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  • 1985-1991 : la fin de l'illusion soviétique...

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    La Nouvelle Revue d'Histoire est en kiosque (n° 80, septembre - octobre 2015).

    Le dossier central est consacré à la fin de l'Union soviétique. On peut y lire, notamment,  des articles de Jean Kappel ("L'URSS de Staline à Gorbatchev" ; "La Russie d'Eltsine à Poutine"), de Pascal Cauchy ("L'état des lieux en 1985" ; "Les scénarios imaginés pour la fin de l'URSS..."), de Jean-Pierre Arrignon ("Andropov pouvait-il sauver l'Union soviétique" ; "Le regard russe sur la fin de l'URSS"), de Christophe Reveillard ("1975-1991. Un contexte international incertain"), de Philippe Conrad ("La dissidence et ses limites")de Gaël Moullec ("Le KGB en 1985. Le sommet avant la chute" ; "Gorbatchev engage la perestroïka" ; "Tchernobyl : un accident soviétique"), de Tatiana Zazerskaïa ("La perestroïka et l'indépendance des Pays baltes"), de Tigrane Yégavian ("La Transcaucasie face au défi de la perestroïka") et de François Bousquet ("Révolution conservatrice au Kremlin").

    Hors dossier, on pourra lire, en particulier, un entretien avec Didier Le Fur ("François Ier. Le cinquième centenaire") ainsi que des articles d'Emma Demeester ("Cicéron ou la fin de la République romaine"), d'Anne Bernet ("Du bon usage de la politesse"), de Nicolas Vimar ("Les Suisses au service de la France"), d'Yves Morel ("Vichy et la réforme de l'école") et de Gérard-François Dumont ("Christianisme et islam au milieu du XXIe siècle").

     

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  • Pourquoi l'empire des Tsars s'est-il effondré ?...

    Les éditions des Syrtes ont récemment publié une brillante étude de Dominic Lieven intitulée La fin de l'empire des Tsars. L'auteur, spécialiste de la Russie et de l’histoire des empires et qui enseigne à l’Université de Cambridge, offre aux lecteurs intéressés par les origines de la première guerre mondiale et de la révolution bolchevik une analyse passionnante qui mêle aux données historiques des analyses géopolitiques, des aperçus sur l'histoire des idées, des portraits psychologiques et des ouvertures contrefactuelles... Bref, un ouvrage aussi indispensable à lire que Les somnambules (Flammarion, 2013) de Christopher Clarck !

     

    " Et si l’histoire dramatique de la Russie au vingtième siècle – le coup d'État bolchévique, la guerre civile, deux famines et le Goulag –, n’était que la conséquence de la mobilisation générale des troupes russes le 30 juillet 1914 ? Et si l’Ukraine joua un rôle de tout premier plan dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale ? Dominic Lieven, historien britannique de renommée mondiale, raconte dans ce livre magistral quel fut le rôle de la Russie dans la descente vers 1914. Armé d’un impressionnant corpus de sources inédites, il étudie à la loupe la machine infernale qui aboutit au conflit. Il donne la parole à de nombreux protagonistes, depuis les journalistes et les intellectuels « faiseurs d’opinion » jusqu'aux ministres et, bien sûr, au tsar Nicolas II. Avec Lieven, l’histoire diplomatique russe s’enrichit enfin des fameuses « forces profondes », chères au grand historien des relations internationales qu’était Pierre Renouvin. Mais le récit de Dominic Lieven n’est pas uniquement centré sur la Russie. Sa grande originalité est d'inscrire ce pays dans un contexte beaucoup plus vaste. Un contexte qui s’apparente à un véritable bras de fer entre empires et nationalismes à la fin XIXe - début XXe siècle. Riche en comparaisons stimulantes et en hypothèses osées, cet ouvrage est donc appelé à devenir une référence non seulement pour comprendre les origines de la Première Guerre Mondiale, mais aussi pour repenser l'histoire européenne – notre histoire. "

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  • De quoi les partis politiques français sont-ils le nom?...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse de Michel Drac, cueillie sur le site d'information Sputnik et consacré au partis politiques français. Penseur original et hors-système, Michel Drac est l'animateur du site Scriptoblog et le fondateur de l'excellente maison d'édition Le retour aux sources. Ses ouvrages comme De la souveraineté ou Crise économique ou crise du sens ? ont été réédités en un volume intitulé Essais (Retour aux sources, 2013).

