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république - Page 6

  • Extension du domaine du halal...

    Nous reproduisons ci-dessous un article intéressant d'Emmanuel Lemieux, publié sur le site Les influences et consacré à l'enquête sur les banlieues réalisé par Gilles Kepel pour l'Institut Montaigne. Emmanuel Lemieux s'est fait connaître au début des années 2000 par un ouvrage bien documenté sur les milieux intellectuels, intitulé Pouvoir intellectuel - Les nouveaux réseaux (Denoël, 2003).

     

    Banlieue de la République , Clichy-sous-bois , Gilles Kepel , Halal , Institut Montaigne , Montfermeil

     

     

    Banlieues : extension du domaine du halal

    Une enquête de terrain, dirigée par le politologue Gilles Kepel, témoigne de l’influence de l’islam dans la vie quotidienne. L’Institut Montaigne appelle à une nouvelle attraction républicaine.

    Attention, pincettes. Rendue publique ce mardi 4 octobre 2011, "Banlieue de la république" est une étude commandée par l’Institut Montaigne et conduite par le politologue Gilles Kepel, avec la collaboration de Leyla Arslan et Sarah Zouheir. "Une enquête lourde, et longue d’une année et demi, qui a mobilisé cinq chercheurs et dégagé un budget conséquent à 100% financé par l’Institut", confirme Michaël Cheylan, directeur des affaires publiques du think tank libéral. Une enquête en profondeur également, menée à Clichy-sous-bois et à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), qui s’est intéressée à l’ensemble des dimensions permettant de "faire société". Une centaine de personnes, régularisées ou non, ont été interviewées en français, mais aussi en arabe, en turc, en cambodgien, en anglais, en peul, en soninké, sur les questions du logement, de l’éducation, de l’emploi et de la sécurité, et de leurs rapports à la politique et à la religion. L’auteur des "Banlieues de l’islam" entreprend ainsi une radiographie de l’état des lieux, vingt-cinq ans après. Le changement est de taille : en 1985, Gilles Kepel rencontra essentiellement des immigrés qui lui parlèrent de l’islam en France. En 2011, ses équipes traitent majoritairement d’enfants de l’immigration qui vivent avec l’islam de France.

    " Ces banlieues ne sont pas représentatives, comme on le dit d’un sondage réalisé selon la méthode des quotas, elles sont emblématiques" prévient Gilles Kepel. Il a choisi deux communes regroupant 60 000 habitants dans l’agglomération, emblématiques en effet des émeutes urbaines de 2005, mais aussi des handicaps sociaux. Le chômage, coeur noir de tous les problèmes, est ainsi de l’ordre de 27,7% à Clichy sous Bois, de 17,5% à Montfermeil lorsqu’il pèse 11% pour toute l’Ile-de-France. Les foyers non imposables représentent 61,30% des foyers de Clichy sous bois, 45, 40% de Montfermeil quand l’Ile de France en enregistre 33,60% Les habitants de moins de 14 ans sont plus nombreux qu’en région parisienne, et nombreux également se comptent ceux dont un parent sur deux au moins est d’origine étrangère (76% à Clichy-sous-bois, 50% à Montfermeil contre 16,9% en Ile de France).

    "Le halal touche profondément à la chair : de la table au lit"

    Le point le moins consensuel, mais le plus crucial, de ce "carottage" sociologique en banlieue profonde est l’observation de l’influence de l’islam dans la vie quotidienne des citoyens français. Certes, l’effet de piété exacerbée marque particulièrement ce territoire étudié, où les deux tiers des enquêtés se déclarent de confession musulmane. Indéniablement, l’islam, entre mouvement tabligh ("propagation de l’islam) et imam de quartier (à l’image d’un Don Camillo traditionnel-conservateur des années cinquante), pèse et structure tout un type de relations bien éloigné de l’attraction républicaine et du "vivre ensemble ". "L’une des transformations majeures en un quart de siècle est l’ubiquité du halal", instruit Gilles Kepel pour qui "cette revendication identitaire a explosé". Le halal (ce qui est licite et ce que ne l’est pas) ne se réduit plus à une déjà épineuse affaire de cantine scolaire. "Le halal a un spectre beaucoup plus large que la viande, analyse le sociologue, et touche profondément à la chair ; il fait passer de la table au lit, et construit des repères passablement complexes pour définir le licite et l’illicite." Ces lois sont extrêmement mouvantes, et sont liées "à la situation d’enclavement, au contrôle social et à l’ordre moral quotidien qui en découlent." Marqueur communautaire fort, le halal agit comme "le miroir inversé du casher" et constitue le fer de lance d’ "une compétition mimétique". Aux yeux des sondés musulmans, les juifs apparaissent en effet comme une minorité qui a su imposer sa différence au sein de la république française.

