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  • La dette ?... Une machine devenue folle !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la dette...

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    « La dette ? Une machine devenue folle et proche de ruiner tous les États »

    La dette… La dette… La dette ! Elle obsède tout le monde, et c’est sans doute à juste titre. Mais comment en est-on arrivé là ?

    La possibilité offerte aux ménages d’emprunter pour couvrir leurs dépenses courantes ou acquérir un logement a été l’innovation financière majeure du capitalisme d’après-guerre. À partir de 1975, c’est ce qui a permis de compenser la baisse de la demande solvable résultant de la compression des salaires et de la précarité du travail. Le crédit a ainsi représenté pendant des décennies le véritable moteur de l’économie. Aux États-Unis, cette tendance a encore été encouragée dans les années 1990 par l’octroi de conditions de crédit de plus en plus favorables, sans aucune considération de la solvabilité des emprunteurs. Quand la crise financière de 2008 a éclaté, les États se sont encore endettés pour empêcher les banques de sombrer. La machine s’est alors emballée de façon telle que les États surendettés sont devenus prisonniers de leurs créanciers, ce qui a limité d’autant leur marge de manœuvre en matière sociale et politique. Aujourd’hui, ils se retrouvent pris dans un système usuraire, puisqu’ils n’ont d’autre alternative que de continuer à emprunter pour payer les intérêts de leur dette (la France emprunte, à cet effet, 50 milliards d’euros par an), ce qui augmente encore le montant de cette dette.

    Résultat : le volume total de la dette mondiale atteint aujourd’hui le chiffre faramineux de 200.000 milliards de dollars, soit 286 % du PIB mondial, contre 142.000 milliards de dollars en 2007. Et encore ne tient-on pas compte des dettes contingentes comme la dette bancaire ou celle des retraites à servir !

    La dette cumulée de tous les États atteint des niveaux stratosphériques. Les particuliers et les ménages savent bien pourtant que personne ne peut vivre perpétuellement à crédit…

    Il semble, en effet, préférable de ne pas dépenser plus que ce que l’on gagne. Mais le problème est qu’on ne peut assimiler le budget d’un État à celui d’un ménage. Un État est tenu de faire des investissements à long terme qui, ne pouvant être financés sur la base des seules recettes courantes, doivent obligatoirement l’être par l’emprunt. Les nations, en outre, ne sont pas des êtres mortels : un pays ne fait pas faillite à la façon d’une entreprise ou d’un particulier. Enfin, quand il emprunte, un État n’engage pas sa propre fortune, mais celle de ses citoyens (il gage une partie de l’épargne des plus aisés plutôt que de la prélever par le moyen de l’impôt). Ce faisant, il se soumet, en revanche, aux marchés financiers. Le montant de la dette indique le degré d’aliénation de l’État.

    Tout le monde fait les gros yeux à la Grèce, en affirmant qu’elle « doit payer sa dette ». Michel Sapin dit même que, si elle ne la payait pas, cela coûterait 600 ou 700 euros à chaque Français. Mais que faire quand on ne peut pas payer ?

    Rappelons d’abord que, contrairement à ce que prétend la vulgate médiatique, l’envolée de la dette grecque est due pour l’essentiel à des taux d’intérêt extravagants et à une baisse des recettes publiques provoquée par des amnisties fiscales qui ont surtout profité à l’oligarchie. Quant à Michel Sapin, il dit n’importe quoi. Les prêts que la France a consentis à la Grèce sont, en effet, déjà comptabilisés dans la dette publique française, que la France n’a pas plus que la Grèce l’intention (ni les moyens) de payer. Il n’y a, en fait, aucun avenir pour la Grèce à l’intérieur d’une Union européenne qui cherche à constitutionnaliser les politiques d’austérité afin de museler la souveraineté populaire : comme l’a dit sans fard Jean-Claude Juncker, porte-parole des étrangleurs libéraux et subsidiairement président de la Commission européenne, « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » (sic). La Grèce n’a d’autre choix que de passer sous la table ou de la renverser, c’est-à-dire de faire défaut sur sa dette et de sortir de l’euro.

