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république - Page 4

  • Machiavel contre le machiavélisme...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un article d'Olivier Pironet  cueilli sur Le Monde diplomatique et consacré à la pensée politique de Machiavel.

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    Machiavel contre le machiavélisme

    On ne compte plus les études, biographies, colloques qui ont célébré cette année le cinq centième anniversaire du Prince (1). Dans cet opuscule consacré à l’art de gouverner, Nicolas Machiavel (1469-1527) expose sans détour « ce qu’est la souveraineté, combien d’espèces il y en a, comment on l’acquiert, comment on la perd (2) ». Il dévoile ainsi les rouages du pouvoir et les fondements de l’autorité, ce qui lui a valu une réputation sulfureuse, des interprétations contradictoires, et a fait de son ouvrage « le livre de pensée politique le plus lu et commenté (3) » depuis un demi-millénaire.

    Ecrit en 1513, Le Prince est publié à titre posthume en 1532 — fait rare, c’est donc sa rédaction que l’on commémore — et mis à l’Index par l’Eglise catholique, comme tous les livres du Florentin, de 1559 jusqu’à la fin du XIXe siècle. En 1576, l’auteur huguenot Innocent Gentillet contribue à forger sa mauvaise réputation en inventant le terme de « machiavélisme », promis à un bel avenir. Du penseur Jean Bodin (1529-1596), qui l’accuse d’avoir « profané les mystères sacrés de la philosophie politique », au savant Bertrand Russell (1872-1970), pour qui Le Prince est un « manuel pour gangsters », Machiavel passe communément pour le théoricien cynique du pouvoir et des techniques de manipulation, celui qui murmure à l’oreille des tyrans.

    Pourtant, sa pensée se prête aussi à de tout autres interprétations (4). Le Prince est le « livre des républicains », selon Jean-Jacques Rousseau ; celui où « Machiavel lui-même se fait peuple », pour Antonio Gramsci. A vrai dire, des penseurs de la Contre-Réforme, au XVIe siècle, jusqu’aux libéraux du XXIe siècle, en passant par les auteurs des Lumières, les Jacobins, les marxistes, les fascistes ou les néorépublicains, tous y sont allés de leur lecture. Aujourd’hui, le Florentin inspire tout autant des romans policiers ou des jeux vidéo (5) que des bréviaires de « management entrepreneurial » ou même de « gouvernance familiale » — comme Machiavelli for Moms Machiavel pour les mamans »), de Suzanne Evans (Simon & Schuster - Touchstone, 2013)...

    Dans son autre œuvre majeure, les Discours sur la première décade de Tite-Live, publiés en 1531, Machiavel examine, en relisant l’histoire romaine, les principes du régime républicain, et démontre sa supériorité par rapport aux systèmes despotiques ou autoritaires (principati). Le Prince et les Discours s’articulent autour d’une même problématique : comment instaurer et maintenir un régime d’autonomie et d’égalité — la république — dans lequel les rapports de domination sont exclus ? Comment constituer un Etat libre fondé sur des lois communes, des règles de justice et de réciprocité et la réalisation du bien public ? Le Prince, théorie de la fondation de la république, ou de sa refondation en situation de crise, ainsi que des méthodes adéquates — parfois violentes — pour en construire les piliers, et les Discours, réflexion sur la forme qu’elle doit prendre — la démocratie — comme sur les moyens de la préserver, sont indissociables. Tous deux naissent du contexte historique où Machiavel les rédige et de la tradition intellectuelle dans laquelle il s’inscrit pour mieux s’en détacher.

    Quand il s’attelle au Prince, la République florentine, qu’il a servie pendant quatorze ans en tant que haut diplomate, minée par les divisions et la corruption, vient d’être renversée par les partisans des Médicis avec l’aide des Espagnols (septembre 1512). L’intermède républicain a duré dix-huit ans : une république théocratique, de 1494 à 1498, placée sous l’autorité du moine Jérôme Savonarole, puis une république laïque, de 1498 à 1512. Depuis des décennies, la Péninsule est soumise aux appétits des grandes monarchies qui s’allient au gré de leurs intérêts avec les nombreuses cités-Etats du pays, empêchant l’unification territoriale et nationale que Machiavel appelle de ses vœux. C’est cette situation qui explique l’objet du Prince : il s’agit pour son auteur de réfléchir aux moyens de rétablir la république dans la cité toscane et d’édifier un Etat suffisamment fort pour « prendre » (unifier) l’Italie et la « délivrer » des puissances étrangères. Le Prince s’adresse à celui qui sera capable de réaliser ce double objectif.

