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état stratège

  • Quand les élites bradent l’industrie française...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Michel Quatrepoint, cueilli sur Causeur et consacré à la responsabilité de nos "élites" dirigeantes dans le déclin de l'industrie française. Journaliste spécialiste des questions économiques et internationales, Jean-Michel Quatrepoint a récemment publié Le choc des empires: États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l'économie-monde ? (Gallimard, 2014) et Alstom, scandale d'Etat (Fayard, 2015).

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    Quand les élites bradent l’industrie française

    Pour l'auteur du livre "Alstom, scandale d’Etat", nos dirigeants, politiques comme hauts fonctionnaires, ont une responsabilité majeure dans le déclin de l'industrie française. Il en veut pour preuve les cas Alstom, Vallourec ou bien encore ST Microelectronics.
     
    Eléonore de Vulpillières : Areva, Alstom, Alcatel mais aussi Vallourec ou STMicroelectronics sont en difficulté. Quels sont les points communs et les différences qui existent ?
    Jean-Michel Quatrepoint : La France avait autrefois le triple A de l’excellence industrielle avec Areva, Alstom et Alcatel. Il s’est désormais mué en un triple zéro. La partie énergie d’Alstom a été vendue à General Electric. Alcatel avait déjà été fusionnée avec le groupe américain Lucent. A l’intérieur du groupe fusionné, les Américains ont pris le pouvoir et ont appliqué leurs normes, leur façon de voir, y compris au profit de services américains. Alcatel étant devenue l’ombre d’elle-même, elle a été rachetée par Nokia. Elle était pourtant l’un des leaders mondiaux des équipements de télécommunications au début des années 1990, et même numéro un avec 13,5% de la part de marché des télécoms. Aujourd’hui, la France est sortie de ce marché.

    Areva était le géant de la filière nucléaire, aussi bien pour le traitement et l’enrichissement d’uranium, le traitement des déchets avec l’usine de La Hague, et toute la partie de construction des centrales nucléaires. Aujourd’hui, Areva est au bord de la faillite. On oblige EDF à reprendre en catastrophe une partie de ses activités, alors même que la santé d’EDF est médiocre.
    Alstom était un des quatre grands fabricants mondiaux de turbines servant à équiper les centrales. Il a été bradé à General Electric. Ce qui est commun à tous ces dossiers, c’est la faillite du management. Une génération de nos hyper diplômés a mal géré l’évolution de l’industrie. On pourra toujours évoquer la crise ou les aléas économiques. Mais la responsabilité des dirigeants et celle de l’Etat sont écrasantes.

    Tous ces cas particuliers témoignent-ils de la faillite de l’industrie française ?
    L’industrie française est, à de rares exceptions près, sur le déclin. Prenons l’exemple de Sanofi, qui a vendu Merial, la pépite vétérinaire du groupe à l’Allemand Boehringer. Désormais, la France, pays dont l’agriculture est un secteur stratégique, n’est plus en pointe sur le secteur des produits vétérinaires. Or, quand on veut conserver une grande agriculture, il faut préserver un laboratoire capable de développer et d’innover dans le secteur vétérinaire. Le nouveau PDG de Sanofi, Olivier Brandicourt, est arrivé avec un golden hello, une prime d’embauche, alors même que le groupe licencie 600 personnes et sabre dans sa recherche. Pour obéir à une vision financière et court-termiste des marchés il vend Merial pour en retirer 4,7 milliards d’euros et devenir le leader mondial du médicament sans ordonnance. Merial était la part la plus rentable du groupe : on vend ce qui rapporte et ce qui est stratégique pour l’agriculture de demain, et ce, dans le seul but de financer un plan de rachat d’actions. BlackRock, patron du plus gros gestionnaire d’actifs au monde a dénoncé cette vision court-termiste de la gouvernance d’entreprise. Les plans de rachat d’actions sont une aberration industrielle. C’est une destruction de valeur et de capital : le « capitalisme autophage ». Quand on a du cash, on investit.

