Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Métapo infos - Page 192

  • La presse française, une espèce en voie de disparition ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au traitement réservé par la presse française aux informations internationales sensibles (c'est-à-dire mettant en cause le camp du Bien)...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

    Seymour Hersh_Nord Stream.jpg

     

    La presse française, une espèce en voie de disparition ?

    Le journaliste américain Seymour Hersch, célèbre pour des enquêtes qui lui ont valu le prestigieux prix Pultizer, a révélé dans le détail l’opération spéciale qui a permis à l’armée américaine, aidée des forces norvégiennes, de saboter le gazoduc Nordstream 2 dans la mer Baltique. L’ancien ministre allemand, Oskar Lafontaine, leader socialiste respecté et maître à penser de la politique d’équilibre chère à Willy Brandt, a justement qualifié cette opération d’acte de guerre, appelé au retrait des territoires d’Europe les troupes américaines qui les occupent encore, et notamment à la fermeture de la base aérienne de Manstein.

    Le journaliste américain, également renommé pour des enquêtes sans concession, Matt Taïbbi, a consacré plusieurs mois à éclaircir l’affaire dite « des Twitter Files ». Sur son site (substack « Racket News »), il a analysé les documents et les auditions de l’enquête conduite par la justice américaine, et il a publié ces conclusions détonantes ; une conspiration du FBI et des agences de renseignement, pilotée par le parti démocrate, a bel et bien falsifié l’élection présidentielle de 2020 en contraignant Twitter, entreprise privée, et son équipe de censeurs, à manipuler l’accès à Twitter, les référencements, la visibilité des Tweets des Républicains et des partisans de Donald Trump, au profit des Démocrates (lire le résumé de son travail en français sur le substack de Renaud Beauchard, « Chroniques égrégoriennes »).

    La justice américaine a communiqué des informations qui établissent la réalité des faits issus du microordinateur du fils de Joe Biden, Hunter Biden, oublié chez un réparateur, des faits qui vont de la prise de drogue à des documents établissant pour le moins du trafic d’influence lié au pouvoir ukrainien. Pendant près de deux ans, le mot d’ordre — l’affaire est montée de toutes pièces, il n’y a rien à voir ! — a protégé le clan Biden des effets ravageurs des révélations contenues dans ce microordinateur, dont l’authenticité est désormais prouvée, et le contenu exposé au grand jour.

    Le procureur chargé d’enquêter sur la prétendue implication de la Russie dans l’élection de Donald Trump en 2016 a conclu sans ambiguïté ses travaux ; il n’y a pas eu d’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine. Et son enquête a révélé que le parti démocrate et des complices au sein de différentes agences de renseignement, forces de sécurité et direction de médias, avaient comploté pour donner un semblant de vraisemblance à des opérations de soutien russes à Donald Trump, jeter le discrédit sur sa présidence et envenimer les relations avec Moscou.

    Tout ceci suggère d’abord que la démocratie américaine est en bien mauvais état, et que le parti démocrate a donné naissance à une pratique du pouvoir qui s’apparente plus à une dérive mafieuse qu’au combat politique — mais aussi que la liberté d’expression, le journalisme d’investigation et la passion de la vérité sont bien vivants et puissants outre-Atlantique. Si la capacité à se critiquer, à regarder ses erreurs et à accepter la réalité est un facteur décisif de la puissance durable, les États-Unis ne sont pas en panne de puissance. Le sujet est majeur, il faudra y revenir.

    Tout ceci appelle aussi l’attention sur le traitement de l’information par la presse française et européenne, ou ce qui s’appelle ainsi.  

    La presse française continue d’aboyer à l’unisson sur une prétendue « propagande russe ». En France, des chaînes de télévision créées à l’initiative de la Russie, comme Russia Today (RT) ou Sputnik, se sont vues interdire d’émettre. Ce que certains peuvent considérer comme une censure contraire à la liberté d’expression, d’opinion et de débat n’a suscité aucune réaction dans la presse écrite ou télévisuelle, il est vrai dépendante des subventions publiques ou de publicités payées par des sociétés dont la majorité est liée aux États-Unis. Il est plus étonnant que la propagande américaine pro OTAN et pro-guerre se déverse en continu, sans honte, sans contradiction, et sans modération, y compris à travers des médias du service public que l’on imaginerait défendre l’intérêt national. Rarement un pays aura travaillé à sa propre sujétion.          .