    L’étude bat également en brèche la fable du mariage mixte majoritaire ou en progrès en France. "La majorité des enquêtés souhaite que leurs enfants se marient avec une personne pratiquant le même culte. Cette préférence pour le mariage endogame revient également dans les réponses des Chrétiens d’Orient, qui, y voient la seule manière de préserver l’existence de leur communauté", retient l’enquête.

    "Promesse laïque et républicaine"

    Gilles Kepel voit l’affirmation d’un islamisme identitaire, mais aussi l’ambivalence de ce mouvement. Que "l’attraction de la promesse laïque et républicaine" revienne pour de bon et méthodiquement dans ces quartiers, avec notamment la question obsessionnelle de l’emploi, l’action revitalisée des pouvoirs publics sur le désenclavement, les transports, l’éducation, et "les valeurs de la Nation" s’inviteront durablement. C’est ce qu’estime à la suite de l’étude de Gilles Kepel, le Comité directeur de l’Institut Montaigne. Dans une tribune publiée sur le monde.fr, ce groupe de personnalités comme Claude Bébéar, Nicolas Baverez, Lionel Zinsou, Guy Carcassonne, Michel Godet, Bernard de la Rochefoucauld, Natalie Rastoin, Henri Lachmann appelle les candidats à la présidentielle 2012, à un peu plus d’ambition sur le sujet et "à raviver la cohésion d’une société malade du chômage de sa jeunesse".

    Emmanuel Lemieux (Les influences, 4 octobre 2011)

     

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  • Quelle armée pour la France ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du colonel François Chauvancy, de l'Armée de Terre, publié dans le quotidien Le Monde daté du 13 juillet 2011 et consacré à la place que notre pays veut accorder à son armée.

      

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    Quelle armée pour la France au XXIe siècle ?

    Les armées sont le berceau de l'Etat car la sécurité a été et est la condition de tout développement économique ou social. En même temps, résultat de trente ans de réformes, sinon de restructurations, les armées doutent, s'inquiètent. Leur capacité à agir est de plus en plus réduite, leur légitimité à exister peut-être compromise à terme. Cette situation est aussi confrontée aux interrogations des Français : quel est l'intérêt de ces forces armées qui, finalement, n'assurent leur protection que d'une manière lointaine, sans doute coûteuse, peu visible et pas toujours compréhensible en Afghanistan, en Libye ou en Afrique ?

    La "réorganisation" issue du Livre blanc a fait des armées de simples contributrices à la protection des citoyens par le biais des politiques de sécurité intérieure et de sécurité civile. Certes la règle, pour l'instant respectée, est de fournir en fonction des effets attendus, une capacité "clés en mains" sous le commandement opérationnel du chef d'état-major des armées. Les armées garderaient pour seules vocations d'assurer la pérennité de la dissuasion et de servir de corps expéditionnaire... ce qui sera valable tant qu'il y aura des conflits. Cela signifie à terme de nouvelles réductions de leur format à moins que l'on tire les conséquences de l'échec de l'Europe de la défense avec le cas libyen. Faire une guerre juste et légale ne suffit pas pour entraîner derrière soi des forces alliées.

    L'armée est de plus en plus une inconnue pour les citoyens. Son image positive, sans doute aussi sa capacité à recourir à la force maîtrisée, nourrissent les fantasmes de syndicalistes de la police (novembre 2005 lors des émeutes), de politiques (Ségolène Royal pour remettre les "jeunes" désocialisés dans le droit chemin), d'élus (appel du maire de Sevran en 2011), du citoyen qui souvent évoque son regret du service militaire... pour les "jeunes". L'armée d'hier, dernier recours contre tous les désordres, n'existe (presque) plus et ce ne sont pas les soldats patrouillant ostensiblement dans les gares et les aéroports qui y changeront quelque chose.