    C’est à la fois un manuel d’action pour répondre à l’urgence et une réflexion sur la nature du pouvoir, dans la lignée des ouvrages didactiques en vogue parmi les humanistes. Il rompt néanmoins avec les idéaux classiques. Et édicte les préceptes et méthodes que doit suivre le (re)fondateur d’un Etat, en inversant le rapport traditionnel de subordination de la politique à la morale au nom de la « vérité effective des choses » : l’art de gouverner obéit à des règles spécifiques liées à l’instabilité des relations humaines (les hommes suivent leurs intérêts et leurs passions, dont l’ambition) ainsi qu’à l’irrationalité de l’histoire. Tout dirigeant doit connaître ces règles s’il veut « se préserver » et « maintenir l’Etat ».

    En définissant la politique comme un champ d’action et de réflexion autonome sur lequel la morale n’a pas prise, Machiavel déclenche, pour citer Louis Althusser, une « véritable révolution dans le mode de penser (6) », qui débouchera plus tard sur la constitution de la science politique moderne. C’est cette innovation qui lui vaudra tant d’inimitiés. Les uns lui reprochent d’avoir mis au jour les mécanismes de la domination et enseigné aux gouvernés comment les gouvernants s’y prennent pour asseoir leur pouvoir ; les autres d’avoir détruit, au nom de l’efficacité de l’action, le lien intrinsèque existant selon eux entre la politique, la morale et la religion.

    Machiavel développe cependant une autre problématique essentielle. Selon lui, chaque régime repose sur l’opposition fondamentale entre deux grandes classes, ou « humeurs » (umori) sociales, qui en détermine la forme : le peuple, c’est-à-dire le commun des citoyens, et les grands, ceux qui constituent l’élite sociale, économique et politique. Les seconds, minoritaires, veulent la domination ; le premier, majoritaire, la conteste. « Et de ces deux appétits opposés naît dans les cités un de ces trois effets : ou monarchie, ou liberté, ou licence. »

    Aucun Etat ne peut faire l’économie de cette division sociale : le conflit entre les deux classes, qui recouvre des différences de rang, de richesse et d’aspirations, est universel, et sans résolution définitive possible. Pour diriger, il faut choisir un camp. Pour Machiavel, ce ne peut être que celui du peuple, « car ses buts (…) sont plus honnêtes que ceux des grands, les uns voulant opprimer, l’autre ne pas être opprimé ». La monarchie, ce principato autoritaire que Machiavel voit également dans l’oligarchie, est incapable de résoudre la question sociale. Il faut donc lui préférer un régime républicain, seul système à même de garantir l’égalité des citoyens, la réalisation du bien public et l’indépendance du pays.

    Mais cette république, comme le précisent les Discours, ne peut s’appuyer que sur l’institution de la discorde civile entre les élites et la plèbe, autrement dit sur la reconnaissance politique du conflit inhérent à la cité. L’idée d’une société pacifiée est un mythe, voire une aberration. Machiavel estime ainsi que la République romaine « n’arriva à [sa] perfection que par les dissentiments du Sénat et du peuple ».

    Par là, il s’écarte radicalement du modèle classique, selon lequel l’Etat doit reposer sur des rapports de concorde. Pour lui, au contraire, l’institution de cette discorde civile est le fondement même de la liberté : « Dans toute république, il y a deux umori (…) et toutes les lois favorables à la liberté ne naissent que de leur opposition. » C’est pourquoi il est essentiel de mettre en place un dispositif légal par lequel le peuple puisse faire entendre ses revendications et ses droits.