    Le sort réservé à l’enquête de Seymour Hersch et à l’acte de guerre commis par les États-Unis contre l’Allemagne et contre l’Europe dans la Baltique est simple ; le silence des agneaux. L’agression américaine contre une infrastructure critique en Europe n’a suscité aucun commentaire, et aucune de ces vertueuses indignations qui auraient salué la moindre initiative russe ou chinoise en Europe de l’Ouest — imaginez Russes ou Chinois s’attaquant à une infrastructure critique en Europe ! Devant ce deux poids, deux mesures, une question se pose. Quelle instance vérifie les liens financiers, de toute nature, que des médias dits « français » ou des journalistes « français » entretiennent avec des ONG, des Fondations ou d’autres organisations financées depuis les États-Unis ? Combien de « voyages de presse » payés par les organisations de M. Soros, au nom de la liberté de la presse ? Qui recense les anciens « young leaders » ou autres membres d’organisations de jeunesse américaine parmi les élus, les dirigeants, les journalistes ?

    La question se pose tout aussi bien au sujet des révélations concernant les fausses accusations portées à l’encontre de Donald Trump, la censure qui a entouré les frasques d’Hunter Biden, et plus encore, la gigantesque opération de désinformation imposée par le FBI et la CIA à Twitter, comme sans doute aux autres grands passeurs de messages et d’images sur Internet. Pourquoi ce silence ? Pourquoi cet écran noir devant des informations qui pour le moins, interrogent nos relations avec les États-Unis ? Chaque session du Parlement européen voit une nuée de parlementaires répéter comme des perroquets que la propagande russe menace l’Europe.

    Il relève de la dignité de l’Union européenne que quelques voix, même marginales, même étouffées, comme celles des courageux Irlandais Clare Daly et Mick Wallace, s’élèvent pour dénoncer l’écrasante mainmise américaine sur l’information et la fabrique de l’opinion en Europe. Que les affaires qui ébranlent la démocratie américaine intéressent peu les Français, peut-être. Mais n’est-il pas intéressant de savoir que, dès l’origine les accords de Minsk que le Président Zelensky était supposé respecter, n’étaient qu’une comédie destinée à gagner du temps et tromper la Russie ? Les aveux de Mme Merkel, confirmés par M. Hollande, éclairés par la mise en lumière d’une complicité de longue date entre le Président Macron et le même Zelensky (voir le JDD du dimanche 12 février), suggèrent une toute autre lecture des évènements qui se déroulent en Ukraine ; ils tendent à donner raison aux Russes quand ils dénoncent la préparation d’une agression par l’Ukraine, la militarisation forcenée de l’espace ukrainien et l’entrée de fait de l’OTAN dans l’Ukraine pour y conduire une guerre contre la Russie que les États-Unis et l’OTAN préparaient de longue date.

    Les révélations de l’ancien Premier ministre israélien, Naftali Bennett, sur un accord de paix prêt d’aboutir entre Russes et Ukrainiens, dès mai 2022, à l’initiative d’Israël et de la Turquie, accord saboté par les Britanniques et les Américains, vont dans le même sens ; la guerre qui oppose l’OTAN et les États-Unis à la Russie a bien été décidée, voulue, entretenue par les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont du même coup réduit l’Union européenne à la soumission. L’enjeu est d’en finir avec toute volonté d’autonomie stratégique européenne, une autonomie qui ne peut être appuyée que sur une coopération avec la Russie — le capital financier et entrepreneurial européen lié aux ressources et à la profondeur stratégique russe, voilà un cauchemar qui s’éloigne pour la tribu anglo-américaine. La vérité sur les fauteurs de guerre semble n’intéresser aucun media français — faut-il parler d’officines de l’occupation américaine de l’Europe ? Ou faut-il plutôt constater que la quête de la vérité, la volonté de savoir et la passion d’informer ont disparu de la presse française, infini bavardage autour de la pensée correcte et de l’ultra-centre ?