    Enfin, cette mauvaise idée du "coeur de métier" a justifié les réformes et les abandons. Certes l'aptitude à faire la guerre est spécifique. Cependant, c'est surtout leur aptitude à agir dans des situations très dégradées qui donne l'utilité sociale des armées. Elle dépasse largement la notion de "coeur de métier".

    UN MINISTÈRE DES ARMÉES

    Peut-on encore redéfinir les relations entre la nation et les armées ? L'idée de la simple contribution de celles-ci à la sécurité du territoire et à la protection des Français est à revoir. Les armées ne font pas que "contribuer". Elles sont le garant de la pérennité de la France. Elles ne sont ni politisées ni syndiquées, ne se mettent pas en grève, servent en tout temps, en tout lieu. Elles sont l'expression de la communauté nationale dans sa diversité et dans la volonté de servir avec abnégation. Cette place doit être confirmée par des signes forts.

    Aussi, la nécessaire visibilité des forces armées, et donc leur rayonnement, devrait amener le retour d'un ministère des armées comme le précise l'ordonnance de 1959 au lieu d'un ministère de la défense afin que les soldats de la République puissent s'identifier à "leur" ministère. Cela implique ensuite qu'un ministre des armées soit autant présent sur la scène politique qu'un ministre des affaires étrangères dès lors qu'un conflit est engagé. Toutes les unités militaires devraient rejoindre à terme le ministère des armées, alors qu'une partie d'entre elles servent au sein du ministère de l'intérieur avec le statut militaire (gendarmerie, pompiers militaires à Paris et à Marseille, sécurité "civile") pour lui permettre de fonctionner en permanence, notamment à moindre coût.

    Les forces armées, notamment terrestres, doivent surtout retrouver leur vocation à protéger le peuple sinon les institutions, quelle que soit la crise. Elles doivent disposer d'une capacité à intervenir sur le territoire national, voire créer des unités spécialisées régionales sous la forme par exemple d'une garde nationale complétant la réserve. Le rôle de celle-ci doit être revu avec des réservistes devenus souvent des supplétifs de toutes les administrations en mal d'effectifs. Cette réappropriation de la défense du pays par un plus grand nombre de citoyens pourra renforcer le lien entre l'armée et la nation, favoriser le recrutement, et envisager pourquoi pas un nouveau rôle social pour les armées.

    Enfin, revitaliser l'esprit de défense amoindri avec la suspension du service militaire et valoriser les armées nécessitent le vote de la proposition de loi du 1er juin faisant notamment du 11-Novembre une journée dédiée au souvenir des soldats morts dans toutes les guerres. L'armée de la République a vocation à protéger le peuple et les institutions. A ce titre, sa place dans les institutions représente un facteur d'équilibre des pouvoirs régaliens et un élément clé de la démocratie. L'engagement de chaque soldat-citoyen fait de l'armée la protectrice naturelle et ultime de la nation dans toutes les crises sinon contre tout excès de pouvoir ou totalitarisme.

    Or, il est possible que le rôle de l'armée puisse changer et être affaibli. Ce choix important, hasardeux dans un monde de plus en plus dangereux et une violence de moins en moins retenue, devra être assumé par chaque citoyen et par la classe politique. Cette question doit donc être posée : quelle armée la nation souhaite-t-elle au XXIe siècle et pour quel rôle ?

    Colonel François Chauvancy (Le Monde, 12 juillet 2011)

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  • Chevènement, le PS et la doxa néolibérale...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien de Bernard Poulet avec Jean-Pierre Chevènement, publié sur le site de L'Expansion, dans lequel ce dernier revient sur la conversion du PS au néolibéralisme

     

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    Pourquoi les socialistes se sont-ils convertis au néolibéralisme peu après être arrivés au pouvoir, en 1981, se demande Jean-Pierre Chevènement dans son dernier livre, La France est-elle finie ? (Fayard, 315 pages, 19 euros). A l'approche de la présidentielle, l'ancien ministre socialiste explique pour L'Expansion les raisons de ce tournant dont ses anciens camarades ne sont jamais revenus. Au passage, il en étrille quelques-uns.

