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régis debray - Page 8

  • La France serait-elle suicidaire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous l'appel d'un collectif d'écrivains et de philosophes, publié dans Le Monde (9 février 2012), qui prend la défense des humanités et de la culture générale, forcément inutiles dans un monde dominé par l'idée de rentabilité...

     

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    En renonçant aux humanités classiques, la France renonce à son influence

    Est-ce que la France serait devenue suicidaire ? En quelques mois, plusieurs sentences sans appel sont tombées, sans qu'on sache vraiment qui est à la manoeuvre : suppression de la culture générale à l'entrée de Sciences Po ; invention, digne des Monty Python, d'un concours de recrutement de professeurs de lettres classiques sans latin ni grec ; disparition de l'enseignement de l'histoire-géographie pour les terminales scientifiques...

    Autant de tirs violents, sans semonce, contre la culture et contre la place qu'elle doit occuper dans les cerveaux de nos enfants et des adultes qu'ils seront un jour. Une place qu'on lui conteste aujourd'hui au nom du pragmatisme qu'impose la mondialisation. Mais quel pragmatisme, au moment où, partout dans le monde, de la Chine aux Etats-Unis, l'accent est mis sur la culture et la diversité de l'éducation, le fameux soft power ?

    En bannissant des écoles, petites ou grandes, les noms mêmes de Voltaire et de Stendhal, d'Aristote et de Cicéron, en cessant de transmettre le souvenir de civilisations qui ont inventé les mots « politique », « économie », mais aussi cette magnifique idée qu'est la citoyenneté, bref, en coupant nos enfants des meilleures sources du passé, ces « visionnaires » ne seraient-ils pas en train de compromettre notre avenir ?

    Le 31 janvier s'est tenu à Paris, sous l'égide du ministère de l'éducation nationale, un colloque intriguant : « Langues anciennes, mondes modernes. Refonder l'enseignement du latin et du grec ». C'est que l'engouement pour le latin et le grec est, malgré les apparences, toujours vivace, avec près de 500 000 élèves pratiquant une langue ancienne au collège ou au lycée. Le ministère de l'éducation nationale a d'ailleurs annoncé à cette occasion la création d'un prix Jacqueline de Romilly, récompensant un enseignant particulièrement novateur et méritant dans la transmission de la culture antique. Quelle intention louable !

    Mais quel paradoxe sur pattes, quand on considère l'entreprise de destruction systématique mise en oeuvre depuis plusieurs années par une classe politique à courte vue, de droite comme de gauche, contre des enseignements sacrifiés sur l'autel d'une modernité mal comprise. Le bûcher fume déjà. Les arguments sont connus. L'offensive contre les langues anciennes est symptomatique, et cette agressivité d'Etat rejoint les attaques de plus en plus fréquentes contre la culture dans son ensemble, considérée désormais comme trop discriminante par des bureaucrates virtuoses dans l'art de la démagogie et maquillés en partisans de l'égalité, alors qu'ils en sont les fossoyeurs.

    Grâce à cette culture qu'on appelait « humanités », la France a fourni au monde certaines des plus brillantes têtes pensantes du XXe siècle. Jacqueline de Romilly, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Lucien Jerphagnon, Paul Veyne sont pratiqués, cités, enseignés dans toutes les universités du globe.

    A l'heure du classement de Shanghaï et dans sa tentative appréciable de donner à la France une place de choix dans la compétition planétaire du savoir et de la recherche, la classe politique semble aveuglée par le primat accordé à des disciplines aux retombées économiques plus ou moins aléatoires.

    Le président de la République, pour qui les universités américaines constituent un modèle avoué, devrait méditer cette réalité implacable, visible pour qui fréquente les colloques internationaux ou séjourne durablement aux Etats-Unis. Que ce soient les prestigieuses universités de l'Ivy League (Harvard, Yale, Princeton...) ou celles plus modestes ou méconnues d'Iowa ou du Kansas, toutes possèdent leur département de langues anciennes.

    Comment l'expliquer ? Par cette simple raison qu'une nation puissante et ambitieuse ne s'interdit rien et surtout ne fait aucune discrimination entre les disciplines, qu'elles soient littéraires ou scientifiques. Ce fameux soft power, ou « puissance douce », consiste à user d'une influence parfois invisible, mais très efficace, sur l'idéologie, les modes de pensée et la politique culturelle internationale. Les Etats-Unis, en perte de vitesse sur le plan économique, en ont fait une arme redoutable, exploitant au mieux l'abandon par l'Europe de cet attachement à la culture.

    Pour Cicéron, « si tu ne sais pas d'où tu viens, tu seras toujours un enfant. » C'est-à-dire un être sans pouvoir, sans discernement, sans capacité à agir dans le monde ou à comprendre son fonctionnement.

    Voilà la pleine utilité des humanités, de l'histoire, de la littérature, de la culture générale, utilité à laquelle nous sommes attachés et que nous défendons, en femmes et hommes véritablement pragmatiques, soucieux du partage démocratique d'un savoir commun.

    Romain Brethes, Barbara Cassin, Charles Dantzig, Régis Debray, Florence Dupont, Adrien Goetz, Marc Fumaroli, Michel Onfray, Christophe Ono-dit-Biot, Jean d'Ormesson, Erik Orsenna, Daniel Rondeau, Jean-Marie Rouart, Philippe Sollers et Emmanuel Todd sont écrivains et philosophes

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  • Nucléaire, souveraineté et puissance...

    Alors que la question du nucléaire va sans doute être au coeur de l'élection présidentielle de 2012, nous reproduisons ce point de vue éclairant de Bruno Racouchot, paru cet été dans Valeurs actuelles. Bruno Racouchot, directeur de la société COMES, publie la lettre d'information Communication & Influence

     

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    Les combats du nucléaire

    Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En France, les centrales nucléaires assuraient en 2010 74,1 % de notre production d’électricité, 12,4 % étant fournis par l’hydraulique et 10,8 % par le thermique à combustible fossile, les autres moyens se révélant dérisoires. En Allemagne, la même année, le nucléaire représentait 28,4 % de la production d’électricité et aux États-Unis, 19,6 %. De fait, même si le gouvernement français a récemment lancé un exercice de prospective envisageant divers scénarios de sortie du nucléaire, rien ne peut ni ne doit se faire dans la précipitation.

    D’autant qu’au-delà des aspects strictement techniques du dossier, c’est essentiellement sur les images, les peurs, les fantasmes que va se jouer la bataille de l’opinion. L’onde de choc de Fukushima met à mal le couple franco-allemand, et partant, toute l’Europe. Il faut dire que les intérêts en jeu sont colossaux et qu’ils excitent bien des groupes de pression, désireux de nous voir renoncer à notre indépendance et tomber en sujétion.

    Le public français va donc être soumis dans les mois et les années à venir à de rudes attaques.