     

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    De quoi les partis politiques français sont-ils le nom ?

    Nous avons l'habitude de cartographier l'espace politique français en y positionnant nos principaux partis. Et la plupart du temps, nous nous référons pour cela, inconsciemment, à l'imaginaire associé à ces partis. Vues sous cet angle, les choses paraissent simples.

    Des noms comme "Nouveau Parti Anticapitaliste", "Lutte Ouvrière" ou "Parti Communiste Français" évoquent les grandes luttes de classes du passé, quand un prolétariat héroïque affrontait une bourgeoisie conservatrice. Ces noms sonnent comme le célébrissime premier couplet de l'Internationale: "Debout, les damnés de la terre! Debout, les forçats de la faim!".

    "Parti de Gauche" et "Parti Socialiste" réveillent plutôt la nostalgie des Trente Glorieuses. Ces noms résonnent comme l'hymne mitterrandien des années 70: "Ne croyons plus aux lendemains qui chantent, changeons la vie ici et maintenant!". En arrière-plan se profile le lointain souvenir de la Section Française de l'Internationale Ouvrière, de Léon Blum et d'une alliance de classe, bénie par l'instituteur, entre employés et petits fonctionnaires.

    La droite française n'arrête pas de changer de nom. Maintenant, elle s'appelle les "Républicains". Nous avons désormais un grand parti français dont l'imaginaire renvoie à des références états-uniennes. Un parti formé pendant un épisode de "Dallas" et calibré comme un blockbuster hollywoodien. "Saving President Sarko", tel est le nom du film. C'est assez ridicule.

    Depuis quatre décennies, les lettres "F" et "N" sont associées à un logo calqué sur celui du MSI, un parti fasciste italien. Tous les vaincus du XXe siècle français se sont ralliés à cet étendard: les épurés de 1945, les victimes des guerres de décolonisation, une partie des milieux catholiques traditionalistes. Le FN en a retiré une image sulfureuse.

    Tous ces imaginaires partisans n'ont rien à voir avec la réalité. Notre gauche radicale n'est pas ouvrière. Le Parti Socialiste n'est plus vraiment le parti des enseignants et des employés. Les "Républicains" n'incarnent pas le rêve américain — à vrai dire, ils ne font rêver personne. Et le FN n'a plus grand-chose à voir avec ses origines fascisantes.
    Ramener nos partis politiques aux imaginaires qu'on leur associe, c'est fondamentalement se tromper d'époque. Ces imaginaires trouvent leur source dans des luttes de classes du passé, qui ne sont pas les luttes de classes contemporaines. Ils s'organisent autour de rêves que plus grand-monde ne partage, de souvenirs qui s'estompent et de rancunes presque oubliées. On voudrait maintenir l'illusion que nos principales forces politiques sont dans le monde actuel ce qu'elles furent dans un monde disparu. Cela n'a pas de sens. Nos partis ne sont pas ce qu'ils furent.

    Pour commencer, ce ne sont plus vraiment des organisations de masse. A peine 1 % des Français militent réellement. Du coup, ce que nous appelons un parti politique aujourd'hui n'est pas ce qui portait ce nom autrefois. Pendant les deux premiers tiers du XX° siècle, les partis politiques reposaient sur leurs militants. Désormais, ceux-ci en sont souvent réduits à faire de la figuration dans une mise en scène étudiée pour la télévision. En réalité, l'agora française est presque vide. C'est une tombe glaciale, que les médias réchauffent d'un simulacre de vie avec la complicité de partis politiques fantômes.

    Sauf aux marges, la politique n'est plus l'affaire que de ceux qui en vivent. Le PS est à la pointe de cette évolution. Un militant socialiste sur deux est un élu. L'autre est souvent un employé municipal. Le PS est une machine à prendre des places et à se les partager. Les autres partis politiques essayent manifestement de l'imiter.
    Ces machines électorales ont besoin d'électeurs. C'est pourquoi nos partis politiques se comportent comme des gestionnaires de marque. A travers les médias, ils vendent un imaginaire. Ils offrent aussi, plus sérieusement, un programme de défense de telle ou telle catégorie sociale.