    Ceux qui font les gros yeux à la Grèce devraient essayer de comprendre que, si la morale est de mise en matière de dette privée (cf. l’allemand Schuld, « dette », et schuldig, « coupable »), elle ne l’est pas en matière de dette publique. Quand un État emprunte, il ne s’engage pas moralement, mais conclut un simple accord financier. La valeur de cet accord est subordonnée à des exigences politiques, en ce sens qu’aucun État ne peut saigner à mort son peuple au seul motif que les accords signés doivent toujours être respectés (pacta sunt servanda). L’économie de la servitude n’est, en effet, pas supportable : on ne saurait exiger d’un peuple qu’il rembourse une dette contractée dans le passé à ses dépens. Au demeurant, les exemples ne manquent pas qui montrent que l’obligation de rembourser une dette publique n’a jamais été considérée comme absolue. La dette de l’Équateur a été supprimée en 2008, celle de l’Islande en 2011. En Pologne, dès l’arrivée au pouvoir de Lech Wałęsa, en 1990, les créanciers de ce pays ont réduit sa dette de 50 %. Quand ils ont envahi l’Irak en 2003, les États-Unis ont épongé la dette irakienne pour assurer la solvabilité du pouvoir qu’ils venaient de mettre en place à Bagdad. Quant à l’Allemagne, elle ferait bien de ne pas oublier qu’après la guerre, le « miracle économique » allemand n’a été rendu possible que grâce à l’accord de Londres du 27 février 1953, qui a d’un trait de plume supprimé plus de la moitié de sa dette extérieure. C’est la meilleure preuve que, lorsqu’une dette devient insupportable, il n’y a pas d’autre solution que de l’annuler ou de la restructurer.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 28 mars 2015)

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  • A propos de la reconnaissance de l'Etat palestinien...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la reconnaissance de l’État palestinien...

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    Les Palestiniens savent que les Israéliens ne voudront jamais d’un État palestinien

    Aujourd’hui, 2 décembre, et ce, à l’initiative du Parti socialiste, l’Assemblée nationale devrait voter la reconnaissance formelle d’un État palestinien, dans ses frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale. Il était temps, non ?

    Depuis que le rêve d’un État binational s’est évanoui, chacun sait qu’il ne peut y avoir de solution au conflit israélo-palestinien qu’à la condition que soit créé un État palestinien souverain. Chacun en convient, mais dans le passé l’idée prévalait que « le moment n’est pas encore venu ». Une bonne manière de renvoyer l’affaire aux calendes grecques. L’ancien ambassadeur d’Israël en France, Élie Barnavi, disait récemment dans Le Figaro : « Si les Juifs avaient attendu l’accord des Arabes pour créer leur État, ils attendraient toujours. » On pourrait en dire autant des Palestiniens, qui savent très bien que les Israéliens ne voudront jamais d’un État palestinien. C’est précisément la raison pour laquelle 135 pays (sur 193) ont déjà officiellement reconnu ledit État palestinien. Que la France, prenant pour une fois ses distances vis-à-vis de Washington, vienne s’ajouter à ces pays ne serait que justice. Ce serait même tout à son honneur.

    Cette reconnaissance ne serait bien entendu qu’un signal symbolique, dont il ne faut donc pas surestimer les effets. Mais ce serait un signal fort. À un moment où le conflit prend un tour plus religieux que politique, en raison de la double surenchère des islamistes et des groupes juifs ultra-religieux, tandis que l’on enregistre une nouvelle vague de violence en réaction à la politique israélienne de colonisation des territoires occupés (380.000 colons vivent aujourd’hui en Cisjordanie), ce serait une façon de proclamer solennellement que la solution à ce conflit ne peut être que politique. Ce que n’ont visiblement pas compris, en Israël, ceux qui n’ont pas encore tiré la leçon de l’échec des opérations militaires de l’été dernier dans la bande de Gaza.