    D’autant qu’interrogés lors d’un récent sondage Ifop-le Monde, nos concitoyens font plutôt montre de réalisme. Ils reconnaissent que l’énergie nucléaire joue un rôle important dans notre indépendance énergétique (85 %), que grâce au nucléaire, la production d’électricité est sûre et constante (79 %) et que cette énergie est produite à un coût plus faible que par d’autres modes de production (73 %). Or, il existe au moins deux bonnes raisons d’attaquer ce consensus : la première est d’ordre technologique, la seconde d’ordre géopolitique. L’Allemagne prépare une mutation majeure de son économie sur le plan énergétique. En changeant de levier au profit des énergies alternatives, elle va bénéficier d’une forte avance technologique, qui constituera un atout à l’international. Le tout est de savoir quand.

    C’est là un défi qui s’étend bien au-delà du simple paramètre technique. Il pose la question de l’organisation de la société et surtout de l’adhésion à un projet de vie. Entre également en perspective ici la dimension géopolitique. Si l’Allemagne peut se permettre ce virage, c’est parce qu’elle sait pouvoir s’appuyer sur Gazprom. Qu’elle se détache progressivement de l’Europe de l’Ouest pour s’amarrer à la puissance continentale majeure qu’est la Russie n’est pas anodin. La France se trouve donc coincée de facto entre pétrole et gaz, entre l’enclume américaine et le marteau russe. Notre filière nucléaire va donc devoir combattre sur deux fronts à la fois, et sur des registres bien différents de ceux auxquels elle est accoutumée. Aussi devons-nous faire très vite notre propre mutation si nous voulons traverser cette épreuve.

    Car contrairement aux apparences, ce n’est pas seulement sur le plan rationnel qu’il va falloir agir. Les antinucléaires sont inquiétants à double titre : ils sont instrumentalisés par des groupes de pression connaissant parfaitement les techniques de manipulation et de désinformation ; et leur combat est avant tout idéologique, pour ne pas dire cryptothéologique. Ceux qui en douteraient devraient lire le dernier essai de Régis Debray, Du bon usage des catastrophes (Gallimard), où il rappelle par exemple que c’est par des images, des révélations, du merveilleux, que le christianisme a fait tomber un Empire romain trop sûr de sa force et de son droit… Nous allons inéluctablement voir se multiplier les attaques de toutes sortes, y compris à l’intérieur de l’appareil européen. Voilà pourquoi nous devons très vite anticiper la nature des affrontements à venir. Loin des équations et des algorithmes qui parlent peu à l’homme de la rue, c’est dans le domaine des idées, sur le plan communicationnel et informationnel que va se jouer la vraie bataille. Il est urgent de penser la communication de nos grands groupes énergétiques autrement. Donc, de changer d’échiquier, de rompre avec les postures défensives, pour occuper – réellement – le terrain de l’influence. L’influence, c’est avant tout donner du sens. C’est soutenir une stratégie qui sait et qui dit où l’on va, ce que l’on veut. C’est affirmer et assumer une identité forte. C’est avoir une perception de son devenir allant bien au-delà de son seul coeur de métier. C’est tisser en permanence des passerelles entre la realpolitik et l’imaginaire pour répondre aux attentes, aux craintes, aux espoirs. En explorant les champs connexes à son activité, en communiquant de manière à donner du sens à l’action engagée et à la stratégie suivie, on donne la preuve que l’on a une perception synoptique des enjeux. Consciemment ou non, les Français veulent que notre pays déploie une stratégie de puissance digne de ce nom, qui lui rende son dynamisme et sa grandeur. Les combats de demain se joueront dans les têtes. La bataille des idées sera déterminante. Il est grand temps, pour nos élites, de faire montre d’un nouvel état d’esprit, lucide, déterminé, pragmatique, et d’intégrer une bonne fois pour toutes les stratégies d’influence dans leur stratégie globale. 

    Bruno Racouchot (Valeurs actuelles, 4 août 2011)

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  • Des intellectuels en révolte contre le système ?

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Andrea Massari, cueilli sur le site de Polémia, dans lequel il dresse un panorama des intellectuels en révolte contre le système. Les tireurs sont en position... Feu sur le quartier général !

     

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    La révolte des intellectuels contre le système

    La dissidence des intellectuels a précédé la chute de l’Union soviétique. La révolte des intellectuels contemporains pourrait bien annoncer la chute de l’empire cosmopolite. Certes, les oligarques du Système sont puissants : ils possèdent l’argent et contrôlent les médias classiques. Mais le pouvoir de ces oligarques est triplement menacé : par la révolte populiste, par la révolte numérique mais aussi par la révolte des intellectuels. Philosophes, anthropologues, économistes, géopoliticiens, géographes et sociologues sont de plus en plus nombreux à contester le désordre établi. A l’écart d’une actualité hollywoodienne, Andrea Massari nous propose de prendre un peu de hauteur… Explications.

    Les philosophes à la quête du sens

    Dans les années 1950, la majorité des philosophes étaient marxistes ; ils sont devenus droits-de-l’hommistes dans les années 1970/1980. Aujourd’hui, beaucoup de philosophes sont des critiques acerbes de la modernité et portent souvent la parole d’un retour à la tradition. C’est le cas de Jean-François Mattéi, auteur de La Barbarie intérieure et du Procès de l’Europe. C’est le cas de Philippe Nemo, auteur de La Régression intellectuelle de la France. Chantal Delsol dénonce, elle, L’Age du renoncement. Et avec une grande rage littéraire l’écrivain Richard Millet dénonce La Fatigue du sens et l’horizontalité du monde. Un pamphlet philosophique éloigné de toute bien-pensance et frappé du sceau de la radicalité.

    Le grand retour des frontières

    Dans la novlangue contemporaine le mot frontières était devenu tabou : on n’en parlait pas, si ce n’est pour les… supprimer. Régis Debray a brisé le tabou en publiant un Eloge des frontières. L’éloge des frontières, c’est aussi le fil rouge du livre fulgurant d’Hervé Juvin : Le Renversement du monde. L’économiste et anthropologue rejoint ainsi le philosophe. L’un et l’autre chez Gallimard.

    La réhabilitation du protectionnisme

    Face à la grande menace industrielle, le vieux gaulliste Jean-Marcel Jeanneney avait publié, en 1978, Pour un nouveau protectionnisme. En forme de chant de cygne car depuis la fin des années 1970, c’est le libre-échange qui donne le tempo. Parvenant même à faire censurer le Prix Nobel Maurice Allais. Cette époque de censure est révolue : des économistes osent aujourd’hui s’afficher protectionnistes : Jacques Sapir et Jean-Luc Gréau ont rejoint Gérard Dussouy, théoricien de la mondialité, et Alain Chauvet (Un autre monde : Protectionnisme contre prédation).

    Sociologues et géographes portent un regard critique sur l’immigration

    Le géographe Christophe Guilluy a jeté un pavé dans la mare avec ses Fractures françaises. Il y montre l’ampleur des fractures ethniques. Fractures ethniques qui ne sont pas forcément sociales : car on est plus riche (monétairement parlant, en tout cas) en Seine-Saint–Denis que dans la Creuse. De son côté, Malika Sorel tient Le langage de vérité [sur] Immigration, Intégration. Dans les mêmes perspectives que Michèle Tribalat (de l’INED) dans Les Yeux grands fermés (L’Immigration en France) ou Hugues Lagrange dans Le déni des cultures.