    Une fois admise la participation commune du peuple et des grands au pouvoir par le biais de leur opposition, la question se pose de savoir à qui confier la « garde de la liberté » et le soin de veiller au bon fonctionnement des institutions. Ce problème est d’une importance capitale, car du contrôle de l’intérêt public par l’une ou l’autre de ces deux catégories dépendent la solidité et l’unité de l’Etat. Quelle forme la république doit-elle donc prendre : aristocratique ou démocratique ? Alors que la grande majorité des penseurs républicains de son époque prônent une oligarchie, le Florentin préconise l’instauration d’une république populaire (stato popolare) fondée sur l’autorité suprême d’une assemblée au sein de laquelle le peuple peut participer, au même titre que les grands, à la direction des affaires de la cité. Il qualifie ainsi, dans le Sommaire des choses de Lucques, de « bonne disposition » le fait qu’un « conseil général ait autorité sur les citoyens, parce que c’est un frein efficace contre les ambitions de certains. (…) Le grand nombre sert à sévir contre les grands et contre l’ambition des riches ». Est plus à même de protéger la liberté et l’égalité, celui qui a intérêt à les voir se maintenir : « Il faut toujours confier [le dépôt de la liberté] à ceux qui ont le moins le désir de la violer. »

    En revanche, quand ce ne sont pas « ceux qui [ont] le plus de mérite, mais ceux qui [ont] le plus de puissance » qui occupent les fonctions élevées de l’Etat, un autre conflit apparaît : la division entre groupes d’intérêts rattachés le plus souvent à des clans familiaux, à des systèmes clientélistes ou à des monopoles financiers — ce que Machiavel range sous le nom de sette (factions, lobbys). Dès lors que « les riches seuls et les puissants propos[ent] des lois, bien moins en faveur de la liberté que pour l’accroissement de leur pouvoir », l’Etat est miné à sa racine même, corrompu. C’est ainsi que la République romaine se perdit, comme la République florentine. Que faire alors ? Les citoyens « doivent examiner la force du mal, et, s’ils se sentent capables de le vaincre, l’attaquer sans considération ».

    Olivier Pironet (Le Monde diplomatique, octobre 2013)

     

    Notes :

    (1) Signalons l’étude d’Emmanuel Roux, Machiavel, la vie libre, Raisons d’agir, Paris, 2013, 267 pages, 20 euros. Filippo Del Lucchese, auteur de Tumultes et indignation. Conflit, droit et multitude chez Machiavel et Spinoza (éd. Amsterdam, Paris, 2010), a coordonné un site Internet autour du Prince, « Machiavelli : A multimedia project ». Cf. également John P. McCormick, Machiavellian Democracy, Cambridge University Press, 2011.

    (2) Lettre à Francesco Vettori, 10 décembre 1513.

    (3) Emmanuel Roux, op. cit.

    (4) Sur les différentes interprétations de la pensée du Florentin, cf. Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, Gallimard, Paris, 1986 (1re éd. : 1972).

    (5) Cf. Ranieri Polese, « Machiavel mène l’enquête », Books, n° 46, Paris, septembre 2013.

    (6) Louis Althusser, L’avenir dure longtemps, Flammarion, coll. « Champs essais », Paris, 2013 (1re éd. : 1992).

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  • Sur la naissance des républiques...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier un essai de Yannick Jaffré intitulé Vladimir Bonaparte Poutine - Essai sur la naissance des républiques. Yannick Jaffré est professeur agrégé de philosophie et fait partie du collectif Racine qui regroupe des enseignants soucieux du redressement de l'école...

     

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    " Comme Bonaparte prit le pouvoir alors que les souvenirs de la Terreur étaient encore vifs, pour en empêcher le retour par l’ordre, et mettre fin surtout à la ploutocratie directoriale qui lui avait succédé, Poutine rétablit dans sa liberté une nation qui, ayant connu le plus durable des systèmes totalitaires, fut livrée après qu’il s’était lentement – et heureusement – amolli, à tous les désordres, violences, injustices que provoque inévitablement le consensus néolibéral de Washington.