    Traditionnellement, la gauche a toujours été divisée sur la question. Mais à en croire Roland Dumas, Pierre Mendès France, sioniste de toujours, fut également un pionnier historique de la cause palestinienne. Il n’a pas été le seul à camper sur ces positions. Contradiction ? Aujourd’hui, le Front national ne compte que deux députés au Parlement : Gilbert Collard, qui votera contre la reconnaissance de l’État palestinien, et Marion Maréchal-Le Pen, qui votera pour (à moins qu’elle ne s’abstienne finalement – NDLR). Autre contradiction ?

    L’histoire ne s’écrit jamais en noir et blanc. Dans une telle affaire, tous les camps sont partagés. À l’intérieur même de l’EI (l’État d’Israël, pas l’État islamique !), les positions de Benyamin Netanyahou ne font pas l’unanimité. J’en veux pour preuve que deux anciens ambassadeurs d’Israël en France, Élie Barnavi et Nissim Zvili, se sont eux aussi prononcés pour la reconnaissance d’un État palestinien, alors qu’ils savent très bien qu’Israël pourra alors être officiellement reconnu comme occupant le territoire d’un État souverain. Ils entendent par là protester contre l’autisme d’une classe politique israélienne qui, après avoir favorisé le Hamas aux dépens des mouvements palestiniens laïcs, s’efforce de délégitimer par tous les moyens l’Autorité palestinienne pour faire croire qu’il n’y aura jamais de partenaire avec lequel il lui faudra négocier.

    Pour ce qui est du Front national, il me semble qu’il s’est très clairement – et de façon très gaullienne – prononcé en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien. Gilbert Collard, comme Aymeric Chauprade d’ailleurs, exprime donc une position qui n’engage que lui.

    Et les Arabes israéliens, qui représentent quand même 20 % de la population de l’État d’Israël ?

    Le 24 novembre, Benyamin Netanyahou a fait adopter un projet de loi qui ne définit plus Israël comme un État « juif et démocratique », ainsi que le prévoient les lois fondamentales qui font office de Constitution, mais comme l’« État national du peuple juif ». Ce projet, proposé par l’aile dure du Likoud, mais qui a été dénoncé par le procureur général Yehuda Weinstein, conseiller juridique du gouvernement, par l’ancien ministre de la Défense Moshe Arens (qui parle d’une « loi inutile et nuisible »), par le ministre de la Justice Tzipi Livni et par cinq autres ministres, aura pour effet, s’il est adopté, que la langue arabe perde son statut historique de langue officielle, et que la loi religieuse prime définitivement sur la loi civile. Il ouvrira ainsi la porte à l’institutionnalisation de nouvelles discriminations envers la minorité arabe israélienne.

    Les Arabes israéliens ne se sont de toute façon jamais vu reconnaître la nationalité israélienne. La carte d’identité israélienne (teoudat zehout), délivrée par le ministère de l’Intérieur, distingue en effet nettement la citoyenneté et la nationalité. Cette dernière peut être de nature politique, comme c’est le cas pour les résidents permanents qui possèdent une citoyenneté étrangère (on parle alors d’ezrahout), mais pour le cas général, elle s’entend au sens de l’ethnie (on parle alors de le’om), ce qui signifie que, s’il existe une citoyenneté israélienne commune, il n’existe pas de nationalité israélienne commune : il y a un État israélien, une « nation juive » incluant la Diaspora, mais pas de nation israélienne. Paradoxalement, c’est donc seulement à l’étranger qu’un Arabe ou un Druze d’Israël pourra être considéré comme de « nationalité israélienne », alors qu’au sens propre, celle-ci n’existe pas.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 décembre 2014)

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  • Le poids de l'impôt...

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    La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 75, novembre - décembre 2014).