    Faut-il que les États-Unis fassent la leçon à l’Europe sur la liberté d’expression, quand la Commission entend imposer sa censure aux opinions non conformes ? Faudra-t-il que ce soit le New York Times qui obtienne la publication des SMS échangés entre Mme Van der Leyen et M. Bourla, PDG de Pfizer ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 19 février 2023)

    Lien permanent Catégories : Manipulation et influence, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Rome : chronique d'apocalypse...

    Les éditions Fario viennent de publier un essai de Jean Lauxerois intitulé Rome - Chronique d'apocalypse. Philosophe, élève de Jean Beaufret, l'auteur a également traduit des œuvres de Heidegger, Walter F. Otto, Aristote ou Sophocle.

     

    Lauxerois_Rome - Chronique d'apocalypse.jpg

     

    " « Qui venait habiter à Rome, autour des années quatre-vingt-dix, découvrait une ville bien éloignée des images du traditionnel « Voyage en Italie » comme des clichés de l’actuel tourisme de masse. Âpre, dure, corrompue, somnolente et violente à la fois, à mi-chemin entre mythe et chaos, Rome semblait partagée entre le rêve de sa grandeur passée et la réalité de sa dégradation contemporaine – tout en gardant une beauté secrète dont l’emprise pouvait être hypnotique.

    Célèbres ou anonymes, de souche ou d’adoption, la plupart des Romains continuaient à vivre au jour le jour, avec leur fatalisme légendaire voire leur indifférence ; d’autres tentaient de lire les signes de la catastrophe annoncée… Leur inquiétude engageait à tenir la chronique de cette lente apocalypse, en sondant les profondeurs de la ville pour en déchiffrer les mortels paradoxes.

    D’autant que deux poètes aux destins croisés avaient ouvert la voie menant au labyrinthe : Ingeborg Bachmann, quittant l’Autriche pour vivre à Rome et pour finalement y mourir dans l’incendie de son appartement en 1973, et Pier Paolo Pasolini, sauvagement assassiné sur la plage d’Ostie en 1975. Leur présence vibre dans ces pages, et réveille en écho la mémoire de ceux qui ont contribué à écrire le roman de Rome – tels Michel-Ange, Poussin, Piranèse, Goethe, Chateaubriand, Stendhal, Rilke, Fellini, Moravia, Ungaretti… 

    Thomas Bernhardt, lui, écrit dans Extinction : « Rome est un lieu idéal pour une extinction comme celle que j’ai en tête. Car Rome n’est pas le centre ancien de l’histoire passée du monde, elle est, comme nous le voyons et le sentons chaque jour et à chaque heure si nous sommes attentifs, le centre du monde d’aujourd’hui… » Dans ce sillage, la chronique devenait quête d’un sens : celui du devenir de l’Europe. Car si Rome n’est plus dans Rome, qu’en est-il de l’Europe dont elle a été si longtemps le centre ?  Si nous sommes entrés dans ce qu’Ernst Jünger nomme un « interrègne », si les dieux se sont pour l’heure retirés, en laissant se déployer la puissance des Titans, Rome malmenée, et désormais marginale, serait l’image d’une Europe elle-même reléguée à la marge du monde devenu planétaire. En son apocalypse, Rome serait le miroir de l’Europe contemporaine, et son centre insolite. » "   

     

    « Qui venait habiter à Rome, autour des années quatre-vingt-dix, découvrait une ville bien éloignée des images du traditionnel « Voyage en Italie » comme des clichés de l’actuel tourisme de masse. Âpre, dure, corrompue, somnolente et violente à la fois, à mi-chemin entre mythe et chaos, Rome semblait partagée entre le rêve de sa grandeur passée et la réalité de sa dégradation contemporaine – tout en gardant une beauté secrète dont l’emprise pouvait être hypnotique.

    Célèbres ou anonymes, de souche ou d’adoption, la plupart des Romains continuaient à vivre au jour le jour, avec leur fatalisme légendaire voire leur indifférence ; d’autres tentaient de lire les signes de la catastrophe annoncée… Leur inquiétude engageait à tenir la chronique de cette lente apocalypse, en sondant les profondeurs de la ville pour en déchiffrer les mortels paradoxes.