    Tous ces partis sans militants reposent en effet sur un "noyau dur" électoral, bien identifiable sociologiquement, autour duquel en période haute, ils parviennent à rallier des électorats plus flottants. Voilà leur réalité: les électorats stables de nos partis politiques sont leur substance dans les luttes de classes contemporaines. Bon gré mal gré, les leaders sont obligés d'en tenir compte. Même si la majorité de l'électorat est flottant, nos politiciens savent bien qu'ils doivent rester fidèles aux fondamentaux qui solidifient le noyau dur de leur clientèle. C'est ce socle qui leur permet d'atteindre en toutes circonstances la taille critique nécessaire pour forcer la porte des médias. Pour l'avoir oublié en 2007, le FN a failli disparaître.

    L'extrême gauche et le PCF n'attirent plus massivement le vote des catégories populaires. L'électeur-type du Front de Gauche n'est certes pas riche, mais ce n'est pas un ouvrier. C'est dans un peu plus de la moitié des cas une électrice. Cette électrice est soit une étudiante, soit une jeune salariée précaire, soit une baby-boomeuse qui a du mal à joindre les deux bouts, par exemple une salariée du public locataire en HLM. Le socle électoral de notre gauche extrême ou radicale, c'est l'alliance du précariat et du bas fonctionnariat. Cette mouvance possède donc une identité de classe, mais celle-ci n'a plus grand-chose à voir avec le mouvement ouvrier. Le Front de Gauche est peut-être le parti des précaires, mais sûrement pas celui des prolétaires.

    Ridicule: le Parti Socialiste chante encore l'Internationale pendant ses congrès. En réalité, dans les catégories populaires, il pèse à peu près deux fois moins que le FN. Chez les ouvriers, il est même relégué en troisième position, derrière la droite classique: Jaurès est vraiment mort. Le PS est plus que jamais un parti de cadres et de professions intermédiaires. C'est le parti des classes moyennes et supérieures d'un secteur tertiaire qui, dans l'ensemble, a jusqu'ici bénéficié de la mondialisation.

    Problème: l'emprise du PS sur le bas de ces catégories intermédiaires commence à s'effriter sérieusement. La crise rattrape maintenant certains secteurs emblématiques de la petite croissance des années 80-90. Solferino songe à un électorat-relais: le vote ethnique, à l'imitation du Parti Démocrate américain. Déjà, les deux tiers des musulmans voteraient PS. Un appoint indispensable: sans sa clientèle immigrée, le parti de Manuel Valls tomberait sous le seuil fatidique des 20 % de suffrages exprimés en moyenne nationale.

    La droite classique, elle, bénéficie pour le moment du soutien d'une catégorie en pleine expansion: les personnes âgées. L'électeur-type des "Républicains" est un retraité aisé. On peut l'imaginer ancien petit patron, ex-cadre supérieur, mais parfois, c'est tout simplement un ouvrier économe propriétaire d'un beau logement. Dans toutes les enquêtes d'opinion dont nous disposons, il apparaît que si seuls les actifs votaient, les "Républicains" retomberaient pratiquement au niveau du FN, voire un peu en-dessous. Notre droite classique, c'est le parti de la stabilité, du "pourvu que ça dure" — et donc, bien sûr, de l'euro comme digue contre l'inflation. Soit dit poliment, c'est le parti des vieux.

    Par symétrie, le socle électoral du FN peut être déduit du positionnement des autres formations politiques.
    Le Front de Gauche attire un électorat majoritairement féminin: l'électorat FN reste majoritairement masculin. Le Front de Gauche allie deux noyaux durs distincts: les étudiants et jeunes salariés précaires, les petits fonctionnaires baby-boomers. Ce sont aussi les seuls segments de la population à faibles revenus où le FN a du mal à percer.
    PS et FN ont des noyaux durs électoraux parfaitement symétriques. Le PS est le parti du secteur tertiaire bénéficiaire de la mondialisation: le FN est le parti des secteurs primaire et secondaire, victimes de la mondialisation. L'électeur-type PS appartient à une "CSP+" et il est plutôt bien diplômé: l'électeur-type FN est "CSP-" et dans l'ensemble plutôt sous-diplômé. Le PS possède une force d'appoint dans l'électorat musulman: le FN conserve sa frange arabophobe, même si celle-ci ne constitue plus vraiment le cœur sociologique de son électorat.

    Les "Républicains" forment le parti des vieux retraités: le FN est, dans l'ensemble, le parti des jeunes actifs. Mais ici, la symétrie est moins grande. Hors le phénomène générationnel, les socles électoraux de la droite classique et du FN possèdent des zones recoupement importantes.

    Faisons la synthèse.

