaire dans l’espace de vie, poum ! Ah, le bonheur ! Ah, l’honneur retrouvé ! Les vieux de la vieille, ça doit dynamiter, disperser, ventiler. Un peu de Raoul Volfoni n’a jamais fait de mal, surtout à ces âges canoniques, et dans canonique il y a canon. Mais encore aurait-il fallu qu’on n’ait pas bourré les papis et les mamies d’anxiolytiques, de comprimés, de purée-compote-suppositoire, d’animations puéridébilitantes. La camisole chimique et les activités godiches, c’est le meilleur des gardes-chiourme. Avec cela, comment s’étonner que, faute de papis flingueurs, on ait eu les papis flingués. Par milliers. Réveillez-vous, les vieux, avant de mourir, sinon on finit comme Don Diègue, enragé mais impuissant et désespéré. Quitte à partir, autant partir en fumée.

    Morts sur ordonnance gouvernementale

    Ce qu’il y a eu de terrible dans ce huis clos à l’intérieur du huis clos du confinement, c’est que nos vieux ont eu le sentiment de mourir abandonnés dans des Ehpad en sous-effectif, et les familles de les laisser partir comme si elles les avaient abandonnés pour de bon, au moment fatal. Ce n’est qu’un au revoir, jurait Olivier Véran. Tu parles ! Il n’aura pas fallu un mois pour transformer les Ehpad en tombeau du résident inconnu et du soignant pas reconnu.

    Le gouvernement, toujours en avance d’une bévue, courant après son mois de retard – en retard, toujours en retard, comme dit le Lapin blanc – a ajouté la solitude à la solitude, l’abandon à l’isolement, l’enfermement à l’enfermement, le silence à l’effacement des traces et des responsabilités. C’est la fonction des acronymes, tout effacer, pour ne conserver de la mort que sa dimension neutre, administrative. Ehpad, qui sait ce que ça signifie ? L’acronymisation du monde est encore pire que son anonymisation.

    Charles Quint dormait chaque nuit dans un cercueil : définition de l’Ehpad. L’Ehpad, c’est une chambre d’hôtel médicalisé, et d’un hôtel qui ne s’appelle pas Terminus. On lui préfère les noms fleuris, des résidences de, des clos, des rivages, des jardins, des clairières. Dans notre souci d’aseptisation du réel, d’euphémisation, de marchandisation douceâtre, nul doute qu’on les rebaptisera bientôt Maison de vermeil ou Demeure du karma. On aura l’impression d’aller voir le Dalaï-Lama et on tombera sur Matthieu Ricard. La bonne blague. Un idéal de plante verte, une philosophie de la camomille et du transit intestinal. Si on n’est pas en coma dépassé, impossible d’avaler ces infusions spirituelles.

    Par ici l’or gris

    Tout est tabou ici. C’est un deuil avant le deuil, un pied dans la tombe, pour les résidents, pour les familles. Qui veut aller en Ehpad ? Les trois quarts des résidents n’ont pas choisi d’y vivre. C’est un crève-cœur d’y placer ses parents. Aucun d’entre nous n’y consent sans être envahi d’un sentiment de honte diffus. Cette honte qui ne dit pas son nom, les marchands de sommeil éternels nous la font payer très cher. À eux la cupidité, à nous la culpabilité. À eux l’or gris, aux vieux la grisaille des jours qui s’embrouillent et se confondent. Toute la sordidité du capitalisme vous saute au visage quand vous abordez cet archipel gris. Comment maximiser les mourants ? En trayant jusqu’au bout leur épargne, en rognant sur tout, l’alimentation, les pansements, pour dégager des marges de rentabilité, jusqu’au moment où maintenir en vie des corps cacochymes coûtera plus cher que les laisser pour morts. Capitalisme et pulsion de mort, comme disait feu Bernard Maris.

    Comment faire autrement ? Je sais bien. Il y a tant de maladies incurables, tant d’Alzheimer en stade avancé, tant de comorbidité, tant de distance, sociale, géographique, qui séparent les uns des autres, les actifs des inactifs, les inactifs des improductifs, les improductifs des indigents. Qui pour s’occuper de ces derniers ? La société de services évidemment. On a tout sous-traité, tout externalisé – au privé et au public –, même la mort. Ehpad : ci-gît les solidarités perdues, premières, organiques, familiales.

    La mort « laide, sale et cachée »

    Comment mourir ? Vieille question. La plus belle des morts, hors la mort des héros au champ d’honneur, c’est celle de Fontenelle, qui s’en est allé quasi centenaire, en 1757, « d’une difficulté d’être », doucement, sans heurt, dans un nuage de coton et de douceur, dans un état d’apesanteur d’où toute douleur s’est évanouie, entouré des siens, en paix. Le rêve. On dirait adieu comme dans un film, d’une petite pression de la main, les yeux mi-clos déjà aspirés par le néant. Tout sauf la mort solitaire, la pire des morts, comme dans La Mort d’Ivan Ilitch, atroce nouvelle de Tolstoï, Ivan Ilitch enfermé dans le champ clos de sa douleur, coupé du monde qui ne lui parvient qu’au travers de la frivolité des siens. Seul dans son coin, déjà loin. La surmédicalisation nous condamnerait-elle tous à la mort d’Ivan Ilitch ? Trois décès sur quatre à l’hôpital (la moitié des décès s’y déroule) se font sans la présence d’un proche.

    C’est ce qui devait arriver, à trop éloigner la mort, à la tenir à distance parce qu’elle se tient à distance l’essentiel de notre vie, à renvoyer les indigents dans le monde des morts, à repousser le plus loin des villes les cimetières. Ce que Philippe Ariès dit de la mort – « laide et cachée, et cachée parce que laide et sale » – vaut de la grande vieillesse. Elle a trouvé refuge dans ces établissements spécialisés.

    Le mythe de l’« âge d’or » de la vieillesse

    Il ne s’agit pas de courir après un « âge d’or » de la vieillesse. Il n’a jamais existé, c’est une légende rustique. On ne révérait pas plus les vieux autrefois qu’aujourd’hui, et même moins. Molière les a couverts de tous les ridicules, du barbon à l’avare. La Renaissance les a méprisés ostensiblement. Avant, ce n’était ni mieux ni pire. Sur ce point, Simone de Beauvoir a raison. On a traité les vieillards de toutes les manières possibles, quelles que soient les époques : en les tuant, en les abandonnant, en les honorant. Nous sommes moins cruels et plus hypocrites.

    C’est seulement au XVIIIe siècle que le statut de la vieillesse a gagné en prestige. Pour s’en faire une idée, Philippe Ariès nous invite à comparer le traitement de la vieillesse dans les tableaux de Rembrandt (XVIIe siècle) et ceux de Greuze (XVIIIe siècle). La différence est saisissante : là il est seul, ici il est entouré, en noble patriarche et chef d’une famille à son chevet. Foutons la paix au maréchal pour une fois, c’est la Révolution, pas la nationale, qui a instauré des fêtes pour à peu près tout, qui en a dédié une aux Vieillards.

    Les historiens des mentalités ont pu parler de la naissance de l’enfance, peut-être nous faudrait-il parler de la naissance de la vieillesse. On nous dira : Cicéron et Sénèque ne nous ont pas attendu pour célébrer le grand âge. Certes. Mais la vieillesse est un phénomène relativement nouveau, du moins sa démocratisation, conséquence de l’accroissement de l’espérance de vie. Nouveau et bref. On ne l’aura finalement chérie que deux siècles, guère plus. Les nouvelles technologies l’ont subitement dévaluée. Branchée en bas débit, la vieillesse est redevenue une antiquité.

    Ni grandir ni vieillir

    La vieillesse en nom propre, celle qui s’inscrit dans nos artères, ne se rappelle à nous que quand les deux grands mythes de la société marchande ont cessé d’être agissants sur nous, les deux plus à même de susciter un intense désir de consommation : Peter Pan, celui qui ne veut pas grandir, et Dorian Gray, celui qui ne veut pas vieillir (seniors inclus). Comme dans Le meilleur des mondes. Dans le roman de Huxley, il n’y a plus de vieux. La vieillesse a disparu. Partout, l’adolescence (à ne pas confondre avec les adolescents) a pris le pouvoir. Nous voici un peu comme les homosexuels au sens où Paul Morand, homophobe échevelé, entendait l’homosexualité, passant sans transition de la jeunesse à la vieillesse. Dans notre monde, le fruit n’arrive jamais à maturité, il est longtemps trop vert et dans un dernier souffle trop blet (que les amoureux de Morand se rassurent, il ne le dit pas en termes aussi ternes).

    Paul Yonnet, dont il va être question, fait remarquer que si l’esthétique rock est aussi prégnante dans nos vies, c’est précisément parce que c’est une « culture de l’intro ». Cette incapacité à finir est un trait de l’adolescence, prolongée ou pas. L’épilogue, le point de non-retour, l’oraison sont renvoyés dans le très grand âge.

    Le recul de la mort

    Sur la mort, sur l’individualisme, Paul Yonnet a écrit un livre immense et génial que sa mort brutale, ironiquement, a laissé inachevé, Famille, tome I, Le recul de la mort : l’avènement de l’individu contemporain (2006). Sa thèse est des plus originales et des plus convaincantes, elle tient en un mot : « le recul de la mort ». C’est un phénomène sans précédent, qui survient à bas bruit dans la très longue histoire des hommes, dit-il, comme la découverte du feu. Il y a un avant, prédéfini, et un après indéfini qui s’est diffusé un peu à la manière d’un tremblement de terre sourd mais aux répliques en série. Deux chiffres, pas plus, pour illustrer cette révolution anthropologique : du milieu du XVIIIe siècle à nos jours, la mortalité maternelle a été divisée par 131, et la mortalité infantile par 69. Le résultat, c’est que la mort s’est progressivement retirée du théâtre de la vie quotidienne. Les conséquences qui découlent de cette disparition, toutes très lourdes de sens, sont innombrables. La première d’entre elles qui conditionne les autres, c’est la naissance d’un nouveau sentiment, parce que, sauf accident, tous les enfants seront appelés à vivre et toutes les mères à ne pas mourir : l’enfant du désir d’enfant, l’enfant aimé, choyé, bientôt divinisé, déjà individualisé. In-di-vi-du-a-li-sé : le mot est central parce que l’individu devient le centre du monde, en amont du droit qui ne fera qu’en donner une traduction juridique.

    Si l’homme contemporain éprouve un tel sentiment d’invulnérabilité, c’est très précisément en raison même de ce recul de la mort, mort que la plupart d’entre nous ne croiserons pour ainsi dire jamais dans la plus grande partie de notre existence. C’est cet oubli de la mort qui fonde nos vies, leur l’« exceptionnalité ». Hors temps de guerre, nous sommes en bonne santé l’essentiel de notre vie. Nous mourrons de vieillesse, autre conséquence. Au début du XIXe siècle, les décès au-dessus de soixante ans ne représentaient qu’un mort sur trois. De nos jours, 80 % des décès surviennent après 70 ans. Mais on meurt seul, fatalité de l’individualisme.

    Hausse de la désespérance de vie

    Nonobstant cela, la vie se résumera toujours au titre du livre de Gabriel García Márquez, Chronique d’une mort annoncée. Mais on en différera le plus longtemps le terme, on le repoussera, on l’étirera sans fin. Prolonger, tel est le mot d’ordre. Il faut prolonger. Le verbe dans sa forme intransitive dit la crudité de la chose. On nous prolonge, on nous fait durer, combien de fois a-t-on entendu cette complainte de la vieillesse. Mais qu’est-ce qu’on prolonge ? Un état dépressif (40 % des vieux placés en institution souffrent de dépression), une somnolence de l’être, des courbes de la désespérance de vie ?

    Bientôt peut-être la mort se présentera comme dans Ubik, le roman de Philip K. Dick. On nous conservera dans des états de semi-mort cérébrale, végétatifs, cryogénisés, momifiés, avec pour chacun de nous un reliquat de conscience mis en veille, une poignée d’heures, pas plus, portées au solde d’une carte de crédit qui permettra à nos familles de venir nous parler quelques minutes à la Toussaint jusqu’à épuisement des jetons. Après quoi, les lumières s’éteindront définitivement.

    François Bousquet (Eléments, 16 mai 2020)

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  • Savoir vivre au pied d'un volcan...

    Les éditions Albin Michel viennent de publier un essai de Michel Onfray intitulé Sagesse. Philosophe populaire, tenant d'un socialisme libertaire, Michef Onfray a publié de nombreux ouvrages, dont dernièrement  Cosmos (Flammarion, 2015) et Décadence (Flammarion, 2017).

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    " Comment se comporter dans une civilisation qui menace de s’effondrer ? En lisant les Romains dont la philosophie s’appuie sur des exemples à suivre et non sur des théories fumeuses.
    Sagesse est un genre de péplum philosophique dans lequel on assiste à la mort de Pline l’Ancien et à des combats de gladiatrices, à des suicides grandioses et à des banquets de philosophes ridicules, à des amitiés sublimes et à  des assassinats qui changent le cours de l’histoire. On y croise des personnages hauts en couleur : Mucius Scaevola et son charbon ardent, Regulus et ses paupières cousues, Cincinnatus et sa charrue, Lucrèce et son poignard. Mais aussi Sénèque et Cicéron, Épictète et Marc Aurèle.
    Ce livre répond à des questions très concrètes : quel usage faire de son temps ? Comment être ferme dans la douleur ? Est-il possible de bien vieillir ? De quelle façon apprivoiser la mort ? Doit-on faire des enfants ? Qu’est-ce que tenir parole ? Qu’est-ce qu’aimer d’amour ou d’amitié ? Peut-on posséder sans être possédé ? Faut-il s’occuper de politique ? Que nous apprend la nature ? À quoi ressemble une morale de l’honneur ?
    Dans l’attente de la catastrophe, on peut toujours vivre en Romain : c’est-à-dire droit et debout. "

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  • La traversée de la ténèbre hivernale...

    Les éditions Heligoland publient le deuxième numéro (n°2, hiver 2010-2011) de la revue Figures de proues, sous-titrée Cahiers de recherche sur l'héritage littéraire, culturel et l'imaginaire européen et dirigée par Pierre Bagnuls.On trouvera, notamment, dans cette livraison, une longue analyse du roman de Jack London, Le loup des mers, ainsi qu'une sélection de textes fondateurs.

    Il est possible de commander ce numéro ou, mieux encore, de s'abonner sur le site de la revue : Figures de proues.

     

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    Au sommaire :

    Editorial

    • La traversée de la ténèbre hivernale – des lumières dans la nuit solsticiale

     

    Les Sources Vives

    • Plaidoyer pour le Chant profond

    • La tradition de la culture personnelle par Jean-Louis Harouel

    • La poésie populaire en Europe par Edouard Schuré

     

    Essai Culture Littérature Poésie Mémoire

    • Quand deux phares se lancent des signaux par-delà la nuit des temps

     

    Textes fondateurs

    • Décembre par Ernst Jünger

    • Une amitié incomparable par Alphonse de Châteaubriant

    • L’ami par Saint-Exupéry, Barrès, Brasillach, Drieu La Rochelle

    • Amitié d’astres par Friedrich Nietzsche

    • L’ami dans l’Edda poétique – extraits du Havamal

    • L’amitié par Abel Bonnard

    • Traité de l’amitié par Marcus Tullius Cicero

    • Sur le grand nombre d’amis par Plutarque

     

    Livres Libres et Recensions

    • Voyage vers le Nord

    • Demeures de l’esprit – Danemark, Norvège

    • Culture Guides – Scandinavie

     

    Analyse d’oeuvre

    • Le Loup des mers de Jack London – une réflexion philosophique sur l’homme

    Lien permanent Catégories : Revues et journaux 0 commentaire Pin it!