    D’autant que deux poètes aux destins croisés avaient ouvert la voie menant au labyrinthe : Ingeborg Bachmann, quittant l’Autriche pour vivre à Rome et pour finalement y mourir dans l’incendie de son appartement en 1973, et Pier Paolo Pasolini, sauvagement assassiné sur la plage d’Ostie en 1975. Leur présence vibre dans ces pages, et réveille en écho la mémoire de ceux qui ont contribué à écrire le roman de Rome – tels Michel-Ange, Poussin, Piranèse, Goethe, Chateaubriand, Stendhal, Rilke, Fellini, Moravia, Ungaretti… 

    Thomas Bernhardt, lui, écrit dans Extinction : « Rome est un lieu idéal pour une extinction comme celle que j’ai en tête. Car Rome n’est pas le centre ancien de l’histoire passée du monde, elle est, comme nous le voyons et le sentons chaque jour et à chaque heure si nous sommes attentifs, le centre du monde d’aujourd’hui… » Dans ce sillage, la chronique devenait quête d’un sens : celui du devenir de l’Europe. Car si Rome n’est plus dans Rome, qu’en est-il de l’Europe dont elle a été si longtemps le centre ?  Si nous sommes entrés dans ce qu’Ernst Jünger nomme un « interrègne », si les dieux se sont pour l’heure retirés, en laissant se déployer la puissance des Titans, Rome malmenée, et désormais marginale, serait l’image d’une Europe elle-même reléguée à la marge du monde devenu planétaire. En son apocalypse, Rome serait le miroir de l’Europe contemporaine, et son centre insolite. »    

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Panorama d'un parcours intellectuel...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Eric Verhaeghe, animateur du Courrier des stratèges, qui l'interroge sur son parcours intellectuel...

     

                                               

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Céline, le médecin-écrivain...

    Les éditions Bartillat viennent de publier un essai de David Labreure intitulé Céline, le médecin-écrivain. Spécialiste de l'œuvre de Céline à qui il a consacré sa thèse, David Labreure est docteur en lettres modernes.

     

    Labreure_Céline, le médecin-écrivain.jpg

     

    " Derrière les rebondissements éditoriaux et les polémiques, on oublie souvent que Louis-Ferdinand Céline fut aussi médecin et un auteur prolifique de textes et d’articles sur les questions d’hygiène et de santé publique. La plupart de ces publications scientifiques étaient signés Louis Destouches, à commencer par sa thèse de médecine sur Ignace Philippe Semmelweis (1924). Toute son œuvre littéraire porte également la trace d’un intérêt profond pour la médecine, tant dans ses romans les plus célébrés que dans ses pamphlets qui en témoignent aussi pour le pire.

    Chez Céline, le statut du médecin et celui de l’écrivain se retrouvent étroitement et perpétuellement mêlés : à l’époque de Voyage au bout de la nuit (1932), celui-ci se présente avant tout en médecin, alors que c’est le romancier que les journalistes viennent interroger. C’est donc bien parce que Céline est devenu écrivain par la suite que les écrits médicaux apparaissent, a posteriori, dignes d’intérêt. Ce dernier ne s’est contenté ni d’être seulement médecin, ni tout à fait uniquement écrivain. Fort d’une connaissance en histoire sociale, médicale et littéraire, David Labreure s’est attaché à retraverser la vie et l’œuvre de Céline sous cet angle original. C’est ce continuel dialogue à trois voix entre l’homme, le médecin et l’écrivain qui sera au cœur de cet essai biographique. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • L'oeuvre de l'écrivain Roald Dahl passée au tamis du politiquement correct...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Hubert Heckmann  au Figaro Vox à propos de la suppression par l'éditeur anglais Puffin de tous les passages jugés «offensants» des livres pour enfants de l'écrivain Roald Dahl.

    Agrégé et maître de conférences en littérature médiévale à l'université de Rouen, Hubert Heckmann est membre fondateur de l'Observatoire du décolonialisme.

     

    Dahl_Charlie and the chocolate factory.jpg

    «En réécrivant les œuvres de Roald Dahl, on insulte l'intelligence des enfants»

    LE FIGARO. - Selon le Daily Telegraph , la réédition par Puffin, puissant éditeur britannique de livres pour enfants, des œuvres de Roald Dahl, en a éliminé tous les passages jugés «offensants». Le texte littéraire peut-il se réduire à un discours qui provoque l'adhésion, et qu'il faudrait donc évaluer d'un point de vue moral ?