    Nos partis politiques sont le nom des luttes de classes contemporaines. Ces luttes de classes n'opposent plus une bourgeoisie "à l'ancienne" à un prolétariat "à l'ancienne". Elles s'organisent autour des phénomènes majeurs de l'époque: la mondialisation néolibérale, l'hiver démographique, la submersion migratoire. La mondialisation et l'Europe de Bruxelles: ceux qui en bénéficient, les classes moyennes et supérieures, le secteur tertiaire, contre ceux qui en souffrent, les catégories socioprofessionnelles inférieures, les secteurs primaire et secondaire. L'hiver démographique: l'impossible affrontement intergénérationnel — comment ne pas aimer nos parents, comment ne pas leur en vouloir de nous écraser sous leur nombre? La submersion migratoire: d'un côté les riches qui n'en payent pas le prix et n'y trouvent rien à redire, de l'autre les pauvres qui en encaissent les conséquences concrètes, sur leurs salaires, dans leurs quartiers.

    Tout le bla-bla médiatique sur "les valeurs de la République" ne sert qu'à dissimuler ces réalités. Parti des bénéficiaires de la mondialisation, déserté depuis belle lurette par les ouvriers, le PS nous ressort régulièrement ses rengaines sur "l'argent qui corrompt" ou "notre véritable ennemi, la finance". Leader du parti des vieux, Nicolas Sarkozy mime le rêve américain et l'esprit d'aventure. Si l'on plaque sur le FN l'image du bourreau fasciste, c'est pour dissimuler le fait qu'il est aujourd'hui le parti des victimes. Quant au Front de Gauche, tout le monde a compris que volens nolens, il sert de contrefeu au Bloc Institutionnel.

    D'ailleurs, les puissances étrangères ne s'y trompent pas. Leurs sympathies dans l'espace politique français sont cohérentes avec les luttes de classes dont nos partis politiques sont les noms. Les Etats-Unis soutiennent le PS et les "Républicains": la puissance qui conduit pour l'instant la mondialisation néolibérale ne peut qu'appuyer les partis qui en représentent les bénéficiaires. L'Allemagne préfère les "Républicains": un pays riche et vieux soutient le parti des retraités aisés. Et la Russie, comme on le sait, a choisi le FN. Là encore, c'est parfaitement logique: la puissance qui, sur la scène internationale, conteste l'ordre américain, ne pouvait que soutenir le parti qui, sur la scène française, représente les opposants à cet ordre.

    Michel Drac (Sputnik, 14 juillet 2015)



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  • Pourquoi l'euro ne survivra que si l'Europe fait exploser le schéma mental dépassé qui l'a fait naître...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par David Engels au site Atlantico et consacré à la crise de l'euro. Professeur d'histoire romaine à l'Université libre de Bruxelles, David Engels a récemment publié un essai passionnant intitulé Le déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013).

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    Pourquoi l'euro ne survivra que si l'Europe fait exploser le schéma mental dépassé qui l'a fait naître

    Atlantico : Dans quelle logique la création de la monnaie unique s'inscrivait-elle ? A quels besoins, de la France et de l'Allemagne notamment, répondait-elle ?

    David Engels : La création de l’euro suivait deux logiques différentes. D’un côté, les forces pro-européennes, face aux résistances des États-nations, ont simplement poursuivi leur démarche traditionnelle de faire avancer l’unification européenne de manière indirecte, c’est-à-dire en lançant des initiatives et dynamiques économiques ou juridiques peu spectaculaires à prime abord, mais dont les conséquences logiques devaient mener obligatoirement à une unification politique plus grande. D’un autre côté, la chute du mur et la réunification allemande avaient éveillé, surtout du côté français, d´intenses craintes concernant une hégémonie économique, puis politique allemande. Dans cette logique, la dissolution de la Deutsche Mark dans l’euro devait constituer un point de non-retour et arrimer définitivement l’économie allemande à celle de ses voisins occidentaux.

    Ces deux approches ont très clairement échoué, comme le démontre la crise grecque : jamais l’unification européenne n’a été aussi contestée qu’aujourd’hui, vu que le moyen (l’économie libérale) semble de plus en plus avoir remplacé le but (l’unité de l’espace culturel européen) ; et à aucun moment depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l’Allemagne n’a été si puissante, non seulement économiquement, mais aussi politiquement. C’est pourquoi la gestion de la faillite grecque renferme en même temps les clefs du futur européen : si la pression économique ("plaire aux marchés") et institutionnelle ("le respect des traités") devaient l’emporter, il est à craindre que l’Union européenne se transforme définitivement en simple caisse de résonance des intérêts de l’ultralibéralisme mondialisé ; en revanche, si la peur de la pression populaire grecque, espagnole, portugaise et italienne force les institutions à revoir leur copie, cela pourrait permettre – espérons-le – un revirement prometteur.