    Toute la politique de Poutine possède une grande force démonstrative. Yannick Jaffré en parcourt le détail. Au bout de l’enquête, on comprend que les accusations qu’elles lancent contre Poutine se retournent cruellement contre les « élites » politico-médiatiques françaises, européennes, occidentales. Elles le dépeignent en autocrate, il jouit d’une légitimité qu’elles ont perdue en passant le plus clair de leur temps à mépriser le sentiment populaire. Elles consomment confortablement des institutions qu’elles n’ont pas eu à fonder, Poutine fut l’accoucheur d’un ordre républicain né dans les convulsions. Elles jugent cet ordre trop peu démocratique, représentatif et libéral, sans comprendre qu’il n’est de république possible en Russie que présidentialiste, autoritaire et légaliste. Elles ignorent donc l’histoire, Poutine la connaît et la fait. Elles brandissent les droits-de-l’homme à la face de la Russie alors que, loin d’y être plus bafoués qu’en Occident, ils n’y deviennent pas fous comme en France où, sortant de leur lit, ils autorisent tout et, logiquement, n’importe quoi. Elles vendent le parc industriel de leur pays à des capitaux erratiques ou politiquement dangereux comme ceux du Qatar, Poutine sédentarise autant qu’il est en son pouvoir les richesses russes, et favorise par là le développement d’une classe moyenne patriote. Il mène enfin contre les aventures atlantistes une politique de souveraineté rationnelle.

     

    Yannick Jaffré puise au meilleur de la philosophie politique pour nous faire suivre les étapes de ce retour russe. Pratiquant un billard à trois bandes historiques, il confronte la Russie de Poutine, le Consulat et la France contemporaine. Il en sort une grande leçon de politique qui dessine en même temps une espérance pour la France. "

     

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  • Les snipers de la semaine... (72)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Le Point, Sébastien Le Fol dézingue la société libre-service...

    La France : une République ou un Flunch ?

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    - sur Boulevard Voltaire, Stéphan A. Brunel descend en flamme Aurélie Filipetti, la ministre de la culture bobo...

    La déculturation en action

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  • Briser l'influence du gauchisme culturel...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jean-Pierre Le Goff, cueilli dans le quotidien Le Monde et consacré à l'emprise du gauchisme culturel sur le gouvernement socialiste.

    Jean-Pierre Le Goff est sociologue et a publié de nombreux essais, dont La gauche à l'épreuve 1968 - 2011 (Tempus, 2012) et La fin du village (Gallimard, 2012).

     

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    Briser l'influence du gauchisme culturel

    Ce qu'on appelle l'affaire Leonarda a fait apparaître une nouvelle fois l'opposition qui existe depuis longtemps entre une gauche politique et sociale et un gauchisme sociétal qui s'est approprié le magistère de la morale. Ce dernier accentue la coupure de la gauche avec les couches populaires et mine sa crédibilité. En refusant de rompre clairement avec ce courant, la gauche au pouvoir récolte les fruits amers de ce qu'elle a semé.

    Des représentants du gauchisme sociétal appellent les lycéens à reprendre la lutte, multiplient les leçons de morale envers le gouvernement et un peuple considéré comme des "beaufs" fascisants. Par un paradoxe historique et la grâce électorale du Parti socialiste, certains, toujours prompts à jouer la société contre l'Etat, à considérer l'idée de nation comme xénophobe et ringarde, se retrouvent ministres et représentants de la nation. De nouveaux moralistes au pouvoir entendent éradiquer les mauvaises pensées et comportements en changeant les mentalités par la loi. Ils sont relayés par des militants et des associations qui pratiquent la délation, le lynchage médiatique et multiplient les plaintes en justice. La France vit dans un climat délétère où l'on n'en finit pas de remettre en scène les schémas du passé : "lutter contre le fascisme" toujours renaissant, "faire payer les riches" en se présentant comme les porte-parole attitrés des pauvres, des exclus et des opprimés de tous les pays du monde, en développant un chantage sentimental et victimaire contre la raison.