    Le dossier central est consacré à l'impôt, à sa perception par l'état et aux réactions qu'il a pu suscité au fil de l'histoire. On peut y lire, notamment,  des articles de Emma Demeester ("Aux origines de l'impôt royal" ; "La dîme, un impôt millénaire"), de Philippe Conrad ("Soulèvements paysans contre l'impôt" ; "1789 : la tyrannie du fisc" ; "Juillet 1914 : naissance de l'impôt sur le revenu"), de Jean-Joël Brégeon ("Gabelle, faux-sauniers et gabelous"), de Martin Benoist ("La Dîme royale de Vauban"), de Jean Kappel ("Les fermiers généraux"), de Virginie Tanlay ("Napoléon et l'impôt") et de Philippe Parroy ("1953 : Poujade, le rebelle contre le fisc").

    Hors dossier, on pourra lire, en particulier, deux entretiens, l'un avec Christian Harbulot ("La France détruit sa puissance") et l'autre avec Bernard Lugan ("Atlas des guerres africaines"), ainsi que des articles d'Emma Demeester ("Brantôme, de l'épée à la plume"), d'Henri Levavasseur ("Des Européens aux portes de la Chine"), de Rémy Porte ("1914 : la mêlée des Flandres"), de Tancrède Josseran ("1914 : l'impossible neutralité de l'Empire ottoman") et d'Aude de Kerros ("Conflits autour de l'art abstrait").

     

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  • L'incantation, un art français majeur ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christian Harbulot, cueilli sur Les influences et consacré à l'utilisation par nos dirigeants des grands discours incantatoires pour masquer l'absence de stratégie et d'action politique réelle...

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    L'incantation, un art français majeur

    L’incantation est-elle devenue un critère dominant dans la manière de gouverner la France ? Le thème du retour de la croissance en est l’illustration symbolique dans le discours des Présidents de la République. François Hollande est sans doute celui qui en a fait le plus grand usage pour masquer son absence totale de stratégie selon ses détracteurs.

    La parole de la France est de plus en plus perçue comme une incantation permanente. Les annonces d’intervention dans le conflit syrien, les mises en garde à la Russie dans le conflit ukrainien, les appels au cessez le feu dans le conflit entre l’armée israélienne et les groupes armés palestiniens dans la bande de Gaza : autant d’incantations non suivies d’effets. Le plus grave dans cette histoire est la manière dont le politique déteint sur les administrations. Le Quai d’Orsay est un peu le prototype de ce type de démarche rhétorique. Contrairement aux effets d’annonce, la prise en compte de la diplomatie économique n’a pas révolutionné le fonctionnement de ce Ministère. La création d’une direction des entreprises est accueillie avec méfiance par les énarques de la diplomatie française qui n’arrivent pas à passer de la fonction de représentation à une démarche proactive capable de contribuer à l’enrichissement de la France, donc de ces citoyens.

    Réclamer des patrons patriotes, c’est louable mais inefficace.

    Dans les faits, ce ministère fonctionne sur lui-même. Le ministre énonce des principes, les fonctionnaires les appliquent mais l’appareil tourne sur lui-même car personne ne veut s’atteler au changement vital de logiciel : passer d’une vision patrimoniale de la France à une approche dynamique de l’accroissement de puissance. Arnaud Montebourg a été un bon exemple de ce recours aux principes incantatoires. Réclamer des patrons patriotes, c’est louable mais inefficace. Lutter contre la mondialisation déloyale, c’est faire abstraction des réalités de la guerre économique où la compétition loyale est un non sens. Construire un modèle entrepreneurial solidaire, c’est d’abord comprendre les contradictions et les limites de l’économie sociale par rapport à l’économie de marché. Prôner l’interventionnisme étatique afin de préserver la souveraineté de nos entreprises est un aveu de faiblesse plus qu’une posture de combat.
    Le pouvoir politique français s’avère pour l’instant incapable de rentrer dans le monde du XXIe siècle. Les débats hexagonaux se focalisent sur l’éternel palabre sur la croissance, le respect de la démocratie et la défense des droits de l’homme. C’est louable mais ces incantations sont impuissantes pour se positionner dans un monde multipolaire dangereux dominé par des affrontements économiques (les économies les plus compétitives sont des économies conquérantes), territoriaux (Palestine, Ukraine), idéologiques (démarches totalitaires islamique en Irak et en Syrie), sociétaux (les ghettos sans mur aux Etats-Unis, la criminalité de masse au Brésil).