    Dans quelle mesure peut-on dire que l'Europe investit toujours ses ambitions politiques à travers l'euro ? Qu'est-ce qui l'illustre ? 

    David Engels : Comme je l’ai dit, la concertation et la fusion des intérêts économiques ont longtemps servi de moteur à l’unification européenne. Il s´agissait certainement du chemin de la moindre résistance ; néanmoins, il s´agissait aussi du chemin de la lâcheté. Au lieu de mettre sur la table la question de la création ou non des États-Unis de l’Europe, l’on a préféré poser un certain nombre de faits accomplis devant mener, très indirectement, au même résultat. La création de l’euro devait être le couronnement de cette tactique. En temps "normal", ce calcul aurait très bien pu réussir, car les crises systémiques passagères auxquelles l’on s’attendait auraient simplement servi, comme d’habitude, à constituer d’habiles prétextes afin de compléter l’unité monétaire par un contrôle budgétaire commun. Mais personne ne s’attendait à la gravité de la situation que nous vivons aujourd’hui ; gravité due au déclin économique et démographique indéniable de notre continent, à l’abandon de plus en plus marqué de nos valeurs culturelles communes par les instances politiques-mêmes qui prétendent les défendre, et au triomphe d’un système ultra-capitaliste mondial, imposant, comme seul remède à toute question, l’austérité financière, la privatisation et le démantèlement de la solidarité sociale.

    La collision de ces divers facteurs a fait tomber l’Union européenne dans un tel discrédit que les peuples européens commencent de plus en plus à s’opposer à cette institution ; non pas par rejet de l’idée européenne, mais afin de la défendre contre les tendances visant à utiliser l’Europe comme premier pas vers la constitution d’un genre d'État universel ultra-libéral fusionnant toutes les grandes cultures humaines en un grand réservoir de main d’œuvre appauvrie et matérialiste et donc entièrement soumise au bon vouloir des banques et grandes multinationales. La crise grecque a clairement révélé ces tendances au grand jour et fait de cet affrontement une question de principe, car le véritable choix n’est pas (ou n’est plus) entre la sortie grecque de l’euro ou sa soumission aux propositions des "institutions", mais entre l’Europe de l’austérité et des "traités" ou l’Europe des peuples et de la solidarité.

    Pourtant, le monde a bien changé depuis les années 1990, avec l'élargissement de l'Europe, une inflation plutôt maîtrisée via la BCE, l'après-guerre n'apparaissant plus comme une référence géopolitique pour les peuples européens... En quoi le modèle européen construit autour d'une monnaie commune est-il aujourd'hui en partie obsolète ? 

    David Engels : Je ne dirais pas du tout que la monnaie commune est obsolète, mais au contraire, qu’il est temps pour les peuples de l’Europe de tirer les leçons de la crise grecque et de faire un pas de plus vers l’unification. Ceci non seulement afin d’éviter qu’un tel problème se reproduise et qu’un État puisse obliger tous les autres à payer pour ses dettes, mais aussi afin de s’approprier pleinement l’outil monétaire pour résister à la fois au dumping social et à l’éradication de nos valeurs culturelles et de notre style de vie par une immigration effrénée. Le véritable choix qui se pose aujourd’hui est celui entre l’Europe du "bricolage", dont les autonomies nationales ne sont maintenues qu’au prix de leur alignement idéologique, ou une Europe institutionnellement encore beaucoup plus unie, mais en même temps légitimée par une vraie démocratie parlementaire directe.

    Le retour aux monnaies et gouvernements nationaux n’est pas une véritable option, au moins au long terme ; au contraire, ce serait la pire chose qui puisse arriver à l’Europe, car étant donné la faiblesse démographique, sociale, industrielle et économique déplorable de notre continent, la plupart des nations tomberont vite dans le giron des pouvoirs périphériques comme les États-Unis, la Russie ou la Chine, ou seront simplement submergés par l’immigration et l’islamisation. Ce qu’il faut, c’est donc une véritable politique sociale et financière européenne commune, non dans l’esprit de la destruction de la solidarité sociale et de l’austérité économique, comme le défend l’Allemagne, mais au contraire, dans une perspective visant à assurer le contrôle démocratique sur l’étendue de la solidarité et à créer de l’emploi par de grands projets infrastructurels paneuropéens capables de rivaliser avec les dépenses énormes que les Chinois font dans ce domaine.