    La confiance dans les rapports sociaux, la liberté d'opinion et le débat intellectuel s'en trouvent profondément altérés. Le chômage de masse, l'érosion des anciennes solidarités collectives et les déstructurations identitaires qui touchent particulièrement les couches populaires paraissent hors champ de ce combat idéologique entre le camp du progrès revisité et l'éternelle réaction. Des pans entiers d'adhérents, de sympathisants ou d'ex-militants ne se reconnaissent pas dans les camps ainsi tracés, tandis que le désespoir social gagne chaque jour du terrain. Ils désertent et s'abstiennent, quand ils ne sont pas tentés par les extrêmes pour exprimer leur protestation.

    Dans une situation où les tensions s'exaspèrent, le cynisme et les calculs politiciens décrédibilisent la parole politique et la puissance publique. Quand l'Etat devient à ce point incohérent, la société se morcelle et le débat tourne à la confusion. Le plus surprenant en l'affaire est la légèreté avec laquelle on dénie cette réalité en pratiquant la langue de caoutchouc pour dire tout et son contraire avec aplomb.

    UN PAYS EN PERTE D'ESTIME

    La gauche au pouvoir est en panne de projet et de vision : elle n'en finit pas d'essayer tant bien que mal de réduire la dette et les fractures sociales et fait du surf sur les évolutions sociétales problématiques, en essayant de satisfaire les intérêts contradictoires de sa majorité et de ses clientèles électorales. La perspective difficile d'une inversion de la courbe du chômage, outre son caractère incertain, ne peut être le remède miracle au mal-être français. Les fractures sont à la fois sociales et culturelles. Le roman national est en panne, écrasé entre une version pénitentielle de notre histoire et un avenir indéterminé au sein d'une Union européenne qui pratique la dérégulation et ne parvient pas à maîtriser les flux migratoires.

    Un pays qui ne sait plus d'où il vient et où il va perd l'estime de lui-même. Il faut aborder les questions qui dérangent en dehors des tabous et des invectives : quel rapport la gauche entretient-elle aujourd'hui avec la nation ? Les références éthérées à l'Europe et aux droits de l'homme ne peuvent tenir lieu de réponse à cette question ; l'attachement au modèle social ne peut suffire. Qu'en est-il de ce "cher et vieux pays" au sein de l'Union européenne et dans le monde ? La gauche devrait expliquer de façon cohérente et crédible le sens qu'elle donne désormais à la République face aux groupes de pression qui font valoir leur particularité ethnique, communautaire ou religieuse en considérant la laïcité comme discriminatoire.

    La question n'est pas celle de maintenir à tout prix une majorité divisée sur des questions essentielles, mais de la crédibilité de la puissance publique et de l'unité du pays dans la période difficile qu'il traverse. Un tel enjeu suppose d'en finir avec la pratique de la " synthèse" et ses salmigondis, de trancher le nœud gordien entre l'angélisme et le sens de l'Etat qui enserre la gauche au pouvoir et l'entraîne vers la débâcle. L'affaire Leonarda en aura été l'occasion manquée. C'est l'avenir d'une gauche républicaine et sociale, attachée à l'état de droit, respectueuse des libertés d'opinion et du débat intellectuel, qui est désormais en question.

    Jean-Pierre Le Goff (Le Monde, 25 octobre 2013)

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  • Le tocsin sonne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Thierry Benne, cueilli sur Causeur et consacré à la vacuité des appels au front républicain contre le Front national...

     

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    FN : après Brignoles, le tocsin sonne

    Face à la montée du Front National et au lendemain de l’élection cantonale de Brignoles, le tocsin sonne à toute volée dans les états-majors des partis. La République est en péril et chacun d’invoquer le pacte républicain, qui correspond  au code de bonne conduite des élus politiquement présentables.  La Gauche, de marteler qu’il faut absolument  dresser en sus un front républicain pour faire échec si nécessaire  à l’intrus. Bien entendu, le pacte républicain, comme le Front républicain, sont censés reposer sur des valeurs républicaines dont, comme de juste,  les seuls partis de pouvoir ou de coalition détiennent l’absolu monopole. Pourtant, si dans l’esprit de la plupart des nos concitoyens ces valeurs demeurent encore vivantes, force est de reconnaître qu’elles sont aujourd’hui bien mal en point. Qu’on en juge plutôt !