    Pourquoi pensez-vous que la gauche doit réévaluer l'histoire du tournant économique du début des années 80 ?

    A chaque étape, la gauche n'est repartie qu'en se mettant au clair avec elle-même. Or, en 1981, à l'instar de Christophe Colomb, la gauche française a cru découvrir les Indes - le socialisme -, et elle doit réaliser qu'elle a trouvé l'Amérique - le néolibéralisme. Même si l'environnement international n'était pas favorable, rien n'obligeait les socialistes français à opérer ce tournant néolibéral, ni à aller aussi loin : l'Acte unique européen, négocié par Roland Dumas, et la libération totale des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis de pays tiers, ou l'abandon de la clause d'harmonisation fiscale préalable qui figurait dans le traité de Luxembourg. Ou encore le Matif [Marché à terme international de France], créé en 1984, et la loi de libéralisation financière, en 1985. Tout cela était une manière de mettre Margaret Thatcher au coeur de la construction européenne, d'accepter d'abandonner l'Europe, pieds et poings liés, au capitalisme financier. En critiquant ces choix, je n'ignore pas l'existence du monde extérieur, mais on n'était pas obligé d'appliquer toutes les règles de la doxa néolibérale. On aurait pu maintenir quelque chose ressemblant à une économie mixte. L'Etat pouvait garder la maîtrise de quelques mécanismes de régulation essentiels. L'idéologie néolibérale a fait admettre comme vérité d'évangile que, grâce à la désintermédiation bancaire, les entreprises s'alimenteraient à plus faible coût sur les marchés financiers. L'entrée dans une mécanique irréversible en souscrivant à toutes les dérégulations prévues par l'Acte unique, la libéralisation des mouvements de capitaux, l'interdiction des politiques industrielles et des aides d'Etat, l'introduction de la concurrence dans les services publics, tout cela, personne ne nous le demandait vraiment.

    Quels ont été les motifs des architectes de cette politique ?Robert Lion et Jean Peyrelevade, qui dirigeaient alors le cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy, Philippe Lagayette, qui était aux manettes de celui de Jacques Delors aux Finances, comme tous les hiérarques du ministère de l'Economie et des Finances, Michel Camdessus, directeur du Trésor, Renaud de La Genière, gouverneur de la Banque de France, et plus tard Jean-Claude Trichet, lui aussi à la tête du Trésor, ou Pascal Lamy, directeur de cabinet du président de la Commission européenne (1), tous croyaient fermement à la théorie de l'efficience des marchés. Ils étaient convaincus que tout ce qui était réglementation devait disparaître pour sortir de ce qu'ils appelaient l'"eurosclérose" et libérer l'économie des contraintes bureaucratiques qui l'empêchaient de se développer. Comment tant d'hommes dont je ne puis suspecter l'honnêteté ont-ils pu opérer pareille conversion ? Cette énigme doit être résolue.C'étaient des représentants de la haute fonction publique...

    Haute fonction publique qui avait, pour l'essentiel, sa carte au Parti socialiste, où, il est vrai, elle était plutôt orientée "deuxième gauche". Personne parmi eux n'était résolu à mener une politique un tant soit peu volontariste. Tout s'est passé comme s'il leur fallait user la gauche au pouvoir et l'amener au "tournant libéral" que la technocratie bien-pensante avait, déjà avant 1981, imaginé pour elle. On les appelait "les rocardiens" ; en fait, ils étaient partout, et Rocard n'y était pour rien ! Tout cela a été conçu par des gens qui savaient où ils allaient et qui étaient décidés à se faire un allié de la puissance des marchés. Jacques Delors était cohérent. Il a passé consciemment un pacte avec ce qu'il appelle "les vents dominants" de la mondialisation. Très peu de gens dans l'administration, en dehors de ceux qui étaient avec moi à l'Industrie, s'opposaient à ce courant dominant, et la plupart de ceux qui avaient la charge d'appliquer le programme sur lequel François Mitterrand avait été élu, en 1981, n'y croyaient tout simplement pas. Il y avait une sorte de frénésie idéologique qui voulait que plus on libéralisait, plus on était "moderne".