    La gouvernance politique de la France en est restée à une approche caricaturale du monde : préservation des alliances stratégiques (notamment avec les Etats-Unis), maintien de la sécurité internationale (vœu pieux), préservation de l’ordre public intérieur (de plus en plus délicat compte tenu des tensions provoquées par les islamistes fanatiques et la montée des peurs induites par l’évolution démographique du pays). Sans oublier ce qu’il faut lire entre les lignes comme l’achat de la paix sociale que j’ai abordé dans une précédente chronique. Cette posture ne nous mène nulle part et les rentes de situation républicaines ont une durée de vie limitée dans le temps.

    Christian Harbulot (Les influences, 4 septembre 2014)

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  • Alstom, le symbole d'une trahison !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur Europe solidaire et consacré l'affaire Alstom. Quand ceux qui sont chargés de défendre l'intérêt général trahissent leur pays...

     

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    Alstom. Le symbole d'une trahison

    L'affaire Alstom, ce qu'il faudra bien appeler le scandale Alstom, n'a été que le dernier en date d'une suite d'abandons où l'Etat a laissé les fleurons de l'industrie française partir aux mains non seulement de la spéculation boursière à courte vue, mais, plus grave, aux mains des Etats étrangers pour qui la France est devenue une terre de conquête, pour qui aussi l'Etat à la française, hérité du Front populaire et du Conseil national de la résistance, est devenu le monstre à abattre. De quelle trahison Alstom est-il le symbole? De celle de la haute administration française qui en cet âge du capitalisme financier triomphant, a oublié les valeurs de ce que l'on nommait jadis le service public. Un certain nombre de ceux qui avaient suivi avant les années 1970 la formation classique des futurs fonctionnaires d'un certain grade (Science-Po, section service public, puis Ecole Nationale d'Administration) nous demandent d'exprimer leur écœurement. C'est aussi le nôtre. A cette époque, l'on pensait vraiment qu'il existait un Etat au service duquel il convenait de se mettre. Certains, il est vrai, quittaient très tôt l'administration pour « entrer dans le privé » (ce qui se disait pantoufler), ou pour faire de la politique. Mais l'essentiel des promotions acceptait des carrière souvent obscures, mal rémunérées, avec le sens chevillé au corps de servir l'intérêt général. Les « anciens élèves de l'Ena » de l'époque n'y trouvaient pas matière à se vanter, car ils savaient que ce même besoin de servir l'intérêt général animait – et anime encore- des millions de fonctionnaires de moindre grade, dans tous les corps de l'Etat, civils et militaires.

    Les choses ont bien changé lorsque, sous la pression d'une idéologie venue tout droit de l'Amérique du Big business, l'ensemble de la société française a commencé à considérer que les agents publics étaient inutiles. Il fallait, au niveau de la haute administration, quitter celle-ci très vite pour se mettre au service des entreprises. Le mal avait commencé au niveau de l'inspection générale des finances. Celui qui dans ce « grand corps » avait accepté un peu plus longtemps qu'un an de faire un métier pour lequel la collectivité le rémunérait, c'est-à-dire inspecter les finances, fut très vite considéré, selon la phrase honteuse de Jacques Séguéla, comme ayant raté sa vie. Il fallait impérativement entrer dans la banque avant quarante puis bientôt avant trente ans.

    Le mal s'est étendu à tous les corps de l'Etat, concernant tout au moins les hauts fonctionnaires. L'opinion éclairée a considéré que ne restaient au service dudit Etat que ceux incapables de faire autre chose. Plus subtilement, ceux qui ne voulaient pas abandonner le statut de la fonction publique tout en se mettant au service des affaires ont choisi de se faire recruter dans les cabinets ministériels. Là, soumis aux pressions des lobbies de toutes sortes, et pour accélérer leur carrière, ils ont conseillé à des ministres qui pour la plupart ne comprenaient rien aux enjeux, d'appliquer des politiques ou de prendre des mesures individuelles qui n'avaient plus de service public que le nom.