    Le grand retour de la géopolitique

    Chaque année le festival de géopolitique de Grenoble, organisé par Pascal Gauchon et Jean-Marc Huissoud, marque le retour des intellectuels vers les préoccupations de puissance : Aymeric Chauprade, auteur de Chronique du choc des civilisations, peut y croiser Pascal Boniface, auteur de Atlas du monde global et pourfendeur des Intellectuels faussaires. Hors champ, on ne saurait oublier le général Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre et critique des guerres américaines. Ni Alain Soral, qui ne veut pas seulement Comprendre l’empire mais le combattre. Ni Christian Harbulot, théoricien de la guerre économique. Ni François-Bernard Huyghe, lumineux médiologue.

    Le dévoilement de l’art « contemporain »

    L’art « contemporain » a plus… d’un siècle. Il est plus que… centenaire ! Il est né dans les années 1890 et trône dans les musées depuis l’Urinoir de Duchamp en 1917 ! Mais les critiques de l’art « contemporain » sont de plus en plus nombreuses et acerbes. Jean-Philippe Domecq annonce que « l’art du contemporain est terminé ». Ces Artistes sans art sont aussi critiqués par Jean Clair, académicien et ancien directeur du Musée Picasso, dans L’hiver de la culture et Dialogue avec les morts. Sans oublier les charges argumentées d’Aude de Kerros (L’art caché), de Christine Sourgins (Les mirages de l’art contemporain), de Jean-Louis Harouel (La grande falsification de l’art contemporain) ou d’Alain Paucard (Manuel de résistance à l’art contemporain).

    La dénonciation des oligarchies

    Il y a dix ans, les « oligarques » désignaient des dirigeants russes plus ou moins mafieux qui s’enrichissaient sur les ruines de l’ex-Union soviétique. Aujourd’hui, la critique des oligarchies a franchi le mur de l’ex-« rideau de fer ». Apôtre de la démocratie directe, Yvan Blot publie L’Oligarchie au pouvoir. Il se trouve en compagnie d’Alain Cotta dénonçant Le Règne des oligarchies et d’Hervé Kempf qui publie, au Seuil, L’Oligarchie, ça suffit, vive la démocratie. Et le libéral Vincent Bénard, directeur de l’Institut Hayek, dénonce les « oligarchismes ». Un point de vue que reprend d’une autre manière, l’anthropologue Paul Jorion dans Le Capitalisme à l’agonie. Ainsi cinq auteurs, partant de cinq points de vue différents, convergent dans la même critique. A la place des oligarques on s’inquiéterait !

    Les neurosciences contre la télévision et les pédagogies nouvelles

    Des milliers d’études scientifiques ont établi la malfaisance de la télévision sur la santé (obésité, maladies cardio-vasculaires) et le développement intellectuel en particulier des jeunes enfants. Avec TV lobotomie Michel Desmurget en fait un point sans concession, frappant au cœur l’instrument central de contrôle des esprits.

    Les neurosciences offrent aussi des arguments décisifs contre les pédagogies dites « nouvelles » dont les ravages dans l’éducation sont constamment dénoncés, notamment par Laurent Lafforgue, médaille Fields.

    Un bouillonnement fécond

    Ce qui est frappant dans ce nouveau paysage intellectuel, c’est la diversité de ceux qui le composent. Il y a les établis et les marginaux : ceux qui ont pignon sur rue chez Gallimard et au Seuil, et ceux qui publient leurs livres à la limite de l’autoédition. Qu’importe, les uns et les autres rencontrent le succès grâce à Amazon notamment.

    Il y a ceux qui viennent des rives de la gauche et du marxisme et ceux qui s’assument réactionnaires. Il y a des libéraux lucides et des lecteurs de Krisis. Il y a des catholiques, des laïcs et des panthéistes. Il y a ceux qui sortent de trente ans de bien-pensance et ceux qui luttent depuis trente ans contre la bien-pensance. Il y a aussi tous ceux qui viennent de nulle part mais qui respectent les faits.

    Le pouvoir des oligarques et l’ordre politiquement correct (mondialiste, « antiraciste », libre-échangiste, en rupture avec les traditions) sont placés sous un triple feu : les mouvements populistes, la blogosphère dissidente et les intellectuels en rupture. Gageons que les événements qui viennent les feront converger !

    Andrea Massari (Polémia, 5 juillet 2011)

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  • France : où en est la liberté d'expression ?...

    Où en est la liberté d'expression en France ?

    C'est la question que se posera Arnaud Guyot-Jeannin ce soir dans son Libre Journal des enjeux actuels sur Radio Courtoisie, diffusé de 21 heures 30 à 23 heures, avec ses invités : Dieudonné (humoriste), Robert Ménard (journaliste, directeur de la revue Médias et co-auteur de l'ouvrage "Vive Le Pen  ! "), François Bousquet (directeur du Choc du mois) et Frédéric Pichon (avocat, président du Cercle des avocats libres).

    Une émission qui sera rediffusé le jeudi 12 mai aux mêmes horaires.

    C'est aussi la question à laquelle tenteront de répondre les intervenants du colloque organisé par le cercle des Avocats libres le jeudi 11 mai 2011 à Paris (Salle ASIEM, rue Albert de Lapparent, métro Ségur, à partir de 19 heures 30).

     

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    "Un député (Vanneste) poursuivi pour des propos tenus dans l’enceinte du Parlement. Un journaliste (Zemmour) condamné en correctionnelle pour une phrase à l’emporte-pièce. Un essayiste (Laulan) condamné pour « racisme » simplement pour avoir évoqué la criminalité nomade. Un humoriste (Dieudonné) condamné au pénal pour un spectacle jugé de mauvais goût. Les affiches (représentant un minaret) d’un parti politique (FN) interdites lors d’une campagne électorale. Des intellectuels (Régis Debray) privés de prise de parole dans leur ancienne école (l’Ecole normale supérieure). Des lois successives – LOPPSI, HADOPI – visant à contrôler Internet et à le censurer hors du contrôle du juge. Un révisionniste, père de huit enfants (Reynouard) passant 9 mois en prison simplement pour avoir diffusé une brochure de 16 pages. Les rares éditorialistes de presse pensant différemment (Zemmour, Ivan Rioufol, Elisabeth Lévy, Robert Ménard) soumis au harcèlement de la meute médiatique.

    Il y a manifestement un problème de liberté d’expression en France ! Car la caste médiatique et politique dominante trouve très bien en France ce qu’elle dénonce dans le reste du monde. Si une opinion – quelle qu’elle soit – est décrétée « odieuse », tous les moyens sont bons pour empêcher son expression. Mao et Staline ne procédaient pas différemment : ils ne poursuivaient pas les idées qu’ils trouvaient sympathiques…

    C’est le mérite du Cercle des avocats libres d’organiser ce colloque sur la liberté d’expression avec la participation de :

    -Christian VANNESTE, député du Nord et professeur de philosophie ;
    -Philippe BILGER, avocat général ;
    -Gilbert COLLARD, avocat ;
    -Yves-Marie LAULAN, président de l’Institut de géopolitique des populations ;
    -Robert MENARD, journaliste et ancien président de Reporters sans frontières."