    Hubert HECKMANN. - La question n'est pas nouvelle, surtout au sujet des œuvres adressées aux enfants : Rousseau s'insurgeait déjà dans Émile ou de l'éducation contre l'habitude de faire apprendre aux enfants les fables de la Fontaine : les animaux y incarnent le plus souvent des vices, déplorait le philosophe. La fourmi refuse l'aumône à la cigale, le loup exerce sur l'agneau la loi du plus fort, le renard obtient le fromage en flattant le corbeau… La pureté morale de l'enfant est-elle corrompue par ces fables qui reflètent cyniquement les injustices et les vices de la société ? Ou bien faut-il prendre le risque d'exposer l'enfant à la cruauté des fictions qui lui feront voir plus juste en lui-même et l'aideront à mieux comprendre le monde tel qu'il est, et non tel que ses éducateurs rêveraient qu'il soit ?

    Le Telegraph a recensé les coupes qui ont été opérées dans les romans pour enfants de Roald Dahl, et publie une impressionnante liste de passages réécrits. Tandis que l'éditeur mentionne une simple «révision du langage» pour l'adapter au lectorat contemporain, la comparaison de l'édition de 2022 avec celle de 2001 révèle un véritable massacre à la tronçonneuse : des centaines de modifications ont été apportées, qui ne touchent pas seulement à l'expression mais au sens même des histoires. L'inventaire de ces mutilations est un excellent baromètre du conformisme ambiant qui aurait à la fois désolé et réjoui Flaubert : l'auteur du Dictionnaire des idées reçues a travaillé à une Histoire de l'art officiel dans laquelle, à côté d'une liste de classiques expurgés, aurait figuré le texte de Madame Bovary faisant apparaître une par une chacune des coupes et corrections exigées par son premier éditeur. Flaubert voulait ainsi archiver la bêtise du censeur, garder une trace indélébile de cet autre livre que la censure a fabriqué en défaisant son roman.

    Se livrer, dans cet esprit, au jeu des différences avec les deux versions de l'œuvre de Roald Dahl, c'est à la fois prospecter l'extension du domaine de nos susceptibilités et redécouvrir certaines caractéristiques du style de Dahl, parfois particulièrement abrasif, mais aussi éprouver la différence fondamentale entre le plaisir que procure une bonne histoire et l'ennui que sécrète le conformisme de la bonne morale. Dans Fantastique Maître Renard, «c'était une sorte de nain ventru» devient «il était ventru». Dans Les deux gredins, «Oh, la ferme, vieille sorcière !» devient «Oh, la ferme, vieux corbeau !». L'imaginaire est placé sous la surveillance du politiquement correct : les rêves et les terreurs de l'enfance ne doivent plus vexer personne.

    Dahl savait composer des histoires qui plaisent aux enfants. «Je me fous de ce qu'en pensent les adultes», avait-il coutume de dire. Quand on voit le charcutage opéré dans la nouvelle édition, on se dit que puisque ce sont les adultes qui achètent les livres aux enfants, c'est donc des enfants que se fout l'éditeur. Peu importe que l'histoire leur plaise, il faut qu'elle rassure les clients, c'est-à-dire les parents, en n'offrant aucune prise aux polémiques artificielles des réseaux sociaux. On vendra donc un Roald Dahl de bon goût, sans outrance ni violence. Sur la boîte d'une poudre que Georges Bouillon mettait dans son chaudron, on pouvait lire dans la version originale : «Poudre qui fait exploser les chiens». On lira désormais, dans la version expurgée : «Poudre qui fait sauter les chiens comme des puces». Demandez donc à des enfants quelle version ils préfèrent ! Il est tellement plus plaisant d'imaginer le chien exploser... et c'est bien ce plaisir de l'enfant qui risque d'inquiéter et de déranger les plus sérieux des parents, soucieux du message qui est communiqué à leur enfant : incitation à la haine spéciste et à la cruauté envers les animaux ? Apologie du terrorisme caniphobe ? Les histoires inoffensives sont ennuyeuses, mais elles n'offensent personne.

    Le style de Dahl est fondé sur des métaphores exagérées et des adjectifs grotesques et colorés. En s'attaquant aux mots jugés «offensants», ne s'attaque-t-on pas aussi à l'auteur ?