    Dans votre livre, Alstom, scandale d’Etat, vous dénonciez la cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric. Un plan de licenciements massifs est en préparation. Que pensez-vous de l’évolution du dossier ?
    Sur le dossier Alstom, j’ai rarement vu des gens mentir avec autant d’effronterie. M. Immelt avait promis la création de 1 000 emplois industriels en trois ans. Le 24 septembre 2015, à Belfort, il avait même parlé de 1 500 emplois. C’était la contrepartie pour obtenir la garantie de la Coface pour des contrats en Arabie saoudite et au Brésil. Une fois la fusion entérinée le 2 novembre 2015, on a annoncé un plan de suppression de 6 500 emplois en Europe, soit 20% des effectifs d’Alstom-Energie. Nos autorités se gargarisent en estimant que nous sommes moins touchés que les autres, avec une suppression de 831 postes en France. Nos amis allemands, dont deux usines sont très touchées, apprécieront ce relativisme… On nous avait expliqué que l’alliance avec Siemens serait un bain de sang social. Or, le bain de sang social il est avec GE.

    Les emplois supprimés ne concernent pas seulement les fonctions support (200 seulement) mais des emplois industriels dans la partie nucléaire et les installations de Massy et Levallois. En fait Immelt s’est engagé auprès de ses actionnaires et des marchés à atteindre un taux de retour sur investissement de 16% (ce qui est très élevé). Pour atteindre ce pourcentage, il faut faire 3 milliards de synergies. En fait 3 milliards d’économies. D’où les licenciements. D’où également le rabais de 300 millions sur le prix de vente, consenti subrepticement cet été par Patrick Kron. Quant aux promesses des emplois créés, elles n’ont engagé que ceux qui voulaient y croire. Le temps passe et les promesses s’oublient. GE ne respectera pas ses engagements de création d’emploi. Il n’y aura plus de garant français de cette promesse. Mme Gaymard vient d’être remerciée de son poste de directrice de GE France, après avoir bien servi les intérêts du groupe américain. Patrick Kron est parti avec armes et bonus. Tout comme Grégoire Poux-Guillaume, qui avait initié la négociation avec GE parti en novembre pour prendre la direction de Sulzer. On dénonce souvent le discours anti-élites qui ferait le jeu des populismes. Mais quand les élites se comportent de cette façon, difficile de ne pas les dénigrer !

    Comment s’articule cette double responsabilité – que vous imputez aux dirigeants des grands groupes et à l’Etat – du déclin de l’industrie française ?
    M. Kron a fourgué Alstom à GE. M. Tchuruk a d’abord fourgué Alcatel à Lucent, puis ses successeurs ont laissé un Alcatel moribond être repris par Nokia. Quant à Areva, Mme Lauvergeon a fragilisé son entreprise ; les autres patrons de la filière énergétique, Alstom et EDF, n’ont pas su coopérer avec elle. Les querelles d’ego de cet establishment français ont coûté cher au pays.

    Le cas de Vallourec est également significatif. Son PDG, Philippe Crouzet, énarque, n’a pas su anticiper les évolutions du marché, n’a pas pris les bonnes décisions au bon moment, a minimisé l’ampleur des bouleversements apportés par les gaz de schiste. Il se tourne alors vers l’Etat pour renflouer l’entreprise. En toute logique, avec un tel bilan, l’Etat aurait dû exiger son départ, avant de mettre la main à la poche. Il n’en a rien été. Il a été reconduit à la tête du directoire. Serait-ce parce qu’il est le mari de Sylvie Hubac (ENA promotion Voltaire) qui fut trois ans directrice du cabinet de François Hollande ?

    Il n y a pas que Vallourec, mais aussi ST Microelectronics qui connaît de grandes difficultés !
    STMicroelectronics est une société franco-italienne créée en 1987 qui fabrique des composants électroniques. L’entreprise a reçu beaucoup d’argent public, semble-t-il mal employé. Elle est aujourd’hui en grande difficulté. Son patron, Carlo Bezotti a pris de mauvaises décisions mais les deux Etats actionnaires (à 13,5 %chacun) n’ont pas joué leur rôle de garant des intérêts collectifs, et de stratège. Sans doute parce qu’en France, les mentalités de la haute fonction publique ont évolué. Il y a toujours autant d’énarques. Ils sont toujours arrogants mais, hier, ils étaient un peu plus compétents. Et surtout il y avait dans les autres ministères des hauts fonctionnaires, des techniciens qui savaient ce qu’était une industrie, qui connaissaient les filières, les produits. Depuis que le ministère de l’Industrie a été absorbé par Bercy, l’Etat s’est transformé en banquier d’affaires avec une vision purement financière des entreprises. En outre l’Etat n’a plus les moyens d’anticiper. Il n’agit plus qu’en pompier avec une approche comptable et politicienne de l’industrie.
    La direction de ST Micro va supprimer sa division DPG qui fabriquait des puces. Plus de 1 500 licenciements dont près de 500 en France et l’usine Crooles II de Grenoble est menacée. L’ancien maire socialiste de Grenoble, Michel Destot, ainsi qu’une partie des élus locaux s’en étaient inquiétés auprès de François Hollande qui leur avait répondu… que le dossier resterait suspendu jusqu’aux régionales. Celles-ci passées… on ferme et Bercy a refusé d’examiner des solutions alternatives pour préserver l’activité de cette division qui est pourtant hautement stratégique. Altis avait pourtant proposé de reprendre une partie des activités menacées pour créer un pôle de composants souverains.