    Communiqué de la fondation Polémia (2 mai 2011)

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  • Régis Debray : "Il faut toujours une verticalité..."

    Nous reproduisons ci-dessous certains propos de Régis Debray, tenus dans le cadre d'un échange organisé par le quotidien Le Monde, avec Olivier Py et Denis Podalydès, à propos de la représentation et de la figuration du pouvoir aujourd'hui. Le texte de ce débat a été publié dans le numéro daté du 5 mars 2011.

     

     

     

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    Sur Sarkozy et la représentation de la fonction présidentielle :

    "Les mots-clés sont lâchés : vitesse, corps-à-corps, court-circuit. Avec l'enfant de la télé, l'ancien blouson doré de Neuilly, la société du spectacle a cédé la place à la société du contact. Plus de formes ni de protocole. Nous avons un pouvoir qui tutoie, et qu'on tutoie. "Casse-toi, pauvre con !" On est passé de la queue-de-pie au tee-shirt. Il faut que le chef soit tout le monde. Marketing oblige. Il faut qu'il soit en prise directe avec l'émotion du jour. On surfe, on virevolte, on bouge avec tout ce qui bouge. C'est l'Etat-Kodak, clic-clac. Une suite d'instantanés.

    D'où l'inconstance des positions, et l'inconsistance des personnages. Le plan de vol, c'est le bulletin météo. Ça change tous les jours. C'est la fin de ce que l'historien Ernst Kantorowicz appelait "les deux corps du roi". Le corps physique, éphémère. Et ce que ce corps incarne, un principe immuable. En voyant de Gaulle, on voyait la France au travers, en voyant Gambetta, j'imagine qu'on voyait la République. En voyant Sarkozy, on ne voit plus que lui, et c'est le drame. La télévision empêche de voir double, me direz-vous. Soit. Mais la mystique manque. Il y a trop de corps.

    C'est la rançon du direct, du live. Le tout à l'image, c'est le tout à l'ego. Avec la séquence des présidents depuis cinquante ans, vous voyez le lent déclin du symbole et l'avènement de la trace. Prenons 1958, de Gaulle, grand écrivain et mémorialiste ; Pompidou, prof de lettres ; Giscard rêvant à Maupassant ; Mitterrand grand liseur, encre bleue, et belle plume ; Chirac se tourne vers les arts premiers, mais donne encore du maître à l'écrivain ; Sarkozy embrasse Johnny Hallyday."

     

    Sur la désacralisation de la fonction présidentielle :

    "Nos présidents vivent dans une "extimité" permanente : leur intimité ne cesse d'être mise en scène. Le dédoublement entre la personne et la fonction était l'essence même du sacré politique. La personne est plus petite que la fonction, le "moi je" s'efface devant le "il" ou le "nous". Charles disparaît sous de Gaulle. On n'en parle pas.

    Nous n'avons plus une scène de théâtre où l'on joue en différé, mais un studio de télévision où l'on passe en direct. L'Elysée est un plateau de télé-réalité et l'on a vu cette chose extraordinaire dans Paris Match, montrant Nicolas Sarkozy, dans le fauteuil du général de Gaulle, la main sur la cuisse de sa femme assise sur ses genoux. Plus de hiatus entre la chambre à coucher et le bureau présidentiel, entre l'intime et l'officiel. Loft Story ou love Story ?"

     

    " La technologie commande, oui, nous sommes d'accord. Peinture, photographie, cinéma, télévision et Internet changent la focale et le tempo du pouvoir. Mais tout de même, être à la tête d'un pays, maîtriser des situations, c'est savoir se mettre hors-jeu, au-dessus. La maîtrise n'allait jamais sans distance. Sans un certain laconisme, voire une certaine capacité d'absence. Le chef est calme, voire indifférent, comme Mitterrand. Les compagnons de captivité du capitaine de Gaulle disaient qu'ils ne l'avaient jamais vu sous la douche !

    Il y avait chez de Gaulle un art de la dissimulation et de la disparition, et donc de l'apparition au bon moment. Aujourd'hui, le frère a remplacé le père et l'on gouverne par la proximité. Par sauts et gambades. En sautillant, en s'agitant. Résultat : du pouvoir, oui, mais sans autorité. Le dernier seul vrai pouvoir d'un président, où il ne fait pas semblant, est celui de nommer. La Cour est donc fascinée, terrorisée et obséquieuse - la danse devant le buffet a un arbitre suprême, qui peut vous nommer ou non à la tête d'un ministère, d'une entreprise publique, d'une ambassade. L'intimidation est là. Mais elle concerne 2 000 personnes. Les autres, nous tous, on s'en fout et on a bien raison."

     

    " On est passé de l'Etat éducateur à l'Etat séducteur. Aujourd'hui, un homme d'Etat n'est plus celui qui élève, c'est celui qui cajole. Il n'exalte pas, il accompagne. Denis Podalydès évoque bien le rajeunissement du pouvoir ; il y a un côté adolescent chez Sarkozy, sans doute sympathique parce que pulsionnel. C'est l'indice d'un nouveau monde. Inutile de raisonner à partir du Napoléon en César ou du de Gaulle en général. Ils parlaient derrière une table, assis. Sarko est debout derrière un pupitre.

    C'est le modèle Maison blanche. Sarkozy est obsédé par les Etats-Unis. Il veut faire américain, ou moderne, comme il dit. On aura donc à Versailles le discours de l'Union où le président s'adresse au Congrès réuni. C'est encore du vu à la télé. La France colonisée n'arrive plus à produire ses propres normes de représentation, étant entendu que les jeunes leaders socialistes ne sont pas moins aliénés que les autres."

     

    Pouvoir, autorité et verticalité :

    "Le chef révolutionnaire tient son pouvoir des armes. Il a côtoyé la mort. Ce qui l'autorise ensuite, pense-t-il, à la donner. La guerre ne pousse pas à la démocratie. Fidel Castro et le Che, ce sont d'abord des ducs, des condottiere, des conspirateurs en uniforme. Avec eux, on est ramené aux sources archaïques du pouvoir, qui ont leur vérité. Mitterrand aussi a fait l'expérience de la guerre, ce qui l'a changé."

    "Pour qu'une parole soit performative dans le tohu-bohu, elle doit se faire rare, et peser. Le comble de l'autorité, c'est le laconisme. Le Che, puisqu'on en parlait, était remarquablement silencieux. Un distant qui en imposait par sa distance. Il en était conscient et disait qu'il faisait de vice vertu. "Je suis timide et asthmatique. Je n'ai aucun don de communication, aucun don "de gente"", disait-il. De cette faiblesse, il a bien fallu faire une force. Et cette introversion lui donnait un ascendant sur la troupe. C'était assez insolite en contexte latino. Argentin, très européen, le Che gardait une culture littéraire, avec Neruda dans son sac à dos, quand Fidel Castro était l'oralité en geste."