    En effet, Dahl est cruel avec ses personnages, aussi bien dans son langage que dans les situations qu'il imagine. Cette cruauté relève du domaine de la fiction, et c'est céder à la confusion que de la prendre pour une méchanceté visant des individus ou des groupes, qu'il faudrait protéger dans la réalité en rectifiant le texte. L'un des ressorts de la «cancel culture» que j'analyse dans Cancel ! est l'incapacité ou le refus de distinguer le réel de la fiction.

    Les romans pour enfants de Dahl sont considérés comme dangereux parce qu'ils prennent les enfants au sérieux : ils abordent la question du mal et de la perversion, par exemple lorsqu'ils mettent en scène des personnages comme les sorcières qui font du mal aux enfants au nom de ce qu'elles estiment être le «Bien». La violence est filtrée par l'humour de Dahl, qui permet aux enfants de se délecter de descriptions qui les choquent ou les repoussent par ailleurs, et d'évacuer ainsi leur tension par le rire. Les romans de Dahl permettent aux enfants de se confronter au problème ou au mystère du mal : c'est ce qui leur est aujourd'hui reproché.

    Certes, en réécrivant son œuvre, on s'attaque à l'auteur, mais ce n'est pas ce que je trouve ici le plus grave. Le plus consternant, c'est la manière dont cette réécriture s'attaque aux enfants, et insulte leur intelligence. En gommant toute trace de négativité dans les histoires qu'on leur fait lire, on présente aux enfants l'image d'un monde aseptisé, faux, dénué du moindre intérêt. Les héros de Roald Dahl sont des enfants, révoltés contre la bêtise, qui échappent, notamment par la lecture, à leur sort et à la médiocrité. C'est cette révolte qui est condamnée par les sorcières dans la fiction et par les censeurs dans les maisons d'édition, dans les deux cas sous des apparences faussement bienveillantes…

    Dans Sacrées sorcières, Matilda ou encore James et la grosse pêche, les figures d'autorité se révèlent hypocrites : les enfants protagonistes de ces œuvres ne sont pas menacés par des monstres mais par des adultes dont la haine des enfants est déguisée sous le masque de la bienveillance. Dans Sacrées sorcières, le jeune narrateur est d'abord rassuré d'avoir rencontré des «dames splendides» et des «gens merveilleusement gentils», mais la façade s'effrite rapidement : «À bas les enfants !», entend-il chanter par les sorcières.

    Il est extraordinairement ironique de constater que la réécriture qui abolit la négativité, en recouvrant les descriptions de la cruauté et de la bêtise humaines d'un masque bienveillant, s'inscrit dans la continuité de l'hypocrisie des sorcières elles-mêmes, comme s'il fallait éviter que la façade des belles apparences ne s'effrite. Ce faisant, la réécriture s'attaque directement à la liberté que ces petits héros gagnent grâce à la littérature. De Matilda, Dahl écrit : «Les livres la transportaient dans des univers inconnus et lui faisaient rencontrer des personnages hors du commun qui menaient des vies exaltantes. Ainsi navigua-t-elle sur d'antiques voiliers avec Joseph Conrad, explora-t-elle l'Afrique avec Ernest Hemingway et l'Inde avec Rudyard Kipling.» La version expurgée ne permet plus à Matilda d'emprunter ce qu'elle veut à la bibliothèque, ni de livrer les clés de son imaginaire au premier inconnu, fût-il un romancier de génie. L'imaginaire de Matilda devra désormais respecter la parité et délaisser les auteurs associés au colonialisme : «Elle a visité des propriétés du XIXe siècle avec Jane Austen. Elle est allée en Afrique avec Ernest Hemingway et en Californie avec John Steinbeck.» La surveillance des lectures des jeunes filles n'aura été négligée que durant une brève parenthèse, pendant la seconde moitié du XXe siècle : un nouveau conformisme vient prendre le relais de l'ordre moral bourgeois. Parions qu'il est voué au même échec, à condition de susciter les mêmes révoltes. Des révoltes dignes de Matilda !

    Des termes jugés «offensants» à une époque ne le sont pas à une autre. En réécrivant les livres, en fait-on un produit destiné à s'inscrire uniquement sur le temps court ?