    Mais où était le Parti socialiste ?

    Le Parti socialiste était presque absent sur les questions industrielles, monétaires et de régulation, qui lui paraissaient très techniques. Il estimait qu'il s'agissait d'une parenthèse qui ne changeait pas les orientations fondamentales, à commencer par le souci prioritaire de l'emploi. Le premier secrétaire du PS d'alors, Lionel Jospin, s'est porté garant de cette continuité politique et de l'absence de tournant réel, d'autant que François Mitterrand affirmait haut et fort ne pas avoir changé d'orientation. Le Parti communiste n'intervient pas non plus en 1983. Car il ne veut pas apparaître comme le parti de la dévaluation. L'affaire ne se joue finalement qu'entre un très petit nombre d'hommes.

    C'est donc Jacques Delors qui a joué le rôle clé ?

    Il était lié à François Mitterrand depuis les années 60. C'était un militant chrétien social, l'homme du dialogue social au cabinet de Jacques Chaban-Delmas. Je le reconnais comme un maître en idéologie. Il a toujours agi avec une bonne conscience inaltérable. Son discours pieux déconnectait parfaitement l'économique et le social, et, avec son disciple Pascal Lamy, il était sans doute convaincu que l'autorégulation des marchés tendait à favoriser la croissance. J'aime ces deux-là. Leur dogmatisme libéral sans peur et sans reproche, tout enrobé de bonne conscience chrétienne moralisante, fait plaisir à voir !

    Delors jouait dans les médias le rôle de saint Sébastien, criblé de flèches par ses camarades de parti, alors qu'il organisait le désengagement de l'Etat et la désintermédiation bancaire. Mystification conceptuelle qui conduisit en fait à l'explosion des revenus financiers. Mais je ne crois pas qu'il ait bien vu monter le capitalisme financier à l'horizon de la société. A l'époque, très peu de gens avaient compris qu'on avait tourné la page de l'ère du New Deal et du keynésianisme. Ne mesurant sans doute pas ce qu'il faisait, c'est lui qui a mis en place la dérégulation sur le continent. Il a fait la politique que Margaret Thatcher et Ronald Reagan appliquaient en Angleterre et aux Etats-Unis.

    Mitterrand n'y comprenait pas grand-chose, mais il souhaitait un accord européen, car il ne voulait pas que la France soit "isolée". Il raisonnait comme si elle était toujours le n° 1 en Europe. Quand il poussera à l'adoption de la monnaie unique, il ne verra pas non plus que la réunification allait faire de l'Allemagne le pays central, gouvernant l'euro comme un "mark bis".

    Depuis, la conversion au néolibéralisme ne s'est plus démentie, puisque c'est Dominique Strauss-Kahn, ministre des Finances de Jospin, qui autorisera le rachat d'actions par les entreprises. Comment l'expliquer ?

    Dominique Strauss-Kahn a théorisé la non-intervention de l'Etat dans l'économie lors d'un séminaire tenu à Rambouillet en septembre 1999. Je fus alors le seul, avec Martine Aubry, à le contredire. Deux semaines plus tard, Lionel Jospin dira que "l'Etat ne peut pas tout faire". Ce qui se jouait, c'était l'idée que l'Etat n'avait plus rien à faire dans l'organisation de l'économie et que les décisions de structures devaient être laissées à des autorités indépendantes. Dominique Strauss-Kahn en fut le théoricien, ce qui l'amena, par exemple, à liquider les dernières participations de l'Etat dans Usinor.

    Si vous lisez son rapport à Romano Prodi en 2004, il est à mes yeux proprement confondant d'irréalisme. Il propose littéralement de former une nation européenne, de faire des listes plurinationales aux élections, de créer des médias transnationaux. On y sent à l'oeuvre la volonté de gommer la nation et d'en faire disparaître les repères. Comme chez Jean Monnet, qui est quand même, dès 1943, le grand inspirateur de cette construction d'une Europe par le marché. Vision purement économiciste, où la souveraineté populaire disparaît, happée par celle de l'empire (en l'occurrence américain).