    L’indépendance de la France se joue-t-elle aussi sur le plan industriel ?
    Nous sommes de plus en plus dépendants en matière de composants électroniques dits de souveraineté. A chaque fois que nous vendons un Rafale à l’exportation, nous sommes obligés d’envoyer une délégation aux services de défense américains pour obtenir l’autorisation. Il y a en effet quelques composants du Rafale fabriqués par les Américains. Ils se sont arrogé le pouvoir de délivrer ou non cette autorisation, au nom des normes ITAR. Ainsi, ils ont bloqué l’exportation de satellites français à la Chine. Il serait impératif que la France reconstitue une capacité de fabrication des composants de souveraineté, notamment ceux qui équipent nos systèmes d’armements. On pouvait le faire à partir de STM. Le ministère de la Défense y était favorable. Mais comme Bercy a refusé d’étudier le dossier, rien n’a été fait.
    Cette nouvelle génération de hauts fonctionnaires et d’énarques ne s’intéresse pas à la politique industrielle. Ils n’ont aucune idée de la notion d’intérêt national. Ils ont été biberonnés au lait de l’atlantisme. Pourquoi vouloir l’indépendance en matière de haute technologie ? Autant s’en remettre aux Américains…

    Dans une interview du 3 février au Figaro, le ministre de l’Economie a pourtant plaidé pour un Etat stratège… 
    Emmanuel Macron définit l’Etat comme ne devant être ni « un actionnaire imprévisible et arbitraire, ni un actionnaire interventionniste et brutal, ni un actionnaire complaisant dont le rôle se bornerait à nommer des copains à la tête des entreprises. » Mais que ne l’a-t-il fait quand il s’est agit de reconduire Philippe Crouzet à la tête de Vallourec… Que ne l’a t-il fait sur le dossier Alstom ? Que ne le fait-il sur le dossier ST Microelectronics ? Vanter les mérites du numérique et des start-ups est bien. Faire en sorte que nos savoir-faire, nos brevets, nos hommes, qui ont permis à notre pays d’être leader dans bien des technologies, ne soient pas bradés, serait encore mieux.
    Toutes ces erreurs de management, cette absence de vision stratégique par l’Etat se sont traduits par des centaines de milliers de suppressions d’emplois qualifiés, par des déficits commerciaux abyssaux, par une perte de substance de notre pays.
    S’imaginer que l’on va s’en sortir et résorber le chômage de masse grâce aux emplois aidés, au tourisme (en recul avec les attentats) et aux services aux personnes est une vue de l’esprit. A moins que ces élites n’aient intériorisé notre déclin.

    Jean-Michel Quatrepoint, propos recueillis par Eléonore de Vulpillières (Causeur, 9 février 2016)

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  • Défense et illustration du patriotisme économique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Carayon et de Quentin Jagorel, publié dans le quotidien Le Monde et consacré au patriotisme économique. Député, Bernard Carayon est un des promoteurs de l'intelligence économique et est également l'auteur d'un essai intitulé Patriotisme économique (Rocher, 2006).

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    Défense et illustration du patriotisme économique

    Le patriotisme économique, formulé pour la première fois en 2003 et rendu célèbre par le premier ministre Dominique de Villepin dès juillet 2005, alors que des rumeurs infondées d’offre publique d’achat (OPA) planaient sur Danone, est destiné à protéger et promouvoir les industries stratégiques de la France, autour desquelles se forge le destin d’une nation.

    Cette notion a été fortement critiquée au moyen d’arguments souvent invalides, parfois de mauvaise foi. Si un élu de droite et un étudiant membre d’un think tank de gauche prennent ici ensemble la plume, c’est d’abord pour souligner que le sujet dépasse largement les conflits de générations et de partis.