    Cette accélération du temps, accompagnée d'une obsolescence programmée des produits culturels, est déterminée par des enjeux commerciaux : Netflix a acquis en 2021 la compagnie qui gère les droits de Roald Dahl. Tandis que Matilda découvrait et conquérait la liberté par la lecture, l'industrie culturelle souhaite transformer les romans de Dahl en un «univers» décliné en produits dérivés. Le lecteur de Charlie et la chocolaterie se rappellera comment Dahl dénonce au vitriol la débilitation des enfants par cette industrie culturelle, incarnée à l'époque par la télévision. Il n'y a pas de pire trahison de l'œuvre de Roald Dahl que la gestion actuelle de ses droits, et la réécriture des romans s'inscrit dans l'offensive idéologique de grande ampleur menée par des firmes comme Disney ou Netflix.

    La réécriture des romans de Dahl a été confiée au collectif Inclusive Minds, l'une des nombreuses officines qui se donnent pour mission d'exercer la tyrannie des minorités. On voit apparaître en français l'expression «lecteurs sensibles», pour traduire l'anglais «sensitivity readers» : il s'agit en fait de censeurs identitaires, que Salman Rushdie vient de dénoncer au sujet de l'affaire qui nous occupe comme une «police des sensibilités». L'industrie culturelle s'appuie sur la police des sensibilités pour acheter la paix auprès des entrepreneurs identitaires. Il s'agit donc d'une censure préventive fondée sur la peur de perdre de l'argent. La réécriture a pour but de neutraliser par avance toute polémique possible, ce qui tourne vite à l'absurde : les couleurs sont effacées quand il s'agit de personnes (James n'est plus «blanc de peur» dans James et la grosse pêche), mais aussi quand il s'agit d'objets : les tracteurs de Fantastique Maître Renard ne sont plus noirs…

    Dahl a été critiqué de son vivant et a même déjà été contraint de réécrire lui-même certains passages de ses romans pour enfants. En 1973, sous la pression de la National Association for the Advancement of Colored People, Dahl a partiellement réécrit Charlie et la chocolaterie. Les Oompa Loompas étaient dans la version de 1964 «une tribu de Pygmées minuscules», que Willy Wonka avait «fait venir d'Afrique» pour travailler dans son usine sans autre rémunération que des fèves de cacao. Sans reconnaître de racisme dans la version originale, Dahl a accepté de faire des Oompa Loompas des créatures issus du «Loompaland» à la «peau blanche rosée».

    On connaît aujourd'hui les préjugés racistes, notamment antisémites, de Roald Dahl. Faut-il donc craindre que son œuvre soit contaminée, ou toxique ? On ne le saura qu'en examinant le texte qu'il a écrit, et de ce point de vue aussi la réécriture est une absurdité, puisqu'elle ne fait que camoufler les vices que certains prêtent à l'œuvre.

    Non seulement la réécriture s'inscrit dans un temps très court, puisqu'il faudra à chaque réédition opérer une mise à jour idéologique ou une mise en conformité avec les dernières normes du conformisme moral, mais elle fait échapper l'œuvre à l'Histoire : les romans de Dahl n'appartiennent plus à leur époque, datée par ses préjugés, mais elle est revue et corrigée à l'aune de nos propres préjugés. Réécrire les œuvres du passé au lieu de les analyser et de les critiquer, cela revient à réécrire l'Histoire en fonction de nos désirs. Ce n'est plus une démarche critique, mais la fuite en avant dans la production d'un délire qui s'oppose au réel, à la façon des mensonges totalitaires.

    Par ailleurs, cette réécriture ne montre-t-elle pas aussi une ignorance et un mépris absolus du processus d'écriture ? Un livre est-il la somme de n'importe quels mots ?