    A quoi pourrait ressembler une alternative à l'euro en tant que principal fédérateur ?

    David Engels : L’euro n’a pas besoin d’une alternative, mais d’un contrôle démocratique qui puisse assurer qu’il ne puisse plus jamais se retourner contre les intérêts des peuples qui l’on créé. Car ce qui importe, ce ne sont pas les institutions ou outils, mais l’esprit et les objectifs qui les animent. Au lieu de baser la cohésion de la zone-euro sur l’adhésion quasi-religieuse de tous les gouvernements européens aux doctrines de l’ultra-libéralisme et de la compétitivité sans limites (quitte à saboter tous les gouvernements ne rentrant pas dans ce carcan comme le gouvernement Tsipras), l’euro pourrait devenir, au contraire, le moteur principal empêchant la concurrence déloyale entre Est et Ouest, Sud et Nord, et constituer le moyen d’une véritable unification tarifaire et sociale. Au lieu de défendre, coûte que coûte, une "stabilité" monétaire au court terme, payée par la déconstruction sociale et la désolidarisation des peuples avec leurs élites, l’euro devrait servir de vecteur d’une véritable stabilité stratégique au long terme, basée sur l’autonomie des ressources, le rétablissement de l’équilibre démographique et sur le retour de l’industrie. Et au lieu d’être un outil d’austérité dont ne bénéficient, finalement, que les banques (renflouées à coup de subventions de la part de la main publique) et les grandes entreprises (profitant de la privatisation du secteur public), l’euro pourrait servir d’agent principal à la création de l’emploi et de l’assainissement des infrastructures publiques qui en ont un besoin immense. Le tout est de vouloir et d’oser ; et si le peuple grec a bien montré une chose lors du référendum de dimanche, c’est qu’il est toujours possible de résister, et que le sentiment d’honneur et de confiance en soi peut, même aujourd’hui, l’emporter sur l’intimidation et l’égoïsme.

    David Engels (Atlantico, 7 juillet 2015)

     

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  • L'union européenne, une entreprise à décerveler les peuples ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Hervé Juvin à Vincent Tremolet de Villers pour Figarovox, à l'occasion de la parution de son essai Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

    Économiste de formation, Hervé Juvin a publié deux des essais particulièrement marquants ces dernières années, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013).

     

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    Hervé Juvin : «L'union européenne, une entreprise à décerveler les peuples»

    Votre livre s'intitule Le mur de l'ouest n'est pas tombé. Comment analysez-vous l'affaire Franceleaks?

    Ne nous faites pas rire! L'affaire des écoutes américaines des Présidents français, dont il est promis juré qu'elles se sont arrêtées en 2012, en dit plus sur l'état de la France que sur la réalité des écoutes. Partons du principe que tout le monde écoute tout le monde, suggérons avec le sourire que les Français ne sont pas les derniers à le faire, ajoutons que l'explosion de l'espionnage de données par les systèmes américains ne leur assure pas des triomphes stratégiques bien marquants, et regardons-nous!

    Les Français veulent croire que nous vivons dans un monde de bisounours. L'Europe est une entreprise à décerveler les peuples européens, ceux du moins qui croiraient que les mots de puissance, de force, d'intérêt national, ont encore un sens. C'est l'étonnement général qui devrait nous étonner; oui, l'intérêt national américain n'est pas l'intérêt français! Oui, entre prétendus alliés, tous les coups sont permis, et les entreprises françaises le savent bien! Oui, les Américains ne manquent pas de complices européens qu'ils savent diviser pour mieux régner! Oui encore, l'exceptionnalisme américain leur permet d'utiliser tous les moyens pour dominer, pour diriger ou pour vaincre, et la question n'est pas de protester, c'est de combattre!

    Édouard Snowden est en Russie et ces révélations servent objectivement les adversaires des États-Unis. N'est-ce pas tout simplement de la géopolitique?

    Le premier fait marquant de l'histoire Snowden, c'est que des pays qui se disent attachés à la liberté d'expression et indépendants n'ont pas souhaité l'accueillir, voire se sont alignés sur l'ordre américain visant à le déférer à la justice américaine. Il n'y a pas de quoi être fiers, quand on est Français, et qu'on a été l'un des champions des non-alignés! Nous sommes rentrés dans le rang ; triste résultat de deux présidences d'intérim, avant de retrouver un Président capable de dire «non!».