    "Heureusement qu'il y a des invariants, mais aujourd'hui, l'ascendant symbolique s'est évanoui, le respect devient impossible. On ne peut que saluer des performances d'acteur ou de bateleur. On remplace le relief par le réseau et on met tout à plat. Mais il faut toujours une verticalité, sinon l'horizontal se fragmente, s'atomise. Et vous n'avez plus un collectif, une société, une nation, mais un puzzle d'intérêts et de clientèles où chacun est étranger à son voisin. L'écroulement symbolique, c'est le chacun pour soi et personne pour tous. C'est seulement ce qui nous dépasse qui nous rassemble. Là où rien ne dépasse, rien ne rassemble. Et la vraie tragédie, c'est que le pouvoir est devenu une comédie."

    Régis Debray (propos recueillis par Nicolas Truong, Le Monde, 5 mars 2011)

     

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  • A droite, à gauche, mais de quoi ?...

    Nous reproduisons ici un dialogue passionnant entre Régis Debray et l'avocat genevois Marc Bonnant, publié en septembre dernier par le quotidien suisse Le Temps.

     

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    A droite, à gauche, mais de quoi?

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    L’un est républicain de gauche, l’autre libéral de droite. L’intellectuel français et l’avocat genevois s’entendent pourtant fort bien quand il s’agit de débattre de Dieu, du déclin des civilisations, de l’amour de la littérature et des idéologies infantilisantes. Prétexte à cette rencontre, «Julien l’Apostat», pièce de Régis Debray mise en lecture à Carouge grâce à Marc Bonnant

    Propos recueillis par Marie-Claude Martin et Alexandre Demidoff

     

    C’était lundi soir au Théâtre des Amis, à Carouge. Sur scène, l’acteur Jean-François Balmer lit «Julien l’apostat», de Régis Debray, qui assiste au spectacle. Son héros? Julien, empereur qui règne en 337 sur la Gaule. Il veut rétablir le polythéisme grec, que Constantin avait interdit au profit du christianisme. Julien a fini assassiné par un chrétien. Son fantôme théâtral assène aujourd’hui des vérités désagréables. Les civilisations meurent faute de dessein collectif. Derrière ce spectacle, l’avocat genevois Marc Bonnant. C’est lui qui a fait le lien entre Régis Debray et les Amis. Par passion pour l’œuvre de l’essayiste français. Le Temps les a réunis dans l’étude du meilleur orateur romand. Autre théâtre, autres démons. Mais comment un républicain de gauche et un libéral de droite peuvent-ils si bien s’entendre et s’écouter?

     

    Marc Bonnant: Dans le monothéisme, on se constitue par le rejet. C’est l’idée de Debray. Je trouve que la religion est une imposture féconde. Et à cet égard, elle mérite l’estime. Pourquoi féconde? Parce que sur un critère possible, elle dit ce qu’elle fait des hommes; sur l’existence de Dieu, il faut débattre d’abord du mot existence. Dieu est un problème trop compliqué. Du fait qu’il y ait une présence réelle de l’idée de Dieu dans des milliards d’âmes, dans la musique de Mozart, dans la peinture de Giotto, ne peut-on pas dire que Dieu existe, à défaut de l’avoir rencontré? J’en vois des traces dans ces âmes soudainement légères, soudainement élevées, avec une impulsion montgolfière, toutes ces âmes qui montent. Je ne néglige pas les âmes souillées par l’idée de Dieu. Mais Dieu existe, oui, parce que je l’ai rencontré comme une suprême erreur dans le cœur et dans l’esprit des hommes. Dieu est une réponse à la finitude. Au même titre que la philosophie qui est peut-être ma réponse. Dieu est une réponse qui enchante les âmes. On peut concevoir après tout que la rationalité a des limites. Que l’esprit est tout, mais qu’il ne peut pas tout. L’irrationnel produit un chant, donc une grâce.

    Pour parler du sacré, seuls les athées s’y entendent. Parce qu’ils n’ont pas la main à la plume qui tremble. Et comme l’intelligence n’est pas affectée par le sacrilège, seuls parlent bien de Dieu ceux qu’il épargne.

    Régis Debray: Je vous écoute comme si vous étiez la voix de ma conscience. 

    «Je dirais: deux lettrés se rencontrent»

    Régis Debray: «Marc Bonnant m’est tombé du ciel, c’est-à-dire de Genève un jour à Paris. Je ne le connaissais pas. Il a pris les devants. Un coup de téléphone. Il est venu me voir et j’ai découvert un homme d’une exceptionnelle sensibilité littéraire et une relation s’est nouée. Je dirais deux lettrés se rencontrent, l’un avait de moyens, l’autre pas. Marc Bonnant m’a dit: «Je peux vous aider à donner chair à votre texte.» Ont suivi le contact avec le Théâtre des Amis et avec l’acteur Jean-François Balmer.

    Marc Bonnant: «C’était il y a trois ans. Je dois cette amitié à Jean Ziegler, une autre de mes amitiés contre-nature politique, j’aime chez lui le lyrisme et la passion. Je l’ai un peu combattu du temps où la Suisse lavait plus blanc. J’avais des crispations par rapport à ses positions. Je crois que j’ai gagné des procès contre lui. C’est fou ce que la victoire rend clément! Dans des circonstances de ma vie, je l’ai rencontré et je n’ai vu qu’une authenticité, qu’une vraie espérance.

    Et puis j’avais lu le livre où dialoguent Régis Debray et Jean Ziegler. Le premier a exposé sa vie dans des combats, l’autre un peu moins, il est peut-être inconsolable de n’avoir pas vécu l’aventure révolutionnaire.

    Deux hommes se parlent et à un certain moment ils conviennent qu’ils se sont trompés sur tout. Mais c’est là où leur destin change, Ziegler prend acte qu’ils se sont trompés sur tout, mais dit: «Continuons!» Parce que si nous nous sommes trompés sur tout, c’est que nous avions raison sur tout. Régis Debray, lui, dit qu’il peut mettre en cause ce qui a été leur ferveur révolutionnaire.

     

    «Tous les révolutionnaires que j’ai connus regardent en arrière»

    Régis Debray: On oppose toujours, depuis la Révolution française, gauche et droite. Je crois que chaque protagoniste est double. Il y a une droite d’idée et de culture, une droite d’intérêt; de même il y a une gauche d’idée et de culture, et je dirais une gauche d’intérêt démagogique. Je pense qu’il y a des affinités croisées entre la gauche d’idée et la droite d’idée. Parce que l’un et l’autre sont fonction d’une mémoire et il me semble que le révolutionnaire est fondamentalement un homme de mémoire et de nostalgie. C’est un homme pour qui le passé existe et qui ressent le passé comme un défi; qui ressent la figure tutélaire, le héros, le Prométhée révolu comme un devoir, comme une émulation. Tous les révolutionnaires que j’ai connus regardent en arrière, un peu comme ce dessin de Paul Klee, «L’Angelus novus», où le critique Walter Benjamin voyait l’ange de l’histoire. C’est un ange qui regarde en arrière et qui au fond freine le progrès. C’est donc un ange malheureux, parce qu’il ressent le progrès comme une catastrophe.