    Ce qui me frappe dans la version réécrite de l'œuvre de Dahl, c'est son caractère impersonnel. Le collectif Inclusive Minds qui a expurgé les textes indique sur son site qu'il travaille à «une représentation plus authentique» et à une «meilleure inclusion» dans les livres pour enfants. Dans le projet du collectif, les personnages de fiction sont censés représenter les lecteurs et leurs différentes identités, en leur ressemblant. Il faut donc gommer tout ce qui pourrait empêcher dans cette optique l'enfant d'aujourd'hui de s'identifier au personnage, et effacer en particulier la différence sexuelle. Ainsi les «père et mère» deviennent «les parents», les «garçons et filles» deviennent «les enfants», etc. Considérons le passage de La Potion magique de Georges Bouillon où la grand-mère de Georges lui demande de manger des chenilles : «Les chenilles rendent intelligent, dit la vieille femme. — Maman lave soigneusement les feuilles de chou, répliqua Georges. — Maman est aussi idiote que toi, affirma Grandma. Le chou n'a aucun goût sans quelques chenilles bouillies, ni sans limaces.» La version réécrite en 2022 remplace évidemment les phrases où il est question de «Maman» par «Papa et Maman». «Papa et Maman lavent les feuilles de chou», dit Georges. «Papa et Maman sont aussi idiots que toi», déclare Grandma. Ce que l'on gagne en inclusion, puisque Papa et Maman se partagent les tâches ménagères aussi bien que les insultes de leur mère et belle-mère, on le perd en acuité psychologique.

    La sorcière est contrainte par la censure à entretenir exactement la même relation avec sa fille et son gendre, alors qu'elle détestait chacun d'une manière spécifique. L'histoire perd tout son sel si les relations deviennent interchangeables. Le domaine spécifique de la littérature de fiction, c'est le particulier et non le général. Un roman peut atteindre l'universel à travers la description d'une situation singulière, mais s'il vise le général il rate sa cible à coup sûr. Roald Dahl a minutieusement choisi les mots qui décrivent le mieux les situations spécifiques qu'il a imaginées, avec son humour cruel. Ces modifications n'aideront personne à mieux s'identifier aux personnages (il n'y a jamais eu besoin de ressembler aux héros à qui l'on s'identifie), mais elles sonnent si creux qu'elles font la preuve par l'absurde que les personnages ne servent pas à représenter les lecteurs. Le lecteur, qu'il soit enfant ou adulte, préférera toujours un personnage différent de lui mais spécifique, singulier, plutôt qu'une abstraction conceptuelle censée représenter de façon plus inclusive des identités plus ouvertes.

    On peut aussi établir un rapprochement avec la récente version de ChatGPT : au jeu du conformisme, de la pauvreté syntaxique et du vocabulaire univoque, l'intelligence artificielle risque, à terme, de nous battre. La liberté de ton n'est-elle pas aussi un rempart face à l'IA ?

    Là où ChatGPT fabrique du même, en recyclant des discours préalablement digérés, l'œuvre littéraire confronte à l'autre. Cette altérité peut bousculer, mais le vrai respect de l'enfant n'est pas d'éviter de le heurter, c'est de respecter la singularité de son intelligence. Au lieu de l'enfermer dans le conformisme, il faut lui donner à lire les livres qui lui permettront de sortir de lui-même pour qu'il s'ouvre à de nouvelles perspectives, qu'il découvre des formes culturelles et artistiques complexes et ambiguës ne servant aucune cause et ne se réduisant à aucun message, mais qui lui permettront d'enrichir ses moyens d'appréhender le monde.

    L'œuvre de Roald Dahl répond magnifiquement par anticipation à l'entreprise de nivellement linguistique et de censure idéologique dont elle est victime, et en cela elle confirme son statut d'œuvre littéraire. Les Oompa Loompas de Charlie et la chocolaterie nous adressent un message plein de nostalgie mais aussi d'espoir :

    «Que faisiez-vous, étant petits
    Pour vous vitaminer l'esprit ?
    C'est oublié ? Faut-il le dire
    Tout haut ? LES… ENFANTS… SAVAIENT… LIRE !»

    Hubert Heckmann (Figaro Vox, 22 février 2023)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Les snipers de la semaine... (251)

    Lanvin_Les Lyonnais.jpg

     

    Au sommaire cette semaine :

    - sur le site de Causeur, Jean-Paul Brighelli rafale Sciences-po Paris et sa peur de ChatGPT...

    ChatGPT, la Grande Peur de Sciences-Pipeau

    Sciences-po.jpg

    - sur Hashtable, H16 allume les projets de ville-prison qu'on nous réserve pour dans un proche avenir...

    La ville de 2030 : une prison à ciel ouvert

    Ville-prison.jpg

     

    Lien permanent Catégories : Snipers 0 commentaire Pin it!