    Le second fait, c'est que Snowden a révélé un système de pouvoir réellement impérial, qui tend à assurer de fait un empire mondial américain. Nous sommes face au premier nationalisme global. Le point crucial est l'association manifeste d'une surpuissance militaire, d'une surpuissance d'entreprise, et d'un universalisme provincial - une province du monde se prend pour le monde et veut imposer partout son droit, ses normes, ses règles, ses principes, en recrutant partout des complices. Ajoutons que l'affaire des écoutes, celle de la livraison des frégates «Mistral», comme celle des sanctions contre la Russie, éclairent la subordination absolue de ceux que les États-Unis nomment alliés, alors qu'ils les traitent comme des pions ; est-ce la manifestation de la stratégie du «leading from behind» annoncée par Barack Obama dans un célèbre discours à West Point?

    Le troisième fait est au cœur de mon livre, Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé. Les États-Unis attendent la guerre, ils ont besoin de la guerre extérieure qui seule, va les faire sortir de la crise sans fin où l'hyperfinance les a plongé. Seul, un conflit extérieur les fera sortir du conflit intérieur qui monte. D'où la rhétorique de la menace, du terrorisme, de la Nation en danger, qui manipule l'opinion intérieure et qui assure seule l'injustifiable pouvoir de l'hyperfinance sur une Amérique en voie de sous-développement.

    Quel est, selon vous, le jeu américain vis-à-vis de la Russie?

    La Russie est l'un des pôles de la résistance à l'ordre américain. Et c'est, à ce jour, la seule puissance militaire réellement capable de faire échec à une agression américaine. Cantonner, encercler, affaiblir la Russie, vient donc en tête de l'agenda effectif des États-Unis. Le général Wesley Clark l'a dit sans ambages ; «il faut en finir avec les États-Nations en Europe!» Voilà pourquoi, entre autres, l'idéologie américaine nous interdit toute mesure pour lutter contre l'invasion démographique qui nous menace, promeut un individualisme destructeur de nos démocraties et de notre République, veut nous contraindre à une ouverture accrue des frontières, notamment par le traité de libre-échange transatlantique, et nous interdit de réagir contre les atteintes à notre souveraineté que représente l'extraterritorialité montante de son droit des affaires.

    Les États-Unis réveillent le fantôme de la guerre froide pour couper le continent eurasiatique en deux. C'est le grand jeu géopolitique des puissances de la mer qui est reparti ; tout, contre l'union continentale eurasiatique! Bill Clinton a trahi les assurances données à Gorbatchev par George Bush ; l'Otan ne s'étendra jamais aux frontières de la Russie. Les États-Unis accroissent leur présence militaire dans l'est de l'Europe, dans ce qui s'apparente à une nouvelle occupation. Que font des tanks américains en Pologne et dans les pays baltes? Le jeu géopolitique est clair ; l'Eurasie unie serait la première puissance mondiale. Les États-Unis, on les comprend, n'en veulent pas. On comprend moins leurs complices européens. Et moins encore ceux qui répètent que la puissance, la force et les armes ne comptent pas!

    Poutine ne cède-t-il pas au défaut (autocratie, volonté expansionniste) que l'Occident lui prête?

    Critiquer la volonté impériale des États-Unis n'est pas encenser Monsieur Poutine! Quand je critique la confusion stratégique américaine, je n'écris rien que des élus américains, comme Elizabeth Warren, comme Rand Paul, comme Jeb Bush lui-même, qui vient de déclarer qu'il n'aurait jamais envahi l'Irak, ont déclaré!