    On commencera par le contournement sournois de la volonté du peuple français par la triple collusion de l’Exécutif, du Parlement et, dans une moindre mesure, du Conseil constitutionnel pour faire échec au Non des Français au referendum de 2005 sur l’adoption d’une nouvelle constitution européenne. Cela fait partie des trahisons qui marquent. Toujours à propos de représentation nationale, on comprend mal comment un parti qui réunit à grand peine moins de 5% des suffrages de la Nation réussit à avoir quasiment vingt fois plus de députés qu’un mouvement qui mobilise régulièrement près d’un électeur sur six. De même, comment le principe républicain d’égalité se conjugue-t-il avec le monopole de la représentation syndicale qui aboutit à ce que seule compte ou presque la voix de  8 % des salariés (surtout publics) , quand les 92% qui restent (surtout privés !)  sont pratiquement réduits au silence. Enfin, comment ose-t-on prétendre conduire démocratiquement le processus de réforme des retraites, sans que 16 millions de retraités puissent déléguer un seul représentant ni au Conseil d’orientation des retraites, ni au Conseil économique, social et environnemental ?

    Le Conseil constitutionnel, lui-même, dont on vient de célébrer en grande pompe le 55ème anniversaire avec celui de la Constitution, n’échappe pas davantage à la critique. C’était, on l’a vu,  avec son aval complaisant que le pouvoir put en 2008 mettre à la corbeille le referendum de  2005.  Mais dix années avant, le Conseil avait déjà sciemment validé les comptes de  deux candidats à la présidence, en sachant parfaitement qu’ils étaient pour l’un parfaitement faux et pour l’autre gravement irréguliers. C’est encore ce même Conseil qui avait cru pouvoir le 30 juillet 2010 “louvoyer” avec l’illégalité flagrante de l’ancienne procédure de garde à  vue en fixant  à l’Exécutif  pour la régulariser un délai de rien moins que 11 mois  qu’il n’était normalement pas au pouvoir du juge d’accorder.

    La laïcité, l’une des valeurs-phare de notre République, se fissure sous les coups de boutoir de ceux qui y voient un obstacle à leurs ambitions prosélytiques ou pas. Il est patent désormais qu’en violation des règles européennes,  une bonne partie  des abattages se font sur notre sol  selon le rite hallal, alors que la population musulmane ne représente pas 1/5 de la population française et qu’en son sein, les tenants purs et durs d’un  islamisme radical sont encore infiniment moins nombreux. L’interdiction du voile ne franchit pas la porte de nos universités, comme si ces dernières bénéficiaient par rapport à la République d’un privilège d’extraterritorialité. Et que dire de ce qui subsiste encore des horaires “aménagés” de certaines  de nos piscines, des menus “alignés” de nos cantines scolaires,  des pans entiers de notre histoire que nos enseignants ne peuvent plus aborder sans mettre leurs classes en ébullition ou encore de ces admissions hospitalières en urgence qui s’opposent à l’intervention d’un soignant masculin ?

    Que dire aussi de l’attaque en règle contre les familles ? De l’ambition exorbitante d’une Éducation Nationale, qui prétend s’arroger, y compris à l’encontre des  parents, le droit d’éduquer les enfants, alors qu’elle peine – et le mot est faible – à seulement les instruire ? Comment justifier l’acharnement fiscal contre les avantages des familles, dont beaucoup n’avaient  rien d’exorbitant, mais expliquaient l’efficacité de notre politique nataliste ? Que vaut enfin cette prévalence constante de l’assistanat qui, tout en asphyxiant ceux qui le financent  et en déresponsabilisant ceux qui en profitent,  veut faire  croire à chacun qu’un bon vote  peut remplacer l’effort ?

    Parlons maintenant de la Justice. Comment peut-on admettre qu’un syndicat influent de magistrats puisse mépriser les justiciables et le personnel politique au point de dresser  impunément un mur des cons, qui tend d’ailleurs un redoutable miroir à ses pitoyables auteurs? Comment ensuite la Justice pourra-t-elle donc exiger du citoyen le respect qu’elle-même ne lui accorde pas? Que penser de tous ces meurtres dont on ne peut même plus dire que l’auteur soit un récidiviste,  tellement il se trouve dans une démarche constante, uniforme  et continue d’infraction? Comment les citoyens peuvent-ils être contraints de croiser régulièrement dans leurs cités des individus, dont la dangerosité avérée est telle qu’aucun juge en charge de famille  n’admettrait  leur liberté  dans le voisinage immédiat de son propre domicile?