    Il peut donc y avoir des affinités croisées entre un homme de gauche et de droite, dès lors qu’il y a une culture, une mémoire en commun. Je conçois la mémoire comme une dynamo qui produit des rêves éveillés ou de somnambule, c’est-à-dire des gens qui s’imaginent être Emiliano Zapata et qui sont Marcos en fait. Ou des gens qui s’imaginent être Lénine et qui sont simplement un petit potentat de l’Europe de l’Est. Mais après tout, Robespierre était convaincu d’être Caïus Gracchus. Les révolutionnaires de 1848 étaient convaincus de refaire 1793; et Lénine a dansé dans les neiges du Kremlin quand il a dépassé les cent jours de la Commune.

    Vous trouverez dans tout révolutionnaire un imitateur, parfois un simulateur, mais en tout un homme mû par quelque chose qu’il estime plus grand que lui et qu’il doit répéter. C’est idiot d’opposer le progressisme et le passéisme. Tout progressiste est un nostalgique qui s’ignore.

    Donc, c’est ce qui peut unir un homme de droite et un homme de gauche. Je me sens beaucoup plus proche de Marc Bonnant que de Dominique Strauss-Kahn, par exemple. Voilà.

     

    «Rousseau est le fondateur de toutes les ignorances»

    Marc Bonnant: «Le révolutionnaire n’a pas simplement de comptes à régler avec l’Histoire. Il a l’ardent désir d’être familier avec l’Histoire. L’ignorance du passé immédiatement déshérite l’avenir. Si on pense que le révolutionnaire s’occupe de demain, son ardente préoccupation, c’est hier.

    Régis Debray: «C’est vrai que l’oubli du passé est mortel au progrès.»

    Marc Bonnant: Et pour en revenir à la pièce de Régis, hier, quand il s’en prend à l’enseignement des modernes, il parle de la France, mais aussi de nous, cette éducation d’aujourd’hui qui à vrai dire est une amnésie programmée, Rousseau est fondateur de toutes les ignorances, Emile ne lira que Robinson, c’est la métaphore parfaite de la nature sans la civilisation. Et nos académiques aiment beaucoup ça, l’idée qu’on souffre à apprendre leur paraît une indignité, alors que c’est la seule rectitude, la verticalité des âmes. Ce côté «amnésie programmée», et aussi ce que d’aucuns appellent l’intelligence du cœur, nous pousse à ne rien savoir par cœur. Mais l’intelligence du cœur a cette caractéristique d’être invérifiable. Viendra ensuite le temps de l’intelligence du corps, et soyons plus audacieux encore, celui de l’intelligence de l’inintelligence, comme ça nous serons certains d’avoir englobé tout le monde dans une même étreinte. Alors, Régis Debray, homme de gauche, authentiquement, superbement, serait-il élitaire? Voilà une bonne question. 

    «Je suis homme de gauche parce que j’ai un amour compulsif pour les causes perdues»

    Régis Debray: Vous savez, Régis Debray est un androgyne, et Marc Bonnant aussi… on a des traits de gauche et de droite. De gauche, de droite, ce sont plutôt pour moi des termes à envisager comme des tempéraments, des terreaux culturels plutôt que des camps politiques. Comme le yin et le yang, il n’y a pas de jugement à apporter. Je suis certainement à gauche politiquement et à droite culturellement. Je suis un homme de gauche parce que j’aime bien le collectif, parce que j’ai un amour compulsif pour les causes perdues et les vaincus en général. Mais je suis un homme de droite parce que j’aime les institutions, à condition de ne pas en être, que j’ai effectivement une certaine tendance à l’élitisme et que je ne suis pas persuadé que l’histoire progresse. La technique progresse mais je ne pense pas que l’homo sapiens ait changé de structure neurologique ou anatomique parce qu’il a un ordinateur et une auto. Il y a des invariants dans l’histoire qui reviennent. Je suis très de gauche, très de droite, hermaphrodite, androgyne. Je voterai toujours à gauche parce que c’est mon côté conservateur, une tradition, une appartenance, c’est ma famille… J’ai eu des expériences ineffaçables et qui sont des aiguillons originaires. A 20 ans, au lieu de partir aux Etats-Unis comme tout le monde, je suis allé en Amérique du sud, j’ai vu la misère, l’oppression, j’ai vu des touristes américains jeter des pièces à des Indiens dans un marché d’Equateur et photographier ces Indiens et ces Indiennes qui se précipitaient dans la poussière pour ramasser ces pièces et qui trouvaient extrêmement drôle, j’ai vu des scènes comme ça qui ont fait que spontanément je suis d’un certain côté, plutôt du côté des mineurs que des propriétaires de mines, étant descendu en 1964 en Bolivie dans des mines qui sont peut-être l’équivalent du XIXe siècle européen et qui fait de moi un déphasé, un anachronique. Des choses qui m’ont marqué à vie. Cela n’empêche pas ma liberté de penser et de trouver du plaisir dans les écrivains de droite. 

    «J’ai trouvé mon idéal littéraire chez Julien Gracq»

    J’aime bien la vivacité, l’absence d’adjectif, l’alacrité, la rapidité des écrivains de droite, des Hussards, notamment. Le style oratoire, gonflé et grandiloquent de certains prosateurs de droite moins… J’ai mes atomes crochus esthétiques. Le style nerveux, concis, rapide, disons que Paul Morand me séduit plus qu’un certain Camus. Mais j’ai trouvé mon idéal littéraire chez Julien Gracq, c’est-à-dire l’équilibre parfait entre le sens géographique et le sens historique, d’un côté l’acuité de la perception sensorielle, de l’autre l’immense culture historique qui rend sa prose à la fois intelligente et visible. J’assume le hiatus entre mes affinités politiques et mes affinités esthétiques.

     

    «La nostalgie est une disposition du cœur et de l’esprit plutôt de droite»

    Marc Bonnant: L’immense critique littéraire qu’était Thibaudet avait théorisé cette idée. Lorsque la politique est à gauche, la littérature est à droite, et inversement. C’est-à-dire que la littérature se réfugie toujours dans un rôle d’opposition politique. Debray disait tout à l’heure qu’il était nostalgique. On pourrait dire que la nostalgie est une disposition du cœur et de l’esprit plutôt de droite, comme l’est l’idée du retour. Le nostalgique n’est pas le mélancolique. Le nostalgique connaît le passé, croit à l’éternel retour et espère. Le mélancolique prend acte du changement. Le sublime est à droite en littérature, le concret à gauche. 

     

    «J’aime l’improvisation, le jaillissement spontané, la parole qui naît du regard de l’autre»

    Régis Debray: Vous avez gagné un concours d’éloquence ai-je lu dans Le Monde…

    Marc Bonnant: C’était la Nuit de l’éloquence organisée par les jeunes avocats de Paris. Je devais y aller comme arbitre, sage aux cheveux blancs. Un candidat a fait défaut, je me suis proposé pour le remplacer, j’ai improvisé quelque chose. J’aime l’improvisation, le jaillissement spontané, la parole qui naît du regard de l’autre. La parole est faite de moitié par celui qui écoute. J’aime son côté oblatif, la générosité. L’écrit est fait pour la postérité, la parole c’est l’immédiateté, beau comme une fusée dans la nuit. C’est l’idée qu’il n’y ait pas de deuxième vie après la parole. La parole n’a qu’une instance et tout se joue ici et maintenant me plaît. Il y a quelque chose de dramatique.  

    «Percevez-vous le privilège d’assister à une double conversion politique?»

    Régis Debray: Il y a une vraie différence de tempérament entre nous. Sous cet angle, il est plutôt homme de gauche et moi homme de droite. Selon le freudisme, c’est lui l’oral, le généreux, qui donne sa parole, et moi l’anal qui retient, qui se donne peu, qui n’est pas emprise directe avec les autres. Là-dessus, je le sens plus ouvert que moi, qui suis plus renfermé.

    Marc Bonnant: Je ne sais pas si vous percevez le privilège d’assister à une double conversion politique…

    Régis Debray: Mais mon gauchisme est incurable, il ne guérira pas. Nous avons cependant un combat en commun que je crois réellement émancipateur: le maintien d’une certaine tradition. Contrairement à Marc, je reconnais le conservateur moderne à ce qu’il n’a pas de nostalgie, certains sont au pouvoir actuellement. Ils vivent l’instant pour l’instant, considèrent l’économie comme supérieur au culturel et ne voient dans la culture qu’un folklore ou un prétexte amusé mais en aucun cas quelque chose qui crée une obligation, comme quelque chose qui s’impose à vous comme une hantise. Nous avons des amnésiques au pouvoir, ce sont des accélérateurs de déclins, tous ces modernisateurs.

     

    «La féminisation de la société commence avec le monde chrétien»

    Marc Bonnant: Julien l’apostat (le héros de la pièce de Régis Debray, ndlr.) nous avertissait, l’histoire bégaye mais surtout les hommes n’apprennent jamais rien, au même moment, les mêmes imprécations, le même chant des sirènes et nous ne savons toujours pas nous attacher au mât. Mais il y a autre chose, des sociétés de plus en plus féminines, sensorielles et compassionnelles qui nous conduisent à n’aimer que les damnés et les pauvres, à les transformer en héros. Avec les pauvres, l’arrogance a changé de camp: le politique s’épuise dans le compassionnel. Julien, j’extrapole un peu, prophétise que demain l’Etat servira à ouvrir des crèches, c’est très bien les crèches, nécessaire, mais ce n’est pas le rôle premier de l’Etat!

    Régis Debray: La féminisation de la société commence avec le monde chrétien. C’est la supériorité du christianisme sur le monde païen, viril, inégalitaire, qui ne donne aucune place aux femmes et dont les Dieux ne s’intéressent pas aux hommes. La première invention du christianisme c’est un Dieu qui nous parle, à tout un chacun. Les Dieux païens vivent sur l’Olympe, le Dieu chrétien s’incarne dans un corps et une histoire. Les Dieux de l’antiquité n’ont pas d’histoire. Tout à coup, il y a une émotion historique qui saisit l’éternel, et donc les hommes et les femmes sont plus impliqués dans la prière que dans l’univers civique et froid du monde païen. L’Empereur Constantin a compris qu’il y avait là une force émotionnelle qu’il pourrait capter à son profit. La face noire de tout cela, c’est la constitution d’une Eglise, c’est déjà le monopole de la vérité, de l’autorité, et par la suite de l’exclusion, de la condamnation et du bûcher.

     

    «Les chrétiens jusqu’au IVe siècle étaient une secte»

    Régis Debray: Voilà encore une idée qui n’est pas de gauche, la spirale de l’histoire. On dit que l’histoire ne repasse pas les plats, je crois que si. Ce ne sont pas les mêmes légumes et viandes, mas ce sont toujours des naissances et des décadences, des origines et des déclins. L’idée, c’est que les chrétiens sont au monde païen ce que les islamistes sont aujourd’hui au monde occidental. Il faut se souvenir que les chrétiens jusqu’au IVe siècle étaient une secte qui ne représentait pas plus de 5% du monde romain. Une secte qui aurait pu ne jamais devenir une Eglise, une superstition qui est devenue une religion à partir du moment où Constantin, ou plutôt Théodose 1er a dit: ce sera la croyance de l’Empire, toutes les autres seront des crimes.

    Je vous fais remarquer que les chrétiens, en l’espace de trois siècles ont tué plus de païens que les païens de chrétiens. De même que les islamistes ont détruit les bouddhas de Bamiyân, les chrétiens ont détruit les temples d’Isis et d’Osiris, ils ont fait du vandalisme, ont tué et lapidé Hypatie, philosophe et mathématicienne. On oublie ces faits. Si un Romain du IIIeou IVe siècle renaissait aujourd’hui et voyait la façon dont on a écrit l’histoire et son histoire à lui, il n’en reviendrait pas. Car il y avait vis-à-vis des chrétiens la même répulsion qu’aujourd’hui face à Al-Qaida. Julien l’apostat, c’est un traditionaliste pour qui le christianisme est une barbarie parce que ces barbares ne connaissaient rien des mathématiques, de l’astronomie, du théâtre ou de la philosophie. C’est une ironie de la spirale de l’histoire que je rappelle pour prendre un peu de distance avec nos préjugés. Les chrétiens étaient ambigus, vertueux, arrogants, ignorants, volontiers intolérants, c’est pourquoi ils étaient suspects. C’est toujours amusant de voir comment une hérésie devient une orthodoxie.

    Marc Bonnant: Rien de la rationalité des Grecs et rien du pragmatisme des Romains ne faisaient le terreau naturel du christianisme. 

     

    «Les chrétiens ont introduit une musique là où il y avait des syllogismes»

    Régis Debray: Le christianisme vient par le cœur, le sentiment. Il y a chez Julien une arrogance, l’idée qu’il faut éduquer les gens. Les chrétiens sont entrés par le bas, les femmes, les esclaves, les petites gens… avoir un dispensaire, se rassembler. Dans une société où les Dieux sont asséchés, les chrétiens ont agrégé, ils ont introduit une musique là où il y avait des syllogismes. C’est peut-être le caprice du Prince, mais le caprice n’aurait pas pris s’il n’y avait pas eu une attente, un terrain disponible, une soif de douceur, de féminité. Le culte de la Vierge apparaît au IVe siècle. Elle est plus douce qu’Artémis et toutes les déesses de l’Antiquité.

    Marc Bonnant: Les Grecs n’étaient pas si machos. Ils laissaient une certaine place aux femmes. Aspasie, courtisane et rhétoricienne, amie de Périclès. Et «L’Odyssée» qui est le roman féminin par excellence, puisque c’est le roman du retour, malgré Nausicaa, et Circée. Cette idée que Pénélope est la destination ultime. Si j’étais féministe, Dieu m’en garde, l’Odyssée serait mon livre de chevet. Certains prétendent même qu’il aurait été écrit par une femme…

    Régis Debray: Vous avez raison, je pensais aux Romains, monde machiste, de laboureurs et de soldats.

    «Je suis chrétien, j’aurais dû commencer par là!»

    Régis Debray: Le christianisme fait passer de l’intelligible au sensible. Le génie du christianisme, c’est l’incarnation, faire de ce qui était de la philosophie du théâtre, de la parole vécue. Il y a une puissance à faire entrer la vérité dans l’histoire. Tout à coup, le temps a un but. Le christianisme fait descendre le ciel sur la terre, il réunit deux mondes qui étaient opposés avant, celui de la matière empirique et celui des idées platoniciennes. Tout à coup, il y a de l’essentiel dans l’existence. C’est un coup de génie! Je suis chrétien, j’aurais dû commencer par là. Pas croyant, mais chrétien, je n’aimerais pas les images à ce point si je ne l’étais pas… Je me sens affectivement chrétien. Je reconnais cette filiation et ressens profondément cette dette. Je ne suis pas comme Julien antichrétien, j’ai beaucoup d’amis dominicains et vais régulièrement dans les monastères.

    Marc Bonnant: Le génie du christianisme, disiez-vous, c’est d’avoir fait tomber le ciel sur la terre, mais en le gardant de surcroît et pour partie au ciel, ce qui fonde l’espérance. A la fois l’incarnation et une promesse de demain. Jésus dit: je viens à vous, et je remonte…

    Régis Debray: … et je vous attends. Non, c’est génial! 

    «Nous sommes à ce point tolérants que même dans le lieu de nos douleurs, nous vous accueillons»

    Marc Bonnant: Ground Zero est un lieu sacré depuis le 11 septembre. Et Dieu n’est pas sécable. Est-ce que les lieux sacrés se partagent? Je n’en suis pas sûr. Il y a plusieurs plans dans cette affaire. Une vision syncrétique et de pardon: nous sommes à ce point tolérants que même dans le lieu de nos douleurs, nous vous accueillons. Mais si j’étais américain, je le vivrais probablement très mal, cela appellerait 1000 choses impures en moi. Quant à la décision politique, je la trouve formidablement imprudente. En politique, une décision imprudente peut être une décision politique courageuse, mais le courage n’est pas toujours de l’intelligence.

    Régis Debray: Nous sommes pour le mélange des cultures, cela s’appelle le métissage. Mais on oublie que le mélange des cultures, c’est aussi de l’eczéma des cultures. Ce frotti-frotta, lié à la révolution des transports et des grands courants migratoires, fait lever ou ressurgir des défenses immunitaires de chaque culture. En se frottant à l’autre, on s’estime en danger de perte d’intégrité, donc les maladies de peau vont proliférer. Ce qui se passe aux Etats-Unis, c’est une levée de défenses immunitaires d’un groupe historique contre une autre culture, très minoritaire dans le pays, mais qui se trouve quand même dans le rôle de l’autre. La présence d’une altérité qui donne à la mondialisation son aspect dangereux et régressif. Abstraitement, je suis pour, mais concrètement, si j’étais américain, je me poserais des questions d’ordre symbolique et historique. De loin, c’est facile, je soutiens Obama dont je constate avec désolation le caractère velléitaire et contradictoire: il dit une chose, en fait une autre. Il ne veut pas les conséquences de ce qu’il veut au départ. Obama est un homme qui a une vision de l’histoire mais qui ne sait pas faire de l’histoire, malheureusement.

     

    «Dieu est mort, mais tous n’ont pas reçu le faire-part»

    Marc Bonnant: Nous sommes tous pour le métissage et l’ouverture, c’est un grand bien et nous venons aussi de là, nous avons tous plusieurs mères patries, mais je ne suis pas sûr qu’il faille choisir les lieux de haute symbolique pour accueillir des expériences de cette nature. Ce n’est pas avec l’exaspération des sentiments identitaires que l’on va organiser la coexistence des contraires. Nous en parlions tout à l’heure avec Régis, Dieu est mort, mais tous n’ont pas reçu le faire-part. Et les Américains ne l’ont pas reçu.

    Régis Debray: Et surtout le sacré se passe fort bien de Dieu comme le prouvent le mausolée d’Atatürk ou les Arcs de triomphe à Paris. Le lieu sacré a pour caractéristique de ne pas se partager et là où il y a partage, il y a guerre. Je pense à Jérusalem ou à Hébron où vous avez une synagogue et une mosquée juxtaposées, donc du meurtre. Le lien sacré est par définition sensible et belliqueux.

    Marc Bonnant: Précisons, le lieu sacré monothéiste, parce que les panthéons grecs et romains étaient infiniment accueillants du moins pour les divinités locales… La réponse que je ferai mienne est celle de George Steiner que j’aime infiniment et qui, reconnaissant le désastre d’Israël, propose que nous revenions à l’idée que notre patrie c’est le livre, et uniquement le livre. Que nous cessions d’espérer un sol, saint ou non, et que nous considérions que seul le livre est notre territoire, notre carte.

    Régis Debray: Il y a malheureusement peu de George Steiner… Je ne dirai rien sur Israël, c’est devenu trop tendu… 

    «Le droit de l’hommisme n’affecte que le monde chrétien»

    Régis Debray: Il y a probablement une filiation entre droit de l’hommisme et christianisme. Le christianisme est une religion universelle, où l’on parle de l’Homme avec un grand «h» et où la personne compte plus que le groupe, contrairement, par exemple, à l’Asie. Il y a une hyperbole individuelle dans le christianisme, et c’est sa singularité. Et c’est vrai que le droit de l’hommisme n’affecte que le monde chrétien.

    Marc Bonnant: Oui, mais c’est un christianisme sans transcendance. Les vertus que l’on dit chrétiennes se retrouvent dans ce corpus essentiel des Droits de l’homme et de sa dignité. Mais ce qu’il y a de singulier, c’est la matrice des Droits de l’homme. Parce que je comprends bien la dignité égale des hommes quand on les veut à l’image de Dieu. Mais Dieu ayant déserté, comment peut-on trouver une quelconque étincelle de dignité dans ce qui n’est plus divin? Au fond, la pâte humaine serait sa propre dignité. On a trouvé un substitut à ce qui faisait la dignité originelle et à cet égard, les Droits de l’homme sont une belle histoire, à tentation et à volonté prosélytes universelles mais d’application locale.

    Régis Debray: Mais c’est oublier la formule entière: «Droits de l’homme et du citoyen». L’élision en fait une forme de christianisme laïc, missionnaire, conquérant et compassionnel. Le citoyen appelle à un retour de la cité, donc à la loi, et donc à l’organisation sociale.

    Marc Bonnant: Les droits de l’homme seraient d’essence chrétienne alors que ceux du citoyen nous renverraient en Grèce.

    Question subsidiaire: si chacun devait offrir à l’autre un livre pour comprendre le XXIe siècle?

    Régis Debray: «L’Odyssée» parce que c’est le retour à la niche, au nid, à la maison. Et cela illustre parfaitement le XXIe siècle. On en a assez de l’aventure et de la navigation. On veut revenir dans son île natale. Curieusement, l’achèvement de la mondialisation se fera quand chacun voudra rester chez soi.

    Marc Bonnant: «Ainsi parlait Zarathoustra», de Nietzsche.

    Régis Debray: Vous avez choisi les cimes, je suis plus domestique.

     

     

    Entretien publié par Le Temps (16 septembre 2010)

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