    Mitterrand ne s'est-il pas servi de la construction européenne comme d'un prétexte pour cacher ses abandons ?

    Un prétexte, peut-être, mais aussi, chez lui, une conviction sincère. Je n'arrive d'ailleurs pas à rejeter sa vision, au moins quant à l'objectif final. L'idée que les peuples d'Europe doivent se rapprocher toujours plus me semble juste, surtout quand on est coincé comme aujourd'hui entre la Chine et les Etats-Unis. Le problème, ce sont les modalités de la construction européenne. Je ne crois pas que celle-ci impliquait un ralliement aussi complet au néolibéralisme. Pour construire une Europe "européenne", il ne fallait pas faire l'impasse sur les peuples, qui sont du ressort de la démocratie.

    Pour vous, le socialisme n'a plus de sens aujourd'hui...

    Je n'ai jamais beaucoup cru à l'autogestion. Mais je crois en la citoyenneté. Le socialisme, aujourd'hui, ça veut dire la perfection de la république, bref, la république sociale, comme l'avait pressenti Jean Jaurès. Le socialisme comme modèle de société toute faite dans laquelle on entrerait comme on enfile ses chaussures ne me séduit pas. Je n'aime pas me gargariser de formules dont je ne comprends pas le sens. Je suis viscéralement hostile à tout millénarisme et ne me range pas dans la catégorie des socialistes utopistes. "Aller à l'idéal, oui, mais comprendre le réel", disait Jean Jaurès.

    Pourquoi les socialistes n'ont-ils pas refait cette histoire ?

    Sans doute parce qu'ils restent prisonniers d'une confusion entre l'idée européenne et le logiciel néolibéral présent dans les traités qu'ils ont signés. Ils sont du parti du "Bien". Ils se veulent avant tout de "bons européens". L'Europe les sanctifie. Ils ne se rendent pas compte que l'Europe telle qu'ils l'ont façonnée est régie par des règles essentiellement néolibérales.

    Ils ne sont pas idiots, quand même ?

    Non, ils ne sont pas idiots, mais ils n'osent pas penser. Et puis leur ciment, c'est leur attachement au pouvoir. Etre "européen", c'est ce qui fait leur crédibilité vis-à-vis de gens qui ne pensent pas comme eux. François Mitterrand l'avait compris d'emblée en 1972 : je fais le Programme commun, disait-il, mais je suis européen, alors vous pouvez quand même me faire confiance.

    Jean-Pierre Chevènement

    Propos recueillis par Bernard Poulet (L'Expansion, 6 juin 2011)

    (1) Jacques Delors à partir de 1984.

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  • Tour d'horizon... (6)

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    Au sommaire :

    - sur L'esprit européen, Michel Lhomme observe le malaise français et sent monter la révolte...

    Révoltez-vous !

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    - sur Valeurs actuelles, Georges-Henri Bricet des Vallons, pour sa part, voit venir la fin de l'Union européenne...

    Une implosion programmée

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  • Mieux comprendre l'Empire afin de mieux le combattre !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain Soral au magazine Flash à l'occasion de la parution de son essai Comprendre l'Empire. Attention, mer agitée !

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    Vous nous aviez habitués à parler légèrement de choses graves et là, on sent une rupture de ton dans ce dernier ouvrage… C’est la cinquantaine qui vous change ou sont-ce les temps qui changent ?
    Disons que nous ne sommes plus dans les années 1990/2000 où quelque chose se mettait en place avec l’UE, l’Euro, mais où la tentative de putsch mondialiste n’était pas aussi imminente et visible. À cette époque, on pouvait encore tergiverser, mais là, entre la crise financière américaine, les déficits publics européens, les tensions ethniques et sociales qui se généralisent, et pas seulement dans le monde musulman, plus ici l’écroulement de la classe moyenne et la candidature de Strauss-Kahn qui s’avance… Vous conviendrez que les temps ne sont plus à la rigolade, à moins d’être Martien !