     

    La dernière en date d'une suite d'abandons

    L'affaire Alstom, ce qu'il faudra bien appeler le scandale Alstom, n'a été que la dernière en date d'une suite d'abandons où l'Etat a laissé les fleurons de l'industrie française partir aux mains non seulement de la spéculation boursière à courte vue, mais, plus grave, aux mains des Etats étrangers pour qui la France est devenue une terre de conquête, pour qui aussi l'Etat à la française, hérité du Front populaire et du Conseil national de la résistance, est devenu le monstre à abattre.

    Dans cette affaire Alstom, certains observateurs ont mis en cause la responsabilité d'une chargée de mission interministérielle qui au lieu d'exercer cette mission, n'a rien trouvé mieux que de se mettre au service d'une entreprise étrangère pour qui s'installer en France consiste à absorber ce qui dans son secteur restait d'ingénieurs et de travailleurs au service de l'économie française. Mais les premiers responsables ont été les fonctionnaires supérieurs à la nouvelle mode, qui n'ont cessé d'expliquer aux ministres, de droite et de gauche, que l'Etat ne devait plus exercer de responsabilité, ni dans l'industrie ni même dans ce que l'ex-Commissariat général au Plan (que Dieu ait ses cendres) appelait jadis les stratégies industrielles. Bruxelles y pourvoirait et, s'il ne le faisait pas, ce n'en serait que mieux pour la prospérité de l'économie.

    On voit ce qu'il en est aujourd'hui. Partout dans le monde, pays développés, pays émergents et même pays en (sous) développement, le besoin de grandes stratégies industrielles et scientifiques,s'appuyant sur des atouts nationaux ou régionaux puissants, se fait sentir. Partout dans le monde le besoin de cadres non seulement compétents mais intègres, est souligné. La République française, qui avait pu jadis, au moins dans certains domaines, donner l'exemple des solutions nécessaires, offre dorénavant l'exemple d'un chien rentrant queue basse dans sa niche à la première injonction de son maître. (1)

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 21 juin 2014)

    Note :

    (1) Certains pourront nous opposer: "Mais de quoi vous plaignez-vous ? Le compromis auquel le gouvernement est parvenu avec General Electric préserve les intérêts de la France..."
    Encore faut-il appeler un chat un chat : même si avec ce compromis, on est très loin de l'intention première du patron d'Alstom Patrick Kron, qui avait fait voter par son conseil d'administration, le 29 avril, la vente de sa branche énergie (70% de son chiffre d'affaires) à son ami Jeff Immelt, patron de GE, il n'en reste pas moins que les alliances décidées sont détenues à 50-50 entre GE et Alstom... Et si dans la concession sur le nucléaire, GE a proposé de créer une coentreprise 50/50 sur les turbines à vapeur pour le nucléaire (les Arabelle) dans laquelle l'Etat français disposerait d'actions préférentielles avec droit de veto, ainsi que la propriété intellectuelle de cette technologie, il faut bien voir que pour le reste de l'activité d'Alstom dans l'énergie thermique - les turbines à vapeur utilisées dans les centrales à charbon et les centrales à gaz à cycle combinée, les turbines à gaz, les alternateurs, etc. -, GE récupère tout. Dans le lot, en particulier, le trésor d'Alstom : la base installée des équipements du français génératrice de lucratifs services... Tout le monde se console en se disant : si l'Etat n'était pas intervenu, ce serait pire...
    Finalement, à quoi a-t-on assisté avec Alstom ? : à la mise en lumière de ce problème de fond récurrent, celui de l'incapacité de la France à faire émerger des investisseurs nationaux (voire européens) sur des enjeux aussi stratégiques.

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  • Peugeot, une farce française...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique vidéo d'Eric Zemmour pour le Figaro consacrée à l'emblématique affaire Peugeot au cours de laquelle on a vu l’État apporter sa bénédiction à l'entrée dans le capital du groupe français d'un grand constructeur automobile chinois... Une analyse d'une lucidité décapante !

     

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