    Par ailleurs, le peuple français est un peuple libre et il supporte de plus en plus mal que l’on embrigade ou que l’on ampute sa mémoire, au prix d’une infantilisation qui en dit long sur le sens  démocratique  de ceux qui ont exigé  ces  “souvenirs imposés”. Et de se demander en quoi  ce qui a été commis  sur le plan de l’atrocité et de la barbarie par le nazisme doit seul être retenu, alors que des massacres en tous points comparables ou pires (voir l’exemple de Katyn),  mais commis par des Staline, Mao, Pol Pot ou consorts  peuvent  être soigneusement oubliés et  retranchés de l’Histoire comme s’il ne s’était rien passé.

    Mais cette revue serait incomplète si elle ne s’attachait pas à quelques affaires récentes qui, pour être plus personnelles, n’en  révèlent pas moins des dérives préoccupantes. D’abord l’actuel Président de la République avait lors de sa campagne électorale pris le pays à témoin qu’avec lui c’en était fini de l’interférence des affaires privées et des affaires publiques. Or, en en plein marasme, la République prend à sa charge tout ou partie des frais d’une dame qui n’a -semble-t-il- aucun lien de droit avec son Président  et qui se permet en outre par un tweet malvenu de torpiller la candidature électorale de son ex-rivale. Une autre fois, c’est le compagnon d’une  importante ministre qui éructe publiquement et un jour de Fête Nationale  sa bave  antimilitariste, avant de récidiver quelque mois plus tard  en insultant  directement le Ministre de l’Intérieur. Mais le comble de la confusion entre les affaires privées et les affaires publiques, c’est incontestablement l’affaire Cahuzac où il est clairement apparu que le responsable de la collecte des impôts s’arrangeait pour échapper lui-même aux efforts qu’il exigerait de tous les autres, le tout en mentant effrontément à la représentation nationale.

    Certes, ce modeste tour d’horizon ne saurait prétendre à l’exhaustivité, mais il n’en révèle pas moins l’écart béant  qui existe entre les vertus supposées du Front républicain et  le contenu de plus en plus faisandé de ces emballages fort trompeurs. le plus important pour que vive la République, ce n’est assurément pas la survivance du  pacte républicain, encore moins celle du front républicain, mais la pérennité des vraies vertus républicaines, celles qui font que tout un peuple peut encore faire raisonnablement confiance à ceux qui le dirigent.

    Thierry Benne (Causeur, 7 octobre 2013)

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  • Modernes catacombes...

    Les éditions Gallimard publient cette semaine Modernes catacombes - Hommages à la France littéraire, le nouvel essai de Régis Debray. L'auteur avait publié au printemps 2012, chez Flammarion une altière et acide Rêverie de gauche qui n'a guère inspiré le nouveau président de la République...

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    "Une génération s'en va dans les Lettres modernes. Parmi les maîtres qui m'ont interpellé par-dessus les années, comme on se hèle d'une rive à l'autre quand la brume qui monte va rendre le passage difficile, bien peu ont mis formellement le feu au lac. Ce sont les plus classiques d'entre les modernes, et non les plus avant-gardistes. Ils viennent d'un temps d'outre-tombe, d'avant les linguisteries et les sociologismes, où la musique importait, où écrire n'était pas rédiger. Ils peuvent s'opposer en tout, mais ils ont en commun de savoir que Chateaubriand existe, au point, pour l'un d'entre eux, Sartre, d'aller compisser sa tombe au Grand-Bé. Où le jet du touriste pressé, aujourd'hui, ne frôlera plus la dalle que par inadvertance, faute de toilettes à proximité. Là, côté miction, est la vraie ligne de partage des eaux, entre les derniers des Abencerage et les nouveaux Américains."

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