    Vous êtes de formation marxiste et pourtant vous continuez de défendre la monarchie capétienne. Le paradoxe est plaisant, mais on sent du fond derrière ce raisonnement. Dites-nous en un peu plus…
    Pour apaiser nos lecteurs de droite, je vais commencer par une citation de Marx, afin de bien leur faire sentir quelle était la position de ce grand penseur sur l’Ancien régime et le monde bourgeois qui lui a succédé : “Partout où la bourgeoisie est parvenue à dominer, elle a détruit toutes les conditions féodales, patriarcales, idylliques. Impitoyable, elle a déchiré les liens multicolores de la féodalité qui attachaient l’homme à son supérieur naturel, pour ne laisser subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que l’intérêt tout nu, l’inexorable “paiement comptant”. Frissons sacrés et pieuses ferveurs, enthousiasme chevaleresque, mélancolie béotienne, elle a noyé tout cela dans l’eau glaciale du calcul égoïste.”

    Ceci pour rappeler que le sujet de Marx c’est la critique de la bourgeoisie, pas de l’Ancien régime ! En revanche, l’outil sociologique marxiste est très utile pour comprendre le renversement de la monarchie française par le nouvel ordre bourgeois. Et ces deux siècles de régime démocratique nous permettent aussi de juger largement des promesses et des mensonges de notre fameuse République égalitaire et laïque, en réalité démocratie de marché et d’opinion sous contrôle de l’argent et des réseaux maçonniques… Je peux donc, à la façon de Maurras, conclure de cette analyse objective que la monarchie catholique, comme système politique, était meilleure garante de l’indépendance nationale et de la défense des intérêts du peuple, que la finance apatride qui se trouve aujourd’hui au sommet de la pyramide démocratique qui n’a, en réalité, de démocratique que le nom !

    De même, vous avez rejoint le PCF au début de sa dégringolade et refusez de vous acharner sur la défunte URSS, y voyant une sorte de tentative maladroite de lutter contre un empire encore plus puissant. On se trompe ?
    Je suis persuadé, par intuition, mais aussi par l’analyse philosophique et historique, que le communisme n’a pu séduire une grande partie des masses travailleuses et des élites intellectuelles en Occident, que parce qu’il renouait avec la promesse chrétienne du don et du nous, détruite par le libéralisme bourgeois et son apologie de l’égoïsme individuel. Tout le reste n’est qu’une histoire de manipulation et de récupération, comme il en va toujours des religions par les Églises. Comme Tolstoï à son époque, je ne vois donc pas le communisme comme une aggravation du matérialisme bourgeois, mais comme une réaction au matérialisme bourgeois. Une tentative de respiritualiser le monde, malgré la mort de Dieu, et il y a pour moi, à l’évidence, bien plus de spiritualité et de christianisme dans l’espoir communiste tel que l’avaient compris le peuple et les poètes, que dans la bigoterie catholique de la IIIe République !

    Par ailleurs, le monde bipolaire USA/URSS était la chance de la France, qui pouvait faire valoir, dans ce rapport de force, sa petite troisième voie. Ce qu’avait parfaitement compris de Gaulle dès 1940. Se réjouir, pour raison doctrinale, de la chute de l’URSS, alors que la nouvelle hégémonie américaine qui en a résulté nous a fait tout perdre, n’est donc pas une attitude de patriote français intelligent.

    Bref, comme je l’explique aussi dans mon livre : l’ennemi de la France catholique est, et reste, la perfide Albion et ses rejetons, le monde judéo-protestant anglo-saxon libéral ; pas la rêveuse Russie d’hier, pas l’Orient complexe et compliqué d’aujourd’hui…