    Je constate simplement que les États-Unis ont eu peur du rapprochement entre l'Union européenne et la Russie, qui aurait menacé le privilège exorbitant du dollar, et qu'ils se sont employés à la faire échouer, comme ils s'étaient employés à affaiblir l'euro. Je constate ensuite que le Président Poutine a tourné la page du communisme pour renouer avec la tradition des tsars ; il a un confesseur, il favorise l'orthodoxie et redonne prestige et autorité à la troisième Rome, il discute avec le Pape François, etc. tout ceci dans un contexte où les États-Unis utilisent les droits de l'individu, sans origine, sans sexe, sans race, sans quoi que ce soit qui le distingue, sauf l'argent, pour dissoudre les sociétés constituées et en finir avec la diversité des cultures et des civilisations, qui n'est rien si elle n'est pas collective. Je salue le fait que la Russie soit un pôle de résistance à l'individualisme absolu, comme l'Inde, comme la Chine, comme l'Islam à sa manière, et qu'elle garde le sens de la diplomatie, qui est celui de reconnaître des intérêts contraires, pas d'écraser ses opposants. La France ne l'est plus. On n'est pas obligé d'être d'accord avec eux sur leur manière singulière d'écrire l'histoire de leur civilisation, pour être d'accord sur le fait que leur singularité est légitime, puisqu'ils l'ont choisie, et mérite d'être préservée!

    La chute de la diversité des sociétés humaines est aussi, elle est plus grave encore que la chute de la biodiversité animale et végétale. Car c'est la survie de l'espèce humaine qui est en danger. Il n'y aura plus de civilisation, s'il n'y a pas des civilisations. Et la Russie orthodoxe, comme l'Islam chiite, comme l'hindutva de Narendra Modi, sont des incarnations de cette merveille ; la diversité des formes que l'homme donne à son destin.

    Les Russes savent aussi écouter leurs partenaires et leurs adversaires?

    Un peu d'histoire. L'invention, l'entraînement, le financement d'Al Qaeda, des talibans, a enfoncé une épine dans le pied de l'URSS, dont elle ne s'est pas relevée. Brzezinski l'a dit avec une rare franchise ; «Al Quaeda a produit des dégâts collatéraux ( side effeects) sans importance dans la lutte que nous avons gagnée contre l'URSS». Partout, y compris pour justifier l'intervention armée en Europe et pour défendre l'islamisation de l'Europe, les États-Unis derrière leur allié saoudien, se sont servis de l'Islam. Ils s'en servent en Inde, en Chine, ils s'en sont servis en Tchetchénie. Et ils se préparent à renouveler l'opération au sud de la Russie, en déstabilisant les États d'Asie centrale et l'extrême-est de la Chine.

    Parmi les preuves multiples, regardons la prise de Palmyre par l'État islamique. Admettons qu'un vent de sable ait effectivement empêché toute intervention aérienne pour la prise de Ramadi, quelques jours plus tôt. Mais Palmyre! Dans une zone désertique, sans grand relief, Palmyre qui ne peut être atteinte que par des pistes ou des routes droites sur des kilomètres, en terrain découvert ; une armée qui dispose de l'exclusivité aérienne, comme celle de la coalition, peut empêcher toute entrée ou sortie d'un seul véhicule de Palmyre! L'inaction de la coalition est inexplicable. La diplomatie française, sidérée par les néo-cons qui l'ont envahie, ne semble plus savoir lire une carte de géographie. Mais une France devenue pauvre en monde, livrée à la confusion des valeurs et des intérêts, une France qui n'incarne plus la résistance à l'intérêt mondial dominant qu'est l'intérêt national américain, qui sera peut-être demain l'intérêt chinois, est-elle encore la France?

    Hervé Juvin, propos recueillis par Vincent Tremolet de Villers (Figarovox, 26 juin 2015)

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  • Une guerre de mille ans ?...

    Les éditions des Syrtes viennent de publier un essai de Guy Mettan intitulé Russie-Occident : une guerre de mille ans - La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne. Journaliste, Guy Mettan a dirigé la Tribune de Genève.

     

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    " Pourquoi les États-Unis et l'Europe détestent-ils tant la Russie ? Alors que la Russie ne représente plus une menace, que ses missiles ne sont plus pointés sur Berlin, que, fait sans précédent dans l'histoire, elle a dissous son empire sans effusion de sang, rendu leur liberté aux pays occupés d'Europe centrale et permis l'indépendance pacifique de quinze nouveaux États, la haine et le dénigrement de la Russie atteignent des proportions inouïes dans les médias, les cercles académiques et les milieux dirigeants occidentaux.
    Pour comprendre cet acharnement, devenu hystérique avec la crise ukrainienne, Guy Mettan remonte loin dans l'histoire, jusqu'à l'empereur Charlemagne. Il examine sans tabou ni a priori les lignes de forces religieuses, géopolitiques et idéologiques dont se nourrit la russophobie occidentale. Et démonte les ressorts du discours antirusse et anti-Poutine qui ont pour effet de repousser toujours plus loin les chances d'une vraie réconciliation. "

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