    Nous sommes convaincus que le patriotisme économique est légitime et utile, et que les dirigeants de nos formations politiques seraient bien inspirés de renoncer aux caricatures et aux naïvetés. Réhabilitons cette belle idée. Le patriotisme économique vaut bien le patriotisme sportif, non?

    De manière ordinaire, le patriotisme économique est considéré comme une version déguisée du protectionnisme, un «cache-sexe», selon le quotidien britannique très libéral The Economist. Il sanctuariserait l’économie nationale, entraverait la concurrence, serait une version new look du colbertisme.

    Pourtant, le patriotisme économique, c’est avant tout la défense de nos intérêts nationaux ou européens dans le respect de la réciprocité. « Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres », écrivait Romain Gary. Oui, le patriotisme économique n’est pas un protectionnisme mais une réponse lucide à toutes les formes de dopage que l’on observe sur les marchés internationaux. Et s’il y a une «exception française », c’est bien dans cette dévaluation de nos intérêts et cette sous-évaluation des turpitudes de la mondialisation.

    Avec leur Buy American Act (1933) et leur Small Business Act (1953) notamment, les Etats-Unis, parangon du libéralisme, montrent la voie! Le Comité sur l’investissement étranger aux Etats-Unis (CFIUS) soumet tous les projets de rachat étranger d’entreprises américaines au respect de la notion de sécurité nationale, qui ne répond à aucune définition juridique. Les décisions du CFIUS ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. Nos libéraux protestent- ils? Jamais. Partout, le mariage de l’intérêt national et de l’économie de marché s’exprime sous bien d’autres formes, à l’instar des caractéristiques extraterritoriales du droit américain, dont BNP Paribas mesure aujourd’hui l’efficacité! En somme, le patriotisme économique est le moyen de lutter à armes égales dans une mondialisation qui n’est pas celle des Bisounours.         L’Etat ne serait pas légitime à intervenir sur le marché aux côtés des entreprises. Les faits ruinent cette assertion: partout dans le monde, les industries de la défense, de l’aéronautique et du spatial, des technologies de l’information se protègent ou prospèrent grâce aux gouvernements. Et ce n’est pas l’échec, ancien, du Plan calcul en France qui doit contredire cette nécessité pour l’Etat de se comporter en stratège, en anticipateur, en fédérateur, comme l’ont incarné jadis les politiques de Charles de Gaulle et Georges Pompidou.

    Loin de nous l’idée que les chefs d’entreprise, attirés par la perspective du seul profit, déserteraient l’intérêt de leur pays. Mais il faut reconnaître que l’action de l’Etat n’est pas toujours à la hauteur des difficultés qu’ils rencontrent.

    Il est un argument plus ridicule que les autres: notre patriotisme économique  exposerait notre pays à des mesures de  rétorsion. Avons-nous été si patriotes  dans le passé pour mériter d’être espionnés  aussi méthodiquement et massivement, comme l’a révélé Edward  Snowden?

    Les forts ne respectent que les forts,  c’est une loi de l’Histoire, traduisant les  rapports entre puissances. Le patriotisme  des Etats-Unis n’a jamais constitué un obstacle  à leur productivité, aux investissements  étrangers et au dynamisme de leur  industrie high-tech. Ils ont su, par exemple,  empêcher en 2006 l’entreprise DP  World (basée aux Emirats arabes unis) de  racheter la société P&O, opératrice des  principaux ports américains, sans craindre la  moindre rétorsion des Etats évincés.

    Libéraux et euro-béats nous expliquent  aussi que le patriotisme économique  sacrifierait l’intérêt du consommateur: mais qui peut dissocier le consommateur  du salarié et du citoyen? Quel est  le bilan social et industriel du rachat par le canadien Alcan de notre industrie de l’aluminium  ou d’Usinor par Mittal? De surcroît,  en période de crise, les premiers salariés  sacrifiés sur l’autel de la restructuration  sont ceux des entreprises dont l’actionnariat  est étranger…

    Le vrai problème est aujourd’hui européen.  La doctrine de la Commission européenne  est stérile, en interdisant à nos  entreprises toute concentration et toute  aide publique. Et c’est précisément quand  l’Etat s’assoit sur les traités européens,  interprétés de manière théologique par la  Commission, que l’on peut, comme il y a  dix ans, sauver Alstom ou, en pleine crise  financière, imposer un plan massif de  consolidation des banques.

    Le patriotisme des Etats-Unis n’a jamais constitué un obstacle à leur productivité, aux investissements étrangers et au dynamisme de leur Industrie high-tech

    Les libéraux contestent jusqu’à l’idée  même d’une nationalité des entreprises: mais, dans le différend historique franco-américain  sur l’Irak, les Américains  n’avaient-ils pas engagé un boycott du  groupe Sodexo, fortement implanté aux  Etats-Unis mais pourtant bien identifié  comme français? L’Europe constitue le  seul territoire de développement économique  au monde qui soit aussi ouvert et  offert aux intérêts des autres. C’est le seul  continent où les restrictions à la liberté de  circulation des capitaux concernant la  défense et la sécurité sont aussi limitées.

    Que dire, de surcroît, de la passivité des  autorités communautaires face à l’anglo-saxonisation  du droit et des normes qui  pèsent en particulier sur la compétitivité  de nos banques et de nos assurances? Que  dire d’une politique monétaire de la Banque  centrale européenne qui n’a de politique que le nom?  Les Etats-Unis et la Chine,  dont les monnaies sont faibles, ne sont-ils  pas pour autant des puissances ? L’Europe,  jusqu’à présent, s’est gargarisée de compétitivité  alors qu’elle a pour vocation de  devenir une puissance. Mais il est vrai,  comme le soulignait Paul Valéry, qu’elle  «aspire visiblement à être gouvernée par  une commission américaine »!

    Si l’Europe et la France ne veulent pas  disparaître de l’Histoire, il est urgent qu’elles trouvent enfin,  dans la guerre économique,  la force de se battre à armes égales.

    Bernard Carayon et Quentin Jagorel (Le Monde, 3 juillet 2014)

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  • Alstom, le symbole d'une trahison !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur Europe solidaire et consacré l'affaire Alstom. Quand ceux qui sont chargés de défendre l'intérêt général trahissent leur pays...

     

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    Alstom. Le symbole d'une trahison

    L'affaire Alstom, ce qu'il faudra bien appeler le scandale Alstom, n'a été que le dernier en date d'une suite d'abandons où l'Etat a laissé les fleurons de l'industrie française partir aux mains non seulement de la spéculation boursière à courte vue, mais, plus grave, aux mains des Etats étrangers pour qui la France est devenue une terre de conquête, pour qui aussi l'Etat à la française, hérité du Front populaire et du Conseil national de la résistance, est devenu le monstre à abattre. De quelle trahison Alstom est-il le symbole? De celle de la haute administration française qui en cet âge du capitalisme financier triomphant, a oublié les valeurs de ce que l'on nommait jadis le service public. Un certain nombre de ceux qui avaient suivi avant les années 1970 la formation classique des futurs fonctionnaires d'un certain grade (Science-Po, section service public, puis Ecole Nationale d'Administration) nous demandent d'exprimer leur écœurement. C'est aussi le nôtre. A cette époque, l'on pensait vraiment qu'il existait un Etat au service duquel il convenait de se mettre. Certains, il est vrai, quittaient très tôt l'administration pour « entrer dans le privé » (ce qui se disait pantoufler), ou pour faire de la politique. Mais l'essentiel des promotions acceptait des carrière souvent obscures, mal rémunérées, avec le sens chevillé au corps de servir l'intérêt général. Les « anciens élèves de l'Ena » de l'époque n'y trouvaient pas matière à se vanter, car ils savaient que ce même besoin de servir l'intérêt général animait – et anime encore- des millions de fonctionnaires de moindre grade, dans tous les corps de l'Etat, civils et militaires.

    Les choses ont bien changé lorsque, sous la pression d'une idéologie venue tout droit de l'Amérique du Big business, l'ensemble de la société française a commencé à considérer que les agents publics étaient inutiles. Il fallait, au niveau de la haute administration, quitter celle-ci très vite pour se mettre au service des entreprises. Le mal avait commencé au niveau de l'inspection générale des finances. Celui qui dans ce « grand corps » avait accepté un peu plus longtemps qu'un an de faire un métier pour lequel la collectivité le rémunérait, c'est-à-dire inspecter les finances, fut très vite considéré, selon la phrase honteuse de Jacques Séguéla, comme ayant raté sa vie. Il fallait impérativement entrer dans la banque avant quarante puis bientôt avant trente ans.

    Le mal s'est étendu à tous les corps de l'Etat, concernant tout au moins les hauts fonctionnaires. L'opinion éclairée a considéré que ne restaient au service dudit Etat que ceux incapables de faire autre chose. Plus subtilement, ceux qui ne voulaient pas abandonner le statut de la fonction publique tout en se mettant au service des affaires ont choisi de se faire recruter dans les cabinets ministériels. Là, soumis aux pressions des lobbies de toutes sortes, et pour accélérer leur carrière, ils ont conseillé à des ministres qui pour la plupart ne comprenaient rien aux enjeux, d'appliquer des politiques ou de prendre des mesures individuelles qui n'avaient plus de service public que le nom.

     

    La dernière en date d'une suite d'abandons

    L'affaire Alstom, ce qu'il faudra bien appeler le scandale Alstom, n'a été que la dernière en date d'une suite d'abandons où l'Etat a laissé les fleurons de l'industrie française partir aux mains non seulement de la spéculation boursière à courte vue, mais, plus grave, aux mains des Etats étrangers pour qui la France est devenue une terre de conquête, pour qui aussi l'Etat à la française, hérité du Front populaire et du Conseil national de la résistance, est devenu le monstre à abattre.

    Dans cette affaire Alstom, certains observateurs ont mis en cause la responsabilité d'une chargée de mission interministérielle qui au lieu d'exercer cette mission, n'a rien trouvé mieux que de se mettre au service d'une entreprise étrangère pour qui s'installer en France consiste à absorber ce qui dans son secteur restait d'ingénieurs et de travailleurs au service de l'économie française. Mais les premiers responsables ont été les fonctionnaires supérieurs à la nouvelle mode, qui n'ont cessé d'expliquer aux ministres, de droite et de gauche, que l'Etat ne devait plus exercer de responsabilité, ni dans l'industrie ni même dans ce que l'ex-Commissariat général au Plan (que Dieu ait ses cendres) appelait jadis les stratégies industrielles. Bruxelles y pourvoirait et, s'il ne le faisait pas, ce n'en serait que mieux pour la prospérité de l'économie.

    On voit ce qu'il en est aujourd'hui. Partout dans le monde, pays développés, pays émergents et même pays en (sous) développement, le besoin de grandes stratégies industrielles et scientifiques,s'appuyant sur des atouts nationaux ou régionaux puissants, se fait sentir. Partout dans le monde le besoin de cadres non seulement compétents mais intègres, est souligné. La République française, qui avait pu jadis, au moins dans certains domaines, donner l'exemple des solutions nécessaires, offre dorénavant l'exemple d'un chien rentrant queue basse dans sa niche à la première injonction de son maître. (1)

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 21 juin 2014)

    Note :

    (1) Certains pourront nous opposer: "Mais de quoi vous plaignez-vous ? Le compromis auquel le gouvernement est parvenu avec General Electric préserve les intérêts de la France..."
    Encore faut-il appeler un chat un chat : même si avec ce compromis, on est très loin de l'intention première du patron d'Alstom Patrick Kron, qui avait fait voter par son conseil d'administration, le 29 avril, la vente de sa branche énergie (70% de son chiffre d'affaires) à son ami Jeff Immelt, patron de GE, il n'en reste pas moins que les alliances décidées sont détenues à 50-50 entre GE et Alstom... Et si dans la concession sur le nucléaire, GE a proposé de créer une coentreprise 50/50 sur les turbines à vapeur pour le nucléaire (les Arabelle) dans laquelle l'Etat français disposerait d'actions préférentielles avec droit de veto, ainsi que la propriété intellectuelle de cette technologie, il faut bien voir que pour le reste de l'activité d'Alstom dans l'énergie thermique - les turbines à vapeur utilisées dans les centrales à charbon et les centrales à gaz à cycle combinée, les turbines à gaz, les alternateurs, etc. -, GE récupère tout. Dans le lot, en particulier, le trésor d'Alstom : la base installée des équipements du français génératrice de lucratifs services... Tout le monde se console en se disant : si l'Etat n'était pas intervenu, ce serait pire...
    Finalement, à quoi a-t-on assisté avec Alstom ? : à la mise en lumière de ce problème de fond récurrent, celui de l'incapacité de la France à faire émerger des investisseurs nationaux (voire européens) sur des enjeux aussi stratégiques.

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