    Continuons à parler de vous. De tous les intellectuels “alternatifs” ou “déviants”, vous êtes l’un des meilleurs dans la maîtrise des codes de la “modernité”. Mais aussi l’un des plus en pointe dans la défense de la tradition, gréco-romaine et chrétienne. Un autre paradoxe ?
    Merci du compliment. Mais je crois que ma réponse précédente éclaire en partie cette juste remarque. La France, qui a été la grande Nation, a produit les plus grands penseurs occidentaux du XVIIe et XVIIIe siècle – les Allemands ayant pris le relai au XIXe après que l’Angleterre nous eut détruits avec Napoléon, comme elle détruira ensuite l’Allemagne avec Hitler… – la France donc, pour des raisons sociologiques et épistémologiques, reste encore aujourd’hui, malgré sa faiblesse politique, la citadelle morale capable de résister, en Occident, au rouleau compresseur judéo-protestant anglo-saxon. À ce rouleau compresseur qui avance en détruisant les deux piliers de notre civilisation qui sont le logos grec et la charité chrétienne. Cette pensée et cette vision du monde helléno-chrétienne – celle de Pascal – qui est française par excellence et européenne, au sens euro-méditerranéen du terme. Une compréhension spirituelle de l’Europe qui passe malheureusement très au-dessus de la tête des Identitaires et de leurs fatales alliances judéo-maçonniques (Riposte laïque + LDJ) d’adolescents niçois…Toute la modernité, comme sa critique intelligente, c’est-à-dire la compréhension et la critique du processus libéral-libertaire provient de cette épistémè helléno-chrétienne, si française. Il est donc logique que quelqu’un qui prétende maîtriser la modernité défende cet outil et cet héritage national incomparable…

    Cela vous amène tout naturellement à prendre la défense d’un islam dont on sent bien que les élites dominantes souhaitent la diabolisation, après avoir eu la peau du catholicisme. Une fois de plus, vous ramez à contre-courant…
    Pour enfoncer le même clou, je rappellerai qu’un Français, donc un catholique, se situe à égale distance d’un anglo-saxon judéo-protestant et d’un arabo-musulman. Et c’est de cet équilibre, comme l’avait déjà compris François 1er, qu’il tire son indépendance et sa puissance. Une réalité spirituelle et géopolitique encore confortée par notre héritage colonial, l’espace francophone qui en a résulté… En plus, la situation aujourd’hui est d’un tel déséquilibre en faveur de la puissance anglo-saxonne, et cette hyper-puissance nous coûte si cher en termes de soumission et de dépendance, qu’il faut être un pur agent de l’Empire – comme Sarkozy et nos élites stipendiées pour se tromper à ce point d’ennemi principal !

    Quant à la question de l’immigration, qui est la vraie question et pas l’islam, il est évident que pour la régler il faudra d’abord que la France reprenne le pouvoir sur elle-même. Or, ce pouvoir en France qui l’a ? Pas les musulmans…

    Revenons-en à votre livre. Si on le résume à une charge contre le Veau d’or et ceux qui le servent, la définition vous convient-elle ?
    Oui. “Comprendre l’Empire” c’est comprendre l’Empire de l’Argent. Et la lutte finale n’est pas contre la gauche ou la droite, les Allemands ou les Arabes, mais contre la dictature de Mammon. C’est en cela que le combat actuel rejoint la tradition…

    Un dernier petit mot d’optimisme pour nos lecteurs, histoire de les inviter à ne pas désespérer ?
    D’abord pour citer Maurras après Marx : “Tout désespoir en politique est une sottise absolue”. N’oubliez pas que, contrairement au football, l’Histoire est un match sans fin. On peut donc être mené 20-0, rien n’est jamais perdu. De plus, notre empire mondialiste en voie d’achèvement ressemble de plus en plus à l’URSS. Un machin techno-bureaucratique piloté par une oligarchie délirante, stupide et corrompue, ne régnant plus sur le peuple, contre ses intérêts, que par le mensonge et la coercition. Le Traité de Lisbonne et la réforme des retraites en témoignent. Il n’est donc pas exclu que, comme pour l’URSS, l’Empire mondialiste s’écroule sous le poids de ses mensonges et de ses contradictions, au moment même où il pensait arriver aux pleins pouvoirs officiels par le Gouvernement mondial, après deux siècles de menées souterraines…

    De ce point de vue, les soulèvements populaires au Maghreb, et qui pourraient bien culminer par la chute d’Israël et la défaite du lobby sioniste aux USA, sont un signe d’espoir bien plus probant que la montée des extrêmes droites sionistes et libérales européennes !

    Alain Soral (propos recueillis par Béatrice PÉREIRE, Flash Magazine, 10 février 2011)

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  • Radicalisation et misère politique...

    Vous pouvez visionner ci-dessous la dernière chronique d'Hervé Juvin sur Realpolitik.tv, en date du 20 janvier 2011.


    Radicalisation